Sabotage des lignes de la SNCF : débat sur la violence (I)

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Ce texte est la traduction d’un article publié sur notre site en langue espagnole par Acción proletaria, section du CCI en Espagne.

un camarade a posté deux commentaires sur notre site à propos de l’article paru en français et en espagnol “Sabotage des lignes SNCF : des actes stériles instrumentalisés par la bourgeoisie contre la classe ouvrière”  (1).

Ce camarade appelle à la solidarité pour les personnes arrêtées par l’État français, en affirmant : “Le plus étonnant c’est que le CCI, qui d’habitude condamne avec force l’appareil de gauche du capital, dans le cas présent a dit exactement la même chose que le leader principal de la gauche capitaliste française, Besancenot, qui, de suite, de même que le CCI, a déclaré que le sabotage n’est pas une méthode de la lutte ouvrière et a condamné ces militants prolétariens qui combattent si sincèrement le capitalisme. Enfin… Quelle coïncidence, le CCI et Besancenot sont du même avis ! J’espère que vous réfléchirez à votre position ! Salutations.” Et “J’espère que vous ne le prendrez pas mal, c’est un appel dans de bons termes pour que vous réfléchissiez sur la grande similitude de votre condamnation de ces actes (publiée en français) avec les mots prononcés par Besancenot et par les syndicats, qui pour être bien vus par leurs chefs bourgeois ont déclaré juste ce que ceux-ci voulaient, c’est-à-dire qu’on criminalise ceux qui (indépendamment du fait que nous soyons d’accord avec leurs tactiques ou pas) méprisent et combattent sincèrement cette société d’exploitation”. Ces deux commentaires ont provoqué un débat très animé.

Nous sommes d’accord avec le camarade  (2) concernant la dénonciation claire qu’il fait du terrorisme d’Etat : la bourgeoisie “tend à élargir sa définition du “terrorisme” à la moindre action qui rompt avec l’ordre démocratique” et il dénonce le fait qu’en faisant cela, elle prétend “occulter la nature fondamentalement terroriste de sa domination, en assimilant exclusivement le terrorisme aux réactions violentes du prolétariat, en faisant l’amalgame délibéré entre les actions qui se placent sur le terrain de classe et celles qui appartiennent à des terrains a-classistes, réformistes, religieux, de libération nationale, etc.”.

En réalité, l’inculpation des jeunes mêlés à cette histoire est un montage de l’État avec l’objectif de développer une campagne idéologique contre tout ce qu’en France on appelle “l’ultra-gauche”. Ce n’est pas la première fois qu’on monte ce genre de campagnes dirigées contre “tous ceux qui ne s’insèrent pas dans le jeu démocratique”. Il y a quelques années, on a monté des campagnes “anti-révisionnistes” avec lesquelles on a essayé de décrédibiliser spécifiquement la Gauche communiste, en assimilant les révisionnistes (ces fractions d’extrême-droite de la bourgeoisie qui nient l’existence des chambres à gaz durant la Seconde Guerre mondiale) avec les internationalistes qui dénonçaient les deux factions –  la démocratique et la fasciste- pour ce qu’elles étaient : capitalistes et impérialistes.

Il faut dénoncer la répression qui s’abat sur les jeunes inculpés, qui n’ont peut-être rien à voir avec les actes dont ils sont accusés, des actes, il faudrait ajouter, qu’on ne doit pas confondre avec le terrorisme, puisqu’ils ne mettent nullement en danger la vie des passagers. Tout cela sent le montage de l’Etat, bien mal bricolé par ailleurs. Ne pas dénoncer est une chose, accepter et soutenir en est une autre bien différente ! Il peut arriver que des prolétaires exaspérés et désespérés s’impliquent dans des actes individuels ou minoritaires de sabotage. En aucune manière, nous ne les condamnerons.

