Débat avec Battaglia Comunista sur les thèses de son 5ème congrès

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COURS HISTORIQUE: LES ANNEES 80 NE SONT PAS LES ANNEES 30

Savoir dans quel sens se dessine 1'histoire, vers où  va  la société : allons-nous  vers  une nouvelle guer­re mondiale ? Allons-nous, au contraire, vers des affrontements  de  classe qui poseront la question  de la révolution prolétarienne ?

C'est là une question de base, fondamentale, pour quiconque prétend jouer un rôle actif et conscient dans la lutte de classe.

C'est pourquoi, lors de ses congrès, une organisation politique prolétarienne consacre toujours une bonne partie de ses travaux  à l'analyse de la situation mondiale, cherchant à cerner le mieux possible quelle est la dynamique générale du rapport de force  entre les classes.

Battaglia Comunista (Parti Communiste Internationaliste), a tenu au début  de novembre 82 son 5ème Congrès et vient  de  rendre publics ses travaux dans le n°7 de sa revue Prometeo de juin 1983. La question y est abordée même si c'est en partie pour affirmer qu'on ne peut pas répondre à ce genre de questions

B.C a affirmé dans un texte récent (distribué à la réunion publique du CCI à Naples, en juillet 83) qu'il  considère les thèses du dit congrès comme une contribution au débat dans le milieu révolutionnai­re et  qu'elles"attendent  encore d'être discutées dans leur substance politique". Nous ne pouvons discuter ici de toutes les questions abordées par le congrès de B.C ("crise et impérialisme", "tactique d'interven­tion du parti révolutionnaire la "phase de transition  du capitalisme au communisme") sous peine de res­ter sommaires. Nous nous tiendrons, dans cet  article, à la  question  du cours historique actuel et à ce qui s'en  dégage au travers  des thèses  du  congrès  de  B.C.

PEUT-ON ALLER EN MEME TEMPS VERS LA GUERRE MONDIALE ET VERS LA REVOLUTION ?

A la question de savoir quelle est la perspecti­ve actuelle pour la lutte de classe, Battaglia ré­pond que tout ce qu'on   peut dire pour le moment c'est que ce sera peut-être la guerre, peut-être la révolution, peut-être les deux. Il n'y a, d'a­près B.C, aucun élément sérieux qui permette d'af­firmer que l'une de ces issues soit plus probable que les autres. Voici un exemple de comment elle formule cette idée.

"L'effondrement  général  de  1'économie se traduit de façon  immédiate par 1'alternative : guerre ou révolution. Mais la guerre elle-même en marquant un virage en soi catastrophique dans la crise du capitalisme et un brusque bouleversement dans les échafaudages superstructures du système, ouvre les possibilités de1'effondrement de ceux-ci  et donc 1'ouverture, au sein-même de la guerre, d'une situation  révolutionnaire et de la possibilité d'affirmation du parti  communiste. Les facteurs qui déterminent 1'éclatement social, au sein duquel le parti  trouvera les conditions de sa croissance ra­pide et de son affirmation, que ce soit dans la pé­riode qui précède  le conflit, pendant  le conflit  ou immédiatement après celui-ci, ne sont pas quantifiables. On ne peut donc pas déterminer a priori à quel moment  un  tel  éclatement aura  lieu (exemple polo­nais). " Tactique d'intervention du parti révolu­tionnaire/ Prometeo, juin 83.

B.C part d'une idée de base juste et importante: il n'y a pas de "troisième issue". L'alternative est guerre ou révolution et il n'y a aucune possi­bilité pour le capitalisme de reprendre désormais un nouveau développement économique dans la paix. C'est important, entre autres, face au flot d'il­lusions "pacifistes" que la bourgeoisie déverse sur le prolétariat des pays industrialisés. Mais, le moins qu'on puisse dire c'est que c'est insuf­fisant comme détermination d'une perspective.

