Moyen-Orient : la barbarie des impérialismes

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Le battage sur la tuerie dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila à Beyrouth ouest, tuerie et battage menés par la bourgeoisie occidentale, constitue un  rappel de plus, s'il en était besoin que la survie des lois du  système  capitaliste mène le monde à la barbarie. Ce déluge de fer et de sang (subi pendant trois jours par hommes, femmes et enfants), complaisamment étalé pour des besoins de propagande, est un mas­sacre de plus marquant  l'agonie d'un système qui  fournit quotidiennement son lot de victimes, des accidents du travail aux catastrophes "naturelles", des répressions aux guerres.

Le Moyen-Orient n'a jamais cessé, depuis le début de ce siècle, d'être un  champ de bataille des grandes puissances, un terrain privilégié de guerre pour le capitalisme. C'est la guerre que se livrent les deux grands blocs  impérialistes qui s'y est pour­suivie depuis  la  deuxième guerre mondiale. Aujourd'hui, le bloc occidental, en  re­poussant son adversaire, le bloc de l'est, accentue sa mainmise sur la région. Il vise à la transformer en un bastion militaire face au bloc russe. La "pax americana" parachève une étape de sa stratégie d'élimination de toute présence significative de l'URSS, consolidant sa position, en partie pour compenser et contrer la déstabilisa­tion de l'Iran et répondre à  l'invasion de l'Afghanistan par l'URSS. L'invasion du Liban par Israël au cours de l'été 1982 et l'installation  de troupes américaines, françaises et  italiennes s'inscrivent dans cette stratégie où  ce sont  les popula­tions qui paient  le prix de ce jeu  sanglant.

Pourquoi  la bourgeoisie occidentale a  t-elle monté un battage sur ce massacre des camps de palestiniens   ?

Au Liban même, ce genre d'opération s'est déjà souvent produit et  ceci  d'un  côté comme de l'autre. Beaucoup de combats meurtriers ou de vagues d'assassinats de ce genre qui  se déroulent  dans le monde ne bénéficient pas d'autant  de "faveur". Ce battage revêt en fait essentiellement  un  double aspect : d'une part, signifier clairement l'impossibilité de  tout appel  à l'aide du bloc adverse et consacrer la victoire occidentale, et d'autre part,  poursuivre les campagnes idéologiques de la bourgeoisie sur les thèmes véhiculant  un sentiment d'impuissance et de terreur (com­me le pacifisme, l'anti-terrorisme, l'agitation du  danger de guerre) et présentant les interventions militaires comme les seules chances d'assurer la paix. La guerre des Iles Malouines était montée de toute pièce principalement dans le but de tester l'impact idéologique d'une expédition militaire d'un  grand pays capitaliste ([1]). Avec l'expédition  de  troupes au Liban, c'est  en utilisant  un événement dont les ra­cines sont profondément différentes, l'affrontement entre blocs impérialistes, que la propagande bourgeoise poursuit ce même but.

Aux prises avec la crise ouverte qui  offre des perspectives de plus en plus catastrophi­ques, la bourgeoisie n'a d'autre possibilité que de pousser vers sa "solution", la guerre impérialiste généralisée. Mais cette voie est barrée par la classe ouvrière qui n'a pas subi  de défaite décisive Malgré l'annihilation relative des luttes surtout après les mouvements de 1980-81 en Pologne, la  classe ouvrière n'adhère massivement à aucun des idéaux de la bourgeoisie. C'est ce qui impose à cette dernière la répétition constante de campagnes idéologiques pour occuper tout le terrain, tenter d'enrayer la reprise enta­mée dans les grands pays à la fin des années 70, empêcher qu'elle ne débouche sur une lut­te massive et internationale de la classe ouvrière, la seule force capable d'offrir une alternative à la barbarie du  système capitaliste.
 

La barbarie du capitalisme

Toute l'histoire de l'humanité est jalonnée de massacres, de guerres et de génocides. Le capita­lisme, dernière société d'exploitation de l'homme par l'homme, en subsistant depuis plus de 60 ans, après la défaite de la vague révolutionnaire des années 1917-23 et le triomphe de la contre-révo­lution, a poussé cette barbarie jusqu'à faire pe­ser sur l'humanité la menace de sa disparition définitive dans une troisième guerre mondiale gé­néral isée.

