Notes sur l'histoire des conflits impérialistes au Moyen-Orient, 1e partie

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Au cours de la plupart des cent der­nières années, le Moyen-Orient a été le théâtre de guerres impérialistes.

Depuis la Deuxième Guerre mon­diale, ce sont succédées trois guerres « ouvertes » entre Israël et ses voisins rivaux (1949, 1967, 1973), un état de guerre permanent entre Israël et les com­battants armés palestiniens (avec les groupes terroristes organisés et les at­tentats suicide d'un côté, et la terreur d'Etat israélienne de l'autre), une guerre longue de huit ans entre l'Irak et l'Iran, des combats incessants entre les natio­nalistes kurdes et l'Etat turc, vingt ans de guerre en Afghanistan, la guerre du Golfe en 1991, et l'invasion de l'Irak en 2003, qui n'a eu comme conséquence qu'une aggravation de l'état de guerre.

Aucune autre partie du monde n'illus­tre plus clairement que le capitalisme ne petit survivre qu'à travers la guerre et la destruction, que tous les pays sont impé­rialistes (qu'ils soient petits ou grands), qu'il n'existe pas de solution à l'intérieur du système capitaliste à ses contradic­tions, que la guerre a développé sa pro­pre dynamique et que les ouvriers doi­vent s'unir sur le terrain internationaliste et combattre tous les nationalismes.

Le but de cette brève histoire du Moyen-Orient est de montrer que la multitude de conflits régionaux et lo­caux qui ont affecté cette région ne peuvent être compris que dans le con­texte global de l'impérialisme.

Le Moyen-Orient, point de convergence des intérêts impérialistes de toutes les puissances capitalistes

Situé entre l'Océan indien et la Méditerranée, au carrefour entre l'Asie, l'Eu­rope et l'Afrique, le Moyen-Orient a toujours représenté nue pomme de dis­corde, bien avant que ses ressources pétrolières soient découvertent.

Dès le début de l'expansion de l'Eu­rope capitaliste dans cette région, les préoccupations stratégiques globales ont dominé la politique des différentes puis­sances qui ne se sont jamais affrontées uniquement pour la recherche de telle ou telle matière première.

Déjà, dans sa phase préliminaire d'ex­pansion, bien avant que la révolution industrielle ait atteint son plein essor, le capitalisme britannique s'est empress de prendre pied en Inde, d'où il a pu évincer son rival français. C'est dès le début du 19e siècle que la Grande-Bre­tagne est devenue la principale force, en  s’employant à occuper les points d'im­portance stratégique sur la route des Indes. En 1839, Aden d'actuel Yémen a été occupé, et les Britanniques y ont joué le rôle de police de la côte du Golfe, où les pirates entravaient le développe­ment du commerce.

Mais le Moyen-Orient devint égale­ment vite une cible de l'expansion du capitalisme russe. Après les heurts avec la Perse (1828) et ses guerres à répéti­tion contre l'Empire ottoman (1828, 1855, 1877) au cours du seul 19e siècle, la Russie et la Turquie sont en­trées en guerre trois fois, durant la guerre de Crimée en 1853-56, ainsi qu'à l'occa­sion des affrontements avec la Turquie, l'Angleterre, la France et l'Italie en Mer Noire -la Russie a cherché à se déplacer vers le Caucase, la Mer Caspienne et vers les régions appelées maintenant Kazakhstan et Tadjikistan. Son objectif global était d'avoir accès à l'Océan in­dien via l'Afghanistan et l'Inde.

Dans le but de parer à l'expansion russe vers cette zone, la Grande-Breta­gne envahit par deux fois l'Afghanistan (1839-42 et 1878-80). Après sa victoire dans la deuxième guerre afghane, la Grande-Bretagne mit en place un ré­gime fantoche dans ce pays ([1]).

