Toute thèse conçue sur le plan national étudie la situation de 1’Italie contemporaine "in vitro", par le décalage, l'inégalité de développement entre le nord industriel et, le Mezzogiorno caractérisé par une agriculture fondée sur le système des tenures et des latifundia, région où au début de ce siècle le revenu était moitié moindre de celui des provinces septentrionales. C'est notamment celle de l'élève de B. Croce, de 1'interventiste de 14, du révisionniste qui décrète qu'Octobre a infirmé l'analyse fournie par Marx : A. Gramsci dont hérite la "nouvelle gauche", et que l'hagiographie s'évertue à présenter comme le théoricien le plus puissant et le plus original du marxisme dans le monde non-russe ([1]).
Là-dessus, le marxisme ne saurait être plus clair ; si les terres méridionales, prisonnières d'un carcan semi-féodal, constituent l’un des principaux foyers d'émigration, alors que le réservoir de richesses de la plaine alluviale du Pô est l'objet d'un soin particulièrement attentif de la part du capitalisme, cela tient fondamentalement aux conditions du marché mondial et, à la division internationale du travail qui s'ensuite Illustrant cette vision, nous dirons que cette émigration dépeuplant les provinces méridionales a correspondu à la crise mondiale et à la grande dépression agricole de la fin du siècle. L'adoption du protectionnisme fut l'acte de naissance du capitalisme italien, favorisant les agrariens de la plaine du Pô et fournissant aux propriétaires absentéistes un revenu assurée Quand en Louisiane sont découverts de nombreux gisements de soufre, c'est la ruine pour la Sicile qui, longtemps fut seule à l'extraire de son sous-sol.
Le capitalisme italien surgit "post festum" dans une arène où le partage du monde était déjà pratiquement achève. A ce capitalisme dénué des droits d'ainesse, allaient échoir les bas morceaux dont ne voulaient pas s'encombrer les Puissances, non qu'elles fussent en la matière des philanthropes à toute épreuve, mais en considération d'un budget colonial qui aurait immanquablement entrainé une lourde charge pour la métropole0 Mais elle, l'Italie continuera inlassablement à revendiquer de nouveaux domaines d'expansion pour se hisser à leur niveau. Dans une situation conjoncturelle défavorable à l'impérialisme italien, on verra germer la semence du nationalisme définissant l'Italie comme "la grande prolétaire des nations". Sur ce chemin, Mao a trouvé des prédécesseurs en la personne des Crispi, Corradini ou Mussolini, autre timonier, ce qui dans la langue de Dante se dit "Duce".
Au moment même de rivalités impérialistes croissantes, l'Italie mit en chantier son économie de guerre avec l'espoir de s'en servir bientôt dans sa propre politique de conquête territoriale De la sorte, elle se préparait à conquérir une partie des zones tierces recelant les principales sources de matières premières faisant cruellement défaut à l'économie métropolitaine. C'est dire aussi que les travailleurs italiens, contrairement à leurs frères de classe anglais, belges, français ou hollandais ne participèrent, en quoi que ce soit, à un quelconque partage des provendes impérialistes„
Le développement de certaines industries, en particulier de la sidérurgie, de la chimie, de l’aéronautique, des constructions navales, marque sa progression de succès qui vont impressionner jusqu'aux plus blasés des experts des vieilles citadelles impérialistes. L'effort de guerre italien, qui porte aussi les lignes du réseau ferroviaire de 8200 km en 1881, à 17 038 en 1905, tous les ingénieurs, financiers, plumitifs et politiciens qui visitèrent la péninsule à cette époque le saluent unanimement.
Devant beaucoup pour son développement à l'afflux de capitaux français investis massivement dans l'économie italienne à partir de 1902, et à la forte participation bancaire helvète et germanique, l'Italie construit dans le nord du pays de puissantes centrales hydro-électriques. Cet effort va lui permettre de suppléer aux insignifiantes extractions charbonnières du Val d'Aoste, et d'électrifier les lignes de chemin de fer, lesquelles permettront ultérieurement d'amener sur le théâtre des opérations militaires la chair à canon, mais verront aussi de formidables soulèvements de soldats et de grèves chez les cheminots qui furent déclarées illégales. Au cours de cette brève période de redressement économique, 1'assiette politique passera des mains des armateurs et négociants sardes et génois -le commerce entre l'Italie et l7Empire Ottoman avait augmenté de 150% entre 1896 et 1906- dans celles des chefs d'entreprises de Lombardie et Piémont.
La difficulté de trouver des territoires extra-capitalistes non occupés avait donc conduit au développement d'une grosse économie de guerres Dans les premières années du siècle, les dépenses militaires continuaient à dévorer de plus belle un quart du budget. De mai 1915 à octobre 17, la production mensuelle de mitrailleuses passe de 25 à 800, celle des canons de 80 à 500, la fabrication des obus de 10 000 à 85 000 par jour. Alors qu'en mai 1915, l'Italie ne possédait presqu'aucun lance-bombes, elle en détiendra 2 400 à la veille de Caporetto. Fin décembre 1914, l'Italie pouvait aligner 1 million et demi d’hommes.
Cependant, alors qu'au Parlement se votaient les commandes de matériel à 1’industrie lourde, et les crédits de défense, dans la plupart des centres industriels, les masses d'ouvriers en bleu ou en uniforme se mettent à déferler dans les rues pour réclamer du pain et du travail. Pas une ville qui ne fut paralysée par la grève générale, pas un centre industriel qui ne fut pas envahi par le flot révolutionnaire montant. A Naples, l'année 1914 commence sur une émeute contre l'augmentation des loyers; en mars, les cigariers des manufactures de tabacs de l'Etat commencent une longue grève qui durera deux mois. Courageux comme toujours, le prolétariat d'Italie réagit par sa violence de classe aux tueries de ses combattants. Le 7 juin, il s'empare durant sa "semaine rouge" d'Ancône où il abolit immédiatement les impôts, il ne protestait pas platoniquement contre les compagnies disciplinaires dans l'armée en signant un quelconque "Appel des Cent", mais en s'emparant du pouvoir. A Bologne, à Ravenne la " République Rouge" est proclamée, la grève générale s’étend à toute la péninsule coupant irrémédiablement l'Italie en deux camps. Salandra, appelé au pouvoir pour liquider les séquelles de la guerre coloniale de Lybie, devra utiliser 100 000 hommes de troupe pour rétablir l'ordre.
Rendons un vibrant hommage aux militants anarchistes ([2]) qui payèrent de leur personne "se moquant avec raison des pédants bourgeois qui leur font le calcul du coût de cette guerre civile en morts, blessés et sacrifices d'argent" (Marx),
LA LUTTE CONTRE LA GUERRE
L'Italie monarchiste et démocratique était entrée en guerre pour reconquérir les pays africains perdus après le désastre militaire total d'Adua face aux armées abyssines, mars 1896. Elle essayait de rétablir des droits sur la Lybie, droits rognés par une série de traités, franco-anglais, et, de se gagner quelques possessions en Mer Rouge. Le déchaînement du premier conflit mondial où se jouait le partage impérialiste du monde -et non la lutte peur la "liberté", thème mensonger de la social-démocratie parut à la classe dominante italienne le moyen de s'annexer les régions irrédentes soumises à l’autorité autrichienne : Trentin, le débouché de Trieste, l'Istrie et la Dalmatie, ou à l'administration française : Corse et Tunisie. Plus d'un million de résidents italophones retrouveraient l'hospitalité de la mère-patrie.
