Crashs et accidents aériens : un exemple de la loi meurtrière du profit

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Chaque année, les médias égrènent des accidents d’avion en tous genres et des crashs aériens qui tuent en quelques minutes des centaines de personnes. Généralement, la responsabilité de ces catastrophes est rejetée sur le dos des pilotes ou bien du personnel de maintenance. Concernant le crash de l’airbus A330 d’Air France entre Paris et Rio le 1er juin, on aura là encore tout entendu, de la possibilité d’une attaque par missile à celle d’un orage inattendu par sa taille (démenti par Météo-France) en passant par l’incurie des pilotes. Dans le même registre de l’hypocrisie et du mensonge, le crash aux Comores le 30 juin d’un avion affrété par la compagnie Yemenia, qui se trouve sur la liste noire des compagnies indésirables dans certains pays du fait du mauvais entretien de leur flotte, avait fait l’objet de toute une campagne de l’Etat français, afin de détourner l’attention de l’opinion sur ces “compagnies-voyous”, et faire passer Air France-KLM pour une compagnie des plus sérieuses.

Ce qui s’est passé le 1er juin est en réalité une illustration de ce mépris total que toutes les compagnies aériennes, quelles qu’elles soient, et avec elles, des Etats qui les parrainent et les protègent, cultivent à l’égard de la vie humaine. Car cette merveille de la technologie qu’est l’avion serait en effet bien plus sûr pour le transport des êtres humains si les lois du profit, de la rentabilité et de la concurrence capitaliste n’ouvraient sur toutes sortes de malversations et d’économies… mortelles.

 

Derrière le crash de l’AF 447, la concurrence internationale

 

L’équipage et les 228 morts du vol entre Paris et Rio ne sont plus là pour raconter ce qui s’est passé. Les 10 millions d’euros dépensés pour retrouver les fameuses boîtes noires qui nous auraient dit toute la vérité l’ont été en pure perte. Comme le disait le 22 août un des correspondants du site www.eurocokpit.com (1), et alors que le BEA (2) affirmait au lendemain de la catastrophe que l’Airbus gisait “en un seul morceau” : “A l’heure où l’on sait repérer une molécule d’eau (vieille de plusieurs centaines de millions d’années) dans la zone polaire de Mars, on nous “informe” qu’il est impossible de localiser 200 tonnes de ferraille à 4 km sous les quilles de nos plus beaux fleurons nucléaires et électronico-subaquatiques.” En réalité, la vérité sur ce qui s’est passé, que tous les pilotes dénoncent de longue date, et que savaient tout aussi bien les dirigeants d’Air France et d’Airbus, c’est la défaillance des sondes Pitot de marque française Thalès (d’EADS). Ces dernières ont été choisies préférentiellement à celles de marque américaine Goodrich et avaient été certifiées à l’origine par Airbus pour ce type d’avion, pour de pures raisons de concurrence économique et sans essais préalables réellement probants. Le rôle de ces sondes est primordial, car elles permettent de mesurer la vitesse de l’avion mais aussi divers paramètres conduisant à apprécier les conditions atmosphériques, l’altitude, etc. En résumé, où se trouve l’appareil, où il va et quels risques il encourt. Depuis 15 ans (!), les difficultés provoquées par les sondes Pitot de maque Thalès étaient connues. En 1994, un prototype d’A330 s’était écrasé à Toulouse, dont la faute avait été évidemment attribuée à une “erreur de pilotage”. Jusqu’en 2008, de nombreux Air Safety Reports (ASR, rapports d’incidents signalant les défaillances des sondes) avaient été émis, mais jamais la compagnie Air France, soutenue par le BEA et l’EASA, n’avait pris la moindre mesure (3). Pire, alors que ces sondes ont de plus en plus clairement été incriminées dans l’accident de l’AF 447, le BEA et la direction d’Air France ont fait disparaître purement et simplement les comptes-rendus circonstanciés d’incidents répertoriés durant le vol de l’AF447 et tous ceux identiques à celui ayant conduit au crash du 1er juin. Les enjeux à l’origine d’un tel comportement sont considérables pour l’Etat français et pour l’aéronautique européenne :

la mise à nu de pratiques scandaleuses exposant volontairement des vies humaines (scandaleuses d’ailleurs même du point de vue du capital, quand on sait l’effort énorme consenti pour le développement des équipements et leur intégration dans l’avion afin de prendre en compte les contraintes de sécurité) ;

le risque d’astreinte d’Air France au paiement de dédommagements astronomiques aux familles des victimes si la responsabilité de la compagnie venait à être établie (4) ;

les retombées commerciales des plus négatives pour Airbus.

