Fin 2020, nous décrivions comme suit l’approche défaillante de la crise Covid-19 par la bourgeoisie belge: « Les intrigues politiques, qui durent depuis le début de 2019, ont été alimentées et intensifiées au début de cette année par l’éclatement de la crise du coronavirus. La combinaison de cette dernière avec la crise politique a produit un mélange explosif et a mené à une fuite de responsabilité de la part des "dirigeants" politiques et, en conséquence, à un chaos considérable dans la gestion du pays. Les forces politiques établies ont laissé faire le sale boulot de gestion de la crise sanitaire par un gouvernement d’affaires courantes qui se heurtait régulièrement aux initiatives "sauvages" des dirigeants régionaux et locaux. Le manque de confiance entre les différents niveaux de pouvoir et la pagaille dans la communication publique ont dominé de sorte que la Belgique compte aujourd’hui le plus grand nombre de décès covid pour 100.000 habitants dans le monde entier ».[1]
Pour tenter de dissiper cette image d'irresponsabilité et de chaos omniprésents, une équipe gouvernementale fédérale « nouvelle et fraîche » a été nommée début octobre 2020, le gouvernement De Croo. Elle se donnait pour but de mettre fin à l'ancienne « culture de la chamaillerie », d’opter « résolument pour l'unité », à travers une gestion cohérente et un programme innovant : « une équipe de 11 millions de Belges! ». Après 9 mois de gouvernement, qu’en est-il de ces belles promesses ?
À l'instar de ses rivales européennes, la bourgeoisie belge n'a tiré que peu ou pas d'enseignements de la première vague de la pandémie : les possibles mesures d'accompagnement visant à surveiller et à contenir la pandémie, telles que le suivi et le repérage avec mise en quarantaine obligatoire des personnes infectées lors de voyages à l'étranger, se sont révélées être un échec total. De toute façon, le gouvernement De Croo, avec le ministre « socialiste » de la Santé F. Vandenbroucke à sa tête, s'était fixé pour objectif de ne pas se résigner à l'inévitabilité d'un nouveau confinement général lors de la deuxième vague, qui aurait imposé une mise à l’arrêt de toutes les partes non essentielles de l'économie. Par conséquent, depuis novembre, le cœur inébranlable de la politique gouvernementale a été de maintenir ouvert à tout prix les secteurs productifs
de l'économie et, en appui à cela, de garantir l’ouverture des crèches et les écoles primaires, même si les mesures de protection telles que l'aération des locaux ou l’utilisation d’(auto)tests dans les entreprises et les écoles n'ont pas permis de maîtriser les infectons ou les nouvelles variantes, de sorte que les mesures d'assouplissement ont dû être régulièrement revues ou reportées.
Ensuite, la campagne de vaccination a démarré lentement, avec de grandes différences entre les régions (la région de Bruxelles-Capitale est loin derrière les autres régions, les villes d'Anvers et de Gand sont aussi en retard par rapport au reste de la Flandre, par exemple). Ici aussi, des scandales ont éclaté au niveau d‘autorités municipales qui ont permis la vaccination prioritaire de leurs propres employés et de leur famille en bafouant l’ordre de vaccination convenu. Bref, malgré une meilleure centralisation des actons par le gouvernement De Croo, l'impuissance à gérer efficacement la pandémie est restée flagrante et a entraîné début 2021 des milliers de décès supplémentaires, tristement superflus.
L'une des raisons pour lesquelles la gestion de la pandémie continue d'être inefficace et incohérente est le fait que les différents partis tout comme les différents gouvernements régionaux font constamment des déclarations et des propositions qui remettent en question ou même sapent les plans et les mesures du gouvernement fédéral. Lorsque le gouvernement a imposé des mesures strictes, celles-ci ont été ouvertement remises en question par des présidents de partis gouvernementaux eux-mêmes (de celui du MR libéral à celui d'Ecolo, qui a ouvertement déclaré qu'il ne suivrait pas ces mesures). Lorsque le gouvernement fédéral a proposé un plan
d’assouplissement prudent, les gouvernements régionaux (la Flandre en particulier) et les partis (du parti socialiste francophone aux libéraux-démocrates flamands) se sont immédiatement lancés dans une surenchère de mesures d'assouplissement tandis que certains bourgmestres et municipalités ont ouvertement déclaré qu'ils ne contrôleraient plus le respect des mesures (comme à Liège ou Middelkerke). Enfin, même le premier ministre libéral s’est heurté à son ministre « socialiste » de la santé, qui estimait que De Croo ne tenait pas suffisamment compte de la situation préoccupante des hôpitaux.
Certains se demandent peut-être pourquoi la bourgeoisie aborde les problèmes de manière aussi incontrôlée ? Cela n'a rien à voir avec de la mauvaise volonté et encore moins avec un plan machiavélique. La crise historique du système de production capitaliste exacerbe déjà en soi les contradictions internes, et la décomposition pullulante, dont la crise de Covid-19 elle-même est une expression et un accélérateur, attise le « chacun pour soi » à tel point que la bourgeoisie a de plus en plus de mal à contrôler son propre appareil politique. C'est là que réside l'explication fondamentale des tensions croissantes au sein de l'appareil politique de la bourgeoisie belge.
Des tensions et des protestations se sont exprimées dans toutes sortes de groupes de la société : des patrons de cafés et des restaurateurs aux traiteurs, du secteur culturel aux centres sportifs amateurs et aux fitness. De plus, des milliers de jeunes se sont rassemblés dans des parcs ou des squares et ont ignoré les mesures corona (comme « La Boum » 1 et 2 dans le bois de la Cambre bruxellois), tandis que les maires étaient de plus en plus réticents à assurer l'ordre public.
À cela s'ajoute l'errance désespérée d'un soldat paumé du corps d'élite, adepte des théories d'extrême-droite et conspiratonnistes. Il a dévalisé un arsenal d'armes (jusqu'à des lance-roquettes contre des véhicules blindés) de la caserne où il était stationné et menace de tuer un certain nombre de décideurs politiques et de virologues parce qu’ils imposeraient une dictature covid. Sur les réseaux sociaux, des dizaines de milliers de personnes le saluent comme le « Robin des Bois moderne », tandis que la police et les forces militaires tentent de l'arrêter depuis des semaines.
La pandémie n’aboutit donc de toute évidence pas à l'imposition par l'État bourgeois d'une discipline de fer à sa population. Cependant, le danger est ailleurs : que les travailleurs rejoignent les campagnes de groupes spécifiques (tels les commerçants ou le secteur culturel) ou celles pour la défense des « libertés individuelles qui seraient en danger »; que de jeunes ouvriers soient entraînés dans des campagnes pour récupérer leur liberté: « Je veux retrouver ma liberté; Je veux faire ce que je veux ». De tels mouvements n'ont rien de positif et menacent d'entraîner les travailleurs dans des protestations égoïstes de certains groupes contre d'autres groupes de la société, dans lesquelles toute forme de solidarité sur une base prolétarienne (la seule qui offre une issue à la misère) est totalement absente. Au début de la crise du covid, il y avait encore des expressions de solidarité envers le personnel infirmier. Aujourd'hui, ces groupes de protestataires considèrent le personnel infirmier comme des gens mesquins qui vous empêchent de faire ce que vous voulez. Ils sont l'expression de la montée sans précédent de l'égoïsme, du « chacun pour soi »et du manque de perspective qui caractérisent cette phase de décomposition du système capitaliste.
Grâce à sa politique cynique consistant à tout faire pour que les entreprises restent ouvertes, le gouvernement De Croo a réussi à limiter les dégâts sur le plan économique : en 2020, l'économie a connu un recul de 6,3 %, ce qui est la plus forte baisse depuis la Seconde Guerre mondiale, mais celle-ci est comparable à celle de l'Allemagne: 6 %, et est nettement inférieure à celle de la France ou de l'Italie, qui ont connu une baisse de plus de 10 %. Grâce à une politique de subventions massives et inconditionnelles aux entreprises et aux travailleurs, la Belgique est également l'un des pays les plus performants d'Europe en termes de faible croissance du taux de chômage (de 3,6 % à 3,7 % ; l'Allemagne de 2,4 % à 2,9 %).
Toutefois, ces mesures de soutien ont un prix élevé: « En 2020, le déficit budgétaire du pays devrait atteindre un peu plus de 10 % du produit intérieur brut (PIB). C'est plus que dans les pays voisins. Et le rééquilibrage budgétaire est également plus lent. D'ici 2023, le déficit en Allemagne aura été réduit à environ 1% et aux Pays-Bas à environ 2%, tandis qu’en Belgique, il restera à 6% »(Agence Belga, 23.03.21). Le déficit des finances publiques a fortement augmenté (dette de 115 % du PNB en 2020, 120 % en 2023; les Pays-Bas ont vu leur taux d'endettement passer de 60 à 72 %. L'Allemagne est passée de 60 % à 70 %) et de nombreuses entreprises qui étaient censées faire faillite en raison de la crise ont été maintenues artificiellement en vie pour le moment. De nombreuses sociétés fictives auraient même été créées pendant le confinement pour profiter des généreuses mesures de soutien.
En fin de compte, c'est la classe ouvrière qui paiera dans les années à venir la facture de la crise Covid-19 sur le plan des salaires et des conditions de vie. Tout d'abord, son pouvoir d'achat sera affecté dans les mois et les années à venir par la hausse de l'inflation : plus de 2% en avril et environ 4% d'ici la fin de l'année (De Morgen, 19.05.2021). Ensuite, l'accord salarial central, promu par le gouvernement, impose une modération salariale claire : au cours des deux prochaines années, seule une augmentation salariale maximale de 0,4 %, hors adaptation à l'indice du coût de la vie, est autorisée.
En même temps, la bourgeoisie a commencé à activer une politique du « diviser pour mieux régner » afin d'étouffer toute velléité de résistance solidaire et unifiée contre sa politique. Déjà fin 2020, le gouvernement De Croo a conclu un accord avec le personnel hospitalier, qui impliquait des augmentations de salaire et une amélioration des conditions de travail, sans inclure dans cet accord le personnel d'entretien ou les autres travailleurs de la santé. Dans l'accord salarial central qui a été mis en œuvre en mai 21, la possibilité a été donnée de négocier une prime supplémentaire pouvant aller jusqu'à 500 €, mais uniquement pour les « entreprises performantes ». Les syndicats s'opposent à cette prime au nom de la liberté de négocier une augmentation salariale plus forte en fonction de la « performance » des entreprises. Autrement dit, après avoir collaboré avec le gouvernement et les patrons pour maintenir le niveau la production nationale pendant le confinement, les syndicats revendiquent désormais le droit de diviser les travailleurs selon la logique de la production capitaliste et du « chacun pour soi ». De cette manière, ils veulent saper encore plus la solidarité mutuelle entre les travailleurs mieux payés dans les entreprises « performantes » et les travailleurs moins bien payés dans les entreprises ou les secteurs « non-performants ».
