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Revue Internationale no 35 - 4e trimestre 1983

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Tensions inter-imperialistes : la bourgeoisie met a profit le recul de la lutte de classe

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Cet éditorial trace les grandes lignes de l’analyse des événements de l'été 83, au moment de la parution de ce numéro de la Revue Internationale qui est consacré aux rapports et résolutions du Sème Congrès du CCI.  Ces événements illustrent sur les menaces de guerre et les campagnes idéologiques de la bourgeoisie les orientations des textes de ce Congrès sur la situation internationale.

L'été 83 a été marqué par un réchauffement des tensions inter-impérialistes sur la scène mondiale:

-   Le conflit du Tchad en plein centre de l'Afri­que, endémique depuis plusieurs années, est passé à un niveau supérieur, par l'intervention détermi­née de forces armées du bloc occidental, et notam­ment de la France.

-   Le conflit du Liban, après plusieurs mois de re­lative accalmie, s'est brutalement rallumé, et Bey­routh est de nouveau sous les bombes.

-   Enfin, la destruction du Bœing 747 sud-coréen par la chasse russe est venu montrer l'hypocrisie du bloc américain, qui n'hésite pas à utiliser les passagers civils comme otages dans une sinistre af­faire d'espionnage, tandis que l'URSS n'a pas hésité à les tuer pour la sacro-sainte défense du territoi­re national et du secret militaire.

Une propagande intense est venue répercuter les bruits de bottes comme un écho amplifié par tous les médias qui assourdit les consciences et rallume la peur d'une troisième guerre mondiale. C'est le rôle de toute propagande de montrer que c'est l'ad­versaire l'agresseur, le barbare, le fauteur de guerre, et dans cet art, le bloc de l'Ouest est passé maître : si des troupes interviennent au Tchad, c'est pour faire face à l'agression du "fou mégalomane" Kadhafi, l'allié des russes ; si les armées américaines, françaises, italiennes et britanniques campent à Beyrouth, c'est pour "proté­ger" la liberté et l'indépendance du Liban face à l'impérialisme syrien soutenu par la Russie, etc. Autant d'alibis qui masquent l'essentiel : c'est le bloc de l'Ouest gui est à l'offensive et gui marque sa supériorité en tentant de faire disparaî­tre les vestiges de l'influence du bloc de l'Est en Afrique et au Moyen-Orient.

Alors même que les grandes puissances négocient tous azimuts sur les euromissiles et 1'armement en général, au nom de la "paix" (Madrid, Genève, etc.), jamais l'effort de guerre n'aura été aussi intense depuis la deuxième guerre mondiale. Des armements toujours plus sophistiqués et meurtriers sont mis au point, produits en grande série et implantés partout dans le monde. Pour utiliser cet armement technologique, de plus en plus les grandes puissan­ces sont amenées à intervenir directement dans les opérations militaires : l'URSS en Afghanistan, mais aussi la France au Tchad, La France encore avec les USA, l'Italie, la Grande-Bretagne au Liban, etc., sans compter les nombreuses bases militaires straté­giques installées et entretenues tout autour de la planète.

Les soi-disant divergences au sein du bloc améri­cain, entre la France et les Etats-Unis par exemple, ne sont qu'un rideau de fumée de la propagande qui cherche à masquer l'unité profonde et le partage des tâches entre alliés contre le bloc russe. Cela mon­tre que si les discours, de droite de Reagan, de gauche de Mitterrand, sont différents, les buts et les résultats sont les mêmes : militarisme et impé­rialisme pour la défense des intérêts du même camp.

Face à cette pression, l'URSS est en position de faiblesse, tant sur le plan économique, que militai­re et politique. Incapable de réellement soutenir ses  alliés de la périphérie (Libye, Syrie, Angola, etc.), doté d'un armement qui accuse un important retard technologique et empêtré dans le conflit d'Afghanistan, le bloc de l'Est est le plus fragili­sé dans la mobilisation de son potentiel militaire, par la faiblesse de son contrôle sur le prolétariat comme l'ont montré les grèves en Pologne en 80-81.

Si le bloc de l'Ouest peut tenter de mettre à pro­fit cette situation, c'est parce qu'il est parvenu jusqu'à présent à enrayer la lutte de classe dans les principaux pays- industrialisés, par une utilisa­tion intensive des mystifications démocratiques et syndicales, et des campagnes forcenées sur la guerre (Malouines, Salvador, Moyen-Orient) qui, en débous­solant la classe ouvrière, renforcent sa passivité. Les différents conflits qui amènent leur lot quoti­dien de massacres viennent rappeler au prolétariat ses responsabilités historiques. Tenaillée par la crise, la bourgeoisie mondiale intensifie ses  pré­paratifs militaires pour la guerre. Le seul obsta­cle qu'elle rencontre sur ce chemin, c'est la lutte de classe du prolétariat. Tout le verbiage diploma­tique sur la paix n'est que pure propagande ; tou­tes les guerres sont faites au nom de la paix. Il n'y a pas de paix dans le capitalisme ; seule la révolution communiste, en mettant fin au capital, peut mettre fin à la guerre et aux menaces de guerre.

Cependant, si c'est la passivité présente du pro­létariat mondial, notamment dans sa principale con­centration en Europe, qui permet l'accentuation des tensions inter-impérialistes, le chemin vers une troisième guerre mondiale n'est pas ouvert. La clas­se ouvrière est passive, mais elle n'est pas encore embrigadée et elle n'a pas été écrasée. La bourgeoi­sie de tous les pays en est bien consciente, et le bloc occidental procède avec prudence, n'engageant que ses  troupes professionnelles, et développant toute une propagande qui n'a pas pour but immédiat l'embrigadement direct, mais qui vise, en martelant la peur de la guerre, à démoraliser la classe ou­vrière et 1'empêcher de développer sa lutte.

A 1'heure où la bourgeoisie s'engage militairement de plus en plus clairement, où les budgets militai­res dévorent les budgets sociaux, où le chômage tou­che des millions d'ouvriers, où la misère imposée par l'austérité est toujours plus dramatique, la ré­ponse du prolétariat occidental est de plus en plus déterminante pour offrir une perspective aux luttes du prolétariat mondial.

De la capacité des fractions centrales de la classe ouvrière à secouer la chape de plomb de l'idéologie de résignation véhiculée par la pro­pagande bourgeoise dépend l'avenir de l'humanité : guerre ou révolution.

Questions théoriques: 

  • Impérialisme [1]

Présentation – 5°congrès du CCI.

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La vie des organisations révolutionnaires fait partie de la vie de la classe révolutionnaire. Mê­me si leur taille et leur influence sont peu impor­tantes, même si parfois certaines d'entre elles ont tendance à l'oublier, les organisations politi­ques prolétariennes sont sécrétées par le proléta­riat et sa lutte historique pour le communisme. Le comprendre, c'est avoir conscience de sa responsa­bilité.

Le 5ème Congrès du CCI, juillet 83, qui réunit des délégations en provenance de dix pays, fut ain­si, avec ses forces et ses faiblesses, non pas un événement "privé", oeuvre de quelques individus, mais un moment de la vie de la classe ouvrière. C'est dans cette optique que nous en rendons pu­blics les principaux documents dans ce numéro de la Revue Internationale.

Comme à l'habitude, notre Congrès s'est attaché aussi bien à définir les caractéristiques et les perspectives qui se dégagent de la période histori­que présente, qu'à faire le point sur 1'état de 1'orqanisation et à tracer les lignes d'orientation de son activité dans le proche avenir. Il s'est en outre penché plus spécifiquement sur la question générale du parti politique prolétarien et a adopté une "Adresse aux groupes politiques prolétariens", mettant en avant la nécessité d'oeuvrer -face à la crise qui a durement secoué depuis plus de deux ans un milieu révolutionnaire déjà faible vers un plus grand esprit de débat et de confrontation fraternels, combattant plus énergiquement que jamais tout esprit de chapelle et de sectarisme.

LA SITUATION INTERNATIONALE

"A l'aube des années 80, nous avons analysé la décennie qui commençait comme les années de vérité, les années où les convulsions et la faillite ouver­te du mode de production capitaliste allaient dé­voiler dans toute sa clarté l'alternative histori­que : révolution communiste ou guerre impérialiste généralisée. A la fin du premier tiers de cette période,  on peut constater que cette analyse s'est pleinement confirmée: jamais,  depuis les années 30, l'impasse totale dans laquelle se trouve l'économie capitaliste ne s'était révélée avec une telle évidence ; jamais depuis la dernière guerre mondiale, la bourgeoisie n'avait déplacé de tels arsenaux mi­litaires,  n'avait mobilisé de tels efforts en vue de la production de moyens de destruction ; jamais depuis les années 20,  le prolétariat n'avait mené des combats de l'ampleur de ceux qui ont secoué la Pologne et l'ensemble de la classe régnante en 1980-81. Cependant, ce n'est là qu'un début. En particulier, si aujourd'hui les dirigeants bour­geois semblent se consoler en bavardant sur la 'reprise économique',  ils ont du mal à masquer que le plus fort de la crise est devant nous. De même, le recul mondial des luttes ouvrières qui a suivi les formidables combats de Pologne ne constitue qu'une pause avant les énormes affrontements de classe qui mettront en mouvement les détachements décisifs du prolétariat mondial,  celui des grandes métropoles industrielles et notamment d'Europe occidentale". (Résolution sur la situation inter­nationale).

Le rapport (en deux parties) et la résolution sur la situation internationale publiés dans ce numéro, adoptés par le Congrès, ont ainsi particulièrement souligné, sur le plan de la vie du capital :

-   l'impossibilité pour la bourgeoisie mondiale de définir une quelconque politique économique lui per­mettant de relancer véritablement sa machine écono­mique ;

-   le fait que le capital apparaît de plus en plus comme ce qu'il est : un rapport social devenu anachronique et dont la survivance ne peut plus engen­drer que misère et barbarie ;

Et sur le plan de la lutte de classe :

-   le fait que le recul des luttes ouvrières, sur­tout en Europe occidentale, depuis 1980, produit d'une contre-offensive de la bourgeoisie au niveau international, est inévitablement momentané, les conditions de son dépassement ne cessant de se déve­lopper avec 1'approfondissement de la crise et l'usure inexorable des mystifications bourgeoises ;

-   le fait que le prolétariat, s'il se trouve en­core souvent paralysé, déboussolé devant 1'ampleur de l'attaque économique et politique du capital, maintient une combativité intacte et -contrairement aux années 30- échappe à tout embrigadement idéologique réel ;

-   le fait qu'en ce sens, le cours historique ac­tuel demeure celui ouvert depuis 1968 : vers le dé­veloppement d'affrontements de classe de plus en plus décisifs, ouvrant la possibilité du triomphe de la révolution communiste mondiale.

L'ETAT DU CCI. ET LA CRISE DU MILIEU REVOLUTIONNAIRE

Dans ces conditions, peut-on estimer que le CCI et plus généralement l'ensemble du milieu révolu­tionnaire a été et est à la hauteur de la situa­tion ?

Comment se sont adaptées, comment se préparent les organisations révolutionnaires aux échéances de l'histoire ? Voici ce qu'en dit la Résolution sur la vie et les activités du CCI adoptée par le 5ème Congrès :

"Depuis son 4ème Congrès (1981), le CCI  a connu la crise la plus grave de son existence. Une crise qui, au delà des péripéties particulières de 'l'affaire Chénier' ([1] [2]), a secoué profondément l'or­ganisation,  lui a fait frôler l'éclatement, a pro­voqué directement ou indirectement le départ d'un quarantaine de ses membres, a réduit de moitié les effectifs de sa deuxième section territoriale.  Une crise qui s'est traduite par tout un aveuglément, une dés orientation comme le CCI n'en avait pas con­nus depuis sa création.  Une crise qui a nécessite pour être dépassée,  la mobilisation de moyens ex­ceptionnels : la tenue d'une Conférence Internatio­nale extraordinaire, la discussion et l'adoption de textes d'orientation de base sur la fonction et le fonctionnement de l'organisation révolutionnaire ([2] [3]), l'adoption de nouveaux statuts".

Dès janvier 1982, le CCI affirmait dans une réso­lution de sa Conférence Internationale extraordi­naire que : "les difficultés que traverse, le CCI ne lui sont pas propres et sont une expression d'une crise qui touche l'ensemble du milieu révolu­tionnaire.  Cette crise est l'expression du fait que les convulsions des   'années de vérité',  qui tou­chent toute la société,  n'épargnent pas les groupes communistes.  Pour eux,  également les années 80 sont les  'années de vérité'  et l'histoire ne leur par­donne aucune faiblesse".

Le 5ème Congrès a tiré un bilan positif de la fa­çon dont le CCI a fait face à cette crise : "Le CCI porte avec lui l'ensemble des faiblesses qui affectent tout le milieu prolétarien.  S1il a mieux résisté à ces faiblesses,  s'il a pu s'éviter l'écla­tement dont d'autres groupes ont été victimes,  s'il a pu retrouver l'essentiel de son équilibre après la crise de 1981,  il le doit essentiellement au ca­dre solide de sa plateforme et de ses statuts, basé sur l'expérience de toute la Gauche Communiste (même s'il l'a négligée,  oubliée,  ignorée pendant quelque temps)". (Résolution sur la crise et les activités du CCI).

Avoir les moyens programmatiques et organisationnels pour permettre à 1'organisation de comprendre et de s'adapter aux exigences de la période historique, tel est un objectif permanent pour toute or­ganisation communiste si elle ne veut pas vivre à la merci de débandades de plus en plus destructri­ces dans la tourmente sociale gui se lève.

Voici comment le 5ème Congrès a concrétisé cet effort dans sa Résolution d'activités : "Le 4ème Congrès du CCI,  tenu neuf mois après les grèves de masse en Pologne,  ne pouvait encore percevoir la tendance au repli des luttes.  Le Sème Congrès, par contre, prend acte du fait que, depuis deux ans, l'offensive de l'ensemble de la bourgeoisie mondia­le,  basée sur la carte de la  'gauche dans l'opposi­tion, a été couronnée d'un certain succès,  ce qui a comme conséquence,  non seulement une diminution très sensible des combats de classe, mais également de l'audience des idées révolutionnaires  (baisse des ventes, des participants aux réunions publiques, etc.).  Cette situation n'est que temporaire, mais, tant qu'elle dure,  les révolutionnaires doivent en tenir compte afin de ne pas gaspiller leurs forces et ne pas arriver épuisés aux batailles décisives. En ce sens, reste on ne peut plus valable,  la con­signe donnée par la Conférence extraordinaire : l'organisation devra, lorsque nécessaire, opérer un repli dans l'ordre afin de consacrer le meilleur de ses efforts à ce qui est essentiel dans la pério­de présente : le renforcement du cadre politique et organisationnel. Mieux vaut moins mais mieux".

La maîtrise que doit avoir une organisation révo­lutionnaire sur sa propre activité est d'autant plus importante que la période historique n'en demeure pas moins, dans ses  tendances profondes, une pério­de de montée de la lutte de classe. L'organisation doit être prête à pouvoir accentuer son activité d'intervention en très peu de temps et sans débanda­des activistes, comme ce fut trop souvent le cas dans la période de luttes de 1978-80.

LES STATUTS

Il ne suffit cependant pas, pour une organisation communiste, de posséder une bonne analyse de la si­tuation historique et des orientations générales d'activité. Encore faut-il qu'elle dispose d'une structure et d'une forme de vie organisationnelles qui lui permet de concrétiser dans sa pratique quotidienne et avec une réelle homogénéité dans toutes ses  sections, ces orientations.

Les statuts de l'organisation sont des instruments de cet objectif. Produits de l'expérience historique de toutes les organisations communistes du passé et de la capacité de l'organisation à assimiler cette expérience et à s'en servir face aux problèmes de son époque, les statuts d'une organisation tradui­sent la maturité organisationnelle et politique de celle-ci.

Ils sont une concrétisation pratique de toutes les conceptions de l'organisation en ce qui concer­ne des questions aussi essentielles que : la com­préhension du déroulement du processus révolution­naire, de la prise de conscience de classe, la pla­ce des révolutionnaires dans ce processus, centra­lisation et démocratie ouvrière, les rapports de­vant exister au sein de la classe révolutionnaire en lutte, et donc au sein de ses organisations po­litiques. C'est ainsi que, en cohérence avec ses conceptions générales, le CCI matérialise dans ses statuts, le rejet des conceptions fédéralistes, mo­nolithiques et substitutionnistes par exemple (voir "Le fonctionnement de l'organisation des révolution­naires" dans la Revue Internationale n°33, 1er tri­mestre 1983).

En se donnant de nouveaux statuts ([3] [4]), le CCI a renforcé sa capacité à être à la hauteur des tâches de la période.

Mais si les statuts sont un cadre organisationnel immédiat, ils sont en même temps une préparation pour l'avenir. Cette préparation passe aussi par une compréhension toujours renouvelée et enrichie de ce que sont et seront la forme, la fonction et le fonctionnement des organisations communistes du prolétariat. C'est ainsi gue le 5ème Congrès a pla­cé dans son ordre du jour la question du parti.

LE PARTI

Le texte adopté par le Congrès, publié dans ce numéro, n'apporte pas d'innovations particulières à ce qu'a été l'analyse du CCI depuis ses  débuts. Il est surtout une affirmation de la méthode avec laquelle cette question doit être abordée, c'est-à-dire historiquement.

Trop souvent, les débats sur la question de l'or­ganisation communiste se sont laissés enfermer dans des analyses idéologiques (conseillisme, partidisme) où les syllogismes abstraits ignorent et manquent l'essentiel : la pratique, l'expérience historique du mouvement réel.

Les conférences de la Gauche Communiste avaient été sabordées par le PCI (Battaglia Comunista) et par la CWO (Communist Workers'Organisation) au nom des désaccords avec le CCI sur la question du par­ti. Au lieu de mener, comme le demandait le CCI, le débat sur ces problèmes au sein des conférences, publiquement, ouvertement, ces organisations ont préfère "fuir" la confrontation et imposer l'adop­tion de leur analyse sur le parti comme critère de participation aux conférences, excluant de ce fait le CCI.

La publication du document adopté par le 5ème Congrès se veut ainsi une contribution pour la pour­suite de ce débat sur la seule base gui puisse ser­vir de référence objective : l'expérience de notre classe. Il est par là un appel aux autres organisa­tions révolutionnaires à assumer leurs responsabi­lités et à prendre conscience de leur importance réelle sans surestimation mégalomaniaque ni sous-estimation auto castratrice.

L'ADRESSE AUX GROUPES PROLETARIENS.

Les classes dominantes ne craignent rien autant -et pour cause- que la perspective d'une révolution communiste.

Les groupes politiques prolétariens sont les dé­fenseurs principaux de la perspective révolution­naire ; leur affaiblissement est un renforcement des classes exploiteuses.

Face à la situation actuelle, face à la crise qui secoue encore le milieu révolutionnaire, au moment où les responsabilités de ce qui devrait être une avant-garde du prolétariat mondial décuplent, plus que jamais, doivent être combattues les tendances à l'atomisation, à 1'éparpillement activiste ou académiste, à l'esprit de chapelle, au sectarisme et au dénigrement des autres groupes que soi. Plus que jamais, il est indispensable que les groupes révolutionnaires sachent se donner les moyens d'une vie politique où les uns n'ignorent pas les autres, où le débat et la confrontation théorique ouverts permettent de dépasser les divergences et servent de point de référence pour toutes les forces com­munistes qui naissent et naîtront avec l'intensifi­cation et la généralisation des combats de classe. Tel est le sens de l'adresse adoptée par le Congrès.



[1] [5] A propos de "l'affaire Chénier", voir Revue Internationale n°28, "La crise du milieu révolutionnaire", et le "Communiqué à tous les militants révolutionnaires" publié dans la presse territoriale du CCI.

[2] [6] "La fonction de l'organisation révolutionnaire", Revue Internationale n°29; "Le fonctionnement de l'organisation des révolutionnaires", Revue Internationale n°33.

[3] [7] Il s'agit en fait d'une reformulation et précision de certains points en fonction de l'expérience acquise depuis l'adoption des premiers statuts du CCI en 1976.

Conscience et organisation: 

  • Courant Communiste International [8]

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [9]

Rapport sur la situation internationale (1ere partie)

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CRISE ECONOMIQUE : LA DESCENTE DANS L'ABIME ET L'IMPASSE DE LA CLASSE CAPITALISTE

Cette partie du rapport sur la situation internationale traite du cours de la crise économique capitalis­te mondiale qui est, en dernière analyse, le facteur déterminant dans le développement des antagonismes inter impérialistes et l’axe autour duquel oscille  le rapport de forces entre la classe capitaliste et le pro­létariat, ([1] [10]). L'évolution actuelle des antagonismes inter impérialistes et le cours de la lutte de classe ne peuvent être analysés que sur la base d'une compréhension claire du cours de la crise économique elle-même.

Au contraire des années 1929-33 qui ont vu une chute brutale de  l'économie capitaliste mondiale, la con­solidation de  la tendance universelle au capitalisme d'Etat a rendu possible un étalement de  la crise mon­diale actuelle de surproduction durant  les années 70. Le recours systématique à une expansion massive du crédit orchestrée par les banques centrales des pays industrialisés du bloc américain et, en particulier, au moyen des armes financières internationales du capitalisme d'Etat américain, le FMI, la Banque mondiale, l'Import-Export Bank, etc., a permis momentanément au capitalisme mondial de compenser le manque croissant de demande effective sur le marché mondial saturé. La création d'une énorme masse de capital fictif, auquel ne correspond aucun capital fixe véritable, n'a pu faire plus, en fait, que de fournir à l'économie mondiale, une décennie de stagnation chronique ponctuée par deux chutes brutales d'une gravité croissante de la production industrielle (1970 et 1974-75) et une inflation galopante. Cette dernière a, en 1970-80, ame­né les métropoles capitalistes elles-mêmes au bord d'une hyper-inflation qui pourrait amener à son tour rapidement un effondrement brutal de l'économie mondiale. La seule voie ouverte au capital mondial, si elle n'avait pas été bloquée par le tourbillon de l'hyper-inflation, était un tournant vers une politique éco­nomique de déflation et d'austérité. Cependant, parce que cette dernière ne peut plus être relayée par une politique keynésienne de véritable expansion du crédit, dont les doses toujours plus massives n'ont fait que permettre un étalement de la crise, le capital mondial, ces trois dernières années, a plongé tête la première dans le sombre abîme d'une dépression qui au niveau économique a déjà confirmé les analyses du CCI sur les années 80, années de vérité.

Bans ce texte nous ferons d'abord un survol de  la situation économique présente du capital mondial en se centrant sur les indices clé qui montrent clairement la condition désespérée de l'économie globale aujour­d'hui. Nous démontrerons ensuite la Marge de manoeuvre toujours plus étroite des politiques économiques utilisables par le capital pour essayer de ralentir la descente vers l'abîme.

