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ICConline - octobre 2020

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Sur l'élément aventurier en Espagne

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Un proche sympathisant du CCI lance un appel aux organisations du milieu prolétarien afin qu'elles prennent leur responsabilité en réponse aux dangereuses manoeuvres d'un aventurier. 

Je voudrais exprimer mon soutien total au texte sur Gaizka publié par le CCI.[1] Avant toute chose, il faut souligner que le CCI n'a pas publié l'article sur Gaizka dans la perspective d'une attaque contre cette personne (son vrai nom a été soigneusement omis) mais comme l'identification d'un élément opportuniste et aventurier qui est en mesure de faire dérailler le milieu. Plus largement, l'article du CCI vise à mettre le doigt dans la plaie au regard de la faiblesse programmatique et organisationnelle du milieu dont l'acceptation de Nuevo Curso (NC) en son sein est une expression. Le dernier article, de pair avec celui sur l'histoire de la dénommée "Gauche Communiste Espagnole"[2], dévoile la nature frauduleuse de la politique de Nuevo Curso. Ses ouvertures au Trotskysme historique ont été critiquées de manière pertinente comme étant contraire aux positions programmatiques de la gauche communiste. Alors pourquoi publier un article sur l'élément moteur dans Nuevo Curso ? L'existence de NC démontre combien il est facile que le milieu soit séduit par des éléments aventuriers. Dans ce qui suit je veux mettre en évidence certaines des questions que la montée de Gaizka pose pour le milieu.

La nature des éléments aventuriers.

Notre but ici n'est pas de répéter ce qui a déjà été confirmé au regard de la nature de cet élément particulier en Espagne. Mais il me semble que la nature de ces éléments aventuriers doit être comprise dans une perspective historique. L'histoire du prolétariat et l'histoire de ses organisations politiques a été entachée par l'apparition de "grands leaders" qui ont essayé d'utiliser ces mouvements pour leur propre gloire personnelle. L'un des principaux exemples fut Lassale mais il y en a eu d'autres. Mais l'aventurisme doit trouver un terrain fertile pour pouvoir couver. Nous devons considérer les raisons pour lesquelles certains éléments éparpillés et faiblement politisés sont en mesure de créer un autre groupuscule se réclamant de la "Gauche Communiste" pouvant tout aussi bien se regrouper sous la direction de n'importe quel autre groupe appartenant au milieu. Et pourquoi d'autres groupes sont enclins à accepter l'existence de tendances qui sont clairement en contradiction avec leur propre programme ?

Historiquement, comme les textes publiés par le CCI sur l'aventurisme l'ont montré, la prédominance des éléments aventuriers est avant tout basée sur la faiblesse du milieu prolétarien à un moment historique donné. Cela ne veut pas dire que les organisations sont impuissantes à agir dans un moment historique difficile pour les communistes, mais il faut une solidité organisationnelle et théorique forte pour pouvoir aller contre le courant.

En d'autres termes, il est impératif que le milieu soit en mesure de faire face à une attaque sur les principes théoriques. Il devrait y avoir une réflexion globale sur pourquoi et comment nous sommes actuellement hantés par des éléments qui cherchent à s'écarter de la tradition de la Gauche Communiste. Globalement, le problème semble résider dans la faiblesse du milieu. Mais avant d'aller plus loin sur ce sujet, il pourrait être intéressant de comprendre comment une nouvelle organisation peut légitimement devenir partie intégrante du milieu. Ce faisant, nous défendons le concept de milieu, précisément parce qu'il nous empêche de mettre notre héritage entre parenthèses chaque fois qu'un nouveau groupe apparait et parce que cela délimite ce qui peut être légitimement retenu pour être considéré comme "communiste". Par ailleurs, cela permet d'exclure ce qui, sur les bases de l'expérience historique, ne pourra jamais être une position de la classe ouvrière.

On ne peut pas réinventer la roue

Et pourtant, il est possible de faire partie du milieu avec de nouvelles idées et de le rejoindre ou comme nouveau groupe, ou au sein de groupes déjà existants, avec des positions qui peuvent sembler déranger l’opinion commune.  De fait, c'est précisément le combat féroce contre le dogme de la Seconde Internationale qui a permis aux Fractions de Gauche de rompre sur une base claire avec la vieille organisation et de maintenir le noyau prolétarien. Cependant, il ne peut y avoir de théorie qui ne se développe sans confrontation avec la réalité ni à travers le débat avec les autres groupes politiques déjà existants. Et nous ne pouvons pas ignorer ce qui a déjà été maintes fois prouvé par l'Histoire, par exemple le rôle réactionnaire des syndicats. Pour nous communistes, il ne peut y avoir de réinvention de la roue : à l'heure actuelle, au vu de la fragilité de notre courant politique et de la distribution démographique de nos militants et, plus important encore, le difficile moment politique dans lequel nous nous trouvons (avec les frontières, le populisme, les politiques de culpabilisation, etc...), tout germe de doute politique portant sur les principes de base est quasi-suicidaire. En défendant le milieu et les (non reconnus) points de consensus qu'il représente, il serait complètement impensable qu'un groupe représente à la fois une organisation communiste et une organisation bourgeoise.

Bien sûr, il est impossible de vivre et travailler sous le capitalisme sans en subir l’influence, mais il y a une différence notable avec le fait de travailler comme conseiller pour une personnalité politique en supportant activement un parti bourgeois et son idéologie. Si une telle double représentation des causes bourgeoise et communiste était acceptée, cela obscurcirait la signification du communisme et brouillerait la voie vers laquelle la classe ouvrière doit diriger son attention.

Comme cela a été dit précédemment, la rupture est nécessaire. Aucune de ces deux conditions, pourtant élémentaires, n'a été garantie par la figure dominante de Nuevo Curso. Nulle explication sur les oscillations politiques de Gaizka n'a été fournie et son organisation n'a pas non plus défini fondamentalement ses différences en relation avec les autres groupes. Et, devrions-nous noter, elle n'a pas fourni non plus une véritable défense de l'existence de la dénommée Gauche Espagnole. La clarté de la théorie communiste doit être assurée par le débat, en développant ouvertement un ensemble de positions partagées qui définissent la politique communiste. Malheureusement, le milieu semble incapable de cela.

Cela nous place dans une position politique particulièrement difficile, dans laquelle les éléments aventuriers sont en mesure de grandir de façon désinhibée et de gagner une légitimité non méritée. Il serait ridicule de dénier la possibilité de différences légitimes sur des points programmatiques entre groupes communistes. Mais il est d'une importance vitale de ne pas laisser les portes ouvertes aux manoeuvres des aventuriers et des positions gauchistes, ce qui ne semble guère acquis si nous laissons rentrer sans entraves des éléments tels que Nuevo Curso. Les groupes parasites comme le dénommé Groupe International de la Gauche Communiste (GIGC) persistera, sans aucun doute, à défendre l'exact opposé de la position du CCI en saluant l'apparition d'un nouveau courant parmi d'autres dans la mesure où cela sert leur objectif de faire imploser le milieu pour leurs propres buts qui sont de liquider la théorie et l'organisation. Cela démontre encore davantage leur objectif ultime et leur haine sous-jacente de la clarification, leur amour du "choix", c'est à dire la démocratie et leur incapacité à engager des discussions sans considérer leurs opinions comme leur propre propriété personnelle. Cette erreur les conduit à déformer les critiques actuelles à l’encontre de Nuevo Curso en les assimilant à de la diffamation et comme cela est leur propre modus operandi, ils sont de fait incapables d'envisager les choses sous un autre angle.

La faiblesse du milieu

Nous ne pouvons contester le fait que de nouveaux arguments ou des théories révisées ne pourraient pas être valides dans le débat politique entre groupes. L'invocation d'une soi-disante "Gauche Espagnole" est à la fois la conséquence et le symptôme d'un refus de débattre au sein du milieu, c'est à dire de tracer ce qui devrait légitimement subsister et cela est, par conséquent, un obstacle à la capacité du milieu d'avancer vers une plate-forme commune. La création d'une nouvelle tradition communiste revient à esquiver le débat et est l'expression de la nature fondamentalement parasitaire de ce groupe. Nous devons donc nous demander : qu'a fait le milieu jusque maintenant ? De manière générale, il a accepté l'existence de nouveaux éléments et a failli à engager la critique en partant de ses positions. Les textes traduits qui émanent de Nuevo Curso sont présentés par d'autres groupes avec peu ou pas de commentaires sur ses déviations politiques. Apparemment, pour certains éléments du milieu, la révérence envers le "miracle" de l'émergence de nouveaux éléments les conduit à adopter une attitude presque dévote envers tout nouveau élément qui apparait.