Hélas pour Air France, une nouvelle preuve du type de celles effacées refaisait son apparition avec l’incident, identique aux autres de la série, se produisait de nouveau le 13 juillet sur un vol Paris-Rome, et remettant à nouveau en question sur le devant de la scène la fiabilité des sondes Thalès. Air France décidait donc dans l’urgence de changer un certain nombre des sondes Thalès de ses A320 et A330 par des Goodrich… le 30 juillet. C’est-à-dire deux mois après le crash du 1er juin, deux mois durant lesquels c’est sciemment que des milliers de vol, transportant des centaines de milliers de personnes ont été effectués avec le risque permanent de se crasher !

Mais Airbus comme Air France n’en sont plus à cela près. Plusieurs accidents aériens impliquant l’A320 et son système de navigation avaient eu lieu au mont Saint-Odile et à Bangalore, et là aussi les pilotes avaient été mis en cause. Or, pour gagner du temps, Airbus avait validé ce système expérimenté sur Boeing sans faire des essais suffisants pour le certifier de façon fiable sur l’A320 dont le système d’exploitation informatique est configuré différemment. Résultat, le système fournissait de fausses informations au pilote sur l’altitude et la direction de l’avion au décollage, informations mortelles de nuit ou par temps nuageux !

Rappelons la catastrophe du 25 juillet 2000 à Gonesse, où 113 personnes trouvaient la mort au décollage d’un Concorde affrété par la Continental Airlines. On nous a assuré que c’était la faute à un bout de ferraille qui traînait sur la piste, résultat “évident” de la négligence des employés de l’aéroport. Cependant, huit ans après, cinq personnes, ainsi que la compagnie américaine, se retrouvaient au tribunal pour “homicides et blessures involontaires”. Car une des causes principales du crash résidait dans un “défaut important” du Concorde, au niveau de l’aile de l’avion. “Or ce défaut était connu du constructeur (Aerospatiale puis Airbus et enfin EADS), comme de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) dès 1979, après l’accident d’un Concorde à Washington (Etats-Unis) précurseur de celui de Gonesse. Le ministre des Transports de l’époque Joël Le Theule en avait été informé. On ne trouve pas la trace de ce “défaut important” dans le rapport du BEA sur l’accident de Washington. Tous les noms des enquêteurs et celui du coordinateur de l’enquête sont masqués” (5). Et malgré 16 incidents graves et 6 accidents précurseurs rapportés sur 24 années d’exploitation d’une flotte de 13 avions, le BEA écrivait que “cet accident n’était pas prévisible” !

 

La gestion de la sécurité version capitaliste

 

Le Manuel de gestion de la sécurité aérienne (OACI) précise :

Parmi les principaux facteurs qui déterminent un contexte favorable aux accidents et aux incidents, on peut citer la conception du matériel, les infrastructures d’appui, les facteurs humains et culturels, la culture de sécurité de l’entreprise et les facteurs de coûts.”

En mars 2004, la Mission d’information de l’Assemblée nationale sur la sécurité du transport aérien de voyageurs relevait dans son rapport que “ le problème des pièces détachées dont la traçabilité n’est pas établie et qui font l’objet de copies ou de trafics illicites (contrefaçon, pièces d’occasion recyclées...)”.

Le rapport faisait donc la pieuse et stérile recommandation “d’assurer une meilleure traçabilité des pièces détachées et de lutter contre le trafic de pièces non conformes, de contrefaçon ou d’occasion”.

Lorsqu’on sait que “le prix d’une pièce est multiplié environ par dix par rapport à son coût de fabrication, en raison des frais induits par la certification et les tests” (6), on ne peut assurément que s’en remettre aveuglément au sens moral de ces compagnies aériennes, dont l’objectif final et essentiel est de faire du profit, pour s’assurer de la fiabilité de ces pièces de rechange !