En montrant  l'impasse dans laquelle la crise a. conduit la classe capitaliste, nous montrerons comment, du simple  point  de vue de la perspective  économique ([2] [11]), la situation de la classe capitaliste est aujour­d'hui bien pire que celle  d'il y  a cinquante ans, en 1933.

LA SITUATION ECONOMIQUE ACTUELLE DU CAPITAL MONDIAL

L’indice le plus infaillible de l'existence d'une sursaturation du marché mondial est peut­ être donné par les chiffres de la production industrielle et le pourcentage de capacité industri­elle inutilisée, La production industrielle dans les sept principaux pays du bloc américain (USA, Japon, RFA, France, Italie, Canada) a été réellement stagnante en 1981 augmentant d'un minuscule 0,8% par rapport à 1980. En 1982, la production industrielle a plongé dans ces mêmes pays tombant de 4f5% dans l'année. Aux USA, la produc­tion industrielle a commencé à chuter dans la deuxième moitié de 1981 et a décliné de plus de 12% à la fin de 1982. En Grande Bretagne, la bais­se de la production industrielle depuis son point le plus haut de 1979, est de 16% tandis qu'au Canada, la production en août 82 a été de 14,75% au dessous du point le plus haut de 1981 en juin. En Allemagne de l'Ouest, en France et en Italie où la chute a commencé un peu plus tard, la pro­duction industrielle est tombée de 6% en juillet, août et septembre 1982 ; 31,6% des installations industrielles aux USA et 31,8% au Canada ont été inemployées, expression claire de l'hypertrophie de la capacité productive face au manque chroni­que de demande effective,ce qui est la caractéris­tique essentielle de la crise permanente du capi­talisme.

La contrepartie de ce fort déclin de la produc­tion et d'une masse énorme d'usines inutilisées dans les pays du bloc américain, pays qui repré­sentent de loin la partie la plus importante de la production industrielle mondiale, a été une chute non moins dévastatrice des investisse­ments productifs. Ainsi, aux USA, entre le pre­mier et le quatrième trimestre 1982, l'investis­sement d'affaires dans de nouvelles industries et dans les machines est tombé de 14,5 %. En mê­me temps, en Allemagne de l'Ouest, l'investisse­ment en machines et équipements a chuté de 6,5 % et l'investissement dans la construction de 15 % dans la première moitié de 1982..

Dans les pays avancés du bloc américain, la saturation du marché mondial se manifeste dans la forme d'une masse croissante de marchandises invendables et une surproduction de capital pour lequel aucun investissement productif n'est pos­sible. Dans les pays du bloc russe, la même crise globale de surproduction se manifeste par les longues files d'attente devant les magasins vides et le rationnement des biens de première nécessité pour la classe ouvrière en même temps que par une pénurie chronique de capital du fait de laquelle il est vain de tenter de dépasser l'arriération qui est l'héritage historique d'un bloc impérialiste arrivé sur le marché mondial en pleine décadence du capitalisme. L'impact de la crise capitaliste sur les régimes stali­niens peut se voir dans le fait qu'en Russie même, la production industrielle a crû d'un ané­mique 2,8 % en 1982 au lieu des 4,7 % d'accrois­sement qui étaient prévus par la planification, la plus faible croissance depuis la deuxième guerre mondiale. Etant donné que le secteur mili­taire -qui, bien qu'absolument essentiel en ter­mes de compétition inter impérialiste, représen­te une stérilisation de capital- compte pour 25 % dans la production russe et que la produc­tion dans ce secteur s'accroît à un rythme ex­trêmement rapide, ceci signifie qu'il y a eu un ralentissement très brusque de la production du secteur productif de l'économie russe. Dans les économies du bloc russe plus immédiatement liées aux conditions du marché mondial, la situa­tion est encore plus dure. En Pologne, la pro­duction industrielle a décliné en 1982 de 5 % par rapport à 1981. En Hongrie et en Tchécoslovaquie, la production a été de fait stagnante, s'accroissant seulement de 1 % tandis que la pro­duction industrielle de la Roumanie a augmenté de 2,5 % au lieu des 5,5 % qu'avaient prévus les planificateurs.

Dans la poignée de pays du tiers-monde qui ne sont pas totalement dépendants de la production de denrées alimentaires et de matières premières pour l'exportation, mais qui ont aussi un secteur industriel significatif, en retrouve le même ta­bleau d'un déclin ou d'une stagnation dans la pro­duction industrielle. Au Mexique, terre du der­nier "miracle économique" des années 70, le mythe a éclaté comme une bulle et la production indus­trielle a commencé à s'enfoncer tentent à 1 % en 1982. En Argentine, la production industrielle est tombée de près de 4 % alors qu'au Brésil et en Inde, la production du secteur industriel a été stagnante.

Cette même crise de surproduction qui a amené ce déclin dans la production industrielle a aussi amené la chaos dans cette partie de l'éco­nomie consacrée à la production de denrées ali­mentaires et de matières premières. Ainsi, dans un monde où une masse toujours plus grande de la population est condamnée à la famine, 16 % de la production mondiale de céréales en 1982 a été invendable, s'ajoutant aux 35 millions de tonnes de céréales qui pourrissent déjà dans les stocks mondiaux.

La saturation du marché alimentaire et des matières premières pour lesquels il n'y a pas de demande effective a amené une chute des prix en 1982 :

Pour les paysans, ceci a signifié une crise dans des proportions dévastatrices jamais vues depuis les années 30. Toutes les récoltes (maïs, coton, sucre, soja) sent maintenant vendues en dessous des coûts de production réels des agri­culteurs. Aux USA, le géant agricole de l'écono­mie mondiale, le revenu net des agriculteurs a chuté depuis 1979 de 50 %, de 32,3 milliards de dollars à 16,5 en 1982. En même temps, l'intérêt des dettes agricoles était à lui seul de 22 mil­liards de dollars en 1982, bien supérieur au re­venu net. Le résultat a été une cascade de fail­lites et des ventes forcées d'exploitations agricoles qui se répandent comme un fléau dans les campagnes.

La saturation du marché mondial a conduit à un déclin du volume du commerce mondial pendant deux ans de suite, ceci pour la première fois depuis la fin de la guerre mondiale et la créa­tion du G.A.T.T., lorsque l'impérialisme améri­cain victorieux imposa sa version du commerce libre sur un monde prostré. A cela doit être ajouté tout l'effilochage du réseau financier complexe mis en place par l'Etat américain pour faciliter le flux du commerce sur le marché mon­dial, dont la plus grande part était tombée sous sa domination en 1945. En 1982, c'est 30 % du commerce mondial (ce qui ne s’était jamais vu), à côté des 2 % il y a deux ans, qui a pris la forme de troc. Le recours au troc a été imposé par la raréfaction des échanges extérieurs, la chute de la valeur de la plupart des monnaies et le manque de crédit disponible pour la plupart des pays du monde. Ce fait est une indication de plus que les mécanismes financiers élaborés par le capital pour relier les différentes parties du marché mondial sont en train de se désinté­grer devant ses yeux-

Le recours massif au crédit qui a permis d'évi­ter une chute brutale de l'économie mondiale pendant les années 70, mais qui a dû être restreint lorsque les pays avancés se sont heurtés à l'hyper inflation, a laissé au capital mondial un fardeau de dettes énorme et insupportable, La dette extérieure du tiers-monde et des pays du bloc russe a maintenant atteint le niveau astronomique de 853 milliards de dollar! Pris entre le poids écrasant de la dette d’un côté et la baisse de la production, des prix et du commerce de l'autre, les trois plus grands débiteurs, le Mexique (81 milliards de dollars), le Brésil (70) et l'Argentine (40), dont les "miracles économiques" avaient été bâtis sur du papier, se sont brutale­ment retrouvés en faillite en 1982. Les plus grands débiteurs du bloc russe, la Pologne (27 milliards de dollars) et la Roumanie (10 milliards de dollars) ont aussi été déclarés insolvables. C'est seulement un rééchelonnement forcené des dettes et un moratoire des paiements accordé par le F.M.I., la Banque Mondiale, et les prêteurs "privés" qui ont empêché que l'ensemble du système monétaire international ne s'effondre corme un château de cartes.

De plus, la dette et le danger de faillite du tiers-monde et des pays du bloc de l'Est ne sont tous deux que la partie visible de l'iceberg.

La dette des pays avancés du bloc américain éclipse de loin les dettes des pays pauvres et a rendu précaire la situation financière de ces géants industriels eux-mêmes. Aux USA le résultat cumulatif de l'hypertrophie du crédit est une dette du secteur public et privé qui a maintenant atteint le niveau incroyable de 5 000 milliards de dollars !

Oie crise capitaliste est toujours une crise du profit dans laquelle, non seulement le taux de profit, mais également la masse de profit s'effon­drent. La situation du capital américain, capital national dominant dans le monde, peut probablement illustrer l'état de plus en plus précaire de l'indice le plus important de la santé de l'éco­nomie capitaliste. Aux USA, les profits industriels avant impôts, qui atteignaient un montant annuel de 260 milliards de dollars au premier trimestre de 1980, sont tombés à un montant de 170 milliards à la fin de 1982. Les profits après impôts des plus grandes compagnies américaines sont tombés de presque 20 % en 1982. Dans l'industrie clé du pétrole, les profits des vingt-cinq plus grandes compagnies américaines sont tombés de 27 % en 1982. Derrière cette chute .dramatique de la masse de profit, il y a le fait que des secteurs criti­ques des industries de base aux USA travaillent à perte : acier, automobiles, machines-outils, ma­tériel agricole, métaux non ferreux, mines.

L'industrie américaine de l'acier, pour prendre un exemple significatif, a perdu 684 millions de dol­lars en 1982.

L'accroissement énorme du chômage est à la fois et en même temps l'expression de la barbarie du capitalisme qui condamne une masse toujours crois­sante de l'humanité au rebut, et la démonstration de la faillite historique d'un mode de production qui ne peut plus exploiter de manière rentable la force de travail de ses esclaves salariés. Dans les pays industrialisés du bloc américain, il y a maintenant 32 millions de chômeurs sur la base des chiffres officiels des gouvernements, qui ca­chent évidemment la profondeur réelle de la catas­trophe (ainsi, si le chômage aujourd'hui était mesuré sur la même base que dans les années 30 aux USA, le taux de chômage des ouvriers améri­cains serait à son plus haut niveau depuis 1935 !) L'extension de 1'accroissement du chômage dans ces pays est un des indices les plus clairs de la plongée du capitalisme dans l'abîme :

En même temps, dans les pays arriérés, le capi­talisme poursuit -à un taux plus rapide encore un processus effroyable de création d'une masse permanente de sans emplois vivant dans des condi­tions sous humaines dans d'énormes bidonvilles ou mobilisés pour travailler à la campagne dans des bataillons de travail d'esclave (Chine, Viet­nam. ) .

Trois ans de politique déflationniste dans les métropoles du bloc américain, après une décennie durant laquelle une chute abrupte à la 1929 n'a été évitée que par la création d'une masse de valeurs-papier, ont accéléré la plongée sans ce­pendant écarter le spectre de l'hyper-inflation. Un grand nombre d'économies de premier plan sont restées soumises à une inflation à deux chiffres à la fin de 1982 :

TAUX ANNUEL D'ACCROISSEMENT DES PRIX A LA CONSOMMATION

Un déficit budgétaire aux USA de plus de 200 milliards de dollars pour 1983 ; des emprunts extérieurs massifs de pays comme la France, le Canada, l'Espagne et l'Italie pour soutenir leurs économies qui s'effondrent, et ceci avec des taux d'intérêt qui restent à des niveaux historiques tant ils sont élevés ; tout indique que le tour­billon inflationniste reste un danger réel pour l'économie capitaliste définitivement malade.

Tous les indices montrent donc qu'au cours de ces trois dernières années, la crise économique mondiale a franchi un pas qualitatif à partir duquel -comme nous allons le montrer maintenant -aucune reprise n'est possible.

L'impasse de la classe capitaliste.

Même à  l’époque d'une crise historique du mode de production capitaliste qui pose l'alternative de la guerre impérialiste mondiale ou de la révo­lution prolétarienne comme seules sorties possi­bles de l'effondrement économique, le cours de la crise n'est jamais linéaire. La crise garde sa caractéristique d'avancer en zigzags, bien que fondamentalement elle tende à être toujours plus profonde. Par conséquent, la descente du monde capitaliste dans l'abîme de la dépression n'est pas incompatible avec des reprises courtes, cy­cliques, limitées dans le temps et dans l'espace. De fait, l'économie américaine commence proba­blement déjà à faire l'expérience d'une telle re­prise. Cependant, contrairement à la situation d'après 1933, lorsqu'il a été possible pour le capital de stimuler l'économie pour une période de cinq ou six ans à travers la consolidation du capitalisme d'Etat et une variété de politiques économiques keynésiennes, aujourd'hui, de telles politiques, et par conséquent une reprise du même type, sont exclues.

L'année 1933 a vu Roosevelt et Hitler arriver au pouvoir respectivement aux Etats-Unis et en Allemagne, au milieu d'un effondrement économique quasi-total. En Allemagne, Hitler et son tsar de l'économie, Hjalmar Schacht, lancèrent un program­me de relance basé sur l'autarcie et le finance­ment déficitaire de grands travaux publics et de projets d'armements. La production en Allemagne s'accrût de 90 % entre 1933 et 1938, alors que le chômage tombait de 3,7 millions d'ouvriers à 200 000 dans la même période. Roosevelt et son "brains trust" utilisèrent le protectionnisme, à commencer par le "Scoot-Hawley tariff" de 1930 et une combinaison de politiques keynésiennes consistant en des dépenses déficitaires, l'expan­sion du crédit, l'inflation monétaire et la créa­tion d'un "salaire social" pour compenser le manque de demande effective ([3] [12]), qui amenèrent une croissance annuelle du produit national brut de 9,1 % de 1933 à 1935 et de 9,8 % de 1935 à 1938. Il est certain que la grande expansion du capita­lisme d'Etat et l'utilisation des politiques keynésiennes, qui furent à la base des cinq années de relance, n'ont pu fournir aucune solution à la crise historique du capitalisme. Aux Etats-Unis, de septembre 1937 à juin 1938, la production in­dustrielle a chuté de 30 % alors que le chômage augmentait de 22 %. Avant que cette nouvelle étape dévastatrice de la crise économique n'ait pu s'étendre à 1'Europe, la deuxième boucherie inter­ impérialiste avait commencé et le capitalisme avait de ce fait apporté à la crise économique la seule "solution" dont il est capable.

La situation à laquelle fait face le capital mondial aujourd'hui est qualitativement différente

de celle qui prévalait en 1933. Le type de politi­que qui a permis à la classe capitaliste d'effec­tuer une reprise économique pendant cinq ans, du­rant lesquels les préparatifs économique, militai­re et idéologique pour la guerre mondiale impéria­liste ont été parachevés, n'est pas possible dans la conjoncture actuelle. La tendance universelle au capitalisme d'Etat, qui a été la réponse du ca­pital à la nécessité de centraliser et d'organiser son appareil productif pour la guerre mondiale en 1914-1918, avait été atténuée de façon considéra­ble durant la phase de reconstruction des années 20. Par conséquent, l'utilisation pendant de nom­breuses années, de mesures capitalistes d'Etat après 1933, ont eu pour effet de rationaliser un appareil productif et financier qui était devenu obsolète par rapport aux besoins du capital lui-même confronté à une crise permanente.

Aujourd'hui, cependant, après cinquante ans d'expansion quasi-ininterrompue du capitalisme d'Etat, que ce soit sous la forme stalinienne ou "démocratique", la base économique capitaliste s'écroule sous l'énorme poids du parasitisme de l'Etat Léviathan. Les mesures capitalistes d'Etat supplémentaires -cependant nécessaires du fait que le capital réagit aux antagonismes inter­ impérialistes croissants et au danger de la lutte de classe prolétarienne- loin de stimuler une reprise économique, ne font que constituer un fardeau encore plus lourd sur une économie qui étouffe sous le poids improductif d'une bureau­cratie parasitaire.

Les politiques économiques inflationnistes in­troduites après 1933 faisaient suite à quatre ans de déflation et de chute rapide des prix, pé­riode pendant laquelle d'énormes dettes furent liquidées. Il en résulta une vaste expansion du crédit et un financement déficitaire massif qui pouvaient compenser un manque de demande effecti­ve sans provoquer immédiatement une inflation galopante ou un effondrement du système monétaire. Aujourd'hui, bien qu'après des décennies durant lesquelles la drogue du crédit a été administrée à profusion à une économie capitaliste embourbée dans une crise permanente, le capital mondial titube à la limite d'une hyper-inflation et suf­foque sous une montagne de dettes. Ces politiques économiques très keynésiennes doivent être main­tenant abandonnées si le malade capitaliste ne veut pas mourir d'une overdose de la drogue mortelle qui a été utilisée pour le maintenir en vie ces dernières années.

Après 1933, l'expansion du "salaire social", cette partie du coût de production et de repro­duction de la marchandise force de travail (ca­pital variable) payée directement par l'Etat, qui a été au départ un moyen de soumettre la classe ouvrière à l'Etat capitaliste, a aussi agi comme un stimulant de l'économie en crise. La croissan­ce du salaire social a toujours été liée aux po­litiques inflationnistes keynésiennes ; il s'en­suit que dans la situation présente, le salaire social est partout soumis à une attaque en règle et sauvagement amputé. Le démantèlement du "Welfare State" (Etat "providence"), nécessairement pris en charge tout autant par les gouvernements de gauche que de droite, supprime un des appuis idéologiques clé de la domination capitaliste sur le prolétariat ; en même temps, ceci amènera un rétrécissement accru d'un marché qui est déjà trop petit pour absorber la pléthore de marchan­dises que l'industrie est capable de produire.

L'économie de guerre, qui a été le véritable axe autour duquel le capitalisme d'Etat s'est dé­veloppé, et qui a commencé dans les années 30, n'a jamais été une politique économique en aucune manière, une tentative de vaincre les barrières intrinsèques de l'accumulation du capital, car la production d'armements constitue une stérilisa­tion de capital. Elle est par nature improductive en termes capitalistes. La fonction véritable de l'économie de guerre est toujours une préparation directe à la guerre inter impérialiste elle-même. Néanmoins, après 1933, dans le cadre de la période de déflation sauvage qui venait juste de se produi­re, l'économie de guerre pouvait avoir l'effet sub­sidiaire d'un stimulant momentané de l'économie. Aujourd'hui, alors que la production d'armement doit croître à un taux toujours plus rapide du fait que les deux blocs se préparent pour la guerre, son impact économique -tout au contraire des années 30- sera désastreux pour le capital. Face à des déficits budgétaires déjà incontrôlables, l'augmentation massive des dépenses militaires, que la croissance des antagonismes inter impérialistes rend nécessaire, est un fardeau économique qui ne fait qu'accélérer la descente du capitalis­me dans l'abîme.

Après 1933 l'autarcie et le protectionnisme ont été utilisés par Hitler et Roosevelt, en même temps qu'un financement déficitaire, pour combat­tre temporairement la saturation du marché inté­rieur alors même que le commerce mondial stagnait. Aujourd'hui l'extrême interdépendance des économies capitalistes avancées du bloc américain sous la domination des Etats-Unis, est telle que les fractions dominantes du capital dans chaque pays sont liées à là version américaine imposée du "libre-échange" qui a prévalu depuis 1945. Il est certain qu'il y a des voix et des secteurs crois­sants du capital dans chaque pays qui réclament un retour au protectionnisme, mais ceux-ci restent concentrés dans les secteurs les plus anachroniques et les plus faibles de chaque économie. Une poli­tique de protectionnisme ou d'autarcie est combat­tue par les secteurs les plus puissants de la classe capitaliste parce qu'elle menace directe­ment d'exacerber l'effondrement du commerce mondial et le système monétaire international, aussi bien que la cohésion même du bloc américain. La valeur réelle du protectionnisme pour le capital aujour­d'hui n'est pas celle d'une politique économique comme dans les années 30, mais celle d'une mysti­fication nationaliste pour tenter de dévoyer la lutte de classe, un instrument particulièrement important pour la gauche du capital dans l'oppo­sition 

Ce que nous constatons maintenant n'est rien moins que la faillite complète du keynésianisme, des politiques économiques sur lesquelles le ca­pitalisme s'est appuyé depuis les années 30. L'Etat ne peut plus compenser le manque de deman­de effective sur un marché saturé au travers de politiques inflationnistes qui ont été la cheville ouvrière du keynésianisme. Qui plus est, alors que la direction de l'Etat et le contrôle sur l'éco­nomie -qui est l'autre base du keynésianisme -vont continuer à s'accroître à un taux toujours plus rapide, il est maintenant plus que clair que ceux-ci ne peuvent fournir aucune "solution" à la crise économique. La faillite du keynésianisme est la manifestation éclatante de l'impasse de la classe capitaliste, la confirmation du fait qu'en termes économiques, la perspective à laquel­le fait face le capital mondial est beaucoup plus sinistre qu'elle ne l'était en 1933.

Le long recours au keynésianisme ayant brisé les véritables bases qui permettaient la poursuite de ces politiques inflationnistes, le capital n'a plus de nouveau palliatif économique pour les remplacer. La seule politique ouverte au capital aujourd'hui est la déflation et l'austérité, poli­tique économique qui ne peut que pousser le capi­tal plus loin dans l'abîme de la dépression mon­diale, tout en détruisant en même temps les bases sur lesquelles il a cherché à maintenir un semblant de contrôle idéologique sur le prolé­tariat (Welfare State, "salaire social", etc.).

Empêcher l'éclatement de l'ensemble du système monétaire international -véritable colonne ver­tébrale du capital mondial- par l'hyper-inflation, exige des politiques d'austérité et de déflation qui vont accélérer le plongeon de la production industrielle et du commerce mondial. Cependant, ces politiques vont elles-mêmes toujours générer de nouvelles pressions vers une faillite généra­lisée des nations et entreprises débitrices, ce qui a aussi pour résultat l'effondrement vérita­ble du système monétaire que les mesures d'austé­rité tentent de prévenir. Le dilemme est insolu­ble, sinon par une destruction des valeurs capi­talistes et une re division du marché mondial qui ne peut se faire qu'à l'échelle d'une troisième guerre mondiale -quoique la destruction physique d'un tel holocauste rendrait probablement problé­matique toute sorte de "reconstruction". Néanmoins, c'est le seul pas que le capital -par la nature de ses propres contradictions- doive faire. Ceci signifie que le capital doit tenter de répondre à cette nouvelle étape dans le déroulement de sa crise historique, non par des politiques économi­ques, qui ne sont aujourd'hui rien de plus qu'une opération de colmatage à très court terme, mais par une stratégie politique destinée d'abord à dévoyer ensuite à défaire la classe ouvrière. Seule une telle défaite peut ouvrir la voie à la "solution" capitaliste.