La période semble duper la plupart des groupes politiques actuels. Certains jeunes éléments, guidés par leur propre venue aux positions communistes, tendent à croire que le parti serait sur le point d'être fondé dans un futur (très) proche. L'erreur fondamentale est de penser que même si nous étions capables de regrouper la Gauche Communiste en une seule organisation, celle-ci deviendrait instantanément le "parti".

Ce ne peut être un parti car il n'a actuellement aucun impact sur la classe ouvrière : ce serait juste encore un autre parti, impossible à discerner de tous les autres petits partis gauchistes au contenu vide. Ce serait absurde de se "regrouper" juste pour se regrouper. Au contraire, ce qui est nécessaire pour le moment est une discussion théorique vigoureuse pour qu'à l'avenir un tel regroupement sur une solide base organisationnelle et théorique soit possible.

Je salue le travail effectué par le CCI pour identifier d'un point de vue théorique les racines de Nuevo Curso et pour détailler de quelle manière un aventurier tel que Gaizka a été capable, sous couvert d'une "nouvelle théorie", d'entrainer des éléments en recherche dans le marais entre le communisme et le gauchisme. Je peux seulement souhaiter de tout coeur que le milieu sera en mesure de surmonter ses faiblesses pour pouvoir commencer à réinitier les débats qui sont indispensables afin de commencer un processus de nécessaire solidification programmatique, et par conséquent, d'exclure des éléments qui ne se rapprochent pas activement de ces positions.

Merwe, 10-07-2020

 

[1] « Qui est qui dans "Nuevo Curso" ? », ICCOnline janvier 2020. [1]

[2] « Nuevo Curso et la "Gauche communiste espagnole": Quelles sont les origines de la Gauche communiste ?, Revue internationale n°163. [2]

 

Rubrique: 

Défense du milieu politique prolétarien

Quelles leçons tirer de la défaite ouvrière à Nissan ?

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Les défaites sont toujours douloureuses pour le prolétariat. Cependant, en tant que classe exploitée et révolutionnaire à la fois, elle n'a pas d'autre école que de tirer les leçons de ses défaites. Ces leçons arment sa conscience, la renforcent et finissent par nourrir sa détermination et sa combativité. Comme l'a dit Rosa Luxemburg, pour le prolétariat, "Ses erreurs sont aussi gigantesques que ses tâches. Il n'y a pas de schéma préalable, valable une fois pour toutes, pas de guide infaillible pour lui montrer le chemin à parcourir. Il n'a d'autre maître que l'expérience historique. Le chemin pénible de sa libération n'est pas pavé seulement de souffrances sans bornes, mais aussi d'erreurs innombrables. Son but, sa libération, il l'atteindra s'il sait s'instruire de ses propres erreurs ».[1] La lutte chez Nissan a été une défaite : en échange de compensations et d'une vague promesse de "plans de réindustrialisation", 2500 travailleurs de l'usine de la Zone Franche de Barcelone perdent leur emploi et 20 000 travailleurs des entreprises sous traitantes voient leur emploi pratiquement supprimé. D'un coup de plume, le Capital a imposé 23 000 licenciements. C'est la dure réalité.

Les syndicats ont fidèlement servi le Capital

Les syndicats sont des appareils qui travaillent main dans la main avec les entreprises et les gouvernements pour imposer l'ordre capitaliste au travail. Cependant, leur fonction principale est de saboter de l'intérieur la lutte des travailleurs et ils le font en verrouillant le combat au sein de l'entreprise ou du secteur. De cette façon, les travailleurs sont isolés et tous les instruments de l'État capitaliste sont abattus sur eux, imposant finalement la démoralisation et la défaite. Chez Nissan, ils ont empêché les travailleurs de se tourner vers leurs camarades d'autres entreprises et ont détourné les actions vers le cassage des vitrines des concessionnaires Nissan ou vers une voie épuisante à Corrales de Buelna où l'entreprise avait auparavant promis de maintenir la production en opposant les travailleurs de cette usine à leurs camarades de Barcelone"[2]. Lorsqu'ils font taire la réaction des travailleurs, les syndicats signent ce que veulent les patrons, mais ils enjolivent leurs accords de miettes et de vagues promesses. Souvenons-nous que Sony, Delphi et bien d'autres entreprises ont promis de "nouveaux emplois" dans de "nouvelles entreprises" qui n'ont jamais été ouvertes[3].

Les syndicats ont célébré bruyamment "l'accord" de 23 000 licenciements. Le CCOO (syndicat Commissions Ouvrières) proclame qu'il "donne la priorité à la réindustrialisation des usines pour éviter les licenciements traumatisants et garantir un maximum d'emplois", l’UGT promet que "tous ceux qui le souhaitent auront un emploi", et que "les indemnités seront énormes, substantielles, au même niveau que les préretraites". La CGT, syndicat "radical", y voit la "première phase de la réindustrialisation de nos usines". Pour les anticapitalistes "critiques" de Podemos, l'accord "donne le temps de mettre en place un plan de reconversion durable pour assurer les 25 000 emplois". Ces démarches sont, d'une part, une promesse qui ne sera jamais tenue, mais, d'autre part, elles tendent un piège au prolétariat en l'attachant pieds et poings liés au char du capital.

Ils parlent de "futures entreprises", de "réindustrialisation". Ils veulent ainsi nous convaincre que notre vie dépend de l'accumulation, des investissements, des gains en capital et de l'économie nationale. Ils veulent que nous nous appropriions les besoins du capital, et ils ont le culot de se présenter comme des "anticapitalistes" et des "combattants du socialisme" ! Ils cachent la vérité : la vérité est que le capitalisme est en pleine crise brutale, peut-être la pire depuis 1929, et qu'avec la COVID 19 il menace nos vies, et dans ces conditions l'"horizon" de l'"industrialisation" et de la "création de nouvelles entreprises" est une utopie réactionnaire qui nous enchaîne à ce qui intéresse le capital, c'est-à-dire "être compétitif" dans la jungle du marché mondial. Etre "compétitif" signifie moins d'emploi, moins de salaire, moins de retraite, la dégradation des conditions de vie. Il n'y a pas d'autre moyen pour l'économie nationale et les entreprises de maintenir leurs profits et leurs positions sur le marché mondial ! Et ils cachent ce dont nous avons réellement besoin en tant que classe ouvrière : lutter pour nos besoins humains de manger, de vivre, de donner un avenir à nos enfants, défendre nos conditions de vie, ce qui nous amène nécessairement à affronter le capital et son État, à rechercher notre unité en tant que classe internationale et à développer la perspective de la révolution prolétarienne mondiale.

Courant Rouge : quelques vérités pour nous maintenir liés aux grands mensonges du capital

Dans l'appareil politique du capital, il y a un arc-en-ciel qui va de l'extrême droite à l'extrême gauche, en passant par toutes les couleurs intermédiaires comme le vert des écologistes. Du côté de l'extrême gauche, il y a des groupes comme Courant Rouge qui reconnaissent certaines vérités, mais au bout du compte, leur méthode finit par être le moyen de continuer à défendre le Capital parce qu'il ne faut pas oublier que le pire mensonge est une demi-vérité.[4] Dans un texte paru dans Kaosenlared[5], intitulé "Nissan : le pire dans une grande défaite est de la présenter comme une grande victoire", il dénonce qu'avec des promesses et des compensations, les syndicats nous ont fait avaler 23.000 licenciements. Il dénonce également le Front commun que les syndicats ont organisé contre les travailleurs de Nissan, l’ "indépendantiste" Torra, le ministre Reyes Maroto, le maire de Barcelone, Ada Colau et l'organisation patronale Fomento del Trabajo. Tous se sont unis contre la classe ouvrière. Il prévient que la défaite chez Nissan "laisse les patrons libres de procéder à des licenciements, des restructurations et à une dégradation générale des conditions de salaire et de travail. D'autant plus que les patrons ont vu la passivité complice avec Nissan du gouvernement du PSOE-UP et de la Generalitat de Torra et Aragon". Il dénonce le fait que les travailleurs des entreprises sous-traitantes vont descendre dans la rue dans des conditions bien pires que celles de leurs collègues de la société mère Nissan. Nous voulons ici dénoncer une pratique généralisée du Capital au cours des trente dernières années visant, entre autres, à nous DIVISER : dans les grandes usines de production, par exemple dans l'industrie automobile, oeuvrent non seulement les travailleurs du personnel de la grande entreprise (Nissan, Ford, GM etc.), mais aussi de nombreux autres travailleurs qui appartiennent à des centaines de petites entreprises. Mais en même temps, dans les parcs industriels voisins ou même dans d'autres pays, il existe un énorme réseau d'entreprises sous traitantes qui fabriquent des pièces automobiles. Tous ces travailleurs ont des conditions de travail bien pires que celles de leurs frères et sœurs de l’entreprise mère et, en cas de licenciement, leurs indemnités sont plus que misérables.

