Perspectives de la lutte de classe internationale (une brèche ouverte en Pologne)

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1/LES  ANNEES  DE VERITE

"Dans les années 60,   la bourgeoisie nous a donné de la misère en échange de miettes, dans les années  70,  elle nous a donné encore plus de misère en échange de promesses ; pour les années 80, elle nous réserve beaucoup plus de misère. en échange de l a misère." ([1])

.1. La situation actuelle de la crise capitaliste oblige les deux classes fondamentales de la société -le prolétariat et la bourgeoisie- à lutter à mort, sans ambigüité, pour imposer leurs alternatives historiques respectives : la Révolution ou la Guerre, le Communisme ou la Barbarie.

.2. D'une part la bourgeoisie a vu la faillite de tous les plans de "relance" économique expérimentés par tous les moyens dans les années 70, et prouvant chaque fois plus que sa seule "solution" est une 3ème guerre mondiale impérialiste.

D'autre part, le fait que le prolétariat n'est pas vaincu et les manifestations constantes de résistance de la classe ouvrière (dont la Pologne est l'expression la plus haute) obligent la bourgeoisie à poser radicalement la "question sociale", c'est-à-dire que toute son activité politique et économique en direction de la guerre ne peut avoir comme axe qu'une stratégie conséquente d'affrontement et de défaite du prolétariat.

.3. Pour le prolétariat, la perspective d'une "solution" à la crise à l'intérieur du capitalisme, qui a pu désorienter et freiner sa lutte au cours des années 70, laisse la place à une réalité amère de dégradation permanente et absolue de ses conditions d'existence. La misère que lui impose le capitalisme cesse d'être un simple phénomène quantitatif pour devenir une réalité QUALI­TATIVE de dégradation, d'insécurité et d'humiliation de toute son existence.

Le prolétariat apprend que les luttes purement économiques et les affrontements exclusivement partiels et limités finissent par n'avoir aucun effet sur la bourgeoisie et que les miettes RELA­TIVES ET MOMENTANEES arrachées comme fruit des grands combats de 1965 à 1973 ont disparu sans laissé de trace   au cours de ces 5 dernières années et ont cédé le pas à une chute sans précédent et sans frein de son niveau de vie. Tout cela indique une seule perspective : l'affrontement généralisé avec le capital  dans la dynamique de la révolution.

.4. C'est à partir de cet ensemble de conditions historiques globales que nous devons évaluer l’état actuel de la lutte de classe. La question est : comment le prolétariat et la bourgeoisie répondent-ils à cette situation historique de croisée des chemins ? C'est en partant de là que nous allons analyser la stratégie et les armes qu'emploie la bourgeoisie et faire le bilan des expériences, des   forces et des faiblesses des luttes développées par la classe ouvrière.

2/LA  REPONSE DE LA BOURGEOISIE

.5. Au 3ème Congrès international du CCI (cf. "Revue Internationale" n°18), nous avons constaté la réalité d'une crise politique généralisée de la bourgeoisie mondiale et analysé en détails les caractéristiques et manifestations de cette réalité. Ses causes -nous pouvons aujourd'hui  les déterminer avec plus de perspective- provenaient de l'INADEQUATION de la politique bourgeoise à la conjoncture imposée par l'aggravation de la crise et des conflits impérialistes, étant donnée la reprise de la lutte ouvrière commencée en 1978 et, plus globalement, à cette situation de croisée des chemins que nous avons définie dans le premier point comme les années de vérité.

Le dénouement de cette crise politique a été la REORIENTATION TOTALE de la stratégie bourgeoise face à la situation et en particulier face au prolétariat. La réorientation de l'appareil et de l'action politique de la bourgeoisie lui ont permis une plus grande cohérence et une offensive plus systématique, plus concentrée et plus efficace contre le prolétariat. Dans l'immédiat la bourgeoisie S'EST RENFORCEE, quoique, comme nous le verrons, plus loin, ce renforcement s'inscrive da dans un affaiblissement à long terme de la bourgeoisie.

.6. L'axe essentiel  de cette réorientation est, comme nous l'avions mis en évidence au 3ème congrès du CCI, le passage de la gauche dans l'opposition, ce qui a pour conséquence l'accès de la droite au pouvoir. Mais avant d'analyser en détail cet axe, il faut déterminer le cadre idéologique qui caractérise l'ensemble de la politique bourgeoise dans la situation actuelle.

La domination capitaliste s'appuie sur deux piliers. L'un est la répression et la terreur, l'autre, cachant et renforçant le premier, est la mystification, le mensonge idéologique. Ce second pilier doit toujours s'appuyer sur une base matérielle qui  le rend crédible. S'il  existe, dans l'idéologie bourgeoise, toute une série de mystifications qui  s'appuient dans les fondements les plus profonds du capitalisme (démocratie, "droits de l'homme"), l'ensemble de l'idéologie bourgeoise, c'est-à-dire 1'ensemble des mystifications et des choix qui cimentent sa domination, doit se modifier suivant les différentes conjonctures imposées  par la crise,  la lutte de classe, et les conflits impérialistes, sous peine de perdre toute crédibilité et, pour autant, affaiblir son contrôle sur le prolétariat.

Dans les années 70, ce cadre idéologique tournait autour de l'illusion que les ouvriers, en faisant toute une série de sacrifices et en acceptant une politique d'austérité croissante, pourront "sortir de la crise" et retrouver la "prospérité" perdue. A travers le mythe d'une solution nationale et négociée à la crise, qui était incarnée dans la perspective de la gauche au pouvoir et dont l'idéologie constante était "l'avance des forces progressistes et le changement social", la bourgeoisie a pu maintenir sa domination en freinant et en paralysant momentanément la lutte des ouvriers, en leur faisant avaler des doses croissantes d'austérité et en reconstruisant l'union nationale autour de ses plans.

Le 3ème congrès du CCI a pris acte de la crise de cette orientation idéologique et a analysé l'ensemble des conditions objectives qui  l'ont jetée par terre ; en même temps, il a fait le bilan de la reprise de la lutte prolétarienne qui, conséquence et cause à la fois de cet affaiblissement de la domination bourgeoise, se développait. Si  la bourgeoisie avait continué avec les mêmes orientations politiques et idéologiques que celles de l'étape antérieure, elle aurait aggravé le vide dangereux qui se produisait dans son contrôle sur la société. Les deux dernières années (1977-79) montraient à travers toute une série de crises politiques et idéologiques, le processus par lequel  la bourgeoisie réorientait sa stratégie et son idéologie.

La bourgeoisie reconnait ouvertement la gravité de ïa crise, et nous  présente, même en l'exagérant, un cadre terrorisant de catastrophes et de dangers qui menacent la "communauté nationale", elle parle sans détour de la perspective de la guerre...C'est le nouveau "langage" de la  "sincérité" et de la  "vérité".

Dans ce sombre cadre démoralisant et sans perspectives, où la " communauté nationale" serait soumise à toutes sortes de dangers produits par toutes sortes de forces ténébreuses et difficiles à situer quelque part -le "terrorisme", 1'"encerclement impérialiste ", le "totalitarisme", etc.- il  ne resterait plus d'autre remède que d'accepter les pires sacrifices et avaler la politique "de sang, de sueur et de larmes" pour sauver "le peu que nous avons".

La bourgeoisie tente de refaire l'union nationale à travers la  "sincérité" en cherchant la démoralisation totale des ouvriers. Ainsi  la bourgeoisie s'adapte à la situation de chaos et de décomposition de son système social, tente d'y enfoncer le prolétariat et cherche à profiter de l'attitude actuelle de la classe ouvrière de préoccupation et de maturation face à la gravité du moment historique et face aux énormes responsabilités que pose celui-ci, en la transformant en son contraire  :  DEMORALISATION, APATHIE,  DESESPOIR, DEBANDADE...

Naturellement, cette orientation idéologique de la bourgeoisie ne peut avoir comme finalité que la déroute du prolétariat et sa soumission inconditionnelle aux plans de guerre, et ne peut être appliqué qu'au moyen de la gigantesque action d'usure et de division que réalisent la gauche et les syndicats à partir de l'opposition.

.7. Sous le capitalisme décadent,  l'Etat,  "démocratique" ou  "dictatorial", se transforme en un appareil totalitaire monstrueux qui étend ses tentacules sur toute la vie sociale et soumet le prolétariat à une OCCUPATION absolue et systématique. Dans les pays  du totalitarisme  "démocratique" cette occupation est la FONCTION SPECIFIQUE des partis de gauche (staliniens, social-démocrate avec leurs appendices gauchistes) et des syndicats.