Battaglia dit : "Les  facteurs qui  déterminent 1'éclatement  social (...) ne sont pas quantifiables. On ne peut  donc pas déterminer a priori  à quel moment  un  tel  éclatement aura  lieu".

Mais, ce dont il s'agit ce n'est pas de déter­miner le jour et l'heure d'une éventuelle révolu­tion prolétarienne, mais plus simplement et plus sérieusement de savoir si la bourgeoisie mondiale dispose des moyens de conduire le prolétariat des pays industrialisés à une troisième guerre mondia­le ou bien si, au contraire, non embrigadée et poussée par la crise, la classe ouvrière se prépa­re à des affrontements qui poseront la question de la révolution communiste mondiale.

En disant que la situation révolutionnaire peut se produire avant, pendant ou après une prochaine guerre, Battaglia s'avoue incapable de se pronon­cer sur la perspective historique actuelle.

B.C justifie cette incapacité en disant que la situation de crise économique peut conduire simul­tanément à l'une ou à l'autre issue historique.

Il y aurait en quelque sorte deux tendances paral­lèles et ayant des chances égales de se concrétiser l'une corme l'autre. Il est vrai que du point de vue objectif, la crise économique exacerbe simultanément les antagonismes d'intérêt entre les classes sociales et les antagonismes entre puissances capitalistes rivales. Mais l'aboutissement de l'un ou l'autre de ces an­tagonismes dépend en dernière instance d'un seul et même facteur: la conscience et la pratique du pro­létariat.

C'est la même classe, la classe exploitée, qui, soit s'affirme comme protagoniste de la révolution, soit, disloquée, sert de chair à canon et de producteur des moyens matériels de la guerre im­périaliste.

L'état d'esprit, la conscience d'une classe, prête à bouleverser 1'ordre social capitaliste et à bâtir une nouvelle société est radicalement différent de celui qui caractérise des ouvriers atomi­sés, brisés, "solidaires" de leur classe dominante au point d'accepter de s'entretuer sur les champs ide bataille au nom de"leurs" patries respectives. Marcher avec des drapeaux rouges vers la construc­tion d'une humanité unifiée, ce n'est pas la même chose que marcher en rangs par quatre derrière un drapeau national pour égorger les prolétaires du ploc impérialiste adverse. La classe ouvrière ne peut pas partager en même temps ces deux états d'esprit qui s'excluent totalement.

C'est là une évidence que certainement Battaglia accepterait sans réticences. Mais ce qu'elle sem­ble ignorer c'est que les processus qui conduisent à l'une ou l'autre de ces situations s'excluent tout autant.

Le processus qui conduit vers 1'issue révolution­naire est caractérisé par un dégagement croissant du prolétariat de l'emprise de l'idéologie domi­nante et un développement de sa conscience et de sa combativité ; celui qui conduit vers la guerre, à l'inverse, se traduit par une adhésion croissante des ouvriers aux valeurs capitalistes ( et à leurs représentants politiques et syndicaux ) et par une combativité qui, soit tend quasiment à disparaître, soit ne s'exprime que dans une perspective politi­que totalement contrôlée par la bourgeoisie.

Ce sont là deux processus bien différents, anta­goniques, s'excluant aussi l'un l'autre.

Quiconque analyse l'histoire en sachant voir le rôle de protagoniste central du prolétariat, sait que la marche vers la guerre ne peut pas être la même que la marche vers des situations révolution­naires.

Affirmer que les deux processus peuvent se dérou­ler simultanément sans que l'on puisse déterminer quelle tendance tend à l'emporter, c'est tout sim­plement raisonner en mettant entre parenthèses, en faisant abstraction de la classe révolutionnaire, de sa conscience et de sa combativité.

COMMENT RECONNAITRE LE COURS VERS LA GUERRE ?