A la fin du 19e siècle, l'Angleterre et la Russie décidèrent de résoudre leur conflit sur la domination en Asie, car l'impérialisme allemand commençait à s'étendre vers les Balkans et le Moyen­Orient. Ils tombèrent d'accord pour se partager la zone autour de l'Afghanistan afin d'y contenir la pénétration alle­mande. En même temps, la Grande­Bretagne établit la "ligne Durand" en Afghanistan en 1893, qui fut conçue pour empêcher la Russie d'avoir une frontière commune avec l'Inde (Durand prit soin, malgré les objections du roi d'Afghanistan, de prolonger cette fron­tière vers l'Est par une étroite bande de terre, le Wakhan, qui s'étend jusqu'à la Chine à travers le massif du Pamir, de façon à bien séparer l'empire russe de l'empire des Indes, Lacoste, Diction­naire de géopolitique, p.53). En 1907, l'Angleterre et la Russie signèrent un traité de partage des zones autour de l'Iran.

Par dessus tout, la Grande-Bretagne a remporté une importante victoire straté­gique en occupant militairement l'Egypte en 1882 et en en évinçant son rival français qui avait construit le canal de Suez ouvert en 1809. Le canal de Suez devint la pierre angulaire de l'implanta­tion britannique au Moyen-Orient et d'importance vitale pour sa domination en Inde et dans d'autres parties de l'Asie et de l'Afrique. Et c'est jusqu'en 1950 que la Grande-Bretagne (de concert avec la France) envoya des troupes pour dé­fendre le contrôle sur le canal, en s'opposant aux Etats-Unis.

Depuis le début du 19e siècle jusqu'à la Première Guerre mondiale, la Grande-­Bretagne a pu jouer un rôle prépondé­rant au Moyen-Orient, mettant à l'écart ses rivaux européens, la Russie et la France.

Comme on l'a dit plus haut, en s'ap­propriant leurs colonies et en définis­sant leurs visées impérialistes, les puis­sances coloniales européennes ne considéraient pas comme primordiales les questions de matières premières, que ce soit le pétrole ou d'autres. Au début du 20e siècle, les ressources pétrolières du Moyen-Orient étaient de moindre un importance et les autres matières premières ne jouaient pas de rôle décisif ([2]). Déjà, les considérations stratégiques et militaires jouaient un rôle dominant.

Cependant, la nature des conflits im­périalistcs prit un caractère qualitative­ment nouveau une fois que le globe fut divisé entre les principales puissances européennes, au début du 20e siècle.

Dès que celles-ci commencèrent à s'affronter dans différentes parties du monde, après qu'elles se le furent par­tagé (entre la France et l'Italie en Afrique du Nord, entre la France et l'Angle­terre en Egypte et à Fachoda au Soudan, entre l'Angleterre et la Russie en Asie centrale, entre la Russie et le Japon en Extrême-Orient, entre le Japon et l'An­gleterre en Chine, entre les Etats-Unis et le Japon dans le Pacifique. entre l'Allemagne et la France au sujet du Maroc, etc. ), les tensions au Moyen-Orient allè­rent crescendo.

Déjà au début du 20e siècle, l'Alle­magne, pays arrivé trop tard sur le mar­ché mondial et tentant désespérément de s'approprier des colonies, ne pouvait que les arracher à un autre pays déjà "installé". Ce qui signifiait que l'Alle­magne pouvait essentiellement tenter d'affaiblir les positions de la seule puis­sance mondiale

: l'Angleterre. L'effort allemand de ce constituer une puissance militaire datait déjà de la fin du 19e siècle. Cependant, comme nous le ver­rons, même si l'impérialisme allemand a pu menacer et ébranler les intérêts an­(Ilais dans la région, jamais il ne fut capable d'en renverser la domination. Bien que constituant un challenger et un fauteur de troubles préjudiciable aux intérêts anglais, Contrairement à l'impé­rialisme britannique, il n'avait pas les moyens d'imposer sa présence dans la région.

