Alors qu’à l’été 2019 l’Europe haletait sous la canicule, un autre pays la subissait aussi, avec des conséquences potentiellement bien plus ravageuses : le 30 juillet, la température sur la côte est du Groenland atteignait le record absolu de 25°. Des scientifiques du monde entier réagissaient avec indignation face à l’ampleur de la catastrophe : “Quand on regarde sur plusieurs décennies, il vaut mieux s’asseoir sur sa chaise avant de regarder les résultats, parce que ça fait un petit peu peur de voir à quelle vitesse ça change (…) C’est aussi quelque chose qui affecte les quatre coins du Groenland, pas juste les parties plus chaudes au Sud”. (1) Plus de la moitié de la calotte glaciaire groenlandaise était à ce moment réduite à de la neige fondue. Les conséquences étaient d’ores et déjà préoccupantes pour les autochtones, les rivières se gonflant tellement de la glace fondue qu’elles détruisirent plusieurs ponts. Dans l’avenir, cette situation tendra à devenir la norme, comme les prévisionnistes climatiques le pensent de plus en plus.
Les conséquences sont énormes, et pas qu’au niveau climatique ; le retrait de la banquise, qui devient permanent, permet à tous les pays riverains d’envisager d’exploiter la situation, à plusieurs niveaux : accès à de nouvelles ressources naturelles, à de nouvelles régions stratégiques, à de nouvelles routes commerciales. La bourgeoisie exploite ainsi les catastrophes que son système a engendrées, accroissant davantage les risques pour l’environnement.
L’Arctique est riche de différentes ressources naturelles qui étaient jusqu’à présent gelées par la banquise, par les difficultés d’exploitation et le relatif désintérêt des pays riverains pour cette région glacée et inhospitalière. Tout change évidemment avec le réchauffement climatique et la course effrénée des grandes puissances aux ressources minérales accessibles, dans un monde où elles pourraient devenir rares et où elles constituent un atout dans la guerre économique et industrielle : métaux comme le zinc, le cuivre, l’étain, le plomb, le nickel, l’or, l’uranium, diamants, terres rares, gaz ou pétrole, tout est présent en Arctique, pour celui qui aura les moyens et la puissance de s’en emparer. La Mer de Kara recèlerait autant de pétrole que l’Arabie Saoudite, et une étude américaine avance que 13 % des réserves pétrolières et 30 % des réserves gazières mondiales non exploitées se trouveraient dans la région.
Tous les discours des médias bourgeois sur la sauvegarde de l’environnement, la nécessaire modification de “nos modes de consommation” (mais pas de production !) et l’indispensable “examen de conscience” de chacun selon son “empreinte carbone” et sa “surconsommation” sont parfaitement hypocrites face à cette réalité : la bourgeoisie cherche son profit partout, dans la catastrophe climatique que nous avons sous les yeux comme dans tout le reste ! S’il lui est possible d’exploiter (voire de surexploiter) la fonte des glaces de l’Arctique de façon rentable, elle le fera, et ce n’est qu’une facette du problème : dès lors qu’il y a exploitation de ressources naturelles, les risques inhérents (pollution, accidents, destruction accentuée de l’environnement, acculturation et destruction des conditions de vie des groupes humains autochtones) ne peuvent que suivre, comme le redoute un représentant inuit : “Notre culture et notre mode de vie sont attaqués. Les animaux, les oiseaux et les poissons dont nous dépendons pour notre survie culturelle sont de plus en plus sous pression. Nous sommes inquiets pour notre sécurité alimentaire”. (2) Tout en culpabilisant les ouvriers pour leur “irresponsabilité” face à la catastrophe climatique, chaque bourgeoisie nationale s’organise pour en tirer parti, et mieux encore, pour en retirer des avantages stratégiques.
L’Arctique n’est pas seulement une source potentielle de matières premières, il est aussi convoité car la fonte des glaces permet également d’ouvrir de nouvelles routes maritimes, potentiellement plus courtes et par conséquent plus rentables que celles qui existent. Mike Pompeo lui-même, Secrétaire d’État américain et ancien directeur de la CIA, a remarqué que “le recul régulier de la banquise ouvre de nouvelles voies de passage et offre de nouvelles opportunités commerciales”. (3) Ainsi, tout en niant tout changement climatique, ce digne représentant de la bourgeoisie américaine avoue sans détour vouloir en profiter ! Et il n’est pas le seul requin à nager en eaux polaires : outre les six pays concernés directement (Canada, États-Unis, Russie, Danemark, Norvège et Islande), un certain nombre d’autres s’intéressent directement à la question.
Au premier rang, on trouve la Chine, observatrice du Conseil de l’Arctique qui a souligné son intérêt pour une route qui lui permettrait d’atteindre les ports atlantiques sans avoir à faire le tour de l’Afrique ou passer par Panama ; elle y aurait d’ailleurs investi quelque 90 milliards de dollars entre 2012 et 2017, selon Pompeo [1], et y a envoyé des navires spécialisés pour “tester” la nouvelle route. La Russie est évidemment intéressée au plus haut point par cette possibilité d’utiliser sans restriction ses ports arctiques qui présenteraient alors le grand intérêt d’être en eaux libres, au contraire de tous les ports qu’elle utilise habituellement (à part Mourmansk), et qui lui permettraient de surveiller très étroitement cette nouvelle voie maritime. La Norvège, le Canada, le Danemark qui sont directement concernés sont évidemment partie prenante de toutes les manœuvres concernant la région. Mais d’autres puissances cherchent également à mettre un pied dans la porte, par exemple la France qui a un statut d’observatrice au Conseil de l’Arctique, qui a institué un poste d’“ambassadeur des pôles” confié jusqu’à il y a peu à Ségolène Royal après l’avoir été à Michel Rocard, et qui prend régulièrement part à des exercices militaires dans le cadre de l’OTAN dans la région.
Cet intérêt de diverses puissances est affirmé dans une très martiale déclaration des États-Unis, toujours par la bouche de Mike Pompeo [2] : “Nous entrons dans une nouvelle ère d’engagement stratégique dans l’Arctique, avec de nouvelles menaces pour l’Arctique et ses ressources, et pour l’ensemble de nos intérêts dans cette région”. Selon lui [3], le passage par l’Arctique “pourrait réduire d’environ vingt jours le temps de trajet entre l’Asie et l’Occident”. Il souhaite que les routes de l’Arctique deviennent “les canaux de Suez et de Panama du XXIe siècle”. Quand on connaît le poids du canal de Panama pour l’impérialisme américain, l’intérêt porté au “passage du Nord-Ouest” prend une importance pratiquement historique. Et on comprend aussi pourquoi les États-Unis cherchent ouvertement à exclure la Chine du Conseil de l’Arctique !
Au-delà des routes maritimes, la possibilité ouverte par le réchauffement de rendre les routes terrestres praticables plus longtemps dans l’année ouvre la porte à l’installation d’infrastructures plus nombreuses et plus importantes, et par conséquent à la possibilité d’accéder plus facilement à ces régions normalement invivables les trois quarts de l’année, ce qui permettra une meilleure exploitation économique et un désenclavement de ces régions, tout en y abaissant le coût de la vie pour les résidents permanents. Le gouvernement canadien a par exemple lancé de tels projets depuis plusieurs années.
En toute bonne logique impérialiste, ces développements ne peuvent qu’entraîner une présence militaire accrue dans cette région où, depuis la fin de la Guerre froide, il n’y avait plus beaucoup de soldats, chaque puissance impliquée ayant à cœur de défendre ses intérêts bien compris en montrant ses crocs militaires. Pompeo a été clair [1] : “La région est devenue un espace de pouvoir mondial et de concurrence”, ce qui y a entraîné une présence accrue des armées de l’Oncle Sam, d’autant que “la Russie laisse déjà dans la neige des empreintes de bottes”. Dénonçant de multiples provocations militaires russes, brouillage du réseau GPS, incursions d’avions dans des espaces jusqu’ici inusités, manœuvres maritimes régulières, les pays de l’OTAN ont riposté : l’Islande a rouvert aux GI’s sa base de Keflavik, tandis que la Norvège a rendu son port de Grøtsund accessible aux sous-marins nucléaires américains et britanniques, et que l’aérodrome de Bodø est régulièrement utilisé par des avions de combat pour des exercices divers, auxquels la France participe…
De son côté, la Russie a réactivé ses bases sibériennes datant de la Guerre froide et depuis abandonnées, tout en rénovant sa flotte vieillissante de brise-glaces. L’expression de Pompeo n’est finalement pas dénuée de fondement…
Ces développements impérialistes ont aussi donné lieu à un événement plutôt cocasse. L’idée de Trump d’acheter le Groenland au Danemark, sous des dehors saugrenus, met en fait en lumière tous les appétits très voraces des puissances impérialistes. Bien que cette région vaste comme quatre fois la France et constamment recouverte du plus gros glacier du monde coûte fort cher à l’État danois, il est bien entendu inenvisageable pour Copenhague d’abandonner un avant-poste aussi potentiellement lucratif que le Groenland. Les États-Unis, qui ont toujours assuré la défense de cette grande île depuis la Seconde Guerre mondiale, ont déjà tenté de l’acheter en 1946 ; mais on se heurte ici à toute la logique impérialiste du capitalisme ; situé en Arctique, riche lui-même de nombreuses ressources naturelles inexploitées, stratégiquement bien placé par rapport à une route qui contournerait le continent américain par le Nord, si stratégique pour la sécurité américaine que les États-Unis l’ont occupé militairement dès 1940, le Groenland n’a d’un point de vue impérialiste que des qualités, et il faut en ajouter d’autres : non seulement le port de Thulé est en eaux profondes et peut donc accueillir les plus grands navires, civils ou militaires, mais la piste de l’aéroport permet de faire décoller n’importe quel appareil. Par ailleurs, la Zone Économique Exclusive du Groenland permet à son État de tutelle d’exploiter toute ressource qui se trouverait à l’intérieur de cette zone de 200 milles nautiques autour du territoire. En prime, le Groenland est associé à l’Union Européenne du fait de l’appartenance de son État de tutelle, le Danemark, à cette organisation, ce qui ne peut que multiplier les marques d’intérêt pour lui… L’intérêt de Trump pour ce territoire est loin d’être absurde dans une logique impérialiste, d’autant que le réchauffement climatique offre des perspectives inédites à tous ceux qui le contrôleront !
Le capitalisme nous a habitués à tirer profit de tout, c’est ce qui fait de lui le système de production le plus dynamique qui soit. Mais qu’il tire profit en l’aggravant d’une menace planétaire majeure sur l’écosystème, qu’il a lui-même provoquée et qui met en jeu l’avenir de l’humanité, au même titre que la déforestation criminelle des régions amazoniennes, montre à quel point ce système en décomposition n’a plus aucun avenir viable à proposer, et illustre pleinement ce que disait déjà le CCI en 1990 dans ses Thèses sur la décomposition [4] : “Toutes ces calamités économiques et sociales qui, si elles relèvent en général de la décadence elle-même, rendent compte, par leur accumulation et leur ampleur, de l’enfoncement dans une impasse complète d’un système qui n’a aucun avenir à proposer à la plus grande partie de la population mondiale, sinon celui d’une barbarie croissante dépassant l’imagination. Un système dont les politiques économiques, les recherches, les investissements, sont réalisés systématiquement au détriment du futur de l’humanité et, partant, au détriment du futur de ce système lui-même”. L’avenir tel que nous le montre le sort réservé à l’Arctique est celui que le capitalisme réserve à l’espèce humaine toute entière : surexploitation et transformation de l’environnement en enfer invivable, recherche du profit y compris en aliénant totalement l’avenir, barbarie militariste, tout y est ! L’alternative qui en résulte pour l’humanité est bien celle que la Troisième Internationale avait mise en avant il y a maintenant un siècle : socialisme ou barbarie, destruction de ce système capitaliste barbare et sans avenir ou lente destruction de l’Humanité.
H.D., 24 avril 2020
1“Le Groenland touché par une vague de chaleur, avec des températures qui devraient atteindre les 25 °C [5]”, Science et Avenir (1er août 2019).
2“Le climato-scepticisme américain chamboule la coopération régionale dans l’Arctique”, GEO (7 mai 2019).
3Idem.
Dans l’article ci-dessous, notre section au Pérou dénonce les ravages de la pandémie, mais surtout le cynisme et l’incurie de l’État démocratique qui n’a d’autre préoccupation que le profit et l’accumulation du capital, qui abandonne et sacrifie aussi bien les salariés de la santé que les malades. Des travailleurs de la santé à Lima et dans d’autres villes ont tenté d’organiser dans un premier temps des sit-in, des manifestations, demandant protection et moyens. L’État n’y a répondu que par la répression et des arrestations policières !
Déjà 20 jours de confinement sont passés, c’est la mesure la plus importante prise par une grande partie des États dans le monde afin d’isoler le virus Covid-19.
Au Pérou, l’état d’urgence s’accompagne d’un couvre-feu imposé par l’État démocratique, situation qui vient renforcer l’atomisation sociale. Cette pandémie mondiale a déjà provoqué des dizaines de milliers de victimes, selon les chiffres officiels. La rapide et brutale propagation du virus a mis en échec tous les États et économies du monde. Les bourgeoisies des différents pays continuent à ne pas coordonner leurs efforts pour contenir l’épidémie et faire face à cette menace qui rend de plus en plus aiguë la crise économique capitaliste.
Le FMI annonce déjà que l’économie internationale se trouve dans une récession égale à celle de 2008-2009, voire pire. Le Covid-19 a eu des conséquences économiques terribles au niveau international, conséquences dont la classe ouvrière supportera, encore une fois, le pire.
Au Pérou, la crise du Coronavirus a démontré la vulnérabilité d’une grande partie de la population, au-delà des enfants et des personnes âgées : les travailleurs. De larges secteurs et travailleurs du pays sont vulnérables du point de vue économique à cause du chômage forcé lié à la pandémie.