Battaglia clame aujourd'hui être le seul héritier authentique des acquis de la Fraction de la Gauche Italienne pendant l'entre deux guerres. Mais un des mérites principaux de ce dernier courant,qui a tra­versé sur un terrain de classe la période noire de la contre-révolution triomphante,n'est autre que sa capacité à avoir reconnu lucidement le recul de la révolution dès les années 20 et l'ouverture d'un cours vers la guerre dans les années 30. S'il a été capable de voir dans la guerre d'Espagne et dans les grèves de 36 en France non pas "le début de la révolution en Europe", comme un Trotski pou­vait le croire, mais des moments qui s'inscrivaient déjà dans une marche vers la guerre mondiale, c'est parce qu'il avait su raisonner en termes de cours historique et replacer les événements parti­culiers immédiats dans la dynamique globale du rap­port de forces entre classes au niveau historique et mondial. Il suffit de se pencher sur l'histoi­re des périodes qui ont précédé les deux guerres mondiales pour voir à quel point ces événements majeurs n'ont pas éclaté comme des éclairs dans un ciel bleu, mais furent le résultat d'un proces­sus de préparation au cours duquel la conscience du prolétariat fut systématiquement détruite par la bourgeoisie jusqu'à permettre l'embrigadement des prolétaires.

La Gauche Communiste de France, en 1945, en re­prenant la méthode qui fut celle de la Gauche Ita­lienne donna un remarquable résumé de ce que fut ce processus de préparation à la guerre :

"C'est l'arrêt de la lutte de classe, ou plus exactement la destruction  de  la puissance de  clas­se  du prolétariat, la   destruction de sa conscien­ce, la. déviation de ses  luttes  que  la  bourgeoisie parvient à opérer par l'entremise de  ses  agents dans le prolétariat, envidant ses luttes de leur contenu  révolutionnaire, en les engageant sur les, rails du  réformisme et du nationalisme, qui est  la condition ultime  et  décisive  de  1'éclatement de la guerre impérialiste.

Ceci doit être compris non  d'un  point de vue étroit et  limité  d'un secteur  national  isolé, mais internationalement.

Ainsi, la reprise partielle, la recrudescence de  luttes et de mouvements de  grèves constaté  en 1913 en Russie ne diminue en rien  notre  affirma­tion. A regarder les choses de plus près, nous verrons que  la puissance du prolétariat interna­tional à la veille de 1914, les victoires électo­rales, les  grands partis sociaux-démocrates et les organisations syndicales de masse, gloire et  fier­té de la Deuxième Internationale, n'est aient qu'une apparence, une façade  cachant sous son vernis le profond délabrement idéologique. Le mouvement ou­vrier, miné et pourri par 1'opportunisme  régnant en maître devait s'écrouler comme  un château de cartes devant  le premier souffle de guerre.

La réalité ne se traduit pas dans la photo chro­nologique des événements. Pour la comprendre, il faut  saisir le mouvement sous-jacent, interne, les modifications profondes qui se sont produites avant qu'elles n'apparaissent à la surface  et soient enregistrées par des dates.

On commettrait une  grave erreur  en voulant res­ter  fidèle à 1'ordre  chronologique de 1'histoi­re  et présenter  la guerre  de 1914 comme la cause de 1'effondrement de la 2ème Internationale quand. en réalité, l'éclatement de la guerre  fut directement conditionné par la dégénérescence opportuniste préala­ble du mouvement  ouvrier international. Les fan­faronnades  de  la phrase internationaliste se  fai­saient sentir d'autant plus extérieurement  qu'in­térieurement triomphait  et dominait la tendance nationaliste. La guerre de 1914 n'a fait que met­tre en évidence, au grand jour, 1'embourgeoisement des partis de la 2ème Internationale, la substi­tution de leur programme révolutionnaire initial, par l'idéologie de l'ennemi de classe, leur ratta­chement aux intérêts  de  la  bourgeoisie nationale.

Ce processus interne de destruction de la cons­cience de classe a manifesté son achèvement ouver­tement dans 1'éclatement  de la guerre de 1914 qu'il a conditionné.

L'éclatement de la seconde guerre mondiale était soumis aux mêmes conditions.

On peut distinguer trois étapes nécessaires et se succédant  entre les deux guerre  impérialistes.

