Réponse à Workers' Voice.

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Dans le n°13 de la revue anglaise Workers ' Voice, a été publié une "déclaration" (statement), signée par Worlkers’ Voice qui rompt tout contact et tout rapport avec le CCI. Ceci  peut surprendre nos lecteurs et les militants révolutionnaires qui partagent notre orientation politique, d'une part parce que Workers'Voice a poursuivi une discussion très étroite avec notre courant pendant deux ans, d'autre part, parce que 1e idée de "rompre tout contact" est pour  le moins invraisemblable entre des groupes révolutionnaires.

Dans sa déclaration, Worker'Voice réaffirme son accord avec les positions de classe essentielles qui sont la base de notre courant et de Workers'Voice. Mais, malgré cet accord sur les principes, Workers'Voice annonce qu'il rompt toute discussion avec nous à cause d'un désaccord :

I - sur le regroupement des révolutionnaires aujourd'hui.

II - sur la question de l'Etat dans la société postrévolutionnaire, la période de transition.

Avant d'entrer dans les détails de cette déclaration, il faut préciser tout de suite que Workers'Voice doit assumer toute la responsabilité politique de la rupture, c'est Workers'Voice qui a pris la responsabilité de supprimer même  le minimum de relations avec notre courante Notre courant n'abandonne pas la discussion avec des groupes en évolution, surtout si leur orientation politique s'appuie sur les positions de classe qu'il est extrêmement important de développer et de diffuser  au sein de la lutte de classe Ce sont de profondes divergences politiques et la mise en question des frontières de classe qui peuvent motiver la rupture de tout contact.; et l'arrêt de toute discussion entre  des groupes. Nous ne discutons pas, par exemple, avec des organisations staliniennes ou trotskystes parce que "discuter" avec la contre-révolution n'a aucun sens, Or, bien qu'il existe d'importantes divergences entre Workers'Voice et notre courant, nous ne les avons jamais mises sur le même plan que celles que nous pouvons avoir avec la contre-révolution elle-même! A aucun moment nous n'avons tenté ni même souhaité de mettre fin à la discussion avec Workers'Voice. Au contraire, nous considérons que la rupture de Workers'Voice constitue une fuite devant les responsabilités des révolutionnaires dans leur tâche de clarification  des positions de classe par la confrontation des idées.

Comment Workers'Voice justifie-t-il sa rupture?

I -- Sur le premier point qu'il soulève, Workers'Voice est d'accord pour dire que "les frontières de classe indispensables à tout regroupement international des révolutionnaires existent déjà". De plus, ces frontières de classe sont fondamentalement à la base de la constitution de notre courant et de Workers'Voice. Le problème que se pose Workers'Voice, c'est :

1-        que ce n'est pas le bon moment pour un regroupement et notre courant précipite le processus

2-        que notre courant exigerait un regroupement en soumettant les autres groupes "à nos conditions".

Les camarades de Workers'Voice sont de bien timides défenseurs du regroupement. Tout ce qu'ils trouvent à dire, et du bout des lèvres, c'est qu’ils "ne sont pas contre un regroupement, en principe". Mais pourquoi se donner tant  de peine pour œuvrer à un regroupement des forces révolutionnaires? Pourquoi ne pas se contenter d'une multitude de petits groupes révolutionnaires (et à 1'extrême d'individualités), chacun s'attachant à "son propre travail" dans "son" petit coin du globe, chacun maître "chez soi", protégeant "son" groupe des "agressions" des autres ? Pourquoi ne pas réduire les rapports entre camarades à de flamboyantes insultes, à de tapageuses exclusions dans le style tant répandu des situationnistes ? Pourquoi notre courant a-t-il, au contraire, tant insisté pour que les camarades comprennent l'importance du problème du regroupement et de la consolidation des forces révolutionnaires sur la base d'un accord programmatique clair ?