Comme nous l'avons souligné au 3ëme congres du CCI,  l'orientation de la gauche au pouvoir qui  a dominé les années 70, a produit une usure énorme de ses appareils, affaiblissant son contrôle sur le prolétariat, manquant ainsi  à cette FONCTION SPECIFIQUE au sein de l'Etat bourgeois, qui est l'encadrement du prolétariat.  Tout cela a produit une crise profonde au sein de ces appareils qui ont été conduits à se situer sur un terrain d'où ils peuvent réaliser d'une façon plus adéquate leur rôle, c'est à dire l'opposition.

En effet, c'est seulement à partir de l'opposition (libérés des responsabilités gouvernementales directes) que la gauche et les syndicats  peuvent se consacrer à fond, sans hypothèque ni ambigüité, à leur rôle spécifique d'étrangler toute tentative de lutte ouvrière et d'encadrer les ouvriers derrière le plan de solidarité nationale et de guerre qu'organise le capital.

Mais le passage de la gauche dans l'opposition n'obéit pas simplement à un changement de tactique pour restaurer le contrôle sur les ouvriers, mais constitue la meilleure adéquation de cette fraction bourgeoise à la stratégie de l'ensemble du capital, dont les bases sont, comme nous l'avons analysé plus haut, la démoralisation et la déroute du prolétariat pour ouvrir les portes d'un cours vers  la guerre  :

1°- parce que c'est seulement dans une orientation générale d'opposition que la gauche et les syndicats peuvent enfermer les ouvriers dans une tactique de  "lutte" fondée sur la défensive et le désespoir  :

-    des luttes isolées, corporatives, atomisant les ouvriers dans toutes sortes de divisions en usine, profession, secteur, etc..

-    des actions humiliantes et désespérantes: grèves de la faim, enchaînements publics, sitting, pétitions aux autorités et personnalités publiques ;

-    la solidarité réduite à des formes individualistes et moralistes qui produisent systématiquement le sentiment d'impuissance et de division,

-    la méfiance consciencieusement entretenue des ouvriers  pour leur propre auto-activité et auto-organisation, en leur faisant confier la  "médiation" de l'action à tout type d'institution,  d'organisme, de personnalités  'progressistes', etc.

2°- Parce que c'est seulement à partir de Top-position que la gauche et les syndicats  peuvent rendre crédible leur alternative de se "partager la misère en se soumettant aux impératifs de l'économie nationale" qui  imprègne toutes  les luttes.

En s'adaptant à la conscience instinctive des ouvriers que, dans la situation actuelle, il n'y a pas de possibilité d'imposer les revendications immédiates, et pour éviter le passage nécessaire à un niveau supérieur de luttes massives, la gauche et les syndicats essaient de convertir cette prise de conscience en un défaitisme où l'unique chose qui  reste à faire face à la crise est de SE PARTAGER LA MISERE ENTRE TOUS. Un tel projet -qui  est 100% cohérent avec la stratégie de l'isolement et l'usure des luttes- est la meilleure forme pour mener les ouvriers vers la SOLIDARITE NATIONALE : ainsi,  dans le cadre d'une "communauté nationale" menacée,  les ouvriers devraient accepter les plus grands sacrifices, à condition qu'on leur accorde un traitement "juste et équitable" en luttant pour cela contre tous les partis et patrons '!non solidaires", anti-démocratiques", et apatrides.

Mais pour paraphraser Marx, toute la démarche de la gauche et des syndicats repose sur l'idée que les ouvriers NE VERRAIENT DANS LA MISERE QUE LA MISERE et vise a empêcher qu'ils comprennent que de leur misère actuelle surgissent les bases pour L'ABOLIR DEFINITIVEMENT.

3°- Parce que c'est uniquement à partir de l'opposition que la gauche peut noyer les ouvriers dans l'idéologie de la démoralisation et du nihilisme qui  imprègne l'orientation d'ensemble de la bourgeoisie.  Dans cette ligne,  la gauche :

-     présente, en mettant la réalité à l'envers, son passage dans l'opposition COMME LE RESUL­TAT DE L'ASCENSION DE LA DROITE AU POUVOIR, donnant à entendre que c'est là le résultat d'une' défaite des ouvriers et de l’échec des tentatives de "changement social" et de 'réformes profondes" qui  ont dominé les années 70, inculquant de toutes parts que la société se "droitise" et, avec elle,  les ouvriers ;

-     présente le phénomène actuel  de maturation de la conscience des ouvriers, avec ses conséquences d'apathie apparente et négative, comme une "preuve" de la "défaite" et de la "droitisation" des ouvriers, cherchant ainsi effectivement leur démoralisation et leur défaite ultérieure  ;

-     consciemment, elle ne donne aucune alternative à la situation actuelle, sauf les alternatives démoralisantes d'accepter la misère, de se sacrifier pour la nation et de se battre pour des vieux mythes auxquels plus personne ne croit : le  "socialisme", la "démocratie", etc. Tout cela est essentiellement dû à la nécessité de démoraliser et de désanimer les ouvriers pour faire d'eux la chair et le sang de la situation de barbarie qu'impose la bourgeoisie. En réalité,  le rôle de la gauche dans l'opposition ressemble à celui  d'un avocat défenseur des ouvriers qui  prétend faire tout son possible pour eux, mais, comme les  "circonstances sont mauvaises", comme "l'ennemi  est puissant" et comme "les clients ne coopèrent pas",  il  ne peut rien faire de plus.

4°- Parce que c'est exclusivement à partir d'un rôle d'opposition que la gauche et les syndicats peuvent déployer L'EVENTAIL DES TACTIQUES AVEC UN PLUS GRANDE AMPLITUDE ET UNE PLUS GRANDE FACILITE D'ADAPTATION que par le passé, face aux luttes ouvrières, pour développer une ligne générale de dispersion et d'usure. Ainsi, l'expérience de ces dernières années nous a montré cette variété :

-    accepter la généralisation de la lutte y compris ses réactions de violence de classe mais en jugulant totalement 1'auto-organisation  (comme on a pu le voir à Longwy-Denain en France en 1979)   ;

-    permettre un développement local  et ponctuel  de l'auto-organisation et de la généralisation de la lutte ouvrière mais en maintenant un ferme contrôle à l'échelle nationale (sidérurgie anglaise)   ;

-    établir un cordon sanitaire autour d'une lutte radicale et auto-organisée en empêchant totalement sa généralisation (dockers de Rotterdam)   ;

-    se répartir les rôles de  "modération" et de "radicalisme" entre deux fractions d'un syndicat  (le métro de New-York), entre deux syndicats  (France, Espagne) ou entre le parti et le syndicat (Fiat), avec comme objectif le maintien du contrôle de l'ensemble des ouvriers ;

-    prévenir le mécontentement ouvriers  par des simulacres de lutte qui  peuvent même atteindre des caractéristiques massives et spectaculaires  (Suède)   ;

-    empêcher la maturation de la force ouvrière en provoquant des combats limités, dans des moments et dans des conditions défavorables.

Cet éventail varié de tactiques  permet de plus à la gauche et aux syndicats de se couvrir mieux face aux ouvriers; il  permet de diluer ses responsabilités, de se laver les mains de la situation et de ne pas se présenter comme un appareil unifié et monolithique, mais comme un organe "vivant", "démocratique", où  "il y a de tout", ce qui rend plus difficile et plus complexe la dénonciation des syndicats et de la gauche.

D'une manière générale, nous pouvons conclure que le tournant de la gauche dans l'opposition signifie un renforcement à court terme de son contrôle sur le prolétariat, en lui  permettant de développer une tactique d'usure, d'isolement et de démoralisation des luttes ouvrières, en les encadrant dans la stratégie générale de la bourgeoisie de démoralisation et de défaite du prolétariat.

Mais, à plus  long terme, ce tournant ne traduit pas, à la différence des années 30,  une capacité de la gauche pour enfermer le prolétariat sur un terrain bourgeois à travers des alternatives propres a coloration ouvrière, mais toute une réalité d'encadrement physique du prolétariat, c'est-à dire la tentative de la soumettre à un contrôle éhonté asphyxiant sans aucune perspective politique pour le justifier.

