La Communist Workers'Organisation et les leçons du regroupement des révolutionnaires

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Une scission importante vient récemment d'a­voir lieu au sein du Communist Workers Organisation (CWO), groupe révolutionnaire en Grande-Bretagne qui défend des positions proches de celles du CCI. Bien que les détails de la scis­sion restent obscurs puisque les scissionnistes du CWO ne font apparemment publié aucun texte ex­pliquant pourquoi ils rompent, il semble que la section de Liverpool toute entière -plus ou moins l'ancien Workers'Voice- ait quitté le CWO, lui reprochant son attitude intolérante vis-à-vis des autres groupes et dans la discus­sion interne. Ceci a peut-être de solides justi­fications mais l'ancien Workers’Voice (WV) a beau jeu de se plaindre de 1'intolérance vis-à-vis d'autres groupes : il fut le premier de dif­férents groupes à rompre avec le CCI, l'accusant d'être contre-révolutionnaire avec des arguments politiques des plus légers (voir WV n°13, "Statement"). Du peu que nous savons, il semble que le principal motif du groupe de Liverpool pour quitter le CWO est une tendance prononcée au localisme et à l'activisme, une insistance pu­rement verbale d'intervenir dans la lutte de classe, comprenant à la fois l'intervention et la classe ouvrière dans le sens le plus étroit et le plus parcellaire. Ces tendances localistes d'une part et l'échec du groupe de Liverpool à débattre des divergences de façon véritablement politique d'autre part, sont la continuation directe de la pratique de l'ancien WV (voir «Sectarisme illimité» dans WR n°3). Cependant la réaction de ceux qui restent comme le CWO, semble être en droite ligne dans cette tradition de dogmatisme enfermé sur lui-même au point que leurs publications n'ont pas cherché à approfon­dir les implications politiques de cette scission.

Nous ne voulons pas nous appesantir sur les détails de cette scission. Nous disons simplement qu'elle est la conclusion logique de ce que nous avons qualifié de "regroupement incomplet" (World Révolution (WR), n°5) lorsque Workers’Voice et Revolutionary Perspectives fusionnèrent pour former le CWO en septembre 1975. C'est là le résultat inévitable de la politique d'isolé ment sectaire que le CWO se choisit lorsqu'il rompit avec le CCI. Cet isolement s'est même ac­cru depuis la formation du CWO ; la plupart des contacts avec des éléments révolutionnaires dans d'autres pays (Pour une Intervention Com­muniste en France, l'ex Revolutionary Workers Group aux USA), n'ont rien donné et le groupe a maintenant perdu une de ses plus fortes sec­tions. Plus que jamais le CWO reste un groupe local pris au piège de l'étroitesse de ses ho­rizons. Bien que le CWO lui-même soit peut-être incapable de comprendre ce qui s'est passé, alors que la période est fondamentalement favorable pour le regroupement des révolutionnaires, il est important pour nous de voir toute l'expérience du CWO comme un problème du ressurgissement du mouvement révolutionnaire et quelles le­çons peuvent être dégagées de cette expérience pour le processus de regroupement des révolu­tionnaires engagé aujourd'hui. Nous saisissons aussi cette occasion pour exprimer nos critiques sur ce que nous considérons être les principales erreurs politiques du CWO ; cette critique ser­vira de réponse à la polémique avec le CCI de l'article du CWO dans Revolutionary Perspectives n°4, "les convulsions du CCI", qui vise a mon­trer comment le CCI fait partie de la bourgeoi­sie.

Les problèmes du ressurgissement du mouvement révolutionnaire

Pour comprendre la situation bizarre qui fait qu'en Grande-Bretagne deux groupes révolution­naires défendent des positions de classe et en même temps n'entretiennent aucune relation en­tre eux parce que l'un considère l'autre comme "contre-révolutionnaire", il faut revenir plu» sieurs années en arrière quand le mouvement révolutionnaire d'aujourd'hui, faible mais gran­dissant, commence à émerger de la longue nuit de contre-révolution dont la fin est marquée par la résurgence du prolétariat après 1968.

C'est précisément parce que la contre-révolu­tion qui a suivi la défaite de la vague révo­lutionnaire des années I917-I923, a été si lon­gue et si profonde que le ressurgissement du mouvement révolutionnaire à la fin des années 60 s'est heurté à de nombreux obstacles et con­fusions. En effet il n'y a pas de lien automa­tique entre le niveau de la lutte de classe à un moment donné et la clarté des minorités révolutionnaires du prolétariat. A la suite des événements de mai 1968 en France, le prolétariat international, réagissant aux premiers coups de la crise économique globale qui s'amorce, se lance dans une série de batailles à une échelle que le monde n'avait plus connue depuis cinquante ans. Mais bien que la réapparition du prolétariat sur la scène de l'histoire pose les conditions générales pour la renaissance d'une fraction communiste au sein de la classe, les premiers groupes engendrés par le réveil de la lutte de classe se trouvent devant d'extrêmes difficul­tés pour comprendre la signification de leur propre existence et les tâches à entre prendre pour lesquels ils ont surgi. Le problème le plus important auquel ils se heurtent est la rupture complète de la continuité organique avec le mouvement révolutionnaire du passé. Dans les périodes précédentes, le prolétariat avait vu ses partis s'effondrer ou le trahir mais cha­que fois une nouvelle organisation émergeait peu après, regroupant les meilleurs éléments des anciens partis" et reprenant la synthèse de tous les acquis. Ainsi, bien que la IIème Internationale fut perdue pour le prolétariat lorsqu'elle capitula devant la guerre impérialiste en 1914, l'écroulement ne fut pas total : en quelques années une nouvelle Internationale se reconstituait tel  le phénix renaissant de ses cendres, basée sur les éléments de l'ancienne Internationale qui restaient attachés aux prin­cipes programmatiques de la classe ouvrière. En rompant avec les partis de la social-démo­cratie, la nouvelle Internationale Communiste n'avait pas à partir de "zéro" ; elle pouvait compter sur une expérience organisationnelle et une présence au sein de la classe ouvrière entretenue par les révolutionnaires pendant des décades avant le désastre de 1914. Au contraire la défaite de la vague révolutionnaire des an­nées 20, parce qu'elle a lieu dans une nouvelle période où la seule perspective pour le prolé­tariat est socialisme ou barbarie et donc où seules restent des minorités politiques prolétariennes (ceux qui se basent sur un programme communiste explicite) signifie la quasi disparition du mouvement révolutionnaire de la scène de l'histoire. Les fractions communistes de gauche qui se détachent de l'IC qui dégénère, continuent à jouer leur rôle vital de tirer les leçons de la défaite de la révolution mais n'ar­rivent pas en fin de compte à résister à l'é­norme pression de l'idéologie bourgeoise dans une période de défaite et de démoralisation. L'histoire du mouvement communiste de gauche des années 20 aux années 50 est celle d'une dispersion, d'un isolement croissant.