La première s'achève avec 1'épuisement  de la gran­de vague révolutionnaire de 1'après 17  et consis­te dans  une suite de défaites de la révolution dans plusieurs pays, dans la  défaite de la gauche exclue de l'IC où triomphe le centrisme et l'engagement de l'URSS dans une évolution vers le capitalisme a travers de la théorie de la pratique du "socia­lisme en  un  seul pays".

La deuxième étape est  celle de 1'offensive  géné­rale du capitalisme international parvenant à  liqui­der les  convulsions sociales dans le centre décisif où se joue 1'alternative historique du capitalisme/socialisme:1'Allemagne par 1'écrasement physique du prolétariat et 1'instauration du régime hitlé­rien jouant  le rôle de gendarme en  Europe. A cette étape correspond  la mort définitive de l'IC et la faillite de l'opposition  de  gauche de Trotski qui, incapable de regroupe  le énergies révolutionnai­res, s'engage dans la coalition de la fusion  avec des  groupements et des courants opportunistes de la gauche socialiste, s'oriente vers des pratiques de bluff et d'aventurisme en proclamant la forma­tion de la 4ème Internationale.

La  troisième étape fut celle du dévoiement total du mouvement  ouvrier des pays "démocratiques". Sous le masque de défense des "libertés" et des "conquê­tes" ouvrières menacées par le fascisme, on  a, en réalité, cherché à  faire   adhérer le prolétariat à la défense de la démocratie, c'est-à-dire de  la bourgeoisie nationale, de  sa patrie capitaliste. L'anti-fascisme était la plateforme, 1'idéologie moderne du capitalisme  que les partis traîtres au prolétariat employaient pour envelopper la marchan­dise  putréfiée de la défense nationale.

Dans cette troisième étape s'opère le passage dé­finitif des partis dits communistes au service de leur capitalisme respectif, la destruction de la conscience de classe par l'empoisonnement des masses, par 1'idéologie anti-fasciste, 1'adhésion des masses   la future guerre impérialiste au travers de leur mobilisation dans les "fronts populaires", les grèves dénaturées et déviées de 1936. La guer­re anti-fasciste espagnole, la victoire définitive du capitalisme d'Etat en Russie se manifestant en­tre autres, par la répression féroce et le massacre physique de toute  velléité de réaction révolution­naire, son adhésion à la SDN, son  intégration  dans un bloc impérialiste  et 1'instauration de 1'écono­mie de guerre en vue de la guerre impérialiste se précipitant. Cette période enregistre également la liquidation de nombreux groupes révolutionnaires et des Communistes de Gauche surgis de la crise de l'IC et qui, au travers de 1'adhésion à l'idéolo­gie anti-fasciste à la défense de "l'Etat ouvrier en Russie", sont happés dans 1'engrenage du capitalis­me et définitivement perdus en tant qu'expression de la vie de la classe. Jamais l'histoire n'a en­core enregistré pareil  divorce entre la classe et les groupes qui  expriment ses intérêts et sa mission. A l’avant-garde se trouve dans  un état d'absolu isolement  et  réduite quantitativement  à de petits îlots négligeables.

L'immense vague de la révolution jaillie à la fin de la première guerre impérialiste a jeté le capi­talisme international dans une telle crainte qu 'il a fallu  cette longue période de désarticulation des bases du prolétariat pour que la condition soit  re­quise pour le déchaînement  de la nouvelle guerre impérialiste mondiale". Rapport à la Conférence de juillet de la Gauche Communiste de France.( 1945)

Comme on le voit, le cours historique qui conduit à la guerre a des manifestations spécifiques, pro­longées dans le temps et reconnaissables - même si elles ne sont pas "quantifiables" comme le voudrait Battaglia- pour pouvoir se risquer à se prononcer.

On peut, peut-être, affirmer qu'il n'est pas tou­jours aisé de reconnaître un tel processus, mais c'est tourner le dos aux responsabilités des révolu­tionnaires, c'est se résigner à l'impuissance et à l'inutilité que de prétendre qu'il est, de façon générale, impossible de déterminer le cours histo­rique.