.8. La ligne de la gauche dans  l'opposition est complétée par deux autres éléments de l'actuelle stratégie globale de la bourgeoisie   :

1°- Le renforcement systématique de la répression et de la terreur d'Etat ;

2°- Les campagnes idéologiques  d'hystérie guerrière et nationaliste.

1) En se cachant derrière les  feuilles de vigne de 1'"anti-terrorisme" et de la  "sécurité des citoyens", tous les Etats du monde développent quantitativement et qualitativement des forces gigantesques, des instruments policiers, juridiques, militaires et propagandistes de leur appareil  de répression et de terreur. L'objectif de toute cette orientation est chaque fois plus évident :

- créer un dispositif adéquat pour, en combinaison avec la tactique d'usure et de dispersion qu'emploient la gauche et les syndicats, intervenir efficacement contre les luttes ouvrières ;

- prévenir les affrontements généralisés qui mûrissent.

Ce renforcement massif de l'arsenal  terroriste de l'Etat est justifié et appuyé par la gauche qui participe sans faiblir aux campagnes anti-terroristes et réclame sans arrêt le renforcement répressif de 1'Etat   :

-    au nom de 1'antifascisme ou de 1'antiracisme (Belgique), elle exige toujours plus de répression et plus de police ;

-    elle ne cesse pas de réclamer l'augmentation des budgets militaires au nom de la défense de la souveraineté nationale.

Ces soi-disant protestations contre les actes répressifs ne mettent jamais en question ce renforcement et la gauche se limite à formuler des plaintes  pieuses sous les aspects les plus éhontés et extrêmes, et à fustiger (au nom de la paix sociale et de l'intérêt national)  l'utilisation peu intelligente, excessivement partisane et trop provocatrice de la répression.

En réalité, malgré leur séparation formelle, les appareils syndicaux,  de gauche et l'appareil  policier SE COMPLETENT face à la lutte ouvrière. La répression s'abat sur les ouvriers une fois qu'ils sont isolés et désarmés par la politique et les pratiques de la gauche   et des syndicats. En même temps, la répression se dirige sélectivement contre les secteurs ouvriers  les plus    combatifs et pousse la majorité à accepter les méthodes et les alternatives boiteuses  de la gauche et des syndicats.

2) Sur le terrain des orientations idéologiques fondamentales que nous avons expliqué dans le point 6, la bourgeoisie a tenté de développer des campagnes  d'hystérie guerrière et nationaliste pour, d'un côté affaiblir politiquement le prolétariat et pour, d'un autre côté,  le mobiliser avec le reste de la population pour ses plans  de sacrifice et de guerre.

La très forte usure des vieux thèmes de mystifications  ("antifascisme", anti-terrorisme,  démocratie et défense nationale, etc.) a fait que ces campagnes ont eu en général  peu de succès et que, loin de prendre une forme cohérente et systématique, elles ont été plus des mouvements ponctuels basés sur l'exploitation d'événements particuliers tels que   :

- les otages utilisés  par les Etats Unis pour développer une campagne de solidarité nationale ;

- les attentats perpétrés  par 1'extrême-droite en France, en Italie, et en Belgique qui ont servi de base à des campagnes antifascistes;

- la menace d'invasion de la Pologne par la Russie employée comme plateforme de paix sociale et d'union nationale;

- 1'anti-terrorisme en Espagne et en Italie; les élections générales en Allemagne, base d'une gigantesque campagne pacifiste    de préparation à la guerre.

Le bilan de ces campagnes n'est pas positif pour la bourgeoisie : elles n'ont pas eu un impact réel  sur le prolétariat, du moins immédiatement. Elles se sont vues discréditées et démystifiées par les contradictions  internes de la bourgeoisie et l'impact même des événements  (le tremblement de terre en Italie, ou le cas Arregui  en Espagne en relation avec l'hystérie anti-terroriste). Elles ont plus cherché à créer un climat d'insécurité, de confusion et de démoralisation, qu'à présenter un cadre cohérent de mobilisation idéologique du prolétariat, cadre que la bourgeoisie,  pour le moment, est loin de trouver.

.9. Tout au long de ce chapitre, nous avons analysé en détail la réponse qu'a développée la bourgeoisie face à la situation actuelle qui est un carrefour historique. La question que nous devons nous poser est : cette réponse signifie-t-elle un renforcement de la bourgeoisie face au prolétariat ? Peut-elle détruire la reprise de la lutte prolétarienne commencée en 1978?

Toute la réorientation de la politique de la bourgeoisie qui  s'est produite les trois dernières années, si elle a signifié un renforcement à court terme, constitue une position de faiblesse et d'affaiblissement à long terme.

Nous allons développer cette thèse apparemment contradictoire.

A court terme, cette réorientation renforce la bourgeoisie :

1)  Elle lui  permet d'utiliser de façon cohérente, sans compromis et sans ambiguïté l'ensemble de ses forces politiques et sociales :

-    la droite au pouvoir se dédie à organiser l'attaque frontale contre le prolétariat, sans courir le risque de se voir contredite par sa base sociale ;

-    la gauche dans l'opposition peut se consacrer, sans le handicap de la responsabilité des affaires gouvernementales, à démobiliser les ouvriers, à user et à épuiser les luttes en facilitant ainsi le succès des attaques capitalistes, et en créant un climat de démoralisation et d'immobilisation.

2)  Elle lui permet de concentrer de façon cohérente toutes ses forces et tous ses instruments contre le prolétariat. Aujourd'hui, malgré les conflits internes du capital, et malgré les faiblesses et les anachronismes qui subsistent, nous assistons à une OFFENSIVE SYSTEMATIQUE et COORDONNEE de l'ensemble des forces de la bourgeoisie contre les travailleurs.  Il y a une tentative de synchronisation des efforts,  une capacité à se compléter et une unité des stratégies entre les différentes fractions  de la bourgeoisie jamais vues par le passé. La gauche et la droite, les  patrons et les syndicats,  les corps de répression,  les moyens  de communication,  les médias, l'Eglise et les institutions laïques, etc., coordonnent leurs efforts dans un même sens anti-prolétarien, en faisant converger les attaques partants de différents points,  divergents et contradictoires,  vers un même front  : celui  de la défense de l'ordre bourgeois. Ceci constitue un NIVEAU SUPERIEUR de l'action bourgeoise contre le prolétariat par rapport à la période précédente,  période dans  laquelle, ou bien la bourgeoisie utilisait la répression sans s'unifier réellement dans la mystification, ou bien la bourgeoisie utilisait la mystification sans recourir à la répression ouverte.

3) Elle lui  permet de développer une stratégie d'isolement et d'épuisement des surgissements de la lutte ouvrière,  en essayant de les noyer dans un climat général  de démobilisation, sans perspective, en cherchant à immobiliser et à désorienter le prolétariat  ,  pour tenter en fin de compte de créer les conditions d'une défaite totale et d'ouvrir ainsi  définitivement un cours vers la guerre.

Cette "réorientation de l'appareil d’"Etat bourgeois" connaît une efficacité immédiate, car elle parvient à maintenir dans certaines limites le développement des antagonismes de classe dans les principales concentrations ouvrières, en lui donnant une apparence spectaculaire.

Ceci dit, même si nous NE DEVONS JAMAIS SOUS-ESTIMER, de quelque façon que ce soit, la force de la bourgeoisie et que nous devons pousser le plus possible et dans les détails la dénonciation de ses campagnes et de ses manœuvres, une telle dénonciation demeurerait inutile si elle ne mettait pas clairement en évidence la situation de FAIBLESSE et de FRAGILITE, les PROFONDES CONTRA­DICTIONS, que cache cette apparente supériorité que se donne aujourd'hui le pouvoir bourgeois.

Nous ne devons jamais oublier que toute cette réorientation s'est faite POUR AFFRONTER la réémergence prolétarienne de 1978, c'est à dire que son point de départ est une position de faiblesse et de surprise de la part de la bourgeoisie.

Comme l'a démontré la bataille de la classe ouvrière en Pologne, la situation actuelle est toujours dominée par TIMPOSSIBILITE POUR LA BOUR­GEOISIE DE FAIRE PLIER LE PROLETARIAT ET D'ESTOM­PER LES ANTAGONISMES DE CLASSE. A ce niveau de la crise capitaliste, une telle incapacité constitue un danger très grave pour le pouvoir, car elle l'affaiblit aussi bien économiquement que politiquement, et elle approfondit ses contradictions et accroît son impuissance à imposer à la société la "solution" guerrière.