Cette conflagration, dans laquelle l'Italie se devait: d'entrer de plain-pied pour ne pas être reléguée pour toujours à ce rang secondaire auquel elle essaie d'échapper depuis sa formation nationale, n'épargna qu'une année de désolation et de souffrance à la classe ouvrière et aux paysans italiens. La tardive entrée italienne dans le conflit embrasant le monde, traduisait d'une part les difficultés rencontrées par la bourgeoisie pour leur faire mordre à l'appât interventiste, d'autre part son hésitation à choisir entre les offres austro-allemandes et celles des Alliés. C'est pourquoi, la diplomatie de Rome consistait à jouer sur deux tableaux en conduisant deux tractations parallèles. Aux Autrichiens, elle réclamait, outre le Trentin, de pouvoir porter ses prochaines frontières jusqu'à la rive occidentale de l'Isonzo, de prendre Trieste et le Carso, les îles Curzalori au centre des cotes Dalmates, enfin la prépondérance italienne sur 1'Albanie. L'Entente sera plus généreuse : en entrant en guerre à ses côtés, sous le délai d'un mois, elle recevrait le Haut-Adige, le Trentin, les Alpes juliennes, Trieste et l'Albanie, plus des assurances sur la zone turque d'Adalia et, verrait confirmée sous occupation du Dodécanèse. L'Angleterre lui consentirait un prêt de 50 millions de livres (1,25 milliard de lires).
L'Italie se vendait donc au plus offrant, soit à l’entente, soit à l'Allemagne à laquelle elle était liée depuis 1882. La partie étant excessivement serrée, côté allemand le Reichstag délégua à Rome le député socialiste Sudekum, type du social-chauvin dépourvu de tout scrupule selon Lénine, chargé de faire respecter les engagements politiques et économiques de l'Italie auprès des signataires de la Triplice. De son coté, le gouvernement français chargea le député socialiste Cachin d'acheter le concours militaire italien par Mussolini interposée. Pour marquer la valeur relative que les Empires Centraux accordaient à l'Italie, l'Autriche trouva excessives les exigences formulées par Rome et, par conséquent inacceptables. Refus de toute cession de territoires appartenant aux Habsbourg, de les laisser occuper par l'Italie, de les étendre au-delà de la partie méridionale du Trentin. Alors, le 26 avril 1915 Sonnino signait le Pacte de Londres; le 4 mai la Triplice était dénoncée par l’Italie.
Le voyage de Cachin et Jouhaux pour faire entrer l'Italie dans la mêlé s'avérait payant pour l'impérialisme française. L'argent français s'ajoutait aux subsides des industriels intéressés par l'intervention, la FIAT, 1'ANSALDO, 1’EDISON… pour tomber dans les caisses du "Popolo d'Italia". Dans ces colonnes, Mussolini exaltait la "guerre libératrice" qui "doit avant tout effacer l'ignoble légende que les Italiens ne se battent pas; elle doit annuler la honte de Lissa et de Custoza ([3]), elle doit démontrer au monde que l'Italie est capable de faire une guerre, une grande guerre. Il faut le répéter, une grande guerre. ("Popolo d'Italia", 14/01/1915).
Ment dans les intérêts de la bourgeoisie celui qui fait décrire à sa plume des scènes d'enthousiasme "des radieuses journées de mai" de la part des travailleurs italiens. Du même coup, il efface le rôle joué par la social-démocratie dans une guerre qui se livrait pour la domination économique et politique de contrées où pouvait s'installer le capital financière En fait, il n'y eut pas de classe ouvrière marchant allègrement au massacre la fleur au fusil et l'hymne national aux lèvres. Ni les prolétaires, ni les paysans, à qui pourtant on avait présenté la guerre comme leur affaire inaliénable, ne crurent aux harangues patriotiques que leur déversaient les officines de l'Etat, pas plus qu'aux promesses d'un avenir meilleur une fois la victoire remportée sur 1'ennemie
Aux premiers contacts avec la réalité peu glorieuse de la guerre, le sentiment défaitiste se raviva, car de plus, à l'action de transformer la guerre impérialiste en guerre civile se dévouaient corps et âme jeunes socialistes et jeunes anarchistes. La seule différence existant entre les uns et les autres consistait en ceci, que si les premiers savaient parfaitement qu'une semblable transformation est conditionnée par le fait que le capitalisme était arrivé au bout de ses contradictions en tant que système de production, les seconds croyaient pouvoir l'accomplir au gré de leur volonté de partie Mais, les uns comme les autres remplirent le devoir élémentaire du socialisme dans la guerre, à savoir la propagande pour la lutte de classée
Les années d'hostilité se caractériseront par une lame de fond faite de grèves contre les conséquences désastreuses de l'économie de guerre, de démonstrations de soldats dans les villes de garnison, et de soulèvement d'ouvriers agricoles. Pendant toute la durée du conflit impérialiste, éclatèrent sans se relâcher, de graves troubles sociaux. Les ouvriers exigeaient une paix immédiate et la démobilisation générale pour retrouver leur foyer. L'armée hésitait, et, par milliers les soldats désertèrent leurs postes de combat. Vers la fin d'octobre 17 l'aube de la guerre civile se leva sur les charniers de l'Isonzo; le front se débanda dans une zone de bataille de première importance. La conclusion du manque d'ardeur guerrière des soldats italiens, qui pour sûr n'avaient rien retenu de la leçon mussolinienne, fut l'écroulement du front à Caporetto. Par vagues successives, 350 000 hommes jetant armes et barda, abandonnaient le champ de bataille face à la percée des autre-allemands dont les éléments en première ligne faisaient usage de gaz mortels. Les réservistes Italiens envoyés pour stopper l'offensive et arrêter les déserteurs refusèrent à leur tour de monter en ligne.
Pour les progrès ultérieurs de la révolution, cette défaite qui était celle de la bourgeoisie réactionnaire italienne ouvrait de grandes perspectives. La débâcle de Caporetto ébranla le mécanisme gouvernemental italien : la voie révolutionnaire était définitivement déblayée. Sorti des poitrines meurtries de centaines de milliers de soldats, depuis les charniers de Galicie parcourus de ruisseaux de sang jusqu'aux tranchées de l'Isonzo, le cri de défaitisme révolutionnaire était enfin victorieux de la soldatesque. A des milliers de kilomètres plus loin, ouvriers, soldats et marins révolutionnaires s'emparaient à Petrograd du Palais d'Hiver, l’effondrement de l'armée italienne, le désordre qui atteignit de plein fouet les organes de l'Etat ouvrirent une profonde crise politique, de celles dont on ne se relève pas. La dépendance italienne vis à vis de l'Entente s'accentua puisque le généralissime Foch et le général en chef anglais Roberston imposèrent le remaniement profond du Haut-Commandement italien.
Au lendemain de la débandade de la IIe Armée, mettant l'ennemi à une journée de marche de Venise, la bourgeoisie associe l'exaltation du zèle patriotique aux solennels appels du roi à tous les hommes d'ordre. Coûte que coûte il fallait opposer un front uni à la "subversion bolchevique", car elle avait compris que si la machine de guerre s'arrêtait "la foule des ouvriers des usines d'armement restera sans travail : la faim et le froid la feront se réunir à la masse des fuyards. Ce sera la révolte, puis la Révolution". ([4]) Pour la centrale syndicale, la CGIL, Rigola déclarera : "Lorsque l'ennemi piétine notre sol, nous avons un seul devoir, résister!". Trêves et Turati feront entendre un son de cloche identique, plus pernicieux : "La défense de la patrie n'est pas le reniement du socialisme!". Ils étaient bien les alliés de tout le bloc bourgeois, les commis de leur impérialisme.