Bref, l'impuissance de la bourgeoisie à mener une politique cohérente contre le Covid-19 et ses difficultés croissantes à contrôler sa structure politique n'offrent aucun avantage aux travailleurs. Une politique d'austérité est en train d'être mise en place, avec la pleine collaboration des syndicats, qui les mettra sous pression dans les années à venir. D’autre part, il existe le danger que ces mêmes travailleurs soient entraînés dans toutes sortes de tensions sociales et de contradictions entre les différents groupes de la société, qui menacent de saper encore plus leur identité et leur autonomie de classe/
Jos / 06.06.2021
[1] Le nouveau gouvernement belge De Croo: Une «équipe dynamique» pour restaurer la confiance dans la politique?; [2] Internationalisme 372, 3e-4e trimestre 2020
Des élections législatives ont eu lieu aux Pays-Bas au printemps dernier. Elles ont été suivies avec intérêt dans toute l’Europe, chacun se demandant si Rutte parviendrait à remporter un quatrième mandat de Premier ministre et serait ainsi en mesure de poursuivre sa politique des dix dernières années, une politique caractérisée par l’austérité et la stabilité politique. Par ailleurs, le résultat de ces élections pouvait également apporter des indications quant à l’issue des importantes élections en Allemagne cet automne et en France au printemps prochain.
Dans différents pays du monde, le virus du populisme a déjà révélé ses effets dévastateurs ces dernières années. Le référendum britannique sur la sorte de l'UE a déclenché le développement d’un processus politique chaotique, dont les effets résonnent encore aujourd'hui. La présidence de Trump aux États-Unis a alimenté le chaos dans le pays, qui a eu pour apothéose la prise d'assaut apocalyptique du Capitole par une horde d'extrémistes de droite. En Hongrie, Orban ne réussit à contrer le chaos imminent qu'en resserrant le contrôle à la « manière stalinienne ». En Italie, le gouvernement de coalition des deux parts populistes, a été marqué par 14 mois de confit et a laissé l'Italie dans une discorde encore plus grande qu'auparavant.
Jusqu'à présent, les Pays-Bas étaient un modèle de stabilité politique. Hormis le fiasco de la participation gouvernementale de la « Liste Pim Fortuyn (LPF) » en 2002-2003 et l'échec de l’appui du PVV de Wilders au gouvernement en 2010-2012, la bourgeoisie des Pays-Bas a réussi à maîtriser assez bien les conséquences de l'avancée populiste. En 2017, le PVV populiste avait certes amélioré son score pour devenir le deuxième parti le plus important, devançant légèrement le CDA chrétien-démocrate et les libéraux de gauche de D66, mais il se situait toujours loin derrière le la droite libérale, le VVD de Rutte.
Rutte lui-même symbolisait cette stabilité, il est le symbole d’une bourgeoisie qui comprend l'art du jeu politique et qui a réussi jusqu'à présent à neutraliser les « excès » populistes, expressions de la phase de décomposition.
Le gouvernement Rutte II, qui a débuté en 2012, avait été formé assez rapidement, en particulier parce qu'il ne comprenait que deux partis. En revanche, la formation de Rutte III a constitué la plus longue formation gouvernementale de l'histoire parlementaire néerlandaise. Cela était en parte dû au fait qu'il avait fallu quatre partis pour former un gouvernement majoritaire, disposant d’une majorité au Parlement. C’était également lié à une méfiance mutuelle accrue entre les différents parts. Malgré son titre, « Confiance dans l'avenir », le minutieux accord de coalition, dans lequel tout était fixé jusque dans les détails, exprimait bien plus la méfiance que la confiance.
Les résultats des élections de 2019 pour les États provinciaux et le Sénat fournissaient déjà une première indication des difficultés croissantes de la bourgeoisie néerlandaise à conserver le contrôle de ses institutions politiques. Lors de ces élections, le « Forum pour la démocratie », un autre parti populiste, surgissait du néant pour obtenir du premier coup 16 % des voix, devenant ainsi le plus grand parti politique des Pays-Bas et, avec le VVD, le plus grand parti au Sénat. Ce gigantesque renforcement de l’escadre populiste dans la politique néerlandaise était un premier avertissement.
Cette tendance a été absolument confirmée par les résultats des élections parlementaires du 17 mars 2021. Jamais auparavant les populistes n'avaient obtenu autant de sièges que lors de ces élections; ensemble, ils obtiennent 28 des 150 sièges. C'est encore plus que les 26 sièges que la LPF a obtenus en 2002. Mais le plus important est le fait que le Parlement n'a jamais été aussi fragmenté, morcelé en 17 (et maintenant même 18) fractions politiques. Ce nombre est encore plus élevé qu'en Belgique où, du fait de la division communautaire des partis, deux versions (une francophone et une néerlandophone) de la plupart des partis existent. La seule famille politique classique qui résiste est la libérale, la droite libérale du VVD de Rutte et le centre-libéral du D66.
Les chrétiens-démocrates (CDA), qui faisaient également parte du gouvernement Rutte III, ont subi une perte importante. Les partis verts et de gauche se sont réduits pour devenir des « mini partis » avec moins de 10 sièges chacun. Les populistes, eux aussi, sont divisés en quatre « communautés » qui s'excommunient entre elles. Des partis tels que le « Parti pour les animaux » ou le « Mouvement des paysans » entrent au Parlement.
Dans l'actuelle Chambre des représentants, seuls 4 partis représentent plus de 10% des voix, tandis que 13 partis obtiennent moins de 10% des voix.
Le « chacun pour soi » de la décomposition exacerbe aussi toutes sortes d'effets, tels que des parlementaires qui essaient de « se profiler » dans les médias et qui ne se tiennent plus à la loyauté envers leur propre part ou envers la coalition gouvernementale. En janvier 2021, cette situation est devenue funeste pour le gouvernement Rutte, qui ne disposait que d’une majorité d'un seul siège au parlement. En raison de son incapacité totale à gérer la question de l'allocation pour la garde d'enfants [1], le parlement avait annoncé qu'il introduirait une motion de censure contre le gouvernement. Lorsque ce dernier s'est rendu compte que même certains membres des partis de la coalition soutiendraient la motion, il a été contraint de présenter sa démission.
Le processus de formation d'un nouveau gouvernement de coalition a débuté à la fin du mois de mars. Mais juste au moment où les discussions allaient commencer, un nouvel affrontement a éclaté entre les parlementaires et Rutte.
Après avoir appris que, pour l'un des députés (le député CDA Pieter Omtzigt), qui s'était profilé de manière un peu trop explicite dans les débats contre Rutte III, les négociations visaient à « trouver une fonction ail-
Leurs », la Chambre des représentants a voulu savoir ce qu'il en était. Au cours du débat qui a suivi, il s'est avéré que ce sujet avait été abordé lors des discussions entre Rutte et les deux explorateurs (les précurseurs des informateurs), ce que Rutte a d'abord nié avec véhémence. Ce n'est que quand il a reconnu humblement les faits, qu'il s'est repent et qu'il a promis des améliorations (« une nouvelle culture administrative ») que Rutte a pu éviter une motion de censure qui le visait personnellement.
Le fait que ce type de députés était également un sujet de discussion régulier au sein du conseil des ministres n'était pas connu à époque, mais est apparu plus tard. Le parlement a exigé la publication
des procès-verbaux du Conseil des ministres du second semestre 2019 et il est apparu qu' « ils ne voulaient pas de questions critiques et ils ont tout essayé, par le biais d'autres personnes, afin de les intimider et de les museler » (Azarkan du parti DENK). Hors du débat qui a suivi la publication des procès-verbaux, Mark Rutte a une nouvelle fois promis de faire mieux et de tenir désormais davantage compte du parlement en tant que « contre-pouvoir ».
Les affrontements d'avril 2021 entre le gouvernement et les parlementaires ont rendu la formation d'un nouveau gouvernement beaucoup plus difficile. Toutes les belles promesses faites par Rutte, suite aux prétendues « machinations » du gouvernement envers les députés, semblent avoir eu peu d'effet. Le rapport final publié début mai par Tjeenk Willink, le troisième « informateur » depuis le 17 mars, montre que sur les 18 partis au Parlement, six en tout cas ne considèrent plus Rutte [2] comme suffisamment crédible pour former un nouveau gouvernement avec lui.
L'un des fondements sur lesquels la bourgeoisie s'appuie pour défendre son système politique contre la pression toujours plus forte de la décomposition est la mise en avant (ou la création, comme en France) de personnalités populaires capables d'unir une parte importante de la population et des forces politiques autour d'elles. Nous l'avons vu avec Merkel en Allemagne, Macron en France et récemment avec Draghi en Italie. C'était également le cas de Rutte aux Pays-Bas au cours des dix dernières années. La campagne actuelle contre Rutte est une manifestation supplémentaire du fait que la bourgeoisie néerlandaise tend à perdre la régie de son jeu politique et que le contrôle lui échappe de plus en plus.
Plusieurs mois ont passé et la formation du gouvernement n'a pas progressé d'un pouce. Le « groupe de réflexion sur la crise du coronavirus » du Conseil Economique et Social (SER), le principal organe consultatif du gouvernement, a formulé des axes pour la relance de l'économie et des activités sociales. Ces axes donnent la priorité à la relance de l'économie et à l'anticipation de la prospérité future, tout en veillant à ce que les acquis sociaux tels que les soins de santé restent intacts. Au cœur des plans de la bourgeoisie pour la période à venir se trouve donc la transition de la crise vers la reprise, agrémentée par quelques zestes de durabilité et de numérisation.
La bourgeoisie néerlandaise ne semble donc pas opter pour un gouvernement qui mette immédiatement en œuvre une austérité drastique et qui présente immédiatement la note pour les mesures de soutien financier d'environ 40 milliards d'euros de l'ère Corona. La question demeure toutefois: quels sont les cinq ou six partis qui se retrouveront sur un programme de gouvernement qui ne les mènera pas encore plus avant sur le chemin de l’implosion? Et sous la direction de qui ce programme sera-t-il mis en œuvre?