[1] [13] Ceci, bien sûr, ne doit pas nous amener à ignorer le fait que les moyens par lesquels la bourgeoisie réagit aux antagonismes inter impérialistes et à la lutte de classe peuvent eux-mêmes affecter la maniè­re dont s'étend la crise économique.

[2] [14] La situation de la classe capitaliste vis-à-vis du prolétariat est traitée dans l'autre partie du rapport sur la  situation  internationale.

[3] [15] Il  est  clair que la  fonction objective de  toutes ces politiques était  de soumettre le prolétariat à l'Etat capitaliste et permettre à l'impérialisme de parachever sa mobilisation pour la guerre mondiale.

Conscience et organisation: 

  • Courant Communiste International [8]

Récent et en cours: 

  • Crise économique [16]

Rapport sur la situation internationale : (2ème partie)

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LE RAPPORT DE FORCES ENTRE CLASSE OUVRIERE ET BOURGEOISIE

"Le coup de force du 13 décembre 1981 a mis fin à 1'épisode le plus important depuis  un  demi-siècle du long combat entre classe ouvrière mondiale et capital. Depuis le resurgissement historique de la lutte prolétarienne à  la  fin des années 60, jamais la classe ouvrière n 'était allée en effet aussi loin dans la combativité, la solidarité et 1'auto-organisation. Jamais elle n'avait employé avec au­tant d'ampleur cette arme essentielle de sa lutte dans la période de décadence du capitalisme : la grève de masse. Jamais elle n'avait  infligé à la bourgeoisie de telles craintes, ne l'avait contrain­te à déployer autant de moyens de défense. Aujourd'hui, le prolétariat est muselé en Pologne. Une nouvelle fois, il a versé son  sang et, contrairement à ce qui  s'était passé en 1970 et 1976, c'est pour subir une exploitation décuplée, une misère accrue proche de la  famine, une terreur déchaînée. C'est donc par une défaite pour la classe ouvrière que  se clôt cet épisode. Mais  au moment où la coa­lition de toutes  les forces bourgeoises et la force des armes  l'obligent à quitter la scène en Polo­gne, il importe que le prolétariat mondial tire  un maximum de leçons de l'expérience qu'il vient de vivre. Il importe qu'il puisse répondre, et avec lui  son avant-garde communiste, à la question : Où en sommes-nous ? Quelle perspective pour la lutte de classe ?", (Revue Internationale n°29 "Après la répression en Pologne : perspectives des luttes de classe mondiales", 2ème trim.82) .

OU EN EST LA LUTTE DE CLASSE?

Par la grève de masse, les ouvriers de Pologne ont donné en Août 80 une réponse aux questions po­sées dans la lutte, et non résolues par leurs frè­res de classe d'Europe occidentale :

-   la nécessité de l'extension de la lutte (grè­ves des dockers de Rotterdam en automne 79) ,

-   la nécessité de son auto organisation (sidé­rurgie en Grande-Bretagne au printemps 80) ,

-   l'attitude face à la répression de l'Etat (lutte des sidérurgistes de Longwy-Denain en hiver 79).

Leur combat a ainsi confirmé ce que les grèves de 78-80 en Europe occidentale annonçaient : la fin du reflux de la lutte de classe, reflux qui avait marqué le milieu des années 70.

Il a montré au prolétariat mondial la véritable nature -capitaliste- des soi-disant "pays socialis­tes", levant ainsi une mystification déjà bien en­tamée, mais jusque là toujours vivace au sein de la classe ouvrière.

Ce combat a constitué concrètement un frein aux tensions impérialistes, paralysant le dispositif militaire russe en Europe de l'Est, montrant; à l'en­semble de la bourgeoisie mondiale la combativité du prolétariat au coeur de l'Europe.

Cependant, les ouvriers de Pologne sont restés isolés, l'appel que constituait leur lutte n'a pas été entendu. La question à laquelle ils ne pouvaient répondre par eux-mêmes c'est celle de la générali­sation des combats de classe, l'entrée dans la lut­te des prolétaires des autres pays.

La défaite en Pologne n'est pas uniquement une défaite des ouvriers de Pologne, elle est celle de l'ensemble du prolétariat. Elle est l'expression de la faiblesse du prolétariat mondial. Les mysti­fications qui ont permis à la bourgeoisie de dé­voyer la lutte de classe et d'imposer la répression sont fondamentalement les mêmes auxquelles se sont trouvés confrontés les ouvriers d'Europe occiden­tale : démocratisme, nationalisme, syndicalisme. Ce sont les mêmes qui ont permis à la bourgeoisie d'imposer un recul des luttes aux ouvriers d'Euro­pe de l'Ouest, dont la défaite en Pologne est le résultat.

Le prolétariat d'Europe occidentale est au coeur du monde capitaliste. Fraction du prolétariat mon­dial ayant le plus d'expérience, il est aussi con­fronté aux mystifications bourgeoises les plus éla­borées. Si la lutte en Pologne a pu faire prendre conscience de la nature capitaliste des pays de l'Est, seule la lutte du prolétariat occidental pourra réellement purger la conscience des ouvriers du monde entier des illusions démocratiques, nationalistes et syndicalistes qui sont une entrave à la lutte du prolétariat partout.

Après les grèves de 78 à 80, on a assisté à un recul des luttes en Europe occidentale. La contre-offensive de la bourgeoisie a commencé à la fin des années 70 avec la réorganisation de l'appareil politique (gauche dans l'opposition), le dévelop­pement du syndicalisme de base, les campagnes idéologiques de désorientation du prolétariat. Toute cette stratégie, orchestrée de manière de plus en plus organisée et unifiée au niveau mondial, a abouti à un affaiblissement de la lutte ouvrière en Europe de l'Ouest. De plus, l'absence de réac­tion ouvrière claire contre la participation di­recte des contingents français et italiens au Li­ban ainsi que du contingent britannique au conflit des Malouines, dans le contexte d'un alourdisse­ment constant des budgets militaires et des bruits de bottes assourdissants répercutés par les médias, a pu faire douter certains de la capacité du prolé­tariat d'Europe occidentale à assumer ses respon­sabilités historiques, à s'opposer à la réponse bourgeoise à la crise du capitalisme : la guerre impérialiste généralisée.

La première et la seconde guerre mondiale ont été déterminées par la capacité de la bourgeoisie à mettre à profit les faiblesses du prolétariat européen pour l'embrigader derrière ses objectifs impérialistes.

Aujourd'hui, avec le recul du prolétariat mondial concrétisé par la défaite en Pologne, et les tam­bours guerriers qui résonnent, vient se profiler sur la classe ouvrière le spectre des années 30 et de la seconde guerre mondiale. Tirer le bilan de ce recul des luttes de classe ne doit pas nous ame­ner à des conclusions alarmistes. La bourgeoisie a entamé une nouvelle offensive contre le proléta­riat, mais les conditions, les raisons et la natu­re même de cette offensive en montrent les limites.

Aujourd'hui, la situation est bien différente de celle des années 30. C'est ce que nous démontrons dans la partie qui suit.

LA DIFFERENCE ENTRE LES ANNEES 30 ET LA PERIODE ACTUELLE

1. Le prolétariat n'est pas vaincu aujourd'hui.

La génération de prolétaires qui se trouve con­frontée à la crise ouverte du capitalisme qui com­mence en 1929 et va déboucher sur la guerre de 1939-45 est la même qui a vécu 1' écrasement de la vague révolutionnaire des années 1917-23. De cet échec le prolétariat mondial en sort avec un poten­tiel de combativité profondément diminué, notamment là où la perspective révolutionnaire s'est manifes­tée avec le plus de force, en Allemagne et en Rus­sie.

Mais, même dans les pays où cet écrasaient n'a pas été aussi violent, comme pour les démocraties occidentales (France, Grande Bretagne, USA), la combativité du prolétariat s'est trouvée profondé­ment affectée par son déboussolement idéologique lié à la défaite de la révolution et à l'effondre­ment de la 3ème Internationale qui en a découlé.

L'échec de la révolution est une défaite du pro­létariat mondial et c'est au niveau mondial que le prolétariat a été affaibli. Tel fut le facteur es­sentiel qui a permis à la bourgeoisie d'organiser l'embrigadement des prolétaires dans la seconde guerre mondiale.

Aujourd'hui, la situation est bien différente. La génération de prolétaires qui se trouve confron­tée à la crise du capital qui, de nouveau, a ressurgi de manière ouverte, ne se relève pas de la défaite d'une vague révolutionnaire. Dans la pério­de du second après-guerre, la bourgeoisie a assuré son contrôle sur le prolétariat bien plus grâce aux illusions permises par la relative prospérité liée à la reconstruction que par la répression di­recte. Ainsi, alors que l'aggravation lente mais inexorable de la crise entame ces illusions, le potentiel de combativité de cette nouvelle généra­tion de prolétaires demeure intact.

Le prolétariat, bien que déboussolé par son man­que d'expérience -produit de 50 années de contre-révolution-, n'en est pas pour autant démoralisé et surtout il n'est pas embrigadé derrière la dé­fense de l'Etat, laquelle ouvre le chemin à la guerre. De ce point de vue, la condition première de l'éclatement d'une 3ème guerre mondiale est ab­sente.

2. La marge de manoeuvre de la bourgeoisie s'est restreinte

Cependant, la différence entre la situation pré­sente et celle des années 30 ne se situe pas seule­ment au plan des conditions historiques de la lut­te du prolétariat.

L'histoire ne se répète pas : depuis son entrée dans la période de décadence, le capitalisme a continué de se transformer. Et si les causes de sa crise ouverte sont fondamentalement les mêmes, les caractéristiques de son développement ont changé. Cette réalité se traduit au niveau des formes de contrôle que la bourgeoisie essaye d'é­tablir sur le prolétariat.

Malgré toutes les politiques de capitalisme d'Etat systématisées depuis les années 30, la cri­se économique présente ne fait que s'aggraver. Cet­te aggravation montre de manière limpide la réelle inefficacité, dans la période actuelle, des politi­ques d'étatisation de 1'économie qui, lors de la crise des années 30, avait permis à la bourgeoisie d'obtenir le répit lui permettant de parachever l'embrigadement du prolétariat pour la guerre.

En effet, pour qu'une mystification soit à même de jouer son rôle vis-à-vis du prolétariat, il faut qu'elle s'appuie sur un semblant de réalité. L'"ef­ficacité" des mesures de capitalisme d'Etat dans les années 30 qui ont permis à la bourgeoisie de redresser provisoirement la situation économique est avant tout liée à leur nouveauté. Les illusions sur l'économie ont permis à la bourgeoisie d'asseoir les illusions politiques, de désamorcer la comba­tivité ouvrière. Le capitalisme d'Etat s'est caché derrière le mythe de 1'Etat-social : national-socia­liste en Allemagne, populaire en France ou en Es­pagne, Etat-providence ou Welfare state aux USA. L'Etat social est le volet politique destiné au prolétariat, corollaire du capitalisme d'Etat sur le plan économique, qui a permis jusqu'à aujourd'hui à la bourgeoisie de maintenir la classe ouvriè­re dans les fers de la contre-révolution derrière l'étendard de la démocratie.

Grâce aux mesures de capitalisme d'Etat, la bour­geoisie a pu contenir momentanément les manifesta­tions les plus flagrantes de la crise économique et grâce au Welfare state, elle a pu éviter la cri­se politique. Mais la crise qui se développe au­jourd'hui, malgré l'intervention intensive de l'Etat dans la vie économique, tend à rendre cadu­ques les illusions liées au Welfare state et, de manière générale, les illusions démocratiques. La bourgeoisie ne parvenant plus à réellement frei­ner les effets de la crise, toute la base de son contrôle sur le prolétariat durant des décennies se trouve donc sapée; elle est ainsi poussée vers la crise politique.

La crise économique du capitalisme pousse au­jourd'hui la bourgeoisie dans une impasse face à; la classe ouvrière. Elle pousse les deux classes vers l'affrontement parce que les armes idéologi­ques de la bourgeoisie sont rendues caduques par la faillite économique de son système. Durant les années 30, la bourgeoisie avait pu faire croire que l'effondrement de 1929 exprimait uniquement la faillite du capitalisme privé, ce qui lui per­mettait ainsi de préserver l'essentiel : l'idée que l'Etat se posait au-dessus des classes, qu'au sein de l'Etat la classe ouvrière avait sa place, qu'elle pouvait y défendre ses intérêts. La crise économique montre aujourd’hui à l'évidence, ainsi que l'ont toujours proclamé les révolutionnaires, que tout cela n'est qu’illusion.

Dans la réalité pratique de son existence, le prolétariat commence à voir l'Etat pour ce qu'il est : un instrument de coercition au service d'une classe, la classe dominante. Ainsi tendent à deve­nir caduques toutes les mystifications qui ont mas­qué aux yeux du prolétariat la réalité totalitaire de l'Etat capitaliste.

3. Une illustration de ces différences : la question du chômage

Le krach de 1929 va précipiter des millions de prolétaires dans le démènent le plus total. De 1929 à 1934, le chômage ne cesse de s'accroître. Mais la mise en place des mesures de capitalisme d'Etat va permettre ensuite de le réduire momenta­nément : politique des grands travaux aux USA (Tennessee Valley Authority), développement de l'économie de guerre en Allemagne et en Grande-Bretagne, sans que pour autant le taux de chômage ne redescende jamais au niveau d'avant 1929. Mais cela va permettre à la bourgeoisie de renforcer l'idée qu'il existe une solution réelle à la cri­se du capital : l'intervention de l'Etat. De plus, la mise en place par l'Etat d'allocations-chômage, d'aide aux chômeurs sous différentes formes -aide qui n'existait pas auparavant- , va permettre de renforcer au sein du prolétariat la confiance dans l'Etat, protecteur des ouvriers face au capitalis­me privé et "sauvage".

Durant les années 30, la bourgeoisie a pu ainsi désamorcer la bombe sociale que constituait le chô­mage. Après les luttes déterminées des chômeurs, notamment aux USA en 1930, 31, 32, la politique de l'Etat va permettre de résorber la combativité ou­vrière et de préparer l'embrigadement idéologique du prolétariat derrière l'Etat de gauche, démocra­tique, qui défend les ouvriers face au grand capi­tal ([1] [17]). C'était ainsi préparer le futur embrigade­ment dans la guerre impérialiste.

Aujourd'hui, la situation est radicalement dif­férente. Le chômage se développe régulièrement, inexorablement, sans que la bourgeoisie n'ait de mesure économique à sa disposition pour l'endiguer ni d'illusion politique pour le faire accepter. D'ores et déjà dans les pays développés, le niveau de chômage atteint des taux qui étaient ceux de la fin des années 30. Comme l'a montré l'échec des politiques de relance durant les années 70, au­cune relance future ne pourra le résorber; au con­traire, face à la concurrence exacerbée sur le marché mondial, les investissements ont pour ob­jectif bien plus l'augmentation de la productivi­té que l'élargissement de la production.

De plus, à l'inverse des années 30, l'Etat capi­taliste ne peut plus asseoir son contrôle sur sa soi-disant "générosité" par le renforcement de la protection sociale des chômeurs; au contraire, il ne peut qu'attaquer les "acquis" du Welfare state, mis en place après la crise de 1929 et perfection­nés durant la reconstruction. L'Etat capitaliste n'a plus les moyens économiques de sa politique de mystification du prolétariat, politique qui lui a permis d'assurer sa domination jusqu'à aujourd'hui. Dans la pratique, la bourgeoisie est ainsi amenée à détruire les bases de son contrôle idéo­logique sur le prolétariat.

4. La question de la guerre

Une des caractéristiques des années 30 consis­tait dans la préparation à la seconde guerre mon­diale d'une part par l'augmentation des programmes militaires, et d'autre part par le développement de conflits localisés à la périphérie tels que les conflits entre la Chine et le Japon, l'inva­sion italienne en Ethiopie, la guerre en Espagne, l'Anschluss de l'Allemagne nazie sur l'Autriche.

De ce point de vue, sommes-nous dans la même situation que celle qui précéda la seconde guerre mondiale ?

L'augmentation, ces dernières années, des pro­grammes militaires dans tous les pays -et notam­ment ceux les plus puissants, qui étaient déjà les plus armés- montre que, comme dans les années 30, la pression de la crise pousse la bourgeoisie vers des tensions impérialistes croissantes. Chaque bloc renforce effectivement de manière accélérée son dispositif militaire.

Par ailleurs, certains conflits se déployant à la périphérie rappellent les conflits qui ont pré­cédé la seconde guerre mondiale : l'invasion de l'Afghanistan avec la présence directe de 100 000 soldats russes, l'intervention israélienne au Li­ban pour expulser la présence soviétique de la ré­gion, les différents conflits en Afrique et en Asie, où le bloc russe se bat par soldats cubains, libyens ou vietnamiens interposés, et même la guer­re entre l'Irak et l'Iran qui a fait déjà 300 000 morts et blessés, où l'URSS n'est pas présente mais qui a pour but de restaurer efficacement le dispositif militaire du bloc occidental affaibli en Iran, face à l'offensive russe en Afghanistan.

Tous ces conflits sont, en effet, l'expression des tensions impérialistes réelles qui déchirent le monde.

Cependant, -et là réside toute la différence en­tre la situation présente et celle des années 30- d'autres conflits ouverts, tels que ceux du Sal­vador ou des Malouines, bien qu'ils se situent dans le contexte de l'impérialisme mondial, ne sont pas l'expression de réelles rivalités impéria­listes, ni locales, ni mondiales. Ces "guerres" servent d'abord à alimenter le matraquage idéolo­gique intense auquel la bourgeoisie soumet le pro­létariat. Tous ces bruits de bottes sont amplifiés démesurément par les vociférations des médias qui étalent dans tous les foyers les horreurs de la guerre, semant la crainte d'une 3ème guerre mon­diale.

Les événements de Pologne montrent le but d'un tel battage. Les grèves en Pologne ont été le pré­texte d'une propagande hystérique des deux blocs, l'URSS dénonçant les "ingérences inacceptables" de l'Occident, les USA et leurs alliés poussant des cris d'orfraie devant la menace d'une inter­vention russe. L'histoire se répétait-elle, la Pologne où avait débuté la seconde guerre mondia­le serait-elle à l'origine d'une troisième ?

En réalité, derrière cette façade belliciste se cachait le fait que les deux blocs travaillaient en sous mains ensemble pour mater les luttes ou­vrières en Pologne. Par l'envoi de crédits, l'oc­cident a permis à la bourgeoisie de l'Est de tenir face au prolétariat, grâce à sa propagande rela­yée par ses radios style Free Europe ou BBC inter­national en Polonais, l'occident a accrédité le danger d'une intervention russe pour intimider les ouvriers de Pologne. En occident même, la bour­geoisie a tout fait pour en faire un problème po­lonais afin d'isoler le prolétariat en claironnant que la grève de masse en Pologne créait un danger de guerre, elle a répandu l'idée que la lutte de classe menait à la guerre impérialiste.

On voit quel usage la bourgeoisie fait de sa propagande belliciste : diviser et intimider le prolétariat. Cette préoccupation est déterminante pour la bourgeoisie, dans la mesure où le prolé­tariat mondial, et notamment le prolétariat euro­péen n'est pas embrigadé dans la guerre.

Là est la différence fondamentale par rapport aux années 30. A cette époque, le prolétariat de Russie et d'Allemagne physiquement écrasé dans les années 20 était incapable de s'opposer à la guerre. En occident, les campagnes antifascistes ont réussi à permettre l'enrôlement derrière l'étendard démocratique.

Le prolétariat aujourd'hui, n'est pas embrigadé en Europe, au coeur même des contradictions capi­talistes, là où se sont déjà déchaînées deux guer­res mondiales : l'Europe qui est l'enjeu d'une éventuelle 3ème guerre mondiale. Cela se traduit dans le fait que les conflits restent à la péri­phérie où des fractions plus isolées et plus fai­bles du prolétariat peuvent être embrigadées derrière les illusions nationalistes. Mais même en Israël, où la bourgeoisie a eu beau jeu de jouer sur des spécificités historiques et locales, il est de plus en plus difficile de justifier aux yeux du prolétariat la nécessité de la guerre, contre l'ont montré les résistances parmi les sol­dats face à l'intervention au Liban en 82.

Le manque de réaction du prolétariat de diffé­rents pays d'Europe face à l'envoi de contingents professionnels aux Malouines et au Liban n'est certes pas un signe de la force de la classe ou­vrière, mais il n'exprime pas cependant une adhé­sion du prolétariat. Le seul moment où on a vu de réelle réaction de la classe ouvrière face à la guerre, c'est dans la guerre elle-même, que ce soit en 1917 sur le front de la Marne ou sur le front russe, en 1943 en Italie ou en 1945 en Alle­magne.

La lutte du prolétariat contre la guerre passe par sa lutte contre les attaques de la bourgeoi­sie sur le plan économique. C'est de cette lutte que surgira la conscience de la nécessité de me­ner le combat contre la guerre impérialiste. Car c'est à ce niveau que se concrétisera l'alternati­ve : du beurre ou des canons.

Tant que cette fraction déterminante du prolé­tariat mondial que constitue le prolétariat d'Eu­rope n'est pas vaincue sur le terrain de la lut­te pour la défense de ses conditions d'existence, il n'est pas possible de l'embrigader dans la guerre, de lui faire accepter le sacrifice de sa vie.

Le cours historique aujourd'hui n'est pas ou­vert à la guerre. Le cours à la guerre, comme dans les années 30, suppose l'écrasement au préa­lable de la seule force capable de s'opposer au déchaînement des rivalités impérialistes : le pro­létariat.

Le cours historique actuel, au contraire, est au développement des affrontements de classe dont dépendra la mise en avant de la perspective révolutionnaire.

Cependant, cela ne signifie pas que ce cours ne puisse être renversé, que la révolution soit inéluctable, qu'elle soit un fait acquis.

Dans la situation actuelle, tous les efforts de la bourgeoisie visent à défaire le prolétariat, à le démobiliser d'abord pour tenter ensuite, de l'embrigader, ouvrant ainsi un cours à la guerre.

C'est une pression permanente qui s'exerce sur la classe ouvrière et qui se traduit par les aléas, les avancées et les reculs de la lutte de classe.

