La signification du raid américain sur l'Iran

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Dans les moments de crise de la société, l'histoire semble s'accélérer. En quelques semaines, des événements qui avaient, au moment où ils se sont produits, secoué les esprits, apparaissent comme de petites péripéties lointaines. Après deux mois, le raid américain du 24 avril sur l'Iran sombre déjà dans le quasi-oubli. Cependant, les problèmes qu'il a mis en évidence ou qu'il a rappelés demeurent avec toute leur importance :

-                            le rôle déterminant de l'Iran dans le dispositif stratégique du bloc américain,

-                            le chaos qui continue de régner dans ce pays dont l'incapacité des autorités légales à régler le problème des otages n'est qu'un des aspects, chaos qui ne fait qu'exprimer le chaos général dans lequel s'enfonce le monde actuel,

-                            l'accentuation des préparatifs de guerre de la part des blocs impérialistes et notamment des U.S.A. dont le raid sur l'Iran avait une résonance qui allait bien au delà des événements qui secouent ce pays : mise en garde au bloc adverse, resserrement des liens des pays du bloc autour de leur chef de file, poursuite et intensification du bourrage de crâne de la population.

C'est dans la mesure où elle tente d'éclairer ces différents problèmes que cette prise de position du C.C.I. à la suite du raid américain, malgré le côté "daté" de certains événements (notamment ceux d'Iran), demeure d'actualité.

Une nouvelle fois, avec le raid américain du 24 avril en Iran, ce pays, ainsi que la menace d'une guerre mondiale, viennent d'être placés au centre du jeu politique international. Au delà de toutes les campagnes de brouillage mises en œuvre par la bourgeoisie et ses mass-médias, autour du "fiasco" des U.S.A., il importe que les révolutionnaires et la classe ouvrière aient une idée claire

-            des véritables objectifs de la bourgeoisie américaine,

-            de la situation, tant en Iran que sur la scène internationale, que traduit cet événement.

A - L'opération américaine en Iran n'est pas un fiasco.

C'est au contraire une réussite. On pourrait parler de fiasco si les objectifs qui étaient visés n'avaient pas été atteints, or, ils l'ont été. Ces objectifs étaient les suivants :

1)  signifier à la bourgeoisie iranienne que les USA n'étaient pas disposés à supporter plus longtemps l'anarchie qui règne dans son pays,

2)    signifier aux autres pays du bloc qu'on attendait d'eux une solidarité active non pas seulement face à la question de l'Iran mais à l'ensemble des problèmes auxquels les USA et son bloc sont confrontés sur la scène internationale,

3)    signifier à l'URSS la détermination des USA face à toute tentative de ce pays de mettre à profit quelque situation que ce soit pour élargir sa zone d'influence : les USA ne toléreront pas un nouveau Kaboul,

4)  relancer sur le plan interne le mouvement de "solidarité nationale" déjà mis sur rails au moment de la "découverte" des troupes russes à Cuba et considérablement amplifié au moment de la prise des otages de Téhéran et de l'invasion de l'Afghanistan.

Il est clair que si l'objectif des USA avait été de délivrer les otages de Téhéran on pourrait alors parler de fiasco. Par contre, si ces objectifs sont bien ceux énumérés ci-dessus, c'est bien de réussite qu'il faut parler :

-            la bourgeoisie iranienne n'a aucunement profité du raid pour renforcer sa campagne anti-américaine; au contraire, la modération de sa réponse, mis à part les bavures imputables aux éléments les plus fanatiques et stupides du clergé, a indiqué qu'elle avait bien reçu le message,

-            les gouvernements de tous les principaux pays du bloc U.S. ont apporté un soutien sans faille à Carter après l'opération américaine : il est même intéressant de constater que c'est le seul point où il y a eu accord lors du récent sommet des pays de la C.E.E., à Luxembourg,

-                        l'URSS a fait preuve, elle. aussi, d'une grande modération dans sa condamnation des "menées" américaines, se contentant de dénoncer "l'irresponsabilité" de Carter : elle indiquait par là qu'elle avait bien compris la mise en garde qui lui était adressée,

