12e congrès de RI : résolution sur la situation internationale

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1) Au cours de l'année écoulée depuis le 11e congrès du CCI la situation de l'économie mondiale a pleinement confirmé la perspec­tive dégagée lors de ce congrès : la « reprise » dont se flattait alors la bour­geoisie ne recouvrait nullement une quel­conque « sortie du tunnel » pour l'économie capitaliste mais n'était qu'un moment de l'en­foncement de celle-ci dans une crise sans is­sue. Le 11e congrès soulignait qu'un des principaux aliments de cette « reprise », que nous avions d'ailleurs qualifiée alors de « reprise sans emplois », résidait dans une fuite en avant dans l'endettement généralisé qui ne pourrait aboutir à terme qu'à de nou­velles convulsions dans la sphère financière et à une plongée dans une nouvelle récession ouverte. Ces convulsions financières, avec des difficultés dramatiques du système ban­caire et une chute spectaculaire de la mon­naie reine, le dollar, ont affecté le capita­lisme dès le début de l'automne 1995 et n'ont fait que précéder une nouvelle chute des taux de croissance de la plupart des pays in­dustrialisés au début de l'hiver, avec des prévisions encore plus sombres pour l'année 1996.

2) Une des illustrations les plus probantes de cette aggravation de la situation de l'éco­nomie mondiale est constituée par les diffi­cultés qu'affronte à l'heure actuelle la pre­mière puissance du continent européen, l'Allemagne. Ainsi, ce pays se trouve au­jourd'hui confronté à un niveau de chômage sans précédent depuis la seconde guerre mondiale, 4 millions de sans emploi, qui af­fecte non seulement sa partie orientale mais s'étend massivement dans les régions les plus « prospères » de la partie occidentale. Symbole de ces difficultés sans précédent de l'économie allemande, un de ses fleurons, le groupe Daimler, vient d'annoncer qu'il ne distribuerait pas de dividendes à ses action­naires : pour la première fois depuis la guerre, cette entreprise vient d'enregistrer des pertes, et d'un montant considérable. Ainsi s'écroule un des mythes complaisam­ment promu par la classe bourgeoise (et au­quel avaient cru certains groupes du milieu prolétarien) au lendemain de l'effondrement du bloc de l'Est et de la réunification alle­mande : le mythe de la relance de la crois­sance par la reconstruction des économies sinistrées des zones dominées par ce bloc. Comme le CCI l'avait souligné immédiate­ment face à l'euphorie quasi générale, la sortie des pays de l'Est de la forme stali­nienne du capitalisme d'Etat ne pouvait en aucune façon constituer un poumon pour l'économie mondiale. Plus précisément, la reconstruction de la partie Est de l'Allemagne qui nécessitait un montant co­lossal de capitaux, s'il a permis pendant quelques années à l'économie allemande de connaître des taux de croissance relative­ment élevés, portait avec elle un endette­ment colossal, un endettement qui ne pou­vait déboucher que sur son brutal ralentis­sement, et cela à l'image de l'ensemble du capitalisme.

3) La plongée dans la récession ouverte du modèle allemand, symbole de « vertu éco­nomique », est d'autant plus significative du degré atteint aujourd'hui par la crise qu'il fait suite à l'effondrement d'un autre « modèle », celui du dynamisme et des taux de croissance record, le modèle japonais. En effet, alors que l'économie nippone affichait avec arrogance, tout au long des années 1980, des taux de croissance de 4 à 5 %, elle n'a pas dépassé le chiffre de 1 % depuis 1992. La mise en oeuvre de 5 plans de re­lance gouvernementaux n'y ont rien fait : les taux n'ont fait que se réduire pour atteindre 0,3 % en 1995. Non seulement ces plans de « relance » n'ont nullement réussi à redres­ser la situation, mais l'endettement sur le­quel ils se basaient n'a fait que l'aggraver : comme nous l'avons depuis longtemps mis en avant, les « remèdes » que s'applique l'économie capitaliste ne peuvent à terme que faire empirer le mal et à tuer encore plus le malade. En particulier, l'économie japonaise doit faire face dès à présent à une montagne de 460 milliards de dollars de det­tes insolvables, une situation résultant no­tamment de la spéculation effrénée qui avait sévi à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Cela est d'autant plus catastro­phique, non seulement pour la 2e puissance économique de la terre, mais pour l'ensem­ble de l'économie mondiale, que le Japon constitue la caisse d'épargne de la planète, assurant à lui seul 50 % des financements des pays de l'OCDE.

4) Quant à la première puissance mondiale, dont les résultats de cette dernière année ont été moins sombres que ceux de ses suivants immédiats, elle aborde l'année 1996 avec des perspectives de croissance de 2 %, en net recul par rapport à 1995. Par exemple, les 40 000 licenciements annoncés chez ATT, c'est-à-dire le symbole d'un des sec­teurs de pointe de l'économie d'aujourd'hui, celui des télécommunications, sont signifi­catifs de l'aggravation de la situation de l'économie américaine. Et si cette dernière s'en sort à l'heure actuelle un peu mieux que ses rivales, elle le doit à des attaques d'une brutalité sans précédent contre les ouvriers qu'elle exploite (dont beaucoup sont con­traints d'occuper plusieurs emplois pour survivre) et aussi à la mise en oeuvre de tous les moyens que lui donne son statut de superpuissance, les pressions financières, monétaires, diplomatiques et militaires au service de la guerre commerciale qu'elle li­vre à ses concurrentes. Concrètement, dans un monde capitaliste étouffé par la surpro­duction généralisée, la maigre respiration du plus fort ne peut se faire qu'au moyen de l'asphyxie de ses rivaux : la bourgeoisie al­lemande et japonaise sont les premières à la constater amèrement aujourd'hui. Et cette guerre commerciale est maintenant d'autant plus exacerbée qu'avec l'effondrement du bloc de l'Est, et la disparition du bloc occi­dental qui l'a suivie nécessairement, la co­ordination mise en oeuvre par ce dernier pendant des décennies entre les économies des pays qui le composaient laisse de plus en plus la place au « chacun pour soi » gé­néralisé, ce qui ne peut qu'aggraver la bru­talité des convulsions du capitalisme.

5) Le domaine où ce « chacun pour soi » re­vêt sa forme la plus spectaculaire est celui des antagonismes impérialistes. Au moment même où s'effondrait le bloc de l'est, face aux prophéties bourgeoises sur le « nouvel ordre mondial » fait de paix et de prospé­rité, le CCI avait dénoncé de tels menson­ges. La division du monde en deux blocs n'était pas la cause des antagonismes impé­rialistes mais la conséquence de ces der­niers, un des moyens que se donnaient les différents pays de la planète pour y faire face. La disparition du système des blocs sortis de la 2e guerre mondiale, loin de faire disparaître les antagonismes entre Etats et les affrontements guerriers, ne pouvait que lâcher la bride à des antagonismes que l'or­ganisation en blocs avait contenus dans cer­taines limites. Si elle mettait à l'ordre du jour de l'histoire la reconstitution de nou­veaux blocs impérialistes, perspective qui ne pouvait se réaliser immédiatement du fait du retard militaire considérable du leader po­tentiel d'un nouveau bloc, l'Allemagne, par rapport à la première puissance mondiale, elle débouchait immédiatement sur une ex­plosion du « chacun pour soi », un paysage impérialiste marqué par un bouleversement des alliances sans précédent depuis le début du siècle. Depuis, la situation mondiale n'a fait que confirmer cette perspective. Et si la tendance vers la reconstitution des nouveaux blocs s'était nettement affirmée au tout début des années 1990, elle a, depuis, été supplan­tée par le « chacun pour soi », une des ma­nifestations les plus significatives de la dé­composition générale de le société capita­liste.

6) Le 11e congrès du CCI avait fait ressortir que le déchaînement du chacun pour soi aboutissait à « un affaiblissement considé­rable, voire à une crise du leadership amé­ricain » sur la planète en soulignant notam­ment qu'une telle situation trouvait son ex­pression la plus spectaculaire avec la brouille entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, les deux alliés les plus fidèles de la planète depuis le début du siècle, et avec le fait que la première puissance mondiale était pratiquement absente de la zone du conflit impérialiste le plus important du moment, l'ex-Yougoslavie. Depuis, si la brouille entre les deux puissances anglo-saxonnes ne s'est pas dissipée, loin de là, les Etats-Unis ont réussi, en revanche, à redres­ser de façon spectaculaire leur position dans cette zone. Depuis l'été dernier, avec comme première étape le soutien des Etats-Unis à l'offensive croate dans la Krajina, cette puis­sance a réussi à retourner radicalement la si­tuation. Grâce à la supériorité de ses armes, moyen principal de son action à l'échelle in­ternationale, elle a éclipsé totalement la pré­éminence de la Grande-Bretagne et de la France dans l'ex-Yougoslavie, une préémi­nence exercée pendant plusieurs années grâce à la FORPRONU et que ces pays se proposaient de renforcer avec la création de la FRR. Le retour en force des Etats-Unis ne se limite pas à une simple réplique à la FRR. En fait, alors que le tandem franco-bri­tannique avait sur place comme seul allié la Serbie, les Etats-Unis, aujourd'hui, ont réussi à mettre de leur côté, de gré ou de force, non seulement leurs alliés du premier jour, les musulmans, mais aussi les « amis » de l'Allemagne, les croates et les « ennemis » d'hier, les serbes de Belgrade, grâce notamment, à un divorce de ces der­niers d'avec ceux de Pale.

7) La reprise de l'initiative par les Etats-Unis ne se limite pas à la situation dans l'ex-Yougoslavie mais s'étend aussi bien à ses zones d'hégémonie traditionnelles – comme le Moyen-Orient – qu'à l'Extrême-Orient. C'est ainsi que le sommet de Charm-el-Cheik sur le terrorisme en Israël a permis à l'Oncle Sam de rappeler QUI était le parrain de la région de la même façon que son atti­tude très ferme en défense de Taiwan, con­frontée aux gesticulations de la Chine conti­nentale, constituait un avertissement très clair face aux ambitions impérialistes de celle-ci et, au-delà, à celles du Japon, deux puissances dont la résolution du 11e Congrès international soulignait déjà les ef­forts d'armement. Dans ce contexte de retour en force de la puissance américaine, les se­conds couteaux que sont la Grande-Bretagne et la France n'ont eu d'autre possibilité que d'adopter un profil bas. C'est en traînant les souliers qu'elles se sont rendues au « Clinton show » de Charm-el-Cheik. C'est pour sauver les meubles et ne pas se retrou­ver totalement en dehors du coup, que ces pays ont réaffecté les troupes qu'ils avaient auparavant fournies à la FORPRONU, à l'IFOR, créature des Etats-Unis et dirigée par eux, de la même façon que la France, fondamentalement opposée à l'opération « tempête du désert », en 1990-91, s'était vue contrainte d'y participer. De même, le rapprochement ponctuel réalisé autour de la question Yougoslave entre la première puis­sance mondiale et sa principale rivale, l'Allemagne, s'est opéré au bénéfice essentiel de la première. Même ce qui pourrait appa­raître comme un succès pour l'Allemagne, la conquête par son alliée, la Croatie, des po­sitions qu'elle convoitait depuis l'accession à son indépendance, elle le doit principale­ment à l'action des Etats-Unis, ce qui consti­tue une position bien inconfortable pour une puissance impérialiste, surtout lorsqu'elle se pose en candidate à la direction d'un nou­veau bloc. Ainsi, tout comme la France et la Grande-Bretagne, cette puissance, notam­ment dans sa participation à l'IFOR, se re­trouve dans la situation de devoir se soumet­tre aux conditions des Etats-Unis.

8) Le retour en force de la première puis­sance mondiale ne signifie nullement qu'elle ait définitivement surmonté les menaces qui pèsent sur son leadership. Ces menaces proviennent fondamentalement, comme nous l'avons souligné au dernier congrès interna­tional, du chacun pour soi, du fait qu'il man­que aujourd'hui ce qui constitue la condition principale d'une réelle solidité et pérennité des alliances entre Etats bourgeois dans l'arène impérialiste : l'existence d'un ennemi commun menaçant leur sécurité. Les diffé­rentes puissances de l'ex-bloc occidental peuvent, au coup par coup, être obligées de se soumettre aux diktats de Washington, mais il est hors de question pour elles de maintenir une quelconque fidélité durable. Bien au contraire, toutes les occasions sont bonnes pour saboter, dès qu'elles le peuvent, les orientations et les dispositions imposées par les Etats-Unis. C'est ainsi que la mise au pas de la Grande-Bretagne dans l'ex-Yougoslavie n'a nullement rétabli son allé­geance au grand frère d'outre Atlantique. C'est pour cela que ce dernier a repris sa pression sur la question irlandaise, notam­ment en faisant porter à Londres la respon­sabilité de la reprise des attentats de l'IRA (derrière lesquels il se trouve bien proba­blement). C'est ainsi que la France essaye maintenant, avec le récent voyage de Chirac à Beyrouth, de revenir braconner sur les chasses gardées américaines du Moyen-Orient après qu'elle ait animé le sommet de Barcelone destiné à damer le pion US en Méditerranée. En fait ce que met une nou­velle fois en évidence l'évolution récente des rapports impérialistes, c'est le bouleverse­ment radical des alliances, et l'éminente in­stabilité de celles-ci, sur lequel a débouché la fin du système des blocs de la guerre froide. Des « amitiés » vieilles de 80 ans ou de 40 ans se brisent. Entre Washington et Londres, le divorce est profond. De même, chaque jour qui passe voit s'aggraver le dif­férent entre la France et l'Allemagne, c'est-à-dire les deux chefs de file de la construction de l'édifice européen.

9) Concernant ces derniers aspects, il im­porte de souligner quels sont les ressorts de cette nouvelle configuration des alliances impérialistes. La nouvelle « Entente cor­diale » entre la France et la Grande-Bretagne ne peut se baser que sur la brouille entre Londres et Washington d'un côté, entre Paris et Berlin de l'autre. Le fait que la France et la Grande-Bretagne soient toutes les deux des puissances moyennes histori­quement déclinantes de forces sensiblement égales, confrontées à la pression des deux « grands », les Etats-Unis et l'Allemagne, confèrent une certaine solidité à cette nou­velle « Entente cordiale ». Et ce d'autant plus qu'il existe en Europe un antagonisme de fond, insurmontable, entre la Grande-Bretagne et l'Allemagne, alors qu'à côté de trois guerres il y a eu la place pour de lon­gues périodes « d'amitié » entre ce dernier pays et la France, dont certains secteurs de la bourgeoisie se sont ralliés à l'alliance al­lemande même au cours de la seconde guerre mondiale. Cependant, la montée en force de l'impérialisme allemand au cours de ces dernières années ne peut que raviver les vieilles craintes de la bourgeoisie française face à son trop puissant voisin. Tout ceci conduit, même s'il n'y a pas une rupture to­tale entre Paris et Berlin, à une profonde dé­gradation des rapports franco-allemands. Ainsi, et même si un pays comme la France aimerait bien pouvoir jouer les arbitres entre ses deux grands voisins, une quelconque al­liance à trois est tout à fait impossible. En ce sens, la perspective d'une réelle construc­tion de l'Europe politique est du domaine de l'utopie et ne peut être autre chose qu'un thème de mystification. Ainsi, l'impuissance des institutions européennes qui s'est illus­trée dans la question de l'ex-Yougoslavie, et sur laquelle ont joué les Etats-Unis pour re­venir en force dans cette région, continuera à se manifester par le futur. Sur cette base, la puissance américaine n'aura de cesse de donner des coups de pieds dans la fourmi­lière, comme elle l'a fait dans les Balkans, afin d'empêcher tout rassemblement ou toute concomitance des mécontentements à son égard. Plus généralement, la scène impéria­liste mondiale ne peut connaître d'autre perspective, comme le CCI l'a depuis long­temps mis en évidence, qu'une instabilité croissante, avec des avancées, et aussi des reculs de la puissance américaine, et, sur­tout, la poursuite, sinon l'aggravation, de l'emploi de la force brute, du fracas des ar­mes et l'horreur des massacres.

10) Comme l'exprimait la résolution du dernier congrès international : « Plus que jamais, la lutte du prolétariat représente le seul espoir d'avenir pour la société hu­maine » (point 14). Et cette dernière année a tout à fait illustré ce que contenait cette ré­solution : « [les luttes ouvrières] ont témoi­gné, particulièrement depuis 1992, de la ca­pacité du prolétariat à reprendre le chemin du combat de classe, confirmant ainsi que le cours historique n'avait pas été renversé. Elles ont témoigné aussi des énormes diffi­cultés qu'il rencontre sur ce chemin, du fait de la profondeur et de l'extension de son re­cul [suite à l'effondrement des régimes sta­liniens, les campagnes idéologiques qui l'ont accompagné et l'ensemble des événements qui l'ont suivi]. C'est de façon sinueuse, avec des avancées et des reculs, dans un mouve­ment en dents de scie, que se développent les luttes ouvrières » (Ibid.) « Ces obstacles ont favorisé la reprise en main par les syndicats de la combativité ouvrière, la canalisant dans des "actions" qu'ils contrôlent entiè­rement. Cependant, les manoeuvres présen­tes des syndicats ont aussi, et surtout, un but préventif : il s'agit pour eux de renforcer leur emprise sur les ouvriers avant que ne se déploie beaucoup plus leur combativité, combativité qui résultera nécessairement de leur colère croissante face aux attaques de plus en plus brutales de la crise. » (point 17). Les grèves de la fin de l'automne 1995 en France ont magistralement confirmé cette perspective : « ... pour empêcher que la classe ouvrière n'entre dans le combat avec ses propres armes, la bourgeoisie a pris les devants et elle l'a poussée à partir prématu­rément en lutte sous le contrôle total des syndicats. Elle n'a pas laissé aux ouvriers le temps de se mobiliser à leur rythme et avec leurs moyens. (...) Cette recrédibilisation des syndicats constituait pour la bourgeoi­sie un objectif fondamental, un préalable indispensable avant de porter les attaques à venir qui seront encore bien plus brutales que celles d'aujourd'hui. C'est à cette con­dition seulement qu'elle peut espérer saboter les luttes qui ne manqueront pas de surgir au moment de ces attaques. » (Revue internationale n° 84) Elles ont également confirmé que c'est bien à l'échelle interna­tionale, comme nous l'avions déjà souvent mis en évidence, que la bourgeoisie mène et organise son action contre la classe ou­vrière :

  • à travers la couverture médiatique sans précédent de ces grèves (alors que, à d'au­tres moments, les mouvements sociaux qui inquiétaient vraiment la classe dominante faisaient l'objet d'un « black-out » total dans les autres pays) ; une couverture mé­diatique essayant notamment d'exploiter la référence à mai 1968, tant pour focaliser l'attention des prolétaires sur les événe­ments en France que pour les dénaturer à leurs yeux tout en dénaturant ceux de 1968 eux-mêmes ;
  • avec l'exécution par la bourgeoisie belge, avec le même succès, d'une copie conforme de la manoeuvre qui a piégé les ouvriers en France et en s'appuyant sur cette cam­pagne médiatique.

11) Le retour en force et la recrédibilisation des appareils syndicaux, qui ont singulari­sent les mouvements sociaux de la fin 1995 en France, ne constituent pas un phénomène nouveau, ni dans ce pays, ni au niveau inter­national. Ce fait avait déjà été relevé il y a un an par le dernier congrès du CCI : « ... il importe de mettre en évidence que la ten­dance vers le débordement des syndicats qui s'était exprimée en 1992 en Italie ne s'est pas confirmée, bien au contraire, en 1994 où la manifestation "monstre" de Rome était un chef d'oeuvre de contrôle syndical. De même, la tendance à l'unification spontanée, dans la rue, qui était apparue (bien que de façon embryonnaire) à l'automne 1993 dans la Ruhr en Allemagne a, depuis, laissé la place à des manoeuvres syndicales de grande envergure, telle la "grève" de la métallurgie du début 1995, parfaitement maîtrisées par la bourgeoisie. » (point 15) Cette recrédibilisation des syndicats était contenue dans les caractéristiques de l'ef­fondrement du bloc de l'Est, à la fin des an­nées 1980 : « l'idéologie réformiste pèsera très fortement sur les luttes dans la période qui vient, favorisant grandement l'action des syndicats » (« Thèses sur la crise économi­que et politique en URSS et dans les pays de l'Est », septembre 1989). Cela découlait du fait, non pas que les ouvriers se faisaient en­core des illusions sur « le paradis socia­liste », mais que l'existence d'un type de so­ciété présenté comme « non capitaliste » semblait signifier qu'il pouvait exister autre chose sur terre que le capitalisme. La fin de ces régimes a été présentée comme « la fin de l'histoire ». Dans la mesure où le terrain par excellence des syndicats et du syndica­lisme est l'aménagement des conditions de vie du prolétariat dans le capitalisme, les événements de 1989, aggravés par toute la succession de coups portés à la classe ou­vrière depuis (du fait de la guerre du Golfe, de l'explosion de l'URSS, de la guerre dans l'ex-Yougoslavie), ne pouvaient aboutir qu'au retour en force des syndicats qu'on constate aujourd'hui dans tous les pays et que les événements en France de la fin 1995 ont particulièrement souligné. Un retour en force qui ne s'est pas fait du jour au lende­main, mais qui résulte de tout un processus dans lequel les formes « radicales » du syndicalisme (COBAS et autres en Italie, SUD et FSU en France, etc.) ont renforcé l'idéologie syndicaliste avant que de laisser le devant de la scène aux centrales tradi­tionnelles.

12) De ce fait, dans les principaux pays du capitalisme, la classe ouvrière se retrouve ramenée à une situation comparable à celle des années 1970 en ce qui concerne ses rap­ports aux syndicats et au syndicalisme : une situation où la classe, globalement, luttait derrière les syndicats, suivait leurs consi­gnes et leurs mots d'ordre et, en fin de comp­te, s'en remettait à eux. En ce sens, la bour­geoisie a momentanément réussi à effacer des consciences ouvrières les leçons acquise au cours des années 1980, suite aux expé­riences répétées de confrontation aux syndi­cats. La classe dominante va tirer profit le plus longtemps possible de ce renforcement des syndicats et du syndicalisme contrai­gnant la classe ouvrière à une longue pé­riode de confrontation avec ces derniers (comme elle l'a fait depuis les années 1970 jusqu'à la fin des années 1980, même si cette période ne dure pas aussi longtemps) avant qu'elle ne soit de nouveau en mesure de se dégager de leur emprise. Elle devra déjouer en même temps les thèmes idéolo­giques développés autour des campagnes sur la « mondialisation de l'économie » avec lesquelles la bourgeoisie essaie de masquer la cause véritable des attaques qu'elle dé­chaîne contre le prolétariat : la crise sans is­sue du système capitaliste, campagnes face auxquelles les syndicats se proposent d'en­traîner les ouvriers sur le terrain pourri du nationalisme, de la concurrence avec leurs frères de classe des autres pays.

13) C'est donc encore un long chemin qui at­tend la classe ouvrière. Mais les difficultés et les obstacles qu'elle rencontre ne doivent pas être un facteur de démoralisation, et il appartient aux révolutionnaires de combattre résolument une telle démoralisation. La bourgeoisie, pour sa part, sait parfaitement quelles sont les potentialités que porte en lui le prolétariat. C'est pour cela qu'elle orga­nise des manoeuvres comme celles de la fin 1995. Comme les révolutionnaires l'ont tou­jours mis en évidence, et comme nous le confirme la bourgeoisie elle-même, la crise de l'économie capitaliste constitue le meilleur allié du prolétariat, celui qui devra lui ouvrir les yeux sur l'impasse du monde actuel et lui fournir la volonté de le détruire malgré les multiples obstacles que tous les secteurs de la classe dominante ne manque­ront pas de semer sur son chemin.

Avril 1996.


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