Face au prolétariat, la bourgeoisie adapte ses armes aux conditions présentes

1. Pour la bourgeoisie aussi ; la fin des illusions

Durant les années 70, la bourgeoisie a vécu dans l'illusion de la répétition des années 30, dans l'illusion qu'aux mêmes maux pouvaient cor­respondre mécaniquement les mêmes remèdes. Les Etats se sont endettés pour financer les politi­ques de relance qui devaient mettre fin à la cri­se et surtout différer le plus fort de l'attaque nécessaire contre le niveau de vie des prolétaires des centres industriels du capitalisme mondial. C'était la condition essentielle pour tenter de conforter l'emprise de l'Etat sur le prolétariat des métropoles capitalistes, là où la classe ex­ploitée est la plus concentrée, là où l'essen­tiel des richesses est produit.

Cette politique économique avait son corollaire dans l'attaque idéologique menée contre le prolé­tariat -c'est-à-dire la politique de gauche au pouvoir- après le resurgissement de la lutte de classe partout dans le monde (et en particulier avec Mai 68 en France et le Mai rampant italien en 69). C'est cette politique qui a permis à la bourgeoisie d'imposer le reflux de la lutte de classe au milieu des années 70 : Programme com­mun en France, compromis historique en Italie, contrat social en Grande Bretagne, social démo­cratie au pouvoir en Europe du Nord, démocrates au pouvoir avec Carter aux USA. A la fin des an­nées 70, derrière les campagnes sur "les droits de l’homme" se cachaient les mêmes thèmes humanis­tes qui, durant les années 30, avaient permis d'embrigader le prolétariat occidental dans la guerre derrière la bannière de l’antifascisme. Cependant, l'échec des politiques de relance, qui ne parvenaient pas à résorber le chômage et ne faisaient qu1accélérer l'inflation, a réduit à néant l'illusion pour la bourgeoisie qu'il se­rait possible d'enrôler le prolétariat aussi fa­cilement. Les années 70 montrent à la bourgeoisie d'une part, que le prolétariat n'est pas dans la situation de faiblesse des années 30, et d'autre part, qu'avec l'aggravation des contradictions du capitalisme tout au long de la décadence, elle n'a plus aujourd'hui la même marge de manoeuvre sur le plan économique. Ces deux aspects se mani­festent sur le plan politique dans le rapport en­tre prolétariat et bourgeoisie.

Parce que les "recettes" héritées des années 30, tant sur le plan économique que politique, ne sont plus efficaces, parce que, dans ces conditions nouvelles pour elle, les vieilles formes de mys­tification et d'encadrement ne sont plus suffi­santes pour entraver le processus de prise de conscience politique de la classe révolutionnaire, la bourgeoisie doit, de manière urgente, s'adap­ter si elle veut conserver son contrôle sur le prolétariat. Elle est poussée à être plus intel­ligente, à renforcer et à homogénéiser son sys­tème de contrôle. Mais, dans une situation géné­rale d'affaiblissement de la classe dominante, ce renforcement est fondamentalement un renforcement de l'Etat, telle une forteresse dont on renforce­rait les défenses en construisant sur du sable mouvant.

2. Unité de la bourgeoisie et campagnes idéologiques

La nécessité de faire face à la classe ouvrière est devenue la première préoccupation de la bour­geoisie qui tend à repousser au second plan ses tensions internes, aussi bien sur le plan natio­nal qu'international.

Alors que la crise économique pousse la bour­geoisie vers 1'exacerbation des rivalités inter ­impérialistes, le fait actuel que toutes les frac­tions de la bourgeoisie se trouvent confrontées en même temps au même ennemi réel, la classe ou­vrière, -dont la force réside dans sa capacité à s'unifier et à développer sa conscience politique-les pousse à faire preuve de plus d'unité.

Ce n'est pas un phénomène nouveau, l'histoire nous donne des exemples limpides de cette réalité:

-   face à la Commune de Paris, les armées belli­gérantes de France et d'Allemagne unissent leurs efforts pour écraser l'insurrection parisienne;

-   face à la révolution en Russie et qui menace en Allemagne, la bourgeoisie met fin à la premiè­re guerre mondiale et unifie ses efforts pour écra­ser la vague révolutionnaire.

Cette unité est aussi rendue possible par des décennies de décadence, de concentration des pou­voirs au sein de l'Etat. C'est une réalité qui tend à devenir permanente et qui marque toute la situation internationale du rapport de force entre prolétariat et bourgeoisie.

Cela s'est traduit, ces dernières années, après l'échec des méthodes classiques (comme celles des années 30) par la mise en place au niveau international d'une stratégie plus adaptée de la bour­geoisie. Cette stratégie s'est manifestée non seulement dans le renforcement de son arsenal ré­pressif, mais surtout par une utilisation plus intensive et plus appropriée des campagnes idéologiques au travers d'un contrôle plus strict des médias de masse.

Les campagnes idéologiques de la bourgeoisie se sont développées internationalement sur deux thèmes essentiels, corollaires l'un de l'autre : la guerre et le pacifisme. Ces campagnes consti­tuent apparemment un paradoxe, après l'échec des campagnes d'embrigadement dans la guerre que cons­tituait l'idéologie des "droits de l'homme", à une période où le chemin vers la guerre n'est pas ouvert. Pourtant, précisément parce que ce n'est pas le problème de la guerre qui se pose dans l'immédiat au prolétariat, ce ne sont pas de réel­les campagnes pour la guerre, mais essentiellement des campagnes de déboussolement qui visent à en­traver le développement de la prise de conscience du prolétariat en lui masquant l'alternative révo­lutionnaire.

La bourgeoisie essaie d'utiliser le même réflexe de peur que lors des campagnes anti-terroristes, qui visaient à justifier et à faire accepter le contrôle policier. En étalant sur les écrans T.V. ou sur les pages des journaux les horreurs de la guerre, le but n'est pas de mobiliser la classe ouvrière vers une guerre immédiate mais de l'im­mobiliser face à l'austérité en la jetant dans les bras de la gauche "pacifiste", tout en indui­sant des sentiments nationalistes derrière l'illu­sion du neutralisme.

En effet, ces campagnes sur la guerre ne pren­nent sens et ne sont efficaces que dans la mesure où une gauche dans l'opposition est capable d'en tirer les fruits avec le pacifisme et le neutra­lisme qui en découle.

3. La gauche dans l'opposition

Face à la dégradation de son économie, le main­tien de la gauche au gouvernement devient incompa­tible avec la préservation de son image de défen­seur des ouvriers.

La gauche de l'appareil politique de la bourgeoi­sie est la fraction spécifiquement destinée à exer­cer le contrôle idéologique de l'Etat sur le pro­létariat; cela n'est possible que dans la mesure où cette gauche se réclame des traditions de la classe ouvrière au niveau politique et syndical. Ne pouvant maintenir la gauche crédible, et donc la crédibilité de l'Etat avec la gauche au gouver­nement, la bourgeoisie est obligée de se réorga­niser pour mettre la gauche dans l'opposition. Derrière cette question, c'est tout le rapport du prolétariat à l'Etat qui est en jeu.

La crise pousse au divorce de plus en plus ac­centué entre l'Etat et la société civile. Le pro­létariat, en particulier, perd ses illusions sur le Welfare state et tend à prendre conscience du rôle anti-ouvrier de l'Etat, il est contraint à perdre ses illusions démocratiques. La bourgeoisie essaie d'entraver ce processus en tentant de faire identifier l'Etat à la droite et en maintenant dans l'opposition l'illusion d'un Etat de "gauche", d'un "bon" Etat.

Dans les années 70, parce que les effets de la crise dans les pays centraux étaient encore relativement faibles, la bourgeoisie pouvait se permet­tre, à coup de campagnes électorales, de diluer le prolétariat dans la population en général. Au sein de la gauche, le rôle déterminant était joué par les partis politiques, électoraux et le travail des syndicats consistait essentiellement à rame­ner les ouvriers sur le terrain électoral. La re­lance de la combativité ouvrière à la fin des an­nées 70 va montrer que les mystifications électo­rales ne suffisent plus. La bourgeoisie devait af­fronter le prolétariat aux racines mêmes de sa luttes. Le rôle des syndicats est devenu prépon­dérant. La radicalisation du langage et de l'acti­vité syndicale à la base a pour but d'entraver, de démoraliser, de diviser, d'empêcher l'extension et l'auto organisation des grèves ouvrières. Dans les pays avancés, le syndicalisme "radical" devient le fer de lance de l'offensive de la bourgeoisie contre les ouvriers : on a pu en mesurer l'effica­cité face aux luttes ouvrières ces dernières an­nées.

Cette stratégie globale de la gauche dans l'op­position telle qu'elle se concrétise dans les pays centraux (USA, RFA, GB, Belgique, Hollande) n'est pas contredite par l'arrivée de la gauche au pou­voir dans certains pays.

En effet, la bourgeoisie n'est pas une classe homogène, elle est divisée et éprouve des diffi­cultés à surmonter ses tensions internes. Au sein de l'Etat, ces tensions se manifestent et se tra­duisent au niveau de la souplesse de l'appareil politique. Le partage des tâches qu'impose la né­cessité de mettre la gauche dans l'opposition im­plique une homogénéisation de la bourgeoisie der­rière l'Etat qui peut se heurter à la faiblesse idéologique de certains secteurs de la droite tra­ditionnelle. La venue de la gauche au gouvernement en France a mis en lumière cette faiblesse et a surpris la bourgeoisie mondiale. Au coeur de l'Eu­rope industrielle, ce "raté" de la bourgeoisie constitue un affaiblissement important de sa capa­cité d'encadrement du prolétariat. La gauche au gouvernement doit assumer directement la politique d'austérité nécessaire au capital national. Ce fai­sant, la gauche en vient à montrer le même visage que la droite et perd de son pouvoir de mystifica­tion et de contrôle sur une fraction du prolétariat mondial qui, dans l'histoire, s'est distingué par son sens politique et qui n'a pas oublié l'expé­rience des grèves de Mai 68, qui a marqué la repri­se historique des luttes du prolétariat après 50 années de contre-révolution.

L'arrivée des socialistes au gouvernement en Grè­ce, en Suède ou en Espagne, ne peut avoir la même importance parce que le prolétariat de ces pays joue un rôle moins central. D'ailleurs, l'arrivée de la gauche au pouvoir dans ces pays n'a pas cons­titué une surprise pour la bourgeoisie. La situa­tion a été préparée parce que la bourgeoisie ne pouvait faire autrement. La faiblesse de la droite dans ces pays est une faiblesse congénitale : poids du passé fasciste en Espagne ou de la dictature militaire en Grèce, inexpérience de la droite en Suède où la social-démocratie a monopolisé le pou­voir pendant des décennies. Néanmoins, la droite, dans ces pays comme partout, sera amenée à revenir au gouvernement dans le cadre du partage des tâches droite au pouvoir/gauche dans l'opposition, partage des tâches qui tendra de plus en plus à s'imposer dans le futur canne une nécessité face au développement de la lutte de classe. Ce n'est que par une cure d'opposition que cette droite peut se re­structurer afin de pouvoir assumer efficacement sa fonction future à la tête du gouvernement.

Parce que tout développement de la lutte de clas­se dans un pays (et surtout dans un pays central) a des répercussions internationales, la bourgeoisie doit se serrer les coudes au niveau international. Avec la lutte de classe en Pologne nous avons vu comment la bourgeoisie est capable de surmonter ses divisions impérialistes pour affronter de manière unie le prolétariat et pour rendre crédible le my­the de 1'"opposition" de la gauche sous sa forme syndicale au travers de Solidarnosc. Cette "vie" de Solidarnosc en Pologne, en opposition à toute la rigidité de l'appareil stalinien, n'a été rendue possible que grâce à l'union de toutes les forces de la bourgeoisie mondiale face aux ouvriers.

L'offensive que mène la bourgeoisie maintenant n'a pas pour but d'embrigader la classe ouvrière, parce que ce n'est pas possible, mais d'abord de l'affronter, d'entraver sa marche vers l'unité, de l'endetter et de la démoraliser. Dans ces conditions, l'impact d'une telle offensive ne peut se mesurer à court terme. Mais d'ores et déjà, on peut en mesu­rer l'efficacité dans le recul de la lutte de classe en 1981 et 1982, recul qui s'est concrétisé et ac­centué par la défaite en Pologne, renforçant le déboussolement du prolétariat mondial.

Cependant, parce que celui-ci, et notamment sa fraction d'Europe occidentale, au coeur des rivali­tés impérialistes mondiales, n'est pas embrigadé dans la guerre impérialiste, son potentiel de com­bativité est fondamentalement intact, et ceci mal­gré sa défaite partielle en Pologne, malgré toutes les illusions qui continuent de peser encore sur lui. Parce qu'elle le contraint à lutter, à abandonner ces illusions, la crise du capitalisme est la meil­leure alliée du prolétariat.

"Ce qui  est important,   ce n 'est pas ce que pense tel  ou  tel prolétaire,   ou même le pro­létariat dans son  ensemble à  un moment donné de  son histoire,   mais  ce  qu 'il  sera  contraint historiquement de faire,   conformément à  son être."

K. Marx, "La Sainte Famille".

QUELLES PERSPECTIVES?

Si, jusqu'à présent, le prolétariat des pays cen­traux avait subi moins brutalement que ses frères de classe de la périphérie les rigueurs de l'austérité, l'enfoncement du capitalisme dans la crise contraint la bourgeoisie à une attaque de plus en plus sévère du niveau de vie de la classe ouvrière au sein de la plus importante concentration industrielle mondiale, celle d'Europe occidentale.

Dans la mesure où la condition subjective essen­tielle est satisfaite -le prolétariat n'étant pas écrasé- il possède en son centre aussi un énorme po­tentiel de combativité; l'approfondissement accélé­ré de la crise est la condition objective nécessaire à l'ouverture d'une période révolutionnaire. Cette crise, que le prolétariat vit carme une contrainte, le pousse à généraliser ses luttes et sa conscience, à mettre pratiquement en avant la perspective révo­lutionnaire.

1. La question du chômage et la généralisation des luttes

De plus en plus, c’est la question du chômage qui signifie le plus clairement pour la classe ou­vrière dans les pays développés ce qu'est la cri­se : .32 millions de chômeurs pour les pays de l'OCDE, c’est-à-dire toute la population active de RFA, de Belgique et des Pays-Bas réunis. Et pas d'amélioration devant nous; de ce point de vue, le pire de la crise est à venir.

Dans un premier temps, la bourgeoisie a pu uti­liser la croissance lente du chômage pour diviser et intimider la classe ouvrière. "Accepter les li­cenciements pour sauver l'entreprise", "les chô­meurs sont des privilégiés", "expulser les travail­leurs immigrés pour maintenir l'emploi" : autant de mensonges qui volent en éclats devant le déve­loppement accéléré du chômage.

Jusqu'à présent, la bourgeoisie a pu limiter l'impact du chômage sur la combativité du prolé­tariat, d'abord en versant des allocations, ensui­te en développant l'illusion que le chômage est un sacrifice nécessaire pour mettre fin à la crise. Cette situation va s'éroder, la bourgeoisie est obligée de s'attaquer toujours plus au niveau de vie des chômeurs, corme à celui de tous les au­tres prolétaires, car la crise s'approfondit inexo­rablement.

L'ensemble du prolétariat est touché par le chô­mage, par delà les divisions nationales, ethniques, de corporation; le chômage montre aux prolétaires ce qui les menace tous et pose ainsi la base de l'unité de la classe ouvrière.

Le problème du chômage, dans tous les pays indus­trialisés, se pose au niveau international; il mon­tre que quels que soient les mensonges de chaque bourgeoisie nationale, la situation est la même partout.

Par son accroissement inévitable le chômage ne peut que pousser le prolétariat à la lutte. Lutter ou sombrer dans la misère du chômage, c'est l'al­ternative qui se pose concrètement aux ouvriers. Les files de chômeurs devant les soupes populaires donnent une image de ce qui attend toute la classe ouvrière. Les prolétaires luttent et lutteront, ne serait-ce que parce que c'est leur survie qui est en jeu.

Tous les mensonges de la bourgeoisie se démas­quent sous la pression de la crise et par la résis­tance de la classe ouvrière. Le développement de la crise dans la période actuelle ne peut se tra­duire que par un affaiblissement de la bourgeoisie et par le renforcement du prolétariat dans la lut­te historique qui les oppose. La dynamique de cet­te lutte dépend de la capacité de la bourgeoisie à faire face à son ennemi de classe.

Durant toutes les années 70, on peut dire que dans ses luttes le prolétariat a plus montré sa combativité que la conscience de ses buts et des moyens d'y parvenir. Ce phénomène s'est vérifié encore en Pologne où l'énorme combativité du prolé­tariat révélée par le caractère massif de son com­bat et par sa capacité à braver la menace de la répression est venue se heurter aux pires illusions démocratiques bien classiques -pluralisme, syndica­lisme, nationalisme- qui ont fini par épuiser la dynamique de la grève de masse : l'extension et 1'auto-organisation.

La grève de masse en Pologne a illuminé la scène mondiale durant les premiers mois par la force de sa dynamique, sa rapidité. Si cette dynamique montre la vitalité du prolétariat, elle a été aus­si rendue possible par la faiblesse locale de la bourgeoisie faiblesse liée aux spécificités des pays de l'Est dont la rigidité de l'appareil poli­tique laisse peu de place à des forces d'opposi­tion destinées à encadrer et à mystifier le pro­létariat. La bourgeoisie du bloc russe n'a pu sur­monter cette faiblesse congénitale pour faire fa­ce à la lutte de classe en Pologne qu'avec l'aide de la bourgeoisie mondiale, tant sur le plan éco­nomique que politique, ce qui lui a permis de "faire vivre" avec Solidarnosc l'illusion d'un syndicalisme indépendant.

D'une façon similaire, l'explosion de la lutte de classe en mai 68 en France a aussi été facili­tée par la surprise et l'impréparation de la bour­geoisie qui vivait encore dans l'illusion d'un prolétariat passif, tel qu'elle l'avait connu du­rant 40 ans.

Le prolétariat d'Europe de l'Quest se trouve aujourd'hui dans une situation différente. En ef­fet, 15 ans de crise économique et de lutte de classe ont permis à la bourgeoisie, avertie, de se préparer, de réorganiser, d'adapter son appa­reil politique pour tenter de faire face au déve­loppement prévisible de la lutte de classe. Le prolétariat d'Europe de l'Ouest doit faire face à la fraction la plus expérimentée de la bourgeoi­sie mondiale, aux mystifications les plus élabo­rées, à l'appareil d'encadrement le plus sophistiqué dont la carte de la gauche dans l'opposition constitue un des éléments les plus importants.

2. L'obstacle syndical et la généralisation de la conscience

Depuis la reprise de la lutte de classe en 1968, tous les combats significatifs de la classe ou­vrière ont été marqués par le débordement, à des degrés divers, de l'appareil syndical.

Les syndicats sont le fer de lance de l'appa­reil de contrôle de la classe dominante sur le prolétariat. Dans tous les lieux de travail, ils organisent le quadrillage de l'Etat avec pour tâ­che d'abord d'empêcher la lutte ouvrière de se déclencher, ensuite de la saboter. Ils sont les troupes avancées de la bourgeoisie sur le front de la lutte de classe.

En 1917, la question de la guerre impérialiste a joué un rôle central dans la prise de conscien­ce du prolétariat. Cependant, dans la question de la généralisation de la révolution en Europe occidentale, l'obstacle syndical est revenu au premier plan.

Dans les conditions actuelles, où le chemin vers la guerre n'est pas ouvert, la question syndicale est centrale dans la prise de conscience générale du prolétariat, parce que c'est l'obstacle essen­tiel auquel il se confronte le plus directement dans sa lutte et à chaque moment de celle-ci.

Aucune lutte ne peut dépasser le cadre national sans développement de la grève de masse, avant tout sans débordement de l'appareil syndical. La question nationale et la question syndicale sont intimement liées. Le prolétariat en Pologne a posé implicitement la question de la générali­sation internationale sans pouvoir y répondre, car cette question est liée à la capacité à dépasser les illusions sur le syndicalisme, la gauche et la démocratie. Par sa situation et son expérien­ce spécifique, la classe ouvrière de Pologne, seu­le, ne pouvait y répondre.

Par contre, le prolétariat d'Europe occidentale, parce qu'il n'est pas dans la même situation d'i­solement, parce qu'il a accumulé depuis des dé­cennies toute une expérience de luttes où il s'est confronté aux syndicats, à la gauche, parce qu'au­jourd'hui plus que jamais la crise le pousse à lut­ter, parce que son potentiel de combativité est in­tact, se trouve aujourd'hui dans des conditions meilleures qu'il n'en a jamais connues pour clari­fier aux yeux du prolétariat mondial la véritable nature des syndicats, de la gauche et de la démo­cratie.

Le prolétariat d'Europe occidentale est le mieux placé pour balayer les obstacles qui se dressent devant lui et l'ensemble du prolétariat mondial, obstacles visant à l'empêcher de mettre en avant dans ses luttes la perspective révolutionnaire.

Ce prolétariat n'est plus dans la situation de mai 68 et n'est pas dans celle de la Pologne 80. La gauche dans l'opposition et le développement du syndicalisme de base ont rendu plus difficile le débordement de l'appareil syndical, débordement sans lequel la dynamique de la grève de masse ne peut s'enclencher. C'est dans la lutte que le pro­létariat doit faire le dur apprentissage du fait que la gauche et les syndicats sont ses ennemis. Cette prise de conscience ne peut se faire du jour au lendemain; le chemin vers la généralisa­tion sera marqué par des avancées et des reculs, c'est-à-dire par des moments de déboussolement, manifestation de rupture avec les illusions.

Cependant, le creux de ces deux dernières années n'est pas dû uniquement à l'offensive politique de la bourgeoisie, il est aussi la manifestation inhérente aux difficultés mêmes du processus de prise de conscience du prolétariat. Jusqu'à pré­sent, depuis la reprise de 68, le niveau de cons­cience contenu dans la combativité du prolétariat était empreint des illusions sur la possibilité de sortir de la crise économique. Ces illusions ne peuvent que tomber. Alors que toute l'activité de la bourgeoisie tend à enfermer, à isoler les lut­tes derrière le contrôle syndical afin de les me­ner dans l'impasse, toute l'expérience d'échecs du prolétariat qui n'obtient rien dans ces grèves isolées, le pousse de plus en plus à assumer les aspects politiques contenus dans la base écono­mique de ses luttes. Parce que le problème est gé­néral, le prolétariat est poussé à généraliser ses luttes et sa conscience.

De sa capacité à clarifier ces questions dans ses luttes futures où il sera obligé de se con­fronter aux syndicats -et donc de développer son auto organisation-, dépend sa capacité à dévelop­per la grève de masse et à mettre en avant prati­quement la perspective révolutionnaire par la gé­néralisation.