-            une majorité de la population américaine et l'ensemble de l'appareil politique des USA ont apporté leur appui à Carter malgré l'échec officiel de l'opération.-

B - Pour quelles raisons faut-il considérer que ce sont bien là les principaux objectifs de la bourgeoisie américaine ?                                                                                   

1) L'Iran constitue une pièce essentielle du dispositif stratégique du bloc américain. En premier lieu, son importance comme producteur de pétrole, c'est-à-dire un des nerfs de la guerre moderne, n'est pas à démontrer. Mais là n'est pas la raison essentielle de son importance, le bloc US dis posant avec le Mexique, le Venezuela, l'Arabie Saoudite, les Emirats et l'Irak de stocks considérables (sans compter que les gisements iraniens pourraient être, si nécessaire, conservés à l'occident par l'Irak interposé). En fait, c'est bien la position géographique de ce pays :

- qui contrôle le détroit d'Ormuz, point de passage des pétroliers       

- qui a une frontière de plusieurs milliers de kilomètres avec l'URSS,

- qui constitue un obstacle dans la progression de l'URSS vers les "mers chaudes" dont la mainmise sur l'Afghanistan a constitué un pas important, qui lui confère cette importance exceptionnelle pour le bloc US et qui a motivé le fait que celui-ci l'équipe, du temps du Shah, d'une des armées les plus puissantes du monde.

Les secteurs les plus importants de la bourgeoisie iranienne ont depuis longtemps été conscients de ce fait et de l'intérêt qu'ils avaient de monnayer l'importance de leur pays au sein du bloc US plutôt que de le laisser devenir un satellite de l'URSS. Même aux moments de plus fort anti-américanisme de ces derniers mois, il ne s'est dégagé de force politique importante en faveur du bloc russe. C'est pour cela que les événements d'Iran, le conflit entre ce pays et les USA n'ont constitué à aucun moment une expression du conflit entre les grands blocs, mais une affaire interne du bloc US. C'est notamment pour cette raison que les USA ne sont pas intervenus militairement jusqu'à présent ; préférant faire un maximum d'efforts pour reprendre les choses en main de façon progressive et donc plus efficace.

Cependant, l'Iran ne peut assumer son rôle de pion essentiel du jeu américain que s'il dispose d’un minimum de stabilité interne et d'un pouvoir fort : son incapacité à jouer son rôle de gendarme de la région n'est certainement pas étrangère à la décision de l'URSS d'envahir l'Afghanistan.

Or, depuis la chute du Shah, il y a plus d'un an, l'Iran n'est pas sorti de l'anarchie ; depuis date, il ne s'est dégagé dans ce pays de force politique en mesure de reprendre en main la situation, de constituer un réel pouvoir. C'est d'ailleurs bien parce qu'ils prévoyaient une telle situation et non par aveuglement que les Etats-Unis ont soutenu pratiquement jusqu'au dernier moment un régime qui pourtant faisait l'unanimité contre lui. Successivement Baktiar et Bazargan ont échoué dans tentative de remettre de l'ordre dans le pays pour le compte du capital national et du bloc US. En fait, l'affaiblissement considérable, à cause de     ses liens trop étroits avec le régime du Shah, de la seule force qui soit en général en mesure dans les pays sous-développés d'exercer le pouvoir, l'armée, a pratiquement privé le capital iranien de carte politique de rechange : l'Eglise a très bien joué son rôle en tant que force de mystification mais n'a, comme nulle part ailleurs, de quelconque compétence pour assumer le pouvoir politique. La prise des otages de Téhéran :

- en refaisant dans un premier temps une unité nationale fortement menacée par les soulèvements nationalistes et les luttes ouvrières,

