Rapport sur la pandémie Covid-19 et la période de décomposition capitaliste (juillet 2020)

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Ce rapport analyse la crise sociale qui résulte la pandémie de Covid 19 comme comme étant la plus importante de l'histoire mondiale depuis la Seconde Guerre mondiale. Elle un produit de la décomposition du capitalisme et constitue une nouvelle étape de l'enfoncement de la société dans cette phase finale de sa décadence.

La catastrophe continue et s'aggrave : officiellement, on compte à ce jour 36 millions de personnes infectées et plus d'un demi-million de décès dans le monde[1]. Après avoir imprudemment reporté les mesures préventives contre la propagation du virus, puis imposé un arrêt brutal de vastes secteurs de l'économie, les différentes factions de la bourgeoisie mondiale ont ensuite parié sur une reprise économique, aux dépens d'un nombre encore plus important de victimes, en "libérant" la société des mesures de confinement alors que la pandémie ne s'était que temporairement atténuée dans certains pays. À l'approche de l'hiver, il est clair que le pari n'a pas porté ses fruits, ce qui laisse présager une détérioration, du moins à moyen terme, tant sur le plan économique que médical. Le fardeau de cette catastrophe est tombé sur les épaules de la classe ouvrière internationale.

Jusqu'à présent, une des difficultés pour reconnaitre que le capitalisme est entré dans la phase finale de son déclin historique - celle de la décomposition sociale - est que l'époque actuelle, ouverte définitivement par l'effondrement du bloc de l'Est en 1989, est apparue de façon superficielle comme une prolifération de symptômes sans interconnexion apparente, contrairement aux périodes précédentes de la décadence du capitalisme qui étaient définies et dominées par des repères aussi évidents que la guerre mondiale ou la révolution prolétarienne.[2] Mais maintenant en 2020, la pandémie de Covid, la crise la plus importante de l'histoire mondiale depuis la Seconde Guerre mondiale, est devenue un emblème incontestable de toute cette période de décomposition en rassemblant une série de facteurs de chaos qui expriment la putréfaction généralisée du système capitaliste. Il s'agit notamment de :

  • la prolongation de la crise économique à long terme qui a débuté en 1967[3], et l'accumulation et l'intensification des mesures d'austérité qui en ont résulté, ont précipité une réponse inadéquate et chaotique de la bourgeoisie à la pandémie, ce qui a obligé la classe dirigeante à aggraver massivement la crise économique en interrompant la production pendant une période significative ;
  • les origines de la pandémie résident clairement dans la destruction accélérée de l'environnement créée par la persistance de la crise capitaliste chronique de surproduction ;
  • la rivalité désorganisée des puissances impérialistes, notamment parmi les anciens alliés, a transformé la réaction de la bourgeoisie mondiale à la pandémie en un fiasco mondial ;
  • l'ineptie de la réponse de la classe dominante à la crise sanitaire a révélé la tendance croissante à la perte de contrôle politique de la bourgeoisie et de son État sur la société au sein de chaque nation ;
  • le déclin de la compétence politique et sociale de la classe dominante et de son État s'est accompagné de façon étonnante d'une putréfaction idéologique : les dirigeants des nations capitalistes les plus puissantes débitent des mensonges ridicules et des absurdités superstitieuses pour justifier leur inaptitude.

Covid-19 a ainsi rassemblé de manière plus claire qu'auparavant les principaux domaines de la vie de la société capitaliste tous impactés par la décomposition : économique, impérialiste, politique, idéologique et social.

La situation actuelle a également dissipé l'importance d'un certain nombre de phénomènes qui étaient censés contredire l'analyse selon laquelle le capitalisme était entré dans une phase terminale de chaos et d'effondrement social. Ces phénomènes, selon nos critiques, auraient prouvé que notre analyse devait être "remise en question" ou simplement ignorée. En particulier, il y a quelques années, les taux de croissance stupéfiants de l'économie chinoise ont semblé, aux yeux de nos commentateurs critiques, réfuter l'idée qu'il y avait une période de décomposition et même de décadence. Ces observateurs avaient en réalité été piégés par le "parfum de modernité" émis par la croissance industrielle chinoise. Aujourd'hui, à la suite de la pandémie de Covid, non seulement l'économie chinoise a stagné, mais elle a révélé un retard chronique qui dégage l'odeur moins agréable du sous-développement et de la décadence.