À Lima et dans d’autres villes du pays, le taux de chômage a été multiplié par trois dans les quinze premiers jours du confinement. (1) 30 % de la population est ruinée, sans travail ni économies puisque 70 % de la population vit de l’économie informelle, gagnant de l’argent au jour le jour pour subvenir aux besoins familiaux. Des millions de travailleurs au Pérou vivent avec moins de 5 dollars par jour.
Mais l’inquiétude croissante touche aussi le secteur privé formel à cause des 3,7 millions d’emplois qui seront touchés par cette crise. Les chaînes de paiement se sont interrompues complètement. Beaucoup de familles, du fait qu’elles ne touchent plus leurs salaires, sont face aux difficultés pour payer les loyers, acheter des vivres, des médicaments et autres. Cette situation a commencé à se répandre à tous les niveaux touchant directement les travailleurs et nourrissant la panique dans l’ensemble de la population. Cette situation a mis le gouvernement en alerte et l’a obligé à agir.
Le gouvernement Vizcarra a développé un plan économique pour tenter de désamorcer les conséquences du confinement. Ce plan a consisté, dans une première étape à libérer la CTS, (2) en deuxième lieu à donner des primes de 380 soles (115 dollars) renouvelables les deux premières quinzaines de confinement, et en troisième lieu, dans la même ligne, à libérer 25 % des fonds du Système privé de pensions (AFPs).
Mais ces mesures ne sont ni ne seront suffisantes pour affronter la crise économique, ne serait-ce que parce que 70 % de la population sont des travailleurs informels indépendants qui ne bénéficient ni de CTS, ni de AFPs ni d’aucun fonds de réserve.
D’autre part, la Cepal (3) annonce que la crise pourrait laisser 22 millions de personnes de plus dans une pauvreté extrême en Amérique latine, et annonce que nous sommes face au début d’une profonde récession.
“Nous sommes face à la chute de la croissance la plus forte jamais connue dans la région” a signalé Alicia Barcena, secrétaire de direction de la Commission Économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes.
Beaucoup d’entreprises locales profitent déjà de la situation : mise au chômage technique non payé, paiements en attente, licenciements, réduction du coût du travail, entre autres. Ce sont des manœuvres exécutées afin de ne pas voir une baisse de leurs profits au milieu de la tragédie. Selon Ricardo Herrera, avocat spécialisé en droit du travail, les entreprises peuvent prendre ces mesures parce que la Loi de Productivité et Compétitivité du travail le permet. Cette loi autorise les employeurs à ne plus rémunérer pendant 90 jours les travailleurs qui arrêtent leur activité. (4) La loi du profit condamne toujours la classe ouvrière à l’exploitation et à la misère.
L’arrivée du coronavirus a mis à nu le manque criminel de prévention et les coupes dans les budgets de la santé [6] de la part des États bourgeois : hôpitaux saturés, médecins et infirmiers sans matériel, sans équipements, travaillant sans sécurité sanitaire, etc.
La progression de la contagion semaine après semaine a mis à nu le fait que toutes les années de prospérité économique dont a joui la bourgeoisie péruvienne, produit des prix élevés des matières premières, des privatisations, des concessions minières, des recettes d’impôts et d’autres opérations, ont seulement servi à se remplir ses poches et que ce sont les travailleurs qui paieront les pots cassés. D’ailleurs, l’État bourgeois et patronal en appelle cyniquement à la responsabilité individuelle des citoyens en imposant le confinement par décret pour éviter la chute du système de santé publique, déjà saturé.
Le virus a provoqué une véritable crise sanitaire au niveau national et planétaire. Au Pérou, l’Assurance sociale de santé et le Ministère de la santé sont en train d’occulter les terribles conditions dans lesquelles travaillent des centaines de médecins et infirmières. Toute cette situation de précarité dans la sécurité sociale a été dénoncée par un groupe de travailleurs liés au Syndicat National de Médecine de l’Assurance Sociale du Pérou (Sinamssop), qui ont été par la suite arrêtés dans leur local syndical par la police nationale sous l’ordre de la présidente de ESSALUD, Fiorella Molinelli.
Au Pérou comme ailleurs, sur toute la planète, durant des décennies, la bourgeoisie s’est fichue éperdument de la santé publique, jamais il n’y a eu d’investissement durable. Au contraire, année après année, il n’y a eu que des coupes dans les budgets de santé. Par exemple, l’Espagne, qui présente l’une des pires infrastructures sanitaires en Europe, donne une idée de la précarité des moyens. Par comparaison, avec 33 millions d’habitants (presque 75 % de la population de l’Espagne), le Pérou compte environ à peine 350 lits dans les Unités de soins intensifs !
Aujourd’hui, au moment où l’urgence mondiale pour la santé explose, en pleine crise, on voit comment les autorités courent pour acheter des équipements et autre matériel. L’ordre de la bourgeoisie est d’arrêter la pandémie sans sacrifier l’exploitation et les profits. La première chose qu’il faut dénoncer est que nous sommes en face d’un effondrement annoncé du système de santé publique. Cela n’est pas dû à “l’irresponsabilité” des citoyens, mais aux coupes depuis des décennies dans les dépenses sanitaires, dans le personnel sanitaire et dans les budgets d’entretien des hôpitaux et de la recherche médicale [6].
Les médias excellent dans la diffusion de nombreux reportages sur le confinement : images de rues vides, de personnes qui ne respectent pas le couvre-feu, de la police et de l’armée remplissant leur tâche de contrôle de l’ordre et de répression ouvrière. En revanche, il n’y a aucun reportage, aucune image ou information qui montre les centres médicaux ou les hôpitaux publics qui prennent en charge les cas du coronavirus. Pourquoi ? Parce qu’ils ne veulent pas montrer la saturation du système de santé et ses installations. Chaque jour sur les réseaux sociaux, on voit de plus en plus de médecins et infirmières qui dénoncent les mauvaises conditions dans lesquelles ils travaillent quotidiennement.
L’effondrement ne se trouve pas seulement dans l’assistance médicale. Par exemple, à Sao Paolo, au Brésil, on prépare le plus grand cimetière du monde, puisque le nombre de morts ne cesse d’augmenter et que les morgues et cimetières de la ville sont saturés. À Guayaquil, en Équateur, où la misère a progressé brutalement ces 10 dernières années, les vagues de violence, les bandes, le trafic de drogue, les populations entassées, le manque d’infrastructures publiques et de services de base, sont quelques-uns des problèmes qui apparaissent plus clairement durant cette pandémie. Des morts sont brûlés dans la rue suite à la saturation des morgues et des cimetières. Beaucoup de familles gardent leurs morts devant leur domicile, certaines autorités commencent à remplir des bennes avec les cadavres. Ce sont de véritables scènes de guerre avec des morts partout.
L’État bourgeois du Président Martin Vizcarra a approuvé une loi qui permet aux forces de l’ordre de tirer pour “leur légitime défense” face aux possibles manifestations ou réactions de la classe ouvrière. La loi n° 31012, loi de protection policière donne à la police nationale du Pérou, dans le cadre de ses fonctions, le droit de faire usage de ses armes ou d’autres moyens de défense… Cette loi est une nouvelle arme contre le prolétariat. Elle montre la peur crainte de la bourgeoisie et du gouvernement des manifestations de travailleurs qui commencent déjà à se produire dans différentes parties du pays, à cause de l’insoutenable situation de misère dans laquelle les travailleurs sont poussés par l’accroissement de la crise économique avec le Covid-19.
La bourgeoisie montre ses griffes une fois de plus avec cette loi, que certains juristes eux-mêmes considèrent comme inconstitutionnelle.
Mais l’attaque idéologique de la bourgeoisie est présente aussi dans le message qui dit qu’aujourd’hui les gouvernements sont en train de faire “tout le nécessaire” pour sauver, non pas “les banques” en premier, comme lors de la “crise financière” de 2008, mais la population d’abord.
On l’entend dans des phrases comme “Pérou d’abord”, “tous contre le coronavirus”, “ensemble, nous le pouvons”, phrases qui sont répétées tous les jours en pleine crise. Nous devons dénoncer ici le nationalisme et la fausse communauté d’intérêts entre exploiteurs et exploités, qui est utilisée comme venin idéologique pour demander des sacrifices et diluer le prolétariat dans des luttes inter-classistes.
Nous l’avons déjà vu lors de révoltes populaires de l’automne dernier au Chili et en Équateur, où le prolétariat fut encadré et dévoyé sur un terrain interclassiste derrière la défense de l’indigénisme, de la démocratie, du gauchisme, des chansons patriotiques à la mode, de la bataille pour une nouvelle Assemblée constituante et autres pièges idéologiques de la bourgeoisie. (5)
Cette pandémie mondiale, qui s’ajoute aux vertigineux cas de malnutrition, tuberculose ou dengue avec d’innombrables morts chaque année, en plus de l’infinité des cas de contamination et de morts dans l’activité minière, est une nouvelle expression du fait que le capitalisme est entré dans une phase terminale, celle de la décomposition sociale [4] qui menace visiblement la survie de l’humanité.
Dans cette situation, il est possible d’affirmer que, quoi qu’il arrive avec le virus Covid-19, cette maladie alerte sur le fait que le capitalisme est devenu un danger pour l’humanité et pour la vie sur cette planète. Les énormes capacités des forces productives, la recherche médicale incluse, pour nous protéger contre les maladies se heurtent à la criminelle recherche de profit, avec l’entassement d’une grande partie de la population humaine dans des mégapoles invivables [7] (rien qu’à Lima il y a presque 9 millions d’habitants) et avec les risques de nouvelles épidémies que tout cela entraîne.
Des médecins et des infirmières de plusieurs hôpitaux de Lima et de quelques provinces ont manifesté et protesté contre le manque de sécurité sanitaire, le manque de matériel et contre la politique sanitaire du gouvernement. Beaucoup de médecins et d’infirmières ont fait des sit-in avec des pancartes et hauts-parleurs pour dénoncer les conditions de travail abominables qu’ils affrontent chaque jour, prenant des risques pour leur santé et celle de leurs familles.
Au Pérou, le gouvernement savait dès janvier ce qui allait arriver et pourtant il a ignoré les avertissements et a sous-estimé la pandémie. Quand le mal était fait, l’Assurance sociale de santé et le Ministère de la santé ont envoyé les ouvriers de la santé, médecins, infirmières, techniciens et même étudiants en médecine, “au front” pour traiter les cas sans aucune protection, comme des soldats réquisitionnés pour la guerre, ce qui a produit des contaminations et des morts à Lima et dans d’autres provinces.
Pour autant les travailleurs ne se sont pas tus. Par exemple, le 7 avril à l’hôpital de Ate-Vitarte, présenté pompeusement par Vizcarra comme “modèle de lutte contre le Covid-19”, les médecins et infirmières ont refusé de travailler et sont restés devant la porte pour protester contre le gouvernement face au manque de masques, de gants, de respirateurs et de normes de sécurité. (6) Beaucoup d’entre eux ont été licenciés, d’autres arrêtés.
De nombreux médecins et infirmières ont mené des actions sur les réseaux sociaux, filmant avec leurs portables les installations des hôpitaux et dénonçant la précarité dans laquelle ils travaillent.
Ceci est en train de se multiplier au niveau national ; et pourtant, les médias de masse à la télé cachent toutes ces informations sur ordre de la bourgeoisie et du gouvernement, pour que la misère dans laquelle les hôpitaux sont plongés ne soit pas révélée.
Dans d’autres parties du monde, on a vu aussi surgir des manifestations de travailleurs de la santé face à la crise de la pandémie, comme en France, Espagne et Italie où il y a eu des protestations contre la précarité au travail, contre le manque de sécurité, de brancards, de respirateurs, de gants et de masques. Partout on trouve le même scénario : la précarité des systèmes de santé publique due aux coupes budgétaires dans la santé.
Expliquer, par tous les moyens possibles, qu’il n’existe pas de sortie ni de solutions dans le capitalisme
La crise économique mondiale se développe de plus en plus, fait sentir ses effets sur la classe ouvrière et s’exprime principalement dans la précarité du travail et l’augmentation du chômage, SITUATION Aggravée MAINTENANT AVEC LA PANDÉMIE DU CORONAVIRUS ET LA CHUTE DE LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE. Cette perspective de nouvelles attaques plus brutales contre la classe ouvrière dans le monde entier ouvre la possibilité d’un développement des luttes du prolétariat sur son terrain de classe. Ce n’est pas le terrain de la rage interclassiste à la manière, par exemple, du mouvement des “gilet jaunes” en France (comme nous le dénonçons dans des articles sur notre site web [8]), mais plutôt le terrain des luttes qui ont eu lieu à la fin de l’année dernière en France avec le mouvement des travailleurs contre la réforme des retraites et où il a été mis sur la table la réflexion sur “comment la classe ouvrière doit lutter et s’organiser contre son ennemi historique”. Même si on a vu beaucoup de faiblesses dans ce mouvement des travailleurs, on doit en tirer des enseignements pour la classe ouvrière mondiale, situation qui démontre l’arrivée de nouvelles luttes avec un certain degré de maturation politique qui devra être développé.
Internacionalismo, section du CCI au Pérou (11 avril 2020).
1 Commentaires d’Oscar Dancourt, ex-président de la Banque centrale de réserve du Pérou, 3 avril 2020.
2 Compensation pour temps de Service, prime cumulable accordée aux travailleurs du secteur privé.
3 Cepal, Commission économique pour l’Amérique latine, une des cinq commissions régionales des Nations Unies, fondée pour contribuer au développement de l’Amérique latine.
