Rupture avec Spartacusbond (Pays Bas)

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SPARTACUSBOND : SEUL AU MONDE ?

L'article qui suit a été écrit par un camarade hollandais qui a quitté le SPARTACUSBOND (SB). Cet article est composé de différents textes écrits en préparation de la dernière conférence de SB et sert de lettre de rupture avec cette organisation. Le but de l'article est de clarifier pour le monde extérieur les développements qui ont eu lieu au sein de SB et, se faisant, de contribuer aussi au processus de regroupement international des révolutionnaires qui a amené F.K. à rejoindre le CCI, considérant qu'il est "le seul pôle sérieux de regroupement international des révolutionnaires aujourd'hui

LE "SPARTACUSBOND" : SEUL AU MONDE

Depuis la seconde partie des années 60, la lutte ouvrière a repris une forme ouvertement révolutionnaire. Au même moment, nous voyons émerger des noyaux révolutionnaires qui tentent de comprendre la crise du capitalisme et le resurgissement de la lutte de classes. Ces groupes révolutionnaires jettent ainsi les bases pour une reprise des activités de propagande qu'ont menées les organisations révolutionnaires issues de la première vague révolutionnaire du prolétariat mondial, après le massacre inter impérialiste de 1914-18. Ces tentatives sont d'autant plus difficiles que 50 années de contre-révolution ont rompu la continuité organique avec ces partis communistes qui s'étaient organisés dans la 3ème Internationale et avec ces groupes qui sont restés fidèles à la révolution mondiale après la dégénérescence et la désintégration de la 3ème Internationale et du Parti Bolchevik. Il est donc normal que les groupes révolutionnaires surgis pendant ces dernières années engagent une discussion approfondie, dans le but de se réapproprier les acquis historiques de la classe ouvrière, de clarifier les positions de classe et finalement de créer un regroupement international sur la base d'une plate-forme où sont élaborées les positions de classe. Le CCI est le résultat des efforts théoriques et organisationnels de ces groupes révolutionnaires qui ont pris conscience du fait que c'est seulement dans un cadre organisé internationalement qu’ils pourront assumer leurs responsabilités vis-à-vis de la classe ouvrière.

Tout le monde ne comprend pas immédiatement la portée d'un tel effort et ceci d'autant plus que les nombreuses organisations contre-révolutionnaires existantes contribuent à dévoyer le sens de cet effort. Elles ont, en effet. l'honneur douteux de pouvoir se réclamer d'une continuité organique et vivante avec ces courants qui, l'un après l'autre, se sont révélés être les massacreurs de la classe ouvrière - comme, par exemple, les trotskistes, les staliniens et les maoïstes, tous produits de la dégénérescence de la 3ème Internationale et du Parti Bolchevik.

Les groupes contre-révolutionnaires ne sont pas menacés par le reflux des luttes ouvrières. Au contraire, ils sont l'expression bourgeoise de ce reflux, et l'accélèrent. Leur rôle de mystification consiste à présenter n'importe quelle défaite de la classe ouvrière comme une victoire : le reflux des luttes dans le giron des syndicats, c'est l'expression d'une "unité croissante" ; le retour au parlementarisme, c'est une "lutte politique" ; le retour au nationalisme devient "l'internationalisme prolétarien" et la participation à la guerre, c'est là défense d'un quelconque "pays socialiste".

Le rôle de ces organisations bourgeoises contre-révolutionnaires est clair : mais au sein du camp prolétarien, les efforts pour un regroupement international sont-ils compris par les descendants des gauches allemande et hollandaise, ces groupes qui ne sont pas le produit de la reprise de la lutte de classe aujour­d'hui mais qui ont été capables de maintenir  une position révolutionnaire sur des questions vitales que la lutte de classe a affronté dans le passé ? Représentent-ils la continuité organique, vivante et non rompue, avec les courants révolutionnaires produits de la vague des années 1917-23 ? En d'autres termes, défendent-ils des positions de classe et accomplissent-ils leurs taches d'organisations révolutionnaires au sein de la classe ? On ne peut pas répondre à ces questions en termes généraux. Dans les pa­ges qui suivent, nous allons examiner le cas du Spartacusbond (SB), organisation hollandaise qui est considérée parfois comme la continuité organique de la Gauche allemande et hollandaise des années 1920, 30 et 40.

LES ORIGINES DU "SPARTACUSBOND"

Lorsque le "Communistenbond ‘Spartacus’"(Li­gue des communistes 'Spartacus') resurgit de l'illégalité après la Seconde Guerre mondiale, beaucoup de membres du GIC ([1]) d'avant la guerre font partie de ce groupe qui était auparavant un groupe trotskiste. En effet, à l'origine, le “Spartacusbond” était l'une des continuations illégales du RSAP de Sneevliet (Maring) qui, dans le second massacre inter impérialiste, avait pris une position internationaliste prolétarienne cohérente en refusant de choisir un camp ou un autre, et en défendant la lutte de classe. La fraction “Spartacus” en particulier a évolué positivement vers des positions de classe et abandonné les positions trotskistes : compréhension de la nature capitaliste de l'URSS, rejet des syndicats et reconnaissance des comités d'usine comme organisation de lutte de la classe ouvrière, dénonciation du parlementarisme et insistance sur la nature politique de la lutte dans les usines. Dans cette évolution, le groupe "Spartacus" était poussé de l'avant par le GIC, qu'il avait contacté après l'arrestation et l'assassinat de Sneevliet et de 7 autres camarades en 1943. L'étude et la discussion théorique entre les ex trotskistes et les membres du GIC ont évolué si positivement qu'ils ont tous décidé de continuer en tant que "Cormnunistenbond 'Spartacus'" qui a défendu publiquement les positions de classe en Hollande après la dernière guerre mondiale.

