Deux lectrices ont réagi à la publication d’un document (disponible sur notre site internet [1]) sur l’évolution de la situation sanitaire dans la Russie des soviets en 1919. Il s’agit d’un rapport du Commissariat de l’hygiène publique qui rend compte de son travail un an après sa mise sur pied. Nous remercions les camarades pour leurs remarques critiques. Celles-ci sont indispensables pour nous permettre de corriger des erreurs ou d’améliorer notre façon d’exposer nos positions, elles permettent aussi de poursuivre des discussions commencées dans le cadre des permanences ou des réunions publiques.
Comme nous l’indiquons dans l’introduction, il ne s’agit pas de se faire des illusions sur la situation sanitaire en Russie, alors que les difficultés économiques, scientifiques, militaires et politiques assaillent le jeune bastion prolétarien. Notre but était de montrer le contraste entre deux méthodes mises en œuvre : celle de la dictature du prolétariat d’une part, celle de la dictature de la bourgeoisie dans le cadre de la pandémie actuelle où l’incurie domine, du fait de la concurrence et des priorités accordées uniquement à la production dans les secteurs les plus rentables. Comme l’écrit la camarade R., il faut bien constater la supériorité de la méthode inspirée par les intérêts du prolétariat, malgré des moyens limités : « Ce qui saute aux yeux, c’est l’avancée de la réflexion médicale en termes de prévention, de suivi des épidémies, de campagnes de vaccination, etc. Le texte nous fournit la liste des épidémies sévissant à l’époque : choléra, grippe espagnole, typhus, dysenterie, maladies infantiles, etc., et fait le constat suivant : “Les épidémies, de tout temps et en tout lieu, exercent surtout leurs ravages parmi les pauvres, parmi les classes laborieuses”. Comment ne pas faire le parallèle avec la situation sanitaire due au Covid-19 où les prolétaires les plus précaires sont touchés en grand nombre et, faute de soins adéquats, vont grossir les décomptes funèbres quotidiens : sur ce point il faudra attendre plusieurs mois de pandémie pour que quelques scientifiques alertent sur la forte mortalité parmi les populations précaires !!! »
Cependant, on ne peut manquer de ressentir un certain scepticisme chez nos deux camarades qui semblent se poser des questions sur la valeur d’un tel document dont certaines formulations leur rappellent les déclarations euphoriques de la propagande stalinienne. La camarade R. écrit : « De prime abord, on est un peu surpris par l’enthousiasme de ce rapport rédigé en juillet 1919 ». La camarade L. conclut son message ainsi : « Il me semble qu’on ne peut pas évoquer les plans rationnels qui avaient été construits afin de soulager la population et l’aider à tenir bon sans parler des forces contraires qui sapaient le travail des bolcheviks, ni les forces négatives qui se développaient déjà au sein du parti bolchevik ». Il est vrai que l’isolement de la Russie révolutionnaire (le blocus économique et plus encore l’isolement politique après l’échec de la révolution en Allemagne et en Hongrie) va conduire très vite vers un processus de dégénérescence de la révolution. Pris à la gorge, les bolcheviks vont aggraver le problème en fusionnant le parti communiste et l’État de la société transitoire. Au moment où le document paraît, les Conseils ouvriers avaient perdu pratiquement tout leur pouvoir et une bureaucratie d’État se développait avec son lot habituel de corruption. Mais les camarades seront probablement d’accord avec nous pour faire la différence entre la phase de dégénérescence de la révolution où l’opportunisme mène la bataille pour s’imposer et la période de contre-révolution qui s’installe à partir de 1924, lorsque Staline a pris le contrôle du parti, de l’État et de l’Internationale communiste, et qu’il impose la théorie (bourgeoise par nature) du « socialisme dans un seul pays ». Dans une telle période de dégénérescence, la vie révolutionnaire et l’enthousiasme prolétarien s’expriment encore malgré les difficultés. Certaines ambiguïtés du document reflètent ces difficultés, comme celle-ci : « Seule une génération saine de corps et d’esprit peut préserver les conquêtes de la Grande Révolution socialiste de Russie et amener le pays à une complète réalisation du régime communiste » (1)
Il est très important de faire cette distinction, car des leçons positives peuvent être tirées de l’expérience d’une révolution prolétarienne, y compris dans sa phase de dégénérescence, alors que plus rien ne concerne l’expérience révolutionnaire du prolétariat dans une période de contre-révolution. C’est la raison pour laquelle nous avons toujours défendu que la répression du soulèvement de Kronstadt en 1921 ne signait pas la fin de la révolution. Bien qu’entraînés dans les impasses du centrisme (qui se situait entre la droite de Boukharine et la Gauche communiste), Lénine et Trotsky ne franchissent pas la frontière de classe malgré la catastrophe qu’a représenté l’écrasement de Kronstadt pour le prolétariat mondial. C’est pourquoi la Gauche communiste d’Italie a pu en tirer une leçon fondamentale pour le futur : le rejet de toute violence au sein de la classe ouvrière pendant la phase de la dictature du prolétariat.
Pour appuyer son argumentation, la camarade L. écrit : « Emma Goldman est allée en Russie dans années 1919-1920 et a été choquée par la situation sanitaire, les enfants abandonnés dans les rues, les difficultés à organiser la prise en charge des soins, la pénurie de médicaments, le poids de la bureaucratie, la difficulté à obtenir les autorisations pour se déplacer ; la classe ouvrière avait pris le pouvoir, mais déjà la bureaucratie gênait la mise en œuvre des mesures nécessaires, les forces de l’Entente bouclaient la Russie et empêchaient les livraisons de produits de première nécessité ». La camarade a tendance ici à perdre de vue la réalité du pouvoir prolétarien en 1919 et ne voit plus que les contre-tendances (démoralisantes mais bien réelles) qui vont dans le sens de la dégénérescence. D’ailleurs, si Emma Goldman a fini par rejeter en entier la révolution russe d’Octobre 1917 du fait de ses positions anarchistes, elle était très ouverte dans les premières années après son arrivée en Russie et a continué à soutenir les bolcheviks. Elle savait faire la différence entre tendances et contre-tendances : « C’est vrai que les bolcheviks ont tenté là le maximum en ce qui concerne l’enfant et l’éducation. C’est aussi vrai que, s’ils n’ont pas réussi à parer aux besoins des enfants de Russie, la faute en incombe beaucoup plus aux ennemis de la révolution russe qu’à eux. L’intervention et le blocus ont pesé plus lourdement sur les frêles épaules d’enfants innocents et de malades ». (2) C’est ainsi qu’elle a gardé son enthousiasme révolutionnaire devant les efforts titanesques du prolétariat, avant que celui-ci ne s’incline devant l’acharnement de la bourgeoisie stalinienne et mondiale.
