Les attaques frontales annoncent l'unification des luttes ouvrières

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Les formidables combats de classe qui se sont déroulés en Belgique en avril-mai dernier -les plus im­portants depuis ceux de Pologne 80, depuis la fin des années 60 en Europe occidentale sont venus démontrer de façon éclatante toute la vanité des discours bourgeois sur le "réalisme de la classe ou­vrière face à la crise", sa "compréhension de la nécessité de faire des sacrifices" et autres sornettes destinées à démoraliser les ouvriers, à les empêcher de voir la force qu'ils représentent face au ca­pitalisme lorsqu'ils luttent et s'unissent. Ces combats ont mis en évidence que la bourgeoisie n'a pas les mains libres pour asséner aux ouvriers les coups de plus en plus brutaux que lui dicte 1'effondre­ ment croissant de son économie. Et cela non seulement en Belgique, mais dans l'ensemble des pays d'Eu­rope occidentale qui se trouvent d'ores et déjà -ou ne tarderont pas à se trouver- dans une situation similaire à celle de ce pays. Mais ce mouvement a démontré plus encore. De même que celui du secteur public en septembre 1983 dans cette même Belgique avait donné le signal d'un renouveau magistral des luttes ouvrières dans les principales métropoles capitalistes - après le recul général qui avait accom­pagné la défaite de 1981 du prolétariat en Pologne- les combats du printemps 86 font la preuve que la lutte du prolétariat mondial est entrée dans une nouvelle phase de son développement. Alors qu'en 1985 la bourgeoisie des pays centraux avait réussi à émietter les manifestations de combativité, qu'avec une politique de découpage dans le temps et dans l'espace de ses attaques, elle était parvenue à disperser les ripostes ouvrières, les luttes massives du prolétariat en Belgique ont mis en évidence les limites d'une telle politique. En effet, l'approche d'une nouvelle récession bien plus considérable encore que celle de 1982-83 (voir 1'article "L'impasse" dans ce numéro de la Revue) oblige la bourgeoisie à renon­cer de plus en plus à des attaques dispersées et la contraint à des attaques massives et frontales. Face à celles-ci, les luttes ouvrières, à l'image de celles de Belgique, en avril-mai 86, prendront à leur tour de façon croissante un caractère massif et tendront à l'unification par delà les divisions catégorielles et  régionales.

Voilà ce qui constitue l'axe de l'analyse dévelop­pée déjà dans l'article "De la dispersion, vers l'unification" dans le précédent n° de notre Revue ainsi que de la résolution adoptée par notre organi­sation en juin 86 et que nous publions dans ce n°. Depuis que cette résolution a été adoptée, la situa­tion est venue clairement confirmer cette analyse. Si la période des vacances a été peu propice au dé­ploiement de grands mouvements de la classe ouvrière, par contre, elle a été l'occasion pour la bourgeoisie d'un grand nombre de pays de déchaîner des attaques anti-ouvrières d'une brutalité et d'une ampleur sans précédent. Qu'on en juge...

DES ATTAQUES SANS PRECEDENT

C'est dans un pays réputé pour son haut niveau de vie et de "protection" sociale -les Pays-Bas- qu'on été portées les attaques les plus spectaculaires du­rant cet été. Avec quelques mois de décalage par rapport à la Belgique voisine, la bourgeoisie a dé­cidé des mesures tout à fait comparables à celles qui, dans ce dernier pays, étaient à l'origine des grands mouvements du printemps. Dès sa mise en pla­ce, le 14 juillet, le gouvernement de centre droit issu des élections du 21 mai, a annoncé la nécessité de réduire de façon drastique les dépenses budgétai­res pour l'année 87 : ce sont au moins 12 milliards de florins qui devront être économisés (l'équivalent de 360 dollars par habitant !). Le gouvernement a annoncé que si l'année 87 serait "dure", cela irait mieux par la suite et que le niveau des revenus de 90 retrouverait celui de 86. On sait ce que valent ce genre de promesses. En attendant, les mesures prévues se passent de commentaires :

-   suppression de 40 000 emplois dans les services publics de l'Etat (sur un total de 170 000) et plus de 100 000 parmi les fonctionnaires régionaux et mu­nicipaux ;

-   instauration d'une "auto-contribution" pour les soins de santé (par exemple, la 1ère journée d'un séjour à l'hôpital ne sera pas remboursée) ;

-  augmentation de 5% de la contribution à la sécu­rité sociale, ce qui correspond à une baisse de 2% des salaires ;

-  réduction de 25% de la masse totale des subven­tions pour le logement social (ce qui affecte en priorité les chômeurs et les ouvriers les plus pau­vres) ;

-  réduction de 41 000 à 30 000 par an du nombre des logements construits par l'Etat (dans un pays qui souffre d'une crise du logement permanente) : cette mesure, avec la précédente, aboutira à la sup­pression de 30 000 emplois dans le bâtiment ;

-  réduction massive des allocations chômage (alors qu'il était versé 85% du salaire pendant 6 mois, 70% pendant 18 mois et 60% par la suite, l'indemnité passera à 60% dès le début) ;

-  mise au travail obligatoire pour un salaire de misère des chômeurs de moins de 25 ans (un bon moyen de faire baisser à bon compte les chiffres du chô­mage) ;

-  dans le secteur privé, limitation à 1,3% des hausses de salaires alors que l'inflation était de 2,5% en 85 et qu'elle va encore s'accélérer ;

-  dans ce même secteur, réduction à 37 heures et demi de la semaine de travail sans aucune compensa­tion salariale.

