L'Irak s'enfonce dans un chaos sanglant

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Il y a maintenant deux ans, l’armée américaine pénétrait dans les rues de Bagdad et son président, Georges Bush, poussait un cynique cri de victoire, "Mission accomplie" ! Des lendemains meilleurs nous étaient promis. Le monde devait devenir plus sûr, l’Irak se transformer en une démocratie stable. Aujourd’hui, la réalité est tout autre. Ce pays plonge chaque jour un peu plus dans le chaos et la barbarie.

Toujours plus de massacres

Par leur intervention militaire, les Etats-Unis ont ouvert une véritable boîte de Pandore. La situation n’a de cesse de dégénérer, devenant de plus en plus incontrôlable et explosive. En effet, les sunnites, chiites et kurdes se livrent une guerre impitoyable et sans merci. Ce déchaînement de haine a abouti à des carnages sans fin dont la seule logique est de semer la terreur et la désolation dans les territoires ennemis. Les répressions armées, les attaques terroristes suicides, les pogroms, les exécutions sommaires se succèdent à un rythme infernal dans une espèce de folle spirale meurtrière.

Le samedi 10 septembre, l’armée américaine et les forces de sécurité irakiennes ont mené une vaste offensive contre le bastion rebelle de Tall-Afar, ville du nord de l’Irak, proche de la frontière syrienne. Le bilan officiel a fait état de cent soixante morts. Mais loin de mater l’insurrection sunnite, cette attaque des gouvernements américain et irakien n’a fait qu’alimenter encore un peu plus la haine et la guerre. Immédiatement, la branche irakienne d’Al-Qaeda a en effet exhorté à la vengeance. Et c’est un déchaînement d’attentats aveugles qui ravage l’Irak depuis lors. La seule journée du mercredi 14 septembre a ainsi été marquée par onze attentats et près de cent-cinquante morts. Le plus meurtrier d’entre eux fut perpétré sur une petite place où les ouvriers se rassemblaient dans le simple espoir de trouver un employeur à la journée. Ils ont été cent quatorze à périr. C’est un véritable climat de terreur que font régner les seigneurs de la guerre ! La classe ouvrière et les couches misérables de la population sont évidemment les premières victimes de toutes ces atrocités. Suite à cet attentat, une opération de représailles a été montée quelques heures plus tard. Des hommes armés ont ouvert le feu sur un groupe de sunnites rassemblés… au marché. Deux jours plus tard, une file d’ouvriers chiites attendant d’être embauchés était balayée à la mitraillette. Le lendemain, une bombe explosait sur le marché de Nahrawan, fauchant encore trente personnes. La liste est interminable. Ce règne de la vengeance aveugle est le symbole d’une société en pleine décomposition.

L’effroyable panique durant laquelle, le 31 août dernier, mille personnes sont mortes noyées, étouffées ou piétinées, démontre à quel point la population est totalement terrorisée. Ce jour là, un million et demi de chiites convergeaient vers la mosquée de Kadhimiya afin de commémorer le deuil d’un de leurs douze imams. Incapables d’assurer la sécurité, les forces militaires américaines et irakiennes avaient fermé tous les ponts du Tigre, sauf un, afin de concentrer la population sur un seul et même itinéraire. Les pèlerins étaient donc amassés par milliers dans ce véritable goulot d’étranglement quand une rumeur courut sur la présence de kamikazes parmi la foule. Il s’en suivit une véritable hystérie collective. Sous la poussée de la foule, des centaines de personnes, essentiellement des femmes et des enfants, basculèrent dans le fleuve ou furent écrasées.

La proposition de la nouvelle Constitution accélère le chaos

Le 15 octobre prochain, les électeurs irakiens seront appelés à venir voter ‘pour ou contre’ la nouvelle constitution. Ce référendum est censé faire la démonstration de l’unité nationale. Les responsables et défenseurs de ce nouveau texte se sont donc fendus de quelques déclarations de façade. Georges Bush s’est ainsi réjoui de l’avènement d’une "période d’espoir" grâce à "un événement stupéfiant".

Mais la réalité apporte un cinglant démenti à cet optimisme affiché. Personne n’est dupe. Cette nouvelle constitution non seulement ne mettra pas un terme au chaos ambiant, mais elle exacerbe au contraire dès aujourd’hui les rivalités. Le président irakien Talabani a du lui-même reconnaître que "l’Irak n’est pas au bord de la guerre civile, mais en plein dedans".