La perspective dégagée par le CCI en 1989, selon laquelle le capitalisme mondial était entré dans une phase finale de désagrégation de l’intérieur, basée sur la méthode marxiste d'analyse des tendances mondiales et à long terme sous-jacentes, au lieu de courir après des nouveautés temporaires ou de s'en tenir à des formules dépassées, a été confirmée de façon frappante.

La catastrophe sanitaire actuelle révèle avant tout une perte de contrôle croissante de la classe capitaliste sur son système et sa perte de perspective croissante pour la société humaine dans son ensemble. La perte croissante de maîtrise des moyens que la bourgeoisie a jusqu'ici développés pour contraindre et canaliser les effets du déclin historique de son mode de production est devenue plus tangible.

De plus, la situation actuelle révèle à quel point la classe capitaliste est non seulement moins capable d'empêcher le développement d’un chaos social croissant, mais elle aggrave aussi de plus en plus la décomposition même, alors qu'auparavant elle la contrôlait.

Pandémie, décadence, décomposition

Afin de mieux comprendre pourquoi la pandémie de Covid est symbolique de la période de décomposition du capitalisme, nous devons examiner pourquoi elle n'a pas pu se produire dans les époques précédentes comme c'est le cas aujourd'hui.

Les pandémies ont bien sûr été connues dans des formations sociales antérieures et ont eu un effet dévastateur et accélérateur sur le déclin des sociétés de classe précédentes, comme la peste de Justinien à la fin de l'ancienne société esclavagiste ou la peste noire à la fin du servage féodal. Mais la décadence féodale n'a pas connu de période de décomposition car un nouveau mode de production (le capitalisme) prenait déjà forme au sein et aux côtés de l'ancien. Les ravages de la peste ont même accéléré le développement de la classe bourgeoise.

La décadence du capitalisme, le système d'exploitation du travail le plus dynamique de l'histoire, enveloppe nécessairement l'ensemble de la société et empêche toute nouvelle forme de production d'émerger en son sein. C'est pourquoi, en l'absence d'un chemin vers la guerre mondiale et de la réémergence de l'alternative prolétarienne, le capitalisme est entré dans une période "d'ultra-décadence", comme le disent les Thèses du CCI sur la décomposition[4]. Ainsi, la pandémie actuelle ne cédera pas la place à une quelconque régénération des forces productives de l'humanité au sein de la société existante, mais nous oblige au contraire à entrevoir l’inéluctabilité de l'effondrement de la société humaine dans son ensemble si le capitalisme mondial n'est pas renversé dans sa totalité. Le recours aux méthodes médiévales de quarantaine en réponse à Covid, alors que le capitalisme a développé les moyens scientifiques, technologiques et sociaux pour comprendre, prévenir et contenir l'éruption des fléaux (mais est incapable de les déployer), témoigne de l'impasse dans laquelle se trouve une société qui "pourrit sur pied" et qui est de plus en plus incapable d'utiliser les forces productives qu'elle a mises en mouvement.

L'histoire de l'impact social des maladies infectieuses dans la vie du capitalisme nous donne un autre aperçu de la distinction à faire entre la décadence d'un système, ouverte en 1914, et la phase spécifique de décomposition au sein de cette période de déclin. L'ascension du capitalisme et même l'histoire de la plus grande partie de sa décadence montrent en fait une maîtrise croissante de la science médicale et de la santé publique sur les maladies infectieuses, en particulier dans les pays avancés. La promotion de l'hygiène publique et de l'assainissement, la conquête de vaccins contre la variole et la polio et le recul du paludisme par exemple, témoignent de ces progrès. Finalement, après la Seconde Guerre mondiale, les maladies non transmissibles sont devenues les principales causes de décès prématurés dans les pays du centre du capitalisme. Il ne faut pas imaginer que cette amélioration du pouvoir de l'épidémiologie ait été une conséquence des préoccupations humanitaires que la bourgeoisie revendiquait alors. L'objectif primordial était de créer un environnement stable pour l'intensification de l'exploitation exigée par la crise permanente du capitalisme et surtout pour la préparation et la mobilisation ultime des populations pour les intérêts militaires des blocs impérialistes.