 

Des contrôles réduits et des temps de repos du personnel diminués

 

Avant chaque vol, un membre de l’équipage technique fait “le tour de l’avion” ainsi que l’équipe de maintenance. Il s’agit d’effectuer un certain nombre d’opérations de contrôle : intégrité de la cellule, des ailes, des réacteurs, absence de fuites de carburant, huile, hydraulique, état des pneus, etc. “Cette “visite prévol” est une phase très importante du vol. La négliger peut conduire à un accident. Jusqu’où va-t-on aller pour améliorer la productivité, car c’est bien de cela dont il s’agit : diminuer au maximum la durée des escales et donc l’immobilisation au sol de l’avion !” (7)

Ces visites sont de plus en plus réduites et les pilotes soumis à des pressions grandissantes pour en diminuer le temps, comme ils sont par ailleurs soumis à des conditions de travail draconiennes.“Dans une étude réalisée en décembre 2006, la DGAC (Direction générale de l’aviation civile) notait que le niveau de fatigue des pilotes augmentait avec le nombre d’étapes réalisées par jour... et que le nombre d’étapes était un élément à prendre en compte. Une nouvelle réglementation est pourtant appliquée en Europe depuis juillet 2008. Un pilote peut désormais effectuer un nombre d’étapes illimité en 11 heures de temps de service car le nombre d’étapes n’est pas réglementé.

La DGAC ne tient pas compte des études scientifiques sur la fatigue afin de ne pas porter atteinte à la “procuctivité” des équipages et donc aux intérêts économiques du transport aérien” (8).

Pourtant, dans une étude sur la fatigue en aéronautique remise à la DGAC en novembre 1998, le Laboratoire d’anthropologie appliquée (LAA) affirmait que pour la prévention efficace de la fatigue des équipages, “dans le contexte de forte concurrence que connaissent actuellement les compagnies aériennes françaises et étrangères les conduisant à se placer aux limites maximales autorisées, il apparaît indispensable que cette réglementation évolue de manière à réduire les risques sur le plan de la sécurité des vols.”

Depuis, rien n’a changé... ! De nombreux pilotes et personnels aériens ne cessent de plus en plus de les dénoncer des conditions de travail tellement éreintantes qu’ils ne sont plus fiables aux commandes d’un appareil.

Nous n’avons fait qu’effleurer différents aspects de cette incurie calculée des compagnies aériennes pour faire du fric. La bourgeoisie des pays développés peut toujours établir des listes “noires” ou “grises” des compagnies aériennes à éviter dans certains pays, elle n’a rien de mieux à proposer. Mais elle sait mieux mentir et camoufler la monstrueuse réalité.

Mulan (22 octobre)

 


1) Nombre des informations de cet article proviennent de ce site animé par des pilotes professionnels.

2) Bureau d’enquêtes et d’analyses, organisme officiel chargé d’enquêter sur les accidents et incidents de l’aviation civile. Cet organisme gouvernemental est spécialisé dans la falsification la plus honteuse d’évènements divers aériens et maritimes pour mentir sur les véritables raisons de certaines tragédies. Ainsi, le BEA-Mer s’était lancé en septembre 2009 dans des explications “les plus fumeuses pour expliquer le naufrage du Bugaled Breizh, ce chalutier de 24 mètres ayant – selon la version officielle – été happé vers le fond par un banc de sable disparu aussitôt après avoir commis son forfait, alors qu’il a été établi qu’un sous-marin avait accroché ses chaluts.” www.eurocokpit.com

3) Signalons au passage que le Syndicat national des pilotes de ligne a fait le jeu de la direction et de la DGAC, ne demandant que des “aménagements” ridicules en termes d’efficacité.

4) Deux familles américaines viennent ainsi récemment de porter plainte contre Air France, mettant en avant le caractère “défectueux et déraisonnablement dangereux” de l’A330.

5) Les dossiers noirs du transport aérien. Henri Marnet-Cornus.

6) Idem.

7) Idem.

8) Idem.

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