La perspective révolutionnaire n'est pas seule­ment une question théorique, c'est avant tout une question pratique. Fn mai 68, la question de la révolution a été posée par les ouvriers en grève -bien qu'ils n'aient pu y répondre pratiquement -donnant ainsi une perspective pour toute la pério­de qui s'ouvrait. Dans les années qui ont suivi, la bourgeoisie par sa contre-offensive a tout fait pour masquer la nécessité de la révolution et sur­tout sa possibilité.

C'est dans la capacité du prolétariat européen à lutter, à montrer concrètement qu'il est possible d'opposer une alternative à la barbarie capitaliste par la généralisation de ses luttes, que va se développer la conscience dans la classe ouvrière mondia­le non seulement de la nécessité de la révolution communiste, mais surtout de sa possibilité.

3. L'importance du prolétariat d'Europe de l'Ouest

C'est l'écrasement du prolétariat allemand qui a fait échouer l'extension de la révolution nas­se, c'est 1 'embrigadement du prolétariat d'Europe qui a permis la première et la seconde guerre mon­diale, c'est le réveil de la lutte de classe en Europe qui marque la fin de la période de contre-révolution, c'est le recul du prolétariat europé­en face aux mystifications de la gauche au pouvoir qui détermine le reflux des années 70, c'est l'usu­re de ces mystifications qui permet la reprise de la lutte de classe à la fin des années 70, et c'est la contre-offensive de la bourgeoisie notamment en Europe avec la gauche dans l'opposition qui est à l'origine du recul de 1981-82.

Aujourd'hui plus que jamais, le rôle du proléta­riat d'Europe de l'Ouest est crucial, tant sur le plan des conditions objectives dans lesquelles se développe sa lutte (évidence de la nature de la crise comme crise de surproduction rendant possible la révolution), que des conditions subjectives (expérience des mystifications bourgeoises les plus sophistiquées).

Des affrontements de classe de demain, de la ca­pacité du prolétariat d'Europe à tirer les leçons de ses échecs et de ses victoires dépend la pers­pective révolutionnaire et l'avenir de l'humanité.

Rosa Luxemburg disait : "Le prolétariat est la seule classe qui parvient à  la  victoire après  tou­te une série de défaites".

La défaite des ouvriers en Pologne est de celles qui annoncent les perspectives futures de la lutte de classe. Manifestation de la force de l'en­nemi, cette défaite a conduit à une désorientation du prolétariat mondial. Cependant, les luttes qui l'ont précédée dans ce pays ont été un élément de clarification pour l'ensemble du prolétariat mon­dial sur la nature des pays de l'Est et des mystifications staliniennes.

A une échelle bien plus grande encore, la lutte du prolétariat en Europe occidentale devra être une clarification pour l'ensemble du prolétariat mondial; elle seule pourra donner un sens, une perspective, une unité à toutes les luttes de la classe ouvrière face à la crise économique, face à la guerre, face à la barbarie du capital sous toutes ses formes.

Parce qu'aujourd'hui, le terrain pour le dévelop­pement des luttes et de la prise de conscience du prolétariat est celui d'une crise économique inexo­rable et non celui de la guerre impérialiste, par­ce que le prolétariat n'a pas subi de défaite his­torique, jamais les conditions n'ont été aussi bien réunies pour la mise en avant d'une perspective ré­volutionnaire.

Plus que jamais, l'avenir appartient au prolé­tariat, et dans cet avenir, le prolétariat du coeur du monde capitaliste, de la vieille Europe, a un rôle essentiel à jouer.



[1] [18] En Allemagne,   l'Etat nazi  impose son image   "populaire" grâce en particulier au développement de l'éco­nomie de guerre qui permet de relancer l'embauche.

Conscience et organisation: 

  • Courant Communiste International [8]

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [19]

Résolution sur la situation internationale 1983

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1.    A l'aube des années 80, nous avons analysé la décennie qui commençait comme "les années de vé­rité", les années où les convulsions et la failli­te ouverte du mode de production capitaliste al­ laient dévoiler dans toute sa clarté l'alternati­ve historique : révolution communiste ou guerre impérialiste généralisée. A la fin du premier tiers de cette période, on peut constater que cet­ te analyse s'est pleinement confirmée : jamais, depuis les années 30, l'impasse totale dans laquel­le se trouve l'économie capitaliste ne s'était ré­vélée avec une telle évidence ; jamais, depuis la dernière guerre mondiale, la bourgeoisie n'avait déployé de tels arsenaux militaires, n'avait mobi­lisé de tels efforts en vue de la production de moyens de destruction ; jamais, depuis les années 20, le prolétariat n'avait mené des combats de l'ampleur de ceux qui ont secoué la Pologne et l'ensemble de la classe régnante en 1980-81. Ce­ pendant, ce n'est là qu'un début. En particulier, si aujourd'hui les dirigeants bourgeois semblent se consoler en bavardant sur la "reprise économique", ils ont du mal à masquer que le plus fort de la crise est devant nous. De même, le recul mondial des luttes ouvrières qui a suivi les formidables combats de Pologne ne constitue qu'une pause avant les énormes affrontements de classe qui mettront en mouvement les détachements déci­sif s du prolétariat mondial, celui des grandes mé­tropoles industrielles et notamment d'Europe oc­cidentale. C'est ce que la présente résolution es­saie de montrer.

2.    La récession qui a marqué le début des années 80 s'est confirmée comme "la plus longue et la plus profonde" de l'après-guerre (comme nous le prévoyions au 3ème congrès du CCI en 1979)  Dans les principaux pays avancés, le coeur du capita­lisme mondial, cette récession se caractérise par:

-     une chute brutale de la production industrielle (-4,5% pour les 7 pays les plus importants de l'OCDE en 1982 après une stagnation en 1981) ;

-     une sous-utilisation massive des forces productives, tant du potentiel industriel (près d'un tiers non utilisé au Canada et aux USA en 82) que de la force de travail (32 millions de chômeurs dans les pays de l'OCDE, soit plus de 10% de la population active) ;

-     un recul très net des investissements productifs (-14% en 82 aux USA par exemple) ;

-     une régression du commerce mondial (-1% en 81, -2% en 82).

Tous ces éléments mettent en évidence que la cri­se dont souffre le capitalisme trouve ses racines dans la saturation des marchés à l'échelle mondia­le, dans la surproduction de marchandises eue égard à la demande solvable.

Cette incapacité d'écouler les marchandises pro­duites se répercute directement sur ce qui consti­tue l'objet de la production capitaliste : le pro­fit. C'est ainsi que dans la principale puissance mondiale, le montant annuel des profits industriels (avant impôts) a chuté de 90 milliards de dollars (-35%) entre 80 et 82, alors que de nombreux sec­teurs de base, comme l'acier et l'automobile, tra­vaillent à perte. Ainsi se trouve confirmée une des thèses classiques du marxisme : de tendanciel­le, la baisse du taux de profit devient effective dès lors que les marchés sont saturés.

3. La crise du capitalisme trouve ses sources dans les métropoles industrielles. Cependant, et pour cette même raison, elle est mondiale, aucun pays n'y échappe. Ceux de la périphérie, en particulier, en subissent la rigueur sous ses formes les plus extrêmes. Alors que la décadence du mode de production capitaliste a placé ces pays dans l'incapaci­té de connaître un réel développement industriel et de rejoindre les nations les plus avancées, la cri­se aiguë de ce mode de production les a mis au pre­mier rang de ses victimes. En fait, les économies les plus puissantes ont, dans un premier temps, re­porté vers les plus faibles une part importante des effets de la crise.

Aujourd'hui, la crise mondiale provoque dans les pays du tiers-monde une aggravation tragique des maux endémiques dont souffrent ces pays : multi­tude de sans-travail entassés dans les bidonvilles, développement des famines et des épidémies. Parmi ces pays, ceux pour lesquels on parlait de "mira­cle", tels le Brésil ou le Mexique, administrent la preuve qu'il n'y a pas d'exception à la règle: leur tentative de se doter d'un appareil indus­triel moderne dans un monde où même les plus forts subissent maintenant de plein fouet les ri­gueur de la crise, les a conduit à la banqueroute, à une accumulation astronomique de dettes dont chacun sait qu'ils ne pourront pas s'acquitter et qui les contraint, sous la houlette du FMI, à des politiques d'austérité draconiennes qui vont en­foncer encore plus leurs populations dans la misè­re totale.

Dans le peloton des pays insolvables, ils sont rejoints par ceux qui se prétendent "socialistes". L'économie arriérée et fragile de ces derniers su­bit maintenant de plein fouet la crise mondiale par une incapacité permanente et croissante à at­teindre des objectifs du plan pourtant de moins en moins ambitieux, ainsi que par le développement de pénuries de plus en plus catastrophiques qui règlent leur compte tant aux mensonges staliniens et trotskystes sur leur nature "socialiste" qu'aux élucubrations échafaudées au sein de courants pro­létariens sur leur aptitude à "échapper à la loi de la valeur".

4. Les convulsions récentes de l'économie mondia­le, notamment les menaces qui se profilent à inter­valles réguliers d'une explosion de l'édifice fi­nancier international, ont conduit nombre d'écono­mistes à rapprocher la situation présente de cel­le de 1929 et des années 30, pour conclure d'ail­leurs la plupart du temps que la crise actuelle était moins grave que celle d'il y a 50 ans. Il appartient aux révolutionnaires, aux marxistes, de mettre en évidence tant les points communs que les différences entre ces deux crises afin de situer la gravité réelle de celle que nous vivons et ses perspectives.

Ces deux crises ont pour point commun de consti­tuer la phase aiguë de la crise historique du mo­de de production capitaliste entré dans sa pério­de de décadence depuis la 1ère guerre mondiale. Elles résultent de l'épuisement du stimulant qu'a constitué la reconstruction à la suite de chacune des deux guerres impérialistes généralisées. Elles sont la manifestation brutale de la saturation mondiale des marchés résultant de l'absorption ou de la destruction par le capitalisme, pratique­ment achevée au début de ce siècle, des secteurs extra capitalistes qui avaient constitué son sol nourricier depuis son apparition.

Cependant, si le fond de ces deux crises est le même, elles diffèrent quant à la forme et au ryth­me du fait des caractéristiques différentes du capitalisme d'aujourd'hui et de celui d'il y a un demi-siècle.

La crise de 1929 touche un capitalisme qui, par bien des aspects, continue de vivre suivant des rè­gles qu'il a héritées de sa période de pleine pros­périté du 19ème siècle. En particulier, l'étatisa­tion de l'économie qui avait été menée tambour bat­tant lors de la première guerre mondiale a en bon­ne partie cédé la place au vieux "laisser-faire". De même, les blocs impérialistes qui s'étaient cons­titués lors de cette guerre ont relâché sensiblement leur emprise, notamment avec le développe­ment de l'illusion que celle-ci était la "der des der". De ce fait, à peine la reconstruction ter­minée, la réémergence des contradictions du capi­talisme provoque un effondrement brutal de celui-ci. Les banques, les entreprises réagissent en or­dre dispersé, ce qui ne fait qu'aggraver l'effet "château de cartes" du krach financier. Et lors­que les Etats interviennent, c'est encore en or­dre dispersé qu'ils le font sur la scène interna­tionale sous forme de fermeture quasi totale des frontières et de dévaluations sauvages.

Le capitalisme d'aujourd'hui est bien différent de celui de 1929. Le capitalisme d'Etat qui con­naît son grand essor au cours des années 30 sous les formes du stalinisme, du fascisme et en par­ticulier des politiques keynésiennes, n’a cessé depuis d'étendre et de renforcer son emprise sur l'économie et la société. De plus, si les blocs impérialistes se recomposent à la fin de la secon­de guerre mondiale, leur existence et leur force ne sont nullement remises en cause. Au contraire: si leur ciment de base est l'alliance militaire autour de chacune des deux nations dominantes, ils étendent de plus en plus leurs prérogatives à la sphère économique (COMECON à l'Est ; FMI, OCDE, etc., à l'Ouest).

Pour ces raisons, ce ne sont pas des entrepri­ses privées qui affrontent individuellement l'ag­gravation des contradictions économiques qui mar­que la fin de la reconstruction du 2ème après-guerre au milieu des années 60. Ce sont les Etats. Et ces derniers mènent leur politique non en ordre dispersé mais en accord avec les orientations dé­finies à l'échelle de chacun des blocs. Cela ne veut nullement dire que les rivalités commercia­les entre les différentes nations d'un bloc ont disparu. Bien au contraire : la saturation crois­sante des marchés ne fait que les attiser et les tendances protectionnistes, pour être exploitées dans les campagnes nationalistes, n'en sont pas moins réelles. Cependant, la situation commande à chacun des blocs de ne pas laisser libre cours à ces rivalités et à ces tendances protectionnis­tes sous peine d'un effondrement immédiat de tou­te l'économie mondiale.

5. Le développement du capitalisme d'Etat et la prise en charge des politiques économiques au ni­veau des blocs impérialistes rendent de même très improbable un krach financier comme celui de 29. Si l'enfoncement dans la crise depuis le milieu des années 60 connaît de brusques accélérations (67, 70-71, 74-75, 80-82), le capitalisme a toute­fois appris, depuis les années 30 à en ralentir et contrôler le rythme global, à s'épargner les collapsus brutaux. Cela ne veut pas dire cepen­dant que la situation présente du capitalisme soit moins grave que celle qu'il connaissait en 1929. Bien au contraire : elle est en réalité beaucoup plus grave. En effet, les mesures qui avaient per­mis un certain rétablissement de l'économie mon­diale au milieu des années 30 ont été employées déjà massivement depuis la fin de la deuxième guer­re et se sont renforcées encore au cours des an­nées 70.

Les dépenses massives d'armements, les politi­ques keynésiennes de grands travaux, de "soutien à la demande" par les déficits budgétaires et l'en­dettement des Etats qui étaient momentanément possibles après 1929 alors qu'on sortait d'une pério­de de déflation et que les caisses des Etats n'étaient pas encore vides, sont devenues complè­tement incapables de procurer un quelconque répit après des décennies d'inflation résultant d'efforts d'armement intensifs et de l'abus des drogues néo-keynésiennes. Ces drogues, auxquelles on doit le montant astronomique des dettes sur lequel repose aujourd'hui l'économie mondiale (les 750 milliards de dettes du tiers-monde ne doivent pas masquer les 5000 milliards de dettes de la seule économie américaine, sans compter celles des autres pays avancés), ne pouvaient aboutir qu'à la mort du ma­lade par un emballement apocalyptique de la spi­rale inflationniste et l'explosion du système fi­nancier international. En particulier, le dévelop­pement des dépenses militaires qui, dans les an­nées 30, avait momentanément contribué à la re­prise, apparaît   clairement aujourd'hui corme un facteur aggravant de l'acuité de la crise.

Les politiques "monétaristes" orchestrées par Reagan et suivies par la totalité des dirigeants des pays avancés rendent compte de cette faillite des politiques néo-keynésiennes en laissant émer­ger la cause profonde de la crise du capitalisme, la surproduction généralisée et ses conséquences inéluctables : la chute de la production, l'élimi­nation du capital excédentaire, la mise au chôma­ge de millions d'ouvriers, la dégradation massive du niveau de vie de l'ensemble du prolétariat.

En ce sens, la prétendue "reprise" dont on a pu faire grand cas il y a quelques mois ne fera pas long feu. La timidité avec laquelle elle se mani­feste et le nombre réduit des pays qui en bénéfi­cient (USA et Grande Bretagne) traduisent bien le fait qu'il est aujourd'hui hors de question pour le capitalisme de rééditer l'opération de 76-78 où les prêts massifs aux pays du tiers-monde avaient permis une certaine relance de la produc­tion des pays avancés. Un des indices de l'aggra­vation continue de la crise consiste dans le fait que les mouvements de récession sont de plus en plus longs et profonds alors que les mouvements de reprise sont de plus en plus courts et insigni­fiants.

6. L'aggravation inexorable de la crise confirme bien que nous sommes entrés dans les "années de vérité", celles où se dévoilera dans toute son évidence la véritable nature des contradictions du mode de production capitaliste. Années de vérité qui s'illustreront non seulement au plan économique mais également et surtout au plan des enjeux historiques essentiels de la société avec l'émer­gence de l'alternative déjà annoncée par l'Inter­nationale Communiste : Guerre ou Révolution ; ou bien la réponse prolétarienne à la crise : le déve­loppement des luttes de classe menant à la révolu­tion, ou bien son aboutissement bourgeois : l'ho­locauste impérialiste généralisé.

Pour sa part, la bourgeoisie poursuit et pour­suivra ses préparatifs militaires tant que sa do­mination de classe ne sera pas directement menacée. Mais il importe de mettre en évidence ce qui au­jourd'hui et dans la période qui vient détermine fondamentalement la politique bourgeoise : ces préparatifs de guerre ou bien les préparatifs à un affrontement décisif avec la classe ouvrière. En ce sens il est important de distinguer,y compris au plan des gesticulations bellicistes des gouvernements, ce qui participe directement de l'aggra­vation des conflits impérialistes de ce qui relève avant tout d'une politique globale contre le pro­létariat .

7.    Dans la dernière période, l'aggravation des ten­sions impérialistes s'est manifestée en premier lieu par une nouvelle avancée du bloc américain dans une des zones essentielles en conflit : celle du Moyen-Orient. L'opération "Paix en Galilée" me­ née par Israël, la mise au pas de l'OLP et l'expul­sion de ses troupes du Liban, l'installation des corps expéditionnaires occidentaux dans ce pays, constituent une nouvelle étape vers la liquidation complète de la présence dans cette partie du monde, de l'URSS. C'est ce qui explique la tentative dé­sespérée de cette puissance d'y conserver un der­ nier point d'appui par l'armement intensif de la Syrie.

La poursuite de l'instauration de la "pax americana" au Moyen-Orient trouve par ailleurs un com­plément dans la mise au pas progressive de l'Iran et le renforcement de l'intégration de l'Irak dans le bloc de l'Ouest, dans la mesure même où les li­vraisons d'armement à ces deux pays pour alimenter la guerre du Golfe les rendent plus dépendants du monde occidental. La liquidation du parti stali­nien en Iran (Toudeh) illustre que ces manoeuvres réduisent progressivement les espoirs de l'URSS d'accéder un jour aux "mers chaudes", que l'inva­sion de l'Afghanistan avait pu lui procurer.

L'autre volet de l'aggravation des tensions im­périalistes consiste dans le nouveau pas franchi par l'ensemble des principaux pays et notamment des USA dans le renforcement des armements et par­ticulièrement le déploiement en Europe -théâtre et enjeu essentiels d'une éventuelle 3ème guerre mon­diale- des Pershing II et des missiles de croisiè­re. Cette dernière opération confirme bien, s'il en était encore besoin, l'indéfectible fidélité des pays d'Europe occidentale à l'alliance américaine.

8.    Autre est la signification qu'il faut attribuer aux bruits de bottes qui se sont fait entendre ces derniers temps aux Malouines et en Amérique centra­le. Dans le premier cas, il s'agissait d'une opéra­tion interne au bloc occidental destinée avant tout, à travers une campagne idéologique assourdissante, à déboussoler la classe ouvrière des pays avancés (comme on a pu le voir notamment en Grande Breta­gne) et accessoirement à servir de test en réel des armements les plus modernes. Dans le deuxième cas, la présence de conseillers cubains et d'arme­ments russes au Nicaragua comme le soutien de ce pays à la guérilla salvadorienne n'impliquent nul­lement une menace pour les USA de l'apparition d'un nouveau Cuba à leurs frontières. Les campa­gnes de Reagan sur cette question, auxquelles s'opposent les secteurs "pacifistes" ou "colombes" de la bourgeoisie américaine participent fondamen­talement d'une politique concertée de tous les secteurs de la classe dominante en occident en vue de détourner le prolétariat de ses combats et de ses intérêts de classe.

De même, les grandes campagnes pacifistes qui touchent -avec un certain succès- la plupart des pays occidentaux n'ont pas la mené vocation que cel­les des années 30 qui préparaient directement la 2ème guerre mondiale. Là encore, l'objectif majeur de ces campagnes, qui s'appuient sur une réelle inquiétude suscitée, par les préparatifs guer­riers, est de constituer un facteur de déboussolement de la classe ouvrière en vue de limiter et d'éparpiller son inévitable riposte de classe à l'aggravation inexorable de la crise et de ses conditions de vie. Ces campagnes s'intègrent dans le partage des tâches qui s'opère de plus en plus clairement à l'échelle mondiale entre les secteurs "de droite" de la bourgeoisie, chargés d'appli­quer au gouvernement des politiques d'austérité de plus en plus dures à l'égard de la classe ou­vrière et les secteurs "de gauche" chargés de sa­boter ses luttes.

9.    Ce partage des tâches entre secteurs de la  bourgeoisie, la mise en place de la carte de la "gauche dans l'opposition" que le CCI avait si­gnalé dès 1979, s'est encore confirmé ces der­niers mois avec l'arrivée des chrétiens-démocra­tes au gouvernement en' Allemagne et la récente victoire éclatante des Tories en Grande-Bretagne au détriment d'un parti travailliste qui s'était "suicidé" au plan électoral par son "extrémis­me" et son "pacifisme" aux dires mêmes des ob­servateurs bourgeois, dans le but de renforcer son contrôle sur la classe ouvrière. Cette pers­pective de "la gauche dans l'opposition" n'est nullement démentie par l'arrivée des forces de gauche ces derniers temps dans des pays couine la France, la Suède, la Grèce, l'Espagne et le Portugal. Dans l'ensemble de ces cas, il ne s'agit nullement d'une manifestation de force de la bourgeoisie, mais au contraire d'éléments de fai­blesse. Dans le cas des trois derniers pays, c'est fondamentalement l'expression des diffi­cultés de la classe dominante à constituer de solides forces de droite au sortir d'une longue période de régime militaire ou fasciste. Dans le cas de la Suède, c'est le résultat de la très longue hégémonie de la social-démocratie qui n'avait pas permis aux forces de droite de s'aguerrir à l'exercice du pouvoir. Quant au cas de la France, c'est une illustration a contrario très probante de la perspective de "la gauche dans l'opposition". Alors que dans les autres pays, la nécessaire arrivée de la gauche au pou­ voir aura été consciemment assumée par la bour­geoisie, la victoire de Mitterrand en 81 avait constitué un"accident", ce qui se confirme de jour en jour par les difficultés de son gouver­nement à mener une politique cohérente et par les préparatifs du PC et de la gauche du PS à un prochain passage dans l'opposition. Si, dans la majorité des pays les plus avancés d'occident (USA, RFA, GB, Belgique, Pays-Bas, Italie) la venue ou le maintien au pouvoir des forces de droite laisse les mains libres à la gauche et aux syndicats pour saboter de l'intérieur les luttes ouvrières, notamment grâce à une radicalisation de leur lan­gage, la présence "forcée" de la gauche au gou­vernement en France (c'est-à-dire la 2ème puis­sance d'Europe occidentale) qui dévoile claire­ ment la nature bourgeoise des partis soi-disant "ouvriers", constitue un facteur de faiblesse pour la bourgeoisie, non seulement dans ce pays, mais aussi à l'échelle mondiale.