4 Journal Diario Perú (4 avril 2020).
5 Voir nos interventions et articles sur le Chili et l’Equateur :
– “Mouvement social au Chili : l’alternative dictature ou démocratie est une impasse [9]”
– “Face à la plongée dans la crise économique mondiale et la misère, les « révoltes populaires » constituent une impasse [10]” et en espagnol :
6 LID (8 avril 2020).
Avant que le raz-de-marée de la crise de Covid-19 ne déferle sur la planète, les luttes de la classe ouvrière en France, en Finlande, aux États-Unis et ailleurs étaient le signe d’un nouvel état d’esprit au sein du prolétariat, d’une réticence à s’incliner devant les exigences imposées par une crise économique croissante. En France en particulier, nous avons pu discerner des signes de récupération de l’identité de classe érodée par des décennies de décomposition capitaliste, par la montée d’un courant populiste qui falsifie les véritables divisions de la société et qui est descendu dans la rue en France en portant un gilet jaune.
En ce sens, la pandémie de Covid-19 ne pouvait pas survenir à un pire moment pour la lutte du prolétariat : alors qu’il commençait à se retrouver dans les rues, à se rassembler dans des manifestations pour résister aux attaques économiques dont le lien avec la crise capitaliste est difficile à dissimuler, la majorité de la classe ouvrière n’a eu d’autre choix que de se replier dans le foyer individuel, d’éviter tout grand rassemblement, de “se confiner” sous l’œil d’un appareil d’État tout puissant qui a su lancer de forts appels à “l’unité nationale” face à un ennemi invisible qui, nous dit-on, ne fait pas de discrimination entre riches et pauvres, entre patrons et ouvriers.
Les difficultés auxquelles la classe ouvrière est confrontée sont réelles et profondes. Mais ce qui est d’une certaine manière remarquable, c’est le fait que, malgré la crainte omniprésente de la contagion, malgré l’apparente omnipotence de l’État capitaliste, les signes de combativité de classe qui se sont manifestés en hiver, ne se sont pas évaporés. Dans une première phase et face à la négligence et à l’impréparation choquantes de la bourgeoisie, nous avons vu des mouvements défensifs très étendus de la classe ouvrière. Les travailleurs du monde entier ont refusé d’aller comme des “agneaux à l’abattoir” mais ont mené une lutte déterminée pour défendre leur santé, leur vie même, en exigeant des mesures de protection adéquates ou la fermeture des entreprises qui ne sont pas engagées dans la production essentielle (comme les usines automobiles).
Les principales caractéristiques de ces luttes sont les suivantes :
– Elles ont eu lieu à l’échelle mondiale, étant donné la nature globale de la pandémie. Mais l’un des éléments les plus importants est qu’elles ont été plus évidentes dans les pays centraux du capitalisme, en particulier dans les pays qui ont été le plus durement touchés par la maladie : en Italie, par exemple, la Tendance communiste internationaliste mentionne des grèves spontanées [14] dans le Piémont, en Ligurie, en Lombardie, en Vénétie, dans l’Émilie-Romagne, en Toscane, dans l’Ombrie et les Pouilles. Ce sont surtout les ouvriers des usines italiennes qui ont été les premiers à lancer le slogan “nous ne sommes pas des moutons qu’on mène à l’abattoir”. En Espagne, il y a eu grèves chez Mercedes, à la FIAT, dans l’usine de produits électroménagers Balay à Saragosse ; les travailleurs de Telepizza se sont mis en grève contre les sanctions prises contre ceux qui ne voulaient pas risquer leur vie en livrant des pizzas, il y a eu d’autres protestations des livreurs à Madrid. Peut-être le plus important de tous, notamment parce qu’il remet en question l’image d’une classe ouvrière américaine qui s’est ralliée sans critique à la démagogie de Donald Trump, il y a eu des luttes généralisées aux États-Unis : grèves chez FIAT-Chrysler des usines de Tripton dans l’Indiana, dans l’usine de production de camions Warren dans la périphérie de Détroit, chez les chauffeurs de bus à Detroit et à Birmingham (en Alabama), dans les ports, les restaurants, dans la distribution alimentaire, dans le secteur du nettoyage et celui de la construction ; des grèves ont eu lieu chez Amazon (qui a également été touché par des grèves dans plusieurs autres pays), Whole Foods, Instacart, Walmart, FedEx, etc. Nous avons également assisté à un grand nombre de grèves des loyers aux États-Unis. C’est une forme de lutte qui, si elle n’implique pas automatiquement les prolétaires, n’est pas non plus étrangère aux traditions de la classe (on pourrait citer, par exemple, les grèves des loyers de Glasgow qui ont fait partie intégrante des luttes ouvrières pendant la Première Guerre mondiale, ou la grève de loyers du Merseyside en 1972 qui a accompagné la première vague internationale de luttes après 1968). Aux États-Unis en particulier, une menace réelle d’expulsion pèse sur de nombreux secteurs “bloqués” de la classe ouvrière.
En France et en Grande-Bretagne, de tels mouvements étaient moins répandus, mais nous avons vu des débrayages non officiels de la part des postiers et des ouvriers du bâtiment, des magasiniers et des ramasseurs de poubelles en Grande-Bretagne et, en France, des grèves sur les chantiers navals de Saint-Nazaire, chez Amazon à Lille et à Montélimar, à ID logistics… En Amérique latine, on peut citer le Chili (Coca-Cola), les travailleurs portuaires en Argentine et au Brésil ou d’emballage au Venezuela. Au Mexique, “des grèves se sont étendues à la ville mexicaine de Ciudad Juárez, à la lisière de la cité texane d’El Paso, impliquant des centaines de travailleurs des maquiladoras qui réclament la fermeture des usines non essentielles qui ont été maintenues ouvertes malgré le nombre croissant de décès dus à la pandémie de Covid-19, dont treize employés de l’usine de sièges automobiles Lear, propriété des États-Unis. Les grèves […] font suite à des actions similaires menées par les travailleurs des villes frontalières de Matamoros, Mexicali, Reynosa et Tijuana”. (1) En Turquie, des grèves de protestation se sont produites à l’usine textile de Sarar (contre l’avis des syndicats), au chantier naval de Galataport et par les travailleurs des postes et des télégraphes. En Australie, ont eu lieu des grèves des travailleurs des ports et dans le secteur de la distribution. La liste pourrait facilement être allongée.
– Un certain nombre de grèves ont été spontanées, comme en Italie, dans les usines automobiles américaines et les centres Amazon, et les syndicats ont été largement critiqués et parfois en opposition frontale contre leur collaboration ouverte avec la direction. Selon un article sur libcom.com [15], qui offre un large panorama des luttes récentes aux États-Unis : “Les travailleurs des usines d’assemblage de Fiat-Chrysler de Sterling Heights (SHAP) et Jefferson North (JNAP) dans la région de Detroit ont pris les choses en main hier soir et ce matin et ils ont décidé d’arrêter la production pour stopper la propagation du coronavirus. Les arrêts de travail ont commencé à Sterling Heights la nuit dernière, quelques heures seulement après que le United Auto Workers (2) et les constructeurs automobiles de Detroit ont conclu un accord pourri [16] pour maintenir les usines ouvertes et opérationnelles pendant la pandémie mondiale… Le même jour, des dizaines de travailleurs de l’usine Lear Seating à Hammond dans l’Indiana ont refusé de travailler, forçant la fermeture de l’usine de pièces détachées et de l’usine d’assemblage de Chicago située à proximité”. L’article contient également une interview d’un travailleur de l’automobile :
“L’UAW devrait en fait se battre pour que nous quittions le travail. Le syndicat et l’entreprise se soucient davantage de la fabrication des camions que de la santé de chacun. J’ai l’impression qu’ils ne feront rien si nous n’agissons pas. Nous devons nous regrouper. Ils ne peuvent pas tous nous virer”.
– Ces mouvements se situent sur un terrain de classe : autour des conditions de travail (demande d’équipements de protection adéquats) mais aussi des indemnités de maladie, des salaires impayés, contre les sanctions contre les travailleurs qui ont refusé de travailler dans des conditions dangereuses, etc. Ils témoignent d’un refus de sacrifice qui s’inscrit dans la continuité de la capacité de la classe à résister à la poussée vers la guerre, un facteur sous-jacent de la situation mondiale depuis la reprise des luttes de classes en 1968.
– Les travailleurs de la santé, s’ils ont fait preuve d’un extraordinaire sens des responsabilités qui est un élément de la solidarité prolétarienne, ont également exprimé leur mécontentement face à leurs conditions, leur colère face aux appels hypocrites et aux éloges des gouvernements, même si cela a surtout pris la forme de protestations et de déclarations individuelles ; (3) mais il y a eu des actions collectives, y compris des grèves, au Malawi, au Zimbabwe, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, comme des manifestations d’infirmières à New York.
Mais ce sens de la responsabilité du prolétariat, qui incite également des millions de personnes à suivre les règles de l’auto-isolement, montre que la majorité de la classe ouvrière accepte la réalité de cette maladie, même dans un pays comme les États-Unis qui est le “cœur” de diverses formes de déni de la pandémie. Ainsi, les luttes que nous avons vues se sont nécessairement limitées soit aux travailleurs dans les secteurs “essentiels” qui se battent pour des conditions de travail plus sûres (et ces catégories resteront forcément minoritaires, même si leur rôle est vital) soit à des travailleurs qui se sont très tôt interrogés sur la nécessité réelle de leur travail, comme les travailleurs de l’automobile en Italie et aux États-Unis ; et donc leur revendication centrale était d’être renvoyés chez eux (avec une rémunération de l’entreprise ou de l’État plutôt que d’être licenciés, comme beaucoup l’ont été). Mais cette revendication, aussi nécessaire soit-elle, ne pouvait qu’impliquer une sorte de recul tactique dans la lutte, plutôt que son intensification ou son extension. Il y a eu des tentatives (par exemple parmi les travailleurs d’Amazon aux États-Unis) de tenir des réunions de lutte en ligne, de faire des piquets de grève tout en observant les distances de sécurité, etc. mais on ne peut pas ignorer le fait que les conditions d’isolement et de confinement constituent un obstacle énorme à tout développement immédiat de la lutte.
Dans des conditions d’isolement, il est plus difficile de résister au gigantesque barrage de propagande et d’obscurcissement idéologique.
Des hymnes à l’unité nationale sont chantés chaque jour par les médias, basés sur l’idée que le virus est un ennemi qui ne discrimine personne : au Royaume-Uni, le fait que Boris Johnson et le Prince Charles aient été infectés par le virus en est présenté comme la preuve. (4) La référence à la guerre, l’esprit du “Blitz” pendant la Seconde Guerre mondiale (lui-même étant le produit d’un important exercice de propagande visant à dissimuler tout mécontentement social) est incessante au Royaume-Uni, notamment avec les applaudissements donnés à un vétéran centenaire de l’aviation qui a récolté des millions pour le NHS (5) en réalisant cent longueurs de son grand jardin. En France, Macron s’est également présenté comme un chef de guerre ; aux États-Unis, Trump s’est efforcé de définir le Covid-19 comme le “virus chinois”, détournant l’attention de la triste gestion de la crise par son administration et jouant sur le thème habituel de “America First” (l’Amérique d’abord). Partout (y compris dans l’espace Schengen de l’Union européenne), la fermeture des frontières a été mis en avant comme le meilleur moyen d’endiguer la contagion. Des gouvernements d’unité nationale ont été formés là où régnait autrefois une division apparemment insoluble (comme en Belgique), où des partis d’opposition deviennent plus que jamais “loyaux” à “l’effort de guerre” national.
L’appel au nationalisme va de pair avec la présentation de l’État comme la seule force capable de protéger les citoyens, que ce soit par l’application vigoureuse des fermetures ou sous sa forme plus douce de fournisseur d’aide aux personnes dans le besoin, que ce soit les milliers de milliards distribués pour maintenir les travailleurs licenciés ainsi que les indépendants dont les entreprises ont dû fermer, ou les services de santé administrés par l’État. En Grande-Bretagne, le National Health Service a longtemps été une icône sacrée de presque toute la bourgeoisie, mais surtout de la gauche qui l’a considéré comme sa réalisation particulière, puisqu’il a été introduit par le gouvernement travailliste d’après-guerre qui le présente comme étant en quelque sorte en dehors de la marchandisation capitaliste de l’existence, malgré les empiétements “maléfiques” des entrepreneurs privés. Cette vantardise autour du NHS et des institutions similaires est soutenue par les rituels hebdomadaires d’applaudissements et les louanges incessantes des travailleurs de la santé “héroïques”, surtout par les mêmes politiciens qui ont contribué à démanteler le système de santé au cours de la dernière décennie, voire depuis plus longtemps.
Selon Michael Foot, représentant de l’aile gauche du parti travailliste, la Grande-Bretagne n’a jamais été aussi proche du socialisme que pendant la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, alors que l’État doit mettre de côté les préoccupations de rentabilité immédiate pour maintenir la cohésion de la société, la vieille illusion selon laquelle “nous sommes tous socialistes aujourd’hui” (qui était une idée communément exprimée par la classe dirigeante pendant la vague révolutionnaire après 1917) a reçu un nouveau souffle grâce aux dépenses massives imposées aux gouvernements par la crise du Covid-19. L’influent philosophe de gauche Slavo Zizek, dans une interview sur Youtube intitulée “Communisme ou barbarie [17]”, semble impliquer que la bourgeoisie elle-même est maintenant obligée de traiter l’argent comme un simple mécanisme comptable, une sorte de bon de temps de travail, totalement détaché de la valeur actuelle. En somme, les barbares deviennent communistes. En réalité, la séparation croissante entre l’argent et la valeur est le signe de l’épuisement complet du rapport social capitaliste et donc de la nécessité du communisme, mais le mépris des lois du marché par l’État bourgeois est tout sauf un pas vers un mode de production supérieur : c’est le dernier rempart de cet ordre en déclin. Et c’est surtout la fonction de la gauche du capitalisme de le cacher à la classe ouvrière, de la détourner de sa propre voie qui exige de sortir de l’emprise de l’État et de préparer sa destruction révolutionnaire.