Malgré les beaux plans élaborés actuellement par la bourgeoisie pour la formation d'un nouveau gouvernement, nous ne devons pas nous faire d'illusions. La bourgeoisie sait qu'elle ne peut pas continuer à dépenser de l'argent et à augmenter la dette nationale en toute impunité. Ce qu'elle fait depuis le début de la pandémie, c'est essentiellement danser sur la corde raide. Et ce, dans le contexte d'une économie nettement plus faible et plus fragile que lors de la crise bancaire de 2008. Les économistes prévoient qu'une telle politique conduira inévitablement à une intensification des chocs financiers et à une déstabilisation de la monnaie.
L'absence de contrôle du « jeu » politique ne peut qu'aggraver la situation, car les effets de la décomposition ne se limitent plus à des phénomènes de superstructure comme le populisme, les flux de réfugiés, l'écologie, la
décomposition de l'idéologie mais touchent de plus en plus directement la base économique du système capitaliste [3], comme nous l'avons vu avec la pandémie: la propagation illimitée du virus a plongé le monde dans une crise profonde, comparable au krach de 1929.
Les difficultés actuelles de la bourgeoisie néerlandaise à former un nouveau gouvernement stable, capable de conduire le pays à travers les tempêtes actuelles et à venir, expriment de manière frappante la tendance au "chacun pour soi", qui pénètre progressivement tous les recoins de la société bourgeoise [4]. Avec la politique à court terme qui tend à prédominer de plus en plus dans la phase de décomposition, les conditions économiques ne feront qu'empirer; les conséquences de ceci se répercuteront sans nul doute sur les couches exploitées de la population et en premier lieu sur la classe ouvrière.
Dennis / 2021.06.07
[1] Dans l'affaire dite des allocations familiales, des dizaines de milliers de familles néerlandaises ont été accusées à tort par le fisc, ces dernières années, de fraude à l'allocation pour la garde d'enfants. En conséquence, ces familles ont rencontré de graves problèmes, non seulement financiers (on les a obligés de restituer des dizaines de milliers d’euros), mais aussi des problèmes liés au logement, aux soins et à l'éducation des enfants. C'est devenu un véritable scandale en raison du fait que le gouvernement n'a pas voulu révéler la gravité et l'étendue de ces dérives au parlement.
[2] Après dix ans de gouvernement ininterrompu, de 2010 à 2020, Rutte a commencé à montrer certains traits autocratiques: il dicte ce qu'il faut faire ; Rutte et « gouverner » sont devenus presque synonymes, comme l'a souligné Ploumen du PvdA (social-démocratie): « Rutte se comporte comme un Roi-Soleil. »
[4] Les émeutes du week-end du 23 et 24 janvier 2021 étaient sans précédent selon les normes néerlandaises. Ce n'est pas en soi le grand nombre de gens dans la rue qui est significatif, mais le fait que les émeutes se soient déroulées simultanément dans 25 endroits, qu'ici et là des rues test Covid aient été détruites et qu'à Twente même un hôpital ait été attaqué. Cela prouve clairement que les effets de la décomposition sont de plus en plus répandus.
Après l’énorme chute économique enregistrée au cours de la première année de la pandémie, la bourgeoisie belge mise depuis l'été dernier sur une relance. Suite à la crise Covid-19, le contexte dans lequel doit se dérouler cette «reprise» est devenu très complexe et imprévisible, et confronte la bourgeoisie à une accumulation d'obstacles qui la conduiront inévitablement à intensifier ses attaques contre les conditions de vie et de travail des travailleurs.
Avant la pandémie de mars 2020, l’économie belge était déjà gravement touchée par une perte de compétitivité, une croissance économique inférieure à la moyenne de la zone euro, un niveau d’endettement des entreprises relativement élevé et une dette publique élevée.[1] Ce constat avait déjà amené Bar Van Craeynest, économiste en chef au Voka (l’organisation du patronat flamand), à exprimer son inquiétude face au déclin permanent de l’économie belge: « Après de graves crises économiques dans les années 1970 et de nouveau après 2008, notre économie a marqué à chaque fois un recul. Ensuite, le rythme de la croissance économique «normale» a ralenti pour ne jamais revenir au niveau d’avant la crise (…) Avant la crise actuelle, notre potentiel de croissance était déjà tombé à un maigre 1,2%. Nous ne pouvons plus nous permettre d’aller encore plus bas. »[2]
La contraction économique en 2020 due à la pandémie a été sans précédent : 8,5 %. Elle a été plus importante que la contraction économique d'il y a dix ans pendant la crise financière et même la plus forte contraction depuis la seconde guerre mondiale. En 2021, la croissance attendue est de 5,4 %. Mais cela ne signifie pas que l'économie a déjà remonté la pente.
Si l'on compare les prévisions de croissance pour 2021 à celles de 2019, on constate toujours une contraction de 3%. Une reprise significative prendra certainement des années, à condition, bien sûr, qu›une reprise progressive de 3 % ou plus soit possible en 2021 et 2022.
Les efforts financiers consentis pour soutenir l'économie pendant la pandémie ont déjà considérablement augmenté la dette publique pour la seule année 2020: « les mesures de soutien aux entreprises et aux ménages ont grevé le déficit public, qui s’est établi à 9,4% du PIB. Sous l’effet combiné du déficit élevé et du recul du PIB, la dette publique a bondi à 114,1 % du PIB. »[3] La même dette publique ne diminuera pas ou très peu en 2021, malgré la fragile reprise économique, avec un déficit budgétaire estimé à environ 6,8%. Selon le journal De Tijd, le déficit nominal pour 2021 du gouvernement fédéral et des trois gouvernement régionaux réunis est estimé à 7,28% du PIB, soit 35,7 milliards d’euros.
En outre, « les déficits de 2020-2021 ne sont que partiellement temporaires. D'après les estimations du Bureau du plan (et confirmées par d'autres organisations), après cette crise, nous continuons à faire face à des déficits importants » .[4] L'augmentation de la dette au cours des dix-huit derniers mois, tant au niveau des gouvernements fédéral et régionaux qu›au niveau des entreprises, a rendu les fondements de toute reprise infiniment plus difficiles. Les fondamentaux sont devenus beaucoup plus instables, ce qui accélère considérablement l'apparition de chocs économiques (tels que l'inflation et les prix de l'énergie aujourd'hui), et aggrave leurs conséquences.
Si les interventions massives de l'État au cours des dix-huit derniers mois ont permis d'éviter une faillite sur deux et d'éviter l'explosion du chômage, on peut s'attendre à ce que la fin de la perfusion «coronaire» provoque une vague de faillites. Cela affectera principalement de nombreuses petites et moyennes entreprises qui ne seront plus en mesure de rembourser leurs dettes jusqu›à présent partiellement financées par les aides d'État. Dans le commerce de détail non alimentaire, en particulier, mais aussi dans des secteurs tels que l'hôtellerie, les événements et le tourisme, de nombreuses faillites et licenciements sont à prévoir. Près d'un quart des restaurants de la province d'Anvers, qui proposent un service complet à table, sont aujourd'hui en difficulté[5]). Des dizaines de milliers de travailleurs seront mis en chômage total ou partiel.
Tant que le virus n'a pas disparu et continue de peser sur la société et l'économie, l'adage de la bourgeoisie belge est «apprendre à vivre avec le virus», même si cela se fait au détriment de la santé des travailleurs et de leurs familles. L'économie doit être maintenue à tout prix : «The show must go on». Déjà lors de la troisième vague en 2021, son objectif politique avait été de maintenir ouverts les secteurs les plus importants de l'économie, ainsi que, bien sûr, les crèches et les écoles, afin d'assurer la présence des travailleurs au travail.
La bourgeoisie s'efforce d'éviter une rechute de la fragile reprise. Le mot d'ordre de la nouvelle déclaration du gouvernement pour le budget 2022 était « ne pas ralentir la croissance, mais la soutenir». Dans ce contexte, le gouvernement fédéral en Belgique a décidé de prolonger une partie des mesures d'aide économique liées à la crise du Covid jusqu'au 31 décembre 2021 (procédure simplifiée, chômage temporaire, droit de crédits-ponts pour les secteurs à partir d'une baisse de 65% du chiffre d'affaires).
Les travailleurs ont également reçu quelques miettes pour leur contribution au maintien de l'ouverture de l’économie: 0,4% d'augmentation salariale sur une période de deux ans (ce qui ne compense pas l’adaptation des salaires à un indice des prix lacunaire), une augmentation du salaire minimum légal, une diminution des cotisations sociales sur les salaires bruts les plus bas qui rapporte quelques dizaines d'euros par an, la suppression progressive de la cotisation spéciale de sécurité sociale pour les revenus faibles et moyens, ce qui donne un avantage de 50 euros pour une personne seule et 150 euros par an pour un ménage à deux personnes. Enfin, les travailleurs aux revenus les plus modestes reçoivent une indemnité unique de 80 euros pour la hausse des prix de l'énergie. L’objectif de ces «concessions» est de dresser un écran de fumée pour détourner l’attention des travailleurs des projets futurs du gouvernement.
Les discussions relatives à ces mesures d'aide sont un leurre. Les véritables enjeux budgétaires concernent le relèvement de l'âge de la retraite, l'augmentation du taux d'emploi, sans oublier la transition énergétique vers des sources d'énergie plus durables. Ce sont ces pistes qui, outre les licenciements croissants, mèneront à terme à une grave atteinte aux conditions de vie de la classe ouvrière.
1. Un contrôle renforcé des malades de longue durée. Le gouvernement prévoit d'imposer aux malades de longue durée un régime plus sévère, avec un «accompagnement» plus rigoureux vers le même ou un autre travail. Il veut ainsi remettre au travail 5.000 malades de longue durée par an. Le manque de coopération envers cet «accompagnement» peut être sanctionné par une réduction de l'allocation. Pour le moment, cette sanction reste faible (2,5% des allocations), mais elle permet de franchir un cap et d’envisager d’autres mesures afin d'intensifier la pression sur les malades de longue durée et sur les chômeurs. L'objectif est de porter le taux d'emploi à 80 %.