Dans toute la péninsule, des propagandistes gouvernementaux se répandent en discours vengeurs afin d'exciter la vindicte contre le "poison caporetiste", pour relever le moral de la population, et stimuler la conscience professionnelle des travailleurs. Le mot d'ordre patriotique "Résister, résister, résister" draina dans les caisses de l'Etat plus de 6 milliards de lires sonnantes et trébuchantes. Comment regonfler le moral d’une troupe qui manifestait son refus de la boucherie? C'était bien simple l'armée fut réorganisée avec une bonne pincée de démocratisation, celle-ci octroyant des permissions régulières et, améliorant l'ordinaire du soldat. Niti, qui se trouvait alors ministre des Finances, créa 1'"Œuvre Nationale des Combattants" en vue de faciliter 1'acquisition de terre par les paysans après leur démobilisation.
Les militants internationalistes, inculpés de haute trahison, furent soumis, à de furieuses représailles, traînés devant les cours martiales, envoyés muni militari en première ligne. Ils n'avaient pas fait que souhaiter la défaite de leur gouvernement, mais s’étaient préparés aux tâches nouvelles : reconstruire une Internationale. Alors, les anarchistes -Malatesta en tête- savaient que la guerre est en permanente gestation dans l'organisme social capitaliste, qu'elle est la conséquence d'un régime qui a pour base l'exploitation de la force de travail, qu'il n'y a plus de guerre qu'impérialiste. Tous, socialistes comme libertaires, devaient donc goûter les châtiments de la démocratie. Eux chassés et martyrisés, déjà quelques députés du Parti Socialiste commencent à participer au travail de certaines Commissions Parlementaires, marchaient à grandes enjambées vers leur complète fusion avec le Royaume qu'ils avaient bon espoir de voir accéder aux premières loges de 1'impérialisme.
Très justement, Gorter a exprimé l'idée que la bourgeoisie grâce à sa propre décomposition, sachant flairer une autre, pourriture morale, devina immédiatement la corruption profonde de la social-démocratie. Dès le début des hostilités, Le P.S.I., avait surtout cherché à éviter tout ce qui pouvait contribuer à détourner l'Italie de la neutralité, si besoin était par la grève générale. L'amour des socialistes italiens pour la neutralité leur fit rencontrer la délégation socialiste suisse à Lugano en octobre 14. C'est d'une souris qu'allait accoucher la montagne, elle lancera au monde un message de paix et de concorde; elle essaiera de renouer les contacts avec les minoritaires neutralistes des partis socialistes? Elle adressera un fraternel avertissement (sic) aux camarades des pays en guerre pour la lutte en faveur de l'armistice; elle sera décidée à faire pression sur les gouvernants pour leur imposer une action pacifiste. Tout le maximalisme italien, qui tenait entre ses mains les destinées du P.S.l., est là.
La tactique du P.S.I. a uniquement consisté à freiner la lutte de classe pour toute la durée de la guerre sous le couvert de l'hypocrite : "Ni saboter, ni participer!", ce qui dans les faits revenait à fouler aux pieds les principes les plus élémentaires de la lutte de classe internationale. On notera que cette position, on ne peut plus ambiguë, était partagée par les milieux d'affaires giolittiens et, par le Vatican protecteur de l'Empire catholique autrichien. Tout comme les socialistes de la neutralité, Benoit XV lance sa fameuse circulaire invitant les Puissances à négocier une paix honorable, sans annexion, ni indemnités. En un mot, comprenant avec une crainte justifiée que de la guerre ne surgisse la révolution prolétarienne, le P.S.I. lutte tout simplement contre la Révolution en luttant contre la guerre.
En dépit de ses efforts pour constituer l'Union Sacrée, la bourgeoisie italienne n'était pas parvenue à étrangler la lutte de classée Pendant l'été 17, Turin s'était couvert de barricades en cette deuxième année de guerre totale. Le 21 août, le pain et les vivres courantes ayant fait défaut, bien que le préfet se soit décidé la rage au ventre de faire distribuer de la farine aux boulangers, les ouvriers de plusieurs usines avaient arrêté leur travail pour se rendre en cortège à la Chambre du Travail; mais, ils se heurtèrent aux forces de l'ordre l'arme aux pieds. Dès cet instant, poussé par sa propre dynamique, la grève démontre qu'elle ne consiste pas en un simple débrayage pour l'amélioration des conditions de vie. Elle se transforme vite en lutte frontale, puisqu'après avoir fraternisé avec les soldats du régiment "Alpini", les travailleurs mal armés se battent cinq jours durant avec des troupes d’élite ne reculant pas à mettre en batterie, mitrailleuses et tanks. Tel fut le grandiose soulèvement de Turin qui ne retrouvera son calme -et encore fut-il des plus précaires- qu'aux lendemains d'une répression faisant 50 morts et 200 blessés.
C'est vers la fin de 1916 que, pour prévenir l'éclatement des grèves sauvages à un moment où la production de guerre devait tourner à son plein rendement, la bourgeoisie avait institué des Comités de Mobilisation Industriels. Sans hésitation aucune, les syndicats avaient accepté de collaborer à la construction de cette digue du capitalisme d'Etat; des municipalités réputées "rouges", notamment Bologne, Reggio d'Emilia, Milan, s'arrangent pour humaniser la guerre, et dans un bel élan de charité viennent panser les blessures : ravitaillement, aide aux familles des militaires, etc. Les Commissions Internes, composées exclusivement de travailleurs en règle avec leur timbre syndical, reçurent pour mission de désamorcer la tension dans les ateliers. Elles devenaient des institutions permanentes qui se voyaient confier, entre autres choses, le droit de traiter d'un problème aussi important que celui du salaire au rendement ou, le licenciement des ouvriers. Ce sont ces structures de collaboration ouverte, présente dans chaque usine dès février 19, que les Ordinovistes prendront comme support de la "praxis révolutionnaire", le "germe soviétique" de la dictature prolétarienne, le moyen par excellence d'organisation autonome de la classe sur les lieux de travail. Quant à la classe, elle dut se battre encore, avec cet organe d'autorégulation du capital.
Les socialistes majoritaires n'ont pas été les seuls à suivre la politique nationaliste de leur bourgeoisie. Ce sont aussi les soréliens et anarcho-syndicalistes (au moins un important contingent), les militants qui se rallient à leur bourgeoisie, naguère si combattue, ne se comptent plus. Le vétéran A. Cipriani ne déclare-t-il pas que si ses 75 ans le lui permettaient, il serait dans les tranchées de la "démocratie" à combattre "la réaction militariste germanique". C'est le même scénario de capitulation de la social-démocratie au moment de la grande épreuve historique de la guerre qui se répétait presque ponctuellement outre-Alpes. Un pareil krach général de l'Internationale faisait dire à R. Luxembourg que la social-démocratie s'était placée au service de sa bourgeoisie parce qu'à dater du 4 août 14 et jusqu'à la signature de la paix, "la lutte de classe n'était profitable qu'à l'ennemi d'en face". En Italie aussi les organisations vont demander aux travailleurs de renoncer à faire grève, à retarder à plus tard leur lutte de classe pour ne pas saper les forces de l'Etat démocratique, pour ne pas compromettre les chances d'une paix rapide. Pendant que se tenaient ses propos mensongers, les bénéfices de 1'industrie lourde italienne levaient comme des champignons après la pluie, et les cadavres s'empiler les uns sur les autres jusqu'à faire des montagnes.