La rupture tragique dans la continuité avec le mouvement passé signifie que les nouveaux groupes qui surgissent à la fin des années 60 se trouvent privés d'une expérience théorique et organisationnelle vitale , n'ont pas de tra­dition d'intervention dans la lutte révolution­naire, sont isolés de la classe,etc.. De plus, le mouvement surgit « parallèlement » à la soi-disant révolte étudiante et beaucoup de nou­veaux éléments révolutionnaires viennent au départ du milieu universitaire avec toutes les confusions et les préjugés qui fleurissent dans un tel milieu.

Cette influence petite-bourgeoise est ressen­tie le plus fortement dans le domaine où les nouveaux groupes révolutionnaires sont les plus confus : la question d'organisation. Les trahi­sons du parti bolchevik, la transformation des partis révolutionnaires au départ en monstrueu­ses machines bureaucratiques ont produit et ceci dès les années 20, une réaction dans le mouvement ouvrier tendant à suspecter toute for­me d'organisation révolutionnaire comme voulant se substituer à la classe ouvrière. Certaines tendances provenant des Communistes de Conseils des années 30 et 40 ont commencé à évoluer vers la position selon laquelle les or­ganisations révolutionnaires constituent une barrière au développement d'un mouvement prolé­tarien autonome,

Il n'est guère surprenant que le jeune mou­vement révolutionnaire des années 60 adopte au début ces erreurs conseillistes. Beaucoup d'é­léments évoluent vers des positions révolution­naires en réaction aux prétentions bureaucrati­ques et avant-gardistes des diverses organisa­tions gauchistes ; et si on se rend compte du fait que les conceptions libertaires, situationnistes et autres "anti-autoritaires" sont intimement liées au milieu petit-bourgeois d'où sortent beaucoup de révolutionnaires, on peut voir pourquoi la question d'organisation est une pierre d'achoppement de la majorité des nou­veaux courants révolutionnaires. Le rôle des révolutionnaires au sein de la lutte de classe, comment organiser une minorité révolutionnaire, la signification de l'intervention dans la lut­te de classe, toutes ces questions sont beaucoup moins nettement comprises que les positions de classe plus générales telles que la nature bourgeoise des syndicats ou des régimes staliniens. Il y a une peur presque réflexe du "léninisme", du "bolchévisme", un sentiment que quiconque met l'accent sur 1'importance de l'organisation révolutionnaire ne peut être que "la même chose" que les trotskystes ou les staliniens, intéres­sé à s'auto-ériger en faux "leader" de la classe ouvrière. De même, toute tentative d'organiser l'activité révolutionnaire de façon centralisée est suspecte : le seul centralisme qu'on ima­gine est la hiérarchie bureaucratique des orga­nisations gauchistes. En même temps, les aspects du travail révolutionnaire tels que la publica­tion régulière et méthodique, une approche sys­tématique de l'intervention, de la diffusion des textes, sont souvent considérés comme du "fétichisme organisationnel". Cette méfiance, allant parfois jusqu'à la paralysie en fait de tout travail révolutionnaire, est un produit direct du "traumatisme" de la contre-révolution : hantise compréhensible mais qui doit être dépas­sée le plus rapidement possible pour que le mou­vement révolutionnaire puisse aller plus loin.

A cause de ces problèmes, beaucoup de groupes surgis de la première vague de luttes prolétari­ennes entre 1968 et 1972 ont complètement dis­paru et pour la majorité d'entre eux à cause d'une profonde confusion sur l'organisation. Le groupe suédois Internationall Arbetarkamp (IAK) en est un exemple typique. Commençant comme une saine réaction contre le maoïsme, IAK est parvenu tout près de l'élaboration d'une plate-forme communiste claire mais lorsqu'il s'est agi de s'affronter au problème de s'orga­niser, la peur a repris le dessus. Sous l'influ­ence des idées modernistes comme celle d’Inva­riance en France, IAK a rapidement commencé à théoriser sa propre décomposition interne, af­firmant que tout groupe est un "racket" et bourgeois par nature, que la tâche des communistes est de"vivre comme des communistes" : il n'est pas surprenant que le groupe ait bientôt éclaté entre des individus démoralisés poursuivant leur « propre » évolution vers le "végétarisme", la rédaction de romans "anti-capitalistes", etc..

Un des problèmes principaux pendant cette pé­riode a été l'absence d'une tendance politique capable d'agir comme pôle solide de regroupement, d’offrir à des groupes corme IAK une alternative à la désintégration politique. Ceci était inévi­table car le mouvement révolutionnaire naissant n'avait d'autre alternative que de croître et mûrir à travers ses propres expériences. Néan­moins, ce processus de maturation s'est dévelop­pé lentement : un des premiers signes est la dispari­tion de la plupart des courants qui, éblouis par le boom d'après-guerre, avaient rejeté la con­ception marxiste de la crise et ont aujourd'hui vu leurs fantaisies sur un capitalisme ayant sur­monté ses crises, démenties par le net infléchissement de la crise économique après 1973 (situationnisme, Gauche marxiste, ICO, etc.).