Cette expérience irremplaçable et toutes les leçons qu’on doit en tirer pour l’avenir, on peut le ressentir dans le document que nous avons publié, par exemple cette conception prolétarienne de la justice : « Pour la première fois dans le monde entier et uniquement dans la Russie soviétiste, il fut décrété, dès le début de 1918, que les enfants âgés de moins de 18 ans ayant transgressé la loi ne peuvent être reconnus criminels, bien que pouvant être socialement dangereux et même nuisibles à la société. Ces enfants sont les tristes victimes des conditions anormales d’autrefois, de la société bourgeoise et n’ont besoin que d’une rééducation ». La Commune de Paris n’a duré que quelques semaines et pourtant le marxisme révolutionnaire en a tiré des leçons décisives quant au but et aux moyens de la révolution prolétarienne. Que dire alors de la Révolution russe de 1917-1923 ? C’est un trésor que le prolétariat devra encore et toujours étudier pour être en mesure de vaincre demain.
La camarade R. pose une question importante : « Le rapport décrit tout le protocole de mise en place de la prévention, des soins, de l’éducation sanitaire, etc., grâce au moyen d’un système de santé centralisé : question ? Comment interpréter cette centralisation ? Était-ce une partie du “centralisme” dédiée à la santé ? Était-ce un plan de centralisation des compétences médicales pour tenter de faire face à la détresse sanitaire et à la mortalité dans les rangs populaires ? Cette question en entraîne une autre : en elle-même, la centralisation n’est pas la garantie d’un réel pouvoir des masses sur la gestion d’un service ou plus encore des affaires de l’État ? » Il est bien vrai que si on prend « la centralisation » en soi, de façon abstraite, on n’arrivera à rien. On y verra déjà beaucoup plus clair en examinant le rapport dialectique entre centralisation et unité. La petite bourgeoisie et les couches sociales intermédiaires, effrayées par le prolétariat qui lui rappelle la menace du déclassement, irritées par la bourgeoisie dont l’État central les accule à la faillite, n’ont jamais pu s’unir pour se défendre, encore moins pour porter un projet révolutionnaire, elles ont toujours rejeté la centralisation au profit de l’autonomie locale et du fédéralisme.
Il en va tout autrement des classes historiques. La bourgeoisie révolutionnaire s’est appuyée sur un État centralisé et sur l’unité nationale pour se lancer à la conquête du marché mondial. Sans ces atouts, un pays comme l’Allemagne a pris un retard considérable par rapport à la France qui s’était débarrassée violemment du féodalisme en 1789. La bourgeoisie est effectivement capable de s’unir et de centraliser son action sur les champs de bataille militaires ou économiques, et tout particulièrement face à son ennemi de classe. Mais elle est minée par la concurrence économique, les rivalités impérialistes et les rivalités de cliques. Seul l’État est en mesure d’assurer la centralisation, un État toujours monolithique et totalitaire enveloppé dans les limbes de l’idéologie et de la religion. La situation est toute différente pour le prolétariat qui n’a pas d’intérêts économiques divergents, qui est par excellence une classe internationale. Certes, les ouvriers se font concurrence sur le marché du travail et ne connaissent pas la même situation selon les secteurs économiques et selon les pays. Certes, ils subissent de plein fouet la domination idéologique de la bourgeoisie, et c’est bien pourquoi ils doivent lutter à la fois contre l’ennemi de classe et pour conquérir leur unité, et cela n’est possible que dans une révolution. Tout ce qui les divise est un héritage de leur appartenance à la classe exploitée, cependant ils portent en eux une autre société qui se caractérise par la solidarité et, pour la première fois dans l’histoire, l’unité de l’espèce humaine. Cette société ne peut émerger que sur la base de la socialisation internationale de la production mise en œuvre par la bourgeoisie mais les contradictions de son système d’exploitation basé sur la concurrence freine cette socialisation. Seule la classe ouvrière pourra la mener plus loin. En se débarrassant des classes et de l’État, la société communiste aura résolu la contradiction entre l’individu et la communauté. Ainsi, le prolétariat comme classe révolutionnaire est capable de mener un combat acharné et violent contre la bourgeoisie, tout en unissant et centralisant ses forces au sein des Conseils ouvriers où toute forme de contrainte violente a disparu. Cette supériorité de la centralisation prolétarienne s’exprime également dans l’organisation révolutionnaire et le Parti. Sinon l’organisation d’avant-garde ne serait qu’un cercle de bavards et son action serait réduite à l’impuissance.
Les camarades de la Gauche communiste d’Italie rappelaient dans les années 1930 comment la question a été clarifiée par le marxisme : « En s’inspirant des travaux de Marx sur la Commune de Paris et développés par Lénine, les marxistes ont réussi à faire la nette démarcation entre le centralisme exprimant la forme nécessaire et progressive de l’évolution sociale et ce centralisme oppressif cristallisé dans l’État bourgeois. Tout en s’appuyant sur le premier, ils luttèrent pour la destruction du second. C’est sur cette position matérialiste indestructible qu’ils ont vaincu scientifiquement l’idéologie anarchiste ». (3)
La centralisation mise en œuvre par le Commissariat de l’hygiène publique représentait effectivement un atout qui a porté ses fruits, même dans le contexte limité que l’on connaît, car elle portait la marque d’un pouvoir authentiquement prolétarien.
RI, 1er juillet 2021
1 Conclusion du rapport du Commissariat de l’hygiène publique, sur notre site
2 Citée dans « Emma Goldman et la Révolution russe : Réponse tardive à une anarchiste révolutionnaire », Revue internationale n° 160.