L'Allemagne essaya alors de s'éten­dre vers l'Est en direction des Balkans (ce n'est pas par hasard si la Première Guerre mondiale fut déclenchée, après une accélération des antagonismcs im­périalistes lors de deux guerres balkani­ques, en 1912-1913, à l'issue desquelles l'Empire ottoman perdit ses territoires en Europe, en faveur de la Bulgarie, de la Serbie, de la Grèce et de l'Albanie). L'Empire ottoman en décomposition devint le point de convergence des ap­pétits impérialiates allemands au Moyen­Orient.

Alors que Marx appuyait encore la revendication d'intégrité territoriale de la Turquie comme une barrière aux am­bitions russes vers le Moyen-Orient, Rosa Luxemburg avait déjà compris, au début du 20e siècle, que la situation globale avait changé et que cet appui à la Turquie était réactionnaire. "Etant donnée la multitude de revendication nartionales qui déchirent l'Etat turc : arméniennes, kurdes, syriennes, ara­bes, grecques (et jusqu'à récemment albanaises et macédoniennes), étant donnée la pléthore de problèmes socio­économiques dans les différentes par­ties de l'Empire otoman… il est clair pour tout un chacun, et en particulier depuis longtemps pour la social-démo­cratie allemande qu'une véritable régénération de l’Etat turc relève de la plus complète utopie et que tous les efforts déployés pour maintenir debout ces rui­nes pourries et en pleine décomposition ne peuvent que constituer une entre­prise réactionnaire. "(Rosa Luxemburg, Brochure de Junius, chapitre 4),

Pour l'impérialisme allemand, la Tur­quie représentait un atout maître dans le jeu de ses ambitions ([3]).

L'Allemagne appuyait la Turquie mi­litairement (elle entraînait l'état-major turc, fournissait des armes et signa, en 1914, un traité d'alliance et de soutien mutuel en cas de guerre) ; elle devint aussi son principal fournisseur d'aide financière et technique. C'est pourquoi "la position de l'impérialisme allemand le mit en situation de conflit avec les autres Etats européens au Moyen-­Orient, en particulier avec la Grande-­Bretagne. La construction de lignes de chemin de fer stratégiques et le soutien de l’Allemagne au militarisme turc heurta les intérêts' les plus sensibles de la Grande-Bretagne : ils intervinrent au carrefour de l'Asie centrale, de la Perse, de l'Inde et de l'Egypte." (Ibid.) ([4])

L'ambition principale de l'impéria­lisme allemand au moment de la cons­truction de la ligne de chemin de fer Berlin-Bagdad était de créer un support logistique aux troupes allemandes ([5]). L'effondrement de l’empire ottoman allait être d'une importance décisive pour l'éclatement des conflits impérialistes, aussi bien dans les Balkans qu'au Moyen­Orient.

Jusqu'à la Première Guerre mondiale, la plus grande partie du Moyen-Orient était sous le contrôle de l'Empire otto­man. Sur le continent asiatique, la Tur­quie contrôlait la Syrie (qui incluait la Palestine), une partie de la péninsule arabique (qui n'avait, à cette époque, pas de frontières fixées), une partie du Caucase et de la Mésopotamie (allant aussi loin que Bassorah).

L'effondrement de l'Empire ottoman n'offrit pas d'opportunité pour la créa­tion d'une grande nation industrielle ni dans les Balkans, ni au Moyen-Orient, nation qui aurait été capable d'entrer en compétition sur le marché mondial. Au contraire, la pression de l'impérialisme conduisit à sa fragmentation et au déve­loppement d'Etats embryonnaires. De la même manière que ces mini-Etats dans les Balkans sont restés l'objet des rivali­tés impérialistes entre les grandes puis­sances tout au long du 20e siècle jusqu'à nos jours, la partie asiatique des ruines de l'Empire ottoman, le Moyen-Orient, a été et reste le théâtre de conflits impé­rialistes permanents.