- en pouvant permettre dans un deuxième temps de mettre en évidence l'impasse dans laquelle les secteurs les plus arriérés et fanatiques de la classe dominante entraînaient le pays et d'isoler ces secteurs, aurait pu marquer le début d'une reprise en main de la situation au bénéfice des Etats-Unis. Bani Sadr, représentant, après Bakhtiar et Bazargan, les secteurs les plus modernes et lucides de la bourgeoisie nationale, mais jouissant d'une audience "populaire" plus grande que ses prédécesseurs, a pu porter les espoirs américains d'une telle reprise en main. Son élection à la présidence de la république constituait une première étape d'un tel processus mais il est rapidement apparu qu'il était incapable d'exercer une réelle autorité sur l'ensemble de la classe dirigeante et notamment sur le secteur ecclésiastique. Pour le moment, il n'existe pas de pouvoir réel en Iran : l'appareil étatique légal est paralysé tant par ses dissensions internes que par l'action de multiples forces sociales et politiques qui n'acceptent pas son autorité :

- classe ouvrière

- minorités nationales

- église

- forces paramilitaires "islamiques" (les "gardiens de la révolution") ou "de gauche" (les "moudjahidin").

La classe ouvrière a joué un rôle déterminant dans le renversement du régime du Shah : à l'automne 78 ce sont ses grèves qui, en paralysant l'appareil économique du pays, ont donné le signal du "lâchage" du Shah par les dernières forces qui le soutenaient encore, notamment les USA. Depuis, les différents gouvernements qui se sont succédés à la tête de la "république islamique" n'ont pas réussi à la mettre réellement au pas.

De même les minorités nationales, Baloutches, Arabes et surtout Kurdes, ont mis à profit les bouleversements de Téhéran pour entrer en sécession, sécession que les efforts successifs de l'armée et des "pasdars" (ou "gardiens de la révolution") n'ont pas réussi à liquider malgré des massacres répétés.

Face à ces deux forces de désagrégation du pays, le capital iranien a trouve un soutien actif de la part de l'église chiite et des "gardiens de la révolution" qui se sont illustrés dans la répression. Mais, en même temps, ces forces n'ont cessé de mettre à profit leur place dans cette répression pour agir pour leur propre compte par dessus le pouvoir légal dont l'armée semble constituer, malgré sa désorganisation et ses tensions internes, le seul pilier. Ces divisions entre les différents secteurs de l'appareil politique, idéologique militaire du pays n'ont pu, en fin de compte, qu'encourager les soulèvements des minorités nationales et la lutte ouvrière. Une remise en ordre du pays pour le compte du capital national et du bloc US passe donc par une remise en ordre préalable au sein de cet appareil, remise en ordre qui ne peut, en fin de compte, se faire qu'autour de l'armée et de la bourgeoisie industrielle.

Le message que les USA, à travers leur opération, ont envoyé à la bourgeoisie iranienne est donc clair : "remettez de l'ordre dans votre maison, sinon nous viendrons nous-mêmes le faire". Et il semble que ce message commence à être compris, notamment par Khomeiny qui vient d'autoriser Bani Sadr à nommer un premier ministre et à prendre le commandement suprême de toutes les "forces de l'ordre" ainsi que le contrôle de l'ensemble des moyens d'information (même si, en même temps, il continue à lui mettre des bâtons dans les roues en appelant à "voter islamique") ([1]).Apparemment affaibli par le raid américain, Bani-Sadr s'en révèle en fait un des bénéficiaires : c'était bien un des objectifs des U.S.A.

2) Globalement, depuis le début de l'aggravation des contradictions économiques du capitalisme à la fin des années 60 et des tensions inter-impérialistes qui en ont résulté, le bloc US a fait preuve d'une bonne cohésion tendant à se renforcer au fur et à mesure que ces tensions devenaient plus vives et non à "s'effriter" comme l'ont pensé certains groupes comme le P.I.C. ("Pour une Intervention Communiste"). S'il s'est maintenu en son sein des orientations diplomatiques ou militaires apparemment différentes, cela résultait du fait :

-            que l'existence de blocs n'élimine nullement les antagonismes d'intérêts, notamment commerciaux, entre les pays qui les constituent,

-            qu'il est souvent plus facile pour le bloc de faire exécuter certaines tâches par des pays apparemment "indépendants" (par exemple les interventions militaires et diplomatiques de la France en Afrique et au Moyen Orient).