Pour cela,  la cohérence et la puissance actuelles de la politique bourgeoise doivent être interprétées dans leur essence comme le dernier recours, l'effort suprême de l'Etat bourgeois pour éviter un affrontement de classe généralisé.

CECI NE  PEUT NOUS CONDUIRE A SOUS-ESTIMER LA FORCE DE LA BOURGEOISIE : LES  POSSIBILITES OU­VERTES PAR LA REORIENTATION DE SA POLITIQUE SONT LOIN D'ETRE EPUISEES,   ET LE PROLETARIAT VA TRA­VERSER UNE  PERIODE  DURE, OU LE DANGER D'ETRE ECRASE PAR LA CONCENTRATION ACTUELLE DES RESSOUR CES COMBINEES DE LA BOURGEOISIE GARDERA SA PLEIN VIGUEUR. Mais en même temps, nous ne pouvons oublier que le PROLETARIAT CONTINUE A AVOIR LE MOT DE LA FIN. Tant que celui-ci sera capable d'ELAR GIR LA BRECHE OUVERTE PAR LES LUTTES MASSIVES EN POLOGNE, il pourra surmonter la terrible concentration des forces ennemies et ouvrir un processus DE RUPTURE DU FRONT BOURGEOIS, au cours duquel TOUS LES ASPECTS QUI AUJOURD'HUI APPARAIS­SENT COMME DES POINTS FORTS DU CAPITAL SE TRANS­FORMERONT EN AUTANT DE LEVIERS DE SA FAIBLESSE.

Comme nous avons vu au début,  la ligne actuelle de la bourgeoisie, qui  reconnaît ouvertement la faillite de son système et la réalité qu'elle n'a rien à offrir à l'exception de la guerre, peut avoir pour effet immédiat et dangereux de démoraliser le prolétariat et de l'enliser dans  la barbarie qu'impose le capital; mais dans la mesure où le prolétariat parvient à élargir son front de combat et à rompre la chaîne d'isolement et d'usure, cette ligne de "sincérité" crée un immense vide dans lequel  les ouvriers peuvent développer leur alternative révolutionnaire, étant donné qu'ils ont une certitude claire du fait que le seul  avenir, c'est le chaos,  et l'incapacité de gouverner de la part de la bourgeoisie :

"Que la bourgeoisie indique ouvertement que son système est en faillite,  qu'elle n'a rien d'autre à proposer que  la boucherie impérialiste, contribue à créer les conditions pour que le prolétariat trouve le chemin de son alternative historique au système capitaliste."  ([2])

La gauche dans l'opposition démontre son efficacité momentanée pour contenir les luttes ouvrières. Peut-elle finir par   épuiser et noyer l'immense combativité ouvrière actuelle ?

A la fois cette orientation contient un danger, et à la fois, comme nous l'avons montré,  du fait qu'elle repose sur un manque total  de perspectives capables de créer chez les ouvriers des illusions  dans le camp bourgeois, cette orientation dévoile que la CARACTERISTIQUE FONDAMENTALE de la gauche et des syndicats est celle de constituer de simples compléments  d1"opposition" à la politique de guerre et de misère du capital, et les fait apparaître ouvertement comme des  instruments d'encadrement physique et de surveillance du prolétariat.

De même, si le renforcement de la répression et de la terreur de l'Etat bourgeois, crée dans les rangs prolétariens momentanément un climat de peur et d'impuissance, à la longue ce renforcement dévoile de plus en plus son caractère de classe, mettant en évidence la nécessité de l'affrontement violent, sans illusion pacifiste, démocratique et légaliste.

Enfin,  les campagnes d'hystérie nationaliste et guerrière qu'entreprend le capital  peuvent intoxiquer le prolétariat avec des  poisons chauvinistes et interclassistes. Mais la faiblesse de leur base idéologique et les contradictions capitalistes qui  les démystifient peuvent finir par se transformer en leur contraire, en facteurs supplémentaires qui obligent le prolétariat à préciser son alternative révolutionnaire et à approfondir son autonomie de classe.

La tendance à la gauche dans l'opposition et au renforcement de l'appareil répressif expriment un  processus de RENFORCEMENT FORMEL  de l'Etat bourgeois qui  cache un autre aspect,  plus  profond : sa FAIBLESSE REELLE.

En fin de compte,  la façade actuelle de cohésion et de renforcement momentané du front bourgeois cache les  pieds d'argile que constitue l'incapacité profonde de la bourgeoisie à surmonter ses contradictions internes et à canaliser l'ensemble de la société vers ses alternatives. Tout ceci, qui  aujourd'hui  reste dans l'ombre, peut apparaître brusquement à la lumière du jour si  le prolétariat développe un front de combat massif sur son terrain de classe. Ceci,  loin d'ê­tre une simple hypothèse, ou l'écho lointain de vieilles expériences historiques, est une possibilité réelle, clairement annoncée par la grève de masse en Pologne :

"Ce n'est pas seulement sur le plan de la lutte prolétarienne que les  événements  de Pologne préfigurant une situation qui tend à se généraliser à tous  les pays industrialisés. Sur le plan des convulsions internes de la classe dominante, ce qui est en train de se produire aujourd'hui dans ce pays donne une idée, même dans ses aspects caricaturaux, de ce qui est en train de mûrir dans les entrailles de la société. Depuis le mois d'août 80, c'est une véritable panique qui s'est emparée des sphères dirigeantes du pays. Depuis 5 mois, la danse des portefeuilles ministériels s'est installée au sein du gouvernement jusqu'à faire échoir un de ces portefeuilles aux mains d'un catholique, biais c'est au sein de  la principale force dirigeante, le parti, que se manifestent avec la plus grande violence ces convulsions." ([3])

3/LA REPONSE  DU PROLETARIAT

.10. Après avoir vu la stratégie de la bourgeoisie,  il  nous faut faire maintenant un bilan de la réponse qu'est en train de donner le prolétariat à l'actuelle situation historique. Pour cela,    nous    avons à nous  poser trois questions:

1) Est-ce que le prolétariat prend conscience du carrefour historique que nous sommes en train de vivre et des graves responsabilités qui en découlent pour lui ?

2} Dans quelle mesure ses luttes les plus récentes traduisent une telle conscience et constituent un pas en avant vers son alternative : la révolution ?

3) Quelles sont les leçons et les  perspectives qui  découlent de ces luttes ?

L'objet du présent chapitre est de répondre à ces trois questions.

"Lorsqu'il s'agit de rendre compte  des  grèves, des coalitions,  et des autres formes dans  lesquelles  les prolétaires devant nos yeux s'organisent en tant que classe, les uns sont pris d'une véritable épouvante, les autres étalent un dédain transcendantal".  ([4])

Le processus à travers lequel la classe ouvrière mûrit sa compréhension de la situation historique et des tâches que celle-ci  lui  impose n'a rien de simple ni  d'évident.

La réponse, la pensée et la volonté de la classe s'expriment exclusivement dans ses actes massifs de lutte contre l'ordre bourgeois et même pour comprendre la véritable signification historique de ces actes, il est nécessaire d'en saisir la dynamique objective, car il existe toujours un violent décalage ENTRE L'IMPACT OBJECTIF DES LUT­TES ET LA REPRESENTATION SUBJECTIVE QUE S'EM FONT LES OUVRIERS.

La situation concrète présente de façon exacerbée ces difficultés à saisir la direction réelle des luttes ouvrières. Le 3ème congrès du CCI. annonçait une nouvelle période de montée des luttes prolétariennes à partir de 78, mais il signalait aussi  qu'une telle montée suivrait un cours contradictoire,  lent et pénible, qui  se manifesterait dans une succession de luttes brusques et explosives et non de façon linéaire,  progressive, cumulative, graduelle. Les luttes de 79-80, et en particulier la grève en Pologne, sont venues confirmer de façon éclatante cette prévision. Cependant, saisir la dynamique montante du mouvement et en apprécier les  pas en avant est devenu quelque chose de très difficile, aussi bien pour la classe que pour ses groupes révolutionnaires.