Mais à l’époque du populisme, la gauche n’a pas le monopole des fausses critiques du système. La réalité certaine que l’État va partout utiliser cette crise pour intensifier sa surveillance et son contrôle de la population (et donc la réalité d’une classe dirigeante qui “conspire” sans cesse pour maintenir sa domination de classe) donne lieu à un nouveau lot de “théories complotistes”, dans lesquelles le danger réel de Covid-19 est écarté ou nié catégoriquement : il s’agit d’une “Scamdémie” soutenue par une sinistre cabale de mondialistes pour imposer leur programme de “gouvernement mondial unique”. Et ces théories, qui sont particulièrement influentes aux États-Unis, ne se limitent pas au cyberespace. La faction Trump aux États-Unis a agité cet épouvantail, affirmant qu’il existe des preuves que le Covid-19 s’est échappé d’un laboratoire de Wuhan (même si les services de renseignements américains ont déjà écarté cette hypothèse). La Chine a répondu par des accusations similaires contre les États-Unis. Il y a également eu de grandes manifestations aux États-Unis pour exiger le retour au travail et la fin du confinement, encouragées par Trump et souvent inspirées par les théories ambiantes conspiratives (ainsi que par des fantasmes religieux : la maladie est réelle, mais nous pouvons la vaincre grâce au pouvoir de la prière). Il y a également eu quelques attaques racistes contre des personnes originaires d’Extrême-Orient, identifiées comme étant responsables du virus. Il ne fait aucun doute que de telles idéologies affectent certaines parties de la classe ouvrière, en particulier celles qui ne reçoivent aucune forme de soutien financier des employeurs ou de l’État, mais les manifestations pour le retour au travail aux États-Unis semblent avoir été menées principalement par des éléments de la petite-bourgeoisie soucieux de relancer leurs entreprises. Comme nous avons vu, de nombreux travailleurs ont lutté pour aller dans la direction opposée !
Cette vaste offensive idéologique renforce l’atomisation objective, imposée par le confinement, la peur que quiconque en dehors du foyer familial puisse être source de maladie et de mort. Et le fait que le “blocage” (lock-down, NDT) va probablement durer un certain temps, qu’il n’y aura pas de retour à la normale et qu’il pourrait y avoir d’autres périodes de confinement si la maladie passe par une deuxième vague, aura tendance à exacerber les difficultés de la classe ouvrière. Et nous ne pouvons pas nous permettre d’oublier que ces difficultés n’ont pas commencé avec le confinement, mais qu’elles ont une longue histoire derrière elles, surtout depuis le début de la période de décomposition après 1989, qui a vu un profond recul à la fois dans la combativité et la conscience, une perte croissante de l’identité de classe, une exacerbation de la tendance au “chacun pour soi” à tous les niveaux. Ainsi, la pandémie, en tant que produit évident du processus de décomposition, marque une nouvelle étape dans le processus, une intensification de tous ses éléments les plus caractéristiques. (6)
Néanmoins, la crise de Covid-19 a également attiré l’attention sur la dimension politique à un degré sans précédent : les conversations quotidiennes ainsi que le bavardage incessant des médias sont presque entièrement centrés sur la pandémie et le confinement, la réponse des gouvernements, la situation critique des travailleurs de la santé et autres travailleurs “essentiels” et les problèmes de survie quotidienne d’une grande partie de la population dans son ensemble. Il ne fait aucun doute que le marché des idées a été en grande partie accaparé par les différentes formes de l’idéologie dominante, mais il existe encore des endroits où une minorité importante peut poser des questions fondamentales sur la nature de cette société. La question de savoir ce qui est “essentiel” dans la vie sociale, de savoir qui fait le travail le plus vital et qui est pourtant si misérablement payé pour cela, la négligence des gouvernements, l’absurdité des divisions nationales et du chacun pour soi face à une pandémie mondiale, le genre de monde dans lequel nous vivrons après cette pandémie : ce sont là des questions qui ne peuvent être complètement cachées ou détournées. Et les gens ne sont pas entièrement atomisés : les gens confinés ont recours aux médias sociaux, aux forums Internet, aux vidéos ou audioconférences non seulement pour continuer le travail salarié ou rester en contact avec leur famille et leurs amis, mais aussi pour discuter de la situation et poser des questions sur sa véritable signification. La rencontre physique (si elle se fait à la distance sociale requise…) avec les résidents de l’immeuble ou du quartier peut également devenir un espace de discussion, même s’il ne faut pas confondre le rituel hebdomadaire des applaudissements avec la solidarité réelle ou les groupes locaux d’entraide avec la lutte contre le système.
En France, un slogan qui s’est popularisé est “le capitalisme est le virus, la révolution est le vaccin”. En d’autres termes, des minorités dans la classe amènent la discussion et la réflexion jusqu’à leur conclusion logique. “L’avant-garde” de ce processus est constituée par les éléments, dont certains très jeunes, qui ont clairement compris que le capitalisme est totalement en faillite et que la seule alternative pour l’humanité est la révolution prolétarienne mondiale (en d’autres termes, par ceux qui se dirigent vers des positions communistes, et donc la tradition de la Gauche communiste). L’apparition de cette génération de minorités “en recherche” pour le communisme confère aux groupes existants de la Gauche communiste une immense responsabilité dans le processus de construction d’une organisation communiste qui pourra jouer un rôle important dans les luttes futures du prolétariat.
Les luttes défensives que nous avons vues au début de la pandémie, le processus de réflexion qui s’est déroulé pendant le confinement, sont des indications du potentiel intact de la lutte des classes, qui peut aussi être “confinées” pendant une période considérable, mais qui à plus long terme pourrait mûrir au point de pouvoir s’exprimer ouvertement. L’incapacité à réintégrer un grand nombre de personnes licenciées au plus fort de la crise, la nécessité pour la bourgeoisie de récupérer les “cadeaux” qu’elle a distribués dans l’intérêt de la stabilité sociale, la nouvelle vague d’austérité que la classe dominante sera obligée d’imposer : telle sera certainement la réalité de la prochaine étape de l’histoire du Covid-19, qui est simultanément l’histoire de la crise économique historique du capitalisme et de sa décomposition progressive. C’est aussi l’histoire de l’aggravation des tensions impérialistes, alors que diverses puissances cherchent à utiliser la crise de Covid-19 pour perturber davantage l’ordre mondial : en particulier, il pourrait y avoir une nouvelle offensive du capitalisme chinois visant à défier les États-Unis en tant que première puissance mondiale. En tout état de cause, les tentatives de Trump de rejeter la responsabilité de la pandémie sur la Chine annoncent déjà une attitude de plus en plus agressive de la part des États-Unis. On demandera aux travailleurs de faire des sacrifices pour “reconstruire” le monde post-Covid, et pour défendre l’économie nationale contre la menace extérieure.
Une fois de plus, nous devons mettre en garde contre tout risque d’immédiatisme dans ce domaine. Un danger probable (étant donné le faible niveau actuel de conscience d’une identité de classe et la misère croissante qui touche toutes les couches de la population mondiale) sera que la réponse à de nouvelles attaques contre le niveau de vie prenne la forme de révoltes interclassistes, “populaires”, dans lesquelles les travailleurs n’apparaissent pas comme une classe distincte avec leurs propres méthodes de lutte et leurs revendications. Nous avons vu une vague de telles révoltes avant le confinement et, même pendant le confinement, elles ont déjà réapparu au Liban, au Chili et ailleurs, soulignant que ce type de réaction est un problème particulier dans les régions plus “périphériques” du système capitaliste. Un récent rapport de l’ONU [18] a averti que certaines régions du monde, en particulier l’Afrique et les pays ravagés par la guerre comme le Yémen et l’Afghanistan, connaîtront des famines aux “proportions bibliques” à la suite de la crise pandémique, ce qui tendra également à accroître le danger de réactions désespérées qui n’offrent aucune perspective.
Nous savons également que le chômage massif peut, dans un premier temps, tendre à paralyser la classe ouvrière : la bourgeoisie peut s’en servir pour discipliner les travailleurs et créer des divisions entre les employés et les chômeurs, et il est de toutes façons intrinsèquement plus difficile de lutter contre la fermeture d’entreprises que de résister aux attaques contre les salaires et les conditions de travail. Nous savons que, dans les périodes de crise économique ouverte, la bourgeoisie cherchera toujours des alibis pour tirer le système capitaliste d’affaire : au début des années 1970, c’était la “crise du pétrole” ; en 2008, “les banquiers avides”. Aujourd’hui, si on perd son emploi, c’est le virus qui sera désigné comme responsable. Mais ces alibis sont précisément nécessaires pour la bourgeoisie parce que la crise économique, et en particulier le chômage de masse, est une mise en accusation du mode de production capitaliste, dont les lois, en fin de compte, l’empêchent de nourrir ses esclaves.
Plus que jamais, les révolutionnaires doivent être patients. Comme dit le Manifeste du Parti communiste, les communistes se distinguent par leur capacité à comprendre “les conditions, la marche et les fins générales du mouvement prolétarien”. Les luttes massives de notre classe, leur généralisation et leur politisation, est un processus qui se développe sur une longue période et qui passe par de nombreuses avancées et reculs. Nous ne nous contentons pas de formuler des vœux lorsque nous insistons, comme nous le faisons à la fin de notre tract international [19] sur la pandémie, sur le fait que “l’avenir appartient à la lutte de classe”.
Amos, 12 mai 2020
1 “Workers strike across Ciudad Juárez, Mexico as COVID-19 death toll rises in factories [20]” World socialist web site (20 avril 2020).
2 UAW : un des principaux syndicats en Amérique du Nord. NdR
3 À propos des réactions des ouvriers de la santé en Belgique et en France, voir : “Covid 19 : Des réactions face à l’incurie de la bourgeoisie [21]”. La prise de position d’un médecin belge [22] est disponible en anglais sur notre forum.
4 Dans une certaine mesure, ce leitmotiv a été sapé par des preuves croissantes que les éléments les plus pauvres de la société, y compris les minorités ethniques, sont beaucoup plus durement touchés par le virus.
5 National Health Service, système de santé en Grande-Bretagne.
6 Nous avons examiné certaines de ces difficultés au sein de la classe dans différents textes récents, notamment : “Rapport sur la lutte de classe pour le 23e Congrès international du CCI (2019) : Formation, perte et reconquête de l’identité de classe prolétarienne [23]”.
Nous publions ci-dessous, la contribution de camarades d’un groupe de discussion dans la région d’Alicante, suivie de notre réponse.
DÉBATS SUR (ET CONTRE) LE VIRUS DU CAPITALISME
En ces jours étranges où l’anormal est devenu la norme, sans pour autant égratigner la surface du système de domination, mais plutôt comme continuation exacerbée de cette étouffante domination du capitalisme sur la vie quotidienne. Avec un État capitaliste de plus en plus puissant en tant qu’entité médiatrice de toute la vie sociale, nous, un groupe de camarades qui, depuis des années, continuons de partager le militantisme à travers diverses initiatives dans la ville d’Alicante et ses environs, nous nous sommes réunis pour lancer un débat sur la situation actuelle et historique. Notre militantisme, qui a pris un chemin différent au fil des ans, a retenu deux éléments selon une perspective de classe : l’affirmation du besoin réel de l’autonomie de la classe ouvrière (notre classe) et de l’internationalisme prolétarien. Par conséquent, même lorsqu’existent des divergences d’opinion sur certaines questions, nous nous reconnaissons dans le mouvement révolutionnaire historique et international du prolétariat.
LE CADRE GÉNÉRAL À PARTIR DUQUEL NOUS SOMMES PARTIS :
– Le besoin constant d’accumulation du capital détermine l’inévitable répétition de ses crises. La science historique de la classe ouvrière en est venue à établir un schéma temporel : tous les 10 à 15 ans, la crise est un phénomène imparable.
– La crise a été résolue par la destruction de personnes, de marchandises et de marchés ; la guerre est le phénomène prioritaire pour favoriser les destructions nécessaires imposées par la logique suicidaire du capital.
– La mondialisation du capitalisme (depuis le début du XXe siècle) et la disparition progressive des marchés précapitalistes, exacerbe les rivalités inter-bourgeoises et donne lieu à une situation de crise accumulée, où se développent des guerres impérialistes à grande échelle avec une puissance de destruction massive.
– La Seconde Guerre mondiale impérialiste et les terribles destructions qu’elle a engendrées (dans le sillage de la Première Guerre impérialiste), avec le consensus des ouvriers de tous les pays alliés à leurs bourgeoisies respectives sous les bannières du fascisme ou de la démocratie (deux faces complémentaires de la perversion du capital pervers), favorisent la reprise économique des soi-disant “30 glorieuses”, les années de reconstruction et de croissance accélérée. Un ballon d’oxygène pour un capital acculé par son propre développement.
– Depuis le retour de la crise (années 1970) et de la lutte prolétarienne, le capital a fait de nombreuses tentatives pour nous mobiliser de nouveau dans une grande guerre, et de nombreuses guerres locales ont été menées en passant sur nos corps et ceux de nos frères et sœurs de classe.
– Cependant, deux facteurs ont empêché le développement d’une guerre à grande échelle au sens classique du terme : l’humanité refuse d’être enrôlée dans de nouvelles guerres, il existe une conscience (pas encore de classe) qui refuse la logique de la guerre sous un angle pacifiste, pas révolutionnaire. Une tentative forcée du capital vers la guerre pourrait accélérer la prise de conscience, actuellement lente. D’autre part, la prolifération des armes nucléaires pourrait faire d’une dernière aventure guerrière, la dernière des guerres. La bourgeoisie, une classe sans scrupules qui n’a pas peur de verser le sang des autres, craint pour ses propres veines.
