Milieu politique : le développement d'un milieu révolutionnaire en Inde

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Après la crise qui a traversé le milieu révolutionnaire au début des années 80 ([1]), l'avant-garde politique du prolétariat montre à nouveau des signes d'une force nouvelle. L'une de ses expressions les plus évidentes est l'apparition d'un certain nombre de groupes évoluant vers une cohérence communiste. Quelques  exemples   :

-    en Belgique, l'apparition de RAIA ([2]) dans un processus de rupture avec l'anarchisme ; en Autriche, l'apparition d'un cercle de camarades qui ont rompu avec Kommunistische Politik à cause de son académisme et  qui  évolue vers des positions révolutionnaires plus conséquentes   ;

-    en Argentine, le développement de groupes comme Emancipacion Obrera et Militancia Clasista Revolucionaria, qui semblent proches du Groupe Communiste Internationaliste (GCI), mais ont également eu des contacts  avec d'autres  groupes   ([3])   ;

-  au Mexique, le développement du Colectivo Comunista Alptraum et la publication du premier numéro de sa  revue  Comunismo  ([4]).

Un des développements  les plus importants est peut  être celui  qui  est  en  train d'avoir  lieu en  Inde. Le  but   de  cet   article  est  de présenter,   à  grands  traits,   les  origines  et   la  trajectoire  du milieu  là-bas,   en   se   basant   sur  ses  publications,   la   correspondance  et   sur  un   récent   voyage  d'une  délégation  du CCI en  Inde.

LE SURGISSEMENT DE REVOLUTIONNAIRES A LA PERIPHERIE DU CAPITALISME

Avant de parler des groupes spécifiques du milieu in­dien, il est nécessaire de faire quelques remarques sur le fait que la majorité de ces nouveaux groupes est apparue dans des pays périphériques du capitalisme. Dans le prochain numéro de la Revue Internationale, nous critiquerons la position du Bureau International pour le Parti Révolutionnaire (BIPR) qui défend que dans ces régions où les institutions démocratiques et Syndicales ont moins d'emprise sur la vie sociale, les conditions pour un développement "massif" des or­ganisations communistes sont "meilleures". Le GCI exprime le même genre de préférence "exotique" quand il dénonce sans cesse ce qu'il appelle le "soi-disant milieu révolutionnaire" qui ignorerait l'appari­tion de révolutionnaires à la périphérie (une contre-vérité flagrante comme on le verra par le contenu même de cet article).

Le surgissement de groupes révolutionnaires en Inde et en Amérique Latine est certainement l'expression de la portée internationale de la présente reprise de la lutte de classe et confirme - à rencontre de toutes les théories gauchistes sur la nécessité de révolutions!"démocratiques" dans les pays "dominés"- l'unité des tâches communistes auxquelles doit s'affronter le pro­létariat. Mais cela ne prouve pas que la conscience communiste soit plus profonde ou plus étendue dans la périphérie que dans les métropoles et que, en consé­quence (bien que ceci ne soit pas toujours clairement conclu)  la  révolution  y  soit  plus à  portée de  main.

Pour commencer, nous devons nous rappeler que le point de vue du BIPR ou d'autres est déformé par l'incapacité à distinguer entre l'apparition d'authen­tiques groupes révolutionnaires et la "radicalisation" des groupes gauchistes, comme sa malheureuse allian­ce avec le Parti Communiste d'Iran et Revolutionary Proletanan Platform (RPP) d'Inde l'a montré. Deuxiè­mement, cette version revue et corrigée de la théorie du "maillon le plus faible" de Lénine, se base sur un empirisme très étroit qui se fixe sur les faits immédiats et n'arrive pas à situer l'émergence de ces groupes dans le contexte historique de la reprise gé­nérale de la lutte de classe qui a commencé en 1968, et qui constitue l'arrière-plan des différentes vagues de luttes caractérisant cette période. Une fois qu'on a saisi ce contexte, il apparaît clairement que ces groupes surgissent dix à vingt ans plus tard que ceux des métropoles -la plupart de ceux-ci étant sortis de la première vague de combats de classe en 1968-74. Et, troisièmement, s'il y a un important aspect de spontanéité dans l'apparition d'éléments à la re­cherche de positions de classe, nous ne devrions pas avoir à dire à des groupes comme le BIPR que cette spontanéité est insuffisante, qu'il y aurait peu de chances pour que ces groupes trouvent une cohé­rence communiste solide s'il n'y avait pas l'interven­tion des groupes d'Europe occidentale qui ont un rap­port plus direct avec les traditions de la Gauche com­muniste. Il apparaîtra clairement à travers cet article que, plus les groupes en Inde se sont ouverts au milieu politique international, plus ils ont été capables de développer pleinement une pratique communiste.