Ceci  est apparu clairement face aux événements de Pologne. De nombreux groupes ont manifesté à leur égard un  "dédain transcendantal", ne les voyant que superficiellement -sous la forme déformée qu'en donne la bourgeoisie- , n'y voyant que des ouvriers en train de communier, des drapeaux polonais, Walesa, etc. Le CCI a du combattre toutes les manifestations de ce type d'évaluation, qui  révèlent en fait une conception du développement de la lutte et de la conscience de classe absolument néfaste dans  la situation actuelle.

Laissons clair une fois pour toutes que le prolétariat constitue la classe qui  porte en elle toute l'inhumanité de la société bourgeoise et qui  souffre d'une dépossession et d'une aliénation radicales. En conséquence, dans son existence se manifeste de façon extrêmement aiguë une plaie fondamentale de la société bourgeoise : LA SEPARATION ENTRE L'ETRE ET SA CONSCIENCE, c'est-à-dire le décalage, voire même l'opposition, entre la réalité objective des actions sociales et les représentations subjectives que s'en font les protagonistes de ces actions. La classe ouvrière n'est pas étrangère à ce phénomène, et ce décalage existera toujours, jusqu'à la fin de son mouvement d'émancipation.

Mais la classe ne répond pas à ce décalage en créant une "nouvelle culture" ou en élaborant une "nouvelle science", mais en rompant dans son combat la séparation entre l'être et la conscience, en faisant de ses luttes la conscience en action, le mouvement qui,  par delà les différentes représentations subjectives qu'on puisse se faire de lui, tend à abolir les conditions objectives qui engendrent ce décalage (exploitation capitaliste, division en classes).

Ainsi, si  l'on analyse en profondeur les événements de Pologne, nous voyons que, malgré toutes ses faiblesses,  le prolétariat y a MANIFESTE, DANS LA LUTTE,  UNE COMPREHENSION DES BESOINS FON­DAMENTAUX DE LA SITUATION HISTORIQUE ACTUELLE   :

1°- sa capacité à  généraliser sa lutte, en exerçant de manière soutenue et à plusieurs reprises une PRESSION MASSIVE sur l'Etat, soutenue par des coups de force, mais évitant à la fois des affrontements  prématurés ou en position de faiblesse, met en évidence une compréhension active du moment présent au niveau historique et des responsabilités de la classe ouvrière dans cette situation;

2°- sa volonté d'auto-organisation et d'unité démontre qu'il a clairement compris l'affrontement de classes qu'il  doit livrer;

3°- le fait d'avoir répondu par la lutte aux divers appels de la bourgeoisie à la responsabilité face à l'économie nationale, met en évidence qu'il  comprend instinctivement l'opposition irréconciliable qui  existe entre l'intérêt de classe et l'intérêt national  et la nécessité d'une alternative révolutionnaire.

Il  ne s'agit pas de glorifier cette compréhension plus ou moins  instinctive mais de reconnaître sa réalité et de la prendre comme base pour l'action des minorités communistes du prolétariat et le développement de nouvelles luttes.

Ceci  dit, la question qui  se pose immédiatement est  : le reste du prolétariat mondial  a-t'il  compris le "message" de ses frères polonais ? Pouvons-nous affirmer avec certitude que l'ensemble du prolétariat mondial  se prépare et répond devant la croisée des chemins actuelle ?

A première vue, il  semblerait que les combats de Longwy-Denain en France, des sidérurgistes anglais, des travailleurs du port de Rotterdam, et surtout de Pologne,  n'ont laissé aucune trace immédiate puisqu'on n'a pas vu à leur suite l'extension des luttes à l'échelle internationale. Est-ce que cela veut dire que ce que nous annoncions au 3ème Congrès sur un nouveau cycle dans la lutte de classe était erroné ? Pas du tout l'analyse des conditions historiques que nous avons faite dans la première partie de ce rapport et celle que nous ferons postérieurement en tant que bilan des luttes vécues,  nous confirment clairement une telle perspective ; cependant, ce que nous devons  préciser, c'est le CHEMIN CONCRET que le prolétariat est en train de parcourir pour s'y rendre.

Longwy-Denain, la sidérurgie anglaise,  Rotterdam, etc., ont été les premières tentatives, les premiers jalons de cette nouvelle vague ; en quelque sorte une RECONNAISSANCE DU TERRAIN. Leur dénouement immédiat qui, en général a été la défaite, a montré à la classe ouvrière l'énorme chemin qu'elle doit parcourir,  la concentration féroce de forces qu'elle a en face d'elle, la faiblesse des moyens dont elle dispose, une réalité où, pour l'instant, il y a bien plus de problèmes  posés que de problèmes résolus. Tout cela l'a fait reculer, se replier, mûrir souterrainement.

Apparemment la Pologne a accentué le repli  du prolétariat occidental. Bien qu'elle ait fourni des réponses à beaucoup des  problèmes que se posaient les luttes de Longwy-Denain, de la sidérurgie anglaise, etc., elle n'a aussi que trop clarifié l'énorme envergure qu'ont aujourd'hui les luttes prolétariennes, la quantité de conditions qu’elles doivent remplir pour lutter avec un minimum de possibilités de vaincre. Tout cela pousse, jusqu'à un certain point, à accentuer le calme tendu que nous sommes en train de vivre.

Cependant, nous devons affirmer clairement l'énorme impact qu'a eu la lutte du prolétariat polonais sur ses frères de classe dans le reste du monde. Le cri magnifique des ouvriers de la Fiat "Gdansk, Turin, même combat." en témoigne   ; les luttes qui ont eu lieu par la suite en Roumanie, en Hongrie, en Russie, en Tchécoslovaquie, celle des employés du chemin de fer de Berlin,  le mettent en- évidence ; l'anxiété qu'elle a éveillée parmi  les ouvriers d'Allemagne, d'Espagne, de France, en est une manifestation...

La situation actuelle de la conscience de classe peut être formulée ainsi : les ouvriers ressentent instinctivement, d'une part l'énorme gravité du moment historique,  l'énorme responsabilité que contient chaque lutte, la réalité que chaque lutte doit affronter une concentration et une combinaison maximale d'armes que l'ennemi  peut opposer, et d'autre part la précarité des armes de lutte avec lesquelles ils peuvent compter. Tout cela pousse vers une certaine paralysie, vers un processus de réflexion donnant une atmosphère de doutes qui  n'est pas exempte de désorientation,

Cette situation de maturation difficile contient de grands dangers. En face,  la bourgeoisie agit de manière décidée, cherchant à isoler et à épuiser chaque surgissement de lutte,  présentant ce qui est    une maturation comme une défaite entraînant la démoralisation. Le danger existe ! Mais ce serait abdiquer face à lui que de ne pas voir la dynamique objective de luttes qui  est en train de se développer et ne pas intervenir résolument pour transformer tout ce magma actuel  d'anxiété, d'apathie apparente,  de recherche, en DEBUTS DE LUTTES qui accéléreront et fortifieront l'immense processus de luttes qui  est en train de mûrir.

.12. Lors du 3ème congrès international, avec les données encore embryonnaires des luttes des mineurs aux USA, de la sidérurgie en Allemagne, d'Iran et de Longwy-Denain, nous prenions le risque, fondé sur une analyse solide et globale,  de voir dans ces luttes l'annonce d'une nouvelle vague de luttes prolétariennes qui  mettrait fin au reflux relatif de 1973-78. Aujourd'hui, nous pouvons confirmer catégoriquement une telle annonce :

-     septembre 1979 : grève de Rotterdam ;

-     janvier-avril   1980 : grève des sidérurgistes anglais   ;

-     mars-avril   1980 : révoltes sociales en Syrie, Algérie et Hollande ;

-     avril 1980 : mouvement de grèves au Brésil dont le centre est la grève des métallos de Sao Paulo   ;

-     mai 1980 : grèves au métro de New-York, des autobus à Gorki et Togliattigrad, dans les deux métropoles de l'impérialisme ;

-     mai 1980 : mouvement semi-insurrectionnel en Corée du Sud et grèves en Afrique du Sud et au Zimbabwe ;

-     juillet-août 1980 : grève de masse en Pologne ;

-     après la Pologne, des grèves à la Fiat de Turin, à Berlin, en Tchécoslovaquie, en Roumanie, en Hongrie, en Russie,  en Bulgarie; -:octobre-novembre 1980 : vague de luttes relativement vaste au Portugal  et en Irlande;

-  à partir de décembre 1980 : mouvement ouvrier et paysan au Pérou.