Entre 1968 et 1973 s'est poursuivi un proces­sus graduel et continu de décantation dans le mouvement révolutionnaire ; dans ce contexte, la persistance et la persévérance du Courant international (alors représenté par Révolution Internationale en France, Internationalism aux USA et Internationalismo au Venezuela) défen­dant la nécessité d'une plate-forme politique cohérente comme base du regroupement des révolu­tionnaires, a été l'expression des besoins objec­tifs du mouvement révolutionnaire. Pour nous, l'affirmer aujourd'hui n'est pas une question de fanfaronner rétrospectivement ou de nous auto-proclamer arbitrairement pôle de regroupement (l'unique et l'éternel !) comme le CWO semble le prétendre dans leur "Convulsions du CCI". Si le Courant international a été le regroupement révolutionnaire le plus consistant après 1968, c'est par son souci constant de réappropriation et d'approfondissement des acquis du mouvement révolutionnaire passé. Le fait que quelques-uns des membres fondateurs du Courant international aient fait partie directement du mouvement de la Gauche communiste des années 30 à 50 est un élément important bien qu'il n'ait pas été un facteur décisif comme nous l'avons dit, toute continuité organique avec la Gauche communiste ayant finalement été rompue par la contre-révolution. Mais le Courant international s'est en­gagé à construire une continuité politique avec le mouvement de la Gauche communiste du passé et a ainsi élaboré une plateforme qui s'efforce de synthétiser les contributions fondamentales du mouvement ouvrier historique. Ceci a fait que le Courant tendait à devenir un pôle de regrou­pement et contribuait à la clarification du mouvement révolutionnaire des années 70. Mais, de par sa propre immaturité, il a fallu longtemps pour que les implications d'une telle orientation soient comprises par le Courant lui-même et beaucoup de conflits internes et de confusions ont du être résolues avant que le Courant international puisse pleinement assimiler la réalité de sa propre existence. Par exemple, il a fallu ré­soudre les hésitations "anti-organisationnelles" en son sein, exprimées par le départ des éléments activistes du PIC de RI en 1973 et de la "Ten­dance Communiste" moderniste en 1974, etc.. (Dans les "Convulsions du CCI", le CWO présente ces revers comme signes d'un groupe agonisant ; aujourd'hui on peut les voir clairement comme des maladies de croissance du CCI).

Ainsi, comme la plupart des courants révolu­tionnaires de l'époque, le Courant international qui est devenu le CCI aujourd'hui, a compris en dernier la question d'organisation, après les questions politiques plus générales ; l'immatu­rité relative du Courant était inévitable mais devait avoir des répercussions importantes sur certains des premiers efforts de regroupement. C'est ce qui devait apparaître douloureusement en Grande-Bretagne.

Les revers du regroupement en Grande-Bretagne

En mai 1973, divers éléments et individus essa­yant de clarifier les positions communistes se réunissent à Liverpool pour discuter des pers­pectives politiques. Il y a trois groupes en Grande-Bretagne : Workers'Voice de Liverpool, qui a rompu avec le trotskisme et essaie de réas­similer les acquis des Communistes de gauche du début des années 20 ; quelques camarades d'Ecos­se qui ont scissionné de Solidarity pour défen­dre une conception marxiste de la crise du ca­pitalisme et un groupe de Londres, dont certains membres ont également scissionne de Solidarity mais qui se considèrent proches des positions de Révolution Internationale et d'Internationalism (qui participent également aux discussions sur le les questions importantes comme les syndicats, l'organisation et la décadence du capitalisme) ; la confusion est grande dans les groupes britan­niques et les contributions de RI et Internatio­nalism sont importantes pour essayer de clarifier quelques-uns de ces problèmes.

De nombreuses réunions se poursuivent pendant quelques mois et les groupes en Grande-Bretagne progressent considérablement (le groupe, de Lon­dres devient World Révolution et les éléments en Ecosse Revolutionary Perspectives). La discus­sion entre les groupes se poursuit de façon fra­ternelle et constructive et des interventions conjointes ont lieu (par exemple le tract de WR et WV sur le Chili en septembre 1973 au moment de la chute d'Allende). Mais un problème commence à se poser par le fait que WR évolue plus rapide­ment vers la plateforme et la politique du Cou­rant international que WV et RP. Des questions importantes comme la décadence du capitalisme ou l'alternative de guerre ou révolution, socia­lisme ou barbarie, soulèvent des hésitations et des incompréhensions de la part de WV, au début RP, tout en niant le problème de la saturation des marchés comme source de la crise capitaliste, assimile le concept général de décadence plus rapidement. RP cependant, exprime des désaccords sur la question de la révolution russe et du par­ti bolchevik en particulier. Il faut longtemps à RP pour saisir pleinement le caractère prolétarien du parti bolchevik. Ce développement inégal des trois groupes devient une source de com­plications pour une raison fondamentale : la discussion et la coopération entre les groupes n'ont à aucun moment été fondées sur une concep­tion claire du regroupement des révolutionnaires. Dès le début, le regroupement est vu comme un projet vague et lointain, peut-être seulement nécessaire au début de la révolution. La discussion entre les groupes se mène sur la compréhen­sion tacite que chaque groupe a sa propre"autonomie", ses « propres positions » à développer et à défendre. La fraternité dans la discussion est authentique mais instable dans la mesure où elle n’a pas à faire face à la question difficile d'une réelle implication, une fusion en une seu­le organisation centralisée à l'échelle interna­tionale. Là encore, le Courant International est le premier à poser la question du regroupement de façon claire. Mais au moment où la question devient explicite, son apparition implicite sans vraiment comprendre ce que cela signifie, a déjà mené à une détérioration des relations entre les groupes en Grande-Bretagne. Ceci se vérifie particulièrement après la Conférence de janvier 1974 lorsque WR change de position sur la révolution russe (l'insurrection d'Octobre était jusque là considérée comme une contre-ré­volution capitaliste d'Etat dirigée par un parti bolchevik "bourgeois") et montre une volonté claire de prendre part au Courant international de RI-Internationalism-Internacionallsmo. WV in­terprète cela comme une "capitulation" de WR face aux  desseins « semi-bolcheviks » du Courant in­ternational (interprétation encore mise en avant par le CWO dans les "convulsions du CCI") et les relations entre WR et WV se détériorent ensuite rapidement. WV se retire de plus en plus dans un refus renfrogné de discuter ses divergences (cf, ''Sectarisme illimité", WR, n°3) et ne répond pas aux diverses lettres qu'écrit WR pour tenter de poursuivre la discussion (il semble qu'aujourd'hui le groupe de Liverpool veuille continuer la mè­ne politique de silence sur ses divergences avec le CWO).