3 « Problèmes de la période de transition (5). Quelques données pour une gestion prolétarienne », Bilan n° 37, (novembre-décembre 1936). L’article a été republié dans la Revue internationale n° 132, (1er trimestre 2008).
À nouveau, le spectre de l’accident nucléaire vient frapper les esprits. Après la catastrophe de Tchernobyl et celle de Fukushima, les nombreux incidents nucléaires répertoriés ou passés sous silence, ce qui s’est produit mi-juin dans le sud de la Chine dans un réacteur de nouvelle génération EPR de la centrale de Taishan vient nous rappeler qu’au-delà de l’omerta et des discours rassurants sur la fiabilité des réacteurs de type EPR, un des “fleurons” de la technologie française, le danger des catastrophes reste devant nous. Quand bien même l’incident, présenté par les autorités comme une “fuite de gaz radioactif dans le circuit primaire”. serait, nous dit-on, sans réelle conséquence, cela n’a rien de rassurant pour autant.
En effet, depuis les années 1990, nous ne pouvons que constater l’incurie de plus en plus évidente des “autorités” et l’accroissement des catastrophes en tout genre, de plus en plus graves et fréquentes : catastrophes dites “naturelles”, comme les inondations à répétition, les cyclones, les sécheresses, les incendies, ou “technologiques”, comme l’explosion à Beyrouth du 4 août 2020 et celle de Lubrizol en France, se multiplient.
Tout cela témoigne du fait que les dangers face auxquels les hommes semblent chaque jour plus démunis alors que les technologies ne cessent de progresser et que tous les moyens existent pour s’en protéger, prennent désormais une allure systémique et dévastatrice. À l’instar d’une pandémie comme celle que nous traversons, une catastrophe nucléaire sérieuse aurait nécessairement une dimension planétaire aux répercussions dramatiques, comme ce fut le cas en partie pour Tchernobyl en 1986, mais qui pourrait passer pour une bagatelle face aux dangers qui menacent avec le vieillissement d’une majorité des centrales dans le monde. Bien que passées largement sous silence, les conséquences de Tchernobyl ou de Fukushima continuent de frapper, notamment par l’augmentation des cancers de la thyroïde, sans compter les régions et les millions de mètres cube d’eau contaminés. Mais là encore, malgré la gravité, le pire n’a pas encore eu lieu tant la menace est grande.
Tous ces phénomènes n’ont rien de fortuit, contrairement à ce qu’on veut nous faire croire. Leur augmentation et leur accélération ne fait que traduire l’impasse historique du système capitaliste en décomposition. Après plus d’un siècle de déclin historique et d’obsolescence, le système capitaliste agonisant, miné par ses contradictions et par sa recherche effrénée du profit coûte que coûte, poursuit sa quête de manière accélérée par sa politique de terre brûlée et menace désormais l’humanité de destruction à petit feu. Seul un combat acharné et conscient du prolétariat international pour défendre ses conditions de vie face à la paupérisation et aux menaces que fait peser ce système pourra libérer le monde de l’impasse capitaliste et de ses dangers mortels.
WH, 19 juin 2021
Nous publions ci-dessous des extraits d’un article publié sur notre site en espagnol.
Afin de fermer l’accès à la Méditerranée, l’Union Européenne déploie une force navale nommée Frontex qui, en 10 ans, a refoulé de manière expéditive plus de 60 000 migrants et a été dénoncée pour effectuer des renvois directs dans des îles grecques en crise.
De plus, à côté de la répression propre des États membres l’UE confie “la sale besogne” de traque, de répression et de retour au pays d’origine à la Turquie à l’est, à la Libye au centre et au Maroc à l’ouest. […]
Le capital marocain se charge à la perfection de cette “sous-traitance” puisque ses forces de répression ont une réputation bien méritée de brutalité et d’absence de scrupules en matière de “droits humains”. Depuis 2005, la police marocaine enferme, assassine, viole, bat, renvoie les migrants et réalise même quelque chose d’encore plus atroce en les faisant monter dans les autobus pour les abandonner en plein désert. 1 […]
Cependant en assumant ces fonctions généreusement rétribuées par l’UE, le Maroc, tout comme son homologue turc, dispose d’une formidable arme de pression et de chantage sur l’Europe et plus particulièrement sur l’Espagne, porte sud de la Méditerranée.
Le capital marocain utilise dans son intérêt le drame de l’émigration. Il se fait rémunérer sous forme de subventions, d’investissements, d’accords commerciaux, d’avantages impérialistes, etc. Lorsque le Maroc souhaite obtenir quelque avantage impérialiste (particulièrement au sujet du Sahara occidental) ou économique (par exemple avec la pêche) ou simplement recevoir plus de subventions. Mais quand il désire exercer une pression plus forte, il n’hésite pas à ouvrir sa frontière avec l’Espagne. C’est le jeu sinistre du chat et de la souris. Sa manœuvre habituelle est de laisser passer les migrants à travers les “points chauds” espagnols : Canaries, Melilla et Ceuta.
C’est le cas de la récente crise à Ceuta durant laquelle en deux jours, 10 000 personnes sont entrées dans la ville avec les encouragements des autorités marocaines. Après avoir laissé les portes ouvertes le lundi et le mardi, le mercredi 19 mai le Maroc a fermé de nouveau les frontières et les matraques, les tabassages et les détentions sont réapparus.
Plus de 1500 enfants et des familles entières sont entrés en nageant ou en passant par des trous dans les clôtures frontalières.
Au Maroc, la jeunesse est désespérée par le chômage, les atroces conditions de travail et la répression du régime : “La pandémie de Covid-19 a contracté l’économie de 7,1 % et a fait s’envoler le chômage des jeunes à près de 40 %. La pauvreté dans les villes a été multipliée par 7 durant la dernière année. En février, au moins 24 personnes, pour la plupart des femmes, sont mortes noyées à cause d’une inondation dans une cave de Tanger qui fonctionnait comme fabrique textile illégale”2. […]
Dans le même temps au nord du Maroc, se concentrent des milliers de migrants qui fuient en débandade la situation qui règne dans la grande majorité des pays africains.