La crise actuelle du coronavirus soulève des questions qu’il convient d’évaluer et de clarifier.
Questions d’ordre général :
– Idéologiquement, cette crise exacerbe les éléments les plus brutaux de l’idéologie dominante, les piliers sur lesquels repose la fausse conscience de la réalité : le nationalisme, la défense de la nation et la lutte unie par-delà les divisions de la société en classes, contre le virus malfaisant, l’union des riches et des pauvres par-delà la réalité elle-même, l’appel constant (entre acclamations, applaudissements et chansons populaires) à la sacro-sainte unité nationale. L’atomisation, la stratégie de cloisonnement entre nos pairs et nous-mêmes, cristallisée à la perfection dans le confinement, l’interdiction du contact, de l’affection, de la solidarité.
– Politiquement, elle renouvelle les besoins du capitalisme d’État, le rôle supérieur et directeur de l’État en tant que garant et médiateur direct de toutes, absolument toutes, les relations humaines. Et n’oublions pas (comme le fait de manière si intéressée la gauche capitaliste) que l’État est l’organe de pouvoir de la bourgeoisie, ce n’est pas une entité neutre qui veille objectivement aux intérêts de la majorité, c’est l’état de pouvoir d’une minorité. La répression sous un prétexte virologique, la militarisation de la vie sociale, ne sont que quelques symptômes de cette maladie, et peut-être sont-ils là pour rester. On parle d’une économie de guerre, d’un état de guerre, et ils veulent tous nous transformer en petits soldats, dans cette logique militariste répugnante.
Sur le plan économique, nous avons examiné différentes options, que nous ne sommes pas en mesure de clarifier pour l’instant :
Eh bien, la vérité, c’est que ce qui se passe actuellement ne commencera à nous paraître plus ou moins clair qu’après un certain temps, cela va de soi.
Sur le plan économique, nous voyons comment la pandémie est en train d’affecter l’ensemble des pays dans une mesure plus ou moins grande, et il est difficile de dire quel “bloc impérialiste” en sortira vainqueur. Même s’il est vrai que la libre circulation des marchandises favorise l’accumulation, il n’en est pas moins vrai que, ces dernières années, la Chine, les États-Unis et l’Union européenne se livrent une guerre commerciale. Les politiques protectionnistes se sont accrues face à un gâteau (le monde) plus petit à se partager entre ces charognards. Il reste à évaluer les répercussions du coronavirus et la manière dont le capital en tirera parti, mais une hypothèse se dégage et s’imbrique dans la nécessité même de la guerre impérialiste :
Nous nous demandons si ce phénomène viral peut constituer un substitut à la guerre impérialiste classique, car cela pourrait finir par en égaler la faculté destructrice de main-d’œuvre, de marchandises et de marchés, en favorisant les processus cycliques de reconstruction. Si cette option est viable (cela ne dépend pas seulement de la volonté de la bourgeoisie), la répétition de ces situations, de ces états d’exception et de l’arrêt temporaire et partiel de certains secteurs économiques, deviendra cyclique et constante. De fait, ce type de situations se produit déjà dans certaines régions de la planète où ce qui est ici considéré comme exceptionnel, est quelque chose de normal dans les cycles de survie. Cela pourrait être une preuve de l’imparable décadence du système capitaliste, ou bien d’une des voies d’accumulation face à sa décadence inévitable. En d’autres termes, ce serait la forme que prendrait la guerre impérialiste à grande échelle dans un avenir immédiat.
Cependant, nous avons de sérieux doutes sur cette hypothèse, car pour qu’il en soit ainsi, il faudrait qu’elle provoque, outre la destruction des marchés et des marchandises (ce qui est possible en raison de l’effondrement économique), des millions de morts pour parvenir à détruire suffisamment de main-d’œuvre qui, autrement, resterait dans la misère. Cela ne semble pas être le cas, le nombre de morts, même si cela fait beaucoup de bruit, est loin d’être alarmant, il semble plutôt que ce que l’on veuille éviter, c’est l’effondrement des hôpitaux. La misère quotidienne à elle seule est déjà la cause de millions de décès dus à la faim, à la maladie ou à la pollution dans les pays industrialisés… Et même si cette hypothèse est envisageable, cela serait bien trop dangereux, y compris pour les élites, tout comme le serait une guerre nucléaire. En d’autres termes, une véritable pandémie virale d’envergure majeure affecterait à la fois les pauvres comme les riches, à moins que ces derniers ne disposent au préalable du vaccin.
Nous ne devons pas non plus ignorer les avertissements répétés concernant la destruction imminente de millions d’emplois dus à la robotisation, les migrations massives dues aux phénomènes météorologiques en raison du changement climatique et la surpopulation des villes transformées dans la plupart des cas en de gigantesques bidonvilles.
Cette “pandémie” servira peut-être de prétexte à une nouvelle réflexion sur les relations de travail, avec une précarité de plus en plus grande, etc. et à un nouvel ordre mondial, mais cela entrerait sur le terrainconspiratif, avec leur ordre capitaliste “international” capable de dicter les politiques que les États doivent respecter. Tous ? Même si, à vrai dire, les capitalistes ont leur propre ordre international, via différents organismes tels que la Banque mondiale, le FMI, le G7, l’OMS, etc.
Nous savons qu’une simulation d’épidémie virale a été menée en septembre et celle-ci a été révélée au grand jour.1
S’agirait-il d’un écran de fumée qui cacherait un effondrement “imminent” de l’économie mondiale et servirait à remettre le système à zéro… et déjà s’infiltrent pour une période indéterminée de nouveaux moyens de répression ?
La logique du capitalisme exige sans aucun doute la destruction de la main-d’œuvre, tout en la rendant moins chère, et pour différentes raisons (certaines participant de théories plus complotistes que d’autres), cela va de soi. La surpopulation est un problème de sécurité et un problème majeur pour tous les États.
On ne peut pas non plus exclure que ces pandémies soient en fait dues à des crises climatiques et à la relation nocive entre l’homme et les autres espèces, couplé à l’incapacité des États à les résoudre au-delà de la mise en œuvre de mesures policières/militaires… et en gagnant peut-être un peu d’argent au passage.
AUTRES CONSIDÉRATIONS NÉCESSAIRES :
– Les limites du capital ne se fondent pas seulement, ni principalement dans ses contradictions économiques, dans cette tendance mathématique à diminuer le taux de profit. En ce sens, le capital démontre sa capacité créative, avec l’ouverture de nouvelles voies d’accumulation, même si c’est dans un sens erroné, et de sa capacité à tirer maintenir la tête hors de la boue sanglante qui est son domaine.
– La vraie limite du capital, la seule qui puisse le renverser et transformer le monde en profondeur, pour instaurer la vraie Vie au lieu de la survie, c’est la révolution prolétarienne mondiale.
– Comme dans toute guerre impérialiste, la bourgeoisie concentre ses efforts sur le terrain idéologique, nous submergeant sous un torrent d’activités inutiles à réaliser durant le confinement, pour nous maintenir actifs et sans réfléchir (comme de bons zombies), tout en étendant avec férocité ses éléments idéologiques classiques : défense de l’économie nationale et rejet de “l’extérieur” (aujourd’hui synonyme de maladie dangereuse) et méfiance envers nos pairs. La solitude continuera à nous tuer, plus vite que n’importe quel virus.
– Il n’est pas nécessaire de nier l’existence du virus pour exiger le besoin de rejeter, dans les faits, la brutalité de la société existante. La logique militaire et guerrière du capital.
– Hier comme aujourd’hui, le mot d’ordre internationaliste et révolutionnaire du prolétariat sera d’affronter toutes les bourgeoisies et leurs États, pour reprendre l’expression, à savoir que, si nous avons le choix, nous choisissons notre autonomie de classe, parce que, et sans aucun doute, toutes les fractions de la bourgeoisie sont pires.
Notre intention est de continuer à discuter et à débattre, l’activité la plus subversive qui puisse être développée aujourd’hui est de récupérer les armes de la critique, et nous souhaitons ouvrir cette discussion à tous les camarades qui souhaitent en parler et partager leurs positions avec nous. Ce document n’est donc que le début de la mise en œuvre d’un outil de débat… (À suivre)…
Prolétaires de tous les pays, étreignons-nous !
Prolétaires de tous les pays, toussons avec force sur le bourgeois le plus proche !
Nous saluons l’initiative de se rassembler et de discuter. C’est une expression de l’effort de prise de conscience de la classe ouvrière et en même temps une contribution à son développement.
Les camarades ont pris comme point de départ leur adhésion à la classe ouvrière et à l’internationalisme. Ils y voient un cadre de discussion où s’expriment des divergences. D’autre part, ils conçoivent leurs réflexions comme quelque chose d’ouvert, d’évolutif, et déclarent leur intention de “continuer à discuter et à débattre, l’activité la plus subversive qui puisse être développée aujourd’hui est de récupérer les armes de la critique, et nous souhaitons ouvrir cette discussion à tous les camarades qui souhaitent en parler et partager leurs positions avec nous”.
Nous pensons que c’est la méthode adéquate dans le milieu prolétarien : partir de ce qui nous unit pour ensuite aborder ce qui peut nous diviser à travers un débat sain et ouvert.
C’est la méthode que nous allons suivre dans notre réponse afin d’encourager une discussion impliquant d’autres groupes ainsi que d’autres camarades.
Face à la crise pandémique et à la crise économique qui s’annonce, les camarades rejettent le fait que le capitalisme disparaîtra de lui-même, écrasé sous le poids de ses propres contradictions. Au contraire, ils affirment que “la vraie limite du capital, la seule qui puisse le renverser et transformer le monde en profondeur, pour instaurer la vraie Vie au lieu de la survie, c’est la révolution prolétarienne mondiale”. Par conséquent, “il n’est pas nécessaire de nier l’existence du virus pour exiger le besoin de rejeter, en pratique, la brutalité de la société existante. La logique militaire et guerrière du capital”, par ce qu’ “hier comme aujourd’hui, le mot d’ordre internationaliste et révolutionnaire du prolétariat sera d’affronter toutes les bourgeoisies et leurs États, pour reprendre l’expression, à savoir que, si nous avons le choix, nous choisissons notre autonomie de classe, parce que, et sans aucun doute, toutes les fractions de la bourgeoisie sont pires”.
Nous partageons pleinement ces positions, ainsi que la dénonciation de la manière dont le capital “gère” la crise pandémique : il profite du confinement pour imposer une idéologie de guerre et d’Union nationale qui favorise l’atomisation, l’individualisme, le chacun pour soi, le tous contre tous, la peur de “l’étranger” et qui, par conséquent, stimule insidieusement la xénophobie et le racisme. “La bourgeoisie concentre ses efforts sur le terrain idéologique, nous submergeant sous un torrent d’activités inutiles à réaliser durant le confinement, pour nous maintenir actifs et sans réfléchir (comme de bons zombies), tout en étendant avec férocité ses éléments idéologiques classiques : défense de l’économie nationale et rejet de “l’extérieur” (aujourd’hui synonyme de maladie dangereuse) et méfiance envers nos pairs. La solitude continuera à nous tuer, plus vite que n’importe quel virus”.
Partageant ce précieux terrain d’entente, nous voulons à présent analyser ce que nous ne trouvons pas valable dans les positions exprimées par les camarades.
Une partie du texte développe des spéculations sur la possibilité que la pandémie ait été provoquée par le capital, de sorte qu’en éliminant massivement des vies, elle jouerait le rôle d’une guerre impérialiste : liquider la force de travail et les marchandises pour reprendre l’accumulation du capital.2 Les camarades eux-mêmes affichent de sérieux doutes quant à ces idées.
La pandémie du Covid-19, déclencheur d’une crise sociale de dimension mondiale
Cependant, les camarades doutent un peu de la gravité de la pandémie : “le nombre de morts, même si cela fait beaucoup de bruit, est loin d’être alarmant, il semble plutôt que ce que l’on veuille éviter, c’est l’effondrement des hôpitaux. La misère quotidienne à elle seule est déjà la cause de millions de décès dus à la faim, à la maladie ou à la pollution dans les pays industrialisés…” Ce n’est pas la nature strictement virale de la maladie qui la rend si mortelle, mais une série de facteurs sociaux historiques de grande importance : l’effondrement des systèmes de santé dans le monde entier ; sa propagation rapide et vertigineuse liée à la gigantesque intensification de la production mondiale au cours des dernières décennies, la désorganisation et la paralysie sociale et économique qu’elle a provoqué et aggravé ; la réponse même des États qui révèle une incompétence évidente et une incurie scandaleuse. C’est cet ensemble de facteurs, associé à la phase historique de décomposition du capitalisme,3 qui fait du virus le catalyseur d’une crise sociale de dimension mondiale. Dans toute l’histoire de l’humanité, les grandes pandémies que l’on connaît ont été associées à des moments historiques de décadence d’un mode de production en particulier. La peste noire du XIVe siècle a éclaté lors de la décadence de la féodalité. La Première Guerre mondiale, qui marque l’entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, s’accompagne de la terrible pandémie de grippe espagnole qui fera 50 millions de morts.
Pour nous, la pandémie du Covid-19 est une expression de la décadence du capitalisme et plus précisément de sa phase finale de décomposition. Elle doit se comprendre dans le cadre d’un système dont les contradictions provoquent d’énormes catastrophes comme : deux guerres mondiales et un enchaînement sans fin de guerres localisées plus dévastatrices encore ; les grands cataclysmes économiques qui se traduisent par un chômage chronique, par une aggravation de la précarité, un effondrement des salaires et un appauvrissement généralisé ; par l’altération du climat et la destruction environnementale qui conduisent également à des catastrophes qualifiées de “naturelles” ; par la détérioration générale de la santé ; et, non des moindres, par la désagrégation du tissu social avec une morale barbare et une décomposition idéologique qui favorise toutes sortes de dérives mystiques et irrationnelles.