Contrairement à l'Extrême-Orient qui, mis à part quelques conflits de moindre importance, est resté à l'écart de la Pre­mière Guerre mondiale, le Moyen­-Orient, était depuis toujours un champ de bataille des affrontements entre les puissances belligérantes ([6]). Déjà, à l'époque de la Première Guerre mon­diale, bien avant que fussent posées les questions Palestiniennes et d'un Etat hé­breu, la région était devenue un vérita­ble champ de mines impérialiste. Comme nous le verrons, les conflits autour de la Palestine et du sionisme ont constitué des facteurs aggravants dans cette zone de conflits impérialistes entre puissan­ces rivales.

La chute de l'Empire ottoman et les conditions de l'impérialisme à la fin de la Première Guerre mondiale

Durant la Première Guerre mondiale, les puissances européennes essayèrent de mobiliser leurs "alliés" dans la région en vue de leurs efforts de guerre.

L'Angleterre, qui combattait l'Alle­magne et la Turquie aux côtés de la Russie, essaya d'attirer la bourgeoisie arabe dans son camp, contre les diri­gcants ottomans. Les Anglais encoura­gèrent les tentatives des tribus du Hed­jaz (partie orientale de la péninsule ara­bique) à lutter pour leur autonomie vis­à-vis des Turcs et appuyèrent Shérif Hussein de La Mecque.

Déjà durant la guerre, les chefs lo­caux servirent de pions dans la lutte pour la domination de la région que se livrèrent les puissances europènnes. Les Anglais, dont Laurence d'Arabie qui joua un rôle important en tant qu'agent de liaison avec les rebelles arabes, utilisèrent leur  soulèvement con­tre les Turcs. Les immigrants juifs fu­rent aussi recrutés pour servir de chair à canon à l'impérialisme anglais. Après que l'Allemagne eut poussé la Turquie à lancer une offensive contre les positions anglaises en Egypte en février 1915, essayant par là de se saisir du canal de Suez (offensive qui s'écroula après quel­ques jours seulement à cause du manque de soutien logistique et de fournitures d'armement), la Turquie apparut alors comme le grand perdant de cette guerre.

Ceci eut pour conséquence d'augmen­ter les appétits impérialistes des puis­sances européennes et des dirigeants arabes locaux. Espérant profiter de l'oc­casion, les troupes arabes, commandées par Shérif Hussein de La Mecque livrè­rent une véritable course contre l'armée anglaise en été 1917 afin de se saisir de portions de territoire turc. En octobre 1918, ces mêmes troupes entrèrent dans Damas et proclamèrent la création d'un Royaume arabe. Ainsi, après avoir jouè le rôle de chair à canon pour les intérêts impérialistes anglais en Turquie, les di­rigeants arabes affichèrent leurs pro­pres ambitions impérialistes en voulant créer un "empire pan-arabe" avec Da­mas comme capitale. Mais ces ambi­tions se heurtèrent immédiatement aux intérêts anglais et français : il n'y avait pas de place pour les appétits impéria­listes arabes.

Au fur et à mesure que l'Empire otto­man s'effondrait et que la défaite germano-turque devenait évidente, la France et l'Angleterre élaboraient des plans pour se partager le Moyen-Orient, tout en cherchant à s'en évincer mutuel­lement.

Les Etats arabes allaient être exclus du partage du butin. Historiquement, la formation d'une grande nation arabe qui aurait regroupé les morceaux de l'Empire ottoman, était devenue impos­sible. Les espoirs des classes dirigean­tes arabes de voir se créer une grande nation arabe étaient voués à l'échec car les requins impérialistes européens ne pouvaient tolérer de rival local.

Au printemps 1915, par un accord tenu secret, les puissances européennes, Angleterre, France, Russie, Italie et Grèce se partagèrent le Moyen-Orient. Mais un autre accord signé par l'Angle­terre et la France en mai 1916 et ignoré des autres pays, stipulait que :

- l'Angleterre contrôlerait Haïfa, Acca, le désert du Néguev, le Sud de la Pales­tine, l'Irak, l'Arabie et la Transjordanie d'actuelle Jordanie),

- la France recevrait le Liban et la Syrie.