La violence de classe du proletariat

Mais il convient de ne pas mélanger les choses : ne pas les condamner ne veut absolument pas dire accepter les méthodes qu’ils préconisent. Ces méthodes basées sur des actes individuels ou minoritaires de sabotage ne servent ni à développer la conscience de la classe ouvrière, ni à contribuer au développement de sa lutte. Bien au contraire, elles les affaiblissent toutes les deux. C’est pour cela que nous devons mettre en garde la classe ouvrière sur de telles méthodes qui, non seulement ne participent en rien en son combat mais qui, en plus, peuvent conduire des ouvriers à s’exposer de manière inutile à la répression  (3). Quand, d’une façon anonyme, se produit un sabotage ou un acte de violence contre une institution du capital (une bombe jetée sur un édifice public, attentat contre un représentant du système, etc.), on se demande toujours qui peut en être l’auteur : s’agit-il d’un groupe qui se revendique sincèrement de la lutte pour la destruction du capitalisme, ou bien ne s’agit-il pas d’un provocateur de la police ou même d’un groupe d’extrême-droite ?  (4) Ces interrogations viennent du fait que ce genre de méthodes peut être indifféremment utilisé par des classes très différentes –  prolétariat, bourgeoisie, petite-bourgeoisie  – et par les tendances politiques les plus dissemblables.

Par contre, ce genre de question ne se pose pas quand on se trouve face à des actions telles que des grèves pour des revendications de classe, des assemblées générales, des tentatives d’extension et d’unification des mouvements de lutte etc. Devant de telles actions, pas de doute : il s’agit bien d’actions du prolétariat qui vont dans le sens de la défense de ses intérêts de classe. Ce type d’actions –  quelles que soient leurs faiblesses et limites  – favorisent le développement de la conscience de la classe ouvrière, sa confiance en elle-même, ses sentiments de solidarité et ne peuvent servir les intérêts de la bourgeoisie. Par contre, les actions du premier type ne favorisent en rien la confiance en lui-même du prolétariat. Et comment pourraient-elles la favoriser si ces actions présupposent qu’une minorité clandestine remplace la classe dans la tâche de lutter contre le capital ?

Un autre argument du camarade réside dans le fait que les termes de notre critique à ces méthodes de sabotage pourraient ressembler à ceux employés par Besancenot. Cet argument amène à une série de considérations qui sont en lien avec l’origine des partis de gauche et d’extrême-gauche et au rôle qui est le leur aujourd’hui face à la classe ouvrière. La capacité de ces partis à tromper et à avoir de l’influence dans la classe ouvrière et le fait qu’ils soient sur ce plan bien plus efficaces que leurs congénères de droite, vient du fait que leurs lointaines origines se trouvent dans le mouvement ouvrier et qu’à un moment donné de leur existence ils constituèrent une véritable avant-garde de la classe ouvrière. Mais par la suite, ils ont fini par dégénérer, trahir et enfin devenir des rouages de l’État capitaliste. Appuyés sur ces lointaines origines, ils conservent dans leurs discours une série de thèmes et de références qui font partie du patrimoine de la classe ouvrière. Est-ce que nous devons renoncer à ce patrimoine parce que ces organisations bourgeoises se le sont appropriés et que leur intérêt est de l’utiliser bassement pour semer la confusion dans les rangs des prolétaires ? Ce serait une erreur totale. Il est évident que nous ne pouvons pas renoncer à la perspective du socialisme parce que l’extrême-gauche parle aussi de “socialisme”. Si ces partis n’arrêtent pas de parler “d’unité de la classe ouvrière”, ce n’est pas une raison pour renoncer à une lutte sincère et concrète pour cette unité. Et aussi le prolétariat a une longue expérience sur les provocations policières contre sa lutte, une expérience qui fait partie du patrimoine de son combat historique et que ses mouvements actuels doivent impérativement se réapproprier pour le futur. Le fait que les partis de gauche ou d’extrême gauche parlent de “provocation policière” ne peut pas empêcher les révolutionnaires actuels de dire qu’elle existe et de défendre contre elle les positions classiques du mouvement ouvrier.