A l'épicentre de ce cours de lutte de classe se trouve la Pologne. Les luttes qui  la précèdent développent des aspects partiels positifs, mais, globalement,  ils ratent :

-  les  affrontements de Longwy-Denain mettent en avant la violence de classe et la poussée à la généralisation, mais 1'auto-organisation ne se fait pas:

- les sidérurgistes anglais développent à l'échelle locale l'auto-organisation et la généralisation, mais ils ne réussissent pas au niveau national;

-     en Corée du Sud, le mouvement semi-insurrectionnel s'écrase devant une absence totale de coordination et d'auto-organisation;

-     au Brésil  et à Rotterdam 1'auto-organisation triomphe, mais la généralisation rate.

Ce que fait le mouvement de classe en Pologne c'est unifier toutes les tendances partielles de ces luttes en une grande grève de masse qui, à son tour, donne une réponse -ou début de réponse- à toutes les questions non résolues par les premières. La Pologne est le mouvement de classe le plus important  non seulement depuis la reprise prolétarienne de 1978 mais depuis l'écrasement de la vague de 1917-26. Elle place tout le cycle actuel |de la lutte de classe à un niveau supérieur,  rien qu'en cristallisant tout un ensemble de tendances ; qui ont mûri dans les luttes antérieures. Evidemment, les leçons de la Pologne mettront du temps à être assimilées par ses frères de classe et cela va coûter du temps et du travail  avant qu'elles ne se cristallisent dans des combats supérieurs. Mais cela ne doit pas nous cacher l'immense pas qu'a fait le prolétariat en Pologne et la nécessité de généraliser    ses leçons à l'ensemble de la classe.

4/ PERSPECTIVES  FONDAMENTALES POUR LES  LUTTES  FUTURES

.13. Les leçons de la grève de masse en Pologne, à la lumière des positions de classe tracées par la lutte historique du prolétariat, nous fournissent la plateforme de principes que doivent réunir les prochaines luttes pour être à la hauteur de ce NIVEAU SUPERIEUR qu'exige la situation historique et auquel  la Pologne a contribué de manière fondamentale.

L'AUTONOMIE DE LA CLASSE.

.14. La révolte du prolétariat contre l'ordre bourgeois ouvre un immense processus d'auto-organisation et d'auto-activité des masses ouvrières dont l'expression unitaire et centrale sont les assemblées générales et les comités élus et révocables.

Ces organismes représentent le minimum commun qui unifie l'ensemble du mouvement de classe à une étape donnée de son développement, car s'ils fournissent une plateforme pour le développement des tendances plus avancées de la classe,  ils ont en même temps des difficultés, de par leur liaison avec une étape déterminée du mouvement à évoluer selon les nécessités d'avancées du mouvement de classe. Cela fait qu'ils n'ont jamais une forme et une composition achevées, et qu'ils souffrent une évolution de brusques ruptures ou de recompositions selon les nécessités de la lutte prolétarienne.

Ces limitations les rendent vulnérables à l'action de la bourgeoisie. Celle-ci n'abandonne pas le terrain des organes ouvriers mais, au contraire elle essaie, à travers ses forces syndicales et d'opposition, de les occuper, de bombarder de l'intérieur l'action prolétarienne et de les dénaturer totalement même si elle en conserve la forme et le nom pour mieux tromper les ouvriers. Cela fait des organes ouvriers, tant que la révolution n'aura pas triomphé, un champ de bataille entre le prolétariat et la bourgeoisie (en utilisant les syndicats et la gauche).

Cependant, cette réalité, produit du caractère totalitaire du capitalisme décadent, ne doit pas nous conduire à considérer les organes ouvriers comme de simples formes dépourvues  de contenu ou comme es organismes hybrides sans caractère de classe défini. Et surtout, cela ne doit pas nous conduire à l'erreur, encore plus grave, de les comparer à des organismes créés par les syndicats pour devancer 1'auto-organisation prolétarienne (intersyndicale en France, ou "comités de grèves" en Angleterre) ou aux divers types d'organismes syndicaux.

Les organes qui émanent des grèves de masses expriment la volonté de la classe pour :

-     se constituer comme force organisée contre le capital ;

-     unifier et centraliser son effort d'auto-activité et d'auto-organisation;

-     prendre le contrôle souverain de la lutte.

Ceci, malgré leurs limitations temporaires liées à leur composition et leur forme et à la pénétration des forces bourgeoises dont ils souffrent, les place dans un camp diamétralement opposé à celui  de tout type d'organisation para-syndical.

LA GENERALISATION

.14. Dans la période actuelle, la solidarité de classe, la généralisation des luttes, prennent pour le prolétariat un caractère plus profond que celui  qu'elles avaient dans les années 60-70.

Dans les années 60-70, la classe ouvrière a été le protagoniste de grands mouvements de solidarité et d'auto-organisation. Mais les conditions de cette période permettaient encore des luttes partielles relativement victorieuses parce que, soit elles arrachaient des améliorations momentanées, soit, elles faisaient reculer temporairement le capital. Dans un tel  cadre, la généralisation, malgré toutes ses potentialités, n'était comprise que de façon très limitée, comme un simple appui ou comme l'idée : "qu'ils gagnent, eux, après nous gagnerons nous".

Ces idées tout en étant élémentaires pour toute lutte ouvrière, sont insuffisantes face à la situation actuelle. Dans les conditions actuelles, la solidarité de classe ne peut être conçue que dans le sens de se joindre à la lutte, d'étendre l'affrontement avec une volonté de se constituer comme FORCE SOCIALE qui  s'oppose victorieusement à l'Etat bourgeois et ouvre le chemin vers  la révolution.  Dans la situation actuelle, la solidarité de classe doit se poser comme une question de vie ou de mort : à partir de la compréhension que telle ou telle bataille commencée par tel ou tel  secteur de la classe ouvrière, exprime inéluctablement la bataille que doit livrer l'ensemble de la classe ouvrière.

LUTTE  REVENDICATIVE ET LUTTE  REVOLUTIONNAIRE

.16. Un des problèmes qui  rend pour le moment plus difficile le surgissement des  luttes, c'est l'impossibilité, chaque fois plus évidente, d'obtenir des victoires économiques qui durent au moins quelques mois. Ceci est apparu clairement en Pologne : la gigantesque grève de masse n'a pu obtenir satisfaction que sur quelques points des accords  de Gdansk.

Cela veut-il  dire que la lutte économique ne sert à rien et qu'elle doit être abandonnée au profit d'"une lutte politique" abstraite ou d'une non moins éthérée grève générale et simultanée pour le jour J ?

Pas du tout ! La lutte revendicative est la base profonde de la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière parce qu'elle est à la fois la classe exploitée et la classe révolutionnaire de la société capitaliste,  parce que ses intérêts immédiats de résistance contre l'exploitation coïncident avec ses  intérêts historiques d'abolition de l'exploitation.

On  l'a vu en Pologne, où la lutte politique de masse (grèves du mois d'août) est préparée par une vague de luttes économiques partielles (grèves depuis juillet) et cède le pas à un nouveau torrent de luttes économiques.

La base révolutionnaire de la lutte revendicative du prolétariat réside en ce qu'elle exprime une logique diamétralement opposée à celle qui régit la société capitaliste. La logique du capital  exige que les ouvriers subordonnent leurs intérêts et besoins à la marchandise et à l'intérêt national. Face à elle, les ouvriers opposent la logique de leurs besoins humains, ce qui est le fondement profond  du communisme : A CHACUN SELON SES BESOINS,    DE CHACUN SELON SES POSSIBILITES.

"Les ouvriers doivent déclarer qu'en tant qu'hommes, ils ne peuvent se plier aux conditions existantes, mais que les  conditions elles-mêmes  doivent s'adapter à eux,  hommes" ([5]).

La lutte politique du prolétariat    n'est pas "d'abandonner" ou de  "dépasser" la lutte revendicative mais de prendre comme base la logique profonde qu'elle contient, en la prenant sur le seul terrain où elle peut donner    toute sa potentialité :  celui  de l'affrontement de classes, celui  de la lutte à mort contre l'Etat bourgeois. Elle ne réside pas dans une soi-disant "réforme politique de l'Etat", ni en un simple programme de transition, ni  dans l'attente du jour J   "on" appellera à la grève générale politique; elle réside dans la compréhension qu'avec l'aggravation inexorable de la crise- les fils qui meuvent les destinées de l'humanité dépendent exclusivement du rapport de force entre bourgeoisie et prolétariat, dont If intérêts objectifs sont diamétralement opposés. De ce point de vue, le problème "politique" de la classe ouvrière est : comment se constituer en une FORCE SOCIALE capable de détruire l'Etat bourgeois ?