Cependant, les travailleurs des sociétés mères ne sont pas "privilégiés". La compensation, comme le dit Courant Rouge, est "du pain pour aujourd'hui et la faim pour demain" car les emplois détruits ne seront jamais remplacés ou s'ils le sont, c'est dans des conditions bien pires de rémunération, de travail, de retraite, de précarité, etc. Depuis 40 ans, nous assistons à une chute globale et permanente des conditions de travail et de vie de l'ensemble de la classe ouvrière mondiale, même si en cours de route tel ou tel travailleur individuel a "bénéficié" de compensations plus ou moins « juteuses »[6].

Ils parlent de "direction syndicale" pour cacher la nature capitaliste des syndicats

Tout ce que Courant Rouge dénonce est vrai, mais son piège, en premier lieu, réside dans l'"explication" qu'il donne des raisons pour lesquelles les syndicats ont vendu les travailleurs. A tout moment, il ne parle pas des syndicats mais de "directions syndicales". Il dénonce la "stratégie syndicale pour organiser la défaite" en disant qu'il s'agit d'une "stratégie des directions syndicales dirigée depuis le début pour organiser la défaite et sauver la face, un art dans lequel elles sont des spécialistes". Afin de redorer le blason des syndicats et de maintenir la confiance des travailleurs en eux, Courant rouge, les trotskystes, etc... parlent d'une "division" entre la "base" et la "direction". La base serait "ouvrière" et donnerait aux syndicats le caractère d'"organes prolétariens", tandis que la direction serait "bourgeoise", "traîtresse", "vendue", etc... Ce faisant, ils cachent le fait que les syndicats ont été intégrés à l'État dès la Première Guerre mondiale, devenant des appareils au service du Capital.[7] Ces derniers sont une prison où les travailleurs qui y entrent ne sont là que pour obtenir certains avantages individualistes (maisons de vacances, services juridiques, etc.) ou bien, s'ils veulent défendre leur classe, ils sont obligés de suivre une ligne directrice qui va à l'encontre et contre leurs intérêts de classe. La "base" ne fait pas du syndicat un organe ouvrier mais est la chair à canon, la masse de manœuvre, que le syndicat utilise pour soumettre les travailleurs au Capital et saboter leurs luttes.

Les directions syndicales sont la structure hiérarchique dont l'appareil syndical a besoin pour s'intégrer au service du Capital et de son État. C'est pourquoi les dirigeants seront toujours anti-ouvriers ! Les trotskystes, les gauchistes, présentent régulièrement des "candidats combatifs" qui entendent "renouveler le leadership" et le "mettre au service de la base". Il en résulte que certains élus deviennent encore plus bureaucratiques que les dirigeants syndicaux ou sont comme un embellissement "radical" de la politique syndicale. La preuve de la fausseté des "explications" de Courant Rouge sur la "direction perfide" est donnée par le fait que la CGT s'est comportée comme le grand syndicat "officiel" : "La CGT a eu une magnifique occasion de montrer qu'elle était un syndicat de classe et militant contre l'officialité. Mais ce que nous avons vu, c'est sa faillite en tant que syndicat alternatif" puisque "Au nom de l'"unité" d'en haut avec les bureaucrates, la CGT a signé tous les communiqués des comités d'entreprise, n'a pas organisé la lutte des ouvriers des entreprises sous-traitantes, n'a pas travaillé à l'organisation d'une grande manifestation centrale, ni au blocage de la zone franche, ni à la promotion d'une grève générale. Au contraire, dans le communiqué final, elle apporte son soutien à l'accord de fermeture.

Les syndicats ne pourront jamais être reconquis par la classe ouvrière ! C'est une autre illusion démoralisante vendue par Courant rouge, les trotskystes et autres gauchistes. Syndicats "officiels", syndicats "alternatifs", syndicats "d'assemblée", syndicats "anarchistes"... tous sont des syndicats et donc des appareils d'État au service du capital[8].

L'intérêt de l'"industrie" est la négation des intérêts des travailleurs

Le second mensonge de Courant Rouge, qui le place dans la même veine que les syndicats, le patronat, le gouvernement central et le gouvernement "pro-indépendance", est qu'il présente la lutte de Nissan comme la lutte "de toute l'industrie automobile et de toute la classe ouvrière catalane". Leur lutte a été un signal pour toute la classe ouvrière, les patrons et les gouvernements, et leur sort a été décisif pour l'avenir de l'automobile et de l'industrie. Courant Rouge dit la même chose que ses "critiques" : l'avenir de l'automobile et de l'industrie, l'avenir de la classe ouvrière "catalane". En d'autres termes, il enferme les travailleurs dans la prison des intérêts des secteurs productifs, de la nation catalane, de l'accumulation du capital. Courant Rouge ne parle pas du tout de l'avenir du prolétariat, de l'avenir terrible que le capitalisme en crise et en décomposition contient, ni de la défense des conditions de vie et de travail des travailleurs, de leur solidarité, de leur auto-organisation, de leur unité internationale... Tout cela est un langage que Courant Rouge ne veut pas que les travailleurs utilisent, de sorte qu'ils ne parlent que de "l'industrie", de "l'automobile", de la Catalogne... c'est-à-dire le langage du capital. Courant Rouge ne s'intéresse pas à l'intérêt de la classe ouvrière (qui est historiquement l'avenir de l'humanité) mais seulement au Capital espagnol, et cela se révèle lorsqu'il regrette que l'accord avec Nissan "laisse les mains libres au gouvernement Sanchez pour aller de l'avant avec un "plan de reconstruction" adapté aux besoins des entreprises de Ibex et des multinationales étrangères. Comme ceux de l'industrie automobile, qui condamnent les usines espagnoles à assembler des voitures à combustion, tout en réservant les activités de plus grande valeur technologique et la production de la voiture électrique à leurs pays d'origine". Il accuse le gouvernement Sanchez de ne pas être "très espagnol" et de laisser les "voitures à combustion" à l'Espagne. Courant Rouge est aussi espagnol que Vox !

Le piège de la nationalisation

La "solution" proposée par Courant Rouge est que "seule la nationalisation a permis non seulement de sauver tous les emplois menacés, mais aussi d'avoir une grande entreprise publique qui, sous le contrôle des travailleurs eux-mêmes, prendrait la tête de la tâche de reconversion écologique du secteur automobile et sauverait les emplois".

Qu'elle soit publique ou privée, la classe ouvrière continue à être exploitée, à être soumise au travail salarié, à produire de la plus-value, c'est-à-dire qu'elle continue à être soumise aux lois du capital. Dans l'article susmentionné sur les luttes en Espagne (voir note de bas de page n°2), nous avons exposé le piège des nationalisations faites par nos prédécesseurs de la Gauche communiste mexicaine. Les nationalisations sont un instrument du capitalisme d'État, une tendance universelle du capitalisme décadent pour affronter la crise et la classe ouvrière.

La confusion sophistiquée faite par les gauchistes et, en général, la gauche du capital, entre nationalisation et socialisme, repose d'abord sur la négation du caractère international de la révolution prolétarienne et de la monstruosité du "socialisme dans un seul pays". Avec le sophisme "nationalisation = socialisme", ils nous ont mis en tête que le socialisme défendrait la nation. Cette falsification est basée sur une erreur qui s'est répandue dans le mouvement ouvrier de la Deuxième Internationale et que la Troisième Internationale n'a pas réussi à combattre avec suffisamment de force : l'identification du capitalisme avec la propriété privée. Engels a déjà combattu cette grave erreur en soulignant que "l'État moderne, quelle que soit sa forme, est une machine essentiellement capitaliste, c'est l'État des capitalistes, le capitaliste collectif idéal. Et plus elle assume de forces productives dans la propriété, plus elle devient un capitaliste collectif et plus elle exploite ses citoyens. Les travailleurs sont toujours des ouvriers salariés, des prolétaires. Le rapport capitaliste, loin d'être aboli par ces mesures, est aiguisé"[9]. Si, contrairement à l'analyse d'Engels partagée par Marx[10], on part de cette identification que la propriété privée = le capitalisme, on finit par conclure que "toute modification visant à limiter cette propriété privée signifierait limiter le capitalisme, le modifier dans un sens non capitaliste, par opposition au capitalisme, anticapitaliste" comme le dit très clairement notre ancêtre de la Gauche Communiste de France[11] qui dénonce que "Tous les protagonistes "socialistes" des nationalisations, du dirigisme économique, et tous les faiseurs de "plans" et surtout les trotskystes pour qui "les nationalisations sont, en tout cas, un affaiblissement de la propriété privée capitaliste, pointent du doigt cette théorie de l'Etat capitaliste anti-capitaliste. Bien qu'ils ne les appellent pas - comme le font les staliniens et les socialistes - "îlots de socialisme" sous le régime capitaliste, ils sont néanmoins convaincus qu'ils sont "progressistes".