La fin de la Seconde Guerre mondiale n'a pas amené la révolution prolétarienne qu'ils attendaient en regard des évènements de Russie et d'Allemagne qui s'étaient produits après la Première Guerre mondiale. A la place, le capitalisme s'est engagé dans une phase de reconstruction à laquelle il a tenté d'atteler la classe ouvrière. Les "Eenheidsvakcentrale" (syndicats unis), à la création desquels les Spartacistes avaient contribué pendant les dernières années d'illégalité et qu'ils espéraient voir évoluer, à travers leur propagande pour des comités d'usine, vers un genre d"'Arbeiter Union" comme ceux de la révolution allemande, vont en fait devenir des syndicats ordinaires et pour couronner le tout, vont tomber entre les mains des staliniens. Ils ont rejoint ensuite la "Onafhankelijke Vakbond van Bedrijfsorga­nisaties", (Alliance Indépendante des organisations d'usine) qui, tout en n'étant pas dominée par les staliniens, est aussi devenue une sorte de syndicat sous la pression de la période de reconstruction ; après quoi les spartacistes l'ont quittée. Avec le déclin des grèves sauvages immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, le "Spartacusbond" est entré dans une périodes difficile. Beaucoup de camarades l'ont quitté et il est devenu un petit groupe tentant désespérément de lutter contre le déclin des luttes ouvrières. La diffusion des positions de classe ne trouvait pas d'audience à cause de l'absence d'un mouvement de classe. Le SB a naturellement tenté d'expliquer cette situation, mais il est peu à peu tombé dans une théorisation de la défaite. Ce processus s'est 1ui-même reflété à travers l'émergence d'une fraction conseilliste dans SB qui a commencé à publier "Daad en Gedachte" ("action et pensée") indépendamment de SB en 1965.

LE CONSEILLISME ([2])

Il faut faire une distinction entre les communistes de gauche d'avant la Seconde Guerre et le conseillisme en tant que courant qui surgit pendant la période de reconstruction. Les germes du conseillisme, qui ont produit la dégénérescence ultérieure, peuvent être trouvés dans certains courants d'avant-guerre au sein des gauches allemande et hollandaise, en particulier dans le communisme de conseils de ²l’Einheidsorganisation² (organisation unitaire) d'Otto Rühle, et dans le communisme de conseils du GIC. Cependant, ces deux courants étaient encore une expression de tentatives sérieuses pour clarifier les problèmes posés par les "Arbeiter Union" (unions d'ouvriers). Nous les appelons donc communistes de conseils et non conseillistes. Bien qu'à l'époque, le rejet par Rühle de la nécessité d'une organisation politique et du parti soit déjà une erreur, on ne peut comprendre cette position que dans le contexte de la confusion qui existait aussi dans le KAPD sur la question des ²Arbei­ter Union". Ce n'est que peu à peu qu'a été comprise l'impossibilité pour la classe ouvrière d'avoir désormais des organisations permanentes. Cette compréhension a été exprimée dans les conceptions du GIC. Le communisme de conseils du GIC doit donc être distingué de celui de Rühle.

D'un autre côté, le "conseillisme" se base sur des fragments du communisme de conseils du GIC et de celui d'Otto Rühle. Il ne faut pas voir le "conseillisme" comme une tentative de clarification des vrais problèmes surgis de la lutte de classe. Tout au contraire, il retourne au rejet de Rühle des organisations politiques, à une époque où le problème des organes de lutte de la classe et de leur relation avec l'organisation politique avait été clarifié par le GIC. En ce sens, le "conseillisme" néglige une leçon fondamentale tirée de la lutte des ouvriers.

Les "conseillistes" prennent bien soin de relier leurs positions à celles des révolutionnaires comme Pannekoek. "Daad en Gedachte" se réclame même comme étant la continuation du GIC en disant qu'en 1965 tous les ex membres du GIC qui étaient encore membres du SB sont devenus membres de "Daad en Gedachte² ("D en G", 1976, n°3, p.7). Mais la continuité d'un courant révolutionnaire n'est pas garan­tie par des personnes. Un courant révolutionnaire ne peut se maintenir que dans le cadre d'une organisation qui diffuse publiquement les positions de classe et ce n'est sûrement pas le cas de "Daad en Gedachte". Au contraire, "D en G" considère que la diffusion des positions de classe est une "pratique de partis", mot qui, dans le vocabulaire "conseilliste", se réfère aux positions social-démocrates et léninistes sur les tâches du parti. Ce qui échappe complètement aux "conseillistes", c'est le fait que depuis la fondation du KAPD en 1920, les révolutionnaires défendent la position selon laquelle les tâches du parti sont de propagande et de clarification de la conscience et que celle de mener la lutte et de prendre le pouvoir doit être accomplie par les masses en lutte et qu'elles utilisent des comités élus dans ce but. Cette conception selon laquelle la tâche urgente du parti est d'intervenir dans la lutte de classe de façon exclusivement propagandiste est une position de classe. En d'autres termes, c'est une position de classe fondamentale que le KAPD avait appris de la pratique des partis réformistes et des syndicats, et de la poursuite de son activité dans la "centrale" du KPD(S) suivant la "direction" de Moscou ([3]). Otto Rühle s'est éloigné du KAPD parce que, d'après lui, il "était payé par Moscou" et suivait la ligne léniniste. Gor­ter, Hempel et Pannekoek au contraire ont désapprouvé la position de Rühle car ils étaient convaincus que les ouvriers qui les premiers prennent conscience commencent nécessairement par se regrouper ensemble pour étudier et discuter, puis diffusent leurs positions dans l'ensemble de la classe.  

Les "conseillistes" pensent trouver un argument supplémentaire ([4]) contre les tâches de propagande du parti dans le fait que les positions de classe ont leur fondement dans l'activité créatrice de la classe ouvrière, et ne sont pas des créations indépendantes de théoriciens de salon contemplant leur nombril. En réalité, les positions de classe sont le résultat de l'étude de la lutte ouvrière par la classe ouvrière. Et donc les positions de classe changent quand la lutte de classe se heurte à un nouvel obstacle et réussit à le surmonter par sa créativité. Pour cette raison, les "conseillistes" pensent qu'il vaut mieux ne pas faire de propagande pour des positions qui risquent dans le futur de s'avérer limitées. Et deuxièmement, ils pensent que cela peut amener à une tentative de voler aux ouvriers la conduite de leur lutte. Une telle opinion se base sur une vision bien trop limitée des positions de classe. Les positions de classe ne sont pas des plans détaillés sur ce que doit faire la classe ouvrière dans chaque situation donnée. Les positions de classe tendent à cristalliser les acquis de l'expérience des plus hauts moments de la lutte de classe – comme ceux de la Commune de Paris, de la révolution russe, de la révolution allemande, par exemple - ­ainsi que les acquis de l'expérience de la contre-révolution - comme ceux des deux guerres mondiales, par exemple. Les frontières de classe ne sont pas plus qu'une orientation générale, un large cadre où s'inscrit l'action consciente de la classe et qui ne peut être développé qu'à travers des évènements de la lutte de classe de dimension historique mondiale. La peur des "conseillistes" de voir les groupes politiques prendre la direction de la lutte ouvrière s'ils se livrent à des activités de propagande est complètement erronée. Elle est d'autant plus erronée lorsqu'on sait que depuis 1920, les révolutionnaires ont compris qu'au cours de ses luttes, la classe ouvrière produit deux organisations : l'organisation unitaire et l'organisation des révolutionnaires.

