La crise du capitalisme d'Etat : l'économie mondiale s'enfonce dans le chaos

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"Victoire ! Victoire ! Le capitalisme a vaincu le communisme ! Regardez à l'Est, c'est la ruine, la pauvreté, plus rien ne fonctionne, la population ne veut plus du socialisme ! Regardez à l'Ouest, c'est l'opulence, l'inflation a été terrassée, la croissance économique dure depuis 7 ans, la démocra­tie libérale et pluraliste est le meilleur des systèmes ! Le marché a gagné ! Les capitales du monde occidental résonnent des cris euphoriques des chantres de l'économie capitaliste. L'effondrement économique du bloc de l'Est est le prétexte au déchaînement d'une campagne idéologique intense à la gloire du capitalisme libéral. Dans tout cela, deux vérités - l'économie du bloc de l'Est est en ruine et la loi du marché s'est imposée. Pour le reste ce ne sont que mensonges que la classe domi­nante entretien pour mener sa guerre idéologique contre le prolétariat et parce qu'elle-même s'illusionne sur son propre système.

Le plus grand des mensonges réside dans l'affirmation selon laquelle dans les pays du bloc de l'Est, et notamment en URSS, se serait incarné le communisme. De ce fait, le soi-disant "socialisme réel", selon le terme à la mode, serait l'enfer réel où mènerait la théorie marxiste. Ainsi, le prolétariat continue de payer les dividendes de l'échec tragique de la révolution prolétarienne qui avait com­mencé en Russie en 1917 : l'identification entre la contre-révolution stalinienne et la victoire du communisme est la pire mystification qu'il ait subie dans toute son histoire.

Une classe ouvrière affamée, exploitée de manière forcenée, massacrée au moindre signe de révolte. Une classe dominante arrogante - la nomenklatura -, cramponnée à ses privilèges. Un Etat tentaculaire, bureaucratique et militarisé. Une économie totalement orientée vers la production et l'entretien d'armements. Un impérialisme russe d'une brutalité extrême, imposant le pillage et le rationnement à son bloc. Tous ces traits caractéristiques des pays de l'Est n'ont pourtant rien à voir avec l'abolition des classes, le dépérissement et l'extinction de l'Etat, ni l'internationalisme prolétarien prônés par Marx.

Pourtant, même si la dictature stalinienne des pays de l'Est marque ces traits jusqu'à la caricature, ceux-ci ne sont certainement pas propres au stalinisme. Ils se retrouvent de manière de plus en plus accentuée dans le monde entier. Malgré ses spécificités - liées à son histoire - l'économie des pays de l'Est est capitaliste.

L'éclatement des blocs et la crise du capitalisme d'Etat

La Nomenklatura stalinienne parasitaire et représentant 15 % de la population se retrouve au lendemain de la deuxième guerre mondiale à la tête d'un bloc dont l'économie était soit détruite, soit sous-développée. Elle n'a pu affirmer sa puissance qu'en détournant la loi de la valeur, en trichant avec elle par l'imposition de mesures de capitalisme d'Etat extrêmes du fait de l'absence de l'ancienne bourgeoisie des propriétaires individuels des moyens de production qui a été expropriée par la révolution prolétarienne d'octobre 1917 : étatisation totale des moyens de productions, marché intérieur contrôlé et rationné, développement massif de l'économie de guerre et sacrifice de toute l'économie aux besoins de l'armée, seule garantie en dernière instance de la soumission de son bloc et de sa crédibilité impérialiste internationale. Incapable de recourir à la seule carte qui lui restait : la guerre, son armée entra­vée par le dysfonctionnement économique et devant faire face à une population dont la terreur policière ne parvenait plus à faire taire le mécontentement grandissant, la nou­velle bourgeoisie russe ne peut plus aujourd'hui que constater le délabrement de son économie et de son impuissance à faire face à la catastrophe.