La classe ouvrière ne doit pas compter sur les nationalisations, les promesses d'investissement, les "plans d'État", elle doit compter uniquement sur sa lutte en tant que classe, pour les revendications des travailleurs, auto-organisés en Assemblées générales en dehors et contre les syndicats et autres serviteurs du capital, des luttes qui doivent chercher leur extension, construire l'unité de la classe ouvrière dans la perspective de la révolution prolétarienne mondiale, seule voie de sortie de la crise et de la barbarie du capitalisme.

Smolnys, Accion Proletaria (section du CCI en Espagne). 

 31-8-20

 

[1] Rosa Luxemburg, La crise de la Social Démocratie. 

[2] Voir notre article en espagnol : « Luttes ouvrières en Espagne » [3].

[3] Sur la lutte ouvrière à Delphi voir nos tracts “Delphi: la force des travailleurs est la solidarité » [4] et « Fermeture de Delphi: Seule la lutte massive et solidaire est notre force » [5]

[4] Pour savoir qui est Courant rouge et ses procédures de tromperie "radicales", lisez notre article en espagnol "Courant rouge : un chat pour un lièvre". [6]

[5] [7]"Nissan : le pire dans une grande défaite est de la présenter comme une grande victoire" [7]

[6] Nous devons signaler que ces indemnisations ne sont nullement un cadeau. Ils viennent de la bourse énorme qu’est la plus-value qui est globalement volée aux ouvriers, même dans la majorité des cas si elles sont ’ils sont plus« généreuses » en c’est en tant qu’arme politique pour mieux diviser les ouvriers, mettre fin à leurs luttes ou pour éviter qu’elles aillent beaucoup plus loin.

[7] Voir notre série Les syndicats contre la classe ouvrière. [8] Ainsi que, en espagnol, les "Notes sur la question syndicale [9]".

[8] Voir notre article en espagnol : « Un nouveau syndicalisme est-il possible ? » [10]

[9] Voir F. Engels, Du socialisme utopique au socialisme scientifique.

[10] Voir Karl Marx, Critique du programme de Gotha ainsi que « Communisme contre le socialisme d’Etat » [11] dans notre série sur le communisme, Revue internationale n°78, 3e trimestre 1994.

[11] Voir « L’expérience russe : propriété privée et propriété collective », Internationalisme n°46 [12].

Géographique: 

  • Espagne [13]

Questions théoriques: 

  • Syndicalisme [14]

Rubrique: 

Lutte de classes

La misère des réfugiés de Moria montre le vrai visage de la classe dirigeante

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Nous publions ci-dessous un autre article du CCI, traduit de l'anglais, sur la tragédie des migrants du camp de Moria. 

Dans la nuit du mercredi 9 septembre, le camp de réfugiés de Moria à Lesbos a brûlé. Près de 13 000 réfugiés, dont un tiers de mineurs et environ la moitié d'enfants de moins de douze ans, ont dû fuir les flammes - désormais exposés à la nature et plus ou moins abandonnés à eux-mêmes. Le camp de réfugiés, qui a été conçu pour 2 900 détenus, a accueilli environ 13 000 réfugiés. Lorsque la nouvelle de l'infection au Coronavirus de certains détenus s'est répandue et qu'une quarantaine a été ordonnée par les autorités, l'incendie a éclaté peu après. Les autorités ont accusé les réfugiés qui ne voulaient pas être mis en quarantaine d'avoir provoqué l'incendie. Les politiciens parlent d'une catastrophe humanitaire, mais en réalité, ce sont eux qui ont jeté de l’huile sur le feu.

Le fait est que depuis des années, l'UE mène une politique de fermeture des frontières aux réfugiés en leur bloquant la route des Balkans, en les confinant dans des camps, en rapatriant ceux appréhendés illégalement, en dissuadant ceux qui veulent prendre les bateaux sur la Méditerranée, en n'acceptant pas ou en retardant l'accueil des rescapés etc. Cette politique de construction de murs, de bouclage et d'expulsions ne se limite pas à l'UE. Elle est menée par les États-Unis - bien avant que Trump ne promette son " mur" - ainsi que par d'innombrables autres pays. Selon les chiffres officiels, 80 millions de personnes dans le monde sont en fuite, à la recherche désespérée d'un endroit où vivre et d'un avenir. Entre-temps, les gigantesques camps de réfugiés permanents des Rohingyas au Bangladesh, les réfugiés somaliens au Kenya (Dadaab), au Soudan, en Libye, ou les camps de fortune plus petits, par exemple sur la côte française en face de l'Angleterre, sont devenus une réalité quotidienne - en plus des innombrables personnes qui ont fui en raison du chaos politique et économique croissant, comme au Venezuela, ou de la destruction de l'environnement et du désastre écologique, et qui contribuent à la croissance rapide des bidonvilles dans les mégapoles d'Afrique, d'Amérique du Sud et d'Asie. Les camps de réfugiés et les bidonvilles des métropoles sont les deux faces d'une spirale de destruction, de guerres, de barbarie. En outre, le règne de la terreur (par exemple contre les Ouïgours, les Kurdes, etc.) et les pogroms dans de nombreuses régions font de la vie un enfer pour de plus en plus de gens.

Seule une petite partie de cette masse de personnes déplacées a atteint les côtes de la Méditerranée ou les frontières des États-Unis, où elles espèrent trouver un moyen de rejoindre les pays industrialisés, presque toujours au péril de leur vie. Mais la classe dirigeante a fermé les frontières. Fini le temps où les esclaves étaient volés en Afrique et exploités sans limites dans les plantations aux États-Unis, fini le temps où ils payaient des primes pour la main-d'œuvre bon marché de la Méditerranée, comme dans les années 1950 et 1960. Aujourd'hui, l'économie mondiale gémit sous le poids de sa crise - et pas seulement depuis la pandémie de la Covid-19, où tout s'est à nouveau détérioré de façon spectaculaire. Aujourd'hui, ce sont surtout les travailleurs bien formés qui sont recrutés de manière très sélective... les autres sont censés survivre ou périr.

Le capitalisme ne peut rien offrir à cette armée de millions de personnes désespérées

Parce que la combinaison de différents facteurs (guerre, destruction de l'environnement, crise économique, répression, catastrophes de toutes sortes) pousse de plus en plus de personnes à fuir, et qu'un nombre considérable d'entre elles se dirigeront vers les centres industriels, les niveaux de dissuasion les plus élevés possibles ont été établis. Ainsi, le conseiller du gouvernement allemand Gerald Knaus de l'Initiative européenne pour la stabilité a déclaré le 10 septembre sur la radio d'État allemande Deutschlandfunk : "Le ministre grec des réfugiés Notis Mitarakis dit que les gens devraient rester à Moria ou à Lesbos. Le camp a brûlé, les gens n'ont pas d'abri, ils sont assis dans la rue, c'est la perte totale de contrôle. (...) Et pourtant, le gouvernement grec n'exige pas de soutien extérieur. Pourquoi ? La réponse est évidente. Ces mauvaises conditions sont délibérées. Il s'agit d'une politique de dissuasion. Sur l'île, les tensions sont énormes. Les nationalistes grecs ont attaqué les organisations d'aide humanitaire. Il y a des groupes radicaux qui s'attaquent aussi aux demandeurs d'asile. (...) Faire partir les gens rapidement est dans l'intérêt de l'île, dans l'intérêt des migrants. Pourquoi y sont-ils détenus alors qu'ils savent (...) qu'aucune de ces personnes ne sera renvoyée en Turquie. (...) Il n'y a pratiquement plus d'expulsions en raison des restrictions de la Covid. (...) Cela signifie que nous avons beaucoup, beaucoup de personnes qui ont besoin de protection et beaucoup, beaucoup de migrants en situation irrégulière (...) qui sont détenus pour une seule raison : pour être dissuadés". La fermeture de la route des Balkans vise à "empêcher les gens de quitter la Grèce par la frontière nord, ce qui n'a de sens que si l'on dit ensuite que les gens en Grèce devraient y connaître des conditions si mauvaises que l'afflux en Grèce, c'est-à-dire dans l'UE, s'arrête". Ceci a une conséquence évidente : des conditions insupportables non seulement dans les camps de réfugiés, mais aussi pour les habitants locaux, dont certains attaquent  ensuite violemment les réfugiés. Les réfugiés sont alors confrontés aux fils barbelés, au pouvoir armé de l'État et à la violence des bandes nationalistes... La même politique est également menée au large des côtes italiennes, où les réfugiés sauvés de bateaux en mauvais état en Méditerranée doivent être empêchés d'atteindre le continent européen le plus longtemps possible.