À partir des années 1980, la tendance positive de la lutte contre les maladies infectieuses a commencé à s'inverser. De nouveaux agents pathogènes ou des agents en évolution ont commencé à apparaître, tels que le VIH, Zika, Ebola, SRAS, MERS, Nipah, la grippe aviaire (H5N1), la dengue, etc. Les maladies vaincues sont devenues plus résistantes aux médicaments. Ce développement, en particulier des virus zoonotiques, est lié à la croissance et à la concentration urbaines incontrôlées dans les régions périphériques du capitalisme - en particulier à travers la prolifération de bidonvilles surpeuplés qui représentent 40 % de cette croissance -, à la déforestation et au changement climatique naissant. Si l'épidémiologie a pu comprendre et suivre ces virus, la mise en œuvre de mesures adaptées par l'État n'a pas permis de suivre le rythme de la menace. La réponse insuffisante et chaotique des bourgeoisies à Covid-19 est une confirmation frappante de la négligence croissante de l'État capitaliste face à la résurgence des maladies infectieuses et de la santé publique, et donc du mépris de l'importance de la protection sociale au niveau le plus élémentaire. Ce développement de l'incompétence sociale croissante de l'État bourgeois est lié à des décennies de réduction du "salaire social", en particulier des services de santé. Mais le mépris croissant pour la santé publique ne peut s'expliquer pleinement que dans le cadre de la phase de décomposition qui favorise les réactions irresponsables et à court terme d'une grande partie de la classe dirigeante.

Les conclusions à tirer de ce retournement dans la progression de la lutte contre les maladies infectieuses au cours des dernières décennies sont incontournables : il s'agit d'une illustration du passage du capitalisme décadent à une dernière phase de son agonie : la décomposition de celui-ci.

Bien entendu, l'aggravation de la crise économique permanente du capitalisme est la cause profonde de cette transition, crise commune à toutes les périodes de sa décadence. Mais c'est la gestion - ou plutôt la mauvaise gestion croissante - des effets de cette crise qui a changé et qui est un élément clé des catastrophes présentes et futures qui caractérisent la période spécifique de décomposition.

Les explications qui ne tiennent pas compte de cette transformation, comme celles de la Tendance communiste internationale (TCI) par exemple, se retrouvent avec le truisme selon lequel le profit est responsable de la pandémie. Pour eux, les circonstances spécifiques, le moment et l'ampleur de la calamité restent un mystère.

La réaction de la bourgeoisie à la pandémie ne peut pas non plus s'expliquer par un retour au schéma de la période de la guerre froide, comme si les puissances impérialistes avaient "militarisé" le virus Covid à des fins militaires impérialistes et que les quarantaines de masse constituaient une mobilisation de la population à cet égard. Cette explication oublie que les principales puissances impérialistes ne sont plus organisées en blocs impérialistes rivaux et qu'elles n'ont pas les mains libres pour mobiliser la population derrière leurs objectifs de guerre. Ce point est au cœur de l'impasse entre les deux classes déterminantes de la perspective historique de la société qui est la cause fondamentale de l’entrée dans cette phase de décomposition.

D'une manière générale, ce ne sont pas les virus mais les vaccins qui profitent aux ambitions militaires des blocs impérialistes[5]. La bourgeoisie a tiré les leçons de la grippe espagnole de 1918 à cet égard. Les infections incontrôlées constituent un handicap massif pour l'armée, comme l'a montré la démobilisation de plusieurs porte-avions américains et d'un porte-avions français par Covid-19. En revanche, le maintien d'un contrôle strict des agents pathogènes mortels a toujours été une condition de la capacité de guerre biologique de toute puissance impérialiste.

Cela ne veut pas dire que les puissances impérialistes n'ont pas utilisé la crise sanitaire pour faire avancer leurs intérêts aux dépens de leurs rivaux. Mais ces efforts ont dans l'ensemble révélé que le vide laissé par les États-Unis en matière de leadership impérialiste mondial s'accroît, sans qu'aucune autre puissance, y compris la Chine, ne puisse assumer ce rôle ou ne soit capable de créer un pôle d'attraction alternatif. Le chaos au niveau des conflits impérialistes a été confirmé par la catastrophe de Covid.

 Le confinement de masse décrété par les États impérialistes s'accompagne certes aujourd'hui de la présence accrue de la militarisation dans la vie quotidienne et de son utilisation pour lancer des exhortations guerrières. Mais l’immobilisation forcée de la population est motivée dans une large mesure par la crainte ressentie par l'État face à la menace de désordre social à une époque où la classe ouvrière, bien que tranquille, reste invaincue

La tendance fondamentale à l'autodestruction qui est la caractéristique commune à toutes les périodes de décadence capitaliste a changé de forme dominante dans la période de décomposition, passant de la guerre mondiale à un chaos mondial qui ne fait qu'accroître la menace du capitalisme pour la société et l'humanité dans son ensemble.