2. L'augmentation de l'âge de la retraite à 67 ans en 2030. Le fait que le taux d'emploi en Belgique soit proportionnellement si faible s'explique aussi par le fait que relativement peu de travailleurs de plus de 60 ans sont encore au travail. En outre, les prestations de retraite pèsent trop lourdement sur les dépenses publiques. C'est la raison pour laquelle l'âge de la retraite doit être relevé. La décision de principe à ce sujet a été prise il y a longtemps, mais sa mise en œuvre concrète, qui doit commencer en 2025, doit encore être négociée avec les syndicats, ce qui impliquera encore beaucoup de tractations et de manœuvres.
3) la transition énergétique concernant le nucléaire et les centrales au gaz. La transition vers une autre forme de production d'énergie renouvelable se poursuit.[6] Ces coûts (construction de nouvelles centrales au gaz ou maintien en activité de certaines centrales nucléaires) se chiffreront en milliards et seront presque certainement répercutés sur le consommateur sous la forme de factures énergétiques mensuelles élevées. En outre, les voyages en avion risquent également de devenir plus chers, tandis que les habitations nouvellement acquises devront obligatoirement être isolées et les véhicules diesel ou à essence remplacés par des appareils électriques, ce qui augmentera considérablement le coût de la vie.
Crise du Covid, crise économique, crise climatique, crise du logement : manifestations de la décomposition capitaliste
Les différentes crises se succèdent de plus en plus rapidement, avec des conséquences de plus en plus graves : la crise du Covid-19, la crise économique, la crise climatique, la crise du logement. Et la bourgeoisie n'a pas de solution.
1. la crise du Covid-19. À la fin de l'été, la bourgeoisie présenta la crise du Covid-19 comme terminée, mais moins d'un mois plus tard, le nombre d'infections a de nouveau augmenté. Nous nous trouvons aujourd'hui dans une quatrième vague et même après, la crise pandémique ne sera pas terminée. Aussi longtemps que la majorité de la population mondiale et une partie importante de la population belge n'aura pas reçu d'anticorps ou n'en aura pas reçu suffisamment, de nouveaux cas apparaîtront en Belgique. Entre-temps, les hôpitaux sont sous pression, car depuis plus d'un an et demi, le personnel soignant effectue son travail sous une très forte contrainte.
2. la crise économique. Selon la bourgeoisie, elle était liée aux confinements généraux, qui ont dû être proclamés dans tout le pays. Mais maintenant qu›il n'y a plus de confinement, outre la menace de licencier des dizaines de milliers de travailleurs, nous sommes confrontés à la hausse des prix de l'énergie, à l'augmentation de l'inflation due à l'affaiblissement de l'euro, à une pénurie de pièces de production due à la perturbation des lignes d'approvisionnement mondiales ainsi qu’à l'instabilité géopolitique, et à un manque de main-d'œuvre qui paralyse régulièrement la production et les services. Une reprise économique stable semble hors de question pour l'instant.
3. La crise climatique. Les conséquences des inondations, qui ont touché des centaines de milliers de familles en Wallonie l'été dernier et fait de plus d'un millier de familles des sans-abris,[7] sont encore loin d'être réglées. En novembre, quatre mois plus tard, 10.000 familles n'ont toujours pas accès à l'eau ou au gaz. De nombreuses personnes doivent encore compter sur la Croix-Rouge pour obtenir des repas chauds. La reconstruction exigera au moins 4 milliards d'euros, et probablement bien plus. Le gouvernement wallon n'a pratiquement aucune marge de manœuvre, car il est déjà dans le rouge à hauteur de 4 milliards d'euros. Malgré cela, le gouvernement fédéral refuse d'avancer plus de 1,2 milliard pour permettre cette reconstruction.
4. la crise du logement. Comme les Pays-Bas, la Belgique connaît également une crise du logement.[8] Il y a 300.000 ménages belges à la recherche d'un logement décent. L'importante pénurie de logements dans le secteur social, qui ne représente que 7% du total des logements, pousse les gens vers le marché locatif privé, alors que près de la moitié des logements du secteur privé ne répondent pas aux besoins de base. De nombreuses familles sont obligées de se réfugier dans des taudis, des boxes de garage et des arrière-chambres dans les combles.[9] En 2016, le Comité européen du risque systémique (CERS) a constaté que les dettes des ménages en Belgique, où 72 % des logements sont occupés par leur propriétaire, augmentent dangereusement. Pour la première fois en 2016, elles étaient supérieures à la moyenne de la zone euro.
Ces différentes crises peuvent en fait être ramenées à une seule crise : la crise historique du capitalisme. Il est illusoire de croire que le capitalisme en décadence permettra une reprise économique durable. Le capitalisme est ravagé par une crise économique permanente depuis un siècle, en particulier depuis la fin des années 60. Et depuis une trentaine d'années, il a plongé le monde dans une spirale de pourriture et de barbarie sanglante.
Au cours des cinq années du gouvernement Michel (2014-2019), les salaires réels ont baissé de 2,4 %, le salaire minimum a baissé et le nombre de travailleurs pauvres (dont le revenu est inférieur à 60 % du revenu médian) a augmenté de 16 % .[10] Eurostat a calculé que sur les 4,6 millions de Belges ayant un emploi, on estime que 230.000 n'ont pas un revenu suffisant pour vivre. 1,8 million de Belges ont un revenu inférieur au seuil de pauvreté .[11] Et la dernière période de corona a rendu très difficile pour les ouvriers de résister à la pression de la bourgeoisie.
Ces derniers mois, cette tendance semble s'inverser.
La lutte contre les réductions de salaire, contre le prolongement de la durée de travail, contre la charge de travail trop élevée, contre le manque de personnel, contre l’augmentation des prix est la base essentielle pour mener une résistance aux plans d’attaques de la bourgeoisie. Aujourd’hui, la résistance se montre timidement à travers des actions dans divers secteurs comme dans les Centres D’Ieteren du 1er au 21 septembre, parmi le personnel hospitalier à Bruxelles le 6 septembre, chez Ikea à Liège le 16 septembre, à l’aéroport de Charleroi le 20 septembre, à la SNCB le 8 octobre, chez Lidl et ALDI la 2ème quinzaine d’octobre.
Les conditions de la lutte de la classe ouvrière sont cependant très complexes et contradictoires. Alors que certains secteurs ont été durement touchés par la crise du Covid-19 et sont confrontés à des restructurations, des fermetures et des licenciements, certains secteurs souffrent d'une pénurie de main-d’œuvre et imposent une charge de travail croissante aux travailleurs. En outre, la conscience de l'existence d'une classe exploitée face au capital est encore quasi absente, ce qui permet de séparer facilement les petites et rares manifestations ouvrières et même de les entraîner facilement dans des mouvements «citoyens», comme les manifestations climatiques[12] et les manifestations contre la vaccination.[13] Même si nous saluons la lutte des travailleurs contre la détérioration des conditions de travail, les licenciements et la réduction de leurs salaires dans la mesure où c'est la seule possibilité de mettre un terme à la détérioration imposée par le capital, la voie vers une lutte en tant que classe unie n'est pas une autoroute.
La bourgeoisie, consciente que ses plans d'austérité peuvent susciter la colère des travailleurs et compte sur les syndicats pour saboter toute lutte, lancer des actions prématurées sans perspectives, détourner l'attention vers de faux pistes qui amplifient le sentiment d'impuissance face à la misère. Les syndicats sont des experts dans la répartition des ouvriers par secteur, par usine, par catégorie. Lors des confinements, nous avons vu comment ils ont manœuvré pour isoler les travailleurs des entreprises «performantes» de ceux des entreprises «moins performantes»». Les négociations sur l'accord salarial sont actuellement menées par les syndicats secteur par secteur : la SNCB, puis l'enseignement, puis le secteur hospitalier. Ils renforcent ainsi l'idée qu›il n'existe pas de classe, mais différentes catégories de travailleurs ayant des intérêts distincts.
Mais le capitalisme reste une société de classe, dans laquelle le capital et le travail sont directement opposés et ont des intérêts absolument opposés. La classe ouvrière, qui en tant que classe exploitée fait partie de cette société de classe, mais qui ne peut affirmer son être en tant que classe révolutionnaire que comme négation de cette même société, n'a aucun intérêt à maintenir le système, qui s'enfonce un peu plus chaque jour dans une crise économique, causant souffrance et misère à des parties toujours plus grandes de la classe, et les laisse littéralement sur le carreau.
Dans sa lutte, la classe ouvrière ne peut pas compter sur les syndicats ou la gauche, aussi radicaux que soient leurs discours, elle ne peut même pas compter sur les faiblesses de la bourgeoisie, mais uniquement sur sa propre force, c'est-à-dire : son auto-organisation et sa conscience. Ce n'est que dans et par la lutte qu›elle peut retrouver sa confiance en soi et sa propre identité en tant que classe et prendre conscience des enjeux de la lutte. Plus que jamais, la nécessité de renverser ce mode de production historiquement sénile se fait sentir, il n'existe pas de voie plus facile.
Dennis/2021.11.16
[1] Voir : Ecolo/Groen et Vlaams Belang, vainqueurs des élections : «Les dérives dangereuses de l'idéologie verte et du populisme»; Internationalisme 371.
[2] Bart Van Craeynest, « les réformes sont la voie à suivre pour sortir de cette crise, qu›attendons-nous? » ; 04/04/2021.
[3] Banque nationale de Belgique ; 20/04/2021.
[4] Vodka Paper, "De houdbaarheid van onze overheidsfinanciën", juin 2021.
[5] Voir: « Nous sommes confrontés à une vague de faillites », le 23 septembre 2021.
[6] Dans l'article Covid-19 «Politique de crise en Belgique: Derrière la mascarade de 1 équipe de 11 millions», les oppositions et les divisions inchangées (internationalisme 374), nous avons expliqué en détail comment la crise du Covid-19, elle-même expression et accélérateur de la décomposition du capitalisme, exacerbe le «chacun pour soi» et exacerbe les oppositions bourgeoises. Les récents événements qui ont entouré la nouvelle centrale à gaz de Vilvorde illustrent parfaitement la tendance à faire prévaloir l'intérêt de la région, ou de son propre parti, sur l'intérêt national.
[7] Voir : « Inondations, sécheresse, incendies... Le capitalisme mène l'humanité à une catastrophe mondiale! »
[8] Interview avec Hugo Beersmans, porte parole de « Woonzaak »: «Crise du logement: depuis 2014, la Flandre est compétente pour l'Habitat mais refuse d'intervenir».