Pour l’UNHCR (agence dec l’ONU sur la question des réfugiés), […] “la majeure partie des migrants est victime ou témoin d’exactions brutales aux mains des trafiquants, des contrebandiers, des milices ou des autorités étatiques qui les soumettent à des tortures impensables comme des brûlures à l’huile, au métal brûlant, ou au plastique fondu ; des décharges électriques et des immobilisations dans des postures douloureuses en plus de les battre et de les obliger à réaliser des travaux forcés, voire de les assassiner”.
Selon ce même rapport, “dans 47 % des cas les victimes ont déclaré que ces violences émanaient des autorités policières, ce qui écarte l’idée que les responsables sont toujours des contrebandiers ou des trafiquants”. “Au moins 1750 personnes sont mortes en 2018 et en 2019 après avoir migré de nations d’Afrique occidentale ou orientale”.
Cela a débouché sur les incidents de Castillejos, une ville marocaine voisine de Ceuta, où des centaines de jeunes se sont défendus contre la gendarmerie à coups de pierres. C’est une manipulation sanglante qui montre le capital tel qu’il est : un système assassin commandé par des assassins patentés.
Le capital espagnol, un impérialisme de second plan, aime exhiber ses muscles chaque fois qu’il a un contentieux avec son voisin du Sud. En 2002, le gouvernement de droite d’Aznar avait déployé une opération militaire disproportionée afin de déloger une demi-douzaine de soldats marocains qui avaient fait une incursion sur Perjil, en face des côtes de Ceuta. En 2005 le gouvernement “socialiste” de Zapatero a déployé ses troupes de légionnaires et la garde civile afin de repousser brutalement une ruée de migrants que le Maroc avait laissé passer par Melilla. Cinq migrants sont morts. Désormais, c’est le gouvernement de la “gauche progressiste” de Sanchez (dont fait partie “l’ami des migrants” Podemos), qui lance les tanks sur la plage du Tarajal et déploie l’armée et la garde civile. Les migrants ont souffert de ce déploiement puisque se sont produites “des agressions sur mineurs de la part des membres de l’armée, le non-respect du devoir de protection à l’enfance, des renvois immédiats sans un minimum de garanties, la criminalisation des personnes migrantes. Au moins un homme est décédé. Le gouvernement espagnol a refoulé plus de 4000 personnes”.3 […]
Le capital espagnol joue un double jeu avec les pays du Maghreb en tentant d’arbitrer et de tirer profit des tensions entre deux ennemis irréconciliables : le Maroc et l’Algérie. Cette dernière supporte le Polisario, “mouvement de libération du Sahara occidental” occupé par le Maroc ainsi l’hospitalisation en Espagne du leader de ce groupe atteint du Covid a provoqué les représailles marocaines. Cependant, la réponse armée du capital espagnol a pris les migrants comme cibles. C’est la réalité de toutes les guerres : les capitaux nationaux s’affrontent en utilisant les masses humaines comme chair à canon.
L’État espagnol qui prétend être “démocratique”, “humanitaire” et “avancé” a tenté de dissimuler la barbarie de sa réponse avec la répétition en boucle d’images humanitaires : un garde civil qui sauve un bébé, des soldats prenant un migrant par l’épaule ou les équipes du personnel sanitaire s’occupant de femmes et d’enfants transis de froid.
Le cache-sexe hypocrite du gouvernement “le plus progressiste de l’histoire espagnole” occulte le désespoir de centaines de migrants qui déambulent dans Ceuta, se cachant de la police et de l’armée pour ne pas être renvoyés ou internés : selon la presse locale, “Les enfants, les jeunes qui arrivent sur le territoire de Ceuta sont refoulés sans que personne ait parlé avec eux, dorment dans la rue et sont victimes de tirs de carabine de plomb dans les rues”. À Ceuta, des femmes d’origine marocaine, aidées par des familles espagnoles et de Gibraltar, ont organisé de leur propre initiative, devant la totale inaction des organismes officiels, des services de douches, de distribution de nourriture et de vêtements aux migrants noirs ou arabes. D’après leurs témoignages, ils sont quelques milliers à venir chaque jour, apeurés, “refusant d’aller à l’hôpital universitaire de Ceuta car ils ont peur que la police ne les embarque et les renvoie au Maroc”. […] Les CIES (centres d’internement pour étrangers) sont des prisons dans lesquelles les migrants peuvent être enfermés plus de 60 jours sans avoir commis le moindre délit, théoriquement en attente d’être déportés. Il y en a huit en Espagne dans lesquels on a entassé jusqu’à 14 000 migrants alors que la capacité officielle est de 1472 personnes ! En mai 2020 ils ont été vidés à cause des révoltes et des protestations car ils ne recevaient aucune attention face au danger de contamination par le Covid. Cependant ils ont été réouverts en septembre 2020 et plus de 1000 personnes se retrouvent ainsi enfermées dans des conditions sanitaires, alimentaires et de traitement inhumaines.
S’y ajoutent les campements dans trois îles des Canaries (Fuerteventura, Gran Canaria et Tenerife) dans lesquels, en pleine pandémie, le gouvernement a entassé plus de 9000 migrants venant des côtes africaines dans des conditions de logement infâmes, avec de la nourriture de mauvaise qualité et en petite quantité et en leur faisant subir des traitements dégradants.
Ceux qui “jouissent de liberté” se voient forcés à dormir à la merci des intempéries sur des terrains, dans des maisons abandonnées ou dans le meilleur des cas, dans des appartements de fortune dans lesquels ils s’entassent jusqu’à 14 dans des logements de 3 pièces.
Avec des emplois informels, travaillant comme vigiles dans les parkings, laveurs de vitres aux feux rouges, vendeurs à la sauvette toujours prêts à ramasser les marchandises et à courir avant l’arrivée de la police.
De fait, derrière l’attaque scandaleuse des migrants par le capital espagnol se cache la poursuite de l’attaque frontale des conditions de vie de tous les travailleurs, natifs ou étrangers car les conditions des travailleurs “autochtones” s’apparentent toujours plus à celles de leurs frères de classe migrants. Le salaire moyen en Espagne a connu en 2020 une chute de 3,1 %, la plus importante depuis un demi-siècle. […] La précarité de l’emploi connaît une escalade irréversible affectant tout particulièrement les jeunes générations alors même que sévit une nouvelle vague énorme de licenciements.