Des groupes d'anarchistes et de soréliens lançaient les fascis pour "la Révolution européenne contre la barbarie, le militarisme allemand et la perfide Autriche catholique et romaine".
Exemple après exemple, le ralliement de pans entiers de la social-démocratie à la bourgeoisie en guerre, l'attitude ultra-chauvine des organisations a été un phénomène mondial dont les racines ont poussé dans le changement définitif de la période du capitalisme, et non dans l'explication personnaliste qui veut que ce soit la trahison des chefs. Des dizaines d'années de développement du P.S.I. ne se sont pas écoulées sans dommages pour le programmée, il était devenu tout puissant sur le plan matériel avec entre ses mains 223 des 230 communes d'Emilie, des centaines de syndicats, ligues paysannes, coopératives et Bourses du Travail0 Mais cette puissance "terrestre" était un poids mort pour le prolétariat, l'œuvre extrêmement importante accomplie était terminée.
Bien évidemment, le passage de la social-démocratie italienne dans le camp bourgeois ne s'est pas fait brusquement du jour au lendemain0 Déjà, dans les années 1912, à une époque où en contrepartie de l'abandon de ses visées sur le Maroc et l'Egypte, l'impérialisme italien était autorisé par les anglo-français à jeter son dévolu sur la Tripolitaine et, préparer la conquête du Dodécanèse et de Rhodes, le Parti alors vieux de 22 ans avait été secoué par la question coloniale. Considérant que l'établissement de 2 millions d'Italiens continentaux dans les contrées désertiques de Tripolitaine et Cyrénaïque offrirait une chance exceptionnelle d'écouler une masse importante de chômeurs et, de remettre la main sur cette ancienne colonie romaine, les députés socialistes Bissolati. Procéda et Bonomi -celui-là nous le retrouverons plus loin en aussi bonne compagnie- s'étaient déclarés des partisans convaincus de l'expansionnisme italien. Dans le Proche-Orient, les Balkans et les Echelles, celui-ci devait et avait à prendre la relève de cet "homme malade", l'ottoman. Tout ce joli monde de politiciens clamait du haut de la tribune parlementaire et des estrades de meetings que les socialistes ne pouvaient pas décemment abandonner aux adversaires de droite le monopole du patriotisme. Et, ironie de l'histoire, c'est le futur Duce qui fera expulser du Parti les éléments bellicistes, les francs-maçons comme "ennemis de classe" pour leur attachement immodéré à la cause de la démocratie réformiste et leur sympathie apportée à la collaboration.
Il avait donc fallu au Parti s'amputer de ces membres gangrenés et, mettre en place un nouveau centre dirigeant capable de défendre la position de classe sur la question coloniale. Contre les partisans de la conquête, la Gauche lancera "Pas un homme, pas un sou pour les aventures africaines!". Las, les tendances expansionnistes affirmées à l'intérieur du mouvement ouvrier avaient, en fait, des causes plus profondes que ne pouvaient l'apprécier ceux qui y avaient porté le fer rouge dans l'espoir d'une prompte guérison. Lorsqu'à Monza en juillet 1900, surgit l'arme à la main l'ouvrier anarchiste Bresci pour venger les combattants prolétariens du Milan de 1898, les journaux socialistes paraissent avec les signes de deuil ostentatoires habituels. Les socialistes pleuraient Humberto 1°, le roi-boucher. Ainsi, nous pouvons dire que pendant la durée de la première guerre mondiale, le Parti italien a signé un nouveau répit avec la Maison de Savoie et, par accord tacite, a placé sans ambages, sa cause dans le giron de l'Etat. Au lieu donc d'appeler à la lutte de classe contre le militarisme, à la solidarité internationale, il soutenait qu'après les nécessaires sacrifices imposés par la cause nationale, une longue période de prospérité capitaliste s'ouvrirait avec son cortège bienfaisant de réformes sociales. Il aurait suffi à un gouvernement issu de la volonté populaire de légiférer loin des tumultes grossiers de la rue pour procéder à de vastes, très vastes réformes.
Mieux que par le passé, l'Etat subventionnerait les caisses d'assurances contre les accidents du travail, réglementerait les conditions d'embauché des femmes et des enfants, étendrait à de nouvelles couches de travailleurs le repos hebdomadaire, faciliterait la participation des salariés aux bénéfices d’entreprise. Donc, les mesures de législation sociale, prises vers les années 1903-1906 au moment de la brève stabilité économique italienne s’en seraient trouvées fortifiées et agrandies. Le chef de la bourgeoisie industrielle et commerciale, Giolitti, venait prêter main-forte aux discours endormeurs des socialistes de la Chambre, pour dire qu'il fallait aller "à gauche, toujours plus à gauche". Au sortir de la guerre, ce n'était pas ce tableau d'un touchant idyllisme social, espéré par la bourgeoisie et son commis social-démocrate, qui pouvait représenter la situation réelle italienne.
SITUATION CATASTROPHIQUE
La fin des hostilités intervenue le 04/11/18 ne fit pas bénéficier l’impérialisme de grandes conquêtes. Une fois la guerre finie, les pays de l'Entente se montrent fort chiches en compensations promises0 Jouant à fond sur l'imprécision de l'article 13 du Pacte de Londres, la France refuse la cession de toute la Dalmatie, préférant qu'à l'exemple de Danzig, Fiume soit érigée "ville libre" sous la tutelle de la S.D.N. De plus, l'Angleterre et la France autorisent les troupes grecques de Vênizélos à occuper Smyrne en lieu et place des Italiens et, il est hors de propos que Rome obtienne un mandat sur le Togo ex allemand. L'acquisition au nord et à l'est de nouvelles frontières, la conquête du versant adriatique de l'Istrie, du port de Zadar avec un étroit hinterland autour de la ville, plus quelques îlots, son protectorat sur l'Albanie, la souveraineté italienne sur le Dodécanèse ne résolvent pas pour autant le problème des débouchés pour l'économie italienne.
La disparition du puissant rival autrichien, qui doit lui céder la quasi totalité de sa flotte marchande, remplacé par une poussière d'Etats croupions, ne lui évite pas la confrontation avec sa plus grande crise historique depuis 1' achèvement de l'unité nationale.
Pour le grand capital, l'industrie lourde avait constitué un champ d'accumulation de plus en plus vaste : non seulement l'Italie put garantir sa production d'armes et de projectiles, mais elle exporta chez ses alliés des véhicules et des avions. Sur son chemin, elle rencontrera l'hostilité "pacifiste" des industries traditionnelles qui l'avaient précédée dans la genèse du capitalisme italien. Elle doit se reconvertir quand sonne l'heure de la réconciliation, quand à la guerre brutale se substitue la compétition commerciale. La solution est alors toute trouvée : les magnats des trusts ANSALDO, BREDA, MONTECATINI licencient car il est de plus en plus difficile de valoriser les énormes capitaux investis jusqu'à l'hypertrophie dans les industries de "défense nationale"« La production de fonte tombait de 471 188 tonnes en 1917 à 61 391 en 1921 et, dans le même temps, celle de l'acier, de 1 333 641 tonnes à 700 433. La FIAT, qui avait assemblé 14 835 véhicules en 1920, n'en construisait plus que 10 321 une année plus tard. Le déficit de la balance commerciale se trouvait être multiplié de près de 5% par rapport à 1914; l'Amérique réduisait l'immigration de 800 000 en 13 à moins de 300 000 en 1921- 1922; l'Angleterre diminuait d'un fiers ses exportations de charbon.