Après la guerre, en avril 1920, l'An­gleterre reçut un mandat de la Société des Nations sur la Palestine, la Transjor­danie, l'Iran, l'Irak ; la France en reçut un sur la Syrie et le Liban, et dut rendre le contrôle de Mossoul (avec ses riches puits de pétrole) à l'Angletere contre des concessions anglaises sur l'Alsace-Lor­raine et la Syrie.

A cette époque, l'Allemagne, pays vaincu, et la Russie, après la Révolution d'Octobre 1917, n'allaient plus être pré­sents sur la scène impérialiste au Moyen-­Orient pour une longue période. Le nom­bre de rivaux dans la région baissa con­sidérablement et l'Angleterre et la France devinrent les deux forces dominantes, l'Angleterre ayant clairement la plus forte position.

Durant la guerre et jusque dans les années 1930, les forces en présence étaient européennes, les Etats-Unis ne jouant pas encore de rôle significatif.

Pour défendre son empire colonial, qui était convoité par d'autres puissan­ces, la Grande-Bretagne devait s'appuyer sur la Palestine, région vitale stratégi­quement.

Pour l'Angleterre, la Palestine repré­sentait le lien entre le Canal de Suez et la future Mésopotamie britannique. Aucune autre puissance, fût elle euro­péenne ou arabe, ne pouvait s'y installer et, dès 1916, l'Angleterre avait Claire­ment déclaré que le contrôle de la Pales­tine était le but de sa politique.

Jusqu'à la Première Guerre mondiale, tant qu'existait l'Empire ottoman, la Pa­lestine avait toujours été considérée comme faisant partie de la Syrie. Mais maintenant que l'Angleterre avait reçu un mandat sur la Palestine, les puissan­ces impérialistes avaient créé une nou­velle "unité". Comme toutes ces nouvel­les "unités" créées au cours de la déca­dence du capitalisme, elle était destinée à devenir un théâtre permanent de con­flits et de guerres.

Les dirigeants palestiniens étaient en­core plus faibles que les autres diri­geants arabes. Ne disposant ni de base industrielle ni de capitaux financiers, à cause de leur retard économique, ils n'avaient aucun potentiel économique et ne pouvaient compter que sur les moyens militaires pour défendre leurs intérêts.

En 1919 fut convoquè le premier con­grès national palestinien et Amin al Hus­sein fut nommé mufti de Jérusalem. Les nationalistes palestiniens prirent con­tact avec la France afin d'ébranler la domination anglaise sur la Palestine. Un soulèvement militaire fut organisé avec le soutien de la Syrie et l'aide des forces françaises qui l'occupaient. Cependant, ce soulèvement fut rapidement écrasé par l’armée britannique.

En même temps les dirigeants pales­tiniens qui proclamaient leur autonomie dans un monde où il n'y avait plus de place pour un nouvel Etat-nation, étaient confrontés avec un nouveau "rival" venu de l'extérieur.

Comme l'Angleterre avait promis. dans la Déclaration Balfour en novem­bre 1917, un soutien à l'installation d'un foyer juif en Palestine, le nombre d'im­migrants juifs ne cessait de croître. Les colons juifs entamèrent une lutte san­glante contre les dirigeants palestiniens pour assurer leur survie.

La Grande-Bretagne utilisa les co­lons juifs sur deux fronts. Après avoir incorporé dans les rangs de son armée le "Zion Mule Corps" en vue de combats contre son rival turc durant la guerre. l'Angleterre utilisait maintenant les na­tionalistes juifs à la fois contre son rival principal, la France et contre les natio­nalistes arabes. C'est pourquoi l'Angle­terre incita les sionistes à proclamer à la Société des Nations qu'ils ne désiraient en Palestine ni protection française, ni protection internationale, mais la pro­tection britannique.