Il est très positif que les camarades revendiquent la nécessité de la révolution prolétarienne mondiale comme seule réponse possible à cette escalade de la barbarie. Mais quelle est la base matérielle de cette revendication ? Pour nous, c’est la décadence du capitalisme, comme l’a déjà souligné la Plateforme de l’Internationale Communiste (1919) : “Une nouvelle époque est née. Époque de désagrégation du capitalisme, de son effondrement intérieur. Époque de la révolution communiste du prolétariat”.
Cette pandémie illustre le bien-fondé d’appliquer le concept marxiste de la décadence (lorsque le mode de production devient un frein aux forces productives qu’il a lui-même développées) à la situation du capitalisme actuel : l’existence des microbes était peu connue lors de la grande peste du XIVe siècle, de même qu’en 1918-1919, les virus n’avaient pas été découverts. Mais aujourd’hui ? Le virus du Covid 19 a été séquencé en quelques semaines. Ce qui est insupportable dans les décès dus au coronavirus n’est pas leur quantité, mais le fait qu’ils auraient tous pu être évités si la science et la technologie existantes n’étaient pas soumises aux lois du profit et de la concurrence.
Crises cycliques ou crise chronique et latente ?
Les camarades développent certaines idées qui relativisent la notion de décadence du capitalisme. Ainsi, ils affirment que “Le besoin constant d’accumulation du capital détermine l’inévitable répétition de ses crises. La science historique de la classe ouvrière en est venue à établir un schéma temporel : tous les 10 à 15 ans la crise est un phénomène imparable”.
Dans le capitalisme ascendant (dont l’apogée se situe au XIXe et au début du siècle suivant), les crises avaient un caractère cyclique car elles étaient “la manifestation que le marché antérieur se trouve saturé et nécessite un nouvel élargissement. Elles sont donc périodiques (tous les 7 à 10 ans) et trouvent leur solution dans l’ouverture de nouveaux marchés. Elles éclatent brusquement. Leur durée est courte et elles ne sont pas généralisées à tous les pays. Elles débouchent sur un nouvel essor industriel. Elles ne posent pas les conditions pour une crise politique du système”.4 Dans la période ascendante, les crises cycliques étaient l’expression du développement du capitalisme, chacune d’entre elles étant un déclencheur de nouvelles expansions dans le monde entier, pour la conquête des marchés et un développement spectaculaire des forces productives.
En revanche, dans la phase de décadence (depuis la deuxième décennie du XXe siècle), les crises “se développent progressivement dans le temps. Une fois qu’elles ont débuté, elles se caractérisent par leur longue durée. Ainsi, alors que le rapport récession/prospérité était d’environ 1 à 4 au XIXe siècle (2 années de crise sur un cycle de 10 ans), le rapport entre la durée du marasme et celle de la reprise passe à 2 au XXe siècle. En effet, entre 1914 et 1980, on compte 10 années de guerre généralisée (sans compter les guerres locales permanentes), 32 années de dépression (1918-22, 1929-39, 1945-50, 1967-80), soit au total 42 années de guerre et de crise, contre seulement 24 années de reconstruction (1922-29 et 1950-67). Alors qu’au XIXe siècle, la machine économique était relancée par ses propres forces à l’issue de chaque crise, les crises du XXe siècle n’ont, du point de vue capitaliste, d’autre issue que la guerre généralisée. Râles d’un système moribond, elles posent pour le prolétariat la nécessité et la possibilité de la révolution communiste. Le XXe siècle est bien “l’ère des guerres et des révolutions” comme l’indiquait, à sa fondation l’Internationale communiste”.
Depuis 1914, l’économie capitaliste ne fonctionne plus selon le schéma de crise (prospérité dans une dynamique ascendante mais qui tend vers une crise chronique) qui, malgré l’intervention massive des États (le capitalisme d’État), s’aggrave de plus en plus.
Les guerres dans le capitalisme décadent
Les camarades dénoncent clairement la nature impérialiste de la guerre et combattent fermement les drapeaux sous lesquels les forces du capital (de l’extrême-droite à l’extrême-gauche) entendent mobiliser les prolétaires : nation, fascisme, démocratie, etc.
Ceci est absolument juste et nous partageons ce point de vue. Cependant, ils considèrent que “deux facteurs ont empêché le développement d’une guerre à grande échelle au sens classique du terme : l’humanité refuse d’être enrôlée dans de nouvelles guerres, il existe une conscience (pas encore de classe) qui refuse la logique de la guerre sous un angle pacifiste, et non pas révolutionnaire. Une tentative forcée du capital vers la guerre pourrait accélérer la prise de conscience, actuellement lente. D’autre part, la prolifération des armes nucléaires pourrait faire d’une dernière aventure guerrière, la dernière des guerres. La bourgeoisie, une classe sans scrupules qui n’a pas peur de verser le sang des autres, craint pour ses propres veines”.
Nous sommes tout à fait d’accord sur le premier facteur. Si l’humanité n’a pas sombré dans une troisième guerre mondiale dans les années 1970-80, c’est grâce à la résistance du prolétariat dans les grandes concentrations industrielles à se faire enrôler dans la guerre. Cette résistance était plutôt passive et s’élevait au niveau individuel, ce qui a sérieusement limité sa force comme disent les camarades.
Or, le deuxième facteur qu’ils invoquent ne nous semble pas correct. La guerre impérialiste a une logique infernale qui, une fois déclenchée, se mue en un vortex de destruction et de barbarie qu’il est presque impossible d’arrêter.
Dans la période ascendante du capitalisme, “la guerre a pour fonction d’assurer à chaque nation capitaliste une unité et une extension territoriale nécessaires à son développement. En ce sens, malgré les calamités qu’elle entraîne, elle est un moment de la nature progressive du capital. Les guerres sont donc, par nature, limitées à 2 ou 3 pays généralement limitrophes et sont de courte durée, provoquent peu de destructions et déterminent, tant pour les vaincus que pour les vainqueurs un nouvel essor ”.
En revanche, les guerres de la décadence “ne relèvent plus des nécessités économiques du développement des forces productives de la société mais essentiellement de causes politiques. Elles ne sont plus des moments de l’expansion du mode de production capitaliste, mais l’expression de l’impossibilité de son expansion. Désormais un bloc de pays ne peut développer mais simplement maintenir la valorisation de son capital que directement aux dépens des pays du bloc adverse, avec, comme résultat final, la dégradation de la globalité du capital mondial. Les guerres sont des guerres généralisées à l’ensemble du monde et ont pour résultat d’énormes destructions de l’ensemble de l’économie mondiale menant à la barbarie généralisée. Nullement des “cures de jouvence”, les guerres du XXe siècle ne sont rien d’autre que les convulsions d’un système moribond à l’agonie”.
Les guerres impérialistes n’offrent aucune solution aux contradictions du capital ; au contraire, elles les aggravent. Même s’il est vrai que, comme le disent les camarades, “la Seconde Guerre mondiale impérialiste et les terribles destructions qu’elle engendre […], favorisent la reprise économique des soi-disant “30 glorieuses”, les années de reconstruction et de croissance accélérée. Un ballon d’oxygène pour un capital acculé au piège de son propre développement”, cette reconstruction est due au fait que, d’une part, les États-Unis n’ont subi aucune destruction sur leur sol, de sorte qu’ils ont pu s’ériger en facteur d’accumulation à l’échelle mondiale et, d’autre part, les zones non capitalistes qui existaient encore sur la planète ont permis au capitalisme ce ballon d’oxygène.
De ce point de vue, la guerre impérialiste est un engrenage irrationnel qui échappe au contrôle des différents impérialismes nationaux qui y participent. Il est possible que chacun “regrette” la ruine qui est en train d’être générée, mais le pari de chaque capital national est d’en sortir vainqueur et de faire payer à ses rivaux (et à sa propre classe ouvrière) les conséquences de la guerre. Ainsi, la prolifération actuelle des armes nucléaires ne constitue pas le moindre frein susceptible de rendre les capitalistes “rationnels” et leur éviter d’aller “trop loin”.
Le caractère de plus en plus incontrôlable et loin de toute rationalité du système lui-même, de ses contradictions, nous permet de comprendre la pandémie actuelle. De la même manière que les guerres impérialistes (surtout celles qui se mondialisent) deviennent un mécanisme imparable, les pandémies, comme celle que nous connaissons actuellement, sont un engrenage qui, une fois mis en marche, est très difficile à contrôler.
Cette irrationalité conduit à ce que les pays les plus “avancés” se volent les uns les autres le matériel nécessaire pour faire face à la pandémie, quitte à l’aggraver à l’échelle mondiale ! Et donc pour eux-mêmes à moyen terme. Comme nous l’avons souligné dans l’article sur la “guerre des masques”, [24] face à des problèmes d’envergure mondiale, la classe exploiteuse ne peut pas se départir de son morcellement en intérêts nationaux concurrents. La dynamique centrifuge irrationnelle s’exprime également dans la pandémie actuelle par le phénomène qui, au sein des États, voit les administrations régionales se faire concurrence et se voler mutuellement du matériel médical, comme nous avons pu le constater aux États-Unis, en Allemagne et en Espagne.
Nous constatons que la pandémie est l’expression d’une crise économique mondiale naissante qui prend enfin forme et tend à prendre des proportions que de nombreux analystes considèrent comme plus graves encore qu’en 2008.
Concentrons-nous sur le plan épidémiologique, la bourgeoisie nous dit de “faire avec la période de confinement” dans l’attente du “jour d’après”. Cependant, ce “jour d’après” tarde à venir et tend à se prolonger. Par ailleurs, il existe un consensus au sein de la communauté scientifique concernant d’éventuelles nouvelles vagues d’infection aux conséquences imprévisibles. Enfin, les systèmes de santé, déjà gravement détériorés avant même la pandémie : dans quelles conditions font-ils face à cette maladie et bien d’autres ? N’oublions pas que ces dernières années, les épidémies d’Ebola, de dengue, du sida, du choléra, de zika, etc. ont proliféré.
Par conséquent, nous pensons que la question essentielle n’est pas celle de la pandémie elle-même, mais les conditions historiques dans lesquelles elle se développe comme résultat et facteur d’accélération des graves contradictions dans lesquelles le capitalisme sombre après un siècle de décadence et plus de 30 ans de décomposition sociale et idéologique.
CCI, 20 avril 2020
1 En fait, il s’agissait d’une fake news (NDLR) .Cf. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/02/06/coronavirus-la-f... [25]
2 Les idées “complotistes” ont un impact certain. Une enquête aux États-Unis montre que 33 % des sondés pensent que la pandémie a été provoquée artificiellement. Nous avons l’intention de faire un article à ce sujet.
4 “La lutte du prolétariat dans la décadence du capitalisme” [26]. Sauf mention contraire, les citations ultérieures proviendront de ce document.
Le monde entier est menacé par un nouveau genre de pandémie : le mastodonte chinois a au départ tenté de le dissimuler, mobilisant toute la puissance de sa machine capitaliste, dictatoriale et étatique ; puis, la pandémie a frappé le cœur historique du capitalisme : l’Italie, l’Espagne, la France et la Grande-Bretagne. La pandémie ne connaît aucune frontière et prend complètement par surprise des pays non préparés ; près de 200 000 personnes sont décédées (à l’heure où ces lignes sont écrites) (1) ; le système de soins est en train de s’effondrer dans de nombreuses régions. Actuellement, les États-Unis, puissance mondiale en déclin de l’époque révolue de la guerre froide, est ébranlée (2).
Et l’Allemagne ? Après avoir fait preuve d’un manque de préparation et d’une certaine hésitation lors de la première phase de l’épidémie, les autorités ont ensuite agi de manière plus rigoureuse et ont donné l’impression dans le monde entier qu’elles étaient plus efficaces pour combattre et gérer la pandémie et, qu’avec la Corée du Sud, elles constituaient presque une exception. La disponibilité et le taux de remplissage des lits en soins intensifs et le nombre de morts (qui venait d’atteindre 5 000 morts à l’heure où nous écrivons ces lignes) sont notamment cités comme indicateurs.
Pourquoi l’Allemagne parait-elle à peine ébranlée par une situation potentiellement catastrophique pour tous les pays ?
Tout comme en Italie, en Espagne, en France ou en Grande-Bretagne, le secteur des soins et de la santé en Allemagne a délibérément été restructuré ces dernières années, partiellement privatisé, avec des coûts de revient impitoyablement maintenus à la baisse. (3) Les hôpitaux par exemple, deviennent de pures “opportunités de placement” pour des fonds spéculatifs, dont on attend le meilleur rendement possible. En fait, l’Allemagne était pionnière dans ce type de restructuration. La restructuration simultanée (et par conséquent les coupes budgétaires) dans le secteur social (Agenda 2010, plan Hartz IV) mais aussi dans d’anciennes entreprises publiques (Deutsche Post, Telekom, Deutsche Bahn, etc.) a planté les jalons pour l’Allemagne, portée par sa puissance industrielle et sa capacité d’exportation, à réaliser des bénéfices substantiels selon les normes internationales au cours des quinze dernières années, inversant la tendance à l’aggravation de la crise.