Depuis l'éclatement de la Première Guerre mondiale, le capitalisme a prouvé qu'il était entré dans sa phase de décadence et dans l'ère de la révolution. Durant la période de décadence, des améliorations graduelles des conditions de vie de la classe ouvrière au moyen du parlement et des syndicats sont devenues impossibles à cause de l'absence d'un réel développement des forces productives. Et ceci implique que la classe ouvrière ne peut plus s'unir désormais au sein d'organisations permanentes de lutte, ce qu'avaient été dans le passé les syndicats et les partis parlementaires. C'est seulement directement dans les luttes, lorsqu’elle défend ses intérêts immédiats, qu'elle peut temporairement créer des unités organisationnelles. Ces luttes directes tout comme les formes organisationnelles unitaires secrétées dans ces luttes se heurtent toujours à l'impossibilité de gagner des réformes durables dans la période de décadence du capitalisme. Ce qu'il reste alors, ce sont les expériences de la lutte de son organisation et de ses résultats. En élaborant ces expériences, dans le cadre du processus de prise de conscience des ouvriers à travers leurs luttes de la nature des rapports de production capitalistes et de leurs propres formes d'organisation, la classe se prépare à remplir ses tâches historiques : le renversement conscient du capitalisme et la fondations du pouvoir ouvrier basé sur les conseils et dans le but de réaliser la société communiste. La classe ouvrière en train de prendre conscience de sa tâche historique n'est donc pas un fantasmé idéaliste qu'on pourrait injecter dans la classe de l'extérieur. Au contraire, cette conscience est produite de l'élaboration de ses expériences par la classe ouvrière, à travers des discussions intenses autour de différents points de vue.

Afin de diffuser leurs positions le mieux possible, ceux qui ont les mêmes positions s'unissent dans les organisations politiques des révolutionnaires qui elles, sont des expressions permanentes de la lutte de classe pour autant qu'elles se fondent sur l'étude des expériences de cette lutte du point de vue de la classe ouvrière. A côte de ces organisations, existent des organisations de lutte où se développent l'unité et l'indépendance de la classe ouvrière contre le capital et qui sont des expressions temporaires des surgissements de la lutte de classe. Les conseils ouvriers deviennent permanents lorsqu'ils ont détruit l'Etat bourgeois.

RUPTURE AVEC SPARTACUSBOND

Comprendre la distinction entre les organes unitaires de la classe et l'organisation des révolutionnaires ainsi que leurs rapports mutuels, c'est une nécessité fondamentale pour une organisation des révolutionnaires qui veut remplir ses tâches dans la classe le mieux possible. Ce n'est qu'à cette condition que nous pouvons parler de continuité organique et vivante avec la gauche communiste avant la guerre. "D en G" n'est pas la continuation de la gauche hollandaise - aucune équivoque n'est possible là dessus -, bien qu'il soit exagéré de dire que ce n’est qu'un groupe contre-révolutionnaire. Qu'en est-il de SB ?

Il est impossible de retracer ici toute l'histoire de SB. Nous nous bornerons à remarquer que le SB ne s’est pas libéré du "conseillisme" après le départ de la fraction "D en G". Il est vrai que c'est "D en G" qui a le plus contribué à donner des fondements théoriques au "conseillisme", l'a mis en pratique et diffusé à l'échelle internationale de la façon la plus conséquente ; cependant on trouve dans le SB des fragments du conseillisme. Nous pouvons évaluer la nature conseilliste ou communiste de SB en étudiant les thèmes traités lors de la première conférence de SB totalement dédiée à la question de l'organisation des révolutionnaires. La direction des décisions pratiques prises à cette conférence a constitué une raison suffisante pour l'auteur de cet article de quitter le SB. Les arguments développés ici ne sont pas inconnus du SB ; on peut les trouver dans les nombreux textes préparatoires à la conférence et dans les lettres envoyées au SB après la conférence.

A la dernière conférence de SB, la tendance conseilliste à voir tous les acquis historiques et politiques à travers le prisme de la défaite a pris fortement le dessus. Cette conférence dédiée à la question de l'organisation des révolutionnaires, était devenue nécessaire à cause de la manière défectueuse dont travaillait le SB. Après la parution de deux bulletins internationaux, le SB n'a plus semblé capable de réagir face aux différents groupes surgis dans le milieu révolutionnaire. Le SB fonctionnait si mal que même la discussion interne devenait impossible. La conférence aurait dû résoudre ces problèmes en développant une compréhension des tâches et de l'organisation du travail dans une organisation politique. Hélas, la conférence a montré qu'il y avait une confusion terrible dans le SB sur:

a) le regroupement international,

b) les origines dans la gauche allemande et hollandaise,

c) les tâches d'une organisation révolutionnaire,

d) le regroupement des révolutionnaires en Hollande.

a)      Le regroupement international

Dans son rapport de la conférence des 25 et 26 septembre, le SB justifie son refus d'élaborer une plate-forme de la façon suivante :

"Dans une plate-forme (thèses), on est obligé de transcrire ses opinions en termes très généraux, parce qu'on doit dire beaucoup de choses en très peu de mots. Donc, en pratique, une plate-forme ne peut être comprise que par d'autres groupes. Elle ne peut être utile que dans ce genre de communications. Sparta­cus est différent : nous ne sommes pas intéressés en premier lieu par les autres groupes...