Cependant, même limitée et relative, cette "souplesse" du bloc US est de moins en moins de mise au fur et à mesure que s'exacerbent les tensions inter-impérialistes. Avec une telle exacerbation :

-            les intérêts nationaux doivent céder de plus en plus le pas aux intérêts généraux du bloc qui, pour une bonne part, s'identifient avec les intérêts nationaux du pays leader. Par exemple, la "mauvaise humeur" manifestée par certains alliés des U.S.A., en constatant que ce pays favorisait en sous-main les hausses pétrolières, devait faire place à une plus grande « discipline » ;

-        l'utilité pour le bloc d'une apparente "indépendance" de certains de ses composants -surtout efficace sur le plan diplomatique- s'amoindrit pour tendre à se convertir en handicap quand s'impose le langage des armes dans la mesure où une telle "indépendance" risque, sur le plan international, d'être comprise comme un manque de cohésion et une faiblesse du bloc et ne favorise pas, sur le plan interne, les campagnes de mobilisation idéologique.

Ce besoin d'une plus grande cohésion du bloc autour du chef de file, rendu nécessaire par les nouvelles données de la situation internationale, mais qui n'avait pas été suffisamment perçu, au gré des USA par tous les alliés, notamment par ceux qui se faisaient tirer l'oreille pour s'associer aux restrictions commerciales envers l'URSS et au boycott des jeux olympiques; ce besoin a été affirmé avec fracas par le raid américain du 24 avril. Cette opération venait souligner et concrétiser la détermination des USA de s'assurer une plus grande solidarité de la part de ses alliés, détermination qui s'était exprimée par les déclarations de Carter à quatre chaînes de télévision européennes le 13 avril et qui avaient été accueillies avec des réticences par certains pays européens. L'opération du 24 avril, en contradiction avec l'assurance de ne pas intervenir militairement avant la mi-mai donnée aux alliés, mettait ceux-ci au pied du mur : le 28 avril, au sommet de Luxembourg, les neuf "réaffirment leur solidarité avec le gouvernement et le peuple des Etats-Unis". Le deuxième objectif du raid américain est atteint.

3) Si l'URSS a envahi l'Afghanistan, c'est qu'elle avait la certitude qu'elle n'allait pas se heurter de front aux forces armées du bloc occidental, certitude qui s'appuyait notamment sur le fait que le gendarme local de ce bloc, l'Iran, était paralysé par des convulsions internes. Les USA ont été obligés d'inscrire l'Afghanistan à la colonne "pertes" de leur bilan mais il était très important pour eux et pour leur bloc que cette mésaventure rie se renouvelle pas. Il leur importait donc de signaler très clairement à l'URSS qu'eux aussi étaient capables de mener des actions militaires en dehors de leurs frontières, chose qu'ils n'avaient pas faite depuis la guerre du Vietnam. En particulier, ils se devaient d'avertir très clairement l'URSS qu'ils n'accepteraient pas qu'elle sorte de la prudence qu'elle avait manifestée jusqu'à présent à l'égard de l'Iran, qu'elle utilise l'instabilité de ce pays pour y avancer ses propres pions. Et un tel avertissement avait besoin, pour être pris pleinement au sérieux, d'être ponctué par une manifestation concrète de la détermination américaine : l'intervention en Iran remplissait également cet office. Lorsque le 9 mai, Carter a rappelé ses paroles du 23 janvier : "Toute tentative extérieure pour prendre le contrôle de la région du Golfe serait considérée comme étant une attaque contre les intérêts vitaux des Etats-Unis et serait repoussée par tous les moyens, y compris par les armes", il était mieux en mesure de signifier que sa détermination n'était pas uniquement verbale, qu'il ne s'agissait nullement de velléités mais bien d'un choix politique et militaire délibéré et décidé

4) Depuis novembre 79, la population américaine subit un bourrage de crâne quotidien destiné à la préparer aux impératifs militaires de sa bourgeoisie et, en particulier, à l'idée d'une intervention extérieure, idée qui, depuis la guerre du Vietnam était fort peu populaire. Dans l'ensemble, cette opération a donné ses fruits mais on a pu noter quelques "couacs" dans l'exécution de la partition composée par le maestro Carter :

-         réactions contre le recensement en vue de la mobilisation,

-         persistance de grèves ouvrières.