COMMENT RECONNAITRE LE COURS VERS DES AFFRONTEMENTS DE CLASSE DECISIFS ?

Le processus qui conduit à la création de situa­tions révolutionnaires est très différent de celui qui conduit à la guerre . La marche vers la guerre est un mouvement qui ne rompt pas avec la logique même du système dominant.

Pour les prolétaires, aller à la guerre, c'est aller au bout de leur soumission au capital sur tous les plans... jusqu'au sacrifice de la vie el­le-même. Il n'y a pas de changement fondamental dans le rapport entre classe dominante et classe exploitée. Le rapport "normal", dans"les règles de l'ordre" est simplement poussé à une de ses formes les plus extrêmes.

En réalité, le cours qu'on pourrait  appeler 'normal ' de la société capitaliste est vers la guer­re. La  résistance de la classe ouvrière qui peut remettre en cause ce cours apparaît comme une sorte "d'anomalie", comme allant à "contre-courant" d'un processus organique du monde capitaliste. C'est pour cela que, si on  examine les huit décennies de notre siècle, on en trouvera à peine un peu plus de deux, au cours desquelles le rapport de  forces aura été suffisamment en faveur du prolétariat, pour qu 'il puisse barrer le chemin à la guerre impérialiste (1905-12, 1917-23, 1968-80) ". (Revue Internationale n°21, 2ème trimes­tre 1980, "Révolution ou guerre").

En ce sens, le cours de montée de la lutte de clas­se est beaucoup plus fragile, instable et heurté que celui vers la guerre. De ce fait, il peut être interrompu et renversé par une défaite décisive fa­ce à la bourgeoisie, alors que le cours vers la guer­re ne peut être interrompu, éventuellement, que par la guerre elle-même.

" Alors que le chemin de la victoire est unique pour le prolétariat : 1'affrontement armé et géné­ralisé contre la bourgeoisie; celle-ci dispose de divers moyens pour défaire son ennemi : soit en épui­sant la combativité dans des impasses (c'est  la  tac­tique présente de la gauche), soit en l'écrasant paquet par paquet (comme en Allemagne 1919 et 1923), soit en l'écrasant physiquement lors d'un choc fron­tal (qui  est toutefois le type d'affrontement le plus favorable au prolétariat)." (ibid.)

Cours vers la révolution et cours vers des affron­tements de classe décisifs.

C'est pour tenir compte de cette "réversibilité" du cours vers la révolution que, lorsque nous cher­chons à rendre compte de la situation présente, nous préférons parler de "cours vers des affronte­ments de classe".

" L'existence d'un cours à 'l'affrontement de clas­se' signifie que la bourgeoisie n'a pas les mains libres pour déchaîner une nouvelle boucherie mon­diale ; auparavant, elle devra affronter et battre la classe ouvrière. Mais cela ne préjuge pas de 1'issue de cet affrontement, ni dans un sens, ni dans l'autre. C'est pour cela qu'il est préférable d'utiliser ce terme plutôt que celui de 'cours à la révolution'. (Revue Internationale n° 35, Résolu­tion sur la situation internationale, 5ème Congrès du CCI).

C'est pour cela que nous employons moins le ter­me de "cours vers la révolution"... et non parce que nous aurions bouleversé notre analyse sur la question du cour actuel, comme le prétend Battaglia dans un souci de fausse polémique qui évite les vraies questions (cf. la réponse publique à no­tre "Adresse aux groupes politiques prolétariens" du 5ème Congrès du CCI).

Le terme de cours vers la révolution se justifie essentiellement en fonction de la nécessité d'affir­mer qu'il n'y a pas de troisième issue en dehors du dilemme : guerre ou révolution. Mais, sans au­tre précision, cette formulation peut laisser en­tendre une conclusion qui, elle, ne peut être af­firmée avec certitude, du moins au stade actuel du développement du cours historique : nous savons que nous allons vers des affrontements de très gran­de ampleur entre prolétariat et bourgeoisie qui, une fois encore poseront la question de la révolu­tion, et non vers la guerre. Mais on ne peut pré­juger de l'issue de cet affrontement.