L'effondrement économique du modèle stalinien ne signi­fie pas l'effondrement du socialisme mais un nouveau pas du capitalisme dans la crise mondiale qui dure depuis plus de 20 ans. Effectivement, la fameuse loi du marché, dont les vertus sont tant chantées, s'est imposée aujourd'hui, comme elle s'est imposée il y a 10 ans aux pays dits du "tiers-monde", les plongeant définitivement dans une misère et une  barbarie   - bien  capitaliste   celle-là,   personne   n'en doute - qui n'a rien à envier à celle qui règne dans les pays de l'Est.

On ne triche pas impunément avec la loi de la valeur, base du système économique capitaliste. Mais cette vérité, dont aujourd'hui les idéologues occidentaux se gargarisent, répétant à satiété : "Vive le marché ! Vive le marché !", s'impose aussi à l'ensemble de l'économie dite "libérale", en dehors du bloc de l'Est. Alors que la propagande occiden­tale, face à l'évidence de la faillite économique du bloc de l'Est, entonne le refrain connu : "A l'Ouest tout va bien !", la crise n'en continue pas moins son travail de sape, la fameuse loi du marché est toujours à l'oeuvre. Irrésistible­ment, malgré toutes les manipulations dont ils sont l'objet, les taux de croissance continuent partout leur baisse, annonçant une plongée encore plus profonde de l'économie mondiale dans la récession.

Loin d'annoncer des lendemains qui chantent pour le capitalisme, la banqueroute du bloc de l'Est, après celle du "tiers-monde", annonce les banqueroutes futures du capita­lisme dans ses pôles les plus développés. La première puissance mondiale : les USA, est en ligne de mire.

La première puissance mondiale, qui se pose comme le champion du libéralisme économique sur le plan idéolo­gique, n'a pas sur le plan pratique concrétisé son discours. Bien au contraire, l'intervention de l'Etat dans l'économie n'a cessé de s'intensifier depuis des décennies.

La tendance au capitalisme d'Etat ne se résume pas à sa caricature stalinienne, aux nationalisations et à l'abolition de la concurrence sur le marché intérieur. Le capitalisme d'Etat à l'américaine, intégrant le capital privé dans une structure étatique et sous son contrôle, le fameux modèle bien improprement appelé "libéral", est bien plus efficace, plus souple, plus adapté, avec un sens plus développé de la responsabilité de la gestion de l'économie nationale, plus mystificateur parce que plus masqué. Surtout, il contrôle une économie et un marché autrement plus puissants : le PNB global des pays de l'OCDE, avec environ 12 000 mil­liards de dollars, représente six fois le revenu national des pays du COMECON en 1987.

Avocats farouches du libéralisme à tout crin, du moins d'Etat, devant les tribunes médiatiques, Reagan et son équipe, dans les antichambres obscures du pouvoir d'Etat, vont faire mener une politique économique à l'inverse de leurs professions de foi. Mais ces politiques étatiques sont autant de distorsions de la loi de la valeur, de tricheries par rapport à la sacro-sainte loi du marché.

Par la très étatique politique des taux de la très étatique Banque Fédérale, les Etats-Unis vont imposer la loi du dollar - dans lequel sont libellés les trois-quarts des échanges mondiaux - au marché mondial. Pour la défense du roi dollar, la discipline est imposée aux grands pays industrialisés - concurrents économiques mais aussi vassaux du bloc occidental - au sein du groupe G7 qui réuni les pays les plus industrialisés. Des parts de marché sont négociées, réparties, échangées dans les discussions du GATT au mépris de toutes les règles de la concurrence. La fameuse dérégulation des marchés n'a été que l'expression de la volonté très étatique des USA d'imposer les normes de leur marché intérieur au monde entier. Des subventions de plu­sieurs centaines de milliards de dollars sont directement versées par l'Etat fédéral pour protéger l'agriculture en déroute et renflouer les banques et les caisses d'épargne en faillite, tandis que les commandes d'armement du Penta­gone sont une subvention déguisée à toute l'industrie américaine qui en est devenue de plus en plus dépendante.

La relance américaine, après la récession brutale du début de la décennie 1980 (qui a définitivement laissé les pays sous-développés sur le carreau), va se faire par un déficit budgétaire massif qui va servir à financer un effort de guerre sans précédent en période de paix et un déficit commercial record. Une telle politique n'a pu être permise que par un endettement pharamineux.