Bien qu'étant rivales la France et l'Angleterre agirent de concert contre les nationalistes arabes quand ceux-ci réclamèrent leur indépendance. Après les avoir poussés contre les Turcs durant la guerre, ils utilisaient maintenant des moyens militaires pour écraser leurs ambitions indépendantistes. Après la proclamation par Fayçal, en octobre 1918 à Damas, d'un Empire arabe indé­pendant, qui devait inclure la Palestine, les troupes françaises le renversèrent en Juillet 1920, utilisant des bombardiers contre les nationalistes.

En Egypte, en mars 1918, au cours de nombreuses manifestations, des natio­nalistes égyptiens, des ouvriers et des paysans réclamèrent des réformes so­ciales. Elles furent réprimées à la fois par l'armée britannique et par l'armée Egyptienne, tuant plus de 3000 manifes­tants. En 1920, l'Angleterre écrasa un mouvement de protestation à Mossoul en Irak. Dans aucun des pays ou des protectorats arabes la bourgeoisie locale n'avait les moyens d'installer des Etats indépendants, libérés de l'emprise coloniale et des puissances "protectri­ces".

La revendication de libération natio­nale n'était rien d'autre qu'une demande réactionnaire. Alors que Marx et Engels avaient pu soutenir certains mouvements nationaux, à la seule condition que la formation d'Etat-nations pût accélérer la croissance de la classe ouvrière et la renforcer, celle-ci pouvant agir comme fossoyeur du capitalisme, ce que les développements guerriers de la situa­tion au Moyen-Orient avaient montré était qu'il n'y avait pas de place pour la formation d'une nouvelle nation arabe ni palestinienne.

Comme partout ailleurs dans le monde, une fois le capitalisme entré dans sa phase de déclin, plus aucune fraction nationale du capital ne pouvait jouer de rôle progressiste.

Incapables de conquérir de nouveaux débouchés capitalistes, les rivaux ne pouvaient que réagir militairement : au Moyen-Orient, les puissances colonia­les empêchèrent la formation d'une nou­velle nation arabe et les bourgeoisies arabes locales empêchèrent la création d'un nouvel Etat-nation palestinien.

Pour résumer la situation au Moyen­-Orient, après l'effondrement de l'Em­pire ottoman et la fin de la Première Guerre mondiale, nous pouvons souli­gner les points suivants :

  • les deux puissances européennes, la France et l'Angleterre, rivales entre el­les et qui avaient choisi leurs "proté­gés", dominaient la région ;
  • l'Allemagne et la Russie, qui avaient de grandes ambitions impérialistes dans la région, en avaient été rejetées ;
  • la bourgeoisie arabe était incapable de créer un Etat-nation panarabe sta­ble ;
  • unité nouvellement formée, le pro­tectorat de Palestine, avec à sa tête une classe dirigeante faible et retardataire, entrait dans un conflit contre son "pro­tecteur", l'Angleterre, tout en étant inca­pable de représenter une véritable me­nace, et contre son nouveau rival sio­niste venu de l'extérieur ;
  • la bourgeoisie arabe, qui s'affrontait aux puissances coloniales qui voulaient l'empêcher de créer un nouvel Etat via­ble, s'opposait à son tour à la formation d'une nouvelle "unité" palestinienne ;
  • les Etats-Unis, grands bénéficiaires de la guerre, n'étaient pas encore réelle­ment présents dans la région ;
  • le coeur des rivalités impérialistes n'était pas la conquête d'une matière première particulière, mais plutôt la con­quête de positions stratégiques.