La  révolution PENDANT la guerre ?

L'histoire fournit beaucoup plus d'exemples de si­tuations où le rapport de forces est totalement en faveur de la classe dominante que de périodes où le prolétariat a ébranlé ou limité réellement son pou­voir. De ce fait, il y a moins de références histo­riques pour définir les caractéristiques de ce que peut être le cheminement vers des affrontements ré­volutionnaires que dans le cas d'un cours vers la guerre. Et cela est d'autant plus vrai que l'expé­rience des mouvements révolutionnaires prolétariens importants  dans le passé s'est généralement ins­crite dans des guerres ou immédiatement après (la Commune de Paris 1871, 1905 et 1917 en Russie, 1918-19 en Allemagne). Or, la guerre crée des conditions telles que, même si, comme en 1914-18, elle provoque le développement d'une vague de luttes révolution­naires, celle-ci ne parvient pas - du fait même de la guerre - à devenir véritablement internationale.

La guerre peut provoquer des mouvements révolu­tionnaires et cela de façon extrêmement rapide :

les premières grèves significatives en Russie et en Allemagne ont lieu en 1915 et 1916 ; la révolu­tion éclate "à peine" deux ou trois ans après. Deux ou trois ans qui sont cependant des périodes de guerre mondiale, d'histoire accélérée qui équi­valent, au niveau du rapport entre les classes, à des décennies d'exploitation et de crise "pacifi­que" .

Cependant, ".cette même guerre impérialiste (1914-18) portait e  elle toute une série d'obsta­cles à la généralisation  des  luttes révolutionnai­res à 1'échelle mondiale :

-        la division  entre  pays belligérants et pays "neutres" : dans ces derniers pays, le prolétariat ne subit pas de dégradation massive de  ses condi­tions de  vie;

-        la  division  entre"pays vainqueurs" et "pays  vain­cus": dans les premiers, le prolétariat a été le plus souvent  une proie facile pour la  fierté chauvine déversée massivement par la  bourgeoisie; dans  les seconds  si la  démoralisation nationale créait de meilleures conditions pour le  développe­ ment de  1 'internationalisme, elle ne fermait pas la porte, au contraire, au développement de senti­ments de revanche (cf. le "national  bolchevisme" en Allemagne) ;

-     face à un mouvement révolutionnaire né de la guerre impérialiste, il restait comme recours à la bourgeoisie d'interrompre celle-ci (cf. Allemagne en novembre 1918) ;

-     une fois la guerre impérialiste terminée, la pos­sibilité de reconstruction qui s'offre au  capita­lisme  et donc d'une  certaine amélioration du fonc­tionnement de son  économie a brisé 1'élan pro­létarien en le privant  de son aliment de base : la lutte économique et le constat de faillite du sys­tème.

Par contre,le  développement progressif d'une crise  générale de l'économie capitaliste, s'il ne permet pas une prise de conscience aussi rapide des véritable enjeux de la lutte ni de la nécessi­té de 1'internationalisme, élimine cependant  les obstacles énumérés ci-dessus en se sens :

-     qu'il tend à mettre le prolétariat de tous les pays sur  un même plan : la  crise mondiale n'épar­gne aucune économie nationale,

-     qu'il n'offre à la bourgeoisie aucune porte de sortie sinon celle d'une nouvelle guerre impéria­liste qu'elle ne pourra  déchaîner tant que le pro­létariat n'aura pas été battu". (Revue Internationale numéro 26, 3ème trimestre 81, "Résolution sur la lutte de classe" du 4ème Con­grès du CCI).

L'histoire ne peut donc fournir toutes les carac­téristiques de ce que peut être un cours ascendant de lutte en une période comme l'actuelle, caracté­risée non par la guerre mais par un lent enfonce­ment de la société dans la crise économique.