À présent, si nous examinons de plus près le secteur des soins et de la santé, nous pouvons remarquer que 37 % des hôpitaux ont d’ores et déjà été privatisés. Mais le plus important est que la gestion des hôpitaux a été très fortement soumise aux lois de l’économie capitaliste, et ce de la part de tous les organismes de financement (y compris les autorités publiques et ecclésiastiques). Cela vaut, par exemple, pour la rationalisation des méthodes de travail, l’apurement des comptes avec les compagnies d’assurance maladie et la fermeture des hôpitaux. Alors qu’en 1998 l’Allemagne comptait 2 263 hôpitaux, ceux-ci ont été réduits à 2 087 en 2007, puis à 1 942 hôpitaux en 2017. Par conséquent, le nombre de lits d’hôpitaux a été réduit d’environ 10 000 unités en dix ans, passant de 506 954 lits (2007) à 497 200 lits (2017). Malgré une intensité de travail accrue, le personnel infirmier a été réduit depuis 1993. (4)
Un schéma similaire peut également être observé au sein des maisons de repos, avec un vieillissement simultané de la population. L’exploitation du personnel soignant et infirmier a massivement augmenté. Déjà en 2016, des prévisions établissaient qu’en 2025, il manquerait entre 100 000 et 200 000 soignants qualifiés, et dans le même temps, l’attrait pour la profession d’infirmier a diminué en raison des conditions de travail insupportables. La durée moyenne pendant laquelle les personnes exercent la profession d’infirmier auprès des personnes âgées est de 8 ans seulement. Les différentes tentatives de recrutement à l’échelle internationale ne parviennent pas à inciter le personnel à aller travailler dans le pays “où coulent le lait et le miel”. Autrement dit, les gens quittent et changent de profession dès que possible, notamment à cause du travail posté et des changements d’horaires de dernière minute et, en particulier, à cause de la confrontation à des conditions de travail inhumaines, qui sont des conditions que personne ne peut supporter bien longtemps.
La réalité capitaliste dans les “usines de la santé” était déjà structurellement inhumaine bien avant la pandémie en Allemagne. Les hôpitaux sont censés rafistoler les travailleurs malades pour qu’ils reprennent du service et se débarrasser d’eux le plus rapidement possible. Le personnel sous-payé, soumis à de dures conditions de travail, a dû être recruté dans les endroits où les salaires sont les plus bas.
Comme dans tout secteur de l’économie, où une proportion toujours plus importante de machines est utilisée (une part toujours plus grande de la composition organique du capital), la proportion d’appareils médicaux a également augmenté de façon constante dans le domaine de la médecine. La technologie médicale produit des appareils médicaux de plus en plus chers et techniquement complexes, qui sont utilisés dans les usines de la santé et qui doivent générer des profits, mais qui ne peuvent être exploités que par des spécialistes hautement qualifiés. Ces nouveaux appareils et nouvelles technologies représentent une avancée considérable dans le domaine du diagnostic et du traitement, mais en raison des coûts énormes d’acquisition, de maintenance et d’exploitation qu’ils impliquent, ils accentuent la nécessité de “canaliser” davantage de patients afin de rentabiliser au maximum les équipements, de payer le personnel et, au final, faire des bénéfices.
Dans le même temps, la médecine du XXIe siècle n’a pas réussi à se débarrasser du vieux fléau de la maladie (et de la mort) dans les hôpitaux en raison du manque d’hygiène, ce dont la plupart des patients dans les hôpitaux du XIXe siècle mouraient avant l’introduction des techniques modernes d’hygiène. L’Institut Robert-Koch estime que chaque année, 600 000 infections ont lieu en milieu hospitalier à cause des bactéries qui y prospèrent, et près de 20 000 personnes en décèdent.
En fin de compte, cela signifie que sur le marché des soins et de la santé, les patients sont uniquement considérés comme des “clients” à qui l’on tente de vendre le plus de “services” possible, et les employés sont pressés comme des citrons pour que l’accumulation de valeur dans le secteur médical atteigne le niveau le plus élevé possible. Le patient fait face au soignant, pour qui il devient une marchandise, la relation sociale devient un service, le mode de travail est soumis à une énorme compression et contrainte de temps. Cette perversion décrit très bien ce que Marx a analysé comme la réification, la déshumanisation et l’exploitation. Le véritable but de cette pratique (la valeur d’usage), le soin et/ou la guérison des personnes disparaît complètement. Le fait de reléguer les personnes négligées dans les maisons de retraite, la maltraitance générale qui découle entre autres, à cause du manque de personnel, des abus flagrants qui sont longtemps restés tus, (5) la remise en cause ou le refus de certaines opérations pour les personnes âgées, sont l’expression de ce caractère inhumain, qui n’est brisé que par la solidarité prolétarienne et le sacrifice individuel de soignants face à cette déshumanisation et cette réification quotidiennes et structurelles. Même avant l’arrivée de la pandémie, les contradictions sociales d’un système pourri étaient déjà apparues de façon très brutale dans les “usines de la santé”.
Des historiens de la médecine et des épidémiologistes signalent depuis longtemps que le danger des pandémies mondiales s’accroît. De plus, les conditions de vie sous le capitalisme aggravent les forces négatives et destructrices de telles pandémies : la destruction des habitats naturels des animaux sauvages, leur vente et leur consommation sans véritable contrôle vétérinaire, l’industrialisation de l’agriculture et en particulier les techniques d’élevage des animaux, l’urbanisation qui prend principalement la forme de “villes taudis”, de quartiers insalubres et déshérités, de bidonvilles, etc., tout ceci renforce la tendance des virus à franchir les frontières entre les espèces. (6)
En prévision de ces pandémies, des enquêtes, des simulations et des exercices d’urgence ont été réalisés dans le monde entier, y compris en Allemagne en 2012, où un simulacre de “scénario épidémique extraordinaire” a été mis en place : “Mesures anti-épidémiques, recommandations d’action par phases, communication de crise, mesures officielles, évaluation des effets sur la protection des objets précités, suivi de l’évolution de la propagation et du nombre de nouveaux cas de la maladie, etc.” Si nous observons les réactions à la crise lors des premières semaines, et si nous additionnons tous les éléments pointant un grave manque de disponibilité d’équipements de protection, des capacités des services d’urgences, de personnels, etc, nous ne pouvons qu’y voir une réaction irresponsable de la classe politique. Les lits d’hôpitaux, le personnel, les infrastructures, les équipements ont été réduits dans de nombreux secteurs au lieu d’être installés de manière préventive. Un infirmier berlinois fait ainsi état de l’utilisation de vêtements de protection “faits maison”, (7) plusieurs hôpitaux berlinois lancent des appels communs, l’association des hôpitaux berlinois demande à des volontaires de coudre des masques, les infirmières qui se plaignent sont confrontées à la répression…
En Allemagne également, nous pouvons observer la nature destructrice du capitalisme, qui tue déjà dans des circonstances normales et qui, maintenant, face à une pandémie mondiale, se refuse à faire ce qui est scientifiquement possible. Cela suscite l’indignation parmi les travailleurs qui sont en première ligne : beaucoup rejettent les faux éloges des politiciens et les applaudissements symboliques. À Mittelbaden, les premières infirmières à avoir quitté leur emploi l’auraient fait en raison du manque de protection. À Brandebourg, des tenues protectrices ont été demandées dans une lettre ouverte au début du mois d’avril et la situation a clairement été analysée : “Nos hôpitaux sont devenus des usines et la santé est devenue une marchandise”. (8) Il peut sembler surprenant alors que le taux de mortalité en Allemagne reste bien inférieur à celui de l’Italie, de l’Espagne ou celui de la France.
Plusieurs facteurs doivent être pris en compte dans l’évolution particulière de la pandémie en Allemagne. Par exemple, on peut même parler de circonstances heureuses, dans une certaine mesure, car les premiers cas ont pu être immédiatement localisés et donc rapidement isolés. En effet, la première vague a principalement touché de jeunes skieurs et des sportifs ; ensuite, la structure familiale en Allemagne est différente de celle de l’Italie et de l’Espagne, où de nombreux grands-parents vivent à proximité de leurs enfants et petits-enfants ; et enfin, malgré toutes les économies et les restructurations, le système de santé reste plus performant que dans les autres pays européens, (9) voire dans le monde entier.
Toutefois, le facteur décisif est la capacité de la bourgeoisie allemande à se mobiliser plus fortement et de manière plus cohérente que les autres pays après les premières semaines de désorientation. L’Allemagne, moteur de l’Union Européenne, a une économie qui reste stable. Sa classe politique n’est cependant pas épargnée par les tendances à la décomposition du monde capitaliste, ni par les comportements irresponsables, ce qui tend à se généraliser de plus en plus, (10) mais le populisme par exemple, et contrairement à tous les autres pays européens (et aux États-Unis aussi), n’a ici pas encore érodé l’appareil politique. Et, comme autre facteur clé de la capacité de la classe dirigeante à se mobiliser, il faut souligner le rôle particulièrement fort des syndicats en Allemagne. Bien que les difficultés dans les chaînes d’approvisionnement mondiales (en particulier les liaisons avec la Chine puis l’Italie) aient sensibilisé très tôt l’industrie automobile allemande aux effets du coronavirus, il a fallu un coup de semonce du président du comité d’entreprise, Bernd Osterloh, pour que les usines de Volkswagen ferment dès le 17 mars (soit avant la fermeture politique officielle par le gouvernement allemand !). (11) Volkswagen, grâce à ses rapports historiquement étroits avec l’État fédéral et le capital (la Volkswagen sous le régime nazi), est quasiment une entreprise de premier plan, presque un symbole de l’avant-garde du capitalisme d’État allemand.
Après la Seconde Guerre mondiale, ce rôle a été renforcé et davantage développé grâce à une implication étroite du syndicat IG-Metall (IGM). Alors que le 17 mars, les chaînes de montage tournaient encore chez BMW, Porsche, et que Daimler avait seulement prévu une pause de quelques jours (pour permettre de s’occuper des enfants), IGM, via Volkswagen, fixait le cap. Contrairement aux autres pays européens (et aux États-Unis) où le capital national, malgré les recommandations médicales, a ordonné aux ouvriers de se rendre sur les chaînes de montage, dans des conditions mettant leur vie en danger, la bourgeoisie allemande, avec l’aide des syndicats et en accord avec son appareil d’État, a fait preuve de son instinct de puissance. L’ingénieux “système de partenariat social” entre le capital et les syndicats pour contrôler la classe ouvrière, pour renforcer le capital national et le rôle mondial de l’Allemagne apparaît comme un jeu de concessions mutuelles. Les négociations collectives conflictuelles qui auraient été à l’ordre du jour dans la métallurgie et l’industrie électrique le 31 mars (avec de possibles grèves d’avertissement) ont été annulées face à la crise dans la circonscription de Rhénanie du Nord-Westphalie et un accord d’urgence sans augmentation de salaire (après des années de prospérité) a été instauré. (12) Cet accord d’urgence a immédiatement été adopté par les autres circonscriptions.
Après une courte phase d’incurie politique et un manque de planification, (13) la bourgeoisie a de nouveau démontré sa puissance économique et son instinct de pouvoir politique, bien qu’étant partiellement réduits. Cela a permis la prise de décisions politiques qui n’étaient nullement marquées par le souci de la santé des travailleurs en soi, mais plutôt par une stratégie à long terme de maintien du pouvoir et de continuité du processus de production capitaliste. Pour les capitalistes, c’est une question de calcul : soit se retrouver avec une main-d’œuvre contaminée par la pandémie et donc longtemps malade, avec une hausse des coûts reliés à la santé, soit tabler sur une réduction contrôlée de la production et la cessation des activités économiques, option “économiquement” plus rentable.
Tout d’abord, l’austère Angela Merkel a réuni autour d’elle une équipe scientifique de l’Institut Robert Koch pour élaborer une stratégie d’action, (14) qu’elle a annoncé le 18 mars dans un discours télévisé : confinement et distanciation sociale. L’Allemagne, premier exportateur mondial, a fermé la quasi-totalité de ses commerces ouverts au public (à l’exception des épiceries, des pharmacies, des drogueries, etc.). En étroite coordination avec les syndicats, l’ensemble de l’industrie automobile a été mise à l’arrêt, (15) ouvrant la voie à d’autres secteurs. Les écoles, les universités et les maternelles ont été fermées. Cette mesure choc a été accompagnée d’une intervention du bazooka monétaire de l’État capitaliste, avec en son centre le dispositif éprouvé du chômage partiel, (16) accompagné d’innombrables variantes locales et fédérales de fonds d’urgence. Le 20 mars, un budget supplémentaire de 150 milliards d’euros a été voté, auquel se sont ajouté plusieurs milliards d’euros provenant de fonds européens et nationaux. On estime qu’un total de 750 milliards d’euros sera dépensé dans le fonds d’urgence, et quotidiennement, on annonce de nouvelles subventions pour les industries en difficulté. Ce qui est aujourd’hui perçu comme une mesure directe visant à “sauver” les personnes menacées de licenciement, etc. conduira tôt ou tard aux attaques les plus violentes sous diverses formes, pour lesquelles la classe ouvrière, en particulier, devra payer. Nous reviendrons dans un article ultérieur sur les conséquences catastrophiques de cette montagne de dettes croissante.
L’armée est impliquée dans tout ceci : par exemple, un hôpital de 1 000 lits devait être construit à Berlin en un mois avec l’aide de l’armée allemande (Bundesrat) ; la Ministre de la Défense, Annegret Kramp-Karrenbauer fait état de requêtes croissantes pour une assistance administrative de l’armée, ce qui amène les réservistes mobilisés à rentrer en jeu. Cette mobilisation de l’armée ne peut en aucune façon être quantitativement comparée à celle de la France. En Allemagne, toute rhétorique de guerre était complètement absente ; néanmoins, le renforcement progressif de l’armée et sa mobilisation pour le secteur médical (17) est remarquable compte tenu du contexte de l’histoire allemande. Dans l’ensemble, les mesures devraient envoyer le signal : “nous ferons tout pour vous” et en même temps, l’Allemagne a renoncé aux couvre-feux draconiens et aux restrictions concernant les contacts comme c’est le cas par exemple en Espagne, en Italie ou en France, ralliant ainsi la population derrière son gouvernement. (18)
Ceci montre que la bourgeoisie allemande, en comparaison avec les autres principaux États du monde capitaliste, est toujours capable d’agir habilement et qu’elle n’a pas perdu son intelligence politique. C’est la seule explication au fait qu’une étude place l’Allemagne leader mondial en matière de gestion de crises (19) Cette intelligence politique de la bourgeoisie allemande repose sur sa réussite historique à repousser, bien qu’avec beaucoup de sang, l’assaut révolutionnaire de 1918-1919 en Allemagne. Les éléments contre-révolutionnaires actifs à cette époque, composés de syndicats, de la social-démocratie (majoritaire et indépendante), des corps francs et des grands capitalistes ont, cent ans plus tard, “grandi ensemble” pour former un bloc capitaliste d’État solide. Tel est le contexte historique de l’instinct de puissance prononcé de la bourgeoisie allemande.