Au moment où le Courant international commence à mettre réellement en avant que le regroupement signifie regroupement aujourd'hui en une seule organisation internationale, il apparaît aux groupes "hors" du Courant que le Courant inter­national (alors rejoint par les groupes en Ita­lie et en Espagne) exprime une sorte de "désir impérialiste" de s'étendre a tout prix et d'in­corporer tous les autres groupes pour accroître ses propres prétentions. Le Courant ne parle pas seulement de regroupement, il commence à construire un cadre organisationnel dans lequel le regrou­pement peut réellement se faire. Ceci provoque une réponse soupçonneuse des autres groupes et pas seulement en Grande-Bretagne. Le Revolutionary Workers'Group (RWG) de Chicago qui a rompu avec le trotskisme et évolue de façon positive vers le Courant commence aussi à se retirer quand la question pratique de son intégration dans le Courant commence à se poser. Quelques éléments de WV et RWG gardent certaines illusions sur la possibilité d'un travail indépendant avec la Tendance Communiste avant sa désintégration po­litique et sa disparition complète.

En novembre 1974, le silence de WV est rompu par une mise au point affirmant que le Courant est une force contre-révolutionnaire à cause de ses positions sur l'Etat dans la période de tran­sition. RP montre encore une volonté de discu­ter les questions politiques mais commence à soulever de plus en plus d'objections aux posi­tions du Courant, particulièrement sur la révo­lution russe et la période de transition. Après avoir discuté la possibilité d'entrer dans le Courant international comme "minorité" et avoir été sévèrement critiqué sur cette position, RP commence à se considérer comme le groupe "le plus clair" et agir comme si lui-même était le pôle de regroupement et non le Courant. Il de­mande que le Courant qui s'est constitué en jan­vier 1975 comme Courant Communiste International, change ses positions considérées alors comme des "frontières de classe" sur la question de l'Etat et sur la mort définitive de la révolution russe. A ce stade, sa perspective est de convain­cre le CCI de ses "erreurs" qui sont subjectives et ne représentent pas un point étranger à la classe (Lettre ouverte au CCI, RP, février 1975). Peu après, RP abandonne l'espoir de réformer le CCI et se consacre au regroupement avec les au­tres groupes qui semblent être plus proches de ses propres positions et qui forcent une sorte de "contre-courant" au CCI : WV, RWG et PIC ((Pour une Intervention Communiste), France).

Les discussions avec le RWG et le PIC révèlent des divergences importantes mais en septembre 1975, WV et RP fusionnent pour former le CWO. Il semble au début que les éléments de RP dans le CWO continuent de considérer le CCI comme un groupe "confus" et non-bourgeois, mais plus tard, l'ensemble du CWO adepte la position de l'ancien WV - que le CCI est une faction contre-révolutionnaire du capital avec laquelle toute discus­sion est inutile. Malgré tout, le CWO affirme dans "Les convulsions du CCI" que c'est le CCI qui a mis fin à la discussion entre les groupes, ce qui est une affirmation invraisemblable si l'on se rappelle les prises de positions ininter­rompues du CCI à la fois avant et après la for­mation du CWO, affirmant sa volonté de maintenir un dialogue avec le CWO, position qu'il maintient encore aujourd'hui, sans mettre aucune condition au débat.

Ceci est d'autant plus invraisemblable quand on considère qu'au cours du processus de regrou­pement en Belgique, les groupes participants (RRS d'Anvers, VRS de Gand et Journal de luttes de classe de Bruxelles) invitent le CWO à participer à leur conférence en plein accord avec le CCI. Le CWO n'est cependant pas venu et leur si­lence a été déploré dans les documents issus de la Conférence de 1975 (Revue Internationale4).

Le prix de l'immaturité

Cette brève trajectoire du processus qui a me­né à la formation du CWO n'apporte que peu de choses sauf si on analyse les raisons sous-jacentes et si on essaye d'en tirer les leçons. Nous n'entrerons pas dans tous les détails de cette affaire. Notre tache aujourd'hui est de comprendre pourquoi a pu se produire une telle détério­ration des relations ; c'est seulement en consi­dérant les caractéristiques générales qu'il sera possible de voir comment à certains moments, des questions secondaires peuvent exacerber un problème Rétrospectivement, il est possible de voir beaucoup de raisons générales pour l'échec de cette tentative de regroupement.

De la part des groupes hors du Courant, les obstacles principaux au regroupement sont des problèmes qui, comme nous l'avons vu, sont com­muns à beaucoup de groupes qui ont surgi de la période de contre-révolution: une peur du bolchevisme et l'héritage de la contre-révolution et une profonde absence de clarté sur la ques­tion d'organisation.