La lutte du prolétariat est un vrai défi à la domination capitaliste

Pour le camarade “étant donné que la classe ouvrière n’est pas encore capable de comprendre ces actions et que, grâce aux média bourgeois, elle perçoit ses propres frères de classe qui affrontent l’État-capital comme des “délinquants”, des “vandales”, des “terroristes”, parce qu’elle est contaminée jusqu’à la moelle de l’idéologie citoyenne, alors on condamne ceux qui osent agir pour que les “ouvriers-citoyens” ne prennent pas peur et puissent ainsi rejoindre nos mobilisations si bien cadrées”.

Si on a bien compris une telle allégation, notre interlocuteur croit que pour pouvoir organiser des “grands mouvements de masse”, nous proposerions de ne pas “effrayer” les ouvriers les plus arriérés, contaminés par l’idéologie citoyenne et, par conséquent, nous rejetterions les actions violentes de ceux qui “s’affrontent au capital”. Les mouvements de masse du prolétariat ne sont pas le résultat de la convocation d’une poignée de révolutionnaires  (5). Les mouvements de masse du prolétariat sont le produit d’un processus historique dans lequel interviennent à la fois le développement des conditions objectives (en particulier, la crise économique) et la maturation subjective du prolétariat (la conscience de classe). Et justement, dans cette contribution que nous pouvons et devons faire en vue de cette maturation subjective, il y a un élément crucial : le rejet des méthodes qui prônent des actions violentes minoritaires. Parce que de telles méthodes ne font que fomenter la passivité et la délégation de la lutte collective entre les mains d’un groupe de “héros anonymes”, de “sauveurs bien-intentionnés” qui vont en faire voir de toutes les couleurs au capital. Et en même temps, elles génèrent un sentiment d’impuissance et de frustration, parce que n’importe qui ayant un peu de jugeote peut parfaitement comprendre que de telles “audaces” ne “représentent pas plus qu’une piqûre de moustique sur une peau d’éléphant”  (6).

Nous sommes pleinement conscients que la lutte de classe et l’affrontement avec l’État ne sont en rien pacifiques et qu’elles exposent la classe ouvrière et ses minorités révolutionnaires aux coups de la répression. Cette violence fait inévitablement partie du processus révolutionnaire. Dans leur développement, les luttes de la classe ouvrière prennent des mesures de riposte à la violence de l’État bourgeois, répliquent à sa terreur et sa répression avec la violence de classe du prolétariat  (7).

La violence ne se limite pas aux affrontements avec la police, aux actions d’attaque contre la circulation de marchandises, aux blocages de la production, à l’attaque contre les institutions de la propriété privée (banques, automobiles de luxe, etc.). Ce serait là une vision très restrictive et totalement superficielle. Rosa Luxemburg met en avant dans Grève de masse, parti et syndicats (partie IV) que “A la différence de la police qui par révolution entend simplement la bataille de rue et la bagarre, c’est-à-dire le “désordre”, le socialisme scientifique voit d’abord dans la révolution un bouleversement interne profond des rapports de classe”. Pour le prolétariat, la question de la violence est une question politique : elle consiste à savoir comment établir un rapport de forces favorable contre la bourgeoisie et son État de telle sorte qu’il lui permette de résister à ses attaques et ainsi passer à l’offensive vers sa destruction définitive. La violence du capital et de son État se concrétise dans les mitraillages, l’usage des gaz lacrymogènes, les prisons, les procès et les chambres de torture, mais il existe une violence bien plus nuisible et pernicieuse qui est bien plus efficace pour la défense des intérêts du capital : c’est l’attentat permanent que la société capitaliste exécute et exerce contre l’unité et la solidarité de la classe ouvrière, le bombardement sans répit qu’elle lance de partout où elle peut alimenter les divisions, l’atomisation, la concurrence, la passivité et le sentiment de culpabilité. L’État démocratique, sans pour autant renoncer, loin s’en faut, à la violence physique et à la terreur la plus cynique, est un expert dans le développement de cette violence insidieuse et profondément destructrice.