[9] Voir l'article dans ce journal : « Le capitalisme provoque la crise du logement », Internationalisme 375.
[10] Voir : Baromètre socio-économique FGTB : le 7 octobre 2019, « vers plus de sécurité et de qualité ».
[11] Voir : « Travailler et vivre pourtant dans la pauvreté : cela existe également en Belgique»; 04/01/2019.
[12] Voir dans ce journal : « Nouvelles «manifestations pour le climat»: Le capitalisme détruit la planète! »
[13] Voir l'article dans ce journal : « La défense de la démocratie n'est pas un vaccin contre le capitalisme, c'est un virus mortel pour le prolétariat »
Ger Rolsma, candidat à la présidence du parti socialiste néerlandais (PvdA), déclare sur son blog : « Je m'oppose à la libéralisation du marché du logement » (Recht op wonen). Dans cette déclaration, il spécule sur l'ignorance des jeunes. Après tout, cette libéralisation n'est pas une politique qui s’impose seulement aujourd'hui et, de plus, elle n'a pas été initiée contre la volonté du PvdA. Au contraire, le PvdA a été dans les années 1990 à la source de la libéralisation du marché du logement. Une piqûre de rappel rapide :
- Dès l’entrée en fonction du gouvernement Kok I en 1994 (premier ministre socialiste), les sociétés de logement n'ont plus reçu de subventions ou des prêts bon marché de l'État pour la construction de logements à loyer modéré. Par la suite, ces mêmes sociétés ont commencé à gérer leur affaire comme une entreprise commerciale, vendant un grand nombre de logements sociaux et démolissant les logements sociaux non rentables.
- En 2000, le gouvernement Kok II, dirigé par le même premier ministre socialiste, a publié un mémorandum sur le logement intitulé Mensen, Wensen Wonen (les gens, les souhaits, le logement), qui stipulait que d'ici 2010, l'accession à la propriété devait couvrir 65 % du parc immobilier total. Pour y parvenir, il fallait transformer chaque année 20.000 logements locatifs privés et 50.000 logements sociaux en logements à vendre. (Voir: Vrije markt, vrije toegang?)
- Ainsi, À l'initiative du parti socialiste néerlandais, un demi-million de logements sociaux locatifs ont disparu du parc immobilier jusqu'en 2009. Au cours de la période 2009-2015, selon le syndicat des locataires (Woonbond), 262.400 logements auraient disparu (voir : Groot tekort aan huurwoningen) et 100.000 autres au cours des cinq dernières années, ce qui signifie qu'entre 750.000 et un million de logements sociaux ont disparu au cours des 25 dernières années, soit un quart du total de ceux-ci.
Les conséquences de cette opération, qui dure depuis 25 ans, se font aujourd'hui sentir dans les statistiques.
Les logements à acheter sont devenus beaucoup trop chers pour la plupart des jeunes. Ils doivent donc louer. Mais les loyers dans le secteur privé sont également beaucoup trop chers. Reste donc le secteur locatif social. Cependant, il y a tellement peu de ces logements aujourd'hui que, pour pouvoir en obtenir un dans une ville comme Amsterdam, il faut attendre quinze ans. Dans les autres grandes villes, les choses évoluent dans le même sens.
En outre, au moins 80.000 logements sociaux sont dans un état médiocre ou très mauvais, selon les données de la Housing Corporation Authority. Les locataires peuvent ainsi être confrontés à des fuites, des murs et des plafonds moisis, des balcons impraticables ou des châssis pourris. (Voir: Des dizaines de milliers de logements sociaux en mauvais état et parfois mûrs pour la démolition ; RTL News, 18-09-2021)
En réaction à cette crise du logement qui touche des centaines de milliers de gens qui cherchent une habitation, plusieurs comités ont été constitués à Amsterdam et à Rotterdam, comme le «Bond Precaire Woonvorm», «Recht Op Stad», «niet te Koop», et «Verdedig Noord». Ils ont lancé des actions de protestation : le 12 septembre à Amsterdam et le 17 octobre à Rotterdam. Parallèlement, des manifestations en faveur du logement ont également été organisées à Tilburg, Nimègue, Arnhem, La Haye, Utrecht et Groningue.
Le logement est un aspect essentiel de la vie de la classe ouvrière, mais cela ne signifie pas que toute lutte contre la crise du logement se déroule sur son terrain. Des parties de la classe ouvrière ont certes participé aux manifestations actuelles, mais elles l'ont fait sur une base individuelle, «dissoutes» dans une masse informe composée de personnes issues de différentes couches de la société. Les travailleurs qui ont soutenu ces slogans, tels que «Garantir des logements suffisants et abordables !», ne l'ont pas fait en tant que travailleurs mais en tant que citoyens qui, en exerçant des pressions, espèrent que les autorités feront quelque chose pour remédier à la pénurie de logements. Mais c'est un vain espoir.
En effet, cette crise du logement n'est pas seulement le résultat de la libéralisation. Même un recul de la libéralisation ne résoudra pas la crise. La pénurie de logements est une caractéristique du capitalisme. Depuis son instauration, il n'a jamais été capable de fournir à la population, et en particulier à la classe ouvrière, des logements convenables et abordables. C'est parce que le logement est fondamentalement une marchandise dont le prix, à côté du prix du terrain, est en principe déterminé par les mêmes facteurs qui déterminent aussi le prix d'une voiture ou d'un manteau d’hiver.
L’article ci-dessous est une version abrégée d’un article publié sur le site internet en anglais.[1] Il traite surtout de la crise du logement au Royaume-Uni, mais l'analyse qu›il développe est parfaitement valable pour tous les autres pays capitalistes, y compris les Pays-Bas et la Belgique.
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Depuis le milieu des années 1980, il n'y a plus eu de chiffres officiels sur le nombre de personnes qui squattent en Grande-Bretagne, mais un article récent du Guardian a révélé qu'entre 20.000 et 50.000 personnes le font, principalement dans des propriétés désaffectées depuis longtemps.[2] Cette situation s'inscrit dans le contexte général d'un nombre croissant de personnes qui se battent pour garder un toit au-dessus de leur tête. Ainsi, les chiffres relatifs aux sans-abris ont augmenté ces dernières années : en Angleterre, 110.000 familles se sont déclarées sans-abri en 2011-2012, soit une augmentation de 22% par rapport à l'année précédente. 46% de ces familles étaient reconnues comme sans-abri par les autorités locales, ce qui représente une augmentation de 26% par rapport à l'année précédente.
L'organisation caritative Crisis, dont le site web a fourni les chiffres ci-dessus souligne que ces chiffres officiels sont probablement très imprécis, étant donné que la majorité des sans-abris sont cachés car ils ne se présentent pas dans les lieux, tels les refuges officiels pour sans-abri, que le gouvernement utilise pour collecter ses données. Les données sur le nombre de personnes qui dorment dans la rue constituent un autre indicateur de l'aggravation du problème du logement. Les chiffres officiels indiquent qu'en 2011, plus de 2.000 personnes ont dormi dans les rues en Angleterre toute la nuit, ce qui représente une augmentation de 23 % par rapport à 2010. Mais encore une fois, le chiffre réel est probablement beaucoup plus élevé, puisque les organisations non gouvernementales rapportent que plus de cinq mille cinq cents personnes dormaient dans les rues de Londres en 2011-2012, soit une augmentation de 43% par rapport à l'année précédente.
Au niveau de la planète, on estime qu'au moins 10 % de la population mondiale est touchée. De nombreux bidonvilles autour de villes telles que Mumbai, Nairobi, Istanbul et Rio de Janeiro sont en grande partie constitués de squatters.[3] Les types de logements, les services dont disposent les habitants ou l’absence de ceux-ci, le type de travail effectué et la composition de la population varient. Mais, dans leur ensemble, ils montrent que, malgré tous les biens produits et l'argent qui circule dans le monde, le capitalisme n'est toujours pas capable de répondre de manière adéquate à l'un des besoins humains les plus élémentaires. Cet article a pour objet d'en examiner les raisons.
Le point de départ est la reconnaissance que la forme que prend la question du logement au sein du capitalisme est déterminée par les paramètres économiques, sociaux et politiques de la société bourgeoise. Dans ce système, les intérêts de la classe ouvrière et d'autres classes exploitées comme la paysannerie sont toujours subordonnés à ceux de la bourgeoisie. Sur le plan économique, il y a deux dynamiques importantes. D'une part, le logement pour les ouvriers est un coût et, par conséquent, est soumis au même désir de réduction des coûts que tous les autres éléments liés à la reproduction de cette classe. D'autre part, le logement peut également être une source de profit pour une partie de la bourgeoisie, que ce logement soit offert à la classe ouvrière ou à une autre partie de la société. En termes sociaux et politiques, le logement soulève pour la classe dirigeante des questions de santé et de stabilité sociale, mais il offre également des possibilités de contrôle physique et idéologique de la classe ouvrière et des autres classes exploitées. C'était vrai aux premiers jours du capitalisme et cela reste vrai aujourd'hui.
Dans les premières années du capitalisme, la création de bidonvilles était une partie inhérente du développement capitaliste. La bourgeoisie avait besoin d'une main-d’œuvre bon marché, et les mauvaises conditions, la démoralisation et les maladies étaient au début de la période industrielle une conséquence secondaire. Dans certains cas, une partie de la classe capitaliste a également profité de la location d'appartements et de maisons vétustes à la classe ouvrière. Plus tard, au XIXe siècle, le capitalisme a commencé à chercher des solutions au problème du logement, notamment parce que ses conséquences ne se limitaient pas à la classe ouvrière. Ces réformes n'ont pas résolu le fond du problème. Renvoyons au livre de Friedrich Engels, «Sur le problème du logement», dans lequel il écrit : «La même nécessité économique qui a créé [le bidonville] dans un endroit le crée aussi dans un autre. Et tant que la forme capitaliste de production existera, il sera insensé de chercher une solution au seul problème du logement, ou à tout autre problème social qui concerne le sort des travailleurs». La suite de l’article est encore une illustration de l'impuissance de la bourgeoisie à résoudre le problème du logement.