1- Une des principales pommes de discorde entre le CCI et les autres groupes est la révo­lution russe et les leçons â en tirer. Ce n'est pas par hasard. La révolution russe a été un des événements les plus importants de l'histoi­re du prolétariat et quiconque échoue à compren­dre les leçons de cette expérience n'arrivera pas à se dégager de la contre-révolution. La réaction de quelques éléments du prolétariat à la défaite de cette révolution est le rejet de toute l'expérience comme rien de plus qu'une révolution bourgeoise ou un moment dans l'évo­lution du capital vers de nouvelles formes. Le parti bolchevik, en particulier, est souvent rejeté de tout le mouvement prolétarien et présenté comme le porteur parfait du capitalisme d'Etat, intéressé à la seule modernisation de la Russie. Ce genre d'interprétation que nous pouvons qualifier vaguement de "conseilliste", a eu une influence importante sur les groupes en Grande-Bretagne quand ils ont surgi, WR se nomme au départ "Conseil Communism" et s'oppose violemment au bolchevisme ; WV passe par une phase explicitement conseilliste lorsqu'il re­jette toute idée d'un parti révolutionnaire ; RP commence avec des positions proches d'Otto Ruhle à savoir que tous les partis sont bour­geois et que 1917 en Russie est une révolution bourgeoise. Au contraire, RI, dès le début, in­siste sur le caractère prolétarien de l'insurrec­tion d'Octobre et du parti bolchevik. Ceci pro­voque "naturellement" des soupçons que RI est encore quelque peu teinté de bolchevisme et de léninisme, qu'il se prépare à excuser et défen­dre toutes les actions anti-ouvrières des bol­cheviks après 1917. D'autres soupçons sont pro­voqués par l'affirmation de RI que pendant la période de transition l'Etat est inévitable, un fléau nécessaire que le prolétariat aura à utiliser mais avec lequel il ne pourra jamais s'identifier. Et comme RI a toujours défendu la nécessité d'un "parti révolutionnaire", ce que dit le Courant sur le regroupement est inter­prété comme une autre aventure, à la manière trotskyste, de construction du parti.

Echouant à comprendre la méthode du Courant international pour tirer les leçons de l'expérience bolchevik, les autres groupes tendent à voir la « contre-révolution » derrière chaque posi­tion qu'ils ne saisissent pas immédiatement.

Après beaucoup de discussions, WR et RP se séparent tous deux de l'interprétation conseilliste et acceptent le caractère prolétarien de la révolution russe et du parti bolchevik. Ils commencent également à parler de la nécessité d'un parti révolutionnaire, mais ils ne considéreront jamais l'idée que l'Etat de transition est quelque chose de distinct de la classe ou­vrière et sous-entendent que la position du CCI signifie la répétition de l'erreur des bolche­viks de subordonner les conseils ouvriers à une force étrangère au prolétariat (ce qui est exac­tement le contraire de la position du CCI qui met l'accent sur la nécessité pour les conseils ouvriers d'exercer leur pouvoir sur toutes les autres institutions de la société !). En même temps, tout en reconnaissant le caractère pro­létarien de la révolution russe, WV et RP (et le RWG) commencent à mettre en avant que quicon­que ne reconnaît pas que le parti bolchevik est "fini" en 1921 (Kronstadt, la NEP, le front uni­que), a franchi les "frontières de classe" et devient un apologiste de la contre-révolution. Nous discuterons l'absurdité de cette position plus loin mais même cette absurdité n'est pas sans signification. Jamais auparavant dans l'his­toire du mouvement ouvrier, une question de da­te, une interprétation historique a posteriori, n'a constitué une "frontière de classe". La seule explication possible pour l'intransigeance avec laquelle WV, RP et le RWG ont défendu leur posi­tion sur "1921" est qu'ils voient cette date comme une sorte de cordon sanitaire les proté­geant d'un lien possible avec la dégénérescence du bolchevisme. C'est comme s'ils voulaient di­minuer leurs réticences à accepter le parti bolchevik comme une partie de leur propre his­toire en disant "jusque là mais pas plus loin". Ils ont évolué d'une position conseilliste à une position plus cohérente, proche de celle du CCI, comme nous l'avons dit, ils n'ont pas assimile de méthode cohérente pour analyser les erreurs et même les crimes du mouvement ouvrier passé, ni l'approche du problème de la dégénérescence et de la mort des organisations prolé­tariennes.

2- Les confusions de WV-RP sur le regroupe­ment et l'organisation ont été liées de très près à leur peur du "léninisme" et du "bolché­visme". Particulièrement, WV a considéré pendant longtemps que parler de regroupement aujourd'hui est "substitutionniste". Bien que leur position ait changé ultérieurement (sans explication au­cune), la question du regroupement n'a jamais été pleinement clarifiée dans le CWO comme nous le venons. Parallèlement à cette hostilité au regroupement, il y a eu cette réticence vis-à-vis du parti et une difficulté sur la conception de la centralisation. Les idées de WV sur l'or­ganisation ont été plus ou moins fédéralistes : chaque groupe est autonome et a sa propre inter­vention à faire dans son coin du monde. La pers­pective d'être absorbé dans un corps internatio­nal les a remplis d'angoisse. RP a accepté l'idée du regroupement et de la centralisation plus facilement mais la compréhension des implications a été très limitée, ce qui a été démontré par exemple par l'idée d'entrer dans le Courant comme un bloc avec sa propre plateforme au sein de l'organisation et leur basculement ultérieur, de la conception sous-fédéraliste à un monoli­thisme extrême, pour lequel le regroupement est impossible tant qu'il n'y a pas accord absolu sur tous les points quels qu'ils soient, a mon­tré qu'il n'a pas compris réellement la conception de la centralisation. En général, ni RP, ni WV n'ont abandonné l'idée qu'ils ont leur propre contribution à apporter au mouvement ouvrier, que ce sont eux qui ont fait et clarifié l'essentiel d'une plateforme révolutionnaire : il est vrai, disent-ils que le Courant international les a aidés un tout petit peu mais le principal vient d'eux. Il se sont sortis du gauchisme par leurs propres moyens.