De toutes les guerres de l'histoire, de l'Anti­quité à la guerre de 100 ans, des guerres féoda­les aux guerres napoléoniennes, celles du 20ème siècle ont laissé des millions de victimes : 20 millions de morts pendant la guerre de 1914-18, 50 millions dans celle de 1939-45, plusieurs di­zaines de millions depuis. Et la classe dominante dispose dans ses arsenaux de quoi faire sauter plusieurs fois la planète.

De même, des millions de morts sont tombes sous les coups d'opérations de répression et dans la contre-révolution qui s'est abattue sur la classe ouvrière : en Allemagne en 1917-23 et sous le na­zisme, en Russie après l'échec de la révolution de 1917 et sous le stalinisme, en Chine en 1927, en Espagne dans la "guerre civile" de 1936-39, etc. Le nombre de victimes est tel que tous les massa­cres additionnés depuis la révolte des esclaves de Spartacus jusqu'à la répression des Communards de 1871 ne représentent qu'une faible partie des sai­gnées qu'a du subir l'humanité dans son évolution.

Le capitalisme, en faisant faire un bond gigan­tesque à l'humanité, a aussi développé jusqu'à un degré jamais égalé l'exploitation. Il a surgi en jetant dans la misère des populations entières, en les dépossédant de leurs anciens moyens de subsistance pour les transformer en prolétaires, ne disposant plus que de leur force de travail. Dans la période ascendante du capitalisme, cette situation constituait un lourd tribut payé à un développement véritable des forces productives. Dans la période de décadence, elle est la consé­quence que le capitalisme est devenu incapable de se développer dans le sens d'un accroissement de la satisfaction des besoins humains. Il n'a survécu au contraire que par la destruction.

Les tueries du capitalisme sont la partie visi­ble de l'iceberg. La partie immergée est consti­tuée par la barbarie et l'absurdité quotidiennes de l'exploitation et de l'oppression.Lorsque la bourgeoisie fait campagne sur un massacre, elle le monte en épingle pour s'en servir de paravent ou d'alibi ([2]) pour d'autres massacres, pour jus­tifier un système qui vit dans un cycle infernal de crise-guerre-reconstruction-crise. Ce cycle qui s'est déjà reproduit deux fois au 20ème siècle ne peut aller qu'en s'amplifiant vers la destruc­tion totale de l'humanité si le prolétariat ne détruit pas de fond en comble le capitalisme mon­dial.

La liste est longue des hauts faits de la ter­reur du capitalisme. La mise en avant à un moment ou à un autre par la bourgeoisie d'un épisode de cette série noire n'est que l'arbre qui cache la forêt.

Au Liban, la bourgeoisie a tenté un coup double : parachever le"nettoyage" en semant la terreur, feindre l'indignation à des fins de propagande. Avec l'imbroglio impérialiste du Liban, après plusieurs mois de pilonnages et de bombardements intensifs, les lamentations sont de l'hypocrisie. C'est la bourgeoisie mondiale, de l'Ouest à l'Est, en particulier celle des pays "démocratiques", qui porte le sang sur ses mains.

Ce sont tous les Etats capitalistes -et tous les Etats du monde sont capitalistes, y compris les Etats "potentiels" comme celui de l'OLP- avec leurs organismes, leurs partis et leurs syndicats qui sont les garants de l'ordre bourgeois et de la défense de la patrie, qui sont les responsables des massacres. Au Liban, Reagan, Castro, Thatcher, Mitterrand et Brejnev, tous y sont allés de leur larme sur une tuerie commise en un lieu où près de onze armées d'occupation sont présentes. Le thème de "personne n'a rien pu faire" est destiné à prêcher la passivité et à introduire l'idée que "la seule chose à faire " est de ramener en beauté les armées des Etats-Unis, de la France et de l'Italie, "pour la sécurité". Et tel était effec­tivement le but de l'opération,

Conflits inter-impérialistes et campagne idéologiques

De par sa situation géographique, voie de passa­ge entre Europe, Asie et Afrique, et ses ressour­ces pétrolières, le Moyen-Orient a toujours été un des enjeux stratégiques au coeur des guerres du 20ème siècle, un "théâtre d'opération" comme le disent les stratèges de la bourgeoisie. C'est le capitalisme mondial qui a façonné le Moyen-Orient en une constellation d'Etats, par les traités internationaux et les armées des grands Etats capi­talistes.

Après la domination turque au début de ce siècle, la domination franco-anglaise entre les deux guerres, et la domination anglo-américaine à la fin de la 2ème guerre (Conférence de Téhéran et Traité de Yalta), le Moyen-Orient est en voie de repasser aujourd'hui tout entier sous l'hégémonie occidentale, après avoir été disputé par le bloc russe pendant plus de vingt ans.