10.      La carte de "la gauche dans l'opposition" jouée globalement par la bourgeoisie en Occident ne limite pas son champ d'application à cette seule partie du monde. Elle a été jouée et con­tinue d'être jouée dans le bloc de l'Est, en Po­logne, avec l'action anti-ouvrière du syndicat "indépendant" Solidarnosc. Bien que la fragilité et la rigidité congénitales des pays staliniens n'aient pas permis que se mette en place dans ce pays un jeu"démocratique" à l'occidentale ni mê­me de conserver l'existence légale de Solidarnosc plus longtemps que ne l'exigeait strictement le degré de combativité de la classe ouvrière, les mécanismes de base et l'efficacité de "la gauche dans l'opposition" s'y sont révélés tout à fait comparables à ceux d'Occident non seulement avant le 13 décembre 81, mais également après. Si, avant cette date, grâce à son apparente opposition in­transigeante aux autorités, "Solidarnosc" a cons­titué, avec le soutien de la bourgeoisie occiden­tale et dans le cadre d'une offensive d'ensemble de celle-ci, un instrument essentiel de sabota­ge des luttes ouvrant la porte à la répression militaire et policière, sa fonction n'a pas dis­paru avec sa mise hors-la-loi. En fait, les persécutions dont sont victimes les dirigeants de cette organisation facilitent, en lui conférant l'auréole du martyr, la poursuite de son action de déboussolement de la classe ouvrière, tout comme les attaques de Thatcher contre les syn­dicats en G.B ne font que renforcer leur effi­cacité anti ouvrière. En fin de compte, "la gau­che dans la clandestinité" apparaît comme une des formes extrêmes de "la gauche dans l'oppo­sition".

11. C'est donc à la redoutable efficacité, tant à l'Est qu'à l'Ouest, de la politique de "gauche dans l'opposition" qu'il faut principalement at­tribuer la défaite du prolétariat mondial en Pologne et son recul général en 81-82 qui a per­mis cette défaite. Ce recul est indiscutable. Alors que les années 78-79-80 avaient été mar­quées par une reprise mondiale des luttes ou­vrières (grève des mineurs américains, des doc­kers de Rotterdam, des ouvriers de la sidérur­gie en G.B, des ouvriers de la métallurgie en Allemagne et au Brésil, affrontements de Longwy-Denain en France, grèves de masse en Pologne) , les années 81 et 82 se sont distinguées par un net reflux de ces luttes; ce phénomène étant particulièrement évident dans le plus "classique" des pays capitalistes, la Grande-Bretagne, où l'année 81 connaissait le nombre le plus faible de grèves depuis la 2ème guerre mondiale alors qu'en 79 celles-ci avaient at­teint leur niveau quantitatif le plus élevé de l'histoire avec 29 millions de jours d'arrêt de travail. Ainsi, l'instauration de l'état de guerre en Pologne et la violente répression qui s'est abattue sur les ouvriers de ce pays n'ar­rivaient pas comme un éclair dans un ciel bleu. Point le plus marquant de la défaite ouvrière après les formidables combats de l'été 80, le coup de force de décembre 81 participait d'une défaite de tout le prolétariat.

Cette défaite, le prolétariat l'a subie dès lors que le capitalisme, d'une façon concertée et grâce notamment à ses forces de gauche, est parvenu à isoler les ouvriers de Pologne du res­te de leur classe, à les enfermer idéologiquement dans le cadre de ses frontières de bloc (pays "socialistes" de l'Est) et nationales  ("la Pologne est l’affaire des polonais") ; dès lors qu'il est parvenu à faire des ouvriers des autres pays des spectateurs, inquiets certes, mais passifs, à les détourner de la seule forme que peut prendre la solidarité de classe : la généra­lisation de leurs luttes dans tous les pays, en mettant en avant une caricature de solidarité : les manifestations sentimentales, les pétitions humanistes et la charité chrétienne avec ses en­vois de colis pour Noël. Dans la mesure où elle n'apporte pas de réponse adéquate aux exigences de la période, la non généralisation des luttes est en soi une défaite.

12. Ainsi, comme nous le signalions déjà en 81, un des enseignements essentiels des affrontements de classe en Pologne est la nécessité pour le prolétariat, face à la sainte alliance de la bourgeoi­sie de tous les pays et en vue de son assaut ré­volutionnaire contre le capitalisme, de générali­ser ses luttes à l'échelle mondiale.

L'autre enseignement majeur de ces combats et de leur défaite est que cette généralisation mon­diale des luttes ne pourra partir que des pays qui constituent le coeur économique du capitalis­me : les pays avancés d'occident et, parmi eux, ceux où la classe ouvrière a acquis l'expérience la plus ancienne et la plus complète : l'Europe occidentale. La bourgeoisie mondiale a pu établir un "cordon sanitaire" autour du prolétariat de Po­logne parce que ce pays appartient à un bloc arrié­ré, où pèse avec le plus de dureté la contre-révo­lution, où le prolétariat n'a pas été confronté directement pendant des décennies aux mystifica­tions démocratiques et syndicales. Ces conditions expliquent que, d'emblée, le prolétariat y ait em­ployé son arme fondamentale de la grève de masse. Elles expliquent également qu'il ait pu, par la suite, être enfermé dans les impasses syndicalistes, démocratiques et nationalistes. Dans les pays avan­cés d'occident, et notamment en Europe de l'Ouest, le prolétariat ne pourra déployer pleinement la grève de masse qu'à l'issue de toute une série de combats/ d'explosions violentes, d'avancées et de reculs, au cours desquels il démasquera progressi­vement tous les mensonges de la gauche dans l'op­position, du syndicalisme et du syndicalisme de ba­se. Mais alors,   sa lutte pourra réellement mon­trer le chemin aux ouvriers de tous les pays, frapper les trois coups de la généralisation mondiale des combats de classe ouvrant la voie à l'affron­tement révolutionnaire contre la domination bour­geoise.

Si l'acte décisif de la révolution se jouera lors­que la classe ouvrière aura terrassé les deux mons­tres militaires de l'Est et de l'Ouest, son premier acte se jouera nécessairement au coeur historique du capitalisme et du prolétariat : l'Europe occi­dentale.

13. Un autre enseignement des événements de Polo­gne est que la classe ouvrière restera à la merci des défaites, de défaites souvent tragiques tant qu'elle n'aura pas abattu le capitalisme. Si, com­me l'écrit Rosa Luxemburg : "la révolution est la seule forme de 'guerre'... où la victoire finale ne peut être préparée que par une série de défaites V le prolétariat -et notamment ses organisations ré­volutionnaires- doit se garder qu'une série de dé­faites partielles n'aboutisse à une défaite complète, à la contre-révolution. Certains éléments communistes ont affirmé que c'était déjà le cas avec la défaite du prolétariat en Pologne et au vu de la stagnation présente de ses luttes au ni­veau mondial. Pour notre part, nous affirmons le contraire. Depuis le ressurgissement prolétarien de 1968, nous avons dit que le cours historique n'était pas à la guerre impérialiste généralisée mais à l'affrontement de classes. Cela ne veut pas dire que ce cours ne puisse être renversé.

L'existence d'un cours vers la guerre, comme dans les années 30, signifie que le prolétariat a subi une défaite décisive qui l'empêche désor­mais de s'opposer à l'aboutissement bourgeois de la crise.

L'existence d'un cours à"l'affrontement de clas­ses" signifie que la bourgeoisie n'a pas les mains libres pour déchaîner une nouvelle boucherie mon­diale; auparavant, elle devra affronter et battre la classe ouvrière. Mais cela ne préjuge pas de l'issue de cet affrontement, ni dans un sens, ni dans l'autre. C'est pour cela qu'il est préféra­ble d'utiliser ce terme plutôt que celui de "cours à la révolution".

Quelle que soit la gravité de la défaite enre­gistrée ces dernières années par la classe ouvriè­re, elle ne remet pas en cause le cours histori­que dans la mesure où :

-     ce ne sont pas les bataillons décisifs du pro­létariat mondial qui se sont trouvés en première ligne de l'affrontement,

-     la crise qui maintenant atteint de plein fouet les métropoles du capitalisme obligera le proléta­riat de ces métropoles à exprimer ses réserves de combativité qui n'ont pas été jusqu'à présent en­tamées de façon décisive.

Ainsi, en provoquant une dégradation de plus en plus brutale, simultanée et universelle des condi­tions de vie du prolétariat, en particulier par l'intensification massive du chômage dans les grands centres industriels, la crise se révèle la meilleure alliée du prolétariat mondial. Elle déve­loppe de façon jamais égalée dans l'histoire les conditions objectives et subjectives de l'interna­tionalisation des luttes, d'une prise de conscien­ce révolutionnaire. Parce qu'aujourd'hui il n'exis­te aucune perspective de rétablissement, même mo­mentané, de l'économie capitaliste (contrairement aux années 30 où la reprise avait permis à la bour­geoisie de parachever la défaite d'un prolétariat déjà battu) la perspective historique reste aux affrontements de classe.

Les plus grands combats de la classe ouvrière sont encore à venir.

2/7/83

Vie du CCI: 

  • Résolutions de Congrès [20]

Conscience et organisation: 

  • Courant Communiste International [8]

Sur le parti et ses rapports avec la classe

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1. C'est dans le cadre de nos textes de base sur la fraction de l'organisation des révolutionnaires, et dans la suite de cette vision, que doit être abordée la question du Parti Communiste et de ses rapports avec la classe[1].

2. Le Parti Communiste est une partie de la classe, un organisme que, dans son mouvement, elle sécrète et se donne pour le développement de sa lutte historique jusqu'à sa victoire, c'est-à-dire la transformation radicale de l'organisation et des rapports sociaux pour fonder une société qui réalise l'unité de la communauté humaine : chacun pour tous et tous pour chacun.

3. En opposition à la thèse défendue par Lénine dans Que faire ? du Parti "au service de la classe" et contrairement à la caricature stupide du "léninisme" dont les différentes tendances du bordiguisme se sont faites les championnes, suivant laquelle c'est "le Parti qui fonde la classe", nous affirmons avec Rosa Luxembourg que "le Parti est un produit de la classe elle-même" au sens où la constitution du Parti traduit et exprime un processus de prise de conscience qui s'opère dans la classe en lutte ainsi que le degré de conscience auquel la classe est parvenue. Cette formulation n'a rien de commun avec cette autre conception provenant du bordiguisme renversé, qui, durant les années 70 trouvait son expression la plus achevée dans la revue Invariance, conception selon laquelle "le Parti c'est la classe". Une telle conception simpliste remplace le Tout, l'Unité du Tout et son mouvement réel par une stricte identification des éléments, ignorant les différenciations qui existent et se produisent, et le lien dialectique entre ces éléments au sein même de l'unité dont ils sont partie intégrante.

4. Cette conception identificatrice ne peut comprendre le rôle que jouent les différents éléments à l'intérieur de l'unité dont ils sont issus. Elle ne voit pas le mouvement. Elle est statique et non dynamique. Elle est fondamentalement a historique. Cette conception rejoint la vision idéaliste, moralisante des modernistes -ces épigones modernes du conseillisme dégénérescent- qui opèrent avec la vieille dichotomie du blanc et du noir, du bien et du mal et pour lesquels toute organisation politique au sein de la classe est le mal absolu par définition.

5. Le défaut principal du conseillisme de la Gauche hollandaise, sous l'influence de Pannekoek, est de n'attribuer aux courants et groupes qui surgissent dans la classe qu'une fonction éducatrice et pédagogique. I1 escamote leur rôle politique, c'est-à-dire de constituer une partie prenante et militante au sein de la classe, élaborant et défendant en son sein des positions com­munistes cohérentes cristallisées dans un program­me, le programme communiste, en vue duquel ces groupes agissent de façon organisée. En ne leur attribuant uniquement qu'une fonction d'éducation et non de défense d'un programme communiste, Pan­nekoek fait de son organisation conseilliste, le Conseiller de la classe, rejoignant ainsi la vision de Lénine d'une organisation au service de la classe, Les deux conceptions se retrouvent ainsi dans la né­gation de l'idée que le Parti fait partie de la clas­se, est un des organismes actifs de la classe.

6. La société politique est le monde social uni de l'humanité qui s'est perdu en se divisant en clas­ses, et auquel l'humanité en la personne du prolé­tariat et au travers de la lutte de celui-ci tend péniblement à parvenir. Dans ce sens, la lutte du prolétariat prend encore nécessairement un caractère politique (dans la mesure où il s'agit encore de la lutte d'une classe).

En effet, la lutte du prolétariat est fondamen­talement sociale dans le plein sens du terme. El­le porte, dans son triomphe, la dissolution de toutes les classes et de la classe ouvrière elle­-même dans la communauté humaine reconstituée à 'échelle de la planète. Cependant, cette solution sociale passe nécessairement par la lutte politi­que -c'est-à-dire en vue de l'établissement de son pouvoir sur la société- pour laquelle la classe ouvrière se donne les instruments que sont ses organisations révolutionnaires, les partis po­litiques.

7. La formation de forces politiques exprimant et défendant des intérêts de classe n'est pas propre au prolétariat. Elle est le fait de toutes les classes de l'histoire. Le degré de développement, de définition et de structuration de ces forces est à l'image des classes desquelles elles éma­nent. Elles trouvent leur forme la plus achevée dans la société capitaliste - la dernière société de classes de l'histoire - là où les classes so­ciales connaissent leur développement le plus complet, où les antagonismes qui les opposent se manifestent avec le plus de netteté.

Cependant, s'il existe des points communs in­contestables entre les partis du prolétariat et ceux des autres classes - et notamment de la bour­geoisie - les différences qui les opposent sont également considérables.

Comme pour les autres classes historiques du passé, l'objectif de la bourgeoisie, en établis­sant son pouvoir sur la société, n'était pas d'a­bolir l'exploitation mais de la perpétuer sous d'autres formes, n'était pas de supprimer la di­vision de la société en classes, mais d'instaurer une nouvelle société de classes, n'était pas de détruire l'Etat mais au contraire de le perfec­tionner. Le type d'organismes politiques dont se dote la bourgeoisie, leur mode d'action et d'intervention dans la société, sont directement déterminés par ces objectifs : les partis bour­geois sont des partis étatiques qui ont pour rôle spécifique la prise et l'exercice du pouvoir d'Etat comme émanation et garant de la perpétua­tion de la division de la société en classes.

Par contre, le prolétariat est la dernière clas­se de l'histoire, celle dont la prise du pouvoir politique a pour objectif l'abolition de la divi­sion de la société en classes et l'élimination de l'Etat, expression de cette division. En ce sens, les partis du prolétariat ne sont pas des partis étatiques. Ils n'ont pas pour vocation la prise et l'exercice du pouvoir d'Etat, leur but ultime tant au contraire la disparition de l'Etat et des classes.

8. I1 faut mettre en garde contre les interpré­tations abusives de la phrase malencontreuse du Manifeste Communiste (qui ne se comprend que dans le contexte politique d'avant 1848) où il est dit que « les communistes ne forment pas un parti dis­tinct…»

Prise à la lettre, cette phrase est en contradic­tion évidente avec le fait qu'il s'agissait du manifeste d'une organisation qui s'intitulait précisément La Ligue des Communistes et à laquel­le i1 servait de programme. C'est d'autant plus surprenant venant de deux hommes qui ont rédigé ce manifeste, Marx et Engels, qui ont été, leur vie durant, tant des militants du mouvement gé­néral de la classe que des hommes de partis et d'ac­tions politiques.

Le lien entre la vie de la classe et celle de ses organisations politiques

9. Parties du mouvement général de la classe ou­vrière qui leur donne jour, ces organismes politi­ques que sont les partis évoluent avec le dévelop­pement de la lutte de classe. Comme tout organis­me vivant, ces partis politiques du prolétariat ont une histoire qui est indissolublement liée à l'histoire du mouvement général de la classe avec ses hauts moments de lutte et avec ses reculs mo­mentanés.

On ne peut étudier et comprendre l'histoire de cet organisme, le Parti, qu'en le situant dans le contexte général des différentes étapes que par­court le mouvement de la classe, des problèmes qui se posent à elle, de l'effort de sa prise de conscience, de sa capacité à un moment donné de répondre de façon adéquate à ses problèmes, de tirer les leçons de son expérience et d'en faire un nouveau tremplin pour ses luttes à venir.

S'ils sont un facteur de premier ordre du dé­veloppement de la classe, les partis politiques sont donc, en même temps, une expression de l'état réel de celle-ci à un moment donné de son histoire.

10. Tout au long de son mouvement, la classe a été soumise au poids de l'idéologie bourgeoise qui tend à déformer, à corrompre les partis prolé­tariens, à dénaturer leur véritable fonction. A cette tendance, se sont opposées les fractions révolutionnaires qui se sont donné pour tâche d'élaborer, de clarifier, de préciser les posi­tions communistes. C'est notamment le cas de la Gauche Communiste issue de la 3ème Internationa­le : la compréhension de la question du Parti pas­se nécessairement par l'assimilation de l'expé­rience et des apports de l'ensemble de cette Gau­che Communiste Internationale.

Il revient cependant à la Fraction italienne de la Gauche Communiste le mérite spécifique d'avoir mis en évidence la différence qualitative existant dans le processus d'organisation des révolution­naires selon les périodes : celle de développement de la lutte de classe et celle de ses défaites et de ses reculs. La FIGC a dégagé avec clarté, pour chacune des deux périodes, la forme prise par l'or­ganisation des révolutionnaires et les tâches cor­respondantes : dans le premier cas la forme du par­ti, pouvant exercer une influence directe et im­médiate dans la lutte de classe; dans le second cas, celle d'une organisation numériquement rédui­te, dont l'influence est bien plus faible et peu opérante dans la vie immédiate de la classe. A ce type d'organisation, elle a donné le nom distinc­tif de Fraction qui, entre deux périodes de déve­loppement de la lutte de classe, c'est-à-dire deux moments de l'existence du Parti, constitue un lien et une charnière, un pont organique entre l'ancien et le futur Parti.

La Fraction italienne a combattu les incompré­hensions d'un Trotski qui croyait pouvoir créer un Parti et une Internationale dans n'importe quelle situation -par exemple dans les années 30- et qui n'a réalisé que des scissions et un éparpillement encore plus grand des éléments révolutionnaires. Elle s'est refusée aux astuces théoriques d'un Bordiga[2] jonglant avec les mots et se contorsion­nant, en guise de théorie, dans des abstractions vides de sens et des sophismes tels que "l'inva­riance du programme" et la distinction entre "Par­ti formel" et "Parti historique". Contre ces diffé­rentes aberrations, la Fraction italienne de la Gauche Communiste a démontré la validité de sa thè­se en s'appuyant sur la terre ferme de l'expérience d'un siècle d'histoire du mouvement ouvrier et de ses organisations.

11. L'histoire réelle et non fantaisiste nous montre que l'existence du parti de la classe parcourt un mouvement cyclique de surgissement, de développement et de dépérissement, dépérissement qui se manifeste par sa dégénérescence interne, par son passage dans le camp de l'ennemi ou encore par sa dispari­tion pure et simple et qui laisse des intervalles plus ou moins longs jusqu'à ce que, de nouveau, se présentent les conditions nécessaires pour son resurgissement. Cela est vrai aussi bien pour la pé­riode pré-marxiste -à commencer par le babouvisme et le surgissement successif d'organisations révo­lutionnaires- que durant la vie et l'activité de Marx et Engels, ainsi qu'après leur mort, jusqu'à nos jours. La Ligue des Communistes n'a vécu que 5 ans (1847-1852), la Première Internationale 9 ans (1864-73), la 2ème Internationale 25 ans (1889­1914), la 3ème Internationale 8 ans (en comptant large, 1919-1927). S'il existe un lien évident de continuité (leur continuité provient du fait qu'el­les étaient toutes des organismes de la même clas­se, des moments successifs de cette unité qu'est la classe qui, tel le système solaire à l'égard des planètes, paraît présenter un Tout stable à l'intérieur duquel se meuvent les divers organis­mes), il n'existe par contre aucune stabilité, au­cune fixité de cet organisme appelé Parti.

La pseudo-théorie bordiguiste sur le "Parti his­torique" et 1e "Parti formel" est entachée de mys­ticisme. D'après cette théorie, le Parti "histori­que" -tout comme le Programme- serait une donnée fixe, immuable, invariante. Mais ce Parti ne sau­rait manifester sa réalité que dans le Parti "for­mel". Mais qu'advient-il du Parti "historique quand le formel vient à disparaître ? Il devient invi­sible et inopérant, mais subsiste cependant, quel­que part on ne sait où, parce qu'immortel. Nous retrouvons ici les thèmes et interrogations de la philosophie idéaliste et religieuse séparant l'es­prit et la matière, l'âme et le corps, l'un dans la béatitude éternelle et l'autre dans la mortalité.

12. Aucune théorie illuministe, volontariste, de la génération spontanée ou de l'intelligence gé­niale, ne saurait rendre compte du phénomène du surgissement et de l'existence du Parti, et enco­re moins des raisons de sa périodicité, de l'or­dre de succession de ses différents moments. Seule une démarche qui tient compte du mouvement réel de la lutte de la classe, lui-même conditionné et dé­terminé par l'évolution du système capitaliste et de ses contradictions peut donner une réponse va­lable au problème du Parti, en l'insérant dans la réalité du mouvement de la classe.

13. La même démarche doit être appliquée quand on examine la variabilité, constatée dans l'histoire, de certaines fonctions du Parti.

Tout comme la philosophie, dans l'antiquité, en­globait des disciplines diverses, le Parti, produit du mouvement de la lutte de classe du prolétariat, assure, à ses débuts dans l'histoire, l'accomplis­sement d'un grand nombre de tâches dans la classe, en particulier :

  • il est le creuset de l'élaboration théorique de la classe;
  • il explicite les buts finaux potentiellement contenus dans les luttes de celle-ci;
  • il est un organe actif, militant dans la clas­se, prenant place au premier rang pour la défense de ses intérêts immédiats -économiques et politi­ques;
  • il est éducateur, multipliant et diversifiant ses interventions dans la classe et assurant cette éducation à tous les niveaux, par la presse et par des conférences, par l'organisation de cours du soir, par la création d'universités ouvrières, etc.;
  • il assure la propagande, la diffusion des idées révolutionnaires dans la classe;
  • il combat avec acharnement et sans relâche les idées, les préjugés de l'idéologie bourgeoi­se pénétrant sans cesse dans la pensée des ouvriers et entravant leur prise de conscience;
  • il se fait agitateur, organisant et multi­pliant les manifestations ouvrières, meetings, réunions et autres actions de la classe;
  • il se fait organisateur, créant, multipliant et soutenant toutes sortes d'associations ouvriè­res, culturelles et de défense des conditions maté­rielles immédiates (mutuelles, coopératives de pro­duction, caisses de grève, de solidarité finan­cière) et surtout la formation d'organisations unitaires et permanentes de défense des intérêts économiques immédiats de la condition ouvrière : les syndicats;
  • il assure, notamment par la présence de re­présentants ouvriers dans les parlements, 1a lutte pour des réformes politiques dans l'intérêt immé­diat des ouvriers.