Ces politiques capitalistes d'Etat ont imposé des distor­sions croissantes aux mécanismes du marché, le rendant de plus en plus artificiel, instable, volatil. L'économie améri­caine flotte sur une montagne de dettes que, pas plus que n'importe quel pays sous-développé, elle ne pourra rem­bourser. La dette américaine globale (interne et externe) correspond à environ deux années de PNB, la dette externe du Mexique et du Brésil, dont aujourd'hui les banquiers du monde entier font tant cas (la dette interne n'a pas grand sens alors que les monnaies nationales se sont effondrées), correspond à respectivement neuf et six mois d'activité. La super-puissance américaine a des pieds d'argile et sa dette pèse de plus en plus lourd sur ses épaules. Même avec des formes différentes, le soi-disant marché libre du monde occidental - en fait l'essentiel du marché mondial - est tout aussi artificiel que celui du monde de l'Est, car artificielle­ment maintenu à flot par un recours aux planches à billets et à un endettement croissant, qui ne pourra jamais être remboursé.

Si elles ont permis de renforcer la suprématie impérialiste des USA, les commandes d'armement n'ont pas dopé l'industrie américaine. Bien au contraire. De 1980 à 1987, les parts du marché mondial dans trois secteurs clés de l'industrie :   machines-outils,   automobiles,   informatique-bureautique ont régressé respectivement de : 12,7 à 9 %, 11,5 à 9,4%, 31 à 22%.

La production d'armements ne sert à reproduire ni la force de travail ni de nouvelles machines. C'est de la richesse, du capital détruit, c'est une ponction improduc­tive qui pèse sur la compétitivité de l'économie nationale. Les deux têtes de bloc surgies du partage de Yalta ont toutes deux vu leur économie s'affaiblir, perdre de sa com­pétitivité par rapport à leurs propres alliés. C'est là le résultat des dépenses consenties au renforcement de leur puissance militaire, garante de leur position de leader impérialiste, condition ultime de leur puissance économique.

Avec l'effondrement économique des pays du COME­CON, l’épouvantail de l'impérialisme russe perd sa crédibi­lité et, du même coup, le bloc de l'Ouest perd son ciment essentiel.

Après des décennies de politique de capitalisme d'Etat menée sous la houlette des blocs impérialistes, le processus actuel de dissolution des alliances, qui avaient partagé la planète, constitue effectivement, d'un certain point de vue, une victoire du marché, une ré adéquation brutale des riva­lités impérialistes aux réalités économiques. Et, symboliquement, s'affirme l'impuissance des mesures de capita­lisme d'Etat à court-circuiter ad eternam les lois incontour­nable du marché capitaliste. Cet échec, au-delà même des limites étroites de l’ex-bloc russe, marque l'impuissance de la bourgeoisie mondiale à faire face à la crise de surpro­duction chronique, à la crise catastrophique du capital. Il montre l'inefficacité grandissante des mesures étatiques employées de manière de plus en plus massives, à l'échelle des blocs, depuis des décennies, et présentées depuis les années 1930 comme la panacée aux contradictions insur­montables du capitalisme, telles qu'elles s'expriment dans son marché.

La plongée des États-Unis dans la récession...

Alors que les idéologues rémunérés du capital s'extasient encore sur la victoire du "capitalisme de marché", et croient voir, à l'Est, le signe d'une nouvelle aurore pour un capita­lisme revigoré et triomphant, l'ouragan qui s'approche des rives de l'économie américaine va leur faire rentrer dans la gorge leurs phrases creuses sur le marché.

Le symbole du capitalisme triomphant, la terre sainte des croisés du libéralisme : l'économie américaine, bat de l'aile et entame les dernières manoeuvres improvisées d'un atter­rissage qui ne se fera pas en douceur.