Alors que l'étau de la crise se resserrait à vue d'œil, naissait le nouveau gouvernement présidé par Nitti, avant tout pour relever les ruines de la guerre. Tout le commerce extérieur italien était à reconstituer ce qui représentait un travail au-dessus des forces réelles du pays puisqu'à ce moment, la dette publique atteint quelque 63 milliards, dont les 2/3 ont été affectés aux frais de guerre.
Par la pression fiscale, la création d'impôts supplémentaires et, surtout par l'écrasement des salaires, l'Etat avait fait supporter aux classes laborieuses la politique guerrière; le régime fiscal italien était devenu un des plus lourds du monde0 Le cabinet Nitti, qui va continuer dans cette voie, prend le 24/11/l9 les dispositions fiscales suivantes :
— impôts de 18% sur les revenus du capital,
— impôts de 15% sur les revenus mixtes du capital et du travail,
— impôts étages de 9 à 12% sur les salaires.
En même temps, il instituait de nouvelles taxes à la consommation Ce qui achevait d'assombrir la situation, c'était le manque de matières premières, de combustible. Le rythme de la production s'effondrait, les masses de chômeurs se faisaient plus importantes; les possibilités d'émigration, par où en 1913 s'étaient écoulés 900 000 travailleurs et paysans, se tarissaient. La bourgeoisie Italienne ne peut pas réadapter son économie aux nouveaux besoins du marché mondial, puisque des concurrents mieux outillés y font régner leur loi. La dette publique augmentant de 1 milliard par mois, ainsi que l'écrivait Nitti dans une lettre d'octobre 19 à ses électeurs, comptait parmi les sept plaies du pays s elle doit 14,5 milliards de lire à ses allies.
La "victoire mutilée" rendit tout à fait impossible la politique de concorde nationale que le social-patriote Cachin avait soutenu des subsides du gouvernement française Les grèves du début .le 1920 firent 320 morts.
LES LUTTES QUI PRECEDENT LES OCCUPATIONS
On ne peut vraiment comprendre les grèves en masse qui submergent l'Italie qu'en les incluant dans la courbe de la crise générale du capitalisme, ouverte en 1914, et de l'éruption prolétarienne qui lui a répondu dans la quasi-totalité de l'Europe. Comme son aînée russe, le surgissement en Italie n'a été qu'un moment de la révolution mondiale née de la misère et des indicibles horreurs engendrées par le militarisme C'est pour le pain et le retour aux foyers que, tel un volcan, se sont soulevés les travailleurs italiens affamés et sanguinolents. Depuis 1913, leur salaire réel avait baissé de 27% et la guerre a coûté au prolétariat 651 000 morts et 500 000 mutilés.
D'abord en Romagne, puis en Ligurie, en Toscane jusqu'à la pointe de la botte, les masses crevant de faim prennent d'assaut les magasins d'alimentation. C'est alors que les Chambres de Travail jouent pleinement leur rôle de chien de garde. Pris de panique, les commerçants qui, par la rétention des marchandises espéraient pouvoir jouer à la hausse, déposent les clés de leurs sacro-saintes boutiques entre les mains des chefs syndicaux. En revanche, ceux-ci leur assurent une protection que l'Etat est incapable de donner car, à ce moment il ne dispose pas d'assez de forces pour intervenir partout où la sauvegarde de la propriété privée 1'exige. Les grèves devinrent si fortes que l’Etat fut contraint d'importer du blé et, d'appliquer le "prix politique du pain" avec des subventions lui coûtant 6 milliards par an. Quand en juin 1920, le troisième ministère Nitti décide de s'attaquer au prix politique du pain, il provoque immédiatement des troubles tels qui l'obligent à présenter sa démission. La peur d'un renversement révolutionnaire était si justifiée que la Chambre repoussera maintes fois les propositions d'augmenter le prix du pain. Il lui faudra attendre le reflux de 21 pour passer à l'attaque, et c'est le neutraliste, l'homme de "gauche" Giolitti qui abattra la besogne de s'attaquer au prix politique du pain.
Dans les campagnes, commencent les occupations de latifundia. Ce sont essentiellement des mouvements de démobilisés, ayant définitivement perdu confiance dans les anciennes promesses de l'Etat sur un éventuel partage des terres. En Italie, toutes les propositions faites sur la question agraire par les réformateurs de l'ère libérale ou certains éléments éclairés de l'Eglise catholique ne firent bien entendu, que jeter de la poudre aux yeux. L'idée de créer des associations agricoles rassemblant en un seul domaine communautaire, les petites parcelles germa dans l'esprit de quelques uns parmi les philanthropes des années post-risorgimentales. II y eut un vaste élan vers cette proposition qui faisait dépendre le futur sort des paysans de la culture à compte commun et, le partage des récoltes proportionnellement à l'apport de chacun en terre, bétail, matériel. Les fermiers les plus grugés par le régime de la propriété foncière mirent leurs espoirs dans la libre association proposée, à son tour, par la social-démocratie.
C'est ainsi que les associations coopératives prirent leur essor dans l’enthousiasme général, et de celui des fermiers qui y voyaient le remède propre à adoucir leur misère matérielle et, de celui des socialistes tant leur paraissaient évidentes les possibilités offertes pour en faire une forme de production transitoire tendant progressivement à la réalisation du socialisme.
Ils auraient dû comprendre beaucoup de choses en voyant l'Etat soi-même réaliser des communes rurales, le clergé catholique organiser la coopération agricole en diocèses régionaux. Mais déjà le programme minimaliste de réformes à obtenir à l'intérieur du capitalisme avait accompli son œuvre. Par sa pratique, limitée aux conditions particulières et nationales de l'Italie, par ses mœurs mêmes la démocratie socialiste devenait toujours plus le représentant du capitalisme. La solution de la question agraire n'était plus enracinée dans la socialisation du sol pour que "la terre étant à personne, les fruits soient à tous" (Babeuf), mais la libération du métayer plié en deux sur la parcelle à qui il consacre toute son énergie. Elle pouvait ainsi se résoudre sans que le prolétariat triomphe dans sa lutte historique et organise la satisfaction des besoins de l'espèce humaine sur des bases libérées de tout critère mercantile; la terre et les instruments de travail n'avaient pas besoin de passer à l'ensemble de la société.
Dans la plaine du Pô, à culture intensive enregistrant des rendements en blé de 15 à19 quintaux à l'hectare, avec des pointes de 27 et 30, le parti socialiste avait organisé les journaliers sur la base de la coopérative agricole. Le maitre-mot des régisseurs était d'augmenter la productivité pour concurrencer les coopératives dû Parti Populaire Catholique. A Bologne, à Ravenne, à Reggio d'Emilia, d'où est parti le mouvement coopératif, les Chambres du Travail contrôlent toute la vie économique de leur province et, suprême victoire ouvrière, décident du prix des denrées qu'elles distribuent par le canal des Coopératives. A ce train, la classe ouvrière italienne allait pouvoir pacifiquement exproprier la bourgeoisie en la persuadant de l'inanité de son pouvoir. Tel était-du moins l'état d'esprit des dirigeants socialistes fiers d'avoir pu administrer la preuve concrète que leur programme ne relevait pas d'une vue de 1?esprit.