Quatre grandes étapes dans la vie du prolétariat: 1848, 1870, 1914, 1917

14. L'histoire des dernières 140 années, a connu quatre grands bouleversements dans le capitalis­me :

  • 1848 : achèvement du cycle des révolutions antiféodales de la bourgeoisie;
  • 1870 : achèvement, avec la guerre franco­ prussienne, de la constitution de grands ensembles, des grandes unités économico politiques du capita­lisme, des nations, et ouverture d'une longue épo­que d'expansion capitaliste à travers le monde -le colonialisme.
  • 1914 : point culminant de la phase impéria­liste. L'exacerbation des contradictions du sys­tème et son entrée dans la phase de déclin avec la première guerre mondiale;
  • 1917 : craquement du système posant la néces­sité de la transformation sociale imminente.

15. Comment réagit le prolétariat à ces 4 événements capitaux ?

- 1848 : Derrière la bourgeoisie apparaît l'om­bre géante du jeune prolétariat (journées de juin, soulèvement des ouvriers de Paris), évènement an­noncé quelques mois auparavant par la constitution de la Ligue des Communistes. Premier véritable Par­ti du prolétariat moderne, cette organisation, rom­pant avec le romantisme des sociétés conspiratives, annonce et démontre dans un Programme cohérent, critique du capitalisme ("Le Manifeste") , l'inévi­table écroulement de ce système sous le poids de ses insurmontables contradictions internes. Elle désigne le prolétariat comme sujet de la solution historique, sujet qui, par sa révolution, devra met­tre fin à la longue histoire de la division de la société humaine en classes antagoniques et de l'ex­ploitation de l'homme par l'homme. S'opposant à toute phraséologie révolutionnaire et au volonta­risme, la Ligue reconnaît, en 1852, la victoire du capitalisme sur les premiers soulèvements du pro­létariat dans une situation d'immaturité histori­que des conditions rendant possible le triomphe de la Révolution Socialiste. Et c'est dans cette situ­ation nouvelle de défaite que la Ligue est appelée inévitablement à disparaître comme organisation po­litique agissante et centralisée.

- 1870 : Les militants de la Ligue n'ont pas disparu dans la nature. Dans l'attente de la matu­ration des conditions d'une nouvelle vague de lut­tes ouvrières, ils ont poursuivi un travail d'éla­boration théorique, d'assimilation des expériences au sein de la classe, suite à la grande convulsion sociale de 1848. Pour sa part, la bourgeoisie, re­mise de cette convulsion, a poursuivi à grands pas son développement et son expansion. Quelques 15 ans après, nous nous trouvons en présence d'un prolétariat plus nombreux, élargi à d'autres pays, plus mûr et décidé à engager de grandes batailles non pas encore, certes, pour une révolution (du fait de l'immaturité des conditions objectives pour un tel objectif immédiat) mais pour la défen­se de ses conditions économiques d'existence immé­diate. C'est dans ce contexte, qu'en 1864, est fondée, à l'initiative des ouvriers de France et d'Angleterre, la 1ère Internationale groupant par dizaines de milliers les ouvriers de tous les pays industrialisés ou en voie d'industrialisation, de l'Amérique à la Russie. Les anciens militants de la Ligue des Communistes se retrouveront tout na­turellement dans les rangs de cette Association Internationale des Travailleurs (A.I.T) où ils occuperont les postes de plus haute responsabili­té avec Marx à la tête.

D'année en année, dans tous les coins du monde, l'Internationale deviendra le drapeau d'ouvriers de plus en plus nombreux, de plus en plus comba­tifs, au point de devenir une préoccupation majeu­re pour tous les gouvernements d'Europe. C'est dans cette organisation générale de la classe que s'affronteront le courant marxiste, authentique expression du prolétariat, et le courant anarchis­te de Bakounine, représentant de l'idéologie pe­tite-bourgeoise ayant encore une grande influence parmi les prolétaires de la première génération et parmi les artisans semi-prolétarisés.

La guerre franco-prussienne, la défaite miséra­ble du second Empire et sa chute en France, la fé­lonie de la bourgeoisie républicaine, la misère et la faim des ouvriers de Paris cernés par l'ar­mée de Bismarck, la provocation du Gouvernement... Tout poussait les ouvriers parisiens à un affron­tement armé prématuré pour en finir avec le gou­vernement bourgeois et proclamer la Commune. L'écrasement de la Commune était inévitable. Et, en même temps qu'elle témoignait de la combativité et de la volonté exaspérées de la classe ouvrière montant à l'assaut contre le capital et son Etat, laissant aux générations à venir de la classe ou­vrière mondiale des enseignements inestimables, sa défaite, dans un immense bain de sang, avait pour conséquence immédiate d'entraîner également et irrémédiablement la disparition de l'Internationale.

- 1914 : Le triomphe sanglant du capital, le massacre de la Commune et la disparition de l'In­ternationale qui l'a suivi, devaient peser pendant de longues années et marquer toute une génération du prolétariat. Les blessures une fois cicatrisées, c'est peu à peu que le prolétariat reprend confian­ce en lui et en sa capacité d'affronter le capital. Lentement se reconstituent les organisations de la classe : Bourses de travail, syndicats, partis po­litiques, qui vont tendre à se centraliser, à l'échelle nationale d'abord, et enfin à l'échelle internationale donnant naissance en 1889 (18 ans après la Commune) à la constitution de la 2ème Internationale, organisation strictement politique.

Mais le monde capitaliste est alors à l'apogée de son développement au niveau international, il tire un maximum de profit du fait de l’existen­ce d'un marché qui semble illimité. C'est l'âge d'or du colonialisme, du développement des moyens de production et de la plus-value relative, se subs­tituant à la plus-value absolue. La lutte du prolé­tariat pour la diminution de la journée de travail, pour l'augmentation des salaires, pour des réformes politiques est largement payante. Cette situation semble pouvoir se poursuivre sans fin, aboutissant à l'illusion que, par des réformes successives, le monde capitaliste pourrait se transformer graduel­lement en une société socialiste. Cette illusion, c'est le réformisme, cette maladie qui va pénétrer profondément dans la tête des ouvriers et dans leurs organisations tant politiques qu'économiques (surtout économiques), va ronger la conscience de la classe et lui faire perdre de vue son but et sa démarche révolutionnaires.

Le triomphe du réformisme constituera finalement la défaite du prolétariat. C'est le triomphe de la bourgeoisie parvenant à le rattacher à ses valeurs, avant tout nationalistes, patriotiques, à corrom­pre définitivement ses organisations, partis et syndicats, passés sans retour possible dans le camp du capital.

- 1917 : Endormi, chloroformé, trahi par le passage de ses organisations dans le camp bourgeois saoulé du nationalisme et du patriotisme dont la bourgeoisie l'abreuve à dose renforcée, le prolé­tariat, mobilisé dans la guerre, se réveillera dans le fracas assourdissant des obus, au milieu de millions de cadavres des siens, plongé dans un océan de sang, de son sang. Il ne lui a fallu pas moins de ce cataclysme de 3 années de guerre impé­rialiste mondiale pour se dégriser et pour commen­cer à reprendre conscience de la réalité.

1917 était la première explosion d'une vague ré­volutionnaire qui va durer des années. C'est au cours de cette explosion que le prolétariat sera amené à reconstruire de nouvelles organisations de classe correspondant à ses tâches nouvelles, non plus sous la forme de syndicats devenus à ja­mais impropres à la période nouvelle de décadence du capitalisme, mais sous la forme de Conseils Ou­vriers; non plus ressusciter la Social-démocratie à jamais perdue et passée dans le camp ennemi, mais un Parti Communiste mondial (la 3ème Internationale) à la hauteur de la tâche qui s'imposait : contri­buer à la marche vers la révolution mondiale du prolétariat. C'est avec les Fractions et les mino­rités de gauche issues de la 2ème Internationale qui ont combattu durant de longues années l'idéo­logie réformiste, qui ont dénoncé la trahison de la vieille Social-démocratie, qui ont lutté contre la guerre et contre l'idéologie de la défense natio­nale, en un mot qui sont restées fidèles au marxis­me et à la révolution prolétarienne, que se consti­tue le nouveau Parti , la nouvelle internationale, l'Internationale communiste.

L'épreuve de la contre-révolution

16. Du fait qu'elle a surgi au cours de la guerre -qui ne constitue pas 1a condition la plus favora­ble à la révolution- cette grandiose première va­gue de la révolution prolétarienne a échoué. Cet échec était dû également à l'immaturité de la cons­cience du prolétariat qui s'est manifestée, entre autres, par la survivance, au sein de la nouvelle internationale, de bien des positions erronées hé­ritées de la vieille Social-démocratie :

  • les fausses réponses concernant le rôle du Parti dans la révolution et le rapport Parti-classe - l'assimilation de la dictature du prolétariat à la dictature du Parti;
  • la confusion, particulièrement dangereuse, sur la question de l'Etat dans la période de tran­sition proclamé "Etat prolétarien" ou "Etat socia­liste".

Ces différentes erreurs, la survivance de l'Etat soviétique proclamé "Etat ouvrier", l'insuffisance des analyses de "l'Opposition de Gauche" sur sa dé­générescence (prétendue préservation de son carac­tère "prolétarien" et des "acquis d'octobre"), tous ces facteurs, se combinant entre eux et aux défai­tes successives du prolétariat dans les autres pays (pour lesquelles ils portent une part de responsabi­lité) ont contribué au rétablissement d'un rapport de forces en faveur de la bourgeoisie mondiale, ont été responsables d'un écrasement historique de la classe. Cet ensemble d'éléments entraînera également la déchéance, la dégénérescence et finalement le passage à la bourgeoisie du Parti bolchevik, de l'ensemble des partis de l'Internationale Communis­te et la mort de celle-ci.

La profondeur de la défaite subie par le proléta­riat sera en proportion directe de la hauteur de la vague révolutionnaire qui a précédé cette défaite. Ni la grande crise mondiale qui éclate en 29, ni la 2ème guerre mondiale, ni la période de reconstruc­tion de l'après-guerre ne connaîtront de luttes d'ampleur significative du prolétariat. Même dans les rares pays où la combativité ouvrière persis­tait encore pour n'avoir pas été directement mise à l'épreuve, cette combativité sera facilement dé­tournée de son terrain de classe par les forces po­litiques de la Gauche en vue de la guerre mondiale. Ce fut le cas notamment lors de la grève générale de 1936 en France et, la même année, du soulèvement du prolétariat espagnol rapidement dévoyé dans une guerre "civile" entre fascisme et antifascisme, ser­vant de préparation et de répétition générale pour la seconde guerre mondiale. Dans d'autres pays, com­me la Russie, la Roumanie, la Pologne, l'Allemagne, l'Autriche, l'Italie, les pays des Balkans, l'Es­pagne et le Portugal, le prolétariat est soumis à la plus noire répression : par millions, il est jeté dans les prisons et autres camps de concentra­tion. Toute condition pour le surgissement d'un Parti de classe est absente. Seuls, le volontaris­me et l'incompréhension totale de la réalité d'un Trotski, qui va jusqu'à saluer, en 36, le commen­cement de la Révolution en France et en Espagne, qui confond le capitalisme d'Etat en Russie avec la "survivance des conquêtes d'Octobre", lui per­mettent de se lancer, avec ses partisans, dans l'aventure de la proclamation de nouveaux partis et d'une Internationale prétendument révolution­naires, après que son courant ait fait un retour et un séjour dans les partis socialistes de la défun­te 2ème Internationale de triste mémoire.

Loin d'être une période de mouvement centripète, de convergence des forces révolutionnaires allant vers l'unification et vers la formation du Parti de la classe, ce qui caractérise cette période, c'est un mouvement catégoriquement centrifuge, d'éparpillement et de dispersion des groupes et des éléments révolutionnaires : la gauche anglaise de­puis longtemps disparue, la gauche russe inexora­blement exterminée physiquement dans les geôles de Staline, la gauche allemande complètement liquidée. Les groupes révolutionnaires qui subsistent s'iso­lent et se replient sur eux-mêmes, s'amenuisent au fil des mois et des années.

La guerre de 36 en Espagne fera une sélection sé­vère parmi ces groupes, entre ceux qui se sont pris dans les filets de l'antifascisme et ceux qui se maintiennent fermement sur le terrain de classe : les Fractions de la Gauche Communiste Internatio­nale qui poursuivent et développent un travail de compréhension théorique en soumettant, sans aucun ostracisme, les positions politiques passées de l'internationale Communiste à son apogée , à la critique la plus sévère, la plus féconde, fondée sur l'expérience réelle du mouvement depuis 1917. La Gauche Communiste Internationale subira elle-même les contrecoups des évènements. Une première fois, par la scission d'une minorité en 36, optant pour la participation à la guerre d'Espagne du cô­té républicain antifasciste, une deuxième fois par le départ, au début de la guerre d'une minorité proclamant la "disparition sociale du prolétariat" en temps de guerre et, par suite, l'impossibilité de poursuivre toute activité et de maintenir l'or­ganisation des Fractions. La troisième crise -qui sera définitive- surgit fin 1945 avec la scission de la Fraction française de la Gauche Communiste (la GCF) s'opposant à la décision de dissolution de la Gauche Communiste Internationale et l'englou­tissement pur et simple de ses membres, à titre in­dividuel, dans un parti proclamé en Italie dont on ignorait tout de la plateforme et des positions, sachant seulement qu'il s'était constitué autour de 0. Damen et Bordiga, deux éminentes figures de la Gauche Italienne des années 20. Ainsi finit tris­tement la Fraction Italienne de la Gauche Communis­te.

Les principaux enseignements d'un siècle d'histoire sur la nature et la fonction du Parti

17. Ce rapide survol de l'histoire du mouvement ou­vrier nous enseigne :

a) La nécessaire existence d'un lien étroit en­tre la classe comme un tout et le Parti comme orga­nisme particulier de ce tout. I1 y a des périodes où la classe existe sans le Parti mais il ne peut jamais exister de Parti sans la classe.

b) La classe secrète le Parti comme un organis­me indispensable, chargé de fonctions dont la clas­se a besoin dans et pour sa maturation et sa prise de conscience lui permettant ainsi de se rendre apte à atteindre la victoire finale. Il est impos­sible de supposer le triomphe final du prolétariat sans qu'il ait développé les organes qui lui sont indispensables : notamment l'organisation généra­le unitaire de la classe groupant en son sein tous les ouvriers, et l'organisation politique -le Parti- qui se constitue sur un programme général et composé de positions cohérentes montrant le but ultime de 1a lutte du prolétariat, le communisme, et les moyens pour l'atteindre.

c) Une différence substantielle existe, dans leur évolution, entre les organisations générales ouvertes à tous les ouvriers et l'organisation po­litique qu'est le Parti.

Dans la période ascendante du capitalisme, l'or­ganisation générale qui se donne pour tâche la dé­fense des intérêts économiques immédiats de la classe, a tout en subissant des modifications im­portantes de structure, une existence permanente; cela n'est pas le cas pour l'organisation politi­que, le Parti, qui n'existe que de façon intermit­tente, dans les périodes de développement de la lutte et de combativité de la classe. Cette cons­tatation souligne fortement l'étroite dépendance de l'existence du Parti avec l'état de 1a lutte de classe. Dans le cas d'une période de montée de la lutte, les conditions sont données pour le sur­gissement et l'activité du Parti; dans les pério­des de reflux, avec la disparition de ces condi­tions, le Parti tend à disparaître. Dans le pre­mier cas, c'est la tendance centripète qui l'em­porte, dans le second cas, c'est la tendance cen­trifuge qui s'impose.

d) Sur ce point, il faut noter qu'il en est sensiblement différent dans 1a période décaden­ce du capitalisme. Dans cette période où ne sont même plus possibles le maintien et l'amélioration réels et durables des conditions de vie de la clas­se ouvrière, il ne saurait exister une organisation permanente dont ce but serait la raison d'être. C'est pour cela que le syndicalisme est vidé de tout contenu ouvrier. Les syndicats ne peuvent garder leur existence et leur permanence que com­me appendices de l'Etat, chargés d'encadrer, contrôler et dévoyer toute action et lutte de la classe. Dans cette période, seules les grèves sau­vages tendant vers la grève de masse, contrôlées et dirigées par les assemblées générales, présen­tent la forme possible d'un contenu de classe. De ce fait, ces assemblées ne peuvent exister de fa­çon permanente à leur début. Une organisation gé­nérale de la classe ne peut exister et devenir permanente que lorsque la défense des intérêts im­médiats se conjugue avec la possibilité de la ré­volution, dans la période révolutionnaire. C'est l'organisation des Conseils Ouvriers. C'est le seul moment dans l'histoire du capitalisme où la permanence de cette organisation est vraiment gé­nérale, constitue une concrétisation de l'unité réelle de la classe. Il n'en est pas de même pour ce qui concerne le parti politique qui peut par­faitement surgir avant ce point culminant que sont les Conseils Ouvriers. Il en est ainsi parce crue son existence n'est pas conditionnée par le moment final, mais simplement par une période de montée de la lutte de classe.

e) Nous avons pu constater au cours de l'his­toire comment, avec l'évolution de la lutte de classe, se modifient certaines fonctions passées du Parti. Enumérons-en quelques exemples :

  • Au fur et à mesure de l'évolution de la lutte de classe, de l'accumulation d'expériences, de l'élévation générale de la culture des ouvriers, le Parti perd graduellement son rôle d'éducateur général.
  • C'est encore plus vrai pour ce qui concerne son rôle d'organisation de la classe. Une classe ouvrière comme celle des ouvriers anglais de 1864 qui est capable de prendre l'initiative de fonder une Association Internationale de Travailleurs n'avait vraiment pas besoin d'un tuteur pour l'or­ganiser. La démarche consistant à "aller au peuple" ou "vers les ouvriers" pour les organiser, avait encore un sens dans un pays arriéré comme la Rus­sie à la fin du 19ème siècle. Une telle fonction avait perdu tout sens pour les pays industrialisés comme l'Angleterre, la France, etc. La fondation de l'AIT en 1864 n'était l'œuvre d'aucun parti. Il n'en existait pratiquement pas, et dans les rares cas où ils existaient, comme le chartisme en Angleterre ou le blanquisme en France, ils étaient en pleine décomposition.

La 1ère Internationale est beaucoup plus proche de l'organisation générale que d'une organisation du type de la Ligue des Communistes, c'est-à-dire du type Parti, strictement groupé et sélectionné sur la base d'un programme théorique et politique cohérent. C'est pour cela que pouvaient coexister et s'affronter, en son sein, divers courants : marxiste (collectiviste), ouvriériste, proudhonien, anarchiste et même, au début, un courant aussi bi­zarre que le mazzinisme. L'Internationale était un creuset où se décantaient les idées et les cou­rants. Un parti est déjà le produit d'une décan­tation. C'est pourquoi les courants restent encore informels en son sein. Un seul parti politique dans le plein sens du mot est né depuis la disso­lution de la Ligue des Communistes et durant l'existence de la 1ère Internationale en 1868 : le Parti Social-démocrate eisenachien, à tendance marxiste sous la direction de W. Liebknecht et de Bebel. I1 faudra attendre 1878, à l'occasion des élections, pour que naisse, sous la direction de Guesde et de Lafargue avec la participation direc­te de Marx (qui en écrivit la plateforme politi­que) le Parti Ouvrier en France.

Ce n'est qu'à partir des années 80 avec le déve­loppement accéléré du capitalisme et la remontée de la lutte de classe que se font sentir le besoin et la possibilité de formation de partis politiques pour la lutte politique proprement dite, distincts des organisations à caractère de défense des inté­rêts immédiats sur le plan économique, les syndi­cats. C'est à partir des années 1880, un peu dans tous les pays industrialisés ou en voie d'indus­trialisation, que s'engage véritablement un proces­sus de formation de partis, à l'image de la Social­-démocratie allemande qui prendra l'initiative de la constitution de la 2ème Internationale en 1889.

La 2ème Internationale sera le résultat d'une décantation politique opérée dans le mouvement ou­vrier depuis la dissolution de la 1ère Internatio­nale (16 ans) et d'unification du courant marxiste à l'échelle internationale. Elle se réclamera du "socialisme scientifique" tel qu'il a été formulé 40 ans auparavant par Marx et Engels dans le Mani­feste de la Ligue des Communistes en 1848. Elle ne se donnera plus pour tâche, comme l'avait fait la 1ère Internationale, de procéder à une enquête sur les conditions de la vie ouvrière dans diffé­rents pays, ni d'élaborer des cahiers de revendi­cations économiques. Les activités de ce type qui, à ses débuts, sont encore siennes, seront progres­sivement et définitivement laissées aux syndicats. Par contre, elle prendra comme tâche la lutte pour des revendications politiques immédiates : suffra­ge universel, droit de réunion et liberté de la presse, participation aux campagnes électorales, luttes pour des réformes politiques, contre la po­litique colonialiste de la bourgeoisie, contre sa politique étrangère, contre le militarisme, etc., tout en poursuivant un travail d'élaboration théo­rique et de défense des buts finaux du mouvement, la révolution socialiste.

C'est avec raison qu'Engels (dans une de ses préfaces au Manifeste Communiste) signale, dans les années 80, que la 1ère Internationale avait rempli complètement sa tâche dans la période his­torique où elle avait surgi. I1 a tort, sur sa lancée, de conclure hâtivement que le mouvement politique de la classe, la formation de partis dans différents pays, a pris un tel essor que la classe ouvrière "n'a plus besoin d'une organisa­tion internationale". Avec toutes ses insuffisan­ces, avec toutes ses erreurs, avec toute la péné­tration réformiste (trouvant son appui principal dans les syndicats) -qui va triompher en son sein et la perdre comme organisation de la classe-, la 2ème Internationale a également accompli une œuvre entièrement positive dans la classe, une œuvre qui reste un acquis du mouvement, ne serait-ce que d'avoir servi de terrain inégalable à la confron­tation et à la clarification théoriques dans plus d'un domaine, de terrain d'affrontement des posi­tions politiques de la gauche contre le révision­nisme Bernsteinien et le centrisme Kautskien. C'est en son sein que vit et s'aguerrit la gauche révolutionnaire.