Les USA perdent de leur crédibilité sur le marché finan­cier, les prêteurs se font de plus en plus réticents. Le simple paiement des intérêts de la dette fédérale prévu pour 1991, 180 milliards de dollars, équivaut à plus de six mois d'exportations. Les capitalistes européens et japonais, qui ont financé l'essentiel de la dette, commencent à bouder les émissions du Trésor américain dont les cours dégringolent. Ainsi, les emprunts à trente ans du Trésor américain se négocient-ils aujourd'hui 5 % au dessous de leur valeur nominale.

Privée de liquidités, l'économie américaine est en fait à court de carburant, et son industrie artificiellement proté­gée a perdu sa compétitivité sur le marché mondial. Le dernier trimestre 1989 est marqué par une plongée brutale dans la récession, la croissance officielle chute à 0,5 % en rythme annuel. Les fleurons de l'industrie américaine annoncent des bénéfices en chute libre et des pertes. Dans l'informatique, IBM annonce pour le 4e trimestre 1989 des bénéfices en baisse de 74 %, et pour toute l’année en baisse de 40 %, pour Digital Equipment c'est une baisse de 44 % pour l'année, Control Data annonce pour 1989 des pertes de 680 millions de dollars, 196 millions pour le dernier tri­mestre. Dans l'automobile il en va de même : Ford, Chrys­ler, General Motors annoncent des dizaines de milliers de licenciements. La production de pétrole est à son plus bas niveau depuis 26 ans. La sidérurgie est au plus mal. Les entreprises les plus faibles accumulent les pertes et font faillite.

Wall Street est de plus en plus instable et, depuis octobre, a perdu 300 points accumulant les alertes. Les ténors de la bourse américaine suivent leurs collègues industriels et licencient à tour de bras : Merryl Lynch, Drexel-Burnham, Shearson-Lehman, etc. La perspective de réduction du défi­cit budgétaire angoisse les industriels confrontés à la baisse des commande de l'Etat : 1 milliard de dollars de réduction du budget d'armement équivaut à 30 000 licenciements. Avec le développement du chômage massif se rétrécit tou­jours plus le marché solvable.

Faute d'acheteurs, le marché immobilier s'effondre après des années de spéculation effrénée. La dévalorisation brutale du parc immobilier dévalorise tout l'avoir du capital américain. De même que les centaines de caisses d'épargne qui font faillite ont vu la valeur de leurs placements fondre comme neige au soleil avec l'effondrement de la spécula­tion immobilière, les spéculateurs internationaux qui, à coups d'OPA financées à crédit, ont constitué des empires industriels, voient la valeur de leur patrimoine se volatiliser et se retrouvent incapables de faire face aux échéances de leur dette.

La panique commence à gagner les grandes banques. Alors que la question de la dette impayée des pays pauvres ne peut être résolue, elles sont aujourd'hui confrontées à la solvabilité déclinante de l'économie américaine. Le pourcentage des crédits immobiliers à problèmes, par rapport aux fonds propres des banques, a progressé de 8 % à 15 % en un an dans le Nord-Est industriel. Les prêts, qui ont financé les OPA et la spéculation boursière, deviennent inconsistants avec les péripéties de Wall Street. Ainsi la faillite d'un seul spéculateur, Robert Campeau, laisse une ardoise dont l'estimation varie de 2 à 7 milliards de dollars. La banque d'affaire Drexel-Burnham annonce des pertes de 40 millions de dollars et se déclare en faillite. Les indus­triels confrontés au marasme du marché ont de plus en plus de mal à rembourser leurs emprunts et les 200 milliards de dollars de "junk-bonds" (littéralement "obligations pourries", en fait des obligations à risque mais au fort taux rémunérateur... tant que tout va bien) en circulation voient leur cours s'effondrer.

Les grandes banques, porte-drapeaux du capitalisme amé­ricain, accumulent en conséquence les pertes : 1,2 milliards de dollars pour J.P. Morgan, 665 millions de dollars pour la Chase Manhattan, 518 pour Manufacturers Hanover. Et le pire reste à venir : l'accélération de la dégradation s'étant produite au dernier trimestre 89, ses effets vont aller en s'accentuant. Avec cette nouvelle plongée dans la récession, le marché américain est en train de perdre sa solvabilité, non seulement sur le plan national, mais aussi et surtout sur le plan international. Le dollar est gagé sur la puissance de l'économie américaine et la dynamique d'effondrement du marché américain contient la perspective d'effondrement du dollar. Le système financier international est devenu un immense château de cartes qui tremble de plus en plus fortement sous le souffle asthmatique de l'économie US. La fameuse politique des taux se révèle impuissante à entraver la progression de l'inflation et à empêcher renfoncement dans la récession.