Il faut repousser autant les loups (Vox, PP) qui disent défendre les travailleurs espagnols face aux immigrés que les loups déguisés en agneaux (Podemos, PSOE) qui prétendent défendre tout le monde sans discrimination.
Les uns un comme les autres n’ont qu’un seul but : renforcer l’exploitation capitaliste en accroissant l’enfoncement dans la misère de tous les prolétaires par tous les moyens.
Marjane/Omar, 31 mai 2021
1Voir l’article « Ceuta, Mellila : l’hypocrisie criminelle de la bourgeoisie démocratique » [5], Révolution internationaleI n° 362, (novembre 2005).
2“El regreso al pasado del rey de Marruecos”, article du quotidien bourgeois La Vanguardia du 20/05/2021.
3Selon Kaosenlared du 21 mai 2021 (site sur les réseaux sociaux se réclamant de la « gauche anticapitaliste »).
Une sympathisante du CCI nous a fait part dans son courrier de préoccupations concernant directement l’avenir de la lutte de classe. Comme nous ne pouvons ici répondre à tous les aspects abordés par la camarade, nous souhaitons limiter notre réponse à une idée qui nous paraît important d’approfondir et clarifier.
La camarade avance l’idée suivante : « Quand on lutte pour davantage de justice ou d’égalité, ou contre la violence, on peut finir par comprendre que l’origine des inégalités, des injustices et des violences c’est le capitalisme ». La camarade poursuit en posant cette question : « Pourquoi, quand on lutte contre les injustices, contre les violences et pour l’égalité, est-ce un terrain bourgeois ? » (1)
La décomposition sociale, phase ultime de la décadence du capitalisme, marquée par l’incapacité des deux classes fondamentales de la société a donné une perspective à la société, a accru considérablement les injustices, les inégalités et les violences de toutes sortes, mais aussi et inéluctablement les guerres, la destruction de la planète, la misère et barbarie. Cette société entraîne le monde dans l’abîme. Telle est la réalité et le constat que nous devons faire et qui semble irrémédiable. De plus, cette période historique marquée par l’atomisation des individus et la fragmentation sociale débouche sur le repli vers « sa » communauté. Tous ces éléments pèsent donc sur la capacité de la classe ouvrière à recouvrer son identité (c’est-à-dire prendre conscience de son existence en tant que classe exploitée) et à développer ses luttes sur son propre terrain alors que les luttes parcellaires et interclassistes, souvent basées sur un idéal de justice et d’équité justement, tendent à se multiplier et mieux semer le trouble au sein de la classe ouvrière. Par conséquent, sur quelle base la classe ouvrière peut-elle lutter pour la transformation de ce monde ? Ce combat se fonde-t-il sur un idéal de justice ?
Les sociétés de classes ont toujours connues l’inégalité, l’injustice et la violence. Malgré les révoltes des classes exploitées qui se sont succédées tout au long de l’histoire, comme celle de Spartacus contre la domination romaine, ou celle des paysans allemands et la secte chrétienne anabaptiste contre l’ordre féodal au XVIe siècle. Mais aucun des maux de l’exploitation n’a jamais disparu et ne pouvait disparaître. Aucune des classes exploitées du passé n’était réellement en mesure d’abattre l’exploitation de la société dans laquelle elle évoluait.
Contrairement aux modes de production l’ayant précédé, le capitalisme a pu développer les forces productives à un niveau suffisant pour dépasser la pénurie qui caractérisait les sociétés du passé. Le capitalisme ne produit pas pour satisfaire les besoins humains (c’est-à-dire des « valeurs d’usage ») mais pour créer des marchandises (ou « valeur d’échange »), à tel point qu’il est aujourd’hui empêtré dans une crise de surproduction généralisée et inéluctable.
Pourquoi ? Pour produire ses marchandises, le capitaliste achète aux travailleurs leur force de travail, la seule marchandise que les prolétaires peuvent vendre. Mais pour tirer un bénéfice suffisant lui permettant d’« accumuler du capital » (c’est-à-dire de nouvelles machines, plus nombreuses et plus performantes, lui permettant de produire de façons moins coûteuses et de rester compétitif face à la concurrence), il rétribue les prolétaires moins que la valeur réelle des marchandises produites. Or, comment acheter la totalité des marchandises produites si les salaires des prolétaires (et éventuellement la rémunération personnelle du capitaliste) lui sont inférieurs ? C’est ainsi que le capitalisme s’est répandu, tant dans les campagnes des premiers centres de productions capitalistes (en Europe occidentale) qu’aux quatre coins de la planète, à la recherche de nouveaux marchés en mesure d’acheter les marchandises. Ce faisant, il a peu à peu intégré ces marchés et leur population dans le processus de production de marchandises, aggravant davantage ses besoins en débouchés qui, du fait des limites objectives de la planète, sont devenus de moins en moins nombreux. C’est la raison pour laquelle les soubresauts de l’économie mondiale tendent à devenir toujours plus catastrophiques.
Comme le capitalisme a poussé à son terme le développement des forces productives en vue de produire des valeurs d’échange, la réponse à ses contradictions ne peut en aucun cas être le dépassement du capitalisme par une nouvelle société d’exploitation accroissant davantage la masse de marchandises. Le seul moyen de surmonter les contradictions du capitalisme réside donc dans l’abolition de ce qui constitue le cœur de celles-ci : la marchandise elle-même, en particulier, celle à partir de laquelle toutes les autres marchandises sont produites : la force de travail, c’est-à-dire le salariat. Dans la mesure où l’abolition de l’exploitation se confond, pour l’essentiel, avec l’abolition du salariat, seule la classe qui subit cette forme spécifique d’exploitation, c’est-à-dire le prolétariat, est en mesure de porter un projet révolutionnaire. (2)
Étant à la fois une classe exploitée et une classe révolutionnaire, le but historique du prolétariat consiste donc à l’émancipation de l’humanité toute entière par la remise en cause du capitalisme comme un tout.