Dans un monde où la crise du capitalisme mène peu à peu au chaos économique, et où le système est forcé d'augmenter ses attaques contre la classe ouvrière; dans un monde où la bourgeoisie se trouve de plus en plus confrontée à de profondes crises politiques, dans tous les pays, et doit utiliser de plus en plus un masque de "gauche" et la répression où la résistance de la classe ouvrière s'est exprimée de façon puissante bien que sporadique à l'échelle internationale ; où la lutte de classe se prépare à d'importantes explosions à venir, les forces révolutionnaires sont extrêmement limitées. La confusion créée par cinquante années de contre-révolution et de rupture, pesé et pèsera lourdement sur le mouvement ouvrier. Mais Workers'Voice a tout son temps pour continuer à tourner en rond; pour lui, rien ne presse! Pour lui, l'important, c'est de continuer à rester ce qu'il a toujours été, un groupe local que la "collection" de contacts internationaux intéresse tant qu'elle n'implique rien d'autre.

Quant au problème que pose Workers'Voice concernant la soumission à "nos conditions" nécessaire pour rejoindre notre courant, nous considérons que  la seule raison politique valable pour refuser de se joindre à d'autres groupes, c'est une différence entre les positions de classe fondamentales (incluant  la position sur la nécessité de l'organisation et sur les moyens de la réaliser)« Notre seule "condition" est en fait un accord politique et théorique profond et solide C'est la seule interprétation possible qu'on puisse donner au "sous nos conditions". Apparemment, Workers'Voice a peur d'un "rassemblement artificiel oui ne signifierait rien et avertit notre courant du danger qui consisterait de perdre nos efforts encore limités vers une unité internationale pour la constitution d'un partie. Nous ne pouvons que remercier Workers'Voice de nous donner un conseil que nous-mêmes avons formulé et défendu depuis des années. Nous ne considérons pas notre courant international comme un parti bien que nous soyons convaincus qu'il constitue une contribution nécessaire à celui-ci. Aujourd'hui, le parti du prolétariat ne se formera que lorsque la lutte de classe se sera intensifiée et généralisée à l'échelle internationale. Mais le processus de clarification politique et organisationnelle qui mène à la constitution du parti, commence avec la période de montée des luttes, avec le début de la crise ouverte. Ce fait objectif est la cause fondamentale du surgissement de groupes révolutionnaires depuis 1968, tant Workers'Voice, que notre courant, et que tant d'autres. Le processus de prise de conscience de la classe ouvrière s'exprime aussi dans l'effort des groupes révolutionnaires pour devenir un facteur actif au sein de la lutte de classe. Notre effort actuel pour constituer un pôle de regroupement des forces révolutionnaires, aura une influence sur l'activité et l'organisation de demain. Bien que nous ne soyons pas arrivés à une étape où la formation  du parti est nécessaire, ceci ne signifie pas que les révolutionnaires doivent rester isolés dans leur coin, inactifs et prisonniers du localisme.

Si l'on n'encourage pas la discussion internationale et si l'on ne tend pas à regrouper les forces qui parviennent à un accord politique, on condamne tous les programmes révolutionnaires à rester des paroles en l'air.

Il est possible que le problème réel qui se pose entre Workers'Voice et notre courant, réside dans une conception profondément différente de la nécessité de l'organisation et des moyens d'y parvenir0 Hais ces divergences ne peuvent être clarifiées (sinon surmontées) que par la discussion « De toutes façons,  des désaccords sur le moment où peut avoir lieu un regroupement et sur la mise  en pratique organisationnelle de l'internationalisme ne constituent pas -une raison de principe pour rompre tout contact entre les groupes révolutionnaires0 Hais il est toujours plus facile d'éluder les problèmes que de les approfondir.

II  - Quant au deuxième point que Workers'Voice soulève pour justifier sa rupture avec notre courant, la question de la période de transition, Workers'Voice proclame que "Révolution Internationale considère qu'il existera un Etat pendant la période de transition qui sera indépendant de la classe". Après avoir un peu brodé sur ce thème, la déclaration conclut que cette position nécessite une rupture totale avec nous, car elle confirme de façon criante notre passage dans le camp de la contre-révolution.

Il faut tout de suite éclaircir cette question. Ni R.I., ni aucun des groupes de notre courant n'a publié ou exprimé une telle position. Dire que l'Etat pourrait exister indépendamment de la classe (des Conseils ouvriers) dénierait complètement tout sens à la dictature du prolétariat:; une telle conception n'est pas marxiste et nous la rejetons. Quiconque lit le n°1 de notre revue Internationale (paru en avril) où plusieurs articles de notre courant sur la période de transition sont publiés, est en mesure de voir que nos analyses théoriques ne défendent à aucun moment une telle conception. Il est regrettable que la peur du ridicule n'empêche pas Workers'Voice de publier des affirmations complètement fausses.