La pandémie et l'État

La perte de contrôle de la bourgeoisie qui a caractérisé la pandémie est amortie par l'instrument de l'État. Que révèle cette calamité sur le capitalisme d'État dans la période de décomposition ?

Pour aider à comprendre cette question, nous rappellerons cette observation de la brochure du CCI La décadence du capitalisme sur le "renversement des superstructures" selon laquelle la croissance du rôle de l'État dans la société est une caractéristique de la décadence de tous les modes de production. Le développement du capitalisme d'État est l'expression extrême de ce phénomène historique général.

Comme l'a souligné la GCF dans son organe de presse Internationalisme [6] en 1952, le capitalisme d'État n'est pas une solution aux contradictions du capitalisme, même s'il peut en retarder les effets, mais en est l'expression. La capacité de l'État à maintenir la cohésion d'une société en déclin, aussi envahissante soit-elle, est donc destinée à s'affaiblir avec le temps et à devenir finalement un facteur aggravant des contradictions mêmes qu'il tente de contenir. La décomposition du capitalisme est la période au cours de laquelle une perte de contrôle croissante de la classe dominante et de son État devient la tendance dominante de l'évolution sociale, que Covid révèle de façon si dramatique.

Cependant, il serait erroné d'imaginer que cette perte de contrôle se développe de manière uniforme à tous les niveaux de l'action de l'État, ou qu'elle touche toutes les nations de la même manière ou qu'il s'agit simplement d'un phénomène à court terme.

Au niveau international

Avec l'effondrement du bloc de l'Est et l’inanité des structures du bloc de l'Ouest qui en résulte, les structures miliaires comme l'OTAN ont eu tendance à perdre leur cohésion comme l'a montré l'expérience des guerres des Balkans et du Golfe. La dislocation au niveau militaire et stratégique a inévitablement été accompagnée par la perte de pouvoir - à des rythmes différents - de toutes les agences interétatiques qui ont été créées sous l'égide de l'impérialisme américain après la Seconde Guerre mondiale, telles que l'Organisation mondiale de la santé et l'UNESCO au niveau social, l'UE (en continuité avec sa forme antérieure, la CEE), la Banque mondiale, le FMI, l'Organisation mondiale du commerce au niveau économique. Ces organismes ont été conçus pour maintenir la stabilité et la "puissance douce mais ferme " du bloc occidental sous la houlette des États-Unis.

Le processus de dislocation et d'affaiblissement de ces organisations interétatiques s'est particulièrement intensifié avec l'élection du président américain Trump en 2016.

L'impuissance relative de l'OMS pendant la pandémie est éloquente à cet égard et elle est liée au fait que chaque État joue sa propre carte de manière chaotique avec les résultats mortifères que nous connaissons. La "guerre des masques" et maintenant la guerre des vaccins, la volonté affichée des États-Unis de se retirer de l’OMS, la tentative de la Chine de manipuler cette institution à son profit, n'ont guère besoin d'être commentées.

L'impuissance des organes interétatiques et le chacun pour soi qui en résulte parmi les États nations concurrents a contribué à transformer la menace pathogène en une catastrophe mondiale.

Cependant, au niveau de l'économie mondiale - malgré l'accélération de la guerre commerciale et les tendances à la régionalisation - les bourgeoisies ont encore réussi à coordonner des mesures essentielles, comme l'action de la Banque fédérale de réserve pour préserver la liquidité en dollars dans le monde entier en mars, au début de la contraction économique. L'Allemagne, après un premier temps de réticence, a décidé d'essayer de coordonner avec la France un plan de sauvetage économique pour l'ensemble de l'Union européenne.

Néanmoins, si la bourgeoisie internationale est encore capable d'empêcher un effondrement complet de parties importantes de l'économie mondiale, elle n'a pas pu éviter les énormes dégâts à long terme causés à la croissance économique et au commerce mondial par l'arrêt de l'activité économique rendu nécessaire par la réponse tardive, hétérogène et parfois contradictoire à Covid-19. En comparaison avec la réponse du G7 au crash financier de 2008, la situation actuelle montre l'usure à long terme de la capacité de la bourgeoisie à coordonner les actions pour ralentir la crise économique.