Cette tactique de dissuasion est d'ailleurs présentée aux réfugiés potentiels dans les médias sociaux par les institutions gouvernementales allemandes et européennes en Afrique et dans d'autres centres  de rétention des réfugiés. Le message est le suivant : "Nous vous détiendrons aussi longtemps que possible, aussi brutalement, aussi inhumainement que des prisonniers et vous laisserons mourir misérablement dans des camps de réfugiés encore pires qu'en Afrique et en Asie, entourés de fils barbelés et de fortifications ; restez où vous êtes, même si vous n'avez plus de maison". Lorsque les politiciens parlent de "catastrophe humanitaire" dans cette situation, ils dissimulent le fait que ces personnes sont en réalité les otages de la politique de ce système, qui est défendu par la classe dirigeante par tous les moyens et dans tous les pays.

Méditerranée orientale : l'impasse globale du capitalisme concentré dans une seule région

La Méditerranée orientale est également un foyer des tendances destructrices du capitalisme : il y a un siècle, la Turquie et la Grèce se sont affrontées dans une guerre qui a vu la première  "purification ethnique" organisée ; aujourd'hui, les deux rivaux impérialistes se font à nouveau face à propos du différend sur les ressources en gaz et en pétrole de la région. Mais en plus de la menace de guerre locale, le capitalisme menace également les populations par la crise économique et les explosions comme celles de Beyrouth, des facteurs qui pousseront encore davantage de personnes à fuir.

Le caractère impitoyables des dirigeants cachée derrière de belles phrases

L'infamie dans l'attitude de la classe dirigeante n'est pas atténuée par la prétention de faire preuve d'un peu de "pitié" envers les "plus faibles" parmi les réfugiés. Ce n'est qu'après que certaines forces issues des propres rangs des partis bourgeois, préoccupées par la perte de prestige des démocraties occidentales, ont exercé des pressions, et après que les administrations locales ont montré leur volonté d'accepter un contingent limité, que la France et l'Allemagne ont demandé que 400 jeunes "non accompagnés" soient autorisés à entrer. Et après presque une semaine de manœuvres dilatoires, 1500 enfants et leurs familles seront autorisés à entrer en Allemagne. Les 10 000 restants de Moria languiront en Grèce - sans parler des nombreux autres milliers bloqués dans d'autres camps de réfugiés sur les îles grecques. Les dirigeants se cachent derrière leur peur des populistes ou des chefs d'État en Hongrie, en Pologne, aux Pays-Bas et en Autriche, qui ne sont pas disposés à accepter des réfugiés. Aucun pays ne veut assumer seul le sort des réfugiés - et sous ce prétexte, ils insistent sur une approche européenne uniforme.

En fait, ils ne veulent pas attirer une nouvelle vague de réfugiés comme en 2015, et ils ne veulent pas permettre aux populistes de continuer leur ascension. Le gouvernement grec préfère enfermer les réfugiés qui survivent actuellement en plein air dans des camps nouvellement construits plutôt que de les laisser entrer sur le continent, d'où les détenus des camps pourraient alors continuer à fuir. Les dirigeants de l'Union européenne se sont inspirés de tous les manuels sur la construction des camps de Guantanamo, de Sibérie, des camps spéciaux de la RDA ou du Xinjiang.  Prévenir la fuite à tout prix, dissuader par tous les moyens ! Leurs actions ne sont pas guidées par la nécessité de protéger les miséreux, mais par leur besoin de s'accrocher au pouvoir. Et ils défendent cette règle par tous les moyens, que ce soit par la construction de frontières infranchissables et de camps de prisonniers, ou par les belles phrases de la démocratie et de l'humanitarisme. La répression des manifestants en Biélorussie, les escadrons d'assassins de Poutine ou les camps de prisonniers ouïgours du Xinjiang sont dénoncés par les Européens, mais ceux-ci coopèrent eux-mêmes avec ces régimes depuis des années, même si parfois la coopération - notamment les contrats d'armement - est reportée, voire annulée.

Aux États-Unis, les démocrates et les républicains main dans la main condamnent les méthodes dictatoriales de la Chine, qui à Hong Kong utilise des commandos masqués  contre les manifestants, mais Washington envoie la Garde nationale assistée elle aussi par des escadrons masqués de la police américaine, qui enlèvent également les manifestants dans des voitures banalisées.  Que ce soit Loukachenko en Biélorussie, Poutine en Russie, Erdogan en Turquie, Duterte aux Philippines, Mohammed ben Salman en Arabie Saoudite, Xi Jinping en Chine, Trump aux États-Unis, etc. - ils défendent tous le même système et leur pouvoir sans pitié et avec des moyens souvent identiques.

Les solutions humanitaires ne sont que du vent : il faut aller à la racine du problème !

Il est vain de compter sur la pitié des dirigeants, et c'est au mieux une dangereuse illusion de croire que les problèmes auxquels le capitalisme nous confronte peuvent être éradiqués par des opérations de sauvetage humanitaires.

La demande "Pas de frontières, pas de nation" est une préoccupation réelle, mais elle ne peut être réalisée que par une lutte révolutionnaire qui abolira tous les États. Il ne suffit donc pas de s'indigner des conditions barbares auxquelles sont confrontés les réfugiés. La première étape doit être de reconnaître d'où vient le mal, puis de le dénoncer. Ce n'est qu'alors que nous pourrons aller à la racine du problème, ce qui signifie qu'il faut s'attaquer au capitalisme comme un tout.

Toubkal, 15.09.2020

Rubrique: 

Barbarie du capitalisme

Trump ou Biden: le faux choix de la “démocratie” capitaliste

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Le capitalisme, le système de production qui domine la planète et tous les pays qui s’y trouvent, est en train de sombrer dans un état avancé de décomposition. Un siècle de déclin lui fait atteindre les dernières marches, menaçant la survie de l’humanité, dans une spirale de guerres insensées, de dépression économique, de désastres écologiques et de pandémies dévastatrices.

Chaque État-nation sur Terre s’est engagé à maintenir ce système mourant. Chaque gouvernement, qu’il soit revêtu des habits démocratiques ou dictatoriaux, qu’il soit ouvertement pro-capitaliste ou faussement socialiste, trouve sa raison d’être dans la défense des véritables objectifs du capital : le développement du profit aux dépens du seul futur possible pour notre espèce, une communauté mondiale dans laquelle la production aura un seul but : la satisfaction des besoins humains.

C’est pourquoi le choix du parti ou du président qui devrait se saisir des rênes du gouvernement est un faux choix, qui ne peut empêcher la civilisation capitaliste d’aller droit à la catastrophe. Cela vaut autant pour les élections à venir aux États-Unis que pour n’importe quel autre cirque électoral.

Trump n’est pas l’ami des ouvriers…

Il est acquis pour beaucoup de personnes que Trump est un défenseur déclaré de tout ce qui est pourri dans le capitalisme : depuis ses dénégations sur la réalité de Covid 19 et du changement climatique, jusqu’aux justifications des brutalités policières qu’il a mises en avant au nom de la défense de la loi et l’ordre, en passant par ses tweets pour mobiliser les meutes d’extrême droite et encourager le racisme, ou encore le traitement dégradant qu’il réserve aux femmes qui l’approchent. Mais le fait qu’il soit, selon les termes de son ancien “tueur à gages” attitré, Michael Cohen, “un menteur, un escroc et un raciste” n’empêche pas une fraction importante de la classe capitaliste de le soutenir, parce que sa défense d’une économie ouvertement nationaliste et d’une dérégulation des services environnementaux et de la santé servent à accroître leurs profits.