Il est extrêmement dangereux de sous-estimer les difficultés et problèmes auxquels sont confrontés les révolutionnaires  dans   les  pays  sous-développés:

-      problèmes "physiques" posés par l'isolement géographique par rapport au principal coeur du mouve­ment prolétarien; les barrières linguistiques (y compris l'analphabétisme) ; la pauvreté matérielle ; des choses que les révolutionnaires à l'ouest considèrent comme acquises aujourd'hui en tant qu'outils de leur interven­tion - machines à écrire, téléphone, ronéos, voitures, etc.- sont bien moins accessibles aux groupes dans des pays comme l'Inde ;

-  profonds problèmes politiques créés précisément par la domination ouverte de l'impérialisme et l'absence de normes "démocratiques" qui rend la classe ouvrière de ces pays plus vulnérable en dernière analyse à la mythologie de la "libération nationale", de la "démo­cratisation", etc. Ceci rend à son tour encore plus difficile le combat des révolutionnaires de ces pays contre ces illusions, à la fois dans la classe et dans leurs propres rangs ;

- absence d'une tradition historique de la Gauche communiste dans la plupart de ces pays ; prédominan­ce de déformations gauchistes, en particulier le stalinisme maoïsme, qui est capable de se parer de couleurs très "radicales" dans ces régions. Oublier toutes ces difficultés n'aidera pas l'évolution des camarades qui commencent un travail révolution­naire malgré ces problèmes et contre eux. Il ne faut pas non plus sous-estimer le poids mort des idéologies plus traditionnelles dans ces pays : en Inde, par exem­ple, il est extrêmement difficile que des femmes participent au mouvement révolutionnaire.

EN INDE : LE DIFFICILE PROCESSUS DE RUPTURE AVEC LE GAUCHISME COMMUNIST INTERNATIONALIST

"Une organisation révolutionnaire est toujours in­dispensable, même dans une période de très grande défaite de la classe. Bien sûr, le rôle et l'im­pact changeants d'une organisation révolutionnaire dans une période de défaite de la classe ou de développement de la lutte de classe., ne peuvent être compris qu'avec les concepts de fraction et de parti. Aujourd'hui dans une période de crise mondiale accélérée et d'effondrement du capital et de révoltes de classe croissantes, tendant vers la confrontation avec l'Etat et s'ouvrant vers la révolution, le rôle des révolutionnaires devient de plus en plus important et décisif. Il est d'ap­peler au regroupement international des révolu­tionnaires et à la formation du parti révolution­naire." (Lettre du Cercle de Faridabad au CCI, 11 janvier  1985).

La plupart des éléments qui constituent le milieu pro­létarien en Inde, viennent .d'une rupture plus ou moins claire avec le gauchisme radical, facilitée par l'inter­vention directe des groupes du milieu international, en particulier le CCI et le BIPR. Mais comme le CCI l'a toujours souligné, l'avenir d'un groupe qui surgit de cette façon dépend en grande partie de la clarté de cette rupture, du degré de conscience atteint par les éléments impliqués en ce qui concerne leur prove­nance et combien ils ont à avancer. Le groupe en Inde qui a fait la rupture la plus complète avec le gauchisme est celui qui, par ses positions et son attitude politique, est le plus proche du CCI : Communist Internationalist (CI).

Comme nous l'avons écrit dans la Revue Internatio­nale n° 42, un certain nombre de camarades de CI étaient auparavant impliqués dans la politique gauchis­te radicale, et, plus récemment, dans Faridabad Workers News, journal militant et syndicaliste dans un important centre industriel près de Delhi.