Remontant à Owen et aux pionniers de Rochdale, Lénine disait au sujet de la conception coopérative : "s’ils ont rêvé de réaliser la démocratie socialiste du monde sans tenir compte d'un point si important, qui est la lutte de classe, la conquête du pouvoir politique par la classe ouvrière, le renversement de la domination des exploiteurs". C'était exactement le cas pour les dirigeants italiens qui se proposaient d'aller vers de nouveaux rapports sociaux en les rendant possibles immédiatement.
La coopération ne résout rien puisque le socialisme ne peut s'enraciner au sein des rapports de production de la vieille société capitaliste pour devenir, à son tour, une force économique. Sur tout le territoire italien, où la concurrence se fait durement sentir, tout d'abord sur le blé et le maïs, la lutte agraire devint très intense. Et comme cette lutte désespérée n'arrivait pas à enrayer le déclin des petits producteurs paysans et, qu'évidemment elle était punie d9une violente répression de l'appareil d'Etat, la seule issue qui s'offrait, était l'échappatoire de l'émigration vers les métropoles américaines et les régions caféières du Brésil.
PREPARATIFS BOURGEOIS DE GUERRE CIVILE
Trois mois s'étaient à peine écoulés depuis sa formation à la Chambre, (16/11/19) que le ministère Nitti, qui par ailleurs a lancé le mot d'ordre "Produire plus, consommer moins!", décide d'équiper un corps de police auxiliaire, la Garde Royale0 Ce nouveau détachement armé, fort de dizaines de milliers d’hommes sera équipé de pieds en cap pour faire régner l'Ordre bourgeois de plus en plus battu en brèche. Avant même que le fascisme ne fasse peser la terreur brune, des centaines de travailleurs et de cafone tomberont sous les balles de la Garde Royale. Inutile d'ajouter que ce renforcement démocratique de l’appareil d'Etat donnera pleine satisfaction à la bourgeoisie. En avril 20, la troupe tire sur les grévistes de Décima pour laisser 9 ouvriers raides morts sur le pavé, la commémoration du 1° Mai se solde par une quinzaine de morts; le 26 juin il y aura 5 morts dans le soulèvement d'Ancône contre l'expédition des troupes italiennes pour aller occuper l'Albanie. Sous la direction des anarchistes, la révolte s'étend aux Marches et à la Romagne. A Mantoue, travailleurs et soldats envahissent la gare, arrachent les rails pour stopper les trains de la Garde Royale, pour bloquer ceux destinés à la guerre contre les Soviets, chargés d'armes et de munitions, frappent tous les officiers, donnent assaut à la prison qu'ils détruisent par le feu après en avoir libéré les-détenus. En un an, d'avril 19 à avril 20 la mitraille démocratique hachera menu 145 travailleurs et blessera 444 autres dans toutes les régions d'Italie. Mais chaque fois que des morts jonchent lé pavé, les travailleurs continuent la lutte en proclamant la grève générale, celle des postiers, celle des cheminots, celle de Milan, doublement désavouée par le P.S. et la C.G.T., dont les représentants élus au suffrage-universel préfèrent quitter la séance inaugurale de la nouvelle Chambre aux cris de : "Vive la République". Dans les Pouilles, les journaliers se battent pour obtenir la paye de leurs journées de travail et il y aura 6 morts du côté des bracciantes et 3 parmi les propriétaires terriens.
La chute des Hohenzollern, l'éclatement consécutif de l'Empire austro-allemand, la Révolution mondiale ébranlant d'abord l'Europe orientale et centrale, agirent comme autant de ferments dans une Italie de plus en plus fiévreuse. Il n'y aura que le prolétariat italien à concrétiser sa solidarité avec les Soviets russes et hongrois par la grève générale, il sera le seul à saboter dans son pays l'intervention armée des puissances alliées en faveur de Koltchak.
Au fur et à mesure que se développait le mouvement de lutte du prolétariat, la classe dirigeante ressentait le besoin de s'armer en conséquence. En mars 1920, les industriels regroupés dans une Confédération générale de l'Industrie signent à Milan un accord aux termes duquel chaque partie contractante s'engage de toutes ses forces à liquider le "bolchévisme italien" et en priorité les militants qui avaient observé la seule et unique position de classe pendant la guerre impérialiste : le défaitisme révolutionnaire. Non sans raison, les tenants de l'Ordre voyaient en eux le noyau du parti révolutionnaire qui appelait le prolétariat à la lutte contre le gouvernement de Sa Majesté, à se regrouper sous le drapeau de la guerre civile pour le renversement de la dictature démocratique bourgeoise. Le 18 août, se constitue sur un modèle identique la Confédération générale de l'Agriculture qui rallie autour de son programme toutes les formes de la grande, moyenne et petite exploitation agricole, toutes intéressées à un même titre à mettre fin aux occupations de terre. Tous et toutes veulent la tête des "caporétistes", des "rouges" considérés comme les agents stipendiés de 1'ennemi. Tous les moyens pour empêcher la propagande communiste de se frayer un chemin seront employés sans vergogne. Nous verrons plus loin leur rôle dans la venue au pouvoir du fascisme.
LES OCCUPATIONS D'USINES
En août 20, le prodrome de ce qui allait devenir le mouvement d'occupation des fabriques fut 1'obstructionnisme. Celui-ci était généralement appliqué en réponse à tout lock-out patronal, en tant que tactique consistant à remplacer, selon les stratèges de la F.I.O.M., la grève dont on s'est tellement servi, qu'elle est caduque. Un des arguments favoris de la propagande des délégués consistait à dire que la crise était beaucoup moins grave que ce que prétendaient les sirènes du patronat. Puisque l'économie nationale pouvait supporter les augmentions de salaires, du fait que les marchandises pouvaient s'écouler sur un marché en reconstitution, les ouvriers devaient forcer la porte des usines de façon à y poursuivre la production. Pas moins de 280 établissements métallurgiques de Milan furent occupés et sont témoins d'une gestion ouvrière qui donne aux syndicalistes l'espoir d'une participation des socialistes au pouvoir.
En la circonstance, les syndicalistes furent d'habiles propagandistes de l'économie gradualiste» On entendait par là que les travailleurs fassent la preuve éclatante du sens de leur responsabilité : qu'ils respectent scrupuleusement la propriété devenue "commune", qu'ils acceptent par discipline prolétarienne de se serrer la ceinture et de retrousser leurs manches. Pour produire à meilleur coût que sous le contrôle patronal, la classe ouvrière devait s'armer de connaissances techniques, administratives, remplaçant au pied levé les techniciens qui, sur l'ordre de l'administration, ont quitté leurs lieux de travail. En quelque sorte, elle est appelée à gouverner un Etat qui doit soigneusement réfléchir la structure économique du pays réel.
Aussitôt, la Gauche engagea la lutte contre l'idéologie gestionnaire qui au lieu de poser le problème au niveau politique central l’enfermait, le réduisait et en définitive l'émasculait sur la seule usine :
"Nous voudrions éviter que ne pénètre dans les masses ouvrières la conviction qu'il suffit sans plus de développer l'institution des Conseils pour s'emparer des usines et éliminer les capitalistes. Ce serait une illusion extrêmement dangereuse (…) Si la conquête du pouvoir politique n'a pas lieu, les Gardes Royales, les carabiniers se chargeront de dissiper toute illusion, avec tout le mécanisme d'oppression, toute la force dont dispose la bourgeoisie, l'appareil politique de son pouvoir". A. Bordiga.