Si  l'on part de ce point de vue,  disparaît la question métaphysique : lutte économique OU lutte politique.  Le problème de chaque lutte n'est pas seulement le résultat immédiat mais, surtout, sa contribution au changement de rapport de force en tre les classes, en faveur du prolétariat.  Ce ne sera pas son éventuelle victoire temporaire, qui ne durera que quelques jours, mais sa capacité à exprimer et donner des  réponses à des problèmes qui sont ceux de l'ensemble de la classe. Dans ce sens,  les      luttes revendicatives prennent toute leur valeur :

"En général, les grèves ne sont que des escarmouches d'avant-garde,  parfois ce sont des affrontements d'une certaine ampleur : elles ne décident rien   par elles-mêmes mais elles sont la meilleur preuve que   la bataille entre  la bourgeoisie et le prolétariat est en train as se rapprocher.  Elles sont l'école de guerre des ouvriers dans  laquelle ils se préparent pour la grande  lutte désormais inévitable ce sont les soulèvements de certains secteurs ouvriers pour leur adhésion au grand mouvement ouvrier" ([6]).

L'INTERNATIONALISATION

.17. Lors du 3ème congrès du CCI, nous avons noté comme "principale et première caractéristique" de la reprise prolétarienne ouverte en 1978 "l'internationalisation objective des luttes". Une telle internationalisation se basait sur le fait que "nous avançons vers une EGALISATION DANS LA MISERE des ouvriers  de toutes les entreprises, de tous les pays,  de toutes  les régions". La dynamique des événements vécus depuis cette époque confirme une telle analyse et ouvre la porte à des perspectives que nous devons éclaircir et approfondir.

La maturation du nouveau cycle de luttes ouvrières n'est pas le produit d'une addition de processus nationaux mais elle se réalise selon une dynamique directement mondiale. Ainsi, la continuation de Longwy-Denain ne se trouve pas malgré les conséquences que cette lutte a pu avoir pour le prolétariat en France, mais à Rotterdam ou dans la sidérurgie anglaise, la grève de masse en Pologne est, comme nous  l'avons  démontré, la synthèse des luttes  de Longwy-Denain,  Rotterdam, Brésil, de l'acier anglais, de la Corée, de la Russie. Las ouvriers polonais connaissaient par exemple les grèves  de Gorki-Togliattigrad et s'en sont servi pour leur lutte. Mais, ce qui est plus important : les problèmes qu'a soulevée la dynamique postérieure des grèves polonaises  (contrôle de l'appareil  répressif étatique, des moyens de communication, poursuite des affrontements) sont l'expression des problèmes qui  ne peuvent être résolus que si la lutte prolétarienne se généralise à l'échelle internationale.

Tout cela exige   que la classe ouvrière conçoive l'internationalisme moins comme une question de simple appui mutuel  mais plus comme une compréhension    qu'elle EST UNE CLASSE MONDIALE, avec des intérêts communs et un ennemi commun, et, surtout, avec une responsabilité historique correspondante à cette croisée des chemins : guerre ou révolution.

LA LUTTE CONTRE LA GUERRE

.18. S'il y quelque chose que l'expérience des trois dernières années nous a démontré de façon écrasante, c'est que le prolétariat est la seule,  force sociale capable de s'opposer à la tendance capitaliste à la guerre.

La lutte du prolétariat a déstabilisé l'Iran -bastion pro-américain - en coulant son armée -la cinquième du monde- sans    laisser de chances au bloc russe de profiter de cette conjoncture, c'est à dire, en  attaquant de front  la machine de guerre de l'ensemble du capital  mondial. Mais en  1980, la lutte du prolétariat polonais a déstabilisé brutalement un bastion pro-russe sans que le bloc américain n'est pu profiter de l'occasion en dehors d'une pression purement propagandiste.

Qui    plus est, l'année 1980, qui  a commencé avec un pas très grave vers la guerre -l'invasion russe en Afghanistan- s'est terminée sous le poids écrasant des événements de Pologne, dans une limitation relative de conflits inter-impérialistes et avec le phénomène de la COOPERATION INTER-IMPERIALISTE des deux blocs pour affronter leur ennemi commun : le prolétariat. Tout cela nous démontre la force décisive qu'a le prolétariat contre les plans de guerre du capital. Une telle force ne se situe pas sur le terrain d'une "pression morale" pour "obliger les deux bloc-à vivre en paix".  Avec ou sans lutte de classes, les tensions inter-impérialistes se poursuivent et s'aggravent car elles trouvent leur source dans les contradictions insolubles du capital. L'effet de la lutte du prolétariat est de déstabiliser les plans du capital,  d'aggraver ses contradictions internes et ainsi  de changer le rapport de forces dans le sens de la révolution. En faisant cela, elle bloque et détruit l'issue historique à laquelle est liée l'existence du capital : la guerre.

L'expérience de guerres locales en 1980, comme celle entre l'Irak et l'Iran    ou entre le Pérou et l'Equateur, nous démontre que, si au niveau historique, l'alternative du prolétariat est de lutter contre le capital  pour le détruire et empêcher son issue guerrière, au niveau des guerres locales et, en tant que moment de cette alternative, la lutte ouvrière dans ces pays doit tourner autour des principes du défaitisme révolutionnaire : désertion massive, fraternisation des soldats des deux camps,  retourner les fusils contre leurs propres chefs capitalistes,  transformation de la guerre impérialiste en guerre civile de classe.

Les guerres locales du genre -Pérou-Equateur ou Iran-Irak, constituent à la fois des opérations de police à l'intérieur d'un bloc  et des tentatives des capitaux nationaux impliqués pour ramener le - prolétariat derrière le drapeau national. En ce sens, elles ne sont pas un pas vers la guerre mais sont le produit des contradictions du capital exacerbées. Ceci  implique que, malgré le leurs éventuels succès immédiats dans la reconstitution d'une union nationale, à terme elles l'affaiblissent aiguisant encore plus et de façon plus violente les antagonismes de classe.

LA LUTTE CONTRE LA REPRESSION

.19. Au 3ème congrès du CCI, nous avons affirmé clairement que face à une répression chaque fois plus systématique et féroce, la défense des ouvriers n'est pas dans les "garanties démocratiques" ni dans les groupes armés qui prépareraient militairement la classe, mais dans sa lutte massive et violente.

L'expérience de la grève de masse en Pologne a confirmé catégoriquement cette idée,  tout en nous permettant de mieux la préciser, en relation avec l'expérience historique du prolétariat.

"Les ouvriers -polonais ont neutralisé la répression -de  l'Etat non pas par- leur  "pacifisme " mais parce que,  depuis  le début,  ils ont pris toutes  les mesures de force pour- la désarmer à la racine  : en occupant les usines jour et nuit avec des piquets massifs,  en restant mobilisés dans les quartiers ouvriers face à n'importe quelle provocation policière,  en préparant partout des mesures  D'AUTO-DEFENSE OUVRIERE DE MASSE et surtout, en faisant le pas qui donne un sens à tout ce qui précède   : EN ETENDANT ET UNIFIANT LES GREVES DANS TOUT LE PAYS" ([7]).

L'expérience polonaise nous clarifie en profondeur sur le sens de la violence prolétarienne et de sa lutte contre l'appareil répressif du capital. La classe ouvrière ne peut jamais tomber dans le légalisme et la mansuétude, mais cela ne veut pas dire que sa lutte consiste à chercher l'affrontement à tout prix, à fabriquer des  "héros", à verser le sang ou à imposer un  "châtiment exemplaire". Ces deux alternatives sont radicalement fausses et elles se cachent  l'une l'autre : la  première est 1'hypocrisie cynique du capital qui cache la deuxième,  sa pratique réelle de la violence aveugle, inhumaine et irrationnelle.

La lutte de la classe ouvrière se situe sur un autre terrain,  social et politique à la fois : celui de se constituer  au moyen de la lutte de masse, en une FORCE REVOLUTIONNAIRE capable :

-    d'exercer sur le capital  et son Etat une pression chaque fois plus asphyxiante;

-    d'isoler politiquement le capital et l'Etat;

-    de multiplier les contradictions internes y compris au sein de l'appareil  répressif;

-    de diviser, disperser et finalement neutraliser le dit appareil.