Quand les moralistes-modernistes de ces se plaisent aujourd'hui à dresser uniquement négatif dans l'histoire -dans la mesure où ils ont quelque connaissance de l'histoire-, de ce que fut la 2ème Internationale à une certaine époque et de son apport au mouvement ouvrier, ils ne font preuve que de leur propre ignorance totale de ce qu'est un mouvement historique en développe­ment. Dans leur ingénuité, ils ne se rendent même pas compte que le peu qu'ils connaissent aujour­d'hui, ils l'ont appris, ils le doivent à l'histoi­re, au passé d'un mouvement vivant de la classe ouvrière ! Ceux-là mêmes qui s'empressent de jeter l'enfant avec l'eau sale ne se doutent même pas que leurs idées et "inventions", qu'ils croient être originales, ils n'ont fait que les ramasser là où elles se trouvaient -pour être devenues de­puis longtemps inutiles et inutilisables-, dans les corbeilles à papier de l'époque utopique de l'histoire du mouvement ouvrier. Même les bâtards ont des géniteurs ; inavoués, il est vrai.

Tout comme les modernistes, les bordiguistes se contentent d'ignorer l'histoire du mouvement, l'histoire vivante d'une classe ouvrière en mou­vement et en évolution, avec ses moments faibles et ses moments forts. Au lieu de l'étudier et de la comprendre, ils la remplacent par des dieux morts, éternellement immobiles et momifiés par le Bien et le Mal absolus.

18. Le réveil du prolétariat après trois ans de massacre impérialiste et la mort honteuse de la 2ème Internationale portant le manque infâme de la trahison ouvrent une période de montée de lut­tes et de reconstitution du parti de la classe. Cette nouvelle période d'intenses luttes sociales -qui voit s'écrouler comme de vulgaires châteaux de cartes des citadelles et des forteresses qu'on croyait la veille encore imprenables, qui voit s'effondrer en l'espace de quelques jours un appa­reil militaire considérable, des monarchies et des empires qu'on croyait invulnérables tels que ceux de la Russie, de l'Autriche-Hongrie, de l'Allemagne prussienne- constitue, non pas un simple moment mais un formidable bond qualitatif dans l'évolution de l'histoire et pour le mouvement ouvrier, car elle pose d'emblée la question de la révolution, de sa marche et de la stratégie de la prise du pouvoir politique par la classe ouvrière. C'est pour la première fois de leur histoire que la classe ouvrière et ses partis communistes récem­ment constitués se doivent de répondre à toute une série de questions cruciales -dont chacune se pose en ternies de vie ou de mort de la révolution. Des réponses à ces questions, la classe et les partis en son sein, ont une idée très vague, ou pas d'idée du tout, ou encore franchement anachronique et erronée. Seuls des nains minuscules, mais dotés d'une incommensurable mégalomanie -qui n'ont jamais vu une révolution, même de loin (et la révolution prolétarienne est le plus grand saut de toute l'histoire humaine à ce jour)- peuvent de leur petite hauteur pointer, soixante ans après, leur petit doigt plein de mépris et de suffisance, con­tre les erreurs et les tâtonnements de ces géants qui ont osé monter à l'assaut du ciel capitaliste en s'engageant résolument dans la voie de la révo­lution.

Oui, la classe ouvrière, et avant tout les par­tis et l'Internationale Communiste, ont souvent tâtonné, improvisé et, commis de graves erreurs qui ont largement entravé la marche de la révolution. Mais ils nous ont non seulement légué des acquis inappréciables, mais aussi une riche expérience que nous devons étudier minutieusement afin de comprendre les difficultés rencontrées, d'éviter les pièges dans lesquels ils sont tombés, de dé­passer les erreurs commises par eux, et, sur la base de leur expérience, de pouvoir mieux répondre aux problèmes que soulève la révolution. Il s'agit de mettre à profit le recul dans le temps qui nous été donné pour tenter de résoudre, ne serait-ce que partiellement, ces problèmes, sans pour cela dans la prétention ni perdre de vue le fait que la prochaine révolution apportera avec elle les problèmes nouveaux que nous ne pouvons pas complètement prévoir.

19. Pour revenir au problème précis du parti et de sa fonction dans la période présente et dans a révolution, nous pouvons énoncer la réponse surtout sous la forme de ce qu'elle n'est pas pour dégager ce qu'elle devrait être.

a) Le parti ne peut pas prétendre être le seul et exclusif porteur ou représentant de la conscien­ce de la classe. I1 n'est pas prédestiné à un tel monopole. La conscience de la classe est inhérente à la classe comme une totalité et dans sa totalité. Le parti est l'organe privilégié de cette conscien­ce et rien de plus. Cela n'implique pas qu'il soit infaillible, ni que parfois, à certains moments, il soit en deçà de la conscience prise par certains autres secteurs ou fractions de la classe. La clas­se ouvrière n'est pas homogène, mais tend à l'être. Il en est de même en ce qui concerne la conscience de classe qui tend à s'homogénéiser et à se généra­liser. I1 appartient au Parti, et c'est là une de ses principales fonctions, de contribuer consciemment à accélérer ce processus.

b) A ce titre, le parti a pour tâche d'orienter la classe, de féconder sa lutte ; il n'en est pas le dirigeant au sens de celui qui décide seul, en lieu et place de la classe.

c) A ce titre nous devons reconnaître la possi­bilité de surgissement de groupes (qu'ils s'intitu­lent parti ou non ne change rien) au sein de la classe et dans son organisation unitaire que sont les Conseils Ouvriers. Non seulement le Parti Communiste ne peut, à aucun titre, s'arroger le droit d'interdire leur existence ou faire pression dans ce sens, mais il doit au contraire combattre éner­giquement de telles tentatives.

d) A l'instar de la classe qui, comme un tout, peut être traversée par plusieurs courants révolu­tionnaires plus ou moins cohérents, le Parti, dans le cadre de son Programme, connaît la possibilité de divergences, de tendances. Le Parti Communiste rejette catégoriquement la conception d'un parti monolithique.

e) Le parti, à aucun titre, ne saurait préten­dre établir un cahier de recettes pour répondre à toutes les questions (et dans leur détail) qui peu­vent se poser dans les luttes et dans la conduite de celles-ci. I1 n'est ni un organe exécutif ni ad­ministratif ni technique de la classe. Il est et doit rester un organe politique. Ce principe s'ap­plique tant aux luttes qui précèdent la révolution qu'à celles de la période révolutionnaire elle-même dans laquelle le Parti ne saurait notamment jouer un rôle d’« état-major » de l'insurrection.

f) La discipline d'organisation et dans l'action que le Parti exige de ses membres, ne peut être une réalité que dans le cadre de la constante liberté de discussion et de critique, dans le cadre de la plateforme qu'il s'est donnée. Il ne saurait exiger de ses membres qui sont en divergence avec certaines de ses positions importantes de présenter et défen­dre face à l'extérieur, contre leur conviction, ces positions, de s'en faire les porte-parole au nom du Parti. Et cela aussi bien dans le souci de res­pecter la conscience de ces membres que dans l'in­térêt général de l'organisation comme un tout. Con­fier la défense de positions importantes de l'orga­nisation à des militants qui ne les partagent pas aboutit à une mauvaise défense de celles-ci. Dans ce même sens, le Parti ne saurait recourir à des mesures de répression pour faire pression sur ses membres. Par principe, le Parti rejette l'utilisa­tion de la force et de la violence comme moyen de persuasion et en guise de conviction en son sein, tout comme il rejette la pratique de la violence et des rapports de force physique au sein de la classe et dans son rapport à la classe.

g) Le parti en tant que tel ne demande pas à la classe de lui "faire confiance", de lui déléguer en tant que Parti le pouvoir de décision. Car, par principe, le parti communiste est contre toute délé­gation par la classe du pouvoir à un organisme, groupe ou parti qui ne relève pas comme tel de son contrôle constant. Le principe communiste exige la pratique réelle de délégués élus et révocables à tout moment, toujours responsables devant l'assem­blée qui les a élus ; en ce sens, il proscrit tout mode d'élections par listes présentées par les par­tis politiques. Toute autre conception mène inéluc­tablement à une pratique substitutionniste.

S'il est du droit du parti d'exiger la démission d'un de ses membres d'un poste, d'un comité, d'un organisme ou mP1ne d'un poste de l'Etat, auquel ce militant a été élu par une assemblée et devant la­quelle il est et reste responsable, il ne saurait imposer son remplacement par un autre membre, de son propre chef et de par sa propre décision.

h) Enfin, et à la différence des partis bour­geois, le parti prolétarien n'est pas un organe destiné à s'emparer de l'Etat ou à le gérer. Ce principe découle tant de ce qui vient d'être vu que de la nécessaire indépendance de la classe ou­vrière par rapport à l'Etat de la période de tran­sition. L'abandon de ce principe conduit inélucta­blement à la perte par le Parti de son caractère prolétarien.

i) De tout ce qui précède, il découle que le Parti prolétarien de notre époque ne saurait être un parti de masse . N'ayant aucune fonction étati­que ni d'encadrement de la classe, sélectionné au­tour d'un programme -le plus cohérent possible- le Parti sera nécessairement une organisation minori­taire jusqu'à et pendant la période révolutionnai­re. En ce sens, la conception de l'Internationale Communiste du "Parti révolutionnaire de masse" qui, en son temps, était déjà fausse et relevait d'une période révolue, doit être rejetée catégoriquement.

Vers le futur Parti

20. Le CCI analyse la période ouverte par le surgis­sement des luttes ouvrières à partir de 1968 comme une période de reprise historique des combats de la classe répondant à la crise ouverte qui se dévelop­pe à la fin de la reconstruction du 2ème après­ guerre. En accord avec cette analyse, il considère donc cette période comme posant les prémisses de la reconstitution du Parti. Cependant, même s'ils la font dans des conditions indépendantes de leur volonté, ce sont les hommes qui font l'histoire.

En ce sens, la formation du futur Parti sera le ré­sultat d'un effort conscient, délibéré, effort au­quel les groupes révolutionnaires existants doivent s'atteler dès à présent. Cet effort nécessite une compréhension claire tant des caractéristiques géné­rales, valables à toutes les époques, du processus de formation du parti, due des conditions spécifi­ques, inédites dans l'histoire, qui président au surgissement de celui de demain.

21. Une des spécificités majeures du surgissement du futur parti réside dans le fait qu'il prendra place d'emblée à L'échelle mondiale contrairement à ce qui s'est produit par le passé.

Dans le passé déjà, les organisations politiques du prolétariat étaient mondiales, tendaient vers l'unité mondiale. Cependant, les organisations mon­diales résultaient du regroupement de formations plus ou moins constituées au niveau national et au­tour d'une formation émanant d'un secteur national particulier du prolétariat occupant une position d'avant-garde dans l'ensemble du mouvement ouvrier.

Ainsi, en 1864, l'AIT se constitue essentiellement autour du prolétariat d'Angleterre (la Conférence constitutive se tient à Londres qui est aussi le siège du Conseil Général jusqu'en 1872, les Trade-unions constituent longtemps les contingents les plus importants de l'AIT) qui est le pays de loin le plus développé de l'époque, où le capitalisme est le plus puissant et concentré.

De même, en 1889, la 2ème Internationale se cons­titue principalement autour de la Social-démocratie allemande qui est, -en Europe et dans le monde- le parti ouvrier le plus ancien, le plus développé et le plus puissant, ce qui résulte, avant tout, du formidable développement du capitalisme allemand dans la seconde moitié du 19ème siècle.

Enfin, la 3ème Internationale a pour pôle indiscu­table le Parti bolchevik, non pas à cause d'une quel­conque prééminence du capitalisme de Russie (qui, bien qu'au 5ème rang mondial, reste très arriéré) mais parce que le prolétariat de ce pays est, par des circonstances spécifiques, le premier (et le seul) à renverser l'Etat capitaliste et à prendre le pouvoir lors de la grande vague révolutionnaire du premier après-guerre.

La situation d'aujourd'hui se distingue notoirement de celle qui prévalait à ces différents moments du passé. D'une part, la période de décadence du capi­talisme n'a pas permis l'éclosion de nouveaux grands , secteurs du prolétariat mondial qui auraient pu constituer un nouveau pôle pour l'ensemble du mouve­ment ouvrier (comme ce fut le cas en Allemagne au siècle dernier).

D'autre part, le capitalisme décadent -du fait notamment de sa décadence- a été l'objet d'un nivel­lement considérable de ses caractéristiques économi­ques, sociales et politiques, et tout particulière­ment dans les pays avancés. Jamais, dans l'histoire, le monde capitaliste, malgré ses insurmontables di­visions nationales et de bloc n'a atteint, du fait, entre autres, du développement du commerce mondial et de l'usage des moyens modernes de communication, un tel degré d'homogénéité, d'interdépendance entre ses différentes parties. Cette évolution s'est tra­duite, pour la classe ouvrière, par un nivellement, sans exemple dans le passé, de ses conditions et mo­de de vie ainsi que, d'une certaine manière, de son expérience politique.

Enfin, les circonstances présentes du développe­ment historique de la lutte de classe vers la ré­volution (aggravation simultanée dans tous les pays de la crise économique et non pas guerre im­périaliste comme en 1917, degré considérable d'unité de la bourgeoisie face au prolétariat) assignent à ce développement de tendre vers une simultané­ité, une unité et une généralisation du combat inconnues par le passé.

L'ensemble de ces conditions pousse non pas à la constitution du futur Parti mondial autour de tel ou tel secteur national du prolétariat, comme par le passé, mais à son surgissement d'em­blée à l'échelle internationale autour des posi­tions et du pôle politiques les plus clairs, co­hérents et développées.

C'est en particulier pour cette raison que, en­core plus aujourd'hui que dans tout le passé du mouvement ouvrier, il est fondamental que les dif­férents groupes communistes existant dans le mon­de mobilisent et unifient leurs efforts en vue de la constitution de ce pôle et, en premier lieu, de la clarification des positions politiques pro­létariennes.

Ces tâches essentielles participent donc éga­lement, et de façon majeure, à la prise en char­ge consciente et volontaire -évoquée plus haut­- par les révolutionnaires de leurs responsabilités dans le processus de formation du futur Parti.

22. En accord avec cette perspective, le CCI dé­fend l'idée de la nécessité urgente de rompre avec l'isolement dans lequel se trouvent les grou­pes communistes existants, de combattre l'esprit faisant de la nécessité (objective) d'hier une vertu pour aujourd'hui - qui ne peut relever que d'un esprit de chapelle et de secte - pour que s'engage une véritable discussion internationale entre ces groupes. Cette discussion devra manifes­ter la ferme volonté d'éliminer les malentendus, les incompréhensions, les fausses interprétations des positions des uns et des autres – résultant de la polémique ou de l'ignorance de ces positions­ afin d'ouvrir une véritable confrontation des di­vergences politiques et de permettre que s'enclen­che un processus de décantation et de regroupement.

Le CCI n'ignore pas les énormes difficultés que va rencontrer la réalisation de cette tâche. Ces difficultés sont liées en grande partie au poids de la terrible contre-révolution subie par la classe ouvrière pendant plus de 40 ans, contre ­révolution qui est venue à bout des fractions de gauche issues de l'Internationale Communiste et à rompre la continuité organique ayant existé entre les différentes organisations politiques proléta­riennes depuis le milieu du siècle dernier. Du fait de cette rupture de la continuité organique, le futur Parti ne pourra pas se constituer sui­vant le processus mis en évidence par la Fraction italienne, processus dans lequel la Fraction cons­tituait un pont entre l'ancien et le nouveau Parti.

Cette situation rend encore plus indispensa­ble cette tâche de confrontation et de décanta­tion en vue du regroupement des organisations du camp communiste. Le CCI s'est efforcé d'y contri­buer par des contacts avec ces groupes; il a sug­géré la tenue de conférences internationales de groupes se situant dans le camp prolétarien et y a participé activement. I1 faut constater l'échec de ces premières tentatives, dû avant tout à l'esprit de secte des groupes - débris de la Gau­che italienne - passablement sclérosés et qui, au nombre de cinq, se proclament tous Le "Parti his­torique". Ces soi-disant "partis" sont voués à une sclérose irréversible s'ils persistent dans cette attitude.

Pour ce qui le concerne, le CCI est convaincu qu'il n'existe pas d'autre voie. C'est la voie qui a toujours triomphé dans l'histoire du mouvement ouvrier, la voie de Marx Engels, la voie de Lénine et de R. Luxemburg, la voie suivie par la Gauche Communiste Internationale et Bilan dans les années 30. C'est la seule voie féconde et riche de pro­messes, et c'est cette voie que, plus que jamais, le CCI est décidé à poursuivre fermement.


[1] Sans être exhaustif, on peut signaler les textes suivants :

  • point 16 de la Plateforme du CCI
  • contribution du CCI à la 2ème Conférence Internationale des groupes de la Gauche Communiste
  • brochure du CCI n° 3 : "Organisations communistes et conscience de classe".

[2] Les analyses aberrantes développées par Bordiga - notamment à partir de 1945 - ne sauraient atténuer sa contribution de premier plan dans la fondation du Parti Communiste d'Italie et dans la lutte de la Gauche contre la dégénérescence de l'Internationale Communiste. La reconnaissance de l'importance de cette contribution ne doit pas servir à justifier l'adhésion à ces aberrations, à les considérer comme l'alpha et l'oméga des positions communistes.

 

Conscience et organisation: 

  • Courant Communiste International [8]

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [9]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • L'organisation révolutionnaire [21]

Adresse aux groupes politiques prolétariens

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Les années 80 se confirment comme des "années de vérité" pour l'avenir de l'humanité.

Par son aggravation inexorable, la crise économi­que mondiale gui, depuis une quinzaine d'années se­coue le capitalisme, révèle chaque jour plus l'im­passe totale dans laquelle se trouve ce système. Elle démontre de plus en plus clairement la réalité de l'alternative historique déjà constatée par l'Internationale Communiste : guerre ou révolution, ou bien la réponse prolétarienne à la crise : le développement des luttes de classe menant à la ré­volution ; ou bien son aboutissement bourgeois : l'holocauste impérialiste généralisé menaçant de mort toute l'humanité. C'est dire si sont aujour­d'hui considérables les responsabilités des groupes révolutionnaires comme facteur actif de la capacité du prolétariat à donner une issue positive à cette alternative. Pourtant, pour l'ensemble du milieu politique constitué par les organisations révolu­tionnaires, l'accélération de l'histoire de ces dernières années s'est traduite, non par un renfor­cement, mais par une série de crises organisationnelles internes, des débandades activistes ou des paralysies aux moments de montée de la lutte (Polo­gne 80 en particulier) et par des tendances à la démoralisation, à l'usure, au repli sur soi dans les moments de reflux de la lutte. Au lieu de ser­vir de repère, de phare dans la tourmente sociale gui se développe, l'avant-garde politique du pro­létariat se révèle au contraire souvent ballottée, secouée au gré des flots du tourbillon engendré par la crise historique du capitalisme.

Dans l'immédiat, la contre-offensive déclenchée par la bourgeoisie à l'ouverture des années 80 frappe la classe révolutionnaire, mais aussi son avant-garde politique. Et cela d'autant plus que celle-ci a été incapable de se donner les moyens de dépasser son éparpillement et ses divisions gui sont un legs de la terrible contre-révolution qui s'est abattue sur le prolétariat entre les années 1920 et les années 60.

Les conférences internationales des groupes de la Gauche Communiste (1977-80) auraient pu consti­tuer un pôle de référence au niveau mondial, un cadre pour entreprendre le dépassement de ces fai­blesses. Mais le poids de l'immaturité, de la sclé­rose et du sectarisme, après les avoir maintenues "muettes" par le refus de toute prise de position commune, a finalement mis un terme à cet effort.

Dans les conditions historiques actuelles, il est de la plus haute importance que l'ensemble des organisations révolutionnaires prennent conscience de la gravité de la situation et des responsabili­tés gui sont les leurs, et sachent notamment oppo­ser une résistance réelle, efficace aux pressions destructrices du capital aux abois. Ces responsa­bilités ne sauraient être assurées par une simple somme d'efforts de chaque groupe pris individuel­lement. Il s'agit d'établir une coopération consciente entre toutes les organisations, non pas pour réaliser des regroupements hâtifs, artificiels, mais pour engendrer une volonté et une démarche qui donnent toute son importance à un travail systéma­tique de débats, de confrontations fraternels entre forces politiques prolétariennes.

En ce sens, le travail qui avait été entrepris avec les trois premières conférences de la Gauche Communiste devra être repris. Il devra se baser sur les mêmes critères de délimitation que ceux qui avaient été retenus pour ces conférences, parce que ces critères n'étaient pas de circonstance, mais résultaient de toute une expérience historique de la classe ouvrière depuis la vague révolution­naire suivant la 1ère guerre mondiale. Il devra se baser également sur les enseignements de l'échec de ces  conférences, et notamment sur le fait de les concevoir non comme de simples forum de discussions mais comme un effort militant se donnant notamment comme objectif de prendre position face aux événe­ments cardinaux de la lutte de classe et de la vie de la société. L'heure n'est pas venue pour l'appel à de nouvelles conférences des groupes communistes. Il reste encore tout un chemin à faire pour que soient réunies les conditions d'un tel effort. Ce­pendant, c'est dès aujourd'hui qu'il faut préparer le développement de telles conditions.

C'est dans cette perspective qu'au moment de son 5ème Congrès International, le CCI adresse à toutes les organisations révolutionnaires un appel pour qu'elles prennent résolument en charge les respon­sabilités gui sont les leurs face à la gravité et aux enjeux de la situation historique :

-   reconnaissance de l'existence d'un milieu poli­tique prolétarien ; les groupes communistes doivent rejeter la prétention mégalomane d'être chacun le seul détenteur des positions de classe ;

-   développement systématique d'un esprit et d'une volonté de débat et de confrontation des po­sitions politiques gui sont la condition première d'une décantation et d'une clarification dans l'en­semble de ce milieu et de toute la classe, et gui doivent prendre place dans les presses respectives, les réunions publiques, etc.

-   rejet dans ce débat des bavardages dilettantes et irresponsables, du sectarisme et du dénigrement systématique des autres organisations.

Les formidables affrontements de classe gui se préparent seront également une épreuve de vérité pour les groupes communistes : ou bien ils seront capables de prendre en charge ces responsabilités et ils pourront apporter une contribution réelle aux développements des luttes ; ou bien ils se maintiendront dans leur isolement actuel et ils seront balayés par le flot de l'histoire sans avoir pu mener à bien la fonction pour laquelle la clas­se les a fait surgir.

CCI

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [9]

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