Bien sûr, la tendance au "chacun pour soi" a toujours été une caractéristique de la nature compétitive du capitalisme et de sa division en États-nations. C'est plutôt l'absence de discipline de bloc impérialiste et de perspective qui a stimulé la résurgence de cette tendance dans une période d'impasse et de déclin économique. Alors qu'auparavant, un certain degré de coopération internationale était maintenu, Covid-19 révèle son absence croissante.

Au niveau national

Dans les Thèses sur la décomposition, dans le point 10, nous avions noté que la disparition de la perspective d'une guerre mondiale exacerbe les rivalités entre les cliques au sein de chaque État-nation ainsi qu'entre les États eux-mêmes. La dislocation et l'impréparation face à Covid-19 au niveau international se sont répercutées, à un degré plus ou moins important, dans chaque État-nation, en particulier au niveau exécutif :

"Une caractéristique majeure de la décomposition de la société capitaliste que nous devons souligner est la difficulté croissante de contrôler l'évolution de la situation politique."[7]

C'est un facteur essentiel de l'effondrement du bloc de l'Est, aggravé par la nature aberrante du régime stalinien (un État à parti unique qui définit lui-même la classe dirigeante). Mais les causes profondes des conflits au sein des pouvoirs exécutifs de toute la bourgeoisie - crise économique chronique, perte de perspective stratégique et fiascos de politique étrangère, désaffection de la population - frappent maintenant les États capitalistes avancés, ce qui n'apparaît nulle part plus clairement dans la crise actuelle que dans les grands pays où des gouvernements populistes ou influencés par le populisme, en particulier ceux dirigés par Donald Trump et Boris Johnson, sont arrivés au pouvoir. Les conflits dans ces grands États se répercutent inévitablement sur les autres États qui ont, pour l'instant, suivi une politique plus rationnelle.

Précédemment, ces deux pays étaient des symboles de la stabilité relative et de la force du capitalisme mondial ; aujourd'hui, la triste performance de leurs bourgeoisies montre qu'ils sont plutôt devenus des phares de l'irrationalité et du désordre.

L'administration américaine et le gouvernement britannique, guidés par des fanfaronnades nationalistes, ont volontairement ignoré et retardé leurs réactions à la calamité de Covid et ont même encouragé le manque de respect de la population envers ce danger ; ils ont sapé les conseils des autorités scientifiques et ouvrent maintenant l'économie alors que le virus fait toujours rage. Les deux gouvernements ont mis au rebut les groupes de travail sur la pandémie à la veille de la crise de Covid.

Ces deux gouvernements, de différentes manières, vandalisent délibérément les procédures établies de l'État démocratique et créent la discorde entre les différents départements de l'État, comme l'abrogation du protocole militaire par Trump dans sa réponse aux protestations de Black Lives Matter et les manipulations frauduleuses du système judiciaire, ou la remise en cause actuelle de toute la structure de la Fonction publique par Johnson.

Il est vrai que, dans une période de chacun pour soi, chaque État-nation a inévitablement suivi sa propre voie. Cependant, les États qui ont fait preuve de plus d'intelligence que les autres sont également confrontés à des divisions croissantes et à une perte de contrôle.

Le populisme prouve l'idée des Thèses sur la décomposition selon laquelle le capitalisme sénile revient à une "seconde enfance". L'idéologie du populisme prétend que le système peut revenir à une période de jeunesse du dynamisme capitaliste et à moins de bureaucratie, simplement par des phrases démagogiques et des initiatives perturbatrices. Mais en réalité, le capitalisme décadent dans sa phase de décomposition épuise tous les palliatifs.

Alors que le populisme fait appel aux illusions xénophobes et petites-bourgeoises d'une population mécontente qui est temporairement désorientée par l'absence de résurgence prolétarienne, il ressort clairement de la crise sanitaire actuelle que le programme - ou l'anti-programme - du populisme s'est développé au sein de la bourgeoisie et de l'État lui-même, et n'est pas le résultat du prétendu dérèglement psychologique des populations en général.

Ce n'est pas par hasard que les États-Unis et le Royaume-Uni, parmi les pays les plus développés, ont connu les taux de mortalité les plus élevés au cours de la pandémie.

Cependant, il convient de rappeler que les instances économiques de l'État dans la majorité des pays développés sont en revanche restées stables et ont pris des mesures d'urgence rapides pour éviter que leurs économies ne tombent en chute libre et pour retarder l'effet du chômage de masse sur la population.