Au total, ces mesures représentent une baisse des revenus de 10% pour la classe ouvrière et une aug­mentation de 15% du nombre des chômeurs. Ce sont tous les secteurs de la classe ouvrière (secteur privé, secteur public, chômeurs), toutes les compo­santes du revenu ouvrier (salaire nominal, salaire "social") qui, à l'image de la Belgique, sont bru­talement attaqués.

Bien que sous une forme moins spectaculaire, ce type de mesures a déferlé ces derniers mois sur les ouvriers de nombreux autres pays :

-  réduction des effectifs de la fonction publique en Espagne et en France (30 000 pour 87 dans ce pays) ;

-  suppression massive d'emplois dans les entrepri­ses publiques (50 000 dans l'INI en Espagne, 20 000 à la régie Renault et 9000 dans les chemins de fer en France) ;

-  poursuite et intensification des fermetures d'u­sines et des licenciements dans les secteurs "fai­bles" tels que la sidérurgie (10 000 suppressions d'emplois en RFA, 5000 en Espagne, 3000 en France, fermeture des aciéries de USX dans 7 Etats aux USA), la construction navale (10 000 suppressions d'em­plois en RFA, 5000 en Espagne, fermeture de 3 sites de la Normed en France, soit 6000 emplois), les charbonnages (8000 suppressions d'emplois dans la Ruhr en RFA, par exemple) ;

-  blocage ou baisse des salaires (gel des traite­ments de la fonction publique et des pensions vieil­lesse en France, nombreuses baisses de salaires aux USA, etc.) ;

-  accroissement des charges sociales (amputation de 0,7% des salaires pour les cotisations vieil­lesse et prélèvement de 0,4% sur tous les revenus en France, mesures similaires en Espagne, etc.) ;

-  démantèlement de la "couverture sociale" (nou­velle réduction de la liste des médicaments rembour­sés et suppression du remboursement à 100% des dé­penses de santé par les mutuelles en France, mesu­res du même type encore plus brutales dans la plu­part des entreprises aux USA) ;

-  réductions de l'indemnisation du chômage (par exemple, suppression des primes particulières pour la nourriture, les vêtements et le logement en Gran­de-Bretagne).

La liste pourrait s'allonger beaucoup plus sans pour cela rendre compte de façon complète de la ter­rible attaque subie à l'heure actuelle par la classe ouvrière dans tous les pays. Et ce n'est pas fini : si de telles attaques peuvent permettre à chaque bourgeoisie nationale de ne pas être étouffée par ses concurrentes dans la guerre commerciale que tou­tes se livrent, elles ne peuvent en aucune façon em­pêcher l'effondrement global de l'économie mondiale et elles seront nécessairement suivies de nouvelles attaques encore plus brutales, massives et fronta­les : le pire est encore devant nous.

LA LUTTE DE CLASSE

Annoncées pour la plupart durant la période des va­cances, ces mesures anti-ouvrières n'ont pas encore provoqué de réponses significatives dans les grandes concentrations d'Europe occidentale. Mais il ne faut pas s'y tromper : le mécontentement est partout ex­plosif et il l'est d'autant plus que la sournoiserie de ces attaques portées dans le dos des ouvriers au moment où ils ne pouvaient se défendre n'a fait qu'accroître leur colère. D'ailleurs, la bourgeoisie sait à quoi s'en tenir : partout, elle a confié à sa gauche et à ses syndicats le soin de miner le terrain. Dans tous les pays on assiste à un même phénomène : les syndicats adoptent un langage de plus en plus "radical", "extrémiste" même. En Suède, par exemple, la centrale LO, pourtant contrôlée par le parti social-démocrate actuellement au gouverne­ment, surprend par le ton de ses discours d'une "combativité" et d'une "intransigeance" jamais vues. En France, c'est la CGT, contrôlée par le PC,qui aujourd'hui tient un langage, organise des actions qu'elle aurait dénoncés comme "gauchistes" et "irresponsables" il y a peu de temps encore : elle claironne que "seule la lutte paie"; elle appelle "partout à des ripostes massives et unitaires" con­tre les "mauvais coups" du gouvernement ; elle dé­nonce avec vigueur la politique du précédent gouver­nement (qu'elle a pourtant soutenu pendant 3 ans) ; elle ne craint pas d'organisé des actions illéga­les (comme le blocage des trains et des autoroutes) ou violentes (affrontements contre la police). Si partout les syndicats durcissent ainsi le ton c'est ([1]) pour une raison très simple : il faut qu'ils prennent les devants afin de ne pas être débordés par les mouvements qui se préparent et d'être capables de les saboter, de les diviser.

Mais si, en Europe occidentale, c'est essentielle­ment à travers les manoeuvres bourgeoises qu'on peut juger des potentialités de lutte, dans la première puissance mondiale -les USA- c'est la classe elle-même qui est venu faire la preuve de sa combativi­té et de sa prise de conscience du besoin d'unité. En effet, dans un pays où le battage sur les "suc­cès" économiques du libéralisme reaganien, sur la "reprise" etc. a été assourdissant, il n'y a pas eu de vacances pour la lutte de classe :

-  dans le secteur du téléphone, grève de 155 000 ouvriers à ATT en juin durant 26 jours, de 66 000 ouvriers d'autres compagnies en août ;

-  dans la sidérurgie, grève à la LTV (2ème produc­teur US) en juillet, 22 000 ouvriers en grève à USX le 1er août (premier mouvement depuis 1959) ;

-  plusieurs autres mouvements dans les transports aériens, dans les usines de papier (7 500 ouvriers), dans l'industrie alimentaire (usines Hormel dans le Minnesota, Watsonville en Californie) ;

-  dans le secteur public, en juillet-août, grève de 32 000 employés communaux à Philadelphie et Dé­troit (deux très grandes métropoles industrielles de l'Est) notamment dans les secteurs des trans­ports, de la santé et chez les éboueurs.

Dans ces deux dernières grèves, les actes de soli­darité se multiplient parmi les ouvriers et déjouent en partie les manoeuvres de division organisées de concert par la direction et les syndicats (signatu­re d'accords séparés pour chaque catégorie d'ou­vriers). Et si à Philadelphie, les menaces de licen­ciements proférées par les tribunaux viennent fina­lement à bout, après 3 semaines de grève, de la com­bativité et de la solidarité, celles-ci sont suffisamment fortes dès le début à Détroit pour empêcher la bourgeoisie de recourir à de telles menaces et pour l'obliger à renoncer à un de ses objectifs majeurs : faire dépendre les augmentations de salaires pour les 3 prochaines années de la "santé financiè­re" de la municipalité.

Dans un pays où la bourgeoisie s'est toujours dis­tinguée par la brutalité et le cynisme de son atti­tude face à la classe ouvrière (qu'on se souvienne du licenciement de 12 000 aiguilleurs du ciel en août 81, par exemple) son recul face aux grévistes de Détroit constitue une nouvelle illustration de la résolution publiée plus bas :

"(Les luttes)   "paient" et   ... elles   "paient" d'au­tant plus qu'elles sont menées à une grande échelle, de façon unie et solidaire... plus la bourgeoisie s'affrontera à  une classe ouvrière forte et plus elle sera contrainte d'atténuer et reporter les at­taques qu'elle se propose de mener"..

Ce que démontrent en fin de compte les luttes ou­vrières aux USA, de même que l'extrême tension exis­tant en Europe occidentale, c'est que l'heure n'est pas aux lamentations sur "la passivité de la classe ouvrière", son "embrigadement derrière les syndi­cats", lamentations dans lesquelles se complaisent encore nombre de groupes révolutionnaires. Dans la période qui vient, le prolétariat va livrer des com­bats d'une importance considérable ce qui va placer de plus en plus les organisations révolutionnaires devant leurs responsabilités : soit elles seront partie prenante de ces combats afin de les impulser, ce qui suppose qu'elles soient conscientes de leur enjeu et du rôle qu'elles doivent y jouer, soit el­les seront balayées impitoyablement par l'histoire.

FM. 7 septembre 86



[1] Cette affirmation ne saurait être contredite par le fait,  qu'après un recul  temporaire face aux grèves du printemps,  le gouvernement belge a finalement décidé de maintenir 1'intégralité des coupes budgétaires projetées : ce qui est ici démontré c'est 1 'habileté de la bourgeoisie dont le gouverne­ment a annoncé les mesures peu de temps avant les, vacances9afin de pouvoir les confirmer durant cet­te période après la retombée de la mobilisation ouvrière,   c'est la capacité que conservent les syn­dicats à saboter l'unité ouvrière,  c'est la nécessité, par suite, pour les ouvriers,  non seulement de les huer comme ce fut le cas en Belgique mais aussi de se confronter à eux,   de ne pas leur lais­ser l'initiative,   de pousser toujours plus avant la recherche de l'unification et,   ce faisant,   de prendre eux-mêmes en main leur lutte par leur auto-organisation.

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