Lors des dernières élections, Trump a convaincu beaucoup d’ouvriers américains que le protectionnisme au non de l’America first, sauverait leurs emplois et relancerait les industries traditionnelles. Mais, même avant la crise de Covid, l’économie mondiale (y compris la Chine) allait déjà vers une nouvelle récession que les conséquences de la pandémie vont rendre encore plus brutale. Le protectionnisme est une illusion car aucune économie ne peut se couper des lois impitoyables du marché mondial et les promesses de Trump aux travailleurs se sont déjà révélées trompeuses bien avant le début de la récession de 2019.

… mais les Démocrates non plus !

Selon Trump, Joe Biden menace de transformer l’Amérique en “utopie socialiste”, parce qu’il ne serait qu’une simple marionnette entre les mains de la “gauche radicale” personnifiée par les proches de Bernie Sanders et l’équipe (le squad) autour de Alexandria Ocasio-Cortez, Ilhan Omar et compagnie. (1)

En réalité, Biden a été choisi comme candidat démocrate car il représente la continuité dans le courant dominant de la politique Démocrate d’Obama et Clinton, qui a beaucoup à voir avec celle de Trump : le “pivot vers l’Est”, pour affronter l’impérialisme chinois, a été initié sous Obama, qui était aussi connu comme “l’expulseur en chef”, en raison du traitement impitoyable qu’il réservait aux immigrants “illégaux”. Bien sûr, les Démocrates ont des différences avec Trump : ils sont plus étroitement liés aux institutions militaires et sécuritaires, qui se méfient énormément de l’approche courtisane de Trump à l’égard de la Russie de Poutine ; ces institutions sont également gênées par les ruptures imprudentes des alliances et traités internationaux qui minent la crédibilité diplomatique des États-Unis. Mais ce sont des différences qui concernent le choix de la stratégie la plus adaptées pour l’impérialisme américain. De même, ils s’opposent au peu de respect de Trump pour les normes de la “démocratie” parce qu’ils savent à quel point la mystification démocratique est importante pour la préservation de l’ordre social.

Le parti Démocrate n’a jamais été autre chose qu’un parti d’alternance pour le capitalisme américain. Il est vrai qu’au cours des dernières années, il y a eu une croissance des groupes de pression interne comme l’Alliance socialiste démocratique, et des partisans du Green New Deal, Black Lives Matter et diverses formes de politiques identitaires au sein ou autour du parti officiel. Mais cette “gauche radicale” n’offre qu’une version plus à gauche du capitalisme d’État, auquel, dans un monde ravagé par la crise et la guerre, toutes les factions de la classe dirigeante (y compris la droite et les fanatiques de la libre entreprise) sont obligées d’adhérer. Aucune des politiques de gauche ne remet en question l’existence de l’État-nation, la production pour le profit, le salariat, qui sont l’essence de l’exploitation capitaliste et la source de ses contradictions insolubles.

La classe ouvrière détient la clef de l’avenir

Aucun politicien ou parti capitaliste ne peut offrir une issue à la crise de leur système. L’avenir du monde est entre les mains du prolétariat, de la classe qui produit tout ce dont nous avons besoin pour vivre, qui est exploitée dans tous les pays et qui a partout les mêmes intérêts : s’unir pour défendre ses conditions de travail et de vie, développer l’auto-organisation et la conscience nécessaires pour affronter le système capitaliste et proposer sa solution perspective historique : le socialisme authentique, ou, comme Marx a préféré l’appeler, le communisme, où l’humanité sera enfin libérée de l’État, des frontières nationales et de l’esclavage salarié.

Cela peut sembler une perspective très lointaine. Dans son existence quotidienne, la classe ouvrière est divisée de mille manières différentes : dans la compétition pour l’emploi, par les frontières nationales, par “sexe” et par “race”, surtout dans un pays comme les États-Unis avec son héritage empoisonné d’esclavage et de racisme.

Mais la classe ouvrière est aussi la classe du travail associé, qui est obligée de produire collectivement. Lorsqu’elle relève la tête, elle a tendance à surmonter les divisions dans ses rangs, car elle n’a pas le choix si elle veut éviter la défaite. Le racisme et le nationalisme sont certainement des outils puissants pour diviser les travailleurs, mais ils peuvent et doivent être surmontés pour faire avancer la lutte de classe. Lorsque la pandémie de Covid-19 a frappé pour la première fois, les travailleurs américains ont protesté contre le fait d’être contraints de travailler sans protection dans les usines automobiles, les hôpitaux, les supermarchés ou les entrepôts ; et les travailleurs, “blanc”, “noir”, “latino” ou autre, se tenaient côte à côte sur les lignes des piquets de grève.

De tels moments d’unité vont directement à l’encontre des expressions “classiques” de la division raciale : la suprématie blanche et les mouvements fascistes qui suintent du corps pourri du capitalisme. Mais ils vont aussi dans une autre direction que le mouvement Black Lives Matter (BLM) qui, plaçant la race au-dessus de la classe, se situe ouvertement sur le terrain bourgeois et se voit donc complètement instrumentalisé par les Démocrates, par des intérêts commerciaux dominants comme Mac Donald ou Apple, par les syndicats. En somme par une partie importante de l’État lui-même. Les luttes fondées sur la race ne peuvent pas conduire à l’unification de la classe ouvrière : des parties de la classe dirigeante sont heureuses de “s’agenouiller” et de donner leur bénédiction au mouvement BLM parce qu’elles savent que cela peut être utilisé pour cacher la réalité fondamentale du capitalisme, société reposant sur l’exploitation d’une classe par une autre.

La classe ouvrière aux États-Unis est confrontée à un énorme assaut idéologique à l’approche des élections, avec des politiciens et des superstars des médias qui proclament haut et fort que son seul espoir réside dans le vote, alors que son véritable pouvoir ne se trouve pas dans l’isoloir mais dans la lutte sur le lieu de travail et dans la rue. Elle est également confrontée au danger réel d’être entraînée dans des conflits violents entre milices armées, noires et blanches, comme nous l’avons vu dans certaines manifestations récentes de BLM. La société américaine est plus divisée que jamais depuis la guerre du Vietnam entre les deux grands partis de la bourgeoisie. Le danger d’une guerre civile sur un terrain complètement bourgeois pourrait s’accentuer encore à la suite des élections, surtout si Trump refuse de reconnaître le résultat sorti des urnes, ce qu’il a déjà laissé entendre. Cela ne fait que souligner la nécessité pour les travailleurs de refuser les appels des sirènes de droite et de gauche, de rejeter les faux choix du supermarché démocratique et de se rassembler autour de leurs propres intérêts de classe en menant un combat déterminé pour la destruction du capitalisme.

Amos, 26 septembre 2020.

 

1 Voir l’article en anglais “Trump contre The Squad” (groupe de quatre femmes parlementaires démocrates anti-Trump, NDT) : la détérioration de l’appareil politique aux États-Unis”, World Revolution n° 384, (automne 2019).

Géographique: 

  • Etats-Unis [15]

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Elections américaines

L'ACG rejette les politiques identitaires mais “accepte” un État d’Israël démocratique et laïque

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Le Groupe Communiste Anarchiste rejette les politiques identitaires mais “accepte” un État d’Israël démocratique et laïque

Depuis que nous avons écrit sur les éléments qui allaient fonder le Groupe Communiste Anarchiste (ACG) en février 20181, cette organisation est passée par un processus de définition de son parcours et de détermination de son programme. Son principal objectif était de se détourner de la domination de la politique identitaire, telle qu’elle s’était développée dans la Fédération anarchiste et dans le milieu anarchiste en général, et de revenir à la lutte de classe comme base fondamentale de ses activités.

Après sa fondation, ce groupe a fait quelques pas, comme il l’a dit, « pour rompre avec le marais de l’anarchisme traditionnel"2 et dans la direction des positions de classe.

En juin 2018, il a pris l’initiative de lancer une campagne derrière le slogan « Pas de guerre, mais la guerre de classe » (NWBCW).

D’autres participants à cette initiative étaient également le Guildford Solidarity Group et une organisation de la Gauche Communiste : la CWO. Lors de l’inauguration de cette campagne, ces trois groupes ont organisé une réunion commune à Londres. L’année suivante, l’ACG a organisé différentes réunions publiques sur le sujet, dont certaines ont été organisées avec le CWO, comme en janvier et avril 2019.3

En différentes occasions, il a défendu la lutte de classe comme seule solution pour la libération de tous ceux qui sont soumis à l’oppression par le capitalisme, comme ce fut le cas lorsqu’un membre de l’ACG a fait une présentation dans une réunion du Rebel City Collective à l’Anti-University à Londres en juin 2018 : « Bien que la lutte contre les oppressions puisse être prioritaire pour les opprimés à différents moments, en fin de compte, elle ne parviendra à une libération totale des femmes de la classe ouvrière ou des personnes de couleur que lorsque les classes seront abolies"4.