En effet, grâce aux actions des banques centrales, nous voyons l'État accroître fortement son rôle dans l'économie. Par exemple : "Morgan Stanley [la banque d'investissement] note que les banques centrales des pays du G4 - États-Unis, Japon, Europe et Royaume-Uni - augmenteront collectivement leurs bilans de 28 % de la production intérieure brute au cours de ce cycle. Le chiffre équivalent lors de la crise financière de 2008 était de 7 %". (Financial Times du 27 juin 2020.)

Cependant, la perspective de développement du capitalisme d'État, à la base, est un signe que s'affaiblit la capacité de l'État à contenir la crise et à atténuer les effets de la décomposition du capitalisme.

Le poids croissant de l'intervention de l'État dans tous les aspects de la vie sociale dans son ensemble n'est pas une solution à la décomposition croissante de celle-ci.

Il ne faut pas oublier qu'il existe une forte résistance, au sein de ces États et de la part des libéraux ou socio-démocrates ou de fractions importantes de ceux-ci, au vandalisme du populisme. Dans ces pays, ce secteur de la bourgeoisie d'État constitue une vive opposition, notamment par le biais des médias, qui, outre le fait de ridiculiser les bouffonneries populistes, peut faire espérer à la population un retour à l'ordre démocratique et à la rationalité, même s'il n'existe pas aujourd'hui de réelle capacité à fermer la boîte de Pandore populiste.

Et nous pouvons être sûrs que la bourgeoisie de ces pays n'a nullement oublié le prolétariat et que, le moment venu, elle pourra déployer contre lui toutes ses agences spécialisées.

L'effet "boomerang" ressenti pendant la période de décomposition

Le rapport sur la décomposition de 2017 souligne le fait que dans les premières décennies suivant l'émergence de la crise économique à la fin des années 60, les pays les plus riches ont repoussé les effets de la crise vers les pays à la périphérie du système, tandis que dans la période de décomposition, la tendance tend à se renverser ou à revenir au cœur du capitalisme, vers ses centres vitaux - comme la propagation du terrorisme, l'afflux massif de réfugiés et de migrants, le chômage de masse, la destruction de l'environnement et maintenant les épidémies mortelles en Europe et en Amérique. La situation actuelle, où le pays capitaliste le plus fort du monde a le plus souffert de la pandémie, confirme cette tendance.

Le rapport a également fait remarquer de manière perspicace que : "...nous avons considéré que [la décomposition] n'avait pas d'impact réel sur l'évolution de la crise du capitalisme. Si la montée actuelle du populisme devait conduire à la montée en puissance de ce courant dans certains des principaux pays européens, un tel impact de la décomposition se développerait".

L'un des aspects les plus significatifs de la calamité actuelle est que la décomposition a en effet rejailli sur l'économie de manière dévastatrice. Et cette expérience n'a pas atténué le goût du populisme pour un nouveau désastre économique, comme le montre la guerre économique continue des États-Unis contre la Chine, ou la détermination du gouvernement britannique à poursuivre la voie suicidaire et destructrice de Brexit.

La décomposition de la superstructure prend sa "revanche" sur les fondements économiques du capitalisme qui l'a engendrée.

  • "Lorsque l'économie tremble, toute la superstructure qui s'appuie sur elle entre en crise et se décompose ..... D'abord conséquences d'un système, elles deviennent ensuite le plus souvent des facteurs d'accélération dans le processus de déclin". (Brochure sur La décadence du capitalisme, chapitre 1)

CCI, 16.7.20


[1] À la date du 9 octobre 2020

[2] Ce problème de perception a été noté par le Rapport sur la décomposition du 22e Congrès du CCI en 2017, Revue internationale no163.

[3] Cette crise économique de longue durée, qui s'est étendue sur plus de cinq décennies, est apparue à la fin des années 1960, après deux décennies de prospérité d'après-guerre dans les pays avancés.

[4] Revue internationale n° 107, 4e trimestre 2001.

[5] Les propriétés antibiotiques de la pénicilline ont été découvertes en 1928. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le médicament a été produit en masse par les États-Unis et 2,3 millions de doses ont été préparées pour le débarquement du jour J en juin 1944.

[6] Gauche communiste de France, précurseur du CCI .

[7] Thèses sur la décomposition, Point 9,

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