En réalité, le battage intensif mis en œuvre par l'ensemble des médias ne peut conserver à la longue son efficacité, de même qu'il ne peut faire oublier de façon permanente les dures conséquences de la crise qui frappent la classe ouvrière, que s'il est relancé à intervalles réguliers par quelque événement spectaculaire. Après l'affaire des otages, la bourgeoisie américaine a exploité au maximum l'invasion de l'Afghanistan (même si l'importance de l'enjeu de ce dernier événement va de très loin au delà d'une simple campagne idéologique) et a cultivé avec application le sentiment antirusse notamment à travers le battage sur les jeux olympiques, mais il était utile de donner plus de corps aux campagnes bellicistes en ajoutant "des actes à la parole". Le raid américain en Iran présentait le triple avantage :

-         de donner satisfaction aux secteurs de la population qui demandaient que "quelque chose soit tentée" pour libérer les otages,

-         de tester le degré d'adhésion de la population à l'idée d'une intervention extérieure,

-         de préparer par la pratique et non seulement par les mots cette population à des interventions futures bien plus importantes.

Bien que l'opération se présente comme un fiasco piteux, il ne faut pas se cacher que son principe a reçu, de façon majoritaire, l'approbation de la population américaine. Par ailleurs, cette opération a été l'occasion de mettre en évidence et de renforcer encore l'unité qui existe au sein de la bourgeoisie sur les problèmes de politique extérieure. Par exemple, aucun des concurrents de Carter pour l'élection présidentielle n'a tenté de tirer profit du "fiasco" pour l'attaquer sur ce terrain. Au contraire, c'est une belle unanimité qui s'est manifestée. A cet égard, il serait erroné de considérer la démission de Cyrus Vance comme une manifestation de crise politique. En réalité elle correspond à l'infléchissement de la politique extérieure des USA vers une orientation de plus en plus belliciste et militaire qui n'est remise en cause par aucun secteur important de la bourgeoisie mais que Vance, qui est l'homme d'un certain type de politique, plus basé sur la composante diplomatique, ne pouvait pas personnellement mettre en œuvre.

C - Par rapport à des objectifs qui se révèlent essentiels pour les USA et leur bloc, le raid américain du 24 avril apparaît donc comme une réussite remarquable. Cependant cette opération est présentée presqu'unanimement comme un "fiasco" dans la mesure où :

1°) elle n'a pas atteint son objectif officiel : la libération des otages,

2°) elle affiche une faiblesse de l'armée américaine tant sur le plan de son équipement que de son personnel, ce qui altère la crédibilité de la puissance militaire des USA dans le monde,

3°) elle renforce l'image de marque de Carter corme "l'homme des échecs" ce qui risque, d'après certains, de lui coûter sa réélection.

La bourgeoisie américaine, est-il besoin de le dire, se moque totalement du sort des cinquante otages. Jusqu'à présent, au contraire, cette prise d'otages a servi remarquablement ses desseins (cf. Revue Internationale n° 20 et 21). Pour elle la question de la restitution des otages, si elle s'y intéresse, a uniquement valeur d'indicateur de la capacité du gouvernement officiel iranien à reprendre le contrôle de la situation et de ses dispositions à l'égard des USA : le jour où les otages seront restitués, cela voudra dire que cette puissance pourra de nouveau compter sur l'Iran comme pièce de son jeu militaire. En ce sens, la libération par la force des otages, outre qu'elle aurait privé la campagne idéologique d'un de ses thèmes les plus utilisés, aurait également privé le gouvernement US de cet indicateur. De plus, si l'expédition était arrivée à Téhéran, elle n'aurait très probablement pu délivrer les otages (au cas où ils auraient été encore en vie) qu'au prix de combats assez meurtriers en particulier pour les iraniens (voir la récente opération à l'ambassade d'Iran â Londres), ce qui n'aurait pas facilité un règlement rapide du contentieux entre USA et Iran. D'ailleurs, Carter, dans sa déclaration spectaculaire annonçant "l'échec" de l'opération s'est bien empressé de dire que le sang iranien n'avait pas été versé et que cette opération se voulait "uniquement humanitaire" et non belliqueuse à l'égard de l'Iran : la porte restait ainsi ouverte à une issue à l'amiable du conflit. Ainsi, "l'échec" du raid américain se révèle plus payant à l'égard d'une reprise en main de l'Iran par le bloc US que son éventuelle réussite.