Depuis une dizaine d'années, on assiste à un renversement systématique des positions que l'URSS avait péniblement acquise dans les années 50. C'est d'abord le retour de l'Egypte dans le camp américain après la guerre Israélo-égyptienne de 1973. Des 1974, le retrait américain du Viêt-Nam, outre qu'il correspondait à un marchandage avec la Chine, marquait aussi une accentuation de l'offensive diplomatique et militaire amé­ricaine au Moyen-Orient. C'était la stratégie des "petits pas" de Kissinger, qui avait ouvert des pourparlers avec toutes les parties en pré­sence, et dont un des aboutissements devait être les accords de Camp David entre Israël et l'E­gypte. Une fois le front égyptien neutralisé sous contrôle américain, avec le retrait d'Is­raël du Sinaï, c'est vers le nord (Syrie, Irak, Liban) que l'offensive s'est poursuivie :

  • mise au pas de l'Irak ;
  • immobilisation de la Syrie par les manipula­tions sur le plan intérieur, en particulier des "Frères Musulmans", l'intimidation militaire et l'aide financière considérable de l'Arabie ([3]) ;
  • jusqu'à la neutralisation de toute influence prorusse au sein de l'OLP, avec le ralliement de celle-ci aux plans occidentaux, et la disper­sion de son appareil militaire dans différents pays.

Cette dernière évolution se dessinait aussi de­puis plusieurs années déjà, avec le discours d'Arafat à l'ONU en 1976 qui marquait officieuse­ment le début du passage de l'OLP sous le contrôle de la diplomatie occidentale qui est effectif aujourd'hui. Israël a été l'exécuteur sur le terrain, de ce "nettoyage".

Aujourd'hui, la phase qui s'engage du terrain militaire vers le terrain plus "diplomatique" risque de faire perdre à Israël son rôle d'allié privilégié et de place forte militaire unique, et ne se passe pas sans frictions. Il est possible même qu'Israël ait quelque peu outrepassé les ob­jectifs qui lui étaient fixés par l'administration Reagan, ou que cette dernière ait laissé faire. Quoi qu'il en soit, cela n'enlève rien pour autant à la responsabilité américaine dans les massacres. •Au contraire. Dans cette hypothèse, cela ne fait que montrer la perfidie qui consiste à liquider les exécuteurs des basses oeuvres une fois leur tâche accomplie, à fabriquer un bouc émissaire pour se blanchir de son forfait; cela ne fait que révéler quelles sont les méthodes de gangsters de la bourgeoisie dans la défense de ses intérêts.

La bourgeoisie israélienne est de toute façon, contrainte de se plier. Sa force militaire et son pouvoir économique, elle ne les détient que par les bonnes grâces de ses puissants alliés. Comme tous les Etats de la région, l'Etat d'Israël est un pion dans la guerre impérialiste, et sa popula­tion comme toutes celles de la région, une victi­me exploitée, militarisée et embrigadée pour des intérêts qui ne sont pas les siens.

Feindre la réprobation et l'indignation envers l'Etat d'Israël vise plusieurs objectifs pour l'impérialisme américain :

  • mener à bien son plan stratégique en reprenant à Israël des privilèges militaires et territoriaux ;
  • passer à la phase d'une opération de"nettoyage" à celle de la diplomatie repoussant le front impé­rialiste vers l'Iran et l'Afghanistan ;
  • tenter de blanchir   ses responsabilités dans les massacres et aider à ce que la mystifica­tion de la défense de la "cause palestinienne" ne perde pas toute crédibilité aux yeux des popula­tions du Moyen-Orient avec le retournement de ves­te de l'OLP.

C'est la "cause palestinienne" qui a été la justification idéologique de l'embrigadement dans le camp prorusse, faisant miroiter le "re­tour au pays" aux milliers de réfugiés qui ont servis pendant 40 ans de masse de manoeuvre et de chair à canon; tout comme"l'holocauste des juifs" a servi de "grand alibi" ([4]) à l'idéologie de guerre de l'anti-fascisme puis à l'embrigadement au Moyen-Orient.