La vérité est quelque peu différente. Ni RP, ni WV, ni le CWO n'ont fait de critique systé­matique de leur propre passé, nais s'ils l'avai­ent fait, ils seraient arrivés à quelques con­clusions désagréables. Alors que la discussion entre révolutionnaires n'est jamais un monologue et que des deux cotés on a gagné dans les débats qui se sont tenus en Grande-Bretagne, un coup d’oeil rapide aux faits ne laissera aucun doute sur qui a été la source principale de clarifica­tion. Le Courant avait déjà un cadre et une plateforme clairs avant que ces discussions s'enga­gent : ceux de RI (la Déclaration de principes de 1968 et la plateforme de 1972). Quand RP et WV ont commencé à discuter avec le Courant, ils étaient confus sur des questions absolument vi­tales comme les shop stewards, la révolution russe, la décadence, l'organisation, le mouve­ment de la gauche communiste et les positions claires vers lesquelles ils ont évolué, ont été les positions que le Courant défendait déjà ; ce qu'ils ont considéré plus tard comme la preu­ve de leur clarté supérieure (1921, l'Etat, etc.) ont été principalement des confusions qu'ils n'ont jamais surmontées. Le résultat est que les plateformes de WV, de RP et du CWO sont essentiel­lement des versions affadies de la plateforme du CCI avec en plus leurs propres dadas. Sans l'in­tervention du Courant, il est peu probable que WV et RP seraient arrivés à une perspective poli­tique relativement claire. Une fois de plus, nous n'affirmons pas cela pour donner du pres­tige au CCI, nous réaffirmons simplement que les circonstances historiques ont fait que le Cou­rant international a été le premier à élaborer une plateforme politique cohérente, ce qui lui a donné une responsabilité particulière dans le développement d'autres groupes. Autant RP que WV n'ont jamais pu admettre ce fait. Leur désir de défendre leur autonomie et de développer "leurs" idées les a empêchés de voir la nécessi­té pour les communistes d'unifier leurs efforts et de se regrouper dans une seule organisation.

Mais les erreurs de WV et RP ne peuvent pas expliquer toute l'histoire. Nous n'avons pas affaire ici à des problèmes psychologiques : les hésitations, confusions et craintes de WV-RP sont en grande partie un produit historique de 1'immaturité du mouvement révolutionnaire et cette immaturité a aussi affecté le Courant international en freinant ses propres efforts vers la constitution d'un pôle de regroupement.

Comme nous l'avons vu, bien que les groupes du Courant international aient eu une vision plus cohérente sur les problèmes organisationnels en général, ils ont mis du temps à tirer toutes les conclusions pratiques de cette com­préhension globale. Ceci s'applique autant à leur structure interne qu'à la question du re­groupement, tous deux étant des aspects de la centralisation. Ce n'est que graduellement qu'il est devenu clair qu'il était nécessaire aujour­d'hui de construire une organisation de révolu­tionnaires centralisée internationalement, laquelle ne serait à son tour qu'un moment de la reconstitution du parti communiste mondial dans une période de lutte de classe intense. Bien qu'il ait imposé sa clarté générale dans la dis­cussion avec les autres groupes, le Courant in­ternational n'a pas réussi à poser le problème fondamental du regroupement dès le début. Il n'a pas insisté suffisamment tôt sur le fait que la discussion et la coopération entre les groupes en Grande-Bretagne avaient pour but la clarifi­cation sur les points essentiels d'une platefor­me communiste et la fusion des différents éléments dans une seule organisation internationale.

Quand les divergences ont surgi entre les grou­pes, le Courant n'a pas toujours répondu de ma­nière adéquate et c'était là essentiellement le résultat de son inexpérience à traiter de tels problèmes. Le développement de nouveaux groupes est un processus extrêmement délicat qui requiert en même temps qu'une défense intransigeante des positions politiques générales, beaucoup de sou­plesse et de patience de la part d'un groupe plus mur. Ceci ne veut pas dire que les problèmes auraient pu être évités si le Courant avait fait preuve de plus de"tact" - arrivés à un certain point, le tact et la bonne disposition du Cou­rant ont été interprétés comme des manifestations d'un opportunisme dénué de principes. Mais quand le mouvement révolutionnaire est si jeune et faible, les problèmes secondaires et mêmes person­nels peuvent avoir un effet sans commune mesure avec leur importance réelle. Ceci veut dire que la manière de mener une discussion est très importante. Il est nécessaire particulièrement de séparer les problèmes d'importance secondaire de ceux d'importance fondamentale et de mener la discussion à un niveau strictement politique, sans se perdre dans les minuties de la psycholo­gie inter-groupes.

Au manque d'expérience du Courant internatio­nal à mener de telles discussions, s'ajoutait le fait qu'il n'avait pas encore les moyens organisationnels de diriger le débat vers une con­clusion fructueuse. Par le fait que le Courant n'existait pas encore comme une seule organisa­tion unifiée, il n'avait pas les moyens d'éla­borer une orientation globale et cohérente dans ses relations avec d'autres groupes. Pour la même raison, il était difficile que les autres groupes le voient comme un pôle de regroupement alors qu'il n'avait pas de plateforme commune et de structure organisationnelle unifiée. Des groupes comme le RWG lui ont reproché effec­tivement de ne pas être centralisé sans compren­dre que la centralisation est un processus qui ne peut être proclamé du jour au lendemain. Tou­te la perspective du Courant était qu'il devait s'acheminer vers la constitution d'une seule organisation internationale. Mais le fait qu'il n'avait pas encore atteint ce stade devait peser lourdement sur ses premières tentatives de regroupement avec d'autres éléments. De plus, la naissance du CCI s'est accompagnée des inévita­bles douleurs de l'enfantement qui ont donné lieu à un certain nombre de défections et de scissions :

  • "Cette période d'approfondissement de la compréhension dans le Courant a sans doute trou­blé tous nos contacts internationaux. Le fait de voir l'organisation déchirée par de violen­tes polémiques (particulièrement avec la "Ten­dance Communiste" au sein du CCI) n'a pas ins­piré confiance à ceux qui de toute façon étai­ent imprégnés d'une peur de l'organisation liée à leur "anti-léninisme". Il est difficile d'intégrer de nouveaux éléments dans une orga­nisation pendent sa naissance particulièrement douloureuse". (Leçons du regroupement, texte du CCI).