Ceci dit, nous devons également établir que les tentatives du groupe de quitter le marais anarchiste n’ont pas vraiment réussi, car il y a trop de points sur lesquels il n’a pas pu faire de progrès significatifs vers des positions communistes. Un des exemples frappants est la façon dont il veut résoudre le problème de l’antisionisme dans l’article « Politique identitaire et antisémitisme à gauche"5.

La gauche et l’antisionisme

Depuis de nombreuses années, une campagne intense est menée en Grande-Bretagne contre les groupes et les individus gauchistes qui défendent une position antisioniste. La campagne a été dirigée en particulier contre l’aile gauche du parti travailliste qui a été ouvertement accusée d’antisémitisme. En réponse à cette campagne, certains anarchistes ont décidé de prendre le parti du parti travailliste.

En 2016, « Winter Oak », un groupe anarchiste particulièrement soucieux de l’écologie, n’a pas encore pris ouvertement parti pour le parti travailliste, mais a mis en garde contre « une nouvelle arme idéologique toxique [qui] a été déclenchée par le système capitaliste (…) : l’accusation d’ “antisémitisme” dans le cadre de la chasse aux sorcières. Ce phénomène a atteint son paroxysme au Royaume-Uni ces dernières semaines avec des accusations fébriles d'“antisémitisme” au sein du parti travailliste de Jeremy Corbyn, qui semble être considéré comme dangereusement radical ».6

David Graeber a cependant ouvertement défendu le parti travailliste contre cette campagne de diffamation. En décembre 2019, il a posté plusieurs messages sur Twitter, ciblant le reportage du Guardian sur l’antisémitisme institutionnalisé au sein du parti travailliste. « Si vous additionnez ce qui est faux et trompeur, 90 % de nouveaux articles du Guardian sur la controverse de l’IHRA7 ont été conçus pour tromper le lecteur en lui faisant croire à tort que le Labour était institutionnellement antisémite. C’était un crime historique contre la vérité. Qui étaient les rédacteurs ? Il faut leur faire honte pour cela"8.

Bien qu’il s’agisse d’une véritable campagne idéologique menée par diverses fractions bourgeoises, cela ne signifie pas que l’antisémitisme n’existe pas au sein du Parti travailliste. Corbyn et les trotskystes ont en effet fait et font encore cause commune avec les bandes islamistes les plus extrêmes comme le Hamas et le Hezbollah, et ce faisant, ils agissent comme « un véhicule non seulement d’un antisémitisme plus honteux, mais aussi de ses manifestations les plus ouvertes"9. L’ACG est capable de faire face à cette réalité lorsqu’il écrit que « beaucoup de ceux qui soutiennent la cause palestinienne (…) semblent véritablement incapables de faire la distinction entre critiquer Israël et semer la haine contre un peuple » et que « les idées de l’aile gauche sur l’antisionisme sont de plus en plus colonisées par des formes d’antisémitisme"10.

En raison de l’intensité de cette campagne, en Grande-Bretagne (et ailleurs), il est en effet devenu de plus en plus difficile de critiquer l’État d’Israël sans être accusé d’antisémitisme. Et tout élément ou groupe qui se considère comme faisant partie de la gauche en général – contrairement à la Gauche communiste révolutionnaire – est confronté à ce dilemme. Afin de contourner ce dilemme, l’ACG a donc décidé de ne plus parler d’antisionisme. Au lieu de cela, il affirme « qu’il est beaucoup plus sûr d’utiliser des expressions plus précises et sans ambiguïté comme s’opposer à l’État israélien, à ses polices ou à ses actions"11.

Selon l’ACG, « un problème se pose lorsque nous voyons les identités avant de voir les relations"12, en d’autres termes : avant de voir les classes. Si les classes étaient placées en premier et les identités en second, on serait, semble-t-il, libéré du problème de l’identification de l’antisionisme avec l’antisémitisme. Le problème de l’identification des deux a-t-il vraiment été résolu par cela ? Nous ne le pensons pas. La politique identitaire, qui est un piège pour la lutte de la classe ouvrière, comme l’AGC le reconnait à juste titre, est persistante et plus difficile à combattre que ne le pense l’ACG.

C’est ce que montre très clairement l’article de l’ACG dans lequel il lance un appel pour aider « le mouvement antiraciste dans ce pays et dans le monde » avec l’argument suivant : « le racisme, les autres préjugés et les systèmes d’oppression sont si étroitement liés qu’en luttant contre l’un d’entre eux, nous luttons aussi contre les autres"13. Ici, l’ACG fait à nouveau passer la race avant les classes puisqu’il part du principe que combattre le racisme signifie automatiquement combattre le capitalisme.

« Le racisme divise la classe ouvrière contre elle-même"14, écrit l’ACG, et c’est bien sûr vrai, mais il oublie que son soutien à l’antiracisme divise tout autant la classe ouvrière. Et la photo de l’article, avec sa publicité pour Black Lives Matter, une campagne qui place la race au-dessus de la classe, ne fait que le souligner.

Mais revenons à la question de l’antisionisme. Dans sa tentative d’éviter l’utilisation de ce mot, un autre problème est apparu : celui de l’acceptation de l’État d’Israël seulement s’il était « un État laïque, non discriminatoire et démocratique », puisque « les États existent, et nous devons travailler dans le cadre de la réalité que nous avons devant nous"15. Quel est le sens de cette déclaration, qui est indissociable des programmes de la gauche antisioniste ? Les anarchistes n’ont-ils pas toujours essayé de rejeter et de combattre l’État bourgeois en tant qu’organe répressif au service de la classe dominante ?

Dans les écrits plus généraux de l’ACG, il ne semble pas y avoir de confusion sur ce point. « L’État est le moyen par lequel la classe dirigeante conserve et renforce son pouvoir"16. « Tout système économique basé sur le travail salarié et la propriété privée nécessitera un appareil d’État coercitif pour faire respecter les droits de propriété et pour maintenir les relations économiques inégales qui en découleront inévitablement"17. Mais, si c’est vraiment la conception que l’ACG se fait de l’État, il doit au moins expliquer comment il concilie sa position anti-étatique avec la phrase selon laquelle, dans le cas d’Israël, « un État laïque, non discriminatoire et démocratique » est “acceptable” ?

La question de la politique identitaire ne peut être résolue en la rejetant par la porte pour la laisser entrer par la fenêtre. Même au-dessus de l’article, dans lequel l’ACG dit qu’il préfère ne plus utiliser le mot “sionisme”, il y a une image affichant le slogan : « Confrontez le sionisme, boycottez Israël », signé par le Réseau international juif antisioniste. Toute cette astuce avec le mot “sionisme” ne rapproche pas le groupe de la position internationaliste qu’il prétend défendre. Au contraire, il est toujours submergé dans la campagne internationale qui oblige chacun à soutenir ou à rejeter la “légitimité” de l’État sioniste.

Le chemin difficile de l’internationalisme

Il y a dix ans, nous avons écrit sur l’anarchisme internationaliste. Et nous avons défendu les tendances internationalistes au sein de l’anarchisme comme une expression de l’internationalisme prolétarien. Aujourd’hui, nous pensons qu’un groupe comme l’ACG défend globalement les positions internationalistes. Mais cette position n’est pas clairement et solidement établie et ne repose pas sur une approche de classe : sur le prolétariat en tant que classe qui ne peut s’émanciper lui-même qu’en émancipant l’ensemble de la population mondiale non exploitante du fléau de l’exploitation et de la répression au moyen d’une révolution mondiale.

C’est pourquoi nous avons également souligné que « Le mouvement anarchiste (…) reste un milieu très hétérogène. Tout au long de son histoire, une partie de ce milieu a sincèrement aspiré à la révolution et au socialisme, exprimant une réelle volonté d’en finir avec le capitalisme et l’exploitation. Ces militants se sont effectivement placés sur le terrain de la classe ouvrière lorsqu’ils ont affirmé leur internationalisme et se sont consacrés eux-mêmes à rejoindre son combat révolutionnaire ». Mais « privés de la boussole de la lutte de classe du prolétariat et de l’oxygène de la discussion et du débat avec les minorités révolutionnaires qui en émanent, des éléments qui tentent de défendre les principes de classe se sont souvent trouvés piégés dans les contradictions intrinsèques de l’anarchisme"18.