On peut cependant identifier un tel cours, pre­mièrement de façon "négative", c'est-à-dire par le fait qu'il ne possède pas les caractéristiques essentielles du cours vers la guerre ; deuxième­ment, par le fait qu'il est marqué aussi bien par un dégagement de la part du prolétariat de l'empri­se de l'idéologie dominante que par un développe­ment de sa propre conscience et combativité de classe.

LE COUPS HISTORIQUE ACTUEL

Le 5ème congrès de Battaglia ne se prononce pas véritablement sur les perspectives de la lutte de classe. Il maintient un flou tout comme le 2ème congrès du PCInt. en. 1948 sur la rnême question. (Voir article dans ce numéro). Mais à propos de la situation actuelle les thèses du congrès affirment : "Si   aujourd'hui   le prolétariat,   face à   la  gravité et  aux coups subis  par les attaques répétées  de la bourgeoisie,  ne s 'est  vas encore montré  en mesure de répondre, cela  signifie  seulement que  le  long travail   de contre-révolution mondiale est encore à 1'oeuvre au sein des consciences ouvrières". (Synthèse du rapport de politique générale)

Battaglia n'a jamais compris l'importance de la rupture historique avec la contre-révolution que constitua la vague de grèves ouverte par 1968 en France. B.C considère qu'en réalité aujourd'hui, tout comme dans les années 30, "le long travail de la  contre-révolution mondiale  est encore  à  1'oeuvre au  sein  des  consciences  ouvrières".

Dans une grande mesure B.C ne voit pas encore la différence qualitative qu'il y a entre les années 80 et les années 30. Elle ne perçoit pas comment le fait que la crise économique détruise systémati­quement les mystifications idéologiques qui écra­sent le prolétariat et qui ont permis dans le passé de l'embrigader dans la guerre, crée des conditions historiques qualitativement différen­tes pour la lutte prolétarienne.

"Le fait - disent les thèses du 5ème congrès de B.C. - d'avoir cédé pendant des décennies à l'oppor­tunisme, en  un premier temps, à la contre-révolution des partis centristes ensuite, le fait d'avoir subi le poids de 1'écroulement des mythes politiques com­me celui de la Russie et de la Chine, la frustration d'espérances émotivo-politiques comme celles créées artificiellement avec la guerre du Viêt-Nam, a en­gendré dans  le choc avec cette vaste et  destructrice crise économique, un prolétariat  fatigué  et  déçu, mais pas pour autant vaincu définitivement ". (idem)

Il est normal que B.C. constate, au moins, que depuis la 2ème guerre mondiale le prolétariat n'a pas été massivement écrasé et n'est pas "vain­cu définitivement". Mais au delà de cette constata­tion B.C. ne continue à voir dans le prolétariat et ses luttes que le "long travail de la contre-ré­volution", la fatigue et la déception.

Qu'en est-il en réalité ?

Comme on l'a vu précédemment, l'existence d'une combativité ouvrière ne suffit pas à caractériser un cours vers des affrontements révolutionnaires : les luttes à la veille de la 1ère guerre mondiale, imbues d'esprit réformiste, d'illusions sur la démocratie et sur une intarissable prospérité capitaliste, celles de la 2ème moitié des années 30 détournées et annihilées dans l'impasse de"l'anti-fascisme" et donc de la défense d'un capitalisme "démocratique", démontrent que sans développement de la conscience prolétarienne la combativité de classe ne suffit pas à entraver le cours vers la guerre.

Depuis la fin des années 60, la combativité ouvrière a connu aux quatre coins de la planète, à travers des périodes de recul et de reprise, un renouveau qui tranche sans équivoque avec les périodes pré­cédentes. De Mai 68 en France à la Pologne de 1980-81 la classe ouvrière a démontré que loin d'être déçue et fatiguée, elle possédait des potentialités de combat intactes et qu'elle savait les rendre effectives.