Cette vigoureuse et prémonitoire mise en garde contre 1'illusionnisme gestionnaire achoppait sur la propagande de l'"0rdino Nuovo" mettant au premier plan le contrôle ouvrier et l'éducation technologique du prolétariat pour lui permettre de gérer les usines. Dans l'usine, l'ouvrier peut se forger une conception communiste du monde, et de là renverser le système économico-politique bourgeois pour y substituer l'Etat des Conseils Ouvriers. Le système des Conseils est supérieur à la forme syndicale et partiste car il fait de chaque travailleur de l'entreprise, technicien ou lampiste, un sélecteur à la Commission.
Ouvrière (Rapport de juillet 20 au Comité Exécutif de l’I.C.), et encore cet électeur s'exprimant non à main levée, mais dans le secret petit-bourgeois du bulletin de vote. Devant la grandeur de leur tâche, les travailleurs ne doivent-ils pas faire taire leur égoïsme et accepter de nouvelles innovations productives puisqu'elles peuvent augmenter leurs capacités productives, donc leur poids dans la Nation ? Les travailleurs doivent cesser de façon brouillonne comme ils l'avaient fait durant toutes ces dernières années « Maintenant, ils peuvent parvenir à quelque chose de palpable, ils doivent faire tourner les usines dans la plus totale démocratie ouvrière des réformistes aux anarchistes. Il n’y aura pas de rupture de continuité lorsque ce groupe sera, peu après, chargé d'appliquer les mesures de bolchévisation au sein du jeune Parti Communiste comme fourrier de la contre-révolution stalinienne.
Une nouvelle fois la Gauche devait réaffirmer son entière opposition au culturalisme cher aux vieux partis de la II° Internationale ainsi qu'au tout jeune "Ordino Nuovo"; quant au P.S., il faisait faire ménage à trois à son drapeau qui arborait tout à la fois la faucille, le marteau et le livre,. Elle butait en outre sur le parlementarisme puisqu'en pleine explosion révolutionnaire, le Parti Socialiste décidait sa participation aux élections pour le Parlement, et donnait aux travailleurs la consigne habituelle d'y participer en masse (16/11/ 19), convaincu que le vote à la proportionnelle qui vient d'être adopté, lui assurera une confortable majorité. Et, en effet, avec 1 840 000 voix, les socialistes auront 156 représentants à la Chambre, quelques mois plus tard 2 800 communes. Lénine se félicitait de l’"excellent travail" que cela représentait par rapport à la situation internationale, espérant que l'exemple serve aussi pour les communistes allemands, (Lettre à Serrati du 29/10/l9). L'Internationale Communiste salue le résultat comme un grand succès. Que font les députés et maires socialistes qui puissent le justifier ? Comme avant la guerre, ils se consacrent à réclamer des travaux publics à l'Etat, à constituer des syndicats et des coopératives, bref, à administrer les affaires de la cité. Ainsi, l'Italie achèvera sous la conduite des socialistes sa révolution nationale laissée en plan par le Risorgimento. On veut à la fois la Constituante et les Soviets, la dictature du prolétariat et la lutte sur le terrain électoral. C'était donc une façon très habile de ménager la chèvre et le chou. Ce qui fit dire à la Gauche qu’aux heures décisives, la bourgeoisie se défend de la Révolution prolétarienne en utilisant la méthode démocratique.
La toute première occupation d'usine arbora sur la cheminée le drapeau tricolore. Elle se produisait dans une petite ville du bergamasque, Dalmine, sous l'impulsion du syndicat d'obédience fasciste, l’"Union Italienne du Travail", avec les chauds encouragements du "Popolo d'Italia" qui écrivait dans ses colonnes :
"L'expérience de Dalmine a une valeur très haute ; elle indique la capacité du prolétariat à gérer directement la fabrique".
A. la lecture de ces quelques lignes, suivies d'autres aussi révélatrices, partis politiques, syndicats et gauchistes trouvaient des accents analogues à celui de .leur frère ennemi pour saluer la gestion ouvrière0 Loin de désapprouver alors les revendications des grévistes, Mussolini s'était rendu en personne dans la totalité pour encourager de la voix et du geste la résistance ouvrière aux "abus patronaux". Les travailleurs de chez Gregorini-Franchi avaient continué, pendant trois jours, d’assumer le bon fonctionnement de l'entreprise dans tous ses départements, devant le refus de la direction à leur accorder la semaine anglaise pour Mussolini, la classe ouvrière était digne de succéder à la bourgeoisie dans la gestion de la production puisqu'elle avait abandonné la grève traditionnelle, si nuisible à la Nation,
Un an plus tard, cette première occupation fut suivie de tentatives généralement éphémères de gestion ouvrière : à Sestri-Ponente dans la banlieue génoise le 10 février 20; aux chantiers de l'ANSALDO de Viareggio le lendemain, à Ponte Canavèse et Torre Pellice le 28 février dans les établissements d'usinage du bois à Asti le 2 mars, aux Etablissements Spadaccini à Sesto le 4 juin; aux Ateliers de mécanique Miani-Sivestri à Naples, dans le trust sidérurgique ILVA à Naples, le 10 juin. Ces grèves avec occupation, qui se répétaient régulièrement, portaient une forme d'organisation, le Conseil Ouvrier, unissant la plupart des travailleurs indépendamment de leurs convictions politiques dans la lutte contre le capitalisme. Toutefois, comme ce mouvement ne trouva jamais suffisamment de force nécessaire pour dépasser les bornes du contrôle des usines isolées pour aller à l'affrontement avec l'Etat, comme ses protagonistes se grisèrent d'éphémères et artificiels succès immédiats., il pourrit sur place. C'est pourquoi, sans tirer une seule cartouche, la bourgeoisie put reprendre son bien; pour en déloger les occupants, elle se servira de la F.I.O.M qui à plusieurs reprises a déclaré que son objectif était le seul contrôle ouvrier sur la production, qu’elle n'avait pas l'intention d’aller plus loin, qu'elle évacuera les usines, ce droit reconnu par la Chambre. Les dirigeants de la Banca Commerciale assurent la F.I.O.M de sa neutralité bienveillante; le préfet de Milan s'offre pour arrondir les angles entre industriels et syndicalistes; Mussolini rend visite au secrétaire de la F.I.O.M, Buozzi, pour lui déclarer que les occupations ont tout le soutien des fasci; le directeur du "Corriere délia Sera" se précipite chez le "camarade" Turati pour conseiller aux socialistes d'aller au gouvernement; le président de la FIAT, Agnelli, veut donner un plus grand rôle aux syndicats.
Pourtant, les exemples de préparatifs fébriles d'armement, de constitution de groupes de combat furent nombreux qui nous montrent que la fraction la plus consciente de la classe était décidée, non à faire tourner les usines comme le conseillait la C.G.I.L., mais à se battre le fusil à la main. A la Fiat de Turin, les chefs freinent les groupes qui ont transformé des camions en auto mitrailleuses blindées pour une sortie en force dans la ville. Une fois les armes introduites ou fabriquées dans les usines pendant l'occupation, découvertes et saisies par la police, la F.I.O.M avait les mains libres pour signer "son meilleur concordat", la reconnaissance des Commissions Ouvrières. Enfin, arriva le moment de négocier la défaite des travailleurs avec la Confinastria. La C.G.I.L accepta la réduction des horaires de travail pour toutes les catégories de travailleurs et d'employés. C'était encore une victoire contre l’"égoïsme", puisque la misère n'est rien si elle est bien partagée par les damnés, une marque de solidarité agissante entre tous les travailleurs. Le compromis arriva à ce résultat que tous les travailleurs se trouvaient devant des salaires très réduits.
