"Recalculés de Marseille" - Ce n'est pas devant les tribunaux bourgeois que les chômeurs peuvent lutter contre la misère

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Après un mois de tumulte juridique et de battage médiatique autour du sort des "recalculés" (sinistre euphémisme pour désigner les 265 000 chômeurs privés prématurément, en janvier dernier, de 7 mois d'indemnités suite à la réforme de l'Unedic !), le dénouement est subitement tombé de la bouche du ministre de la cohésion sociale, Jean-Louis Borloo. En effet, ce "Monsieur social" du gouvernement Raffarin III a tout simplement annoncé le 3 mai la réintégration des "recalculés" dans le système d'assurance chômage, soit près de 600 000 personnes d'ici à fin 2005. Décision officialisée par le Conseil d'Etat le 11 mai avec l'annulation de l'agrément de la convention Unedic de décembre 2002 à l'origine de ce recalcul des prestations de centaines de milliers de chômeurs.
 

Il n'en fallait pas plus pour présenter les multiples procédures juridiques engagées auprès de 76 tribunaux, par les syndicats et associations de chômeurs (AC !, Apeis, CGT et MNCP), sous le jour d'"une grande victoire historique des chômeurs", "la victoire de milliers de pots de terre contre le supposé grand pot de fer" selon le comité national chômeurs-CGT ou encore "une gifle pour le Medef et le gouvernement", d'après les trotskistes de LO et de la LCR.
Mais peut-on imaginer un seul instant que la justice de la classe dominante, celle qui est délivrée par la bourgeoisie et dans ses intérêts, puisse prendre ne serait-ce qu'un moment fait et cause pour la classe ouvrière ? Bien sûr que non, et le mouvement ouvrier sait déjà depuis belle lurette tout ce que l'on peut attendre de la Justice dans la société bourgeoise : "Parmi bien d'autres institutions de l'Etat bourgeois, la justice sert à opprimer et à tromper les masses ouvrières. Cette institution respectable prononce ses jugements en se basant sur des lois faites dans l'intérêt de la classe des exploiteurs. Aussi, quelle que soit la composition du tribunal, la justice qu'il rend est limitée à l'avance par les articles d'un Code qui consacre les privilèges du Capital et l'absence de droits des masses ouvrières." (ABC du communisme, Nicolas Boukharine et Eugène Préobrajenski, 1919.)
Dès lors, que peuvent bien cacher ces lauriers qu'agite frénétiquement la bourgeoisie ? De quel genre de victoire pour la classe ouvrