Le rejet de la notion de décadence conduit à la démobilisation du prolétariat face à la guerre (2e partie)

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Polémique avec Programme Communiste sur la guerre impérialiste (2e partie)
 

Le courant bordiguiste appartient incontestablement au camp du prolétariat. Sur un certain nombre de questions essentielles, il défend fermement les principes de la Gauche Communiste qui a mené le combat contre la dégénérescence de la 3e Internationale dans les années 1920 et qui, aprés son exclusion de celle-ci, a poursuivi la bataille, dans les conditions terribles de la contre-révolution, pour la défense des intérêts historiques de la classe ouvrière. C'est particulièrement vrai en ce qui concerne la question de la guerre impérialiste. Dans la première partie de cet article, nous avons mis ce fait en évidence pour ce qui concerne une organisation de ce courant : celle qui publie ll Comunista en Italie et la revue Programme Communiste (PC) en France. Nous avons cependant démontré, à travers les écrits de cette organisation, comment l'ignorance, par le courant bordiguiste, de la notion de décadence du capitalisme, pouvait conduire à des aberrations théoriques sur la question de la guerre impérialiste. Mais le plus grave, dans les erreurs théoriques des groupes « bordiguistes », c'est qu'ils conduisent à un désarmement politique de la classe ouvrière. C'est ce que nous allons mettre en évidence dans cette seconde partie.

A la fin de la première partie de cet article nous citions une phrase du PCI dans PC n° 92 particulièrement significative du danger que représente la vision de cette organisation : « Il en découle aussi [de la guerre comme mani-festation d'une rationalité économique] que la lutte inter-impérialiste et l'affrontement entre puissances rivales ne pourra jamais conduire à la destruction de la planéte, parce qu'il s'agit justement, non d'avidités excessives mais de la nécessité d'échapper à la surproduction. Quand l'excédent est détruit, la machine de guerre s'arrête, quel que soit le potentiel destructif des armes mi-=ses en jeu, car disparaissent du même coup les causes de la guerre. » Une telle vision, qui met sur le même plan les guerres du siécle dernier, qui avaient, effectivement, une rationalité économique, et celles de ce siècle qui ont perdu une telle rationalité, découle directement de l'incapacité de la part du courant bordiguiste de comprendre le fait que le capitalisme, conformément à ce que disait déjà l'Internationale com-=muniste, est entré dans sa période de décadence depuis la 1re guerre mondiale. Cependant, il est important de revenir sur une telle vision car, non seulement elle tourne le dos à l'histoire réelle des guerres mondiales, mais elle démobilise complétement la classe ouvrière.

 

Imagination bordiguiste et histoire réelle

 

Ce n'est pas vrai que les deux guerres mondiales ont pris fin du fait de la dis-parition des causes économiques qui les avaient engendrées. Il faut déjà s'enten-dre, évidemment, sur les causes éco-nomiques véritables de la guerre. Mais, même en se plaçant du point de vue du PCI : la guerre a pour objectif de dé-truire suffisamment de capital constant pour permettre de retrouver un taux de profit suffisant, on peut constater que l'histoire réelle est en contradiction avec la conception imaginaire qu'en donne cette organisation.

Si nous prenons le cas de la 2e guerre mondiale, affirmer une telle chose est une trahison honteuse du combat mené par Lénine et les internationalistes tout au long de celle-ci (à moins qu'il ne s'agisse que d'une ignorance crasse de ces faits historiques). En effet, conformément à la résolution adoptée au congrés de 1907 de la 2e internationale (Congrés de Stuttgart), qu'un amendement présenté par Lénine et Rosa Luxemburg avait rendue trés claire, et conformément au Manifeste adopté par le Congrés de Bâle, en 1912, Lénine a mené le combat, dés aoùt 1914, pour que les révolutionnaires : « utilisent de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires -les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste. ». (Résolution du Congrés de Stuttgart) Il n'allait pas dire aux ouvriers : « De toutes façons, la guerre impérialiste prendra fin lorsque les causes économiques qui l'ont engendrée seront épuisées. » Au contraire, il mettait en évidence que le seul moyen de mettre fin à la guerre impérialiste, avant qu'elle ne conduise à une hécatombe catastrophique pour le prolétariat et pour l'ensemble de la civilisation, consistait dans la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile. Evidemment, PC reprend à son compte ce mot d'ordre, et il approuve la politique des internationalistes au cours de cette guerre. Mais en même temps, il n'est pas capable de comprendre que justement, le scénario qu'il présente de la fin de la guerre impérialiste généralisée ne s'est pas réalisé en 1917-18. Au contraire, la ler guerre mondiale a pris fin, et trés rapidement, en novembre 1918, parce que le prolétariat le plus puissant du monde, celui d'Allemagne, s'était soulevé contre elle et était en train de prendre le chemin de la révolution comme l'avait fait, un an auparavant, le prolétariat de Russie. Les faits sont éloquents : le 9 novembre 1918, aprés plusieurs mois de grèves ouvrières dans toute l'Allemagne, les marins de Kiel de la « Kriegsmarine » se mutinent contre leurs officiers, en même temps qu'une ambiance insurrectionnelle se développe au sein du prolétariat ; le 11 novembre, les autorités allemandes signent un armistice avec les pays de l'Entente. La bourgeoisie a trés bien compris la leçon de la Russie un an au-paravant oú, la décision du gouvernement provisoire, issu de la révolution de février 1917, de poursuivre la guerre avait constitué le principal facteur de mobilisation du prolétariat vers l'issue révolutionnaire d'Octobre et la prise du pouvoir par les soviets. Ainsi, l'histoire avait donné raison à la vision défendue par Lénine et les bolcheviks : c'est la lutte révolutionnaire du prolétariat qui a mis fin à la guerre impérialiste et non une quelconque destruction de l'excé-dent de marchandises.

La 2° guerre mondiale, contrairement à la première (et à l'attente de beaucoup de révolutionnaires) n'a pas ouvert le chemin d'une nouvelle vague révolutionnaire. Et ce n'est malheureusement pas faction du prolétariat qui y a mis fin. Cependant, cela ne veut pas dire qu'elle ait répondu au schéma abstrait de PC. Si on étudie sérieusement les faits historiques, et autrement qu'avec les lunettes déformantes des dogmes « invariants » du bordiguisme, on constate facilement que la fin de la guerre n'a eu rien a voir avec une quelconque « destruction suffisante de l'excédent ». En réalité, la guerre impéria-liste a pris fin avec la destruction com-pléte du potentiel militaire des vaincus et par l'occupation de leur territoire par les vainqueurs. Le cas le plus explicite a été celui de l'Allemagne, encore une fois. Si les Alliés ont pris la peine d'occuper chaque pouce du territoire allemand, en se le partageant en quatre, ce n'était pas pour des raisons économiques mais pour des raisons sociales : la bourgeoisie avait conservé le souvenir de la l'e guerre mondiale. Elle savait qu'elle ne pouvait compter sur un gouvernement vaincu pour garantir l'ordre social dans les énormes concentrations prolétariennes d'Allemagne. C'est d'ailleurs ce que dit lui-même PC (et encore une fois on peut constater son incohérence) :

« Au cours des 3 années 45-48, une grave crise économique frappe tous les pays européens touchés par la guerre [tiens ! pourtant c'est là qu'il y avait eu le plus de destruction de capital constant, NDLR] (..) On voit donc que le marasme d'aprés-guerre ne fait pas de différence entre vaincus et vainqueurs. Mais forte de l'expérience du premier aprés-guerre, la bourgeoisie mondiale a appris que ce marasme pouvait donner naissance à des flambées classistes et révolutionnaires. C'est la raison pour laquelle la période de dépression économique d'aprés-guerre sera aussi la période de l'occupation militaire massive de l'Europe. Cette occupation ne commencera à s'atténuer, dans le secteur occidental, qu'à partir de 1949, quand le spectre du "désordre social" se sera éloigné. » (PC n° 91, p. 43)

En réalité, au nom du « marxisme » et même de la « dialectique », PC nous donne une vision matérialiste vulgaire et mécaniste du processus de déclenchement et de fin de la guerre impérialiste mondiale.

 

Une vision schématique du déclenchement de la guerre impérialiste

 

Le marxisme établit qu'en dernière instance, ce sont les infrastructures économiques de la société qui déterminent ses superstructures. De même, l'ensemble des faits historiques, qu'ils affectent la scéne politique, militaire ou sociale, ont des racines économiques. Cependant, c'est encore une fois « en dernière instance » que s'exerce cette détermination économique, de façon dialectique et non mécanique. Il existe, notamment depuis le début du capitalisme, une origine économique aux guerres. Mais le lien entre les facteurs économiques et la guerre a toujours été médiatisé par une série de facteurs historiques, politiques. diplomatiques qui ont justement permis à la bourgeoisie de masquer aux yeux des prolétaires la véritable nature de la guerre. Cela est déjà valable au siécle dernier, lorsque la guerre présente une certaine rationalité économique pour le capital. Il en est ainsi, par exemple de la guerre franco-prussienne de 1870.

Du côté prussien, cette guerre n'a pas de but économique immédiat (même si, évidemment, le vainqueur se permet le luxe de faire verser au vaincu 6 milliards de francs-or en échange du départ de ses troupes d'occupation). Fondamentalement, la guerre de 1870 permet à la Prusse de réaliser autour d'elle l'unité allemande (aprés qu'elle ait vaincu son concurrent autrichien pour un tel rôle lors de la bataille de Sadowa, eu 1866). L'annexion de l'Alsace-Lorraine n'a pas d'intérêt économique décisif, mais elle constitue la corbeille du mariage entre les différentes entités politiques allemandes. Et c'est justement à partir de cette unité politique que peut se développer de façon impétueuse la nation capitaliste qui deviendra en peu de temps la première puissance économi-que d'Europe et qui l'est restée.

Du côté français, le choix fait par Napoléon III de se lancer dans la guerre est encore plus éloigné d'une détermination économique directe. Fondamentalement, comme le dénonce d'ailleurs Marx, il s'agit pour le monarque de mener une guerre « dynastique » permettant au second Empire, en cas de victoire, de s'enraciner de façon beaucoup plus solide à la tête de la bourgeoisie française (qui, dans sa grande majorité, qu'elle soit royaliste ou républicaine, ne porte pas « Badinguet » dans son cceur) et de permettre au fils de Napoléon de lui succéder. C'est pour cela, d'ailleurs, que Thiers, représentant le plus avisé de la classe capitaliste, était farouchement opposé à cette guerre.

Lorsqu'on examine les causes du déclenchement de la 2e guerre mondiale, on peut constater également à quel point le facteur économique, qui est évidemment fondamental, ne joue que de façon indirecte. Nous ne pouvons pas, dans le cadre de cet article, nous étendre sur l'ensemble des ambitions impérialistes des différents protagonistes de cette guerre (au début du siécle, les révolutionnaires ont consacré à cette question de nombreuses brochures). Il suffit de dire que l'enjeu fondamental pour les deux principaux pays de l'Entente, la Grande-Bretagne et la France, était de conserver leur empire colonial face aux ambitions de l'Allemagne, la puissance montante, dont le potentiel industriel ne disposait pratiquement pas de débouchés coloniaux. C'est pour cela, qu'en dernier ressort, la guerre se présente pour l'Allemagne, qui pousse le plus au conflit, comme une lutte pour un repartage des marchés au moment oú ces derniers sont déjà tous entre les mains des puissances plus anciennes. La crise économique qui commence à se développer à partir de 1913 constitue évidemment un facteur important d'exacerbation des rivalités impérialistes qui débouche sur le 4 aoùt 1914, mais il serait totalement faux de prétendre (et aucun marxiste ne l'a fait à l'époque) que la crise avait déjà pris une telle ampleur que le capital ne pouvait faire autre chose, afin de la surmonter, que de déchaîner la guerre mondiale avec ses immenses destructions.

En réalité, la guerre aurait trés bien pu éclater dés 1912, lors de la crise des Balkans. Mais justement, à ce moment précis, l'Internationale Socialiste avait su se mobiliser et mobiliser les masses ouvrières contre la menace de la guerre, notamment avec le Congrés de Bâle, pour que la bourgeoisie renonce à avancer plus sur le chemin de l'affrontement généralisé. En revanche, en 1914, la raison principale pour laquelle la bourgeoisie peut déclencher la guerre mondiale ne réside pas dans le niveau atteint par la crise de surproduction, qui était bien loin du niveau qu'elle a atteint aujourd'hui par exemple. Elle réside dans le fait que le prolétariat, endormi par l'idée que désormais la guerre ne menaçait plus, et plus généralement par l'idéologie réformiste (propagée par l'aile droite des partis socialistes qui dirigeait la plupart de ces partis), n'a opposé aucune mobilisation sérieuse face à la menace qui se profilait de plus en plus à partir de l'attentat de Sarajevo, le 20 juin 1914. Pendant un mois et demi, la bourgeoisie des principaux pays a eu tout loisir de vérifier qu'elle avait les mains libres pour déclencher les massacres. En particulier, tant en Allemagne qu'en France, les gouvernements ont pu contacter directement les chefs des partis socialistes qui les ont assurés de leur fidélité et de leur capacité à entraîner les ouvriers vers la boucherie. Nous n'inventons pas ces faits : ils ont été mis en évidence et dénoncés par les révolutionnaires de l'époque, comme Rosa Luxemburg et Lénine.

En ce qui concerne la 2° guerre mondiale, on peut évidemment mettre en évidence comment, à partir de la crise économique de 1929, se mettent en place tous les éléments qui vont aboutir au déclenchement de la guerre en septembre 1939 : arrivée de Hitler au pouvoir en 1933, accession au gouvernement en 1936 des «fronts populaires » en France et en Espagne, guerre civile dans ce dernier pays, à partir de juillet de la même année. Le fait que la crise ouverte de l'économie capitaliste débouche finalement sur la guerre impérialiste est d'ailleurs perçu trés clairement par les dirigeants de la bourgeoisie. Ainsi, Cordell Hull, proche collaborateur du président américain Roosevelt, déclare : « Quand les marchandises circulent, les soldats n'avancent pas ». Pour sa part Hitler, à la veille de la guerre dit clairement à propos de l'Allemagne : « Ce pays doit exporter ou mourir ». Cependant, on ne peut rendre compte du moment oú se déclenche la guerre mondiale uniquement dans les termes oú le fait PC: «Aprés 29, on chercha à sur-monter la crise aux USA par une espéce de "nouveau modéle de développement ». L'Etat intervient de façon massive dans l'économie... et lance de gigantesques plans d'investissements pu-blics. On reconnaît aujourd'hui que tout cela n'eut que des effets secondaires sur l'économie qui, en 37-38 plongeait de nouveau vers la crise : seuls les crédits en 38 pour le réarmement purent amorcer une "vigoureuse" reprise et faire atteindre des maximums historiques de production. Mais l'endettement public et la production d'armements ne peuvent que freiner, mais pas éliminer la tendance aux crises. Constatons le fait qu'en 39 la guerre éclate pour éviter la chute dans une crise encore plus ruineuse... La crise d'avant la guerre dura 3 ans et elle fut suivie aprés 33 par une reprise qui conduisit directement à la guerre. » (PC n° 90, p. 29) Déjà il faut rejeter l'idée que la guerre serait moins ruineuse que la crise: quand on a vu dans quel état s'est retrouvée l'Europe aprés la 2° guerre mondiale, une telle affirmation n'est pas sérieuse. Cependant, l'explication donnée par PC des origines de la guerre n'est pas fausse en soi, mais elle le devient si on en fait la seule permettant de comprendre pourquoi la guerre a été déclenchée en 1939 et non pas dés le début des années 1930, lorsque le monde, et particulièrement l'Allemagne et les Etats-Unis, plongent dans la plus profonde récession de l'histoire.

Pour mettre en évidence le schématisme incroyable de l'analyse de PC, il suffit de citer le passage suivant : « C'est le cours de l'économie impérialiste qui, à un certain moment, 'fait" la guerre. Et, s'il est vrai que l'affrontement militaire résout provisoirement les problémes posés par la crise, il faut cependant souligner que l'affrontement militaire ne découle pas de la récession, mais de la reprise artificielle qui le suit. Droguée par l'intervention de l'Etat, financée par la dette publique (de l'industrie mili-taire pour une bonne partie), la production reprend de la hauteur ; mais la conséquence immédiate est l'engorgement d'un marché mondial déjà saturé, la reproduction sous une forme aiguë de l'affrontement inter-impérialiste, et donc la guerre. A ce moment les Etats se jettent les uns contre les autres, ils doivent se faire la guerre, et ils la feraient au besoin à coup de bulldozers, de rnoissonneuses-batteuses ou de toutes les machines pacifiques qu'on peut imaginer... Le pouvoir de déclencher la guerre n'appartient pas aux fusils mais aux masses de marchandises invendues. » (PC n° 91, p. 37)

Une telle vision fait complétement abstraction des conditions concrétes à travers lesquelles la crise économique débouche sur la guerre. Pour PC, les choses se réduisent au mécanisme : récession, reprise "droguée", guerre. Rien d'autre. On peut déjà noter que ce schéma ne s'applique nullement à la 1e guerre mondiale. Mais, concernant la 2e, il faut constater que PC ne se penche pas sur la forme que prend la reprise droguée en Allemagne à partir de 1933 : celle de la mise en ceuvre d'un effort d'armement colossal par le régime nazi, ni sur la signification de la venue au pouvoir de ce régime lui-même. De même, la signification de l'arrivée du Front populaire en France, par exemple, ne fait pas l'objet du moindre examen par PC. Enfin, des événements de la scéne internationale aussi importants que l'expédition italienne de 1935 con-tre l'Ethiopie, la guerre d'Espagne en 1936, la guerre entre le Japon et la Chine un an aprés sont ignorés.

En réalité, aucune guerre n'a jamais été menée avec des moissonneuses-batteuses. Quelle que soit la pression exercée par la crise, la guerre ne peut être déclenchée si ne sont pas mûres, si n'ont pas été préparées ses conditions militaires, diplomatiques, politiques et sociales. Et justement, l'histoire des années 1930 est celle de l'ensemble de ces préparatifs. Sans revenir ici longuement sur ce que nous avons déjà développé dans d'autres numéros de cette revue, on peut dire qu'une des fonctions du régime Nazi a été d'impulser l'effort de reconstitution à grande échelle et à « un rythme qui surprend même les gé-néraux »([1]) du potentiel militaire de l'Allemagne, un potentiel que les clauses du traité de Versailles de 1919 avaient bridé jusque là. En France également, le Front Populaire a eu la responsabilité de relancer l'effort d'arme-ment à une échelle inconnue depuis la 1e guerre mondiale. De même, les guerres que nous avons évoquées plus haut s'inscrivaient dans les préparatifs militaires et diplomatiques de l'affrontement généralisé. Il faut mentionner particulièrement la guerre d'Espagne : c'est le terrain oú les deux puissances de l'Axe, Italie et Allemagne, non seulement testent de façon directe les armements pour la guerre à venir mais renforcent leur alliance en vue de celle-ci. Mais non seulement cela : la guerre d'Espagne constitue le parachévement de l'écrasement physique et politique du prolétariat mondial aprés la vague révolutionnaire qui avait commencé en 1917 en Russie et qui avait jeté ses derniers feux en Chine en 1927. Entre 1936 et 1939, ce n'est pas seulement le prolétariat d'Espagne qui est défait, d'abord par le Frente Popular, ensuite par Franco. La guerre d'Espagne a été un des moyens essentiels par lesquels la bourgeoisie des pays « démocratiques », particulièrement en Europe, a fait adhérer les ouvriers à l'idéologie anti-fasciste, l'idéologie qui a permis qu'ils soient utilisés une nouvelle fois comme « chair à canon » pour la 2° guerre mondiale. Ainsi, l'acceptation de la guerre impérialiste par les ouvriers que les régimes fasciste et nazi ont imposée par la terreur a été obtenue dans les autres pays au nom de la « défense de la Démocratie », avec la participation active, évidemment, des partis de gauche du capital, « socialistes » et « communistes ».

Le schéma du mécanisme qui conduit au déclenchement de la 2° guerre mondiale, tel que nous le propose PC, coincide avec la réalité. Mais s'il en est ainsi, c'est dans les conditions bien spécifiques de cette période, qu'on ne peut comprendre, loin de là, à partir de ce seul schéma. En particulier, en ce qui concerne l'Allemagne, notamment, mais aussi des pays comme la France et la Grande-Bretagne (avec un certain retard sur les autres pays, cependant) l'effort d'armement constitue un des aliments de la reprise aprés la dépression de 1929. Mais cela n'est possible que par le fait que les principaux Etats capitalistes avaient considérablement réduit leurs moyens militaires au lendemain de la 1e guerre mondiale dans la mesure où, à ce moment-là, la principale préoccupation de la bourgeoisie mondiale était de faire face à la vague révolutionnaire du prolétariat. De même, forte de son expérience de la l°guerre mondiale, la bourgeoisie sait pertinemment qu'elle ne peut se lancer dans la guerre impérialiste sans avoir au préalable soumis totalement le prolétariat afin de s'éviter un surgissement révolutionnaire de celui-ci au cours même de la guerre.

Ainsi, la « méthode » de PC consiste a établir comme loi historique, un schéma qui ne s'est appliqué qu'une seule fois dans l'histoire (puisqu'on a déjà vu qu'il ne s'était pas appliqué au premier avant-guerre non plus). Pour qu'il puisse être valable dans la période actuelle, il faudrait que les conditions historiques d'aujourd'hui soient fondamentalement les mêmes que celles des années 1930, ce qui est loin d'être le cas : jamais les armements n'ont été aussi développés et le prolétariat ne vient pas de subir une profonde défaite comme ce fut le cas dans les années 1920. Au contraire, il est sorti, depuis la fin des années 1960, de la profonde contre-révolution qui pesait sur lui depuis le début des années 1930.

 

Les conséquences de la vision schématique de Programme Communiste

 

La vision schématique de PC débouche sur une analyse particulièrement dangereuse de la période actuelle. C'est vrai que de temps en temps, dans son étude, PC semble retrouver une conception un peu plus marxiste du processus qui con-duit à la guerre mondiale. C'est le cas lorsqu'il écrit:

« Pour que de telles masses humaines puissent être efficacement envovées au massacre, il faut que les populations soient préparées à temps à la guerre ; et pour qu'elle puissent résister ait cours d'une guerre à outrance, il faut que ce travail de préparation soit suivi d'un travail de mobilisation constante des énergies et des consciences de la nation, de toute la nation, en faveur de la guerre. (..) Sans la cohésion de tout le corps social, sans la solidarité de toutes les classe envers une guerre pour laquelle on sacrifie ses propres existences et ses propres espoirs, même les troupes les mieux armées sont condamnées à se désagréger sous le coup des privations et des horreurs quotidiennes du conflit. » (PC n° 91, p. 41) Mais de telles affirmations, tout-à-fait justes, entrent en contradiction flagrante avec la démarche adoptée par PC lorsqu'il s'essaie à faire des prévisions sur les années à venir. En s'appuyant sur son schéma récession, reprise "droguée", guerre, PC se livre à de savants calculs (dont nous ferons ici grâce au lecteur) pour aboutir à la conclusion que : « Il nous faut maintenant réfuter la thése de l'imminence de la troisiéme guerre mondiale. » (PC n° 90, p. 27) « Il faudrait alors situer la date présumée de la maturité économique du conflit autour de la moitié de la première décennie du prochain millénaire (ou si l'on préfére, du prochain siécle). » (Ibidem., p. 29) Il faut noter que PC fonde une telle prévision sur le fait que : « Le processus de relance droguée typique de l'économie de guerre, qui suit la crise, ne se dessine pas encore, et ceci dans une situation économique, qui, de récession en récession, est encore loin d'avoir épuisé la tendance à la dépression inaugurée en 74-75. » (Ibidem.) Nous pourrions évidemment démontrer (voir toutes nos analyses sur les caractéristiques de la crise actuelle dans cette même Revue) en quoi, depuis plus d'une décennie déjà, les « reprises » de l'éco-nomie mondiale sont parfaitement « droguées». Mais c'est PC qui le dit lui-même quelques lignes plus haut : « Nous voulons seulement souligner que le systéme capitaliste mondial a utilisé pour prévenir la crise les mêmes moyens dont il s'était servi aprés le krach de 1929 pour s'en sortir. » La cohérence n'est vraiment pas le fort de PC et des bordiguistes : c'est peut-être leur conception de la « dialectique » eux qui se flattent d'être « rompus au maniement de la dialectique. » (PC n° 91, p. 56) ([2])

Cela-dit, au-delà même des contradictions de PC, il importe de souligner le caractére parfaitement démobilisateur des prévisions qu'il s'amuse à faire sur la date du prochain conflit mondial. Depuis sa fondation, le CCI a mis en évidence que, dés lors que le capitalisme avait épuisé les effets de la reconstruction du second aprés guerre, dés lors que la crise historique du mode de production capitaliste se manifestait une nouvelle fois sous forme de crise ouverte (cela, dés la fin des années 1960, et non en 1974-75, comme le veulent les bordiguistes pour essayer de prouver la confirmation d'une vieille « prévision » de Bordiga) les conditions économiques d'une nouvelle guerre mondiale étaient données. II a également mis en évidence que les conditions militaires et diplomatiques d'une telle guerre étaient totalement mùres avec la constitution depuis plusieurs décennies des deux grands blocs impérialistes regroupés au sein de l'OTAN et du Pacte de Varsovie derrière les deux principales puissances militaires du monde. La raison pour laquelle l'impasse économique oú se trouvait le capitalisme mondial n'a pas dé-bouché sur une nouvelle boucherie généralisée se trouvait fondamentalement dans le fait que la bourgeoisie n'avait pas les mains libres sur le terrain social. En effet, dés les premières morsures de la crise, la classe ouvrière mondiale - en mai 1968 en France, à l'automne 1969 en Italie, et dans tous les pays développés par la suite - a redressé la tête et s'est dégagée de la profonde contre-révolution qu'elle avait subie pendant quatre décennies. En expliquant cela, en basant sa propagande sur cette idée, le CCI a participé (de façon trés modeste évidemment, compte-tenu de ses forces actuelles) à redonner confiance en elle même à la classe ouvrière face aux campagnes bourgeoises visant en permanence à saper cette confiance. Au contraire, en continuant à propager l'idée que le prolétariat était encore totalement absent de la scéne historique (comme lorsqu'il était « minuit dans le siécle »), le courant bordiguiste a apporté (involontairement, certes, mais cela ne change rien), sa petite contribution aux campagnes bourgeoises. Pire encore, en laissant croire que, de toutes façons, les conditions matérielles d'une 3e guerre mondiale n'étaient pas encore réunies, il a participé à démobiliser la classe ouvrière contre sa menace, jouant, à une petite échelle, le rôle qu'avaient tenus les réformistes à la veille de la le guerre mondiale lorsqu'ils avaient convaincu les ouvriers que la guerre n'était plus une menace. Ainsi, ce n'est pas seulement, comme on l'a vu dans la première partie de cet article, en affirmant qu'une 3e guerre mondiale ne risquait pas de détruire l'humanité que PC contribue à masquer les véritables enjeux du combat de classe aujourd'hui, c'est aussi en faisant croire que ce combat de classe n'est pour rien dans le fait que cette guerre mondiale n'ait pas eu lieu depuis le début des années 1970.

L'effondrement du bloc de l'Est, à la fin des années 1980, a momentanément fait disparaître les conditions militaires et diplomatiques d'une nouvelle guerre mondiale. Cependant, la vision erronée de PC continue d'affaiblir les capacités politiques du prolétariat. En effet, la disparition des blocs n'a pas mis fin aux conflits militaires, loin de là, des con-flits dans lesquels les grandes et moyen-nes puissances continuent de s'affronter par petits Etats, ou même par ethnies interposées. La raison pour laquelle ces puissances ne s'engagent pas plus directement sur le terrain, ou pour laquelle, lorsqu'elles le font effectivement (comme lors de la guerre du Golfe en 1991) elles n'envoient sur place que des soldats professionnels ou des volontaires, c'est la crainte que continue d'avoir la bourgeoisie que l'envoi du contingent, c'est à dire des prolétaires en uniforme, ne provoque des réactions et une mobilisation de la classe ouvrière. Ainsi, à l'heure actuelle, le fait que la bourgeoisie ne soit pas capable d'embrigader le prolétariat derrière ses objectifs guerriers constitue un facteur de premier plan limitant la portée des massacres impérialistes. Et plus la classe ouvrière sera capable de développer ses combats, plus la bourgeoisie sera entravée dans ses projets funestes. Voilà ce que les révolutionnaires doivent dire à leur classe pour lui permettre de prendre conscience et de ses réelles capacités et de ses responsabilités. Malheureusement, malgré sa dénonciation tout à fait valable des mensonges bourgeois sur la guerre impérialiste, et notamment du pacifisme, c'est ce que ne fait pas le courant bordiguiste, et notamment PC.

Pour conclure sur cette critique des analyses de PC sur la question de la guerre impérialiste, il nous faut relever les quelques « arguments » employés par cette revue lorsqu'elle tente de stigmatiser les positions du CCI. Pour PC, nous sommes des « sociaux pacifistes d'extrême gauche », au même rang que les trotskistes (PC n° 92, p. 61). Notre position serait « emblématique de l'impuissance du petit bourgeois en colére » (Ibidem., p. 57). Et pourquoi, s'il vous plaît ? Parce que : « si l'éclatement de la guerre exclut définitivement la révolution, alors la paix, cette paix bourgeoise, devient malgré tout un "bien" que le prolétariat, tant qu'il n'a pas la force de faire la révolution, doit protéger comme la prunelle de ses yeux. Et voila que pointe à l'horizon la vieille "lutte pour la paix"... au nom de la révolution. L'axe fondamental de la pro-pagande du CCI lors de la dernière guerre du Golfe n'était-elle pas la dénonciation des "va-t-en guerre" de tout poil, et les lamentations sur le "chaos", le "sang" et les "horreurs" de la guerre ? Certes la guerre est horrible, mais la paix bourgeoise l'est tout autant et les "va-t-en paix" doivent être dénon-cés tout aussi sévérement que les "va-t-en guerre"; quant au "chaos" grandissant du monde bourgeois, il ne peut qu'être accueilli favorablement par les communistes véritables parce qu'il signifie que se rapproche l'heure oú la violence révolutionnaire devra être opposée à la violence bourgeoise. » (Ibidem.)

Sincérement, les « arguments » de PC sont un peu pauvres, et surtout, ils sont mensongers. Lorsque les révolutionnaires du début du siécle, les Luxemburg et les Lénine, à chaque congrés de l'Internationale Socialiste et dans leur propagande quotidienne, mettaient les ouvriers en garde contre la menace de la guerre impérialiste, qu'ils dénonçaient les préparatifs de celle-ci, ils ne faisaient pas la même chose que les pacifistes et il nous semble que PC se réclame encore de ces révolutionnaires. De même, lorsque, au cours de la guerre elle-même, ils stigmatisaient avec la dernière énergie tant la bestialité impérialiste que les « jusqu'au-boutistes » et autres « socio-chauvins », ce n'est pas pour cela qu'ils mêlaient leur voix à celle des pacifistes à la Romain Rolland. Et bien c'est exactement du même combat que celui de ces révolutionnaires dont se revendique le CCI, et sans la moindre concession aux discours pacifistes qu'il dénonce avec la même vigueur que les discours guerriers contrairement à ce que prétend PC (qui ferait bien de lire un peu mieux notre presse). En réalité, le fait que PC soit obligé de mentir sur ce que nous disons réell-ment ne fait que démontrer une seule chose : le manque de consistance de ses propres analyses.

Et pour clore, nous voudrions dire à ces camarades qu'il ne sert à rien de consacrer tant d'énergie à prévoir presque à l'année prés la date de la future guerre mondiale pour aboutir à une «  prévision » pour la période qui vient qui ne comporte pas moins de quatre scénarios possibles (voir PC n° 92, p. 57 à 60). Le prolétariat, pour s'armer politiquement, attend des révolutionnaires des perspectives claires. Pour tracer de telles perspectives, il ne suffit pas à ces derniers de se contenter de la « stricte répétition de positions classiques »comme veut le faire le PCI (PC n° 92, p. 31). Si le marxisme ne peut s'appuyer que sur un strict respect des principes prolétariens, notamment par rapport à la guerre impérialiste, comme le considére autant le CCI que le PCI, il n'est pas une théorie morte, incapable de rendre compte des différentes circonstances historiques dans lesquelles la classe ouvrière développe son combat, tant pour la défense de ses intérêts immédiats que pour le communisme (les deux faisant d'ailleurs partie du même tout). II doit permettre, comme le disait Lénine, « l'analyse concréte d'une situation concréte ». Dans le cas contraire, mais ce n'est plus le marxisme, il ne sert à rien, sinon à semer encore plus de confusion dans les rangs de la classe ouvrière. C'est malheureusement ce qui arrive au « marxisme » tel que nous le sert le PCI.

FM.


[1] « Histoire des      relations internationales », Tome 8, page 142, par Pierre Renouvin, (Paris, 1972)

[2] Dans le domaine des incohérences du PCI, on peut encore donner la citation suivante « si la paix a régné jusqu'ici dans les métropoles impérialistes, c'est précisément en raison de cette domination des USA et de l'URSS, et si la guerre est inévitable c'est pour la simple raison que quarante années de "paix" ont permis la maturation de forces qui tendent à remettre en question cet équilibre issu du dernier conflit mondial. » (PC n° 91, page 47) Il faudrait, une fois pour toutes, que le PCI se mette d'accord avec lui-même. Pourquoi la guerre n'a-elle pas eu lieu encore ? A cause, exclusivement, du fait que ses conditions économiques n'étaient pas encore mùres comme essaie de le démontrer PC à longueur de pages, ou bien du fait que ses préparatifs diplomatiques n'étaient pas encore réalisés. Comprenne qui pourra.

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