...annonce un nouvel effondrement de l'économie mondiale

Avec le ralentissement de l'économie américaine s'annonce un enfoncement encore plus profond de l'économie mondiale dans la récession. Si l'effondrement économique des pays de l'Est n'a eu qu'un très faible impact sur le marché mondial - depuis des décennies ces marchés étaient fermés et les échanges avec le reste du monde très faibles - il ne peut en être de même avec l'économie américaine. Même si depuis la fin de la seconde guerre mondiale, sa part de marché a chuté de 30 % à 16 %, et même si sa compétitivité n'a cessé de se dégrader, l'économie américaine reste la première du monde et son marché de loin le plus important.

Les exportations du Japon et des pays industrialisés d'Europe dépendent du marché américain. L"'empire du Soleil levant" écoule 34 % de ses exportations aux USA. Il est le plus dépendant du marché américain. En 1989 son excédent commercial, en contrecoup des difficultés améri­caines, a chuté de 17 %. Par conséquent la récession aux USA, l'insolvabilité grandissante de l'économie américaine, signifient une fermeture aux importations en provenance des autres pays et, par conséquent, une chute parallèle de la production mondiale. Dans cette spirale de la catastrophe capitaliste, c'est l'ensemble de l'économie planétaire qui est en train de sombrer dans le chaos. La pagaille invraisemblable qui est en train de submerger le monde, et qui rend difficile et délicat tout pronostic détaillé quant à la forme exacte à travers laquelle l'accélération de la crise va se manifester, montre au moins une chose : l'illusion de rela­tive stabilité, que le capital avait réussi à maintenir sur le plan économique dans ses métropoles les plus développées durant les années 1980, a vécue.

L'ensemble des mécanismes dits de régulation du marche commence à se gripper. Les Etats tentent de huiler les rouages mais les remèdes sont de plus en plus inefficaces.

 

Les banquiers voient avec effroi leurs bilans s'incliner vers des gouffres sans fond, tandis que les "goldens boys" de Wall-Street, héros du libéralisme reaganien, se retrouvent aujourd'hui en prison ou au chômage. Les grandes places boursières sont inquiètes, elles ont eu des malaises à répé­tition, le 13 octobre 1989, puis le 2 janvier pour commencer l'année 1990, et le 24 janvier pour confirmer ces sinistres auspices. Chaque fois, les Etats ont inondé le marché de liquidités pour enrayer la panique, mais jusqu'à quand cette politique du coup par coup, de l'improvisation acrobatique pourra-t-elle être maintenue ?

Fait significatif de l'inquiétude qui gagne le monde des spéculateurs, le 2 janvier ce n'est pas Wall-Street qui a cra­qué en premier, c'est la bourse de Tokyo, devenue première place boursière mondiale et qui s'était fait jusque là remar­quer par sa solidité et sa stabilité. Le compte-à-rebours est commencé qui annonce les craquements et les effondre­ments futurs.

De nouveaux marches illusoires

Pourtant, malgré ces sombres perspectives, les idéologues du capital n'en continuent pas moins à célébrer le fameux marché. Et, alors que le marché mondial se rétrécit une nouvelle fois drastiquement, avec l'affaissement de l'économie américaine, ils cherchent désespérément de nouvelles oasis capables d'étancher la soif de débouchés d'une industrie dont les moyens de production se sont énormément développés, avec les investissements de ces dernières années. Ils ne trouvent que de nouveaux mirages pour perpétuer l'illusion :

-  le marché japonais qui, depuis des années, doit s'ouvrir, mais qui reste désespérément fermé car sa propre industrie l'occupe pleinement et ne laisse guère de place aux expor­tateurs étranger ;

-  le marché des pays de l'Est qui vient de s'ouvrir plus lar­gement à l'Occident, mais qui est ruiné par des décennies de pillages et d'aberration bureaucratique staliniennes et qui, pour importer, devra faire massivement appel aux cré­dits des pays occidentaux ;

-  la future "unification" européenne qui en 1992 doit insti­tuer le plus grand marché unique du monde, perspective hypothétique rendue encore plus lointaine par l'instabilité mondiale qui se développe et qui, de toutes façons, est déjà un marché occupé, même s'il est morcelé.