Aujourd’hui, cela se traduit par une préoccupation apparemment plus grande pour la santé des travailleurs, qui ne repose cependant pas sur une plus grande “humanité”, mais entièrement sur le souci de la préservation de main-d’œuvre la meilleure et la plus rentable possible, et aussi sur la connaissance des conséquences dangereuses que pourrait avoir une mobilisation de la classe ouvrière en Allemagne. Nous avons déjà mentionné ailleurs que les forces centrifuges de la décomposition capitaliste, et particulièrement le populisme, n’ont pas épargné l’Allemagne et pourtant, l’appareil politique allemand reste nettement plus stable qu’en France, en Italie ou au Royaume-Uni et bien plus encore qu’aux États-Unis. On peut déjà constater que des éléments du populisme ont été partiellement absorbés et appliqués dans les mesures prises par la bourgeoisie au travers de la mobilisation de l’appareil d’État (il reste à voir si cela signifie le début d’une décomposition de l’appareil politique ou si le populisme sera ainsi plus aisément contrôlable) ; par conséquent, le parti populiste AfD est pour l’instant affaibli. La gestion de la crise montre que la bourgeoisie allemande a intégré dans son réservoir d’action un État fort, la fermeture des frontières, l’indifférence à la misère des réfugiés et l’égoïsme national et que pour le moment, l’AfD n’est qu’un gênant fauteur de troubles.
Compte tenu du caractère mondial de la pandémie et de la préparation tout à fait insuffisante à l’échelle mondiale, même la classe dirigeante en Allemagne n’a pas pu échapper à la pression du chacun pour soi. Dans la quête désespérée de masques, la réglementation du gouvernement allemand selon laquelle les équipements médicaux ne pouvaient être exportés que si les besoins vitaux de l’Allemagne étaient comblés a également été appliquée en Allemagne. Cette règle s’applique, même si le manque de protections dans d’autres pays met en danger des vies humaines. La défense des intérêts de la nation passe avant tout. Et dans sa tentative de ne pas laisser l’UE s’effondrer, et d’agir de façon aussi coordonnée que possible au niveau national dans ce chaos toujours croissant, le capital allemand a ouvert presque indéfiniment le robinet du crédit pour l’économie nationale. Parallèlement, la bourgeoisie allemande est restée largement intransigeante à l’égard de ses “partenaires” chancelants en Italie, en Espagne et de la demande de mise en place de corona bonds. Les conséquences que cela aura pour l’UE ne peuvent être prévues pour le moment.
De même, il est impossible de savoir aujourd’hui si cela sera en mesure de repousser l’impérialisme chinois, de plus en plus agressif, en Europe et partout ailleurs. La montagne de coûts engendrés par les mesures de sauvetage économique (20) décidées par les puissances mondiales conduira à une augmentation de la dette, (21) où la tendance au chacun pour soi deviendra de plus en plus dévastatrice. Au milieu de ce chaos, la bourgeoisie allemande a peut-être mieux réussi que ses rivaux jusqu’à présent, mais étant l’un des pays les plus dépendants des exportations et de la stabilité internationale, elle ne peut, malgré certains atouts, échapper aux chocs de la crise et au chaos qu’elle provoquera à long terme. Les défis que cela implique pour la classe ouvrière seront abordés dans un prochain article.
Gerald, 23 avril 2020
1 L’article a d’abord été publié par la section en Allemagne du CCI. Au moment où nous publions cette traduction, le chiffre est passé à plus de 300 000 !
2 Il n’est pas encore possible de prédire si le taux d’infection qui continue d’augmenter de manière exponentielle dans l’ancien bloc rival russe atteindra un niveau aussi dévastateur.
3 Ceci illustre très bien le concept de la “capitalisation”, qui se réfère à la logique économique de valorisation et d’accumulation du capital avec l’obligation de le faire fructifier (accumulation de capital) dans le but ultime de faire du profit.
4 “Lors de la conférence Usine ou Hôpital ? à Stuttgart, le 20 octobre 2018, il est fait état d’une diminution du chiffre réel de 1993 à 2016 de 289 000 à 277 000, soit 12 000 personnels soignants, malgré une augmentation du nombre de cas, une réduction de la durée de séjour et donc une augmentation de l’intensité de travail. Dans la fourchette cible calculée selon le règlement du personnel infirmier (PPR), en supposant une augmentation de 20 % des besoins en personnel en raison d’une augmentation des performances, il y a tout de même une différence de 143 000 infirmiers”. (Syndicat Verdi, avril 2018)
5 Au début des années 2000, une infirmière a tué dans le nord de l’Allemagne plus de cent patients sans que personne ne s’en aperçoive.
6 Voir également le livre en anglais de Mike Davis sur ce sujet, The Monster at Our Door : The Global Threat of Avian Flu (2005).
7 “Ils ont en fait acheté du film plastique au magasin de bricolage et en ont fait une sorte de bouclier qui s’étend sur les yeux et la bouche. Donc à présent, nous, les infirmières, nous devons nous procurer notre propre équipement parce que l’État n’avait pas de plan d’urgence viable en cas de pandémie !”
8 Le 7 avril, des docteurs, infirmiers ainsi que d’autres employés de plus de vingt hôpitaux à Brandebourg ont écrit dans une lettre ouverte au gouvernement fédéral en faisant la demande suivante : “Le Land de Brandebourg doit trouver un moyen de produire des masques, des blouses, des lunettes de protection et du désinfectant – tout de suite !”
9 “En janvier, il y avait en Allemagne environ 28 000 lits en soins intensifs, soit 34 pour 100 000 personnes. Par comparaison, en Italie il y en a douze et aux Pays-Bas, sept pour 100 000”.
10 “La montée du populisme constitue une expression, dans les circonstances actuelles, de la perte de contrôle croissante par la bourgeoisie des rouages de la société résultant fondamentalement de ce qui se trouve au cœur de la décomposition de celle-ci, l’incapacité des deux classes fondamentales de la société d’apporter une réponse à la crise insoluble dans laquelle s’enfonce l’économie capitaliste. En d’autres termes, la décomposition résulte fondamentalement d’une impuissance de la part de la classe régnante, d’une impuissance qui trouve sa source dans son incapacité à surmonter cette crise de son mode de production et qui tend de plus en plus à affecter son appareil politique”. (“Résolution sur la situation internationale : Conflits impérialistes, vie de la bourgeoisie, crise économique”, Revue Internationale n° 164)
11 “La décision a donc été précédée tôt mardi matin d’un débat houleux entre le conseil d’administration et les représentants des travailleurs de Wolfsburg, traditionnellement très influents, autour du président du comité d’entreprise, Bernd Osterloh. Le fait que la décision ait été prise au pied levé est également illustré par le fait qu’on ne sait pas encore très bien comment Volkswagen entend mettre en œuvre la fermeture en termes de droit du travail.”
12 “Dans l’industrie métallurgique et électrique, les partenaires de négociation ont conclu un accord pilote en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Sous l’effet de la crise du coronavirus, IG Metall et les employeurs ont convenu de ne pas augmenter les salaires cette année”.
13 Le DAX a plongé de près de 14 000 points (mi-février) pour passer sous les 9 000 points. Le Land de Bavière parle d’une catastrophe dès le 16 mars.
14 Nous devons reprendre ailleurs cette tendance à la dictature “sans alternative” des experts, mais elle était déjà apparue avec le mouvement pour le climat, et la même idée avait été avancée par les experts (économiques) en réponse à la crise grecque de l’UE. Malgré l’intelligence politique de la majorité de la classe dirigeante, cela ne cache pas une certaine “lâcheté” politique de leur part, car c’est aussi une façon de cacher le caractère de classe des attaques derrière une science apparemment “neutre”, exempte d’idéologie.
15 Avec plus de 800 000 employés, l’industrie automobile représente une large part de l’industrie allemande.
16 Le 22 avril, il a même été décidé d’augmenter les indemnités de temps partiel de 60 à 80 % ou 67 à 87 %.
17 Le fait que de nouveaux avions de chasse aient été commandés ces jours-ci pour remplacer les avions Tornado “obsolètes” et qu’ils ne reculent pas devant les dépenses élevées n’est pas contradictoire mais va de pair.
18 Dans les sondages, c’est Merkel qui obtient la plus forte cote de satisfaction au cours de cette législature et la CDU a enregistré une forte progression, de sorte que des rumeurs sur un cinquième mandat se répandent déjà.
19 “Par rapport aux autres pays, l’Allemagne occupe actuellement la première place en Europe en matière de sécurité et de stabilité et est également l’une des meilleures nations au monde en termes de gestion des crises”, a déclaré Dimitry Kaminsky, fondateur de la DKG (Deep Knowledge Group). En outre, l’Allemagne a agi “avec une extrême efficacité”.
20 Le CCI étudiera la question dans d’autres analyses. Nous invitons nos lecteurs à suivre notre presse internationale et à participer au débat sur l’évaluation de la situation, ses perspectives et nos tâches.
21 Nous invitons tous les lecteurs à examiner plus en profondeur la résolution sur la situation internationale adoptée par le 23e Congrès international : “Non seulement les causes de la crise de 2007-2011 n’ont pas été résolues ou dépassées, mais la gravité et les contradictions de la crise sont passées à un stade supérieur : ce sont désormais les États eux-mêmes qui sont confrontés au poids écrasant de leur endettement (la “dette souveraine”) qui affecte encore plus leur capacité à intervenir pour relancer leurs économies nationales respectives. “L’endettement a constitué un moyen de suppléer à l’insuffisance des marchés solvables, mais celui-ci ne peut s’accroître indéfiniment, ce qu’a mis en évidence la crise financière à partir de 2007. Cependant, toutes les mesures qui peuvent être prises pour limiter l’endettement placent à nouveau le capitalisme devant sa crise de surproduction, et cela dans un contexte économique international qui limite de plus en plus sa marge de manœuvre.” (“Résolution sur la situation internationale : Conflits impérialistes, vie de la bourgeoisie, crise économique”, Revue Internationale n° 164).
Links
[1] https://www.lepoint.fr/monde/washington-veut-contrecarrer-l-attitude-agressive-de-pekin-et-moscou-dans-l-arctique-06-05-2019-2311112_24.php#xtmc=pekin-arctique&xtnp=1&xtcr=2
[2] https://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/le-rechauffement-climatique-la-politique-de-mike-pompeo-et-les-bouleversements-en-perspective.html
[3] https://www.courrierinternational.com/article/verbatim-la-fonte-des-glaces-de-nouvelles-opportunites-commerciales
[4] https://fr.internationalism.org/french/rint/107_decomposition.htm
[5] https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/climat/le-groenland-egalement-touche-par-la-vague-de-chaleur_136045
[6] https://fr.internationalism.org/content/10093/covid-19-soit-proletariat-mondial-met-fin-au-capitalisme-soit-capitalisme-met-fin-a
[7] https://fr.internationalism.org/content/10076/epidemie-du-coronavirus-preuve-supplementaire-du-danger-du-capitalisme-lhumanite
[8] https://fr.internationalism.org/content/10081/mouvement-contre-reforme-des-retraites-partie-1-tirer-lecons-preparer-luttes-futures
[9] https://fr.internationalism.org/content/9987/mouvement-social-au-chili-lalternative-dictature-ou-democratie-impasse
[10] https://fr.internationalism.org/content/9992/face-a-plongee-crise-economique-mondiale-et-misere-revoltes-populaires-constituent
[11] https://es.internationalism.org/content/4555/chile-en-contra-de-la-asamblea-constituyente-vamos-por-la-verdadera-autonomia-e
[12] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/coronavirus
[13] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/covid-19
[14] https://www.leftcom.org/fr/articles/2020-03-19/la-lutte-des-classes-au-temps-du-coronavirus
[15] https://libcom.org/article/workers-launch-wave-wildcat-strikes-trump-pushes-return-work-amidst-exploding-coronavirus
[16] https://www.wsws.org/en/articles/2020/03/18/tipt-m18.html
[17] https://www.youtube.com/watch?v=gXC1n8OexRU
[18] https://edition.cnn.com/2020/04/22/africa/coronavirus-famine-un-warning-intl/index.html
[19] https://fr.internationalism.org/content/10095/pandemie-covid-19-barbarie-capitaliste-generalisee-ou-revolution-proletarienne
[20] https://www.wsws.org/en/articles/2020/04/20/ciud-a20.html
[21] https://fr.internationalism.org/content/10107/covid-19-des-reactions-face-a-lincurie-bourgeoisie
[22] https://en.internationalism.org/forum/16820/corona-virus-more-evidence-capitalism-has-become-danger-humanity
[23] https://fr.internationalism.org/content/9932/rapport-lutte-classe-23e-congres-international-du-cci-2019-formation-perte-et
[24] https://fr.internationalism.org/content/10096/guerre-des-masques-bourgeoisie-classe-voyous
[25] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/02/06/coronavirus-la-fondation-gates-a-t-elle-organise-une-simulation-de-l-epidemie-a-la-fin-de-2019_6028667_4355770.html
[26] https://fr.internationalism.org/rinte23/proletariat.htm