"Tout le secret et toute  la force de l'assurance de la victoire de la révolution des travailleurs réside dans  le fait qu'à la longue,  aucun gouvernement du monde ne peut se maintenir en lutte contre une masse populaire consciente, si cette  lutte s'étend sans cesse et grandit en ampleur. Le  carnage  et  la domina lion brutale  du gouvernement ne constitue qu'une supériorité apparente  sur  la masse" ([8]).

Naturellement, cette tendance historique de la lutte de classe ne constitue pas une  formule infaillible pour "solutionner" le problème de la répression, et même celui de l'insurrection, de la façon la "plus pacifique possible" mais c'est une orientation de base pour toutes  les étapes de l'affrontement prolétarien avec le capital.  C'est pourquoi nous ne défendons pas l'idée d'un écroulement spontané de l'Etat sous la pression de la grève de masse mais deux autres choses totalement différentes   :

1)   qu'une explosion de grève de masse affaiblit et paralyse momentanément la répression de 1'Etat capitaliste;

2)   que c'est ce terrain massif et déterminant d'une immense force sociale qu'il  faut conserver et sur lequel  il  faut se baser pour passer à des affrontements supérieurs.

Pour un affrontement supérieur -l'insurrection- il  serait très dangereux de compter sur un simple écroulement spontané de l'Etat.  Il faut savoir que l'Etat,  devant une situation décisive, tire des forces de sa faiblesse,  il se recompose,  se réoriente et se réorganise et, généralement concentré autour de "forces ouvrières" (par exemple, les menchéviks en Russie), essaie d'écraser de manière sanglante le mouvement de classe. Donc, si celui-ci veut passer à un stade supérieur -révolutionnaire- il  doit se poser le problème de la destruction totale de l'Etat bourgeois au moyen de l'INSURRECTION, laquelle, comme le disait Marx, et un ART qui  requiert une préparation consciente et minutieusement organisé de la part de la classe ouvrière. Ceci  dit, cette ART se trouve uniquement sur le terrain de la MOBILISATION ET ORGANISATION MASSIVES  DE LA CLASSE.

LE PROLETARIAT ET LES COUCHES NON-EXPLOITEUSES

.20.  "Les mouvements de révolte sociale contre l'ordre existant participent,  d'une part au processus d'isolement de  l'Etat,  et d'autre part,  ils constituent le contexte social dans  lequel le prolétariat émerge et  trouve sa propre  voix comme seule force capable  de présenter une alternative".

Cette affirmation peut nous servir de base pour continuer à approfondir la question du rapport entre le prolétariat et les autres couches non-exploiteuses.

La grève de masse crée un terrain de rébellion, d'action directe et de remise en question de l'ordre bourgeois, auquel  finissent par se joindre, avec une intensité différente, les différents secteurs des couches opprimées et non-exploiteuses. Cela ne veut pas dire évidemment, que celles-ci doivent attendre que le prolétariat saute sur la scène sociale pour se lancer dans la bagarre. Personne ne prétend "donner des leçons" sur l'action de ces couches sans avenir ni s'opposer à un processus qui est inévitable, ni  d'un autre côté les prendre comme plateforme pour un soi-disant réveil  du prolétariat. Il s'agit au contraire de les reconnaitre comme une maturation des contradictions    qu'accumulent le capitalisme, de les stimuler dans le sens profond de leur révolte contre une existence chaque fois plus inhumaine et de leur donner comme perspectives leur union à la lutte prolétarienne qui est en train de mûrir partout.

5/ LA PERSPECTIVE DE LA REVOLUTION

.21. Une conclusion claire s'impose : nous vivons une époque décisive où sont en gestation les affrontements de classe qui  détermineront le cours futur de l'humanité vers la révolution ou vers la guerre. Comme nous l'avons indiqué plus haut (point 2)  une des armes principales de la bourgeoisie face à la situation actuelle est de noyer le prolétariat dans un manque total  de perspective, en lui  faisant croire qu'il  n'existe aucune issue au monde de catastrophes et de barbarie qu'elle nous  impose. Ce manque de perspectives n'est pas seulement un produit de son action idéologique, mais surtout de l'action matérielle immédiate de ses appareils de gauches et syndicaux chargés d'isoler et d'épuiser les luttes.

Les luttes massives qui  se préparent doivent avoir une conscience claire de la situation qu'elles  vont trouver : leur but n'est pas de conquérir  des satisfactions immédiates, pas même momentanément; leur véritables effet va être de mettre en lumière le chaos latent de l’économie capitaliste en le précipitant dans une gigantesque déstabilisation de sa structure politique, économique et sociale.  Certes,  dans le cadre de cette déstabilisation, la classe ouvrière, protégée par le rapport de force en sa faveur qu'elle a su imposer, va pouvoir satisfaire une quantité de revendications immédiates, mais au pris  d'aggraver jusqu'au paroxysme le chaos capitaliste et d'aller jusqu'aux conséquences  révolutionnaires de son action.  Si  face à    cela, la classe ouvrière se perd  en une multitude d'actions locales et partielles aussi  radicales soient-21'les, elle finira à la longue par se disperser dans 1s chaos de l'ordre bourgeois et du capital  qui opère de façon mondiale et centralisé, et qui  reprend le contrôle une fois l'épidémie passée. C'est pourquoi,  face à ces  futures mobilisations massives de la classe ouvrière,  une des  principales lignes de défense que le capital  va utiliser, c'est l'action de la gauche et des syndicats qui vont tenter d'enfermer ces explosions en une multitude d'actions chaotiques et radicales, dans les ornières de l'autogestion, du fédéralisme, du populisme.

La réponse à ce problème n'est en aucun cas que les ouvriers renoncent à cette salutaire et implacable action revendicative; il  s'agit de la concentrer dans l'attaque révolutionnaire contre l'Etat bourgeois  pour le détruire et élever sur ces ruines LA DICTATURE DES CONSEILS OUVRIERS, seule plate-forme possible pour qu'elle passe à un niveau supérieur et développe ses  immenses possibilités historiques.

En conséquence, une des nécessités fondamentales de la situation actuelle est que la PERSPEC­TIVE DE LA REVOLUTION prenne corps chaque fois plus clairement et plus concrètement dans la préoccupation et la conscience des ouvriers. L'alternative révolutionnaire est l'orientation indispensable pour vivifier et pour renforcer les batailles de classe qui  vont être livrées. Les révolutionnaires doivent contribuer activement par leurs analyses et leur défense des expériences historiques du prolétariat à cette orientation.

.22. Une autre nécessité impérieuse de la situation actuelle,  directement liée à la précédente, c'est le développement à un stade supérieur des forces communistes de la classe qui doivent converger dans son PARTI  DE LA REVOLUTION MONDIALE.

Si  la première étape de l'actuelle reprise historique de la lutte du prolétariat (années 60 et 70) a donné comme fruit le développement de toute une série de noyaux communistes capables de se réapproprier programmatiquement les expériences historiques de la classe et de reprendre le fil  de la continuité avec   les organisations ouvrières du passé,  coupé par 50 ans de contre-révolution,  il faut comprendre que la nouvelle étape de cette reprise doit entraîner également un stade supérieur. La classe ouvrière doit créer, au cours des luttes à venir, les forces révolutionnaires qui, autour des  pôles communistes internationalistes qui  sont déjà constitués aujourd'hui, concentreront ses énergies, orienteront ses luttes et renforceront ses mouvements en direction de la REVOLUTION COMMUNISTE ET SON PARTI MONDIAL.



[1] Accion Proletaria n°28 "Révolution communiste ou barbarie capitaliste" (Edito)

[2] Revue   Internationale n°23  "La  lutte de classes   internationale"

[3] Revue Internationale n°24 "La dimension internationale des luttes ouvrières en  Pologne"

[4] K. Marx "Misère de la philosophie"

[5] F.Engels "La situation de la classe ouvrière en Allemagne"

[6] F.Engels  "La situation de la classe ouvrière en Angleterre"

[7] Accion Proletaria n°33 "Pologne au centre de la situation mondiale"

[8] R. Luxemburg  "A l'heure révolutionnaire"  Œuvres choisies T.1 (traduit de l'espagnol par nous)

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