Mais qu'en est-il au niveau de sa conscience ?

On peut ici distinguer deux processus qui, tout en étant étroitement liés n'en sont pas pour autant identiques. Il y a d'une part le développement de la conscience prolétarienne par son dégagement de l'emprise de l'idéologie dominante et, d'autre part, le développement "en positif" de cette conscience par l'affirma­tion de 1'autonomiefde l'unité et de la solida­rité de classe.

Sur le premier plan, la crise économique et ses effets dévastateurs qu'aucun régime, d'Est ou d'Ouest, aucun parti au gouvernement de droi­te ou de gauche ne parvient à enrayer, ont porté les plus rudes coups aux mystifications bourgeoi­ses sur la possibilité d'un capitalisme éternel­lement prospère et pacifique, sur le "Welfare state", sur la nature ouvrière des pays de l'Est et autres régimes soi-disant "socialistes", sur la démocratie bourgeoise et le vote comme moyen de "changer les choses", sur le chauvinisme et le nationalisme dans les pays les plus industria­lisés, sur la nature ouvrière des partis de gau­che et leurs centrales syndicales... (nous ren­voyons nos lecteurs à nos textes qui ont plus largement développé cette question, en particu­lier "le cours historique", rapport adopté par le 3ème congrès du CCI -Revue Internationale N° 18, 3ème trimestre 1979).

Sur le 2ème plan, le développement "en positif" de la conscience de classe, celui-ci ne peut être évalué qu'en regard des manifestations de lutte ouverte du prolétariat considérées non pas de façon locale ou statique mais dans leur dyna­mique au niveau mondial. Or, les luttes des 15 dernières années de mai 68 aux grèves du secteur public en Belgique en septembre 83, si elles n'ont pas encore atteint des degrés de conscien­ce révolutionnaire généralisée -ce qu'il serait enfantin de leur exiger au stade actuel de leur développement- n'en sont pas moins marquées par une nette évolution vers l'autonomie à l'égard des appareils d'encadrement de la bourgeoisie (syndicats, partis de gauche) et vers des formes d'auto organisation et d'extension de la lutte. Le seul fait que la bourgeoisie soit de plus en plus systématiquement contrainte d'avoir recours au "syndicalisme de base", surtout dans les "pays démocratiques" pour contenir et dévoyer la comba­tivité ouvrière, parce que le mouvement de désyndicalisation s'accélère et que les directions syndicales sont de moins en moins capables de se faire obéir, suffit à lui seul à démontrer le sens de la dynamique de la conscience ouvrière. Contrairement à ce qui s'est produit dans les années 30, où les luttes se sont accompagnées d'un développement du syndicalisme et de l'empri­se des forces bourgeoises sur le mouvement, les luttes de notre époque tendent à affirmer leur autonomie et leur capacité d'extension par dessus les barrières que ces forces leur opposent.

Il reste, bien sûr, encore un long chemin à parcourir au prolétariat pour parvenir à l'affir­mation de sa conscience révolutionnaire pleinement épanouie. Mais s'il faut attendre que ce point soit atteint pour se prononcer sur le sens du mouvement actuel, -comme semble le faire Battaglia -il faut renoncer à toute analyse sérieuse du cours historique présent.

Le 5ème congrès de B.C semble avoir consacré beau­coup d'efforts à l'analyse de la crise économique actuelle. Et c'est là un aspect important pour la compréhension de l'évolution historique présente -à la condition toutefois que cette analyse soit correcte, ce qui n'est pas toujours le cas. Mais la meilleure analyse économique devient inutile pour une organisation révolutionnaire si elle ne s'accompagne pas d'une juste appréciation de la dy­namique historique de la lutte de classe. Et dans ce domaine le congrès de B.C se présente avec plus de 40 ans de retard.

A en juger par les travaux de son 5ème congrès, tout indique, que Battaglia, au niveau de son ana­lyse de la lutte de classe, n'est pas encore en­trée dans les années de vérité, les années 80.

R.V.

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