Pour tous ces marchés le problème reste le même : par rapport à leur capacité solvable, ils sont déjà amplement saturés. Une relance dans ces régions ne pourrait se faire qu'à crédit, en faisant marcher la planche à billets. C'est exactement la politique économique menée par les USA depuis des années. On voit où elle mène !

La situation financière mondiale n'incite pas les investis­seurs à octroyer de nouveaux crédits qui, pour l'essentiel, ne pourront pas plus être remboursés que les anciens. Il est significatif qu'au-delà des déclarations d'intention d'aide aux pays de l'Est, les crédits occidentaux se soient faits plus que parcimonieux. L'économie mondiale a atteint un seuil. La politique qui consistait, pour forcer les exportations, à prêter en même temps l'argent destiné à les financer, se révèle de moins en moins possible et de plus en plus dange­reuse. Les remèdes de cheval de l'économie libérale appli­qués aux pays de l'Est, avec l'ouverture de leur marché, signifie d'abord :

 

-  une inflation galopante, 900 % en Pologne ; des prix de denrées de première nécessité qui doublent en Hongrie ;

-  la fermeture des usines insuffisamment compétitives, la majorité, et par conséquent, le développement d'un chô­mage massif, inconnu jusque là dans ces pays.

L'Eldorado mythique du capitalisme occidental qui a fait rêver des générations de prolétaires à l'Est, est devenu le cauchemar quotidien d'une dégradation insupportable des conditions de vie. Pas plus que les pays sous-développés n'ont pu se défaire de la misère ou ils se sont effondrés à la fin des années 1970, les pays de l’ex-bloc de l'Est ne sorti­ront demain de la catastrophe économique dans laquelle ils s'enfoncent toujours plus. Pas plus que les recettes du capitalisme d'Etat stalinien, les recettes du capitalisme d'Etat libéral ne pourront être efficaces.

Qui pourrait financer une relance destinée à atténuer le contrecoup de l'enlisement de l'économie américaine ? Toujours optimiste, la bourgeoisie mondiale répond : "Mais l'Allemagne et le Japon ! Voyons !". Ces pays ont en effet montré ces dernières années une santé insolente, battant des records à l'exportation, hyper compétitifs sur les mar­chés déchirés par la concurrence, menant une politique monétaire plus rigoureuse que leur mentor américain.

Cependant, toutes les économies de ces pays ne peuvent suffire à maintenir à flot l'économie mondiale. A eux deux, en 1987, ils ne représentaient que les trois-quarts du PNB américain. L'essentiel de leurs avoirs est immobilisé en bons du Trésor américain, en actions et en réserves libel­lées en dollars, qui ne peuvent être réalisés sans semer la panique sur les marchés. La "relance" au Japon sur un mar­ché national surprotégé ne peut servir qu'à l'industrie japonaise, mais aura une incidence négligeable sur le mar­ché mondial. Quant à la "relance" allemande, on a un avant-goût de ce qu'elle signifie avec le projet d'unification monétaire, prélude à la réunification des deux Allemagnes. D'abord nul ne peut estimer son coût : les différentes hypothèses varient de quelques dizaines de milliards de deutschemark à plusieurs centaines. L'incertitude règne, mais l'attrait d'une "Grande Allemagne" a poussé la RFA à desserrer le cordon de sa bourse, à mettre en fait à profit une politique de relance pour financer sa réunification. Comme pour le Japon, charité bien ordonnée commence par soi-même.

