Qu’est-ce que le combat historique de la classe ouvrière? (Partie 2)

Afficher une version adaptée à l'édition sur imprimante

Dans la première partie de l’article, nous avons mis en évidence que ce sont les fondements économiques qui déterminent la composition de la classe ouvrière, fondements économiques sur lesquelles la bourgeoisie tente de mettre un voile en opérant un tour de passe-passe idéologique visant à faire croire que la classe ouvrière n’existe plus. Cette base économique détermine les oppositions de classe et, donc, la lutte de classe. Cette deuxième partie vise à répondre aux courriers de la camarade Pomme au sujet du rapport de force entre les classes. Rappelons d’abord la façon dont la camarade expose le problème dans son courrier (1) : « le matérialisme dialectique permet de comprendre que l’histoire des hommes repose sur une dynamique, un processus fruit des antagonismes de classes et que ces classes se définissent, donc, dans et uniquement dans ce rapport de force ».

Plus loin, la camarade rajoute : « La frontière de classe se réalise et se pense dans la lutte : quels sont les mouvements, les discours et les prises de position qui correspondent aux nécessités révolutionnaires du prolétariat et de ce fait apparaît qui appartient au prolétariat ou non. […] Le prolétariat en tant que classe n’existe qu’au sein de la lutte, non dans le sens où il n’existerait que dans les périodes de mouvements ouvriers, mais que son existence ne peut se penser que dans le rapport de force qui l’oppose à la bourgeoisie ».

La vision développée par la camarade l’amène à défendre une vision schématique du processus de développement de la conscience de classe et du combat pour la perspective révolutionnaire. Si les luttes en tant que telles en sont un des creusets, elles n’en forment pas le seul terrain. Pour la camarade, ce combat semble se réduire essentiellement à une réaction à son exploitation. Mais c’est perdre de vue que ce combat, portant en lui la perspective révolutionnaire, repose avant toute chose sur une vision historique.

Le projet communiste comme produit historique de la conscience prolétarienne

C’est sur la base de la défense de ses intérêts économiques que le prolétariat pourra retrouver son identité de classe, condition indispensable pour développer son combat révolutionnaire et intégrer toutes les oppressions générées par le capitalisme. Contrairement aux classes révolutionnaires du passé, la classe ouvrière ne peut pas construire son projet de société au sein de l’ancienne société, le communisme étant la négation de l’exploitation et de la propriété privée des moyens de production qui permet cette exploitation. C’est un immense défi pour la classe révolutionnaire, car il s’agit de libérer l’humanité des chaînes de l’exploitation, ce dont aucune des classes révolutionnaires précédentes (comme la bourgeoisie contre le système féodal) n’a jamais été porteuse. Or, le chemin qui mène à son émancipation est semée d’obstacles dressées par la bourgeoisie qui tente d’entraver le combat révolutionnaire de la classe ouvrière en exploitant ses illusions, son manque de confiance en elle. Une telle dynamique n’est pas linéaire, mais plutôt en dents de scie, avec des phases d’avancée et des phases de reflux, déterminant ainsi le rapport de force entre les classes. Comme le prolétariat est une classe exploitée au sein de la société bourgeoise, il subit tout le poids des idées dominantes qui sont celles de la classe dominante et en même temps, étant au cœur des contradictions du capitalisme, il est amené à s’opposer à lui et à se projeter dans l’avenir. C’est cette caractéristique du prolétariat qui donne à sa lutte un caractère heurté, où chaque période de reflux permet cependant de tirer les leçons de ses expériences afin d’enrichir la conscience de la classe ouvrière.