Et c’est exactement ce que nous voyons aujourd’hui avec l’ACG. Il n’est pas capable de défendre une position internationaliste consistante. Nous pouvons le voir avec leur position “acceptant” un Israël laïque et démocratique. Mais on le voit aussi, par exemple, dans sa déclaration concernant l’invasion de l’armée turque et la situation autour de l’Afrique : « Une position internationaliste ».

La déclaration commence par une dénonciation claire des différentes fractions bourgeoises dans le conflit impérialiste. « En tant que communistes anarchistes, nous ne soutenons aucune fraction dans une guerre inter-impérialiste (…). Nous ne soutenons pas non plus les partis politiques nationalistes qui ont pour but d’établir de nouveaux États, quelle que soit la rhétorique libertaire. Il peut y avoir des exemples d’auto-organisation dans les régions de Rojava mais (…) il ne s’agit pas d’un mouvement vers une véritable auto-organisation si vous êtes capable de le faire parce que le grand leader a dit que c’est ce que vous devriez faire"19.

Jusqu’à présent, tout va bien, mais l’ACG sort un lapin de son chapeau en terminant cette déclaration par ces mots : « la situation est très compliquée et (…) nous ne soutenons pas sans réserve les partis nationalistes tels que le YPD, qui ont pris la tête de la résistance"20, ce qui semble au moins impliquer qu’il apporte son soutien “critique” aux partis nationalistes tels que le YPD ; bien qu’il caractérise également ce parti dans le même article comme « l’un des partis politiques hautement disciplinaires et autoritaires"21.

Le soutien au « moindre mal » conduit à l’abandon de l’internationalisme

Pour l’ACG, il n’existe soi-disant pas de « moindre mal" : « Aucune fraction de la classe capitaliste ne mérite d’être soutenue et aucune n’est « un moindre mal »!22. Mais, d’après notre expérience, nous savons que l’anarchisme finit très souvent par choisir le « moindre mal ». Si les Kurdes sont attaqués par Saddam, il y a des anarchistes qui considèrent la cause des Kurdes comme un moindre mal et qui les soutiennent – surtout s’ils font la publicité d’une idéologie de « confédéralisme démocratique » et parlent d’une « révolution de Rojava ». Si les Catalans se soulèvent contre le régime autoritaire de Madrid en 2017, il y a des anarchistes qui considèrent la cause des Catalans comme un moindre mal et qui ont tendance à les soutenir.

Un exemple clair de cette politique du « moindre mal » est donné par l’article, récemment publié par un groupe aux Philippines sur le site web de l’ACG sans aucune critique, intitulé « Philippines : appel à la solidarité internationale ». Cet article se termine par un slogan qui dit : « Luttez pour la justice sociale ! Combattez le fascisme et le terrorisme d’État !"23. De plus, au-dessus de l’article, il y a une photo sur laquelle on peut lire « Détruisez le fascisme ». L’ACG prétend défendre la lutte du prolétariat sur son propre terrain de classe, mais ce slogan n’a rien à voir avec la lutte de la classe ouvrière et ne fait que détourner les travailleurs de leur terrain de classe. Les slogans appellent à la lutte pour la démocratie en général qui, en fin de compte, ne signifie rien d’autre que la démocratie bourgeoise. C’est un piège pour l’anarchisme qui remonte à sa politique des années 1930.

L’ACG ne considère pas les ministres de la CNT-FAI en 1936-1937 comme de véritables anarchistes et écrit que leur politique antifasciste « a ouvert la voie à la Seconde Guerre mondiale ».24. Mais comment l’ACG explique-t-il alors ce qui s’est passé après le 6 octobre 1934, lorsque Luís Companys avait déclaré un État catalan libre dans une République fédérale espagnole ? Car après la suppression de cette proclamation par l’armée espagnole et l’arrestation du gouvernement catalan, la CNT a publié un Manifeste dans lequel elle se présente elle-même « comme le meilleur rempart contre le fascisme et insiste sur son droit de contribuer à la lutte antifasciste. Contre toute la tradition de la CNT et contre la volonté de nombreux militants anarchistes, elle a abandonné le terrain de la solidarité ouvrière pour embrasser le terrain de l’antifascisme et du soutien “critique” au nationalisme catalan ».25

Pendant la Seconde Guerre mondiale, ce même antifascisme a attiré les anarchistes dans l’orbite des pays alliés. Les anarchistes ont formé des groupes de combat antifascistes dans toute l’Italie pour défendre le « moindre mal » contre le régime de Mussolini, même en hommage à Malatesta qui n’avait, lui, jamais trahi l’internationalisme : « À Gênes, les groupes de combat anarchistes opéraient sous les noms de la brigade “Pisacane”, de la formation “Malatesta”, de la SAP-FCL, de la Sestri Ponente SAP-FCL et des Escadrons d’action anarchiste d’Arenzano. (…) Les anarchistes ont fondé les brigades “Malatesta” et “Bruzzi”, qui comptaient 1300 partisans : elles opéraient sous l’égide de la formation “Matteotti” et ont joué un rôle de premier plan dans la libération de Milan"26.

Les exemples ci-dessus montrent clairement que, dans la pratique de la lutte quotidienne, il n’est pas si facile pour une organisation anarchiste de maintenir sa position internationaliste. Et la raison principale de cet échec est que l’anarchisme, et même le communisme anarchiste, n’ont pas une compréhension claire de ce qu’est le prolétariat ni une méthode historique pour clarifier ses tâches à des époques particulières. Sans une telle méthode, il est impossible d’élaborer un programme politique solide, universel et cohérent, tel qu’il a été élaboré notamment par les organisations de la Gauche communiste. Nous y reviendrons dans un autre article.

Dennis, juillet 2020

1“Reflections on the split in the Anarchist Federation”, ICCOnline, February 2018. [16]

2“Standing at the Crossroads”; ACG, May 7, 2019. [17]

3Le groupe NWBCW semble avoir cessé d’exister. L’année dernière, il n’y a pas eu d’activité commune, en dehors de l’article de la Tendance Communiste internationale.

4« La classe est-elle toujours pertinente ? Une perspective communiste anarchiste »; ACG, 24 juin 2018. [18]

528 mai 2020 ; ACG. [19]

6« Chasse aux sorcières : la diffamation de l’antisémitisme est une guerre idéologique" ; Winter Oak ; avril 2016.

7Cette controverse portait sur le fait que le parti travailliste avait initialement refusé d’accepter la définition de l’antisémitisme élaborée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste.

8https://twitter.com/davidgraeber/status/1210322505229094912 [20]…

9« Labour, the left, and the 'Jewish problem'", ICCOnline mai 2016. [21]

10« Politique identitaire et antisémitisme de gauche" ; ACG, 28 mai 2020. [19]

11Ibid.

12Ibid.

13« Black Lives Matter : two fights for racial equality" ; ACG, 26 juin 2020. [22]

14Ibid.

15« Politique identitaire et antisémitisme de gauche" ; ACG, 28 mai 2020. [19]

16« La classe est-elle toujours pertinente ? Une perspective anarchiste communiste" ; ACG, 24 juin 2018. [18]

17Le communisme anarchiste – une introduction ; ACG, 13 novembre 2017.

18« Les anarchistes et la guerre » (partie 2) : la participation anarchiste à la Seconde Guerre mondiale » [23]; Révolution Internationale n° 326.

19« Afrin : An Internationalist Position – ACG Statement" ; 3 avril 2018. [24]

20Ibid.

21Ibid.

22« Two Meetings at London Radical Bookfair 2/6/18 »; ACG, 23 mai 2018. [25]

23ACG, 10 juin 2020. [26]

24« La dernière tentative de réaffirmer les intérêts des masses ouvrières a eu lieu pendant les journées de mai de 1937. La CNT et la FAI, avec ses ministres “anarchistes” en tête, ont mis fin à l’escalade de la guerre de classes et la révolution espagnole est morte. Les militants dissidents de la CNT-FAI, les Amis de Durutti, ont résumé la situation en disant que « c’est la démocratie qui a vaincu le peuple espagnol, pas le fascisme ». L’Espagne antifasciste avait détruit la révolution espagnole et ouvert la voie à la Seconde Guerre mondiale ». (in « La tradition : d’où vient notre politique ? » ; ACG, 14 novembre 2017)

25« L’échec de l’anarchisme pour empêcher l’intégration de la CNT à l’Etat bourgeois (1931-34)" [27]; Revue internationale n° 132 – 1er trimestre 2008.

26« Les anarchistes et la guerre » (partie 2) : la participation anarchiste à la Seconde Guerre mondiale » [23]; Révolution Internationale n° 326.

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Polémique avec le Groupe Communiste Anarchiste

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