La question du déroulement de la période de transition est en discussion dans tous les groupes de notre courant, et comme nos publications le montrent, nous sommes loin d'avoir atteint une unanimité sur ce problème,, Nous ne pensons pas que toutes les questions qui surgiront pendant la période de transition, puissent être résolues de façon décisive dans l'immédiat et pour toujours, ni par nous, ni par quiconque, avant même que la pratique de la classe n'ait tranché.

Que Workers'Voice puisse prendre une mesure aussi draconienne que de rompre tout contact avec notre courant et nous dénoncer comme contre-révolutionnaires, en se basant sur une telle version incohérente et tronquée, ne fait que prouver la faiblesse et le manque de sérieux des éléments révolutionnaires qui sont confrontés aujourd'hui à un problème aussi difficile et complexe que celui de  la période de transition.

Pour traiter la question de l'Etat dans la période de transition, il nous faut d'abord distinguer la conception marxiste de la conception anarchiste. Les anarchistes ignorent les lois économiques du capitalisme et l'évolution de l’histoire. Contrairement à eux, les marxistes ont affirmé qu'entre la société capitaliste et le communisme a lieu une période de transition t   pendant cette période, la lutte du prolétariat contre les vestiges de la loi de la valeur se poursuit pour assurer la suppression définitive de la bourgeoisie et pour intégrer les couches et les classes non exploiteuses qui subsistent, dans les nouveaux rapports de production, en tant que producteurs librement associés, donc pour mener à terme le processus de transformation sociale sous la domination politique du prolétariat. Ce processus s'achèvera avec la réalisation d'une société sans classes.

Mais pendant la période de transition, c'est-à-dire jusqu’a ce que ce but soit atteint, la société reste divisée en classes. (Même après la défaite militaire et l'expropriation de la bourgeoisie, subsistent les paysans, les couches moyennes, etc., face au prolétariat)0 De cette société encore divisée en classes surgira nécessairement un Etat. Contrairement à la conception anarchiste qui voit dans l'Etat une personnification de tous les démons du mal, et pense que la seule volonté suffit à la faire disparaître, les marxistes affirment que l'Etat est une expression des rapports sociaux et ne peut être éliminé que par la transformation consciente des bases matérielles de ces rapports sociaux, de ces divisions, c'est-à-dire, par la réalisation du programme communiste de la classe-ouvrière.

Une fois reconnue 1'inévitabilité de l'Etat pendant la période de transition, la question se pose ainsi : comment comprendre l'Etat de la période de transition dans le contexte de la dictature du prolétariat ?

Au sein du courant marxiste, les bolcheviks ont proposé une ''solution'' : d'une part l'identification complète du prolétariat et de l'Etat, la création d'un Etat "ouvrier" ; d’autre part, 1’identification de la classe avec le parti, la création d'une bureaucratie de parti à laquelle est "confiée" la direction de l'Etat. L’expérience historique de la révolution russe doit nous amener à rejeter cette "solution" du problème de l'Etat de la période de transition.

Tirant les leçons de l'expérience historique du prolétariat, nous disons :

- premièrement, que l'Etat ne peut pas être pris en charge par un parti, le rôle du parti n'étant pas de prendre le pouvoir au nom de la classe ouvrière, de se substituer à 1’ensemble de la classe.

- deuxièmement, que c'est l'existence de classes pendant la période de transition qui détermine l'existence d'un Etat et non un besoin quelconque du prolétariat de créer un Etat.

Si le monde n'était composé que par la classe ouvrière après la révolution il n'existerait pas d'Etat. Il y aurait une "administration des choses" et non un "gouvernement des hommes". La question se pose donc ainsi s si l'Etat surgit de l'existence d'une société encore divisée en classes, est-ce que le prolétariat identifie ses buts historiques de transformation sociale avec les tâches de l'appareil d'Etat ?