Le premier pas pour affronter ces deux types de violence, ce sont les tentatives conscientes pour briser l’atomisation, sortir de la passivité, du “chacun pour sa pomme”, pour dépasser l’isolement et la division, développer la solidarité ouvrière en brisant les prisons de l’entreprise, du secteur, de la nationalité, de la race etc., de débattre largement et sans barrières sur les nécessités et les problèmes de la lutte générale.

Tout cela peut paraître trop “pacifique”, très “ordonné” et “contrôlé” à ceux qui identifient unilatéralement la “lutte” avec le désordre et la bagarre physique et ne sont pas capables de comprendre le potentiel contenu dans les mouvements authentiques du prolétariat. Ses mouvements collectifs, le développement de sa capacité pour les organiser en affrontant le contrôle des syndicats et autres institutions de l’État, sont la violence la plus efficace contre la domination capitaliste.

 

CCI (18 décembre 2008)

 

1) Cet article publié en français et en espagnol sur notre site a provoqué toute une discussion très animée dans les deux langues. Les messages auxquels cet article fait référence sont en espagnol, mais ils recoupent beaucoup de questions en discussion sur notre site en français.

Voir : "Sabotage des lignes SNCF : des actes stériles instrumentalisés par la bourgeoisie contre la classe ouvrière".

2) Il s’agit ici de la version courte de notre réponse, la suite est disponible sur notre site web en français et en espagnol.

3) Il est important de comprendre que les actes de sabotage, de violence minoritaire etc., prêtent facilement le flanc à l’infiltration des services de l’État, qui peuvent même les fomenter avec le but de les utiliser contre la classe ouvrière ou ses minorités révolutionnaires. Mettre en évidence ce problème ne signifie pas dénoncer ou culpabiliser des personnes qui s’impliquent honnêtement dans ce genre de pratique. Nous dénonçons le coupable, l’État bourgeois et ses officines, et non pas la victime.

4) Citons parmi de nombreux exemples, ce qui est arrivé en Italie durant les années 70. Il y a eu beaucoup d’attentats qui ont été immédiatement attribués par l’État, sa police et sa justice, mais aussi par la presse, aux anarchistes, alors qu’en fait, plus tard, il a été démontré qu’ils avaient été commis par des éléments d’extrême-droite souvent en connivence avec des officines de l‘État.

 

5) De la même façon que la tâche des éléments les plus avancés de la classe ouvrière n’est pas du tout de la réveiller à coup d’actes d’héroïsme individuel, leur tâche n’est pas non plus de s’autoproclamer ses organisateurs et dirigeants.

6) Ce camarade dit : “je n’arrive pas à comprendre que vous [CCI] affirmiez à plusieurs reprises que ces actions sont célébrées par l’appareil de gauche du capital, alors que [les partis de gauche] sont les premiers non seulement à condamner mais encore à montrer du doigt et à livrer leurs propres camarades qui rejettent les processions moutonnières et pacifistes convoquées par les syndicats et les partis de gauche”. En fait, ces deux attitudes ne sont pas contradictoires. En prenant l’exemple des syndicats : ceux-ci organisent parfois des manif-processions, mais il leur arrive, selon les besoins du sabotage de la lutte ouvrière, d’organiser des manifestations violentes d’affrontement avec la police, de destruction de vitrines etc. La manifestation –  procession pacifiste est utilisée pour enterrer une lutte, tandis que la manifestation  – affrontement est utilisée pour dévoyer la lutte, par le biais du dit affrontement, dans l’isolement. Par ailleurs, les chefaillons syndicaux sont souvent passablement cyniques : d’un coté ils poussent les ouvriers vers des actions désespérées et de l’autre ce sont eux les premiers à les dénoncer à la police, même quand ils appartiennent à leur syndicat. Il y a là-dessus beaucoup d’exemples.

7) Cf. les articles parus dans la Revue internationale nos 14 et 15 sur “Violence de classe, terreur et terrorisme”.

 

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