Rappelons que Marx et Engels ne sont pas les « inventeurs » de la lutte de classes, ce phénomène avait déjà été mis en évidence par des penseurs bourgeois avant eux. En revanche, leur apport théorique réside dans le fait que cette lutte de classe porte en elle un projet de société radicalement opposé au capitalisme : le communisme. Tant que les conditions matérielles n’étaient pas réunies, le développement des forces productives restant insuffisant et la classe porteuse de ce projet pas encore totalement constituée, le communisme ne pouvait être qu’une « belle idée ». Le développement de l’exploitation capitaliste et les premiers conflits entre bourgeois et prolétaires sécrétèrent au sein de la classe ouvrière les premières esquisses d’un programme communiste, présentées de façon rudimentaire certes, mais qui font partie du patrimoine du prolétariat, comme la conjuration des Égaux et les écrits de Babeuf sous la Révolution Française de 1789. Chaque grande étape des luttes ouvrières apporta des améliorations et une clarification de ce projet : les insurrections de 1848, la Commune de Paris en 1871, la grève de masse en Russie de 1905, la vague révolutionnaire de 1917-1923. Toutes ces expériences sont le fruit d’un combat dans lequel évolue la conscience, les leçons restant inscrites dans la mémoire historique du prolétariat. C’est la traduction pratique de ce que disaient Marx et Engels dans le Manifeste du Parti communiste : le capitalisme a créé son propre fossoyeur. Ses seules armes sont sa conscience et son organisation, son unité grandissante au-delà de toute division de sexe, de race, de religion et de nation. La révolution communiste sera donc le produit historique du combat titanesque entre la bourgeoisie et le prolétariat et non le produit d’un simple rapport de force saisi à un moment donné de manière abstraite, en dehors de tout contexte et sans avoir au préalable analysé où en est la lutte de classe, dans quel contexte historique elle évolue, où en est le prolétariat, quelle est la stratégie de la bourgeoisie… Pour le dire plus simplement, nous ne pouvons pas analyser le rapport de force entre les classes si nous ne le remettons pas dans un cadre historique. La condition nécessaire pour que ce projet aboutisse étant que la classe qui en est porteuse en soit consciente.

La classe ouvrière est la classe de la conscience

Dans sa contribution, la camarade nous dit : « Je souscris à cette description qui pose clairement la place occupée par le prolétariat dans les rapports de production (elle est une classe exploitée) et qui détermine le caractère révolutionnaire de la classe ouvrière ». Or, le fait d’être une classe exploitée ne suffit pas pour être une classe révolutionnaire. Dans le capitalisme, au niveau mondial, il existe des paysans pauvres exploités par des États, des banques ou des usuriers qui prélèvent, sur le fruit de leur travail, des impôts, ou des intérêts sur des dettes contractées pour pouvoir subsister. Comme nous le disons dans la Revue Internationale n° 73 : « En réalité, dans la mesure où l’abolition de l’exploitation se confond, pour l’essentiel, avec l’abolition du salariat, seule la classe qui subit cette forme spécifique d’exploitation, c’est-à-dire le prolétariat, est en mesure de porter un projet révolutionnaire. Seule la classe exploitée au sein des rapports de production capitalistes, produit du développement de ces rapports de production, est capable de se doter d’une perspective de dépassement de ces derniers. » Dans ce même article, il est indiqué : « le capital a concentré la classe ouvrière dans des unités de production géantes, qui n’ont rien à voir avec ce qui pouvait exister du temps de Marx. En outre, ces unités de production sont elles-mêmes, en général, concentrées au cœur ou à proximité de villes de plus en plus peuplées. Ce regroupement de la classe ouvrière, tant dans ses lieux d’habitation que de travail, constitue une force sans pareil dès lors qu’elle sait le mettre à profit, en particulier par le développement de sa lutte collective et de sa solidarité. Une des forces essentielles du prolétariat est sa capacité de prise de conscience. Toutes les classes, et particulièrement les classes révolutionnaires, se sont données une forme de conscience. Mais celle-ci ne pouvait être que mystifiée, soit que le projet mis en avant ne puisse aboutir (cas de la guerre des paysans en Allemagne, par exemple), soit que la classe révolutionnaire se trouve obligée de mentir, de masquer la réalité à ceux qu’elle voulait entraîner dans son action mais qu’elle allait continuer à exploiter (cas de la révolution bourgeoise avec ses slogans “Liberté, Égalité, Fraternité”). N’ayant, comme classe exploitée et porteuse d’un projet révolutionnaire qui abolira toute exploitation, à masquer ni aux autres classes, ni à lui-même, les objectifs et les buts ultimes de son action, le prolétariat peut développer, au cours de son combat historique, une conscience libre de toute mystification. De ce fait, celle-ci peut s’élever à un niveau de très loin supérieur à celui qu’a jamais pu atteindre la classe ennemie, la bourgeoisie. Et c’est bien cette capacité de prise de conscience qui constitue, avec son organisation en classe, la force déterminante du prolétariat ».