Le prolétariat ne doit pas laisser exister un Etat indépendamment de lui. En fait, l'Etat doit être subordonné aux intérêts du prolétariat, autant que les rapports de force entre le prolétariat et le reste de la société postrévolutionnaire le permettent. Nais l’Etat n'a jamais été un instrument de transformation sociale dans l'histoire, et encore moins dans la période de transition. Le programme communiste ne peut être défendu et mené à bien que par des instruments internationaux spécifiques du seul prolétariat. En d'autres termes, les ouvriers doivent-ils reconnaître "une autorité de l’Etat sur leurs décisions s'ils considèrent qu'elle ne va pas dans le sens de leurs intérêts de classe ? Si la réponse est oui, Trotski avait raison de militariser le travail, et d'interdire les grèves contre le gouvernement "ouvrier", ces grèves étant alors réactionnaires et inadmissibles. Si l'Etat constitue pleinement l'instrument de la réalisation du programme communiste, en quoi les bolcheviks avaient- ils tort de vouloir utiliser cet Etat contre les ouvriers si nécessaire (en laissant de côté le fait que l'identification de l'Etat et de la classe prenait la forme du parti) ?

Il nous semble important d’insister sur le fait que la classe ouvrière doit conserver ses propres organisations de classe, indépendamment de ce que seront les formes étatiques II est fondamental que les ouvriers veillent à ne pas se laisser diluer dans les couches non-prolétariennes et résistent à toute tendance à leur faire reconnaître une quelconque autorité étatique suprême. Contrairement à Workers'Voice, nous ne disons pas que l’Etat, c'est la classe, ni que la classe est l’Etat, mais que ce semi-Etat hérité de la société de classes doit être utilisé par le prolétariat, sans que il s’identifie à lui ni qu'il se laisse dominer par lui.

Identifier totalement l'Etat à la classe, s'est ouvrir le chemin à Kronstadt. Ce problème semble échapper complètement à Workers'Voice, ce qui l’amène à engager un faut débat avec nous, nous ne disons pas que l’Etat doit être indépendant de la classe ouvrière, mais qu'au contraire, la classe ouvrière en maintenant sa domination sur l’Etat, doit conserver intacte son organisation de classe internationale spécifique, La classe ouvrière est la seule classe dans la société- postrévolutionnaire qui s'organisa en tant que classe : la dictature du prolétariat. Les individus des autres couches sociales seront  représentés, individuellement sous une forme de soviets territoriaux au sein de l'Etat. Bien que l’Etat est une autorité sur toutes les autres couches de la société, il ne doit pas avoir une autorité sur les conseils ouvriers, quelles eue soient les contingences de la situation L’Etat surgit des nécessités de la société postrévolutionnaire encore divisée en classes, mais le prolétariat doit défendre son autonomie de classe. Prenant garde au maximum aux dangers qui résident dans l'Etat et eu rejetant toute mystification d'un Etat "ouvrier",

Nous ne prétendons pas avoir, résolu tous les problèmes, ni avoir trouve "LA" réponse à ces questions difficiles: mais nous rejetons l'idée de rompre prématurément tout débat, sous le prétexte absurde de notre passage dans le camp de la contre-révolution, accusation que Workers'Voice s’érigeant en juge de paix, nous assène.

Que peut conclure la classe face au spectacle de deux groupes qui partagent les mêmes positions de classe -notre courant et Workers'Voice - ''rompant leurs relations" sur des questions qui, au mieux, restent à débattre au sein de la classe elle-même, et, au pire, ne sont qu'un pot pourri de suppositions et de fausses accusations.

La dernière des choses dont le mouvement ouvrier a besoin, c'est de confusionnistes, et de ce genre de "tactiques de rupture" ! Nous espérons que Workers'Voice reconsidérera sa décision hâtive et sans fondement. Les positions et le travail de Workers'Voice ont constitué une contribution positive au mouvement ouvrier, mais si Workers'Voice, se fait le porteur de la confusion, il vaut pour la lutte ouvrière qu'ils disparaissent aussi vite que possible. Si Workers'Voice ne supporte plus de discuter les positions d’une façon principielle, et d’ouvrir son esprit; si l’hostilité continue de servir d’écran  de fumée pour cacher un localisme et une jalousie de petit cercle ; il vaut mieux que le groupe disparaisse et laisse la place à des expressions de la classe ouvrière capables d’évoluer.

J.A., pour  le  Courant Communiste International.

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