L'impact d'une telle relance ne peut, en conséquence, qu'être limité sur le plan international. L'abandon de la politique de rigueur monétaire de l'Allemagne, tant citée comme exemple jusqu'alors, sème l'inquiétude dans le monde de la finance effrayé par ce saut vers l'inconnu. Par contrecoup, les marchés européens sont déstabilisés, les taux d'intérêt, face à la peur qu'une telle politique ait pour résultat premier de relancer l'inflation, flambent à Franc­fort et à Paris, mettant à mal les marchés spéculatifs: bourses, MATIF. Les investisseurs japonais hésitent, le "Serpent monétaire" européen est mis à mal. Le choix alle­mand de l'Allemagne de l'Ouest mécontente les autres pays de l'Occident, notamment européens qui voient leur échap­per l'escarcelle sur laquelle ils comptaient pour sauver leur propre économie.

La RFA n'a pas les moyens de financer à la fois l'absorption de la RDA et une mini relance en Europe de l'Ouest. La Communauté européenne est mal en point et le marché unique de 1992 de plus en plus lointain, impro­bable, à un moment où les effets conjugués de l'accélération de la crise et de la désagrégation de la disci­pline des blocs pousse chaque puissance capitaliste dans une concurrence acharnée où domine le "chacun pour soi" et où les tentations protectionnistes se font chaque jour plus fortes.

Loin d'être, comme l'affirmaient les propagandistes médiatisés du capital, une victoire du capitalisme et l'aurore d'un nouveau développement, l'effondrement économique du bloc de l'Est a été le signe annonciateur d'un nouvel enfoncement de l'économie mondiale dans la crise. Liées par leur destin paradoxal, les deux grandes puissances dominantes, qui se sont partagées le monde à Yalta, som­brent aujourd'hui sous les coups de boutoir de la crise capitaliste. De l'est à l'Ouest, du Nord au Sud, la crise éco­nomique est mondiale et si l'effondrement du bloc de l'Est a été plus un facteur de déboussolement que de clarification pour le prolétariat mondial, l'enfoncement significatif de l'économie mondiale, à la suite de la récession américaine, dans une crise toujours plus aiguë et dramatique, va donner l'occasion de remettre les pendules à l'heure. Le franchis­sement du fatidique degré 0 de la croissance aux USA vient inéluctablement affaiblir les axes de la propagande occidentale.

Les prévisions marxistes sur la crise catastrophique du capitalisme trouvent aujourd'hui une concrétisation qui ne va cesser de prendre de l'ampleur. Catastrophe de l'économie planétaire qui plonge des fractions de plus en plus larges de la population mondiale dans une misère insondable. Anarchie croissante des marchés capitalistes qui traduit l'impuissance de toutes les mesures capitalistes d'Etat. Les métropoles développées sont à leur tour en train de sombrer : inflation, récession, chômage qui se redéploie massivement, paralysie du fonctionnement de l'Etat bureaucratique, décomposition des rapports sociaux.

Les lois aveugles du marché, celles des contradictions insurmontables du capitalisme, sont à l'oeuvre.- Elles mènent l'humanité dans la barbarie, la décomposition à l'image de la machine capitaliste devenue folle. Une nou­velle vague d'attaques contre la classe ouvrière, plus sévère que jamais commence : niveau de vie rongé par l'inflation galopante, licenciements massifs, mesures d'austérité de toutes sortes. Partout c'est la même politique de misère pour la classe ouvrière qui est appliquée. Les modèles s'écroulent devant la réalité des faits, ceux qui prétendaient défendre les intérêts de la classe ouvrière comme les autres. Non seulement le modèle stalinien, mais aussi, maintenant, le "socialisme à la suédoise" avec le gouvernement social-démocrate qui annonce le blocage des salaires et propose l'interdiction du droit de grève. La dégradation s'accélère et, plus que jamais, le capitalisme, sous toutes ses formes, montre l'impasse et la destruction dans lesquelles il mène l'espèce humaine. Plus que jamais est posée la nécessité de la révolution communiste, seul moyen de mettre fin à la loi du marché, c'est-à-dire la loi du capital.

JJ. 15 février 1990.

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