La Première Guerre mondiale a produit un déficit de 610.000 logements en Angleterre, et de nombreux bidonvilles d'avant-guerre n'ont pas été démantelés. Au lendemain de la guerre, les autorités locales ont été autorisées à évacuer les bidonvilles et à construire des logements locatifs. Entre 1931 et 1939, plus de 700.000 logements ont été construits, relogeant les quatre cinquièmes des personnes vivant dans des bidonvilles (3). La plupart des nouvelles maisons ont été construites dans de grandes banlieues à la périphérie de grandes villes comme Liverpool, Birmingham, Manchester et Londres. Certaines autorités locales ont expérimenté la construction de blocs d'appartements. Mais ces efforts représentent bien peu face aux deux millions et demi de logements construits à titre privé et vendus à la classe moyenne et aux parties mieux payées de la classe ouvrière. Néanmoins, cela ne signifie pas la fin des bidonvilles et le surpeuplement grave continue d’exister dans de nombreux quartiers populaires. La Seconde Guerre mondiale a entraîné un recul dans la mesure où la construction de logements a pratiquement cessé et que les centres villes ont été exposés aux bombardements. L'après-guerre a été le témoin du programme de construction de logements par l’Etat le mieux coordonné de l'histoire britannique, qui a culminé à la fin des années 1950, lorsque plus de 300.000 logements sociaux étaient construits chaque année. Cette fois-ci, une des caractéristiques les plus marquantes était la construction de grands immeubles d'appartements. Des aides à la construction privée étaient également accordées et, en 1975, 52,8 % des logements étaient des propriétés privées, contre 29,5 % en 1951 (la location de logements privés passait de 44,6 % à 16 % au cours de la même période).[4]
En Grande-Bretagne et dans les autres grandes puissances capitalistes, l’après-guerre a rendu possibles d'importants changements en matière de logement. Le «boom» d'après-guerre, fondé sur les améliorations très importantes de la productivité après les ravages de la guerre, a donné à l'État les moyens d'augmenter les dépenses dans un certain nombre de domaines, dont le logement. Comme nous l'avons déjà noté, les bombardements avaient détruit ou endommagé certains quartiers ouvriers importants dans les villes qui étaient des centres de production. Les industries qui se sont développées après la guerre, comme l'industrie automobile, ont entraîné la construction de nouvelles usines, souvent en dehors des anciennes concentrations. Cela a nécessité la construction de logements pour les travailleurs. Il y avait également un motif politique pour répondre aux besoins sociaux et réduire ainsi le risque de troubles après la guerre.
Toutefois, le «boom» de l'après-guerre n'a pas atteint de nombreuses régions du monde. Il s'agit notamment de quelques pays occidentaux, comme l'Irlande, où la grande pauvreté et les bidonvilles ont persisté jusqu›au «boom» économique des années 1980. Mais il s'agit principalement de ce que l'on appelle le «tiers monde», qui comprend essentiellement les continents et les pays qui ont fait l'objet d'une domination impérialiste de la part des grands pays capitalistes. En bref, la plupart des pays du monde. De ce point de vue, il devient clair que l'argument d'Engels est non seulement confirmé, mais confirmé à une échelle qu›il n'aurait pu imaginer.
Aujourd'hui, un milliard de personnes vivent dans des bidonvilles et la majorité de la population mondiale est désormais urbaine. La plupart de ces bidonvilles se trouvent dans le «Tiers Monde» et, dans une moindre mesure, dans certaines parties du vieux bloc de l'Est (qui fut appelé autrefois le «Second Monde»). La situation est nouvelle. Dans le livre Planet of Slums (Planète des bidonvilles), publié en 2006, l'auteur, Mike Davis, affirme que «la plupart des mégalopoles du Sud ont un parcours commun : un régime de croissance relativement lente, voire ralentie, puis une accélération brutale vers une croissance rapide dans les années 1950 et 1960, les immigrants ruraux étant alors de plus en plus casés dans des bidonvilles périphériques».[5] La croissance lente ou ralentie de beaucoup de ces villes était le résultat de leur statut de colonie des grandes puissances. En Inde et en Afrique, les dirigeants coloniaux britanniques avaient promulgué des lois visant à empêcher la population indigène du pays de s'installer dans les villes et à contrôler les mouvements et le mode de vie des citadins. L'impérialisme français a imposé des restrictions similaires dans les régions d'Afrique sous son contrôle. Il semble logique de penser que ces restrictions étaient liées au statut de nombre de ces pays en tant que fournisseurs de matières premières à leurs maîtres coloniaux. Mais même en Amérique latine, où l’emprise coloniale était clairement moins stricte, la bourgeoisie locale pouvait être tout aussi opposée à l'intrusion de sa population rurale dans les villes. À la fin des années 1940, par exemple, une répression sévère était mise en place contre les squatters qui s'installaient dans des centres urbains tels que Mexico à la suite de la politique d'industrialisation locale visant à remplacer les importations.
Cette situation a changé lorsque le colonialisme a pris fin et que le capitalisme s'est mondialisé. Les villes ont commencé à augmenter en taille et en nombre. En 1950, il y avait 86 villes dans le monde avec une population de plus d'un million d'habitants. En 2006, elles étaient 400 et en 2015, elles devraient être 550. Les centres urbains ont absorbé la majeure partie de la croissance démographique mondiale au cours des dernières décennies et la population active urbaine s'élevait à 3,2 milliards en 2006.[6] Ce dernier point met en évidence le fait que dans des pays comme le Japon, Taïwan et, plus récemment, l'Inde et la Chine, cette croissance est liée au développement de la production. En Chine, des centaines de millions d'agriculteurs ont quitté les campagnes pour s'installer dans les villes, en particulier dans les zones côtières où l'industrialisation a été la plus importante ; des centaines de millions d'autres vont probablement suivre. En 2011, la majorité de la population chinoise était urbaine.[7]
Cela peut donner l'impression que le processus du XIXe siècle se poursuit ; que le développement chaotique initial sera remplacé par une progression plus soutenue de la chaîne de valeur de la production, avec la hausse des salaires, de la richesse et des marchés intérieurs qui en résulte. Ceci est utilisé pour étayer l'argument selon lequel le capitalisme reste dynamique et progressiste, et qu›il permettra, avec le temps, de sortir les pauvres de la pauvreté, de nourrir les affamés et de loger les habitants des bidonvilles.
Mais ce n'est pas l'histoire complète de la période actuelle. Dans de nombreux autres pays, il n'existe aucun lien entre le développement des villes et des bidonvilles qui y sont associés, et le développement de la production.
On peut en voir les conséquences dans les bidonvilles qui entourent de nombreuses villes du sud. Si ce sont les mégapoles qui font la une des journaux, la majorité des citadins pauvres vivent dans des villes de second ordre, souvent peu ou pas équipées et qui n'attirent guère l'attention. Les récits des conditions de vie des habitants de ces bidonvilles qui traversent Planet of Slums reflètent des parties de l'analyse d'Engels. Dans les centres villes, les pauvres s'entassent non seulement dans les vieilles maisons et dans les nouveaux immeubles construits pour eux par des spéculateurs, mais aussi dans les cimetières, sur les rivières et dans les rues. La plupart des habitants des bidonvilles vivent cependant à la périphérie des villes, souvent sur des terrains pollués, menacés par des catastrophes environnementales ou inhabitables pour d'autres raisons. Leurs maisons sont souvent faites de morceaux de bois et de vieilles bâches en plastique, souvent sans infrastructures et soumises à l'expulsion par la bourgeoisie, ainsi qu'à l'exploitation et à la violence de divers spéculateurs, de propriétaires négligents et de bandes criminelles qui contrôlent le secteur. Dans certaines zones, les squatters obtiennent la propriété légale du terrain et parviennent à obtenir des autorités municipales qu'elles fournissent des services de base. Partout, ils sont victimes d'exploitation. Comme en Angleterre au XIXème siècle, la misère rapporte de l'argent. De grands et petits spéculateurs construisent des propriétés, parfois légales, parfois illégales, et requièrent des loyers comparables pour ces locaux loués aux appartements urbains les plus chers des riches. Le manque de services offre d'autres possibilités, notamment la vente d'eau.
La bourgeoisie continue à essayer de «résoudre» la crise du logement que sa société crée. Comme par le passé, cela est toujours limité par ce qui est compatible avec les intérêts du système capitaliste et de la bourgeoisie au sein de ce système. D'une part, on a tenté de résoudre le problème au bulldozer, en expulsant des millions de pauvres, qu'il s'agisse de travailleurs, d'anciens agriculteurs, de petits commerçants ou de rebuts de la société, de leurs maisons et en les refoulant dans de nouveaux bidonvilles. Ou encore à la campagne, loin des yeux, des oreilles et des nez des riches. D'autre part, toute une bureaucratie a été créée pour résoudre le problème du logement, telle le FMI, la Banque mondiale, l'ONU et les ONG internationales et locales ; mais ils le font toujours dans le cadre du capitalisme. Dans ce cas, il existe une alliance très inhabituelle entre les soi-disant radicaux, qui veulent donner «une voix» aux pauvres, et les institutions capitalistes internationales telles que la Banque mondiale, qui veulent trouver une solution de marché qui encourage l’esprit d’entreprise et la propriété.
Enfin, il y a l'objectif non explicité, mais toujours présent, de diviser les exploités au moyen du mélange habituel de cooptation et d'oppression. Ainsi, les organisations qui commencent par des revendications radicales, comme les groupes de squatters, finissent souvent par collaborer avec la classe dirigeante une fois que quelques concessions leur ont été faites. Chez certains idéologues, on trouve même des échos du passé, comme l'idée que la solution consiste à donner aux pauvres des droits légaux sur les terres où ils vivent. Engels montre que cette «solution» ramène rapidement au problème initial, car elle ne modifie pas le principe de base de la société capitaliste selon lequel «le capitaliste a la possibilité de payer la force de travail ce qu›elle coûte, mais d'en tirer beaucoup plus qu›elle ne coûte en forçant le travailleur à travailler plus longtemps qu›il n'est nécessaire afin de dépasser le coût de la force de travail».[8]
Dans les vieux pays capitalistes d'Europe occidentale et des États-Unis, le retour de la crise économique ouverte à la fin des années 1960 a entraîné deux changements majeurs qui ont eu un impact sur le logement de la classe ouvrière. Le premier était la nécessité de limiter les dépenses de l'État, notamment les allocations versées aux travailleurs ; le second a été le déplacement du capital des investissements productifs vers la spéculation, où les rendements semblaient plus élevés.