Ceux qui cherchent la forme parti avec d'au­tres groupes, internationalement, ont besoin d'une plate-forme, d'une déclaration élaborée, pour décider s'ils peuvent coopérer et avec qui" (Spartacus, nov. 1976).

A la conférence, l'argument était qu'une plate-forme n'est utile que pour établir des contacts avec d'autres groupes. Nous devons en conclure que le SB pense être la seule organisation révolutionnaire au monde, ou bien que les contacts avec d'autres organisations révolutionnaires n'ont aucune importance. L'isolationnisme de SB n'est évidemment pas un acquis de la gauche hollandaise, comme le montrent les faits suivants :

- Quand, en 1908, Gorter et Pannekoek ont quitté le parti social-démocrate hollandais pour fonder un nouveau parti social-démocrate vraiment marxiste, ils ont tout fait pour rester organisés dans la IIe Internationale. Pendant la même période, Pannekœk participait aussi activement à l'aile gauche du parti social-démocrate allemand.

- Lors du premier massacre impérialiste, Gorter, en particulier, a participé aux efforts de regroupement des gauches à Zimmerwald. qui ont abouti à la fondation de la IIIe Internationale. Pendant la révolution allemande, Pannekoek et Gorter se sont engagés avec passion dans les débats au sein du KPD(S) et du KAPD. Gorter fit un voyage à Moscou pour défendre les positions au Comité Exécutif de la Troisième Internationale. Après le Troisième Congrès du Comintern et que les efforts pour former une opposition eurent échoué, Gorter est devenu l'un des fondateurs du KAI (Kommunistische Arbeiter International ou Internationale Communiste Ouvriè­re).

- Après les scissions dans le KAPD et dans l'"Union", Canne Meijer et Hempel ont activement contribué au travail de regroupement des révolutionnaires allemands dans le KAU (Kommunis­tische Arbeiter Union ou Union Communiste Ouvrière).

- Dans le GIC, Canne Meijer, Hempel et Panne­koek ont tiré les leçons des révolutions russe et allemande, tout en gardant un contact permanent avec des camarades en Allemagne, en France, aux Etats-Unis et en Belgique.

- Après la Deuxième Guerre mondiale, lorsque les membres du GIC sortis de l'illégalité ont formé une partie du SB, le SB ne se tenait pas alors à l'écart des discussions internationales. Il avait des contacts en Allemagne, en France et en Belgique. A cette époque, le SB était aussi en contact avec les précurseurs du CCI.

Ces faits montrent clairement qu'il n'y aurait pas eu de Gauche hollandaise si elle ne s'était pas développée dans le cadre de la discussion internationale, au sein des 2e et 3e Internationales, et dans le cadre de contacts internationaux après la dégénérescence de la 3e. Ni la classe ouvrière, ni ses luttes ne s'arrêtent aux frontières nationales. Au contraire, la classe ouvrière constitue une unité qui dépasse les différentes nations ; elle est contrainte à cette unité dans ses luttes parce que le capitalisme qui l'a engendrée et qui est l'objet de sa lutte est organisé internationalement et en marché mondial. Deux guerres mondiales et deux vagues de lutte ouvrière internationale - celle de 1911-20 et celle qui débute aujourd'hui - l'ont prouvé. La nature internationale de la lutte ouvrière signifie aussi que les différentes organisations de révolutionnaires ne peuvent pas s'enfermer derrière les frontières nationales, et donc étudier et discuter la lutte de classe dans ce cadre limité, mais qu'elles doivent au contraire jeter les bases d'un regroupement international.

Malheureusement, c'est typique de l"'isolationnisme" du SB de ne pas avoir invité d'autres groupes à sa Conférence "pour éviter que la discussion ne s'axe trop sur les positions des différents groupes" (Spartacus, Novembre 76). Avant la Conférence, ce qui motivait le refus d'inviter d'autres groupes, c'était que le travail de la Conférence était la base et la pré-condition pour permettre ultérieurement la discussion systématique des positions des différents groupes, Mais lorsqu'à la Conférence s'est exprimée la "position très déviationniste" (Spar­tacus, nov. 76) qui proposait de traduire les plate-formes de différents groupes étrangers (par exemple, celles de la CWO, du PIC, du RWG, d'Arbetarmakt, dans la mesure où elles n'étaient pas traduites comme l'est celle du CCI) pour pouvoir les étudier et les évaluer, cette proposition fut rejetée. Aussi pouvons-nous craindre que dans les prochaines Conférences du SB, il n'y ait pas non plus d'autres groupes présents. Ce choix d'isolement face au resurgissement de la lutte ouvrière à l'échelle mondiale et aux questions qu'elle fera naître, entraînera inévitablement le SB à une position de plus en plus dogmatique. La progression de la nouvelle vague révolutionnaire l'abandonnera sur la berge, dans le camp bourgeois.

b) Les origines du SB dans les Gauches allemande et hollandaise.

Le SB ne s'est pas borné à refuser d'étudier les plates-formes des groupes existants aujour­d'hui ; il a aussi refusé de se pencher sur les programmes des organisations dont il vient : le KPD (S), le KAPD, le KAPN (KAP hollandais), le GIC, et même sur son propre programme de 1945. Son argument était : "Mais tout cela n'est que de la vieille histoire. Maintenant, nous vivons dans une autre époque". Mais le fait est que presque tout ce que le SB met en avant, ce sont des fragments de théories délibérément sorties du contexte de la théorie globale des Gauches allemande et hollandaise. Refuser de l'admettre, n'est pas seulement terriblement arrogant, mais c'est aussi dangereux. C'est justement à cause de cette tendance dans le SB à mettre en avant (de manière superficielle et non critique) tantôt un élément, tantôt un autre des positions de Rosa Luxembourg, Anton Pannekoek, Herman Gor­ter, Henk Canne Meijer ou Hempel que le SB risque de tomber dans des positions dogmatiques qu'il redoute tellement. Le seul moyen de retrouver les positions de classe et de voir comment elles doivent éventuellement être développées ou changées en conséquence de changements radicaux dans la lutte de la classe, c'est d'étudier les positions fondamentales de la Gauche allemande et hollandaise dans le contexte des circonstances qui les ont fait surgir, et en tenant compte de ce qui nous sépare dans la période actuelle, des communistes d'avant-guerre. Car en en premier lieu, le SB ne connaît pas la globalité des positions de la Gauche allemande et hollandaise. Deuxièmement, le SB n'a jamais entendu parler des positions de la Gauche italienne par exemple. Troisièmement, le SB n'a pas la moindre idée de ce que veut dire "frontière de classe", ce qui l'amène à conclure superficiellement qu'une position "en dehors de son époque" peut être dangereuse ou même contre-révolutionnaire.