En Inde, comme dans beaucoup de pays sous-développés, les syndicats se conduisent habituellement d'une façon si ouvertement anti-ouvrière (corruption, tabassage des ouvriers combatifs, etc.) que les ouvriers leur sont souvent profondément hostiles, tout comme vis-à-vis des partis de gauche auxquels ils sont liés (PC d'Inde, PCM d'Inde, etc.). Une anecdote pour l'il­lustrer : voyageant en train de Delhi au Bengale occi­dental, les camarades du CCI et de CI, sont entrés en discussion avec des cheminots qui les avaient invi­tés dans leur wagon de travail ; après quelques minutes de conversation générale, et sans que le CCI et CI n'aient poussé dans ce sens, ces ouvriers (qui avaient participé à la grande grève des chemins de fer en 1974) ont commencé à dire que tous les partis de gauche étaient bourgeois, tous les syndicats des voleurs, et que seule la révolution pourrait changer les choses pour les ouvriers. De telles attitudes, qui sont assez répandues en Inde aujourd'hui, ne veulent pas dire que la révolution est imminente, car les ouvriers ont de grandes difficultés à voir comment transformer leurs désillusions en une lutte active contre le capital. Mais elles indiquent l'étendue de" l'antipathie ouvrière envers les syndicats et les par­tis de gauche. Ceci explique toute l'importance en Inde des formes très radicales de gauchisme qui sont tout à fait capables de dénoncer les syndicats et la gauche comme agents de la bourgeoisie -afin d'en­fermer les ouvriers dans une variété plus extrême de la même chose. A Faridabad même, il y a eu toute une série de luttes durant lesquelles, après la mise à nu de la réelle fonction d'un appareil parti/syndicat un autre, au langage plus à gauche, est intervenu pour combler la brèche. Le cercle de Faridabad a fait de nombreux tournants avant d'arriver au moment où le Faridabad Workers Group était sur le point de former un syndicat ultra-radical dans certaines usines; Mais la lecture des publications du CCI sur la ques­tion syndicale lui a permis de se sortir de ce cercle vicieux. Et puisque cela s'est doublé d'un processus de clarification sur la question nationale, qui est une question de vie ou de mort pour un groupe proléta­rien qui surgit à la périphérie, les camarades ont su s'orienter sur le difficile chemin de la rupture avec leur passé gauchiste.

A partir de l'effondrement du Faridabad Workers Group, un cercle de discussion a été formé qui s'est rapidement trouvé d'accord avec ce qu'il comprenait des positions et des analyses du CCI. Les camarades ont reconnu que la discussion n'était pas suffisante ni assez homogène avec le CCI pour envisager la possibilité d'une intégration rapide dans le courant ; mais la nécessité d'intervenir dans la lutte de classe, de défendre les positions révolutionnaires, a poussé les camarades à se former en un groupe qui, tout en étant encore engagé dans la clarification des positions et analyses fondamentales, puisse inter­venir en publiant une revue, des tracts, etc. Ainsi naquit Communist Internationalist.

Dans les discussions avec CI, nous avons exprimé notre soutien à la décision d'évoluer du cercle de discussion au groupe politique, tout en soulignant que la priorité pour les camarades est l'approfondissement théorique et l'homogénéisation, ce qui veut dire que l'ensemble du groupe doit prendre connaissance, non seulement des positions du CCI, mais de l'histoire du mouvement ouvrier et des positions des autres groupes du milieu révolutionnaire. Mais dans la période ac­tuelle, les révolutionnaires ne peuvent rester silen­cieux même quand leur compréhension des positions de classe n'en est qu'au stade initial. CI continuera donc à intervenir avec des tracts, une présence dans les importants moments de la lutte de classe ; il maintiendra la publication de Communist Internatio­nalist en hindi et afin de rendre son travail plus accessible à la fois envers le milieu en Inde (où l'an­glais est une langue plus répandue que l'hindi) et sur­tout le milieu international, il publiera un supplément en anglais à CI.

La perspective pour CI est l'intégration dans le milieu révolutionnaire. CI et le CCI sont pleinement cons­cients des problèmes qu'un tel processus contient.

Pour qu'ait lieu un regroupement solide et qu'il dure, c'est tout un travail organisationnel et politique qu'il faut réaliser. Il faut affronter les incompréhensions et les divergences existantes. Il n'y a rien de prédestiner ou d'automatique dans un tel processus. Mais nous sommes confiants que la con­vergence croissante de CI avec les positions du CCI, et en particulier concernant la nature du gauchisme, le milieu politique prolétarien et les dangers qui le guettent, fournit une base ferme et sure pour que le groupe achève sa rupture d'avec le passé gauchiste, et assume les énormes responsabilités qu'il porte en Inde et  internationalement.

Comme c'est souvent le cas, le pas qu'a fait le cer­cle de Faridabad en formant CI, ne l'a pas été sans prix : la scission d'un camarade qui avait joué un rôle déterminant dans la rupture' initiale avec le gau­chisme et qui, du coup, a formé de son côté un petit cercle. Les raisons de cette scission ont été pendant longtemps obscurcies par des questions "personnelles", mais à partir de ses interventions dans la situation qui avaient pour but d'apaiser les tensions d'une scis­sion injustifiée ou, au moins, de faire ressortir les divergences réelles, le CCI considère maintenant que la question essentielle était la suivante : CI, avec toutes ses faiblesses et son immaturité, a compris qu'il ne pouvait rien faire sans un cadre collectif pour homogénéiser le groupe, et qu'il devait commen­cer au minimum à assumer des tâches d'intervention politique dans la classe. Les conceptions du camarade scissionniste, par contre, exprimaient une plus grande difficulté à rompre avec des attitudes gauchistes. Son argument selon lequel CI n'était pas un groupe politique parce qu'il n'y avait pas d'homogénéité suf­fisante en son sein, se basait en réalité, d'un côté sur un élitisme gauchiste classique qui juge individuel­lement les camarades comme étant fixés pour tou­jours à un niveau plus ou moins grand de compréhen­sion, et ne voit pas comment la conscience peut avancer à travers un processus de discussion collec­tive ; et, de l'autre, comme c'est souvent Je cas avec des camarades en réaction à un passé dans l'activisme gauchiste, sur une approche académique qui ne saisit pas les rapports entre l'approfondissement théorique et l'intervention pratique. Ceci s'est exprimé, par exem­ple, par une tendance à se fixer sur la théorie de la décadence de Rosa Luxemburg, sans en voir les impli­cations militantes pour les révolutionnaires aujour­d'hui.

L'académisme apparaît de nos jours comme un aspect du poids de l'idéologie conseilliste, de la sous-estimation de la nécessité d'une organisation de combat politique dans la classe. Si CI avait suivi les orien­tation du camarade scissionniste, il aurait indéfiniment | repoussé son travail d'intervention. Nous regrettons cette évolution car ces camarades auraient pu faire une importante contribution au travail de CI. Mais nous pensons que ces camarades vont devoir passer par un processus d'échecs amers avant de pouvoir comprendre l'erreur qu'ils font.

Ce n'est pas par hasard que la question du travail Collectif a été si centrale dans cette scission. Nous considérons que CI, par son évolution vers une con­ception conséquente de l'organisation, l'intervention et le milieu politique, va jouer un rôle clé au sein de ce milieu, grâce à la défense non seulement des posi­tions communistes, mais aussi par son approche globa­le du processus de discussion et de clarification. Ceci s'est exprimé après plusieurs jours de dis­cussion avec la délégation du CCI, par l'un des cama­rades de CI qui pendant des années a été impliqué dans des groupes maoïstes. Pour lui, l'une des preuves les plus évidentes qu'il n'y a pas de terrain commun quel qu'il soit entre le gauchisme et la politique révo­lutionnaire était justement le contraste total entre les "discussions" bidon qui ont lieu dans un groupe gau­chiste, basées sur la vieille division bourgeoise du tra­vail entre ceux qui pensent et ceux qui font, et l'ef­fort de clarification réellement collectif, où tous les camarades doivent prendre position et développer leurs capacités politiques et organisationnelles dans le contexte de responsabilités centralisées et clairement définies. La défense de cette vision de l'organisation contre le point de vue hiérarchique hérité du gauchis­me ainsi que les névroses anti-organisationnelles du conseillisme, sera une tâche primordiale des groupes révolutionnaires en Inde.

LAL PATAKA

Le CCI est peut-être le pôle international de référen­ce le plus clair pour les révolutionnaires, mais il n'est pas le seul. Depuis l'effondrement du PCI (Programme Communiste), le BIPR dont les positions tendent à être à mi-chemin entre le CCI et le bordiguisme a développé une présence internationale, d'une façon ce­pendant très marquée par l'opportunisme ([5]).

En Inde, à peu près en même temps que se formait CI, une scission avait lieu dans le groupe gauchiste radical Revolutionary Proletanan Platform (RPP) qui avait été critiqué à la fois par les positions du CCI et du BIPR. Le camarade responsable de la publication du journal bengali du RPP, Lal Pataka (Drapeau Rou­ge), était expulsé de l'organisation après avoir appelé le RPP à se restructurer conformément aux positions fondamentales du BIPR.

Avant de décrire les discussions entre le CCI et Lal Pataka, nous voulons rappeler notre position sur le RPP.

Quand nous avons reçu pour la première fois les pu­blications en anglais du RPP, nous n'étions pas entiè­rement clairs sur le fait de savoir si c'était  une ten­tative de rompre avec le gauchisme, ou bien un autre groupe stalinien radical comme le PC  d'Iran. Ces in­certitudes ont persisté dans l'article sur le milieu en Inde dans World Révolution n°77 qui, tout en étant plus clair sur la nature bourgeoise du RPP, fait enco­re certaines concessions à la notion de "mouvement d'éloignement du gauchisme" de  la part de ce groupe. Mais en s'appuyant sur nos propres discussions internes sur l'opportunisme et le centrisme([6]) et en ayant une meilleure connaissance de l'histoire et des positions du RPP (en grande partie due au travail des camarades de CI), nous avons pu juger plus clairement ce grou­pe. Comme le dit la résolution du 6ème Congrès du CCI sur l'opportunisme : ".le passage collectif d'un organisme politique déjà structuré ou en for­mation dans les partis existant ne peut obligatoi­rement se  produire que dans un sens unique : des partis du prolétariat à la bourgeoisie et jamais dans le sens contraire : des partis bourgeois au prolétariat." (Revue Internationale n° M, p. 17)

En effet, un bref survol de la préhistoire du RPP montre clairement que ce groupe a toujours été un "organisme politique déjà structuré" de la bourgeoisie. Au début de la 2ème guerre mondiale s'est formé le Parti Socialiste Révolutionnaire (RSP) d'Inde, en rup­ture avec le Parti Communiste d'Inde, mais pas du tout sur une base prolétarienne : au contraire, la poli­tique du RSP était de se battre pour la "libération nationale" de l'Inde en s'alliant avec les ennemis de la Grande-Bretagne, l'impérialisme allemand et japo­nais. L'intégration ouverte du RSP dans des gouverne­ments de gauche de l'Inde "indépendante" a mené à une scission en 1969, faisant naître le RSPI (ML) qui se caractérisait par certaines positions apparemment radicales (dénonciation de la Chine, de la Russie, des PC, et même des syndicats comme capitalistes), mais qui n'a jamais critiqué les origines nationalistes du RSP. Le RPP s'est formé au début des années 80 à partir d'une scission dans le RSPI (ML), non pour dé­fendre des positions de classe, mais en réaction aux "déviations ultra-gauchistes" du RSPI (ML) (pour citer le RPP lui-même dans Proletanan Emancipation, dé­cembre 85). Le RPP se définit en particulier depuis le début comme un loyal défenseur des syndicats en tant qu'organisations de base des ouvriers et ne s'est jamais éloigné de là : de façon significative, la ques­tion syndicale était au coeur de la scission avec Lal Pataka. Le RPP n'a pas mis en question non plus le passé nationaliste du groupe ni le dogme du "droit des nations à disposer d'elles-mêmes". Toute la trajectoire du RPP et de ses ancêtres exprime donc des moments de la radicalisation du gauchisme, mais jamais une rupture qualitative avec son point de départ bourgeois.

La rencontre du RPP avec des groupes du camp prolé­tarien ne l'a pas dévié de sa trajectoire. Si le BIPR, répétant les erreurs déjà faites avec les gauchistes iraniens, a persisté, en se rapportant au RPP comme s'il était un groupe prolétarien confus, le RPP lui-même est, d'une certaine façon, plus conscient du fait qu'il n'a rien à voir avec le mouvement commu­niste. Malgré les protestations du BIPR comme quoi le RPP ne doit pas le confondre avec le CCI, le RPP a maintenant dénoncé publiquement les deux organisa­tions comme "anarchistes petites-bourgeoises" et s'est identifié au niveau international avec le PC d'Iran et les "ex"-maoistes américains de l'organisation Pour un Parti Ouvrier Marxiste-Léniniste. De plus, le tableau décrit dans la Revue Communiste n°3 du BIPR de la désintégration du RPP sous l'impact des positions du Bureau, semble complètement fausse. C'est vrai que Lai Pataka (qui, de façon significative, existait avant de rejoindre le RPP et a toujours eu une certaine autonomie) est parti pour défendre des positions proléta­riennes, mais ce départ n'a pas eu pour résultat l'ef­fondrement du RPP qui, dans la mesure de ce que nous croyons savoir, a encore plusieurs centaines de membres et une certaine implantation dans l'appareil syndical (une autre petite scission qui a eu lieu en même temps que celle de Lal Pataka s'est faite sur une base entièrement gauchiste, puisque ces éléments veulent défendre la position du PC d'Iran sur la "ré­volution démocratique" et s'opposent ouvertement aux positions de la Gauche communiste, comme on l'a dé­couvert en les rencontrant).

Dans nos discussions avec Lal Pataka, il est devenu clair qu'il était déjà au delà de la position du BIPR et de sa propre position précédemment exprimée dans le dernier texte de Lal Pataka au sein du RPP (publié dans la Revue Communiste n°3) où il appelait le RPP à adopter la plate-forme du BIPR. Nous avons souli­gné l'ambiguïté de ce texte et du fait que ce n'est pas Lal Pataka qui a quitté lui-même formellement le RPP, mais qu'il a été "suspendu" sur la base de différentes accusations organisationnelles inventées de toutes pièces. Nous avons insisté sur la nécessité d'une prise de position claire dans le prochain numéro du journal, dénonçant le RPP comme gauchiste (com­me il  le caractérise maintenant) et expliquant la rupture avec lui. Nous avons argumenté que le nom du journal devait changer afin de montrer cette totale rupture de continuité.

L'une des conséquences positives des discussions avec Lal Pataka  s'exprime dans une  lettre écrite au  CCI  :

"Nous préparons une déclaration sur les positions actuelles de Lal Pataka au Bengale qui définira clairement notre rupture totale avec le gauchisme ; nous n'avons pas d'hésitation sur le fait que ce qui reste du RPP est un groupe capitaliste de gau­che. ..Bien qu'il soit un groupe éclectique en transition politique, le RPP a eu au moins un as­pect positif dans son attitude quand il a déclaré faire un projet de plate-forme qui... pouvait être changé de façon adéquate et amélioré à travers des discussions et 1'analyse des conditions matériel­les objectives qui prévalent en Inde et à 1'échel­le mondiale...Cependant en réalité, la majorité du Comité central du RPP a refusé de confronter les implications politiques et organisationnelle de l'accomplissement d'une rupture avec la contre-révolution... Aussi ce qui reste du RPP n'est qu'une fraction de la gauche capitaliste dont 1'inévitable résultat est 1'éclatement de l'orga­nisation elle-même. Lal Pataka reste dans sa pré­histoire, 1'histoire du capitalisme de gauche". (28 décembre  1985).

Dans notre réponse à Lal Pataka, nous avons salué l'intention de publier une prise de position définissant le RPP comme un "groupe capitaliste de gauche". D'un autre côté, comme nous le soulignons dans notre réponse, les formulations de Lal Pataka contiennent un certain nombre de confusions '."Quand vous dites: 'Bien qu'il soit un groupe éclectique en transi­tion politique, le RPP a eu au moins un aspect  po­sitif  dans son attitude', etc. Vous évitez la question de la nature bourgeoise de ce groupe dès le début. Le RPP n'a pas commencé son existence comme une rupture, même confuse, même éclectique du gauchisme. En tant que groupe gauchiste bien structuré avec une certaine implantation dans l'appareil syndical, il ne pouvait, par défini­tion, être 'en  évolution' vers autre chose que vers une forme de gauchisme plus radical". "En parlant de 'ce qui reste du RPP',vous donnez 1'impression que ce n'est que maintenant que le RPP peut être clairement défini comme gauchiste. En fait, après votre départ, ce n'est pas 'ce qui reste du RPP', mais le RPP."(4 février 1986).

 Néanmoins, cette discussion a été fructueuse parce qu'elle pose une question vitale à tout le mouvement révolutionnaire : la nécessité d'une méthode cohérente pour appréhender les rapports et les distinctions entre organisations bourgeoises et prolétariennes. Les discussions entre Lal Pataka, CI et le CCI ont eu lieu dans une atmosphère fraternelle. Nous avons été capables de parler de façon constructive sur la Confé­rence proposée des éléments révolutionnaires qui sur­gissent, dans la préparation de laquelle Lal Pataka a joué un rôle galvaniseur. Nous pensons que ces dis­cussions indiquent la possibilité de surmonter le secta­risme, de confronter les divergences dans un contexte de solidarité fondamentale de classe. Pas un instant, nous n'atténuons notre critique de l'opportunisme et du confusionnisme quand ils apparaissent dans le camp prolétarien ; mais nous ne devons pas non plus oublier l'unité d'intérêts sous-jacente entre les différents composants du mouvement révolutionnaire, parce qu'à la racine cette unité exprime l'indivisibilité des inté­rêts du prolétariat comme un tout.

MA3DOOR MUKTI

Au travers de Lal Pataka, nous sommes entrés en contact avec un autre groupe : Majdoor Mukti (Emancipation ouvrière), qui est apparu récemment de ma­nière plutôt "spontanée", rompant avec le milieu gau­chiste, essentiellement sur la question du parti et de la conscience de classe. Dans un environnement politi­que dominé par la version gauchiste du point de vue "léniniste" sur l'organisation, il est vraiment significa­tif qu'un groupe apparaisse avec, dans ses déclarations de principes, des positions telles que : "Contre les tentatives de remplacer le rôle de la classe  ou­vrière dans sa propre émancipation par différentes sortes de soi-disant agents libérateurs, les com­munistes doivent défendre de manière claire que l'émancipation de la classe ouvrière ou la  cons­truction du socialisme sont impossibles sans l'ac­tivité consciente des masses prolétariennes ." Ou encore :

"Contre l’usurpation et la monopolisation du pou­voir politique par de soi-disant partis communis­tes et désignant ce pouvoir comme pouvoir proléta­rien, les communistes doivent carrément déclarer que le pouvoir du parti ne peut jamais être syno­nyme du pouvoir ouvrier. .".

En fait, parmi les sept principes de base élaborés dans la déclaration, au moins cinq sont des critiques des conceptions substutionnistes. Bien que cela ex­prime une saine préoccupation du besoin d'auto-organisation ouvrière, c'est encore un déséquilibre qui dé­montre -dans un pays sans tradition conseilliste- l'im­mense pression du conseillisme aujourd'hui sur le mou­vement prolétarien. De plus, les fixations conseillâtes ne représentent pas un barrage contre le gauchisme, au contraire. A partir, de la déclaration du groupe et de nos discussions avec eux, il est clair que le groupe ne voit pas les frontières de classe entre le gauchisme et le mouvement prolétarien, une difficulté renforcée par ses confusions entre le substitutionnisme (une er­reur au sein du camp prolétarien) et la nature anti-prolétarienne de la gauche capitaliste ; bien qu'il in­siste sur le fait que "le socialisme n'a pas encore été réalisé dans une partie du monde quelle qu'el­le soit" , il hésite à définir la Russie, la Chine, etc. comme des Etats capitalistes ; et en n'ayant pas une claire conception de la décadence, il reste extrême­ment flou sur la nature des syndicats, du réformisme, etc.

Pour toutes ces raisons et d'autres encore, il est évi­dent que la rupture du groupe avec le gauchisme est loin d'être complète. Mais nous' pourrions difficilement attendre plus d'un groupe qui initialement est apparu sans référence directe aux forces communistes exis­tantes. Ce qui nous permet d'espérer que ce groupe rejette ses influences gauchistes et conseillâtes, c'est sa confiance dans les capacités révolutionnaires de la classe ouvrière ; son rejet du nationalisme et son in­sistance sur les tâches internationales du prolétariat, sa défense du besoin d'organisation "communiste et d'un parti communiste, pour intervenir activement dans toutes les luttes de la classe ; et ce qui n'est pas le moindre, son attitude ouverte, sa volonté de discuter avec et d'apprendre des groupes révolution­naires.

CONFERENCES DES REVOLUTIONNAIRES

L'émergence de ces groupes en Inde exprime un réel développement dans l'avant-garde du prolétariat. Il est absolument essentiel que les relations entre les diffé­rents composants du milieu soient établies sur une ba­se organisée et sérieuse pour permettre la nécessaire confrontation des idées, pour permettre la coopération et la solidarité pratiques. Aussi, nous soutenons de tout coeur la proposition de Lal Pataka d'organiser une conférence pour ces éléments qui apparaissent.

Cependant dans l'incapacité d'assister à cette premiè­re rencontre, le CCI tient à marquer sa présence po­litique  en  envoyant  une  déclaration  à la conférence :

-    soulignant l'importance de la conférence en la si­tuant dans la période actuelle. d'accélération de la crise et de la lutte de classe ;

-    soutenant le choix du thème central : "les fonde­ments et les implications de la décadence capitaliste", car une compréhension de la décadence est indispensa­ble à l'élaboration des frontières de classe qui sépa­rent le prolétariat de la bourgeoisie. En même temps, nous avons souligné la nécessité d'éviter les débats académiques et d'appliquer le concept de décadence aux développements présents de la réalité et aux tâ­ches qui en résultent pour les révolutionnaires (en conjonction avec CI, le CCI a soumis à la conférence trois de ses textes déjà publiés sur la théorie des cri­ses, la lutte prolétarienne dans la décadence et la si­tuation internationale présente) ;

-    appelant la conférence à adopter des critères pour une future participation suffisamment "large" pour la garder ouverte aux éléments prolétariens qui émergent mais suffisamment "étroite" pour exclure les gauchis­tes radicaux ;

-    insistant sur le besoin pour la conférence de ne pas rester muette mais de prendre position au travers de résolutions communes, pour définir clairement les points d'accord et de désaccord ;

-    défendant le besoin pour la conférence de s'ouvrir au milieu révolutionnaire international, particulière­ment en publiant ses résultats en anglais ;

-   en pointant le lien entre cette conférence et la né­cessité d'un cadre international pour le débat entre révolutionnaires. Comme la déclaration le pose : "Bien que les Conférences de 1976-80 aient échoué sous le poids du sectarisme dominant dans le mi­ lieu, nous pensons que la résurgence de la lutte de classe et l'apparition de nouveaux groupes ré­volutionnaires dans de nombreux pays (Inde, Autri­che, Mexique, Argentine, etc.) vient encore con­firmer la nécessité d'un cadre international de discussion et d'activité au sein du milieu prolé­tarien. Même si un nouveau cycle de conférences internationales n'est pas encore une possibilité immédiate, la réunion en Inde, en brisant la frag­mentation et le sectarisme, peut jouer son rôle dans le développement de nouvelles et fructueuses conférences à l'échelle internationale dans le fu­tur".

Le développement du mouvement révolutionnaire en Inde peut donc être un facteur de vitalité dans l'en­semble du milieu international. C'est une confirmation de la promesse profondément contenue dans la période actuelle, un encouragement aux révolutionnaires par­tout, une claire indication du besoin pour les organisa­tions révolutionnaires' des pays centraux d'assumer leurs responsabilités internationales. Pour sa part, le CCI n'a pas de doute sur le fait qu'il doit faire tout son possible pour soutenir et stimuler le travail de nos camarades de la "section en Inde" du mouvement prolétarien mondial.

MU.



[1] Voir la Revue Internationale n° 32.

[2] RAIA : BP 1724 1000 BRUXELLES  1

[3] Lire "Le Communiste" n°  23.

[4] Voir la   Revue Internationale n° 44.

[5] Voir Revue. Internationale n° 43, p. 17 : "Discussion : opportunisme et centrisme dans la classe ouvrière et ses organisations", et n° 44 : "Résolution adoptée sur l'opportunisme et le centrisme dans la période de décadence" (p. 16) et résolution rejetée sur "Le centrisme et les organisations politiques du prolétariat"  (p. 18).

[6] Voir Revue. Internationale n° 43, p. 17 : "Discussion : opportunisme et centrisme dans la classe ouvrière et ses organisations", et n° 44 : "Résolution adoptée sur l'opportunisme et le centrisme dans la période de décadence" (p. 16) et résolution rejetée sur "Le centrisme et les organisations politiques du prolétariat"  (p.18).

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