La lutte pour la « justice sociale », (comme faire payer davantage d’impôts aux « plus riches ») ou pour plus d’égalité (3) entre les individus dans tel ou tel domaine, quelle que soit leur classe sociale (comme le droit de vote pour tous par exemple), consiste seulement à « faire pression » sur le gouvernement bourgeois pour qu’il améliore la société capitaliste. Elles ne visent donc qu’à vouloir « refonder » ou « améliorer » une société par essence « inégalitaire », « injuste » et en pleine faillite.
Par conséquent, ces revendications ne peuvent pas former un facteur actif à l’identification du capitalisme comme cause de toutes les formes d’oppressions, d’aliénations et de ségrégations au sein de la société.
C’est déjà la critique portée par Marx et Engels dans le Manifeste communiste à l’égard des illusions idéalistes drainées par le courant socialiste utopique : « Certes les inventeurs de ces systèmes aperçoivent l’antagonisme des classes, ainsi que l’action des éléments dissolvants dans la société dominante elle-même. Toutefois, ils n’aperçoivent du côté du prolétariat aucune initiative historique, aucun mouvement politique qui lui soit propre. La forme rudimentaire de la lutte de classes tout comme leur propre situation dans la vie les portent cependant à se croire au-dessus des oppositions de classes. Ils voudraient améliorer l’existence de tous les membres de la société, même des plus privilégiés. C’est pourquoi ils lancent sans cesse leur appel à l’ensemble de la société sans distinction, et même de préférence à la classe dominante. […] C’est pourquoi ils rejettent toute action politique, et surtout toute action révolutionnaire. Ils veulent atteindre leur but par des moyens pacifiques, et ils essaient de frayer un chemin au nouvel évangile social par la force de l’exemple, par des expériences limitées, qui, naturellement, se terminent par un échec. […] Et pour donner corps à tous ces châteaux en Espagne, ils sont forcés de faire appel à la charité des cœurs et des bourses de la bourgeoisie ». (4)
Aujourd’hui, comme au milieu du XIXe siècle, le problème sur cette question se pose peu ou prou dans les mêmes termes :
– Les luttes contre les injustices et pour davantage d’égalité, en entretenant l’illusion que la société capitaliste, par essence inégalitaire, pourrait être améliorée, ne visent pas à mettre en cause le capitalisme comme un tout.
– Ce faisant, en appelant à réformer le système plutôt que de le transformer de fond en comble, ces revendications sèment les illusions et se placent résolument sur les terrains bourgeois ou petit-bourgeois.
Depuis que le capitalisme l’a fait surgir, le prolétariat se bat (par la grève, les assemblées, etc.), pour réduire les effets de l’exploitation et se défendre face aux souffrances engendrées par l’esclavage salarié. Par conséquent, la classe ouvrière rentre en lutte, avant toute chose, par nécessité matérielle.
La plupart des luttes révolutionnaires du prolétariat ont ainsi commencé par la défense de besoins vitaux et un refus d’accepter passivement le développement de la misère et de la souffrance, de la guerre ou encore de la répression brutale exercée par la police ou l’armée. Tel fut le cas lors de la Commune de Paris, les révolutions de 1905 et 1917 en Russie et toute la vague révolutionnaire internationale après 1917-1918. Tel fut encore le cas lors de la plus grande grève ouvrière de l’histoire en 1968 en France. Tous ces épisodes de l’histoire du mouvement ouvrier montrent que le prolétariat ne déploie pas sa force révolutionnaire sur la base d’un idéal de justice ou d’égalité mais sur la base de son exploitation et des souffrances que le capitalisme lui fait subir.
Mais, dans le contexte de la décadence du capitalisme et de la concurrence toujours plus acharnée que se livre chaque capital pour écouler ses marchandises, la bourgeoisie est incapable d’accorder la moindre réforme durablement positive à la classe ouvrière. A part faire reculer ponctuellement telle ou telle attaques de la bourgeoisie, le prolétariat ne peut plus rien obtenir de la classe dominante. C’est ainsi que dans ses luttes « défensives », le prolétariat se heurte aussi aux limites objectives de la société capitaliste. Fertilisée par l’intervention de la minorité révolutionnaire, ces luttes « défensives » sont donc le terreau sur lequel le prolétariat est amené à développer sa conscience politique et sa lutte pour la destruction des causes mêmes de l’exploitation. Comme l’affirmait Lénine, la nature par essence révolutionnaire de la lutte du prolétariat implique que « derrière toute grève se dresse l’hydre de la révolution ».
Boris, 1er juillet 2021
1Nous bornerons notre réponse à la question des luttes contre les injustices et contre les inégalités.
2Pour davantage de précisions à ce sujet voir : « Perspective du communisme (III) : Pourquoi la classe ouvrière est la seule classe révolutionnaire », Révolution internationale n° 342.
3Rappelons d’ailleurs que le principe d’égalité ne fait pas partie des bases de la société communiste qui ne vise pas à mettre tous les individus au même niveau mais de s’établir en fonction des capacités et des besoins de chacun. Marx a d’ailleurs critiqué les errements de Babeuf et du courant babouviste durant la Révolution française à ce sujet. Voir notamment : « Du communisme primitif au socialisme utopique », Revue internationale n° 68.
4K. Marx, F. Engels, Le Manifeste communiste, « III. Littérature socialiste et communiste », 1848.
En à peine quelques semaines, partout sur la planète, les catastrophes climatiques se sont enchaînées à un rythme effroyable. Aux États-Unis, au Pakistan, en Espagne ou au Canada, les températures ont avoisiné les 50°C. Dans le Nord de l’Inde, les fortes chaleurs ont causé plusieurs milliers de décès. 800 000 hectares de forêts sibériennes, l’une des régions les plus froides du monde, sont déjà partis en fumée. En Amérique du Nord, la désormais traditionnelle saison des incendies de forêts géants a déjà commencé : plus de 150 000 hectares ont déjà brûlé pour la seule Colombie britannique ! Dans le sud de Madagascar, une sécheresse sans précédent a plongé 1,5 million de personnes dans la famine. Des centaines de milliers de gamins crèvent, parce qu’ils n’ont plus rien à manger, ni rien à boire, dans une indifférence presque unanime ! Le Kenya et plusieurs autres pays africains connaissent la même situation dramatique.