Sur le plan de la campagne idéologique actuelle du bloc américain, "l'échec" du raid est un élément très positif ; il vient renforcer l'argument totalement mensonger qui veut que ce bloc soit en état de faiblesse face au bloc russe. Pour alimenter un mythe il faut un semblant de réalité : de ce point de vue, également, le "fiasco" américain est une belle réussite. Quant à l'idée que peuvent se faire les gouvernements des principaux pays du monde (tant alliés qu'ennemis) sur la puissance réelle des USA, elle est basée sur des éléments bien plus sérieux que cet événement.

Ainsi, même là où elle apparaît comme un échec, l'opération montée par le gouvernement américain se révèle une réussite : même s'il faut se méfier d'une interprétation trop machiavélique des faits et gestes de la bourgeoisie, on peut quand-même affirmer que toute l'opération y compris "l'échec" ressemble fortement à une énorme mise en scène, ce qui est corroboré par :

-         le caractère peu vraisemblable des explications techniques de "l'échec" quand on connaît le degré de perfectionnement de l'armement américain,

-         le côté spectaculaire et dramatique de l'annonce de cet "échec".

Quant à l'argument de "l'image de marque de Car­ter" contre une telle interprétation des faits, il n'a pas la moindre consistance d'une part, cette image ne semble pas réellement avoir été affectée par ce "fiasco" de même que ses chances de réélection, d'autre par, un tel argument fait la part belle à l'illusion que la politique de la bourgeoisie serait encore influencée par le suffrage universel : lorsque la bourgeoisie US a décidé de se retirer du Vietnam, elle a sacrifié allégrement la réélection de Johnson en 1968.

En réalité, la bourgeoisie américaine est déjà familière de ce genre de "catastrophes" qui se transforment en réussites. De même qu'il a été établi que la destruction de la flotte américaine du Pacifique en 1941 avait été voulue par Roosevelt afin d'entraîner la population et les secteurs réticents de la bourgeoisie dans la guerre contre le Japon, peut-être apprendra-t-on un jour que le "Pearl Harbour" en petit de Jimmy Carter était cousu de fil blanc.

 

D - Quel que soit le degré d'authenticité de l'opération américaine en Iran, il est important de souligner qu'elle révèle, sur la présente situation internationale, les faits suivants :

- une nouvelle accentuation très nette de l'orientation belliciste de la politique américaine : si avec ses "prêches" et ses "droits de l'homme" Carter s'était révélé depuis le début comme l'homme des préparatifs de guerre, il confirme aujour­d'hui amplement cette orientation ; désormais l'URSS n'aura plus le quasi monopole des expéditions militaires, après s'être essentiellement appuyé sur sa puissance économique, l'impérialisme US s'appuiera de plus en plus sur sa puissance militaire ;

- une nouvelle aggravation des tensions inter-impérialistes (même si l'Iran n'est pas aujourd'hui un enjeu direct).

Plus que jamais, il revient aux révolutionnaires de mettre en évidence et de dénoncer ces préparatifs de guerre et d'en faire un élément de propagande dans leur tâche de participation au développement de la conscience de la classe ouvrière.

C.C.I. le 10.05.80


[1] La récente libération par les "S.A.S." anglais des diplomates iraniens pris en otage dans leur ambassade de Londres, qui a valu au gouvernement britannique les remerciements de Bani Sadr, constitue la face "positive" de ce message, l'expression de la "bonne volonté" du bloc occidental.

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