Ce texte résulte essentiellement d’un compromis entre chiites et kurdes, qui dominent l’Assemblée et le gouvernement. Ainsi, la bourgeoisie sunnite ne peut que rejeter violemment cette proposition de constitution, symbole de sa perte de pouvoir.

Et les chiites eux-mêmes sont divisés sur l’adoption de ce texte. Les divergences d’intérêts entre les différentes cliques chiites se traduisent sur le terrain par de véritables heurts armés. Mercredi 25 août, des affrontements violents ont opposé les combattants de l’imam radical Moqtada Al-Sadr à la milice chiite rivale, les brigades Al-Badr, à Najaf. L’imam profite ici du débat sur la constitution pour refaire surface et tenter de redistribuer les cartes du pouvoir en sa faveur.

La véritable alternative proposée par le référendum du 15 octobre est donc en fait : plus de chaos ou plus de chaos ? Si la nouvelle constitution est adoptée, les seigneurs de la guerre sunnites et une partie des seigneurs chiites déchaîneront le feu et le sang dans des actes d’autant plus désespérés et barbares qu’ils sentiront le pouvoir leur filer entre les doigts. Si le Non l’emporte, comme c’est le plus probable, les kurdes et les chiites au pouvoir seront tentés de proclamer unilatéralement leur autonomie, ce qui morcellerait de fait la nation irakienne.

L’instabilité et la guerre irradient dans tout le Moyen-Orient

Cette guerre incontrôlable qui morcelle peu à peu l’Irak est en train d’irradier sur l’ensemble de la région environnante.

D’abord, la Turquie voit d’un très mauvais œil les poussées autonomistes des kurdes irakiens. Elle sait très bien que cette situation, grosse d’instabilité pour l’ensemble du Kurdistan, peut mettre en péril l’unité même de sa république. C’est pourquoi durant tout cet été, il y a eu de véritables tensions internes à la bourgeoisie turque, partagée entre la méthode ‘douce’, plus de démocratie, et la méthode ‘forte’, un nouveau durcissement législatif pour affronter ceux que l’Etat major nomme "les terroristes".

Ensuite, la situation chaotique de l’Irak révèle l’impuissance grandissante des Etats-Unis. Malgré ses démonstrations de forces à répétitions, la première puissance mondiale est incapable d’enrayer l’affaiblissement historique de son leadership. La situation catastrophique de l’armée américaine dans la région aiguise ainsi l’appétit impérialistes de tous les pays voisins. La Syrie, frontalière à la région sunnite, alimente secrètement la rébellion en hommes et en armes. Et c’est ouvertement que l’Iran prétend de plus en plus s’immiscer dans les affaires irakiennes.

Face à cette perte de contrôle, les Etats-Unis ne pourront réagir que de plus en plus brutalement. Déjà, on peut voir une multiplication des déclarations belliqueuses contre la Syrie, accusée de soutenir le terrorisme, et l’Iran. De même, la démonstration de force de l’armée américaine contre le bastion rebelle sunnite de Tall-Afar est le signe de la fuite en avant vers des moyens de destruction de plus en plus massifs.

C’est donc l’ensemble du Moyen-Orient qui est menacé de plonger dans la guerre et la barbarie. Mais le tableau de cette région du globe ne pourrait être complet sans une courte description de la situation effroyable de la bande de Gaza. La population y crève de faim. Et alors que l’Etat d’Israël est en train de construire un mur ‘high tech’ d’un côté, l’Egypte ferme sa frontière de l’autre par un rideau de barbelés et de mitraillettes. Entre ces murs, dans ce ghetto, la terreur règne sous le double joug de la police palestinienne et des milices du Hamas. Le déchaînement de haine et d’attentats suicides ne vont donc que se multiplier de ce coté aussi du Moyen-Orient.

Vers un éclatement de l’Irak ?

Par conséquent, la perspective n’est absolument pas la paix mais bel et bien une barbarie et un chaos croissants. Ce qui se joue aujourd’hui, c’est l’unité même de l’Irak. Les forces centrifuges en action rendent inévitable le morcellement de cette région de la planète. Le Kurdistan, les régions sunnites et chiites vont poursuivre leur déchirement, semant derrière eux morts et désolation. Quelle que soit l’importance des moyens militaires mis en œuvre, les Etats-Unis ne pourront arrêter ce processus. A ce moment-là, c’est l’ensemble du Moyen-Orient qui sera menacé par l’embrasement.

Le capitalisme est un système moribond qui plonge des parties toujours plus importante de la planète dans la boue et le sang. Le prolétariat doit le mettre à bas avant qu’il ne plonge l’ensemble de l’humanité dans la barbarie.

Pawel (18 septembre)

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