Si on compare la faillite du regroupement avec RP et WV en Grande-Bretagne avec le regroupement mené à bien après en Belgique, il devient évi­dent que l'existence du Courant en tant que corps unifié était extrêmement importante. Les trois groupes qui ont commencé à discuter les positions révolutionnaires en Belgique, ont démarré avec les mêmes problèmes que les groupes en Grande-Bretagne avaient affrontés : origines différentes, développement inégal vers les positions du CCI... Mais cette fois, le CCI non seulement existait en tant que tel mais avait appris de son expé­rience négative en Grande-Bretagne et a été capa­ble de situer les discussions dans un cadre cohé­rent dès le début. Il a été capable de minimiser les problèmes secondaires et d'aider à la clari­fication de tous les groupes. Pendant cette pé­riode, le CCI a mis clairement en avant le fait que le but de la discussion était l'unification des différents éléments dans une même organisa­tion internationale et le CCI a été capable de se présenter comme cette organisation. En fait, il est devenu rapidement clair pour les camara­des en Belgique que le CCI était la seule orga­nisation capable de fournir un cadre permettant le regroupement international. L'intervention du PIC et du CWO dans ce processus a simplement révélé leur préoccupation d'attaquer le CCI et de faire obstruction à toute unification dans le mouvement révolutionnaire. La constitution d'Internationalisme comme section belge du CCI, de même que d'autres regroupements qui ont été menés à bien au Canada, en Italie et Espagne, ont prouvé que le CCI avait surmonté beaucoup de ses difficultés du début et commençait à montrer une capacité réelle d'agir comme pôle de regroupement et de clarification.

Il est dommage que beaucoup des leçons amères que le CCI a apprises sur le regroupement - la nécessité de placer la discussion dans un cadre global, la nécessité d'une organisation unifiée et internationale, etc., l'ont été par une expé­rience négative en Grande-Bretagne mais la défai­te a toujours été l'école du mouvement proléta­rien. Les conditions qui ont mené à la formation du CWO sont surtout un produit d'une phase parti­culière dans la reconstitution du mouvement ré­volutionnaire et ne se répéteront probablement plus. En ce sens le CWO est une anomalie d'une période révolue. La croissance positive du CCI et la fragmentation et l'isolement croissants du CWO le confirment.

L'isolement du CWO

Depuis qu'il s’est créé, le CWO s'est enfermé de plus en plus dans une coquille de sectarisme misanthrope. Son rôle principal a été de semer la confusion parmi les éléments qui s'approchaient des positions communistes, les désorientant avec son insistance obsessionnelle sur les "divergences" avec le CCI. Après tout, qu'est ce qui peut être plus déroutant pour qui commence à comprendre les vraies positions de classe et la différence réelle entre un groupe communiste et un groupe gauchiste, que de découvrir tout d'un coup une série de "nouvelles frontières de classe" ? Il est difficile d'évaluer à l'heure actuelle l'influence confusionniste du CWO dans le mou­vement révolutionnaire naissant. Nous avons men­tionné leur rôle entièrement négatif dans le processus de regroupement en Belgique. En Grande-Bretagne, ils ont réussi à dévoyer plusieurs éléments dans leur tanière isolationniste, sans parler du fait que les militants du CWO se sont retirés eux-mêmes de la discussion au sein du mouvement révolutionnaire et se sont ainsi pri­vés de la contribution au mouvement qu'il pro­mettaient au début de leur développement.

Mais il serait erroné de surestimer l'influen­ce (négative) du CWO. Dans beaucoup de cas avec les groupes en Belgique, par exemple et avec certains camarades en Grande-Bretagne qui font maintenant partie de WR , ils n'ont pas réussi à convaincre des révolutionnaires qui venaient de surgir que leur point d'appui « contre le CCI » était basé sur des critères politiques sérieux. Maintenant que leur attitude sectaire n'est plus dirigée seulement contre le CCI, ils ont des difficultés à maintenir des contacts avec un certain nombre d'autres groupes et en­core plus à se regrouper avec eux. L'attitude qu'ils ont adopté envers le PIC est typique, exigeant que le PIC abandonne tout simplement sa position luxembourgiste sur la crise comme préalable à un regroupement (cf WR n°5 "Un re­groupement incomplet"). Ils ont adopté la même attitude sectaire envers un groupe à Goteborg, en Suède en rupture avec l'anarchisme : la ré­ponse du CWO n'a pas été de faire la critique de ses confusions mais d'écrire une attaque retentissante contre le mouvement anarchiste dans l'histoire (cf "Anarchism" dans RP n°3) et insister pour que le groupe de Goteborg réponde à cette attaque avant d'entamer une quelconque discussion. Il n'est pas surprenant que ni le PIC ni le groupe suédois n'aient voulu accepter un tel ultimatum. D'autres contacts internatio­naux n'ont également mené nulle part. Le CWO a eu un bref flirt avec le groupe Union Ouvrière en France, scission du groupe trotskyste Lutte Ouvrière. Bien que le CWO ait clairement encouragé les premiers efforts d'UO vers des positions révolutionnaires, il a sous-estimé les difficultés sur le plan politique général d'une rupture com­plète avec un passé organisationnel contre-révo­lutionnaire. La recherche désespérée du CWO d'au­tres contacts révolutionnaires après s'être arbi­trairement coupé lui-même du CCI et de tous ceux qui ont des contacts avec lui, les a amenés à se bercer d'illusions sur la véritable clarté d'UO et de se jeter dans la proclamation de la victoire d'UO avant la bataille. En tout cas, le "dialogue politique" avec UO semble s'être terminé en un silence embarrassé puisque ce der­nier s'est maintenant transformé en une sorte de rassemblement de modernistes. La fin des relations du CWO avec le groupe américain RWG, dont le CWO disait à ses débuts que c'était le groupe qui lui était "le plus proche" (WV 15), a aussi été passée sous silence. Le fait d'ê­tre proche du CWO n'a pas empêché le RWG de se démoraliser complètement et de se dissoudre (cf. WR n°5). Après une brève résurrection comme "Groupe Prolétarien Communiste", les vestiges du RWG ont finalement fusionné avec un étrange club de Chicago appelé "Comité pour un Conseil Ouvrier" pour former une ridicule secte semi-moderniste "Forward". "Forward" pense que l’en­semble de l'histoire du mouvement ouvrier de­puis Marx jusqu'aux Bolcheviks (et probablement la gauche communiste aussi) n'a été que l'aile gauche du capital et que les luttes revendica­tives de la classe (que "Forward" identifie avec mépris et à tort avec le "marchandage syndical") devraient être abandonnées. Leur journal est principalement consacré à des at­taques fumeuses contre le CCI et le CWO.