Mais tandis qu’une partie du monde suffoque, des pluies diluviennes se sont abattues sur le Japon, la Chine et l’Europe provoquant des inondations sans précédents et des glissements de terrain meurtriers. En Europe de l'Ouest, en Allemagne et en Belgique particulièrement, les inondations, à l’heure où nous écrivons ces lignes, ont causé la mort de plus de 200 personnes et des milliers de blessés. Des milliers de maisons, des villages entiers, des agglomérations, des rues ont été emportés par les eaux. Dans l’ouest de l’Allemagne, le réseau routier, les lignes électriques, les conduites de gaz, les réseaux de télécommunication et les chemins de fers sont dévastés. De nombreux ponts ferroviaires et routiers se sont effondrés. Jamais cette région n’avait été frappée par des inondations d’une telle ampleur.
En Chine, dans la ville de Zhengzhou, capitale de la province centrale de Henan et peuplée de 10 millions d’habitants, il est tombé en trois jours l’équivalent d’un an de précipitations ! Des rues se sont transformées en torrents déchaînés, avec des scènes hallucinantes de dévastation et de chaos : routes effondrées, bitume fracassé, véhicules emportés par les eaux… Des milliers d’usagers du métro se sont retrouvés coincés dans les stations, les rames ou les tunnels, avec souvent de l’eau jusqu’au cou. Il est fait état d’au moins 33 morts et de nombreux blessés. 200 000 personnes ont été évacuées. L’approvisionnement en eau, en électricité, en nourriture ont été brutalement interrompus. Personne n’avait été prévenu. Les dommages agricoles se chiffrent en millions. Au sud du Henan, le barrage du réservoir d’eau de Guojiaju a cédé et deux autres menacent également de s’effondrer à tout moment.
Les conclusions effroyables du pré-rapport du GIEC qui a « fuité » dans la presse ont de quoi nous glacer le sang : « La vie sur Terre peut se remettre d’un changement climatique majeur en évoluant vers de nouvelles espèces et en créant de nouveaux écosystèmes. L’humanité ne le peut pas ». Depuis des décennies, les scientifiques alertent sur les dangers du dérèglement climatique. Nous y sommes ! Il ne s’agit plus seulement de la disparition d’espèces ou de catastrophes localisées ; les cataclysmes sont désormais permanents… et le pire est à venir !
Depuis de nombreuses années, les canicules, les incendies, les ouragans et les images de destruction se multiplient. Mais si les carences et l’incompétence des États les plus pauvres dans la gestion des catastrophes ne surprennent malheureusement plus personne, l’incapacité croissante des grandes puissances à faire face est particulièrement significative du niveau de crise dans laquelle s’enfonce le capitalisme. Non seulement, les phénomènes climatiques sont de plus en plus dévastateurs, nombreux et incontrôlables, mais les États et les services de secours, sous le poids de décennies de coupes budgétaires, sont de plus en plus désorganisés et défaillants.
La situation en Allemagne est une expression manifeste de cette tendance. Si le système européen d’alerte pour les inondations (EFAS), mis en place après les inondations de 2002, a bien anticipé les crues des 14 et 15 juillet, comme l’a déclaré l’hydrologue Hannah Cloke : « les avertissements n’ont pas été pris au sérieux et les préparatifs ont été insuffisants ». (1) L’État central s’est, en effet, débarrassé des systèmes d’alerte en les confiant aux États fédéraux, voire aux municipalités, sans procédures standardisées, ni moyens conséquents. Résultat : alors que les réseaux électriques et de téléphonie s’étaient effondrés, empêchant d’alerter la population et de procéder à des évacuations, la protection civile n’a pu faire hurler les sirènes… que là où elles fonctionnent encore ! Avant la réunification, l’Allemagne de l’Ouest et de l’Est comptait environs 80 000 sirènes ; il n’en reste désormais que 15 000 en état de fonctionnement. (2) Faute de moyens de communication et de coordination, les opérations des forces de secours se sont également déroulées dans le plus grand désordre. En d’autres termes, l’austérité et l’incompétence bureaucratique ont largement contribué à ce fiasco !
Mais la responsabilité de la bourgeoisie ne s’arrête pas aux défaillances des systèmes de sécurité. Dans ces régions urbanisées et densément peuplées, la perméabilité des sols est fortement réduite, accroissant les risques d’inondations. Pendant des décennies, pour mieux concentrer la main d’œuvre par souci de rentabilité, les autorités n’ont jamais hésité à autoriser la construction de nombreuses habitations en zones inondables !
Une grande partie de la bourgeoisie ne pouvait évidemment qu’admettre le lien entre le réchauffement climatique et la multiplication des catastrophes. Au milieu des décombres, la chancelière allemande déclarait solennellement : « Nous devons nous dépêcher. Nous devons aller plus vite dans la lutte contre le changement climatique ». (3) De la pure tartufferie ! Depuis les années 1970, les sommets internationaux et autres conférences s’enchaînent presque chaque année avec leur lot de promesses, d’objectifs, d’engagements. À chaque fois, les « accords historiques » se révèlent n’être que des vœux pieux, tandis que les émissions de gaz à effet de serre ne cessent d’augmenter d’année en année.
Par le passé, la bourgeoisie a pu se mobiliser sur des enjeux ponctuels du point de vue de son économie, comme la diminution drastique des gaz fluorés responsables du « trou » dans la couche d’ozone. Ces gaz étaient notamment utilisés dans les climatiseurs, les réfrigérateurs ou les bombes aérosols. Un effort, certes important face aux risques que fait encore peser la dégradation de la couche d’ozone, mais qui n’a jamais nécessité un bouleversement drastique de l’appareil de production capitaliste. Les émissions de CO2 représentent un enjeu autrement plus considérable sur ce plan !