La réduction des dépenses publiques a d'abord entraîné un ralentissement du nombre de logements sociaux construits, puis, sous Thatcher, la vente du parc de logements sociaux et la limitation de la poursuite de la construction par les autorités locales. Mais rien de tout cela n'a commencé avec Thatcher. Nous avons déjà souligné les efforts consentis par les gouvernements travailliste et conservateur pour promouvoir la propriété privée avant et après la Seconde Guerre mondiale, principalement par le biais d'une réduction des impôts sur les prêts hypothécaires. La vente de logements sociaux a réduit non seulement le coût du capital pour la construction de logements, mais aussi le coût de leur entretien, étant donné que le nouveau propriétaire en était lui-même responsable. L'idée que la propriété foncière contribuerait à contenir la menace de la classe ouvrière remonte à encore plus loin.
La spéculation financière est devenue de plus en plus fébrile à mesure que la lutte pour un rendement rentable du capital s'intensifiait ces quarante dernières années. La déréglementation financière qui a caractérisé à la fois le Royaume-Uni et les États-Unis dans les années 1980 a permis à la bourgeoisie de développer des formes de spéculation de plus en plus complexes. Dans les années 1990, l'argent a été injecté dans une série de nouveaux instruments basés sur l'extension du crédit à des secteurs de plus en plus importants de la classe ouvrière. L'évolution des prêts hypothécaires à risque aux États-Unis est typique de cette approche. Les spéculateurs pensaient qu›ils étaient en sécurité en raison de la complexité des instruments financiers dans lesquels ils investissaient et de la notation élevée qu›ils recevaient d'agences de notation comme Standard and Poor. L'effondrement du marché des subprimes en 2007 a montré qu›il s'agissait d'une illusion et a jeté les bases d'un effondrement plus large qui a suivi, un effondrement dont les conséquences sont toujours visibles.
La première bulle immobilière a éclaté dans les années 1990 et a plongé de nombreuses personnes dans une situation de réserves financières négatives, entraînant un grand nombre de saisies. Cette fois-ci, la bourgeoisie a encore réussi à limiter l'impact, de sorte qu›il y a eu moins de saisies. Toutefois, le prix du logement est devenu moins abordable grâce à la combinaison de la hausse continue des bulles et du durcissement des conditions de crédit après 2007, de sorte que de nombreux jeunes ne peuvent plus se permettre d'acheter. Dans le même temps, le secteur de la location est devenu plus petit. L'offre de la municipalité est limitée et strictement contrôlée, avec des critères qui condamnent les jeunes à des logements petits et minables, quand ils ne finissent pas dans un B&B. Avec les nouvelles restrictions sur les aides locatives, les familles seront jetées à la rue et obligées de déménager de leur zone d'habitation, ce qui fait que l'une des rares options est de squatter un des milliers d'immeubles abandonnés. Et nous revoilà à notre point de départ.
Le problème du logement auquel sont confrontés les travailleurs et d'autres classes exploitées dans le monde prend des formes très différentes d'un pays à l'autre et divise souvent les victimes du capitalisme. Il peut sembler y avoir un fossé infranchissable entre un jeune travailleur vivant en marge d'une ville comme Pékin ou Mumbai dans un squat, sur un terrain inondé par les crues ou infesté de poisons industriels, et un jeune travailleur qui ne peut prétendre à un appartement social à Londres ou obtenir une hypothèque sur une maison à Birmingham. Pourtant, la question qui se pose à tous les travailleurs est de savoir comment vivre en tant qu›êtres humains dans une société qui est soumise à l'extraction des profits du plus grand nombre en faveur d’une minorité. Et quels que soient les changements dans la forme et la portée de la question, son contenu reste toujours le même. La conclusion d’Engels reste aussi valable aujourd'hui qu›il y a plus d'un siècle : «Dans une telle société, la privation de logement n'est nullement une coïncidence, c'est une institution nécessaire ; on ne peut remédier au problème - avec toutes les conséquences de l'hygiène, etc... - que lorsque toute la structure de la société qui en est coupable est fondamentalement transformée»(9) n
North/11.1.2013
[1] Capitalism produces the housing crisis; ICConline 2013
[2] The Guardian 03-12-2012, Squatters are not home stealers (les squatters ne sont pas des voleurs de maison). Une partie de la campagne idéologique pour légitimer la nouvelle loi contre le squattage consistait à publier un compte rendu détaillé des propriétaires de maisons qui ont retrouvé leur maison squattée après une période d'absence.
[3] Stevenson British Society 1914-45, chapter 8 “Housing and town planning”. Penguin Books, 1984.
[4] Cfr: Morgan, The People’s Peace. British History 1945-1990. Oxford University Press, 1992.
[5] Davis, Planet of Slums, Chapitre 3, “The Treason of the State”, Verso 2006. Les paragraphes suivants s’inspirent largement de ce chapitre.
[6] Ibid., Chapitre 1, “The Urban Climateric”, pp. 1-2.
[7] UN Habitat, The State of China’s Cities 2012-2013, Executive Summary, p. VIII.
[8] Friedricht Engels Sur la question du logement, partie 2, « Comment la bourgeoisie traite la question du logement ».
"Il y a tout juste cent ans, le 4 septembre 1921, était fondé le Parti communiste de Belgique" annonce CARCOB/ Archives communistes dans un mail en septembre. Pourquoi revenir sur cet anniversaire, sur ce jalon dans l’histoire du mouvement ouvrier en Belgique ? Le marxisme n'est pas une théorie morte, invariante. C'est une méthode vivante, une manière de confronter la réalité du point de vue de la classe ouvrière. Dans ce cadre, un combat continu doit être mené pour défendre l'analyse marxiste contre le glissement vers des positions bourgeoises, pour l'approfondir, pour analyser correctement les nouvelles expériences de la lutte de classe. C’est dans ce sens qu’il faut tirer les leçons du combat pour la fondation du PCB et de sa dégénérescence ultérieure, qu’il faut défendre l’approche marxiste contre les mensonges bourgeois, comme par exemple l’idée que le parti a été fondé le 4 septembre 1921, alors qu’il était en réalité constitué dès novembre 1920.
Nous republions ici un article d’Internationalisme 188 (1993) qui retrace le cadre général de l’histoire du PCB. Nous reviendrons dans des articles ultérieurs plus en détail sur les différentes phases de son existence : la lutte pour la fondation du PCB après la trahison de la social-démocratie, le combat contre l’opportunisme croissant en son sein et son passage définitif dans le camp de la bourgeoisie au début de la Seconde Guerre Mondiale.
En votant les crédits de guerre, l'aile opportuniste des partis sociaux-démocrates passait en 1914 dans le camp de la bourgeoisie. Elle choisissait la défense nationale de l'Etat bourgeois et trahissait l'internationalisme prolétarien. Cela signait la mort de la IIème Internationale. Mais les gauches marxistes continuaient encore pendant quelques années la lutte contre la dégénérescence dans ces partis. Elles essayaient de convaincre des positions marxistes et de regrouper le plus d'éléments sains possible, d'abord dans et ensuite à côté du vieux parti, pour former de nouveaux partis, les partis communistes, et une nouvelle internationale, la IIIème
C'était un coup dur de constater que la social-démocratie, qui dans certains pays comme l'Allemagne était devenue une puissante organisation du prolétariat, disparaissait des mains des ouvriers en tant qu'arme de lutte. Il était également difficile de faire une analyse complète et concluante de tout ce qui avait changé depuis le début du 20' siècle dans les conditions de la lutte de classe. Dans son "Accumulation du capital", Rosa, Luxembourg avait bien tracé le cadre d'analyse général : le capitalisme était entré dans sa phase de décadence. Mais c'étaient les bolcheviks et la fraction abstentionniste (anti-parlementariste) du PSI italien qui allaient le plus loin au niveau des conséquences politiques. Les bolcheviks étaient les plus clairs sur la question la plus brûlante du moment, la guerre mondiale. Alors que tout le monde, des pacifistes aux "socialistes minoritaires", imploraient la paix, ils appelaient à "la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile". De la guerre devait sortir la révolution. Et cela n'était pas seulement confirmé en Russie en 1917, mais dans une vague révolutionnaire qui déferlait sur le monde jusqu'en 1927 (Chine).
Les conséquences de l'entrée dans la période de "guerres et révolutions" étaient synthétisées dans les positions sur lesquelles était fondée l'Internationale Communiste en 1919 : les réformes ne sont plus possibles, partout la révolution prolétarienne est à l'ordre du jour. Parlementarisme, syndicalisme, fronts avec des fractions bourgeoises, tout cela était valable dans la période précédente, celle de l'ascendance du capitalisme, et est maintenant dépassé. Un parti de masse, tel que la social-démocratie, n'est plus adapté à la nouvelle période dans laquelle la conviction et la clarté politique d'une petite avant-garde est déterminante.
Le Parti Ouvrier Belge (POB), section de la IIème Internationale, s'est toujours montré très conciliant avec la bourgeoisie, malgré que ce soit justement en Belgique que, au début du siècle passé (1902), la première grèves de masse radicale se déclenchait, annonciatrices du nouveau type de luttes qui sera développé plus tard en Russie en 1905 et 1917. Néanmoins, pendant la première guerre mondiale, à partir de 1916, surgissent également en Belgique des groupes à la gauche du POB, dans les Jeunes Gardes Socialistes à Gand, Anvers, Bruxelles, Liège, Charleroi, etc. La résistance à la guerre en constitue le premier motif, mais très vite, la révolution russe devient pour eux le phare vers lequel ils s'orientent. Progressivement, ils arrivent à des positions marxistes et ils essaient de se regrouper. En 1920, le Parti Communiste Belge (PCB) est fondé. Il défend les positions du second congrès de l'IC, sauf au niveau du parlementarisme, où l'IC, malgré la résistance des partis ouest-européens, a déjà fait un pas en arrière. Le PCB reste avec ferveur anti-parlementaire.
Il y avait également une minorité d’ "hésitants" au sein du POB, les "socialistes minoritaires" groupés dans "Les Amis de l'Exploité". Pendant la guerre, ils avaient seulement insisté sur la tenue d'une "conférence de paix" avec les sociaux-démocrates allemands à Stockholm (c'est-à-dire tenter de ranimer le cadavre de la IIème Internationale). Ils n'étaient pas très enthousiastes pour la révolution russe. Leur critique des dirigeants sociaux-démocrates avait le ton radical, mais en pratique, ils ne proposaient rien à la place. Ils voulaient en fait revenir au programme du POB d'avant la guerre, celui de Quaregnon (15 juillet 1894).. C'étaient des centristes typiques : critique radicale des leaders couplée au colmatage des brèches dans la social-démocratie, toujours sous prétexte de "ne pas perdre le contact avec les masses". En 1921, ils ont enfin accepté de rompre avec le POB. Mais parce qu'ils estiment que le PCB existant est sectaire, n'est pas un parti pour l'action de masse mais un regroupement de 4 ou 5 groupes de propagande, plutôt anarchisant que communiste, ils fondent un deuxième Parti Communiste.