Maintenant le fruit était mûr, la bourgeoisie pouvait intervenir en toute quiétude. Au lieu de commettre l'erreur d'utiliser la répression ouverte -ce que voulaient le Confindustria et la Confragricultura - Giolitti agit en homme de savoir, en défenseur adroit dos intérêts à long terme du capitalisme. Devant lui, deux choix se présentaient : soit utiliser les forces répressives pour faire cracher le canon sur les métallurgistes piémontais, les typographes romains les marins et dockers de Trieste, jusques et y compris les peu farouches instituteurs, soit attendre que la faim fasse ses effets. Et Giolitti garda tout son sang-froid, il misa sur celle-ci et sur la besogne de sape des syndicats. Fort de sa vieille expérience face à l'agitation sociale, sa tactique fut une nouvelle fois le mouvement se développer, puis refluer de lui-même„ Qui peut dire que de ne pas avoir misé sur la répression systématique ne lui a pas réussi avec un rare bonheur ?
BILAN POLITIQUE
Les Comités de Fabrique ont prouvé que le prolétariat ne pouvait pas surgir sur le terrain économique, ni investir la société tout entière à partir des positions occupées dans les usines, celles-ci modifieraient-elles le droit à la propriété et au commandement. L'expropriation des capitalistes sera seulement accomplie par une révolution prolétarienne. Le prolétariat doit donc se constituer en parti politique, non pas dans l'horizon bourgeois de la nation, mais internationalement. Dès le début de son activité révolutionnaire, il doit œuvrer à la formation du Parti Mondial, dont, le caractère intrinsèque ne se mesure pas à l'aune des réalisations économiques, mais à défaire l'Etat par les armes. Ainsi le problème posé, nous sommes en mesure de comprendre pourquoi la Commune de Paris qui ne peut que décréter au niveau social que bien peu de choses, en regard de ce qu'a accompli le capitalisme dans sa période ascendante, est une véritable révolution prolétarienne, la première dans l'Histoire.
Seule la Gauche qui avait commencé son travail de fraction dès les années 1912-1914 dans la lutte contre le blocardisme, la politique d'appui socialiste à la bourgeoisie italienne, qui s'orienta vers la dénonciation du culte électoral, sortit la tête haute de la tourmente. Mille et mille fois, elle incita le généreux prolétariat d'Italie à passer outre les anciens chefs imbus de leurs dangereuses méthodes d'action collaboratrice traditionnelle. Seule contre tous, elle appela les forces conscientes et combattantes du prolétariat à se défaire des liens criminels, l'emprisonnant derrière les grilles des usines, pour se constituer en Parti de classe, car c'était précisément en se paralysant sur le terrain morcelle des usines que la classe ouvrière d'Italie préparait sa propre tombe. Contre les courants nombreux qui firent miroiter la possibilité de s'emparer des moyens de production et d'échange sans procéder à la destruction préliminaire de l'appareil de l'Etat bourgeois, elle mit en évidence que :
"Selon la saine conception communiste, le contrôle ouvrier sur la production ne se réalisera qu'après la mise en pièces du pouvoir bourgeois si le contrôle de la marche de chaque entreprise passe à tout le prolétariat unifié dans l'Etat des Conseils. La gestion communiste de la production sur toutes ses branches et unités de production sera assurée par les organes collectifs rationnels représentant les intérêts de tous les travailleurs associés dans l'œuvre de construction du "Communisme". (Thèses de la Fraction Communiste Abstentionniste du Parti Socialiste Italien). (Mai 1920)
Elle se risqua, et c'était sa tâche révolutionnaire la plus urgente, à affronter les tabous ambiants de la grève gestionnaire expropriatrice, pour remettre en place le primat politique : la constitution du prolétariat en partie Alors que les endormeurs incitaient les travailleurs en grève à se pencher avec application sur leurs établis, à connaître la valeur du capital engage dans la production, à voir comment augmenter le rendement du travail, le langage de la Gauche posa le seul vrai problème, sans détours ni arguties démocratiques : "Prendrons-nous le pouvoir ou prendrons-nous les usines ?". Que n'ont-ils pas fulminé Gramsci et son équipe à l'énoncé de cette vérité première. Votre parti est une conception sectaire, hiérarchique de la Révolution, nous nous lui opposons une vision unitaire, large et libertaire.
Que de louanges à l'unité n'ont-ils pas entonnées dans la crainte morbide de la scission. Unité avec la majorité maximaliste unitaire de Seratti voulant faire du Parlement et des Communes des foyers actifs de propagande révolutionnaire; unité avec les réformistes de Turati adversaire des Conseils turinois et de 1;' Internationale Communiste; unité avec les syndicalistes épurés des éléments extrême-droitiers. D'où le nom du prochain quotidien du parti, l’"Unità". Ouverture rassurante en direction des catholiques intellectuels organisés dans le Parti Populaire :
"En Italie, à Rome, il y a le Vatican, il y a le pape. L'Etat "libéral a dû trouver un système d'équilibre avec la puissance "spirituelle de l'Eglise; l'Etat ouvrier devra lui aussi en "trouver un".
L'effort de la Gauche pour constituer le parti purement communiste en partant de la renonciation à la participation électorale n'était, aux yeux de Gramsci, que "particularisme halluciné"; lui aurait voulu le redressement du P.S.I. qui, "de parti parlementaire petit-bourgeois doit devenir le parti révolutionnaire". Les "Neuf points" publiés sous le titre "Per un rinnovamerto du P.S." dans l’Ordino Nuovo du 8 mai 1920 correspondaient à ce que désiraient les dirigeants de l'Internationale Communiste : une épuration progressive de l'aile droite soit, une scission. Avant Livourne, Lénine avait déclarés :
"Pour diriger victorieusement la révolution et pour la défendre le parti italien doit encore faire un certain pas vers la gauche (sans se lier les mains) et sans oublier que, par la suite les circonstances pourront très bien exiger quelques pas vers la droite".
Le pas à gauche ayant été fait à Livourne, les circonstances de la lutte contre l'offensive réactionnaire exigeaient "quelques pas vers la droite". Au IV° congrès de l'I.C. fut arrêtée la fusion du P.C.I. et du P.S.I.
R.C.
[1] Voir la présentation que donne le trotskyste P. Broué du livre d'A. Léonetti.
[2] E. Malatesta, le héros de l'équipée du Benevento d'avril 1877, était un des éléments révolutionnaires conscients de la gravité de la situation : "si nous laissons passer le moment favorable, nous devrons ensuite payer par des larmes de sang la peur que nous faisons maintenant à la bourgeoisie".
[3] Lissa et Custoza étaient les batailles perdues contre les Autrichiens dans la première guerre pour 1'indépendance italienne en 1866 qui marque aussi le retour de la Vénétie au Royaume d'Italie.
[4] Lettre du lieutenant-général Oscar Raffi, commandant de corps d'armée, à Giolitti au lendemain de Caporetto datée du 5 nov. 1917.