La "guerre civile" au Liban n'a rien d’une guerre d'opprimés contre des oppresseur, ou d’une guerre de libération contre l'impérialisme, plus qu'aucune des guerres de ce siècle. Contrairement à ce que proclame la gauche du capital et jusqu'aux bordiguistes, les prolétaires n’ont  aucun camp à soutenir ou à rejoindre dans la guerre au Moyen-Orient. La population est encadrée par de multiples milices de tous bords armées par tous les marchands de canons de la planète.

Plus encore que l'Iran où surgirent des luttes ouvrières, qu'Israël où des mouvements contre la hausse des prix et les blocages des salaires se sont produits, que l'Egypte où les ouvriers ma­nifestèrent à plusieurs reprises contre la faim, le Liban où le prolétariat est très faible, cons­titue, avec cette "guerre civile", un concentré de l'absurdité de la guerre impérialiste. Dans ce sens, si ces événements marquent une victoire du bloc de l'Ouest contre le bloc de l'Est, un renforcement du premier par une collaboration plus étroite en son sein, ils marquent aussi une victoire de la bourgeoisie sur le prolétariat qui nulle part n'a réagi,

La clé se trouve dans les pays développés

La situation ne dépend pas de ce qui se passe au niveau local, mais de ce qui se passe dans les mé­tropoles capitalistes. Le rapport de force ne peut s'établir en faveur du prolétariat qu'au niveau mondial. Si le prolétariat, là où il est le plus fort et le plus concentré reste paralysé et subit les attaques de la bourgeoisie sans réagir, alors la voie sera ouverte pour la poursuite et la pous­sée à un niveau supérieur de la guerre capitaliste.

Après plus de dix années de crise ouverte du ca­pitalisme, ce qui a fait que la guerre ne s'est pas généralisée, c'est la reprise de la lutte de clas­se depuis la fin des années 60 dans les pays déve­loppés et dans le monde entier. La nouvelle poussée des luttes de la fin des années 70, après une pé­riode de reflux, a également ressurgi dans les principaux pays développés (USA, Allemagne, France, Grande-Bretagne). Elle a culminé en Pologne où la classe ouvrière mondiale s'est engagée dans la grè­ve de masse et a posé la question de l'internatio­nalisation des luttes ouvrières ([5]), et mis en évi­dence l'importance décisive du développement de la lutte de classe dans les pays industrialisés et en Europe de l'Ouest en particulier ([6]).

L'obstacle que constitue la classe ouvrière à la perpétuation de son système, la bourgeoisie l'a ressenti. Elle s'est unifiée au niveau mondial pour faire face au mouvement de Pologne. Toute sa propagande est plus destinée à abasourdir le prolétariat qu'à trouver des alibis aujourd'hui introu­vables à un embrigadement dans la guerre face au bloc russe, bloc impérialiste historiquement plus faible, encore affaibli par la crise économique et menacé par la combativité prolétarienne.

"Le renforcement des blocs, qui constitue une pré condition pour la guerre contre le bloc rival, est aujourd'hui également une préparation immédia­te et directe pour affronter le prolétariat où qu'il soit, s'il met en cause la domination du ca­pital" ([7]).

Avec les événements du Liban, la propagande s'est déchaînée pour imposer un sentiment de terreur et de fatalité d'une part, pour renforcer le mensonge du capitalisme "démocratique", "humain" "pacificateur". Le but est pour l'impérialisme de tirer profit d’une de ses victoires militaires en 1'utilisant contre le prolétariat, en le perdant dans le dédale de la recherche du coupable", alors que le seul coupable c'est le capital et tous ses agents.

C'est au prolétariat mondial qu'il appartient, en engageant la lutte internationalement, de ré­pondre à l'offensive de la bourgeoisie. Seule la classe ouvrière est la force capable, en mettant fin au capitalisme, d'en terminer à jamais avec toutes les formes de la barbarie.

MG.


[1] Voir la Revue Internationale n° 30 : "La guerre des Malouines".

[2] Lire sur cette question "Auschwitz ou le grand alibi" (PCI) sur la justification de l’"antifascisme".

[3] Lors des combats aériens, la Syrie a perdu 86 de ses avions contre 0 à Israël.

[4] Lire sur cette question "Auschwitz ou le grand alibi" (PCI) sur la justification de l’"antifascisme".

[5] Voir les n° 23 à 29 de la Revue Internationale sur les enseignements de la lutte de classe en Pologne.

[6] Lire dans ce n° l'article p.5.

[7] "Rapport sur la crise et les conflits inter-impérialistes" au 4ème Congrès du CCI, Revue Internationale n° 26.

 

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