Quelle est la fonction des organisations révolutionnaires ?

La camarade nous dit « la frontière de classe se réalise et se pense dans la lutte » et précise par la suite : « quels sont les mouvements, les discours et les prises de position qui correspondent aux nécessités révolutionnaires du prolétariat et de ce fait apparaît qui appartient au prolétariat ou non ». Contrairement à ce que dit la camarade, les frontières de classe ne se définissent pas au cours de la lutte, elles sont le produit historique du combat de classe. Si la classe, à chaque fois qu’elle lutte, devait ré-expérimenter les leçons que nous a léguées son combat historique, son combat révolutionnaire s’en trouverait affaibli et son but historique risquerait de ne pas se réaliser. Prenons l’exemple des syndicats, auxquels la classe doit se confronter pour développer son combat. Les leçons tirées de l’histoire de la lutte de classes nous permettent d’affirmer que cela fait plus d’un siècle qu’ils sont passés avec armes et bagages dans le camp de la bourgeoisie, devenant ainsi un organe de l’État bourgeois visant à saboter, voire réprimer toute action autonome de la classe ouvrière. Or, comme on peut le voir dans les dernières luttes, et même si nous remontons encore plus loin, lors du mouvement contre la réforme des retraites en France, durant l’hiver 2019/2020, la classe a laissé les syndicats organiser sa lutte, en raison de son manque de confiance en elle et de la faiblesse de sa conscience de classe, la rendant vulnérable à l’égard des mystifications et des illusions véhiculés par ces ennemis de classe que constituent les syndicats. Il revient aux organisations révolutionnaires, qui sont la mémoire de toutes ces expériences du passé, qui, dans une continuité historique, et en fonction de l’évolution du combat de classe, ont la responsabilité d’intervenir afin de pousser le prolétariat à développer sa lutte et montrer quels sont les obstacles qui l’entravent. En se focalisant uniquement sur les ressorts des luttes ouvrières, la camarade semble largement sous-estimer l’importance fondamentale du rôle des révolutionnaires, une telle vision l’amenant à occulter le fait que la conscience est une force matérielle agissante, intégrant dans les moments présents les leçons du passé dans la perspective du futur. Les organisations révolutionnaires sont le produit de tout l’effort que fait la classe pour son émancipation. C’est la classe qui leur confie la tâche d’être un élément agissant en son sein afin qu’elle développe sa conscience et ainsi réaliser sa tâche historique, abattre le capitalisme et libérer l’humanité de toute exploitation.

Comme nous l’avons toujours défendu : « l’intervention des révolutionnaires ne représente rien d’autre que la tentative pour le prolétariat d’arriver à la conscience de ses intérêts véritables en vue de dépasser la simple constatation empirique des phénomènes particuliers, en cherchant la relation avec ses principes généraux tirés de son expérience historique. Parce que la mise en avant incessante des frontières de classe, la clarification théorique de plus en plus profonde des buts historiques du prolétariat ne concrétisent en fin de compte que la nécessité pour celui-ci d’avoir pleinement conscience de sa pratique, l’existence des organisations révolutionnaires est bien le produit de cette nécessité. Parce que cette prise de conscience précède et complète à la fois la prise du pouvoir du prolétariat par les conseils ouvriers, elle annonce un mode de production où les hommes, enfin maîtres des forces productives, développeront celles-ci en pleine conscience pour que s’achève le règne de la nécessité et que commence celui de la liberté ». (2)

André, 20 janvier 2022

 

1 De très larges extraits du courrier ont été publiés dans Révolution internationale n°491 ainsi que sur notre site web.

Vie du CCI: 

Rubrique: 

Courriers des lecteurs