Les gaz à effet de serre, ce sont les véhicules qui transportent travailleurs et marchandises, c’est l’énergie qui fait tourner les usines, c’est aussi la production de méthane et la destruction des forêts induites par l’agriculture intensive. Bref, les émissions de CO2 touchent au cœur de la production capitaliste : la concentration de la main d’œuvre dans d’immense métropole, l’anarchie de la production, l’échange de marchandises à l’échelle planétaire, l’industrie lourde… C’est la raison pour laquelle la bourgeoisie est incapable de trouver de véritables solutions à la crise climatique. La recherche de profit, la surproduction massive de marchandises, comme le pillage des ressources naturelles, ne sont pas une « option » pour le capitalisme : c’est la condition sine qua non de son existence. La bourgeoisie ne peut que promouvoir l’accroissement de la production en vue de l’accumulation élargie de son capital, sans quoi elle met en péril ses propres intérêts et ses profits face à une concurrence mondialisée exacerbée. Le fond inavouable de cette logique est la suivante : « après moi le déluge » ! Les phénomènes climatiques extrêmes ne se contentent plus d’impacter les populations des pays les plus pauvres, ils perturbent désormais directement le fonctionnement de l’appareil de production industriel et agricole dans les pays centraux. La bourgeoisie est ainsi prise dans l’étau de contradictions insolubles !
Aucun État n’est en mesure de transformer radicalement son appareil de production sans subir un recul brutal face à la concurrence des autres pays. La chancelière Merkel peut bien clamer qu’il faut « aller plus vite », il n’en demeure pas moins que le gouvernement allemand n’a jamais voulu entendre parler de réglementations environnementales trop strictes pour protéger des secteurs stratégiques comme ceux de l’acier, de la chimie ou de la voiture. Merkel a aussi réussi à repousser pendant des années l’abandon (pourtant très progressif) du charbon : l’exploitation à ciel ouvert du charbon de Rhénanie et d’Allemagne de l’Est demeure pourtant l’un des plus gros pollueurs d’Europe. En d’autres termes, le prix de la forte compétitivité de l’économie allemande, c’est la destruction sans vergogne de l’environnement ! La même logique implacable s’applique aux quatre coins de la planète : renoncer à émettre du CO2 dans l’atmosphère ou à détruire les forets, ce serait, pour « l’atelier du monde » qu’est la Chine comme pour l’ensemble des pays industrialisés, se tirer une balle dans le pied.
Face à cette expression criante de l’impasse du capitalisme, la bourgeoisie instrumentalise les catastrophes pour mieux défendre son système. En Allemagne, où la campagne pour les élections fédérales de septembre bat son plein, les candidats rivalisent de propositions pour lutter contre le dérèglement climatique. Mais tout cela n’est que de la poudre aux yeux ! La « green economy », censée créer des emplois par millions et favoriser une prétendue « croissance verte », ne représente en rien une issue pour le capital, ni sur le plan économique, ni sur le plan écologique. Aux yeux de la bourgeoisie, la « green economy » a surtout une valeur idéologique destinée à feindre la possibilité de réformer le capitalisme. Si de nouveaux secteurs à coloration écologique émergent, comme la production de panneaux photovoltaïques, de bio carburants ou de véhicules électriques, non seulement ils ne pourront jamais servir de véritable locomotive à l’ensemble de l’économie compte tenu des limites des marchés solvables, mais leur impact catastrophique sur l’environnement n’est plus à démontrer : destruction massive des forêts pour en extraire des terres rares, recyclage plus que déplorable des batteries, agriculture intensive du colza, etc.
La « green economy » est aussi une arme de choix contre la classe ouvrière, justifiant les fermetures d’usines et les licenciements, comme en témoigne les propos de Baerbock, la candidate écologiste aux élections allemandes : « Nous ne pourrons éliminer progressivement les combustibles fossiles [et les travailleurs qui vont avec] que si nous disposons de cent pour cent d’énergies renouvelables » (4) Il faut dire qu’en matière de licenciements et d’exploitation de la main d’œuvre, les Verts en connaissent un rayon, eux qui, pendant sept ans, ont contribué activement aux ignobles réformes du gouvernement Schröder !
L’impuissance de la bourgeoisie face aux effets de plus en plus dévastateurs, sur le plan humain, social et économique du dérèglement climatique, n’est cependant pas une fatalité. Certes, parce qu’elle est prise dans l’étau des contradictions de son propre système, la bourgeoisie ne peut conduire l’humanité qu’au désastre. Mais la classe ouvrière, à travers sa lutte contre l’exploitation en vue du renversement du capitalisme, est la réponse à cette évidente contradiction entre, d’un côté, l’obsolescence des méthodes de production capitaliste, sa complète anarchie, la surproduction généralisée, le pillage insensé des ressources naturelles, et, de l’autre, le besoin impérieux de rationaliser la production et la logistique en vue de répondre à des besoins humains urgents et non à ceux du marché. En débarrassant l’humanité du profit et de l’exploitation capitaliste, le prolétariat aura, en effet, la possibilité matérielle de mener un programme radical de protection de l’environnement. Si le chemin est encore long, le communisme est plus que jamais nécessaire pour la survie de l'humanité !
EG, 23 juillet 2021
1 « Allemagne : après les inondations, premières tentatives d’explications [7] », Libération.fr (17 juillet 2021).
2 « Warum warnten nicht überall Sirenen vor der Flut ? [8] », N-TV.de (19 juillet 2021).
3 « Choquée par les dégâts “surréalistes”, Angela Merkel promet de reconstruire [9] », LeMonde.fr (18 juillet 2021).
4 « Klimaschutz fällt nicht vom Himmel, er muss auch gemacht werden [10] », Welt.de (22 juillet 2021).
Links
[1] https://fr.internationalism.org/content/10409/prise-charge-sante-russie-des-soviets
[2] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/courrier-des-lecteurs
[3] https://fr.internationalism.org/en/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/revolution-russe
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/62/chine
[5] https://fr.internationalism.org/ri362/immigration_ceuta_mellila.htm
[6] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/443/maroc
[7] https://www.liberation.fr/international/europe/inondations-le-nombre-de-morts-atteint-133-en-allemagne-153-en-europe-20210717_AAKJJWRYWZEGNJIQ3KKNNKBDQY/
[8] https://www.n-tv.de/politik/Warum-warnten-nicht-ueberall-Sirenen-vor-der-Flut-article22692234.html
[9] https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/07/18/inondations-la-situation-se-degrade-dans-le-sud-de-l-allemagne_6088635_3244.html
[10] https://www.welt.de/politik/deutschland/article232656933/Annalena-Baerbock-Klimaschutz-faellt-nicht-vom-Himmel.html
[11] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/38/allemagne
[12] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/environnement
[13] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/ecologie