La révolution se faisant attendre dans d'autres pays que la Russie et, après les défaites en Allemagne, Italie, Hongrie, l'IC remet de plus en plus en question les positions 'radicales de son premier congrès. Elle prône la fusion avec la gauche de la social-démocratie. En Belgique également se réalise en 1921 la fusion des deux partis, dans laquelle les positions radicales, marxistes du premier PCB sont mises sous le tapis. Au fur et à mesure que l'IC dévie vers des positions opportunistes et que la révolution russe s'embourbe dans son isolement, les vieux "Amis de l'Exploité" deviennent de plus en plus enthousiastes, alors que les marxistes se font de plus en plus critiques à propos de l'évolution en Russie.
Des choix déchirants doivent être faits parce que la révolution mondiale se fait attendre : paix avec l'Allemagne à Brest-Litovsk, communisme de guerre, "Nouvelle Politique Economique". Dans un contexte d'isolement de la révolution, le Parti Bolchevik tend de plus en plus à se substituer à la classe, et à fusionner avec l'Etat, un processus qui a mené à l'écrasement de l'insurrection de Kronstadt en 1921. L'IC joue également un rôle de plus en plus douteux dans les soulèvements ouvriers dans les autres pays (actions putschistes du KPD en Allemagne se soldant par un bain de sang, alliances avec la bourgeoisie des "peuples opprimés"). Ces développements suscitent une discussion continue, tant chez les bolcheviks mêmes que dans les autres partis du Comintern. Des groupes d'opposition se forment contre les positions et décisions que le PCUS en tant que "parti d'Etat" est contraint de prendre et qui vont mener à sa stalinisation. En 1921, les groupes d'opposition en Russie sont interdits. Les communistes de gauche hollandais et allemands (KAPD) sont exclus de l'IC. Ceux-ci mettent toutes les erreurs faites en Russie sur le dos du parti bolchevik. Les expressions les plus extrêmes, de la gauche allemande (précurseurs du courant "conseilliste") rejetteront le parti comme un mal inutile (ce qui n'était certainement pas la position du KAPD au premier congrès de l'IC). Ils vont si loin dans leur critique qu'ils rejettent la révolution russe comme non prolétarienne. En 1922, Gorter et cie. fondent l'Internationale Communiste Ouvrière (KAI) mort-née.
Tout comme dans les autres partis communistes, la Russie est au centre des discussions dans le PCB. Le courant marxiste dans le PCB respecte la discipline de parti et désapprouve même la publication de textes "officieux" de l'Opposition russe (autour de Trotski, et de ses "Leçons d'Octobre" etc.). Le PCB se limite à demander "plus d'information" à Moscou.
Ce n'est qu'au début de 1928, quand Trotski et ses amis ont déjà été exclus du PCUS et que Staline a définitivement abandonné, avec la théorie du "socialisme dans un seul pays", l'internationalisme prolétarien du PCUS, que le débat sur la Russie est ouvert dans le parti belge. Au nom de la minorité marxiste, War van Overstraeten démontre le glissement vers la droite du PCUS : à propos de la révolution chinoise (où les communistes et les ouvriers révolutionnaires de la Commune de Shanghai en 1927 ont été livrés par l'IC à la répression sanglante du Kuomintang nationaliste), à propos de la lutte contre les paysans koulak, mais surtout sur le "socialisme dans un seul pays". Il demande la réintégration des oppositionnels dans le PCUS, mais continue à s'opposer à l'activité de fraction. Son rapport est rejeté et, l'un après l'autre, les leaders de la minorité seront exclus du parti.
L'opposition se regroupe à côté du PCB et se demande ce qu'il faut faire : former un deuxième parti (ce qui implique qu'on considère que le vieux parti n'est plus ouvrier et que la Russie ne connaît donc plus un régime prolétarien), oeuvrer pour le redressement du PCB en demandant d'être réintégrés, ou bien former une fraction du parti. L'opposition belge est beaucoup moins claire sur cette question que la fraction italienne ("Fraction Italienne de la Gauche Communiste", qui publie Bilan à partir de 1933). A la différence des groupes qui fondaient précipitamment un nouveau parti ou même une nouvelle Internationale, la gauche italienne procédait toujours avec méthode. Tant que l'Internationale n'est pas morte, et qu'il y subsiste encore un souffle de vie, elle continue à y travailler. Sa conception de l'organisation est unitaire, la scission est pour elle un mal qu'il faut éviter, pour ne pas disperser les forces qui tendent vers une organisation centralisée internationale. C'est seulement lorsque la mort de l'Internationale est assurée, qu'elle envisage de se constituer en organisme autonome. La constitution du parti passe d'abord par la fondation de la fraction de l'ancien parti qui maintient son ancien programme révolutionnaire, et c'est seulement lors de bouleversements révolutionnaires qu'elle se proclame parti. C'est la tâche de la fraction de tirer sans préjudices le bilan des expériences révolutionnaires de l'après-guerre afin de préparer la classe aux nouvelles confrontations.
En 1935, Bilan arrive à la conclusion "Qu'en 1933 s'est clôturée définitivement, par la mort de la III' Internationale, la phase où se posait l'éventualité de la régénérescence de l'IC grâce à la victoire de la révolution prolétarienne dans un secteur du capitalisme (..) Que les partis centristes, encore organiquement liés au cadavre de la IIIème Internationale, opèrent déjà dans le concert de la contre-révolution" et "Que la fraction de gauche affirme clôturée la phase envisagée en 1928, quant à une possible régénérescence des partis et de l'IC (...). " (Bilan no. 18, avril-mai 35)
L'Opposition Internationale de Trotski se désintéresse de l'objectif que se donne la Fraction Italienne, faire un bilan approfondi de l'échec de la vague révolutionnaire. De profondes divergences apparaissent bientôt dans l'opposition : sur la question du parti (redressement ou nouveau parti), sur la caractérisation du régime en Russie (prolétarien ou capitaliste d'Etat), sur l'attitude vis-à-vis du fascisme montant en Allemagne. Tant la gauche belge qu'italienne se heurtent au refus de Trotski de discuter avec eux. La fédération de Charleroi (avec Lesoil) quitte l'opposition belge avant que ne soit conclu le débat sur la nature impérialiste ou non de la politique russe envers la Chine (l'attaque par l'Armée rouge qui voulait s'emparer du chemin de fer de Mandchourie en 1929) et elle adhère à l'Opposition Internationale de Trotski. Ceux qui restent (avec Hennaut) forment en 1932 la Ligue des Communistes Internationalistes (LCI) qui constitue une communauté de travail avec le groupe Bilan en Belgique.
La grande divergence entre les deux organisations est la question du fascisme. Pour Bilan, il n'y a pas d'opposition fondamentale entre la démocratie bourgeoise et le fascisme. Au contraire : le pire produit du fascisme est justement l'anti-fascisme, analyse confirmée en 1936 par la période du Front populaire en France : "Sous le signe du Front populaire, la "démocratie" est parvenue au même résultat que le 'fascisme" : l'écrasement du prolétariat (...) " en vue de la 2e guerre mondiale (Bilan no. 29, mars-avril 36).
Les événements dramatiques de la guerre en Espagne vont amener des ruptures au sein des deux organisations. La majorité de Bilan considère que l'Espagne est le prélude d'une deuxième guerre mondiale et appelle au défaitisme révolutionnaire. La majorité de la LCI appelle les ouvriers à lutter contre Franco pour ensuite balayer les restes du gouvernement républicain et prendre eux-mêmes le pouvoir. Patiemment, Bilan critiquait la LCI qui prétendait pouvoir "dépasser la phase antifasciste pour arriver au stade du socialisme ; ", alors que Bilan écrivait : "pour nous il s'agit de nier le programme de l'antifascisme, car sans cette négation la lutte pour le socialisme devient impossible" (Bilan no. 39, jan-févr. 39). La minorité de la LCI (avec Mitchell) fonde en avril 37 la Fraction Belge de la Gauche Communiste Internationale, sur les mêmes positions que la fraction italienne.
A partir de 1933, l'anti-fascisme est la mystification centrale du PCB, avec laquelle il fournit une contribution non négligeable à la mobilisation des ouvriers pour la deuxième guerre mondiale et à l'apaisement des luttes ouvrières "pour ne pas jouer la carte du fascisme ". Contrairement au POB, le PCB réussit à maintenir les luttes insurrectionnelles de 1935 et 36 sous contrôle pour la bourgeoisie. Pendant un court moment, lors du pacte de non agression germano-russe, le PCB prône la neutralité belge, mais pour le reste il est, avant et pendant la guerre (dans la résistance), un farouche défenseur du capital national. Il en est remercié après la guerre par quelques postes de ministre.
Depuis, dans les rares lieux où il pouvait encore exercer une influence sur les ouvriers (port d'Anvers, mines et sidérurgie wallonnes), il a continué, dans les syndicats et à la gauche du PSB (Parti Socialiste Belge), à être le fidèle défenseur des intérêts de la bourgeoisie belge en maintenant le contrôle sur les actions de grève. Dans des pays tels que la France ou l'Italie, où la social-démocratie est plus faible, le Parti Communiste a eu l'occasion de montrer clairement qu'il n'est pas seulement la "cinquième colonne" de l'impérialisme de Moscou, mais en premier lieu une fraction fiable de la bourgeoisie nationale (comme l’ont démontré le "compromis historique" en Italie ou le "Front commun" en France).
Depuis 1933 au plus tard, le PCB est le parti de la contre-révolution stalinienne. Bien qu'elle était majoritaire en 1928 en Belgique, l'opposition n'a pu conquérir le parti. Le flambeau du "parti d'octobre 17" est alors passé dans les mains de la Gauche Communiste Internationale. Et ses successeurs créeront demain de nouveau le parti de la révolution.
Octobre 2021 / Sur la base d’un article paru dans Internationalisme 188
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