Nous pouvons voir que la situation au Moyen-Orient confirme totalement l'analyse faite par Rosa Luxemburg au cours de la Première Guerre mondiale : "L'Etat national, l'unité et l'indépendance nationales, tels étaient les dra­peaux idéologiques sous lesquels ce sont cortstitués les grands Etats bourgeois du coeur de l'Europe au siècle dernier. Le capitalisme est incompatible avec le particularisme des petits Etats, avec un émiettement politique et économique ; pour s’épanouir il faut un territoire cohérent aussi grand que possible, d’un même niveau de civilisation : sans quoi on ne pourrait élever les besoins de la société au niveau requis pour la pro­duction marchande capitaliste, ni faire fonctionner le mécanisme de la domination bourgeoise moderne. Avant d'étendre son réseau sur le globe tout entier, l’économie capitaliste à cherché à se créer un territoire d’un seul tenant dans les limites nationales d’un Etat (...) Aujourd'hui, (la phrase nationale) ne sert qu'à masquer tant bien que mal les aspirations impérialistes, à moins qu'elle ne soit utilisées comme cri de guerre, dans les conflits impérialistes, seul et ultime moyen idéologique de capter l’attention des masses populaires et de leur faire jouer  le rôle de chair à canon dans les guerres impérialistes" (Brochure de Junius).

DE


[1] Engels, 10.08.1857.

[2] En 1900, la consommation de pétrole séle­vait à environ 20 millions de tonnes et cette demande était satisfaite par les puits améri­cains et russes (à cette époque la principale région de production était le Golfe du Mexi­que). La militarisation accrue et le fait que les moteurs industriels et les locomotives n'étaient plus mus par le charbon mais par le pétrole entraîna une forte demande de celui-ci. Entre 1900 et 1910, la production de pétrole brut a plus que doublé pour atteindre 43,8 millions de tonnes. L'invention du moteur Diesel pour entrainer les locomotives et les paquebots en constitua la base technique, mais les besoins d’une économie militarisée entraina le double­ment de la production de brut. Cependant, avant la guerre, cette région ne jouait qu'un rôle secondaire dans l’approvisionnement mondial en pétrole. Ce n'est qu'après la Pre­mière Guerre mondiale avec la demande im­portante induite par le développement de l'in­dustrie automobile, que la production pétrolière s'accrut considérablement au Moyen-Orient.

[3] L'impérialisme allemand balançait entre le soutien à la Turquie ou aux colons nationalis­tes juifs. Si les sionistes établissaient un foyer juif en Palestine, avec le soutien allemand, cela aurait provoqué un conflit avec l'Empire ottoman. Mais l'Allemagne ne voulait pas pren­dre le risque de briser son alliance avec la Turquie, car elle représentait son allié le plus important dans son antagonisme global avec la Grande-Brelagne.

[4] Rosa Luxemburg fut l'une des premieres à saisir les implications historiques des condi­tions nouvelles qu'entraînait le début de la décadence. Déjà dans son livre sur Le développement industriel de la Pologne en 1898, elle montrait que les commnistes ne pou­vaient plus soutenir la formation d'une nation polonaise. Dans le texte Les 1uttes nationales en Turquie et  la sociale-démocratie,  en 1896 et dans La question nationale et l'autonomie de 1908, elle a montré le changement historique intervenu entre l'ascendance et la décadence, qui rendait impossible tout soutien à la Tur­quie.

[5] Rohrbach écrivait dans son livre Le chemin fer de Bagdad : « l’Angleterre ne peut attaquer depuis l'Europe, par la terre ferme, et touchée brutalement qu'en Egypte… Mais la Turquie ne peut envisager de conquérir l’Egypte que si elle dispose d’un réseau ferré en Asie Mineure et en Syrie. Dés le début, le ligne de chemin de fer de Bagdad a été prévue comme une loigne directe entre Constantinople et les positions militaires clés de la Turquie en Asie Mineure, avec la Syrie et les provinces du Tigre et de l’Euphrate . Bien sûr, dans ce plan était inclus le projet de transport de troupe turcs vers l’Egypte »

 ( Paul Rohrbach, cite par Rosa Luxembourg dans La Guerre et la politique germanique).

[6] Bien que le Moyen-Orient fût un théatre périphérique de la Première Guerre mondiale, sur ses 20 millions de morts, quelque 350 000 provenaient du Moyen-Orient. La Turquie. ainsi que le blocus des ports arabes par les alliés et les épidémies et la famine furent responsables de nombre de morts. 30% des Egyptiens furent enrôlés par les Anglais et les Australiens pour servir de main d'euvre.

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