L'étude critique des positions de la Gauche allemande et hollandaise ainsi que des organisations existantes aujourd'hui auraient pu pousser le SB à adopter une plate-forme. Dans la façon même dont il rejette l'idée d'une plate-forme, il montre sa tendance à utiliser de façon superficielle des fragments de théorie :

"Notre tâche consiste à rendre nos positions claires aux gens, aux individus qui luttent. En d'autres termes, nous essayons de propager nos positions de classe ; nous tentons de propager la lutte de classe. Avec une plate-forme, on court le risque de se baser trop sur le passé pour juger l'évolution présente, on risque de devenir conservateur" (Spartacus, nov.76, souligné par nous).

Ceci n'est pas une contribution nouvelle du SB. Non, c'est en fait un fragment de théorie tiré de Rosa Luxembourg comme le montre la citation suivante :

"Dans ses grandes lignes, la tactique de lutte de la social-démocratie n'est, en général, pas à "inventer" ; elle est le résultat d'une série ininterrompue de grands actes créateurs de la lutte de classe souvent spontanée, qui cherche son chemin. L'inconscient précède le conscient et la logique du processus historique objectif précède la logique de ses protagonistes. Le rôle des organes directeurs du Parti revêt dans une large mesure un caractère conservateur : comme le démontre l'expérience, chaque fois que le mouvement ouvrier conquiert un terrain nouveau, ces organes le labourent jusqu'à ses limites les plus extrêmes ; mais le transforment en même temps en un bastion contre des progrès ultérieurs de plus vaste envergure".

(Rosa Luxembourg, "Centralisme et démocratie")

Mais chez Rosa Luxembourg, cette conception n'était pas un motif pour s'opposer à l'existence d'un programme du parti. Quelques lignes plus loin, elle écrit :

"Ce qui importe toujours pour la social-démo­cratie, c'est évidemment, non point la préparation d'une ordonnance toute prête pour la tactique future, ce qui importe, c'est de maintenir l'appréciation historique correcte des formes de lutte correspondant à chaque moment donné, la compréhension vivante de la relativité de la phase donnée de la lutte et de l'inéluctabilité de l'aggravation des tensions révolutionnaires sous l'angle du but final de la lutte de classe".

(Ibid. )

Rosa Luxembourg donne une excellente définition des origines et de la fonction des positions de classe contenues dans la plate-forme ou le programme de toute organisation révolutionnaire. En fait, défendre les positions de classe n'a rien à voir avec "s'efforcer d'être les 'chefs'" des luttes de la classe ouvrière, ni (ce qui en serait le résultat) avec freiner "les expériences souvent spontanées de la lutte de classe".

Le texte de Rosa Luxembourg cité ci-dessus a été écrit dans une période où la décadence du capitalisme n'avait pas commencé et où la classe ouvrière pouvait encore forcer le système à céder des réformes au moyen du parlement et des syndicats. A cette époque, les révolutionnaires militaient dans les organisations social-démocrates parce qu’elles étaient des organisations prolétariennes permanentes de lutte et de propagande. Le programme sur lequel s'est fondé le KAPD en 1920 rendait compte de la période de décadence du capitalisme qui avait commencé en 1914, ce qui s'exprimait dans ce programme par l'inadéquation du parlement et des syndicats comme moyens de lutte du prolétariat et par la distinction entre les organisations unitaires et l'organisation des révolutionnaires. Cette distinction est la continuation de l'approfondissement théorique commencé par Rosa Luxembourg dans son opposition au sein de la social-démocra­tie. Cette évolution n'est pas du tout le résultat de la recherche d'"intellectuels en chambre", mais vient d'une élaboration profonde des développements de la lutte de classe jusqu'à 1920, qui ont marqué une distinction entre les organisations de lutte et les organisations de révolutionnaires dans la réalité de la lutte de classe. La Première Guerre mondiale et la vague révolutionnaire de 1917-20 ont fait changer les frontières de classe et le programme du KAPD en témoigne. Quand le SB suggère maintenant que les frontières de classe décrites par le KAPD ont changé parce que c'est de "la vieille histoire", il a la responsabilité de démontrer les faits historiques qui le prouvent. C'est notre conviction que, de façon générale, ces faits n'existent pas. Mais le SB a de très bonnes raisons de refuser d’étudier les plates-formes et programme du KAPD et de leur continuation dans la Gauche hollandaise : pour le moment, le SB continue d'exister grâce à son refus conseilliste et activiste de remplir ses tâches en tant qu'organisation des révolutionnaires. Les "conseillistes", les plus vieux militants dans le SB, n'essaient plus de mettre en avant les positions de classe après leur expérience décevante pendant la période de reconstruction maintenant terminée. Les activistes, les plus jeunes du SB, ont peur de perdre dans une organisation de révolutionnaires agissante la sécurité des limites localistes de leur "lieu de travail", de leur "quartier" et de leur niveau théorique : celui du bavardage avec l'ouvrier!          

c) Les tâches de l'organisation des révolution­naires.

Pendant la Conférence, le SB n'a pas pu nier la distinction entre l'organisation des révolutionnaires et les organisations unitaires. Mais il ne l'a fait qu'après de très grands efforts et malgré des "objections" du genre de celle que l'on peut trouver dans le rapport de la Conférence que le SB a publié :

"Mais la conception selon laquelle l'organisation politique est si schématiquement distincte des organisations unitaires qu'elles en arrivent dans la pratique à être même séparées ne colle pas à la réalité. D'abord, il n'arrive pratiquement jamais que dans une lutte ou une action, seuls des intérêts indirects et immédiats soient en cause. C'est précisément dans la lutte concrète que se développent des intérêts et des idées qui transcendent ­ l’aspect immédiat, local et matériel de la lutte. C'est justement là que réside la base de toute évo1ution politique future. Et, en second lieu, dans beaucoup de mouvements, il n'y a pas d'unité de classe, et ce qui domine est la coopération des intérêts concernés (par exemple, les actions dans les quartiers ouvriers). Il doit y avoir une évolution de la part des organisations unitaires et des groupes d'action vers l'étude et l'approfondissement de questions plus générales : une évolution de la pratique vers l'étude de la pratique. Bien entendu, le groupe politique est distinct des groupes d'action, comités de grève, etc. Parce que le groupe politique a la tâche spécifique de remettre les expériences acquises au cours des luttes dans une perspective plus vaste".

(Spartacus, novembre 76).

Ce que dit le SB ici est très correct. Mais ce n'est pas du tout un argument contre la nécessité pour les révolutionnaires de s'organiser sur la base d'une plate-forme politique. Ce n'est pas parce que la conscience se développe dans la lutte, à partir de l'expérience que l'on peut en conclure, que c'est un processus automatique et simultané. C'est pour cela que les éléments qui prennent conscience d'abord se regroupent pour mieux développer et diffuser leurs positions. Le SB semble confirmer cela quand il dit :

"Une plate-forme consiste il rédiger les positions sous forme de thèses. Positions sur l'histoire de la lutte de classe, sur les expériences présentes et internationales, sur le capitalisme et les perspectives futures. Tout le monde a été d'accord sur le fait qu'un groupe politique comme le SB devrait s'attaquer à cette tâche. Il y a eu une longue discussion à ce sujet et aussi beaucoup de confusion, mais dans ce rapport on ne peut qu'être bref ; tout le monde a été d'accord et est toujours d'accord".

(Spartacus, novembre 76)

Mais quelle était la divergence à la Conférence ? D'après le SB :

"La divergence était sur la nécessité (ou non) de rédiger les positions sous la forme de thèses et sur l'accent à mettre sur l'étude de points particuliers". (Spartacus, nov.76).

Bien sûr, la divergence n'était pas sur la forme de thèses, d'essai ou de poème... ou bien de déclaration de principes. La divergence était et est sur le contenu d'une plate-forme, d'une déclaration de principes, quel que soit le mot qu'on emploie. C'est ce que montrent les lignes suivantes :

"Si nous voulons accomplir nos tâches, c'est-­à-dire diffuser la vision qui résulte de l'étude, alors nous avons besoin d'une discussion permanente. L'évolution de nombreux groupes a montré en pratique qu'une plate-forme (avec toutes ses conséquences : ligne générale nationale à laquelle les sections doivent obéir, mois de discussion sur la formulation des objectifs, mode de fonctionnement, etc.) ne peut qu'empêcher cette confrontation permanente avec la réalité".

(Spartacus, Nov. 76)

Par "réalité", le SB veut dire la "pratique quotidienne" de l'activiste qui a choisi un certain "champ d'action", c'est-à-dire la lutte partielle et qui ne veut rien entendre des sujets qui, selon lui, n'ont rien à voir avec ça. S'il a choisi un quartier ouvrier, il ne veut pas entendre parler de luttes salariales, pas plus que des luttes de Soweto, de Vitoria, de Gdansk et encore moins des positions de classe élaborées dans les hauts moments de la lutte de classe.

Les activistes sont caractérisés par leur refus de fait de l'organisation des révolutionnaires qu'ils identifient à tort avec le parti léniniste. L'organisation politique est superflue, pensent les activistes, car ils estiment que les positions politiques doivent être directement applicables dans leur "champ d'action". Les positions qui sont les produits des grands moments de la lutte de classe, ou de la lutte de classe dans les autres pays sont considérées comme "théoriques" et "inapplicables". Donc l'activisme est une tendance ahistorique, localiste, qui se restreint principalement à des luttes partielles. Au mieux, l'activisme peut être le reflet d'une lutte ouvrière limitée. L'activis­me ne peut jamais aider à dépasser ces limites. Au contraire, il se fait l'apôtre des limitations de la lutte partielle qu'il présente à la classe comme exemplaire. Alors que la classe ouvrière dans son ensemble est toujours obligée d'élargir sa lutte à tous les aspects de la vie et à une partie toujours plus grande de la classe pour pouvoir faire la révolution prolétarienne, alors que dans ce processus, elle rencontre le même type de problèmes qu'elle a dû dépasser dans les révolutions précédentes, les activistes continuent à rejeter les expériences des grands moments révolutionnaires du passé qui ont été élaborées et formulées dans les positions du mouvement ouvrier. Tout comme Lénine, les activistes considèrent ces conceptions théoriques comme quelque chose qui aliène tout simplement la classe ouvrière qui, selon eux, ne lutte que sur la base d'intérêts limités (ce il quoi Lénine ajoute qu'elle ne peut jamais dépasser ce stade sans l'aide de l'intelligentsia). A la différence des léninistes, les activistes en concluent que "L'organisation politique est superflue". En agissant ainsi, ils se retrouvent en compagnie des conseillistes qui ne croient plus à la diffusion des positions de classe parce qu'ils se sont fatigués à lutter contre le reflux du mouvement de la classe pendant les années de la contre-révolution.

Léninistes, activistes et conseillistes sont tous d'accord, malgré leurs autres divergences, pour nier que les positions de classe ont leur origine dans la lutte historique de la classe ouvrière. De là vient leur rejet de l'intervention exclusivement de propagande dans la classe ouvrière par l'organisation des révolutionnaires.

Après tout, l'intervention de propagande dans la classe ne semble complètement naturelle et nécessaire que si l'on pense que les positions sont élaborées à partir des expériences de la classe elle-même et que la propagande est une contribution à l'élaboration de ces expériences au sein de la classe, une contribution à la discussion dans la classe ouvrière.