La rupture de ses relations internationales accentue l'isolement du CWO et son incapacité à offrir une perspective réelle pour le regrou­pement des révolutionnaires. Bien que le CWO ait jusqu'à présent échoué à tirer un bilan de ces tentatives de regroupement, cette série d'échecs doit avoir produit des tensions dans l'organisation ; comme nous l'avons vu, la section de Liverpool qui a scissionné, a donné, parmi les raisons de sa scission, l'attitu­de intolérante du CWO envers les autres groupes. Lorsqu'un groupe s'enferme sur lui-même comme le CWO, il se crée une immense pression interne qui peut mener à des défections et des scis­sions soudaines, sans explication. La pression à l'intérieur du CWO a été augmentée par le caractère monolithique du groupe, son insis­tance sur un accord total sur tous les points de la plateforme, son refus de permettre des positions minoritaires. Comme nous l'avions prédit dans WR n°6, cette conception monoli­thique de l'organisation :

  • "Mènera non seulement vers deux organisations mais vers une série interminable de scissions, d'expulsions, de dénonciations et de ruptures de relations qui ne pourront pas apporter plus de clarté au programme communiste que la scission présente du CWO d'avec le CCI"  ("CWO et la question de l'organisation").

Ce monolithisme n'a jamais permis aux diver­gences de surgir et d'être débattues publique­ment ou même au sein de l'organisation d'après les "scissionnistes". Cela ne peut servir qu'à cacher les divergences réelles et créer une atmosphère étouffante à l'intérieur du groupe ; mais en même temps le CWO a été incapable de se passer d'une structure monolithique. A 1'origine réaction excessive contre le fédéra­lisme de RP et WV, le monolithisme du CWO est devenu un paravent indispensable pour marquer nettement la séparation d'avec les autres groupes et pour protéger la "virginité" de la plateforme. Mais il est aussi clair que cette structure monolithique n'a jamais réellement éliminé la fragilité du regroupement d'origine entre WV, RP. Le CWO lui-même l'admet dans sa récente lettre au CCI :

  • "Dans le futur, nous devrons faire plus atten­tion dans nos relations avec des éléments qui disent être a accord avec nos positions mais qui cherchent à nous utiliser soit com­me bouée de sauvetage pour se maintenir à flot soit comme bouclier contre les autres organisations politiques"'.

Sous l'unité apparente et le "centralisme programmatique" du CWO, il existait encore deux groupes et l’acceptation du groupe de Liverpool des perspectives politiques défendues par le CWO, semble avoir été plutôt superficielle, à en juger par la facile régression de WV vers ses anciennes activités localistes et activistes. Dès le début l'organisation unie du CWO était une création artificielle, construite sur une base politique entièrement inadéquate, comme une sorte de miroir reflétant en négatif l'image du CCI. La scission était donc inscrite dans le groupe dès le début et à moins que le CWO ne change radicalement son orientation présente, il se dirige encore vers des tendances à la désintégration dans l'avenir.

Une des conséquences de l'isolement du CWO est une accumulation de confusion et de concep­tions politiques erronées qui, en l'absence de discussions avec d'autres, ne sont pas cla­rifiées mais servent comme nouvelle justifica­tion du caractère "unique" du CWO. Un exemple suffira pour l'instant : dans RP n°5, nous trouvons l'incroyable affirmation que ni le soulèvement du 19 juillet 1936 ni les journées de mai 1937 à Barcelone, n'ont été des expres­sions d'une lutte prolétarienne. Cette vision est totalement en désaccord avec la position défendue par BILAN (cf. "L'appel de la Gauche communiste" publié dans la Revue Internationale n°7) et de fait obscurcit la signification de ce qui est arrivé en Espagne, en particulier le rôle de l'extrême gauche, rôle d'autant plus important que la bourgeoisie espagnole avait senti de façon aigue le danger prolétarien. Nous ne voulons pas entrer dans les détails de cette question ici : nous la citons comme exemple de la façon dont l'isolement du CWO par rapport au mouvement révolutionnaire d'aujour­d'hui et aux traditions de la gauche communiste est en train de le mener à adopter des positions de plus en plus bizarres et sans fondement. Le CWO continue à défendre des positions de classe et reste dans le camp prolétarien ; sa dégénérescence politique est entrain de se faire lentement mais la prolifération de con­fusion dans ses rangs accélérera inévitablement cette tendance qui devient de plus en plus apparente.

C.D.WARD

 

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