On trouve une bonne illustration de la tendance du SB à considérer les positions de classe comme le produit de théoriciens "qui contemplent leur nombril" dans les notes marginales du Spartacus d'octobre 76 traitant des luttes ouvrières en Pologne durant l'hiver 1970-71 et l'été 1976. Sur l'auteur de l'édition polonaise, le SB remarque :

"Il est... lui-même prisonnier des conceptions partidaires, conceptions qui néanmoins doivent être distinguées de celles qui correspondent aux théories de capitalisme d'Etat dans lesquelles le Parti "dirige" et "utilise" la classe ouvrière, parti qui doit prendre le pouvoir d'Etat. Cependant l'auteur a la conception d'un parti qui met en avant le but de la lutte, la conquête du pouvoir par les travailleurs et qui stimule toujours les ouvriers à se préparer dans chaque aspect de la lutte pour ce but final. Nous avons l'impression qu'avec ces conceptions, il ne voit pas le fait, immensément important, que la classe ouvrière ne permet pas aux idéaux sociaux de guider sa lutte, mais que la classe ouvrière est inspirée par la réalité sociale qu'elle vit."

(Spartacus, déc. 76)

Comme si le but final de la lutte : la conquête du pouvoir par les travailleurs, était une "invention" du parti ! Même dans les premières années du socialisme scientifique, la conquête du pouvoir par les travailleurs n'était pas le produit d'une pensée abstraite, mais la conclusion de la recherche matérialiste historique de l'essence et du développement du capitalisme. Et, en plus, depuis la révolution russe, la conquête du pouvoir par les travailleurs est un fait d'expérience. Pour les ouvriers de Szczecin durant l'hiver 1970-71, le pouvoir des travailleurs n'était pas un fait inconnu ; dans les faits, ils ont eu le pouvoir entre leurs mains, dans la ville, pendant quelque temps ! Ce pouvoir leur a été arraché par l'arrivée de Gierek dans les chantiers navals. La discussion entre les conseils ouvriers de Szczecin et Gierek et entre les travailleurs eux-mêmes (reproduite dans "Spartacus", oct.76) était centrée sur la question "maintenir le pouvoir des travailleurs ou le laisser à Gierek en échange de la satisfaction des "revendications". A cet égard, la Pologne est un test pour évaluer la position du SB dans une situation révolutionnaire :

"Donc, c'est notre opinion que les ouvriers de Szczecin et de quelques autres villes de Pologne n'étaient pas capables de renverser les Etats capitalistes de l'Est. Ceci n'est pas plus surprenant que la défaite finale des révoltés en Allemagne de l'Est en 1953 et celle des ouvriers hongrois de 1956. Dans un tel isolement les possibilités étaient trop restreintes pour rendre possible la conquête complète du pouvoir par ces travailleurs."

(Spartacus, décembre 76)

            d)Le regroupement des révolutionnaires en Hollande

En plein éveil de la lutte de classe révolutionnaire, après 50 ans de contre-révolution, la tendance "conseilliste" du SB à voir tous les événements avec les yeux de la défaite, devient une propagande ouvertement défaitiste. Les récentes luttes ouvrières en Pologne ne sont pas un phénomène isolé derrière le rideau de fer mais font partie de la lutte de classe internationale depuis la deuxième moitié des années 60 : France 1968, Italie et Allemagne 1969, Pays-Bas 1970, Pologne 1970-71, Angleterre 1972, Belgique 1973, Portugal 1974-75, Espagne et de nouveau Pologne 1976, sans mentionner les autres parties du monde.

C'est toujours le devoir des révolutionnaires de diffuser les positions de classe. Dans le passé, ceci était aussi l'opinion du SB :

"C'est seulement quand le troisième groupe d'opposition a quitté les rangs du SB qu'il est devenu clair que la seconde et aussi la troisième scissions avaient vraiment des divergences de principe. Le réel désaccord portait sur la position du SB dans le mouvement ouvrier actuel, dans une période où selon ceux qui ont scissionné il n'y aurait pas de mouvements de masse révolutionnaires, ou, s'il y en avait, ceux-ci ne prendraient pas un caractère révolutionnaire. Le point de vue de ces anciens camarades, c'était que, tout en poursuivant la propagande pour "la production dans les mains des organisations d'usine", "tout le pouvoir aux conseils ouvriers" et "pour une production communiste sur la base d'un calcul des prix en fonction du temps de travail moyen" ([5]), le SB n'avait pas à intervenir dans la lutte des ouvriers telle qu'elle se présente aujourd'hui. La propagande du SB doit être pure dans ses principes et si les masses ne sont pas intéressées aujourd’hui, cela changera quand les mouvements de masse redeviendront révolutionnaires."

("Vit Engenkring" end 47)

C'est le résumé des raisons politiques des deux groupes d'opposition qui ont quitté le SB par ceux qui restaient. La crainte du second et du troisième groupes de l'opposition selon laquelle le SB se "diluerait" quand la lutte des travailleurs reprendrait un caractère révolutionnaire est devenue vraie. Dans une période où la lutte révolutionnaire renaît, c'est devenu une nécessité absolue de défendre les acquis historiques de la classe ouvrière, les positions de classe, avec la plus grande clarté. Le SB en est incapable. Une organisation de révolutionnaires qui n'est pas basée sur la discussion permanente de tous ses membres sur les positions fondamentales rassemblées dans une plate-forme, périra, parce qu'une telle organisation

- n'est pas capable de diffuser au maximum ses positions (qui n'ont pas encore été définies) au sein de la classe qui les a produites dans son expérience même ;

- n'a pas de critères d'appartenance pour ses membres et doit donc, soit s'isoler de nouveaux membres potentiels et mourir, soit ouvrir la porte à toutes sortes de positions ;

- ne peut se distinguer elle-même d'organisations "concurrentes" et devient donc un porteur de confusion au lieu de clarification.

CONCLUSION

Le refus du SB d’engager une discussion dans le but d'écrire une plate-forme aboutit essentiellement au refus de se soumettre à une cure de rajeunissement contre les trois "maladies" de vieillesse exposées plus haut. Le SB existe depuis trente-sept ans mais ceci ne suffit pas à en faire la continuation de la Gauche Hollandaise. C'est surtout par ses positions confuses sur la question de l'organisation des révolutionnaires et de ses tâches que le SB montre qu'il y a eu une véritable rupture dans la continuité avec les communistes d'avant-guerre. Avec les positions qu'a adoptées SB à sa dernière conférence, il serait difficile de le considérer apte à remplir efficacement la fonction de pôle de regroupement des révolutionnaires en Hollande. Et ceci à l'heure où l'évolution de la crise et de la lutte ouvrière exigent plus que jamais un tel regroupement.

Contrairement à la période antérieure, quand la gauche hollandaise était active, la Hollande est aujourd'hui un pays hautement industrialisé avec une classe ouvrière développée. Mais ceci ne doit pas inciter à croire que la constitution d'une organisation des révolutionnaires en Hollande peut être conçue dans le seul cadre national. La bourgeoisie hollandaise, surtout depuis la période de reconstruction, est étroitement liée à l'économie allemande et peut donc s'appuyer sur la position relativement forte de cette dernière ainsi que sur ses propres réserves de gaz naturel pour essayer d'alléger le poids du chômage par un développement des mesures sociales et des subventions étatiques visant à stimuler l'industrie. A cause de ce rythme lent du développement de la crise en Hollande jusqu'à ces derniers temps, la lutte ouvrière a pu être cantonnée et détournée vers des revendications telles que le nivellement des salaires et des nationalisations. Les révolutionnaires savent que les nationalisations et les nivellements des salaires peuvent ralentir la crise pendant un temps mais que, tel un boomerang, celle-ci reviendra inéluctablement. Récemment, la crise a commencé à frapper plus durement et le gouvernement de coalition social-démocrate chrétien est revenu sur certaines mesures sociales ; et la politique de l'échelle mobile des salaires est très menacée par l'inflation. Lentement la classe ouvrière hollandaise commence à se libérer du carcan syndical :.en 1976 on a pu voir des grèves sauvages dans les ports et dans la construction, deux secteurs traditionnellement combatifs de la classe ouvrière. Le PC, les trotskistes, les maoïstes se sont efforcés de jouer leur rôle de caution de gauche de la social-démocratie. Ils se sont employés à ramener les ouvriers dans les syndicats officiels ou dans les mini-syndicats style maoïste. Leur défense du parlementarisme, des nationalisations et de "l'indépendance nationale" est une caricature bourgeoise de la lutte politique.

Etant donné ce développement, bien qu'encore faible, des luttes ouvrières dans le pays, la tâche des révolutionnaires est de rendre les ouvriers conscients d'une part des luttes menées par leurs frères de classe dans d'autres pays frappés plus tôt et plus durement par la crise et, d'autre part, de la perspective historique de ces luttes. Ceci veut dire que la formation d'une organisation des révolutionnaires en

Hollande doit se situer dans une vision et donc dans un cadre international. Par conséquent, l'activité du CCI et surtout de sa section en Belgique par rapport à la Hollande doit être applaudie par les révolutionnaires.

La décision du SB de ne pas entamer une discussion sur une plate-forme n'est pas forcément définitive. Toutes les questions abordées à la dernière conférence reviendront quand le SB essaiera de formuler une "déclaration de principes". Si cette discussion se situe dans un cadre international de confrontation des idées sur les positions de la gauche communiste pendant la période d'avant-guerre et sur les positions des groupes révolutionnaires aujourd'hui, elle sera une contribution vers la création d'un pôle de regroupement des révolutionnaires en Hollande. En plus, le SB pourrait faire une contribution internationale importante en aidant les groupes révolutionnaires qui ont surgi ces dernières années à se réapproprier de façon critique les acquis de la gauche hollandaise. Parce que le SB n'a jamais été et n'est pas aujourd'hui seul au monde.

 

Fred Kraai



[1] GIC : "Groep(en) van Internationale Communisten" (Groupe(s) de communistes Internationalistes) ; peut être considéré comme la continuation du KAP hollandais.

[2] Nous ne donnons ici un examen critique des positions conseillistes que sur la question d'organisation. On trouvera davantage sur cette question et les positions conseillistes à propos de la révolution russe et des luttes de "libération nationale" dans la Revue Internationale n°2 ("Les épigones du conseillisme").

[3] Le "Kommunistische Arbeiter Partei Deutschlands" (KAPD) a été formé par la majorité du "Kommunistische Partei Deutschlands (Spartakusbund)" qui est sortie de ce parti sur la base de positions conséquentes contre le parlementarisme et contre les syndicats.

[4] Cet argument tiré de la théorie de la connaissance est ainsi formulé par "D en G" : "Dans tout acte spécifique, la pensée précède l'action. Dans l'action des classes et des masses cependant, la signification de l'acte vient ensuite. Là l'action précède la compréhension". Pour le lecteur intéressé par la comparaison avec la position de Pannekoek, il y a un passage dans "Les Conseils Ouvriers" qui s'appelle, et non entièrement par hasard, "Pensée et Action". Nous nous contenterons de la citation suivante :

"C'est seulement lorsque chez les ouvriers -vaguement au début - est présente la compréhension qu'ils ont tout à faire eux-mêmes et que c'est eux qui doivent créer l'organisation du travail dans les usines, que leur action sera le point de départ d'un nouveau et puissant développement.

Eveiller cette compréhension, c'est la tâche la plus importante de notre propagande qui commence avec des individus et des petits groupes pour qui, les premiers, cette compréhension devient claire. Aussi difficile que ce soit au départ, aussi fructueux ce sera car c'est exactement dans la ligne des propres expériences vivantes du prolétariat. Alors, cette idée gagnera les masses comme une flamme et guidera leurs premiers actes. Mais là où quelles que soient les circonstances d'arriération politique et économique qui le causent, cette compréhension manque, l'évolution aura à passer par des hauts et des bas encore plus durs." (Pannekoek)

[5] Cette position du GIC était développée par Hempel quand il a été prisonnier politique ; il a tenté de tirer les leçons des révolutions russe et allemande et de ses propres expériences, aussi bien en ce qui concerne sa participation aux luttes des ouvriers des chantiers navals à Hambourg que ses visites aux Soviets dans les environs de Moscou à l'occasion du 3eme Congrès du Komintern. Le GIC a élaboré les idées de Hempel dans les "Principes de Base de la Production et Distribution Communistes" (en allemand et hollandais) qui constitue une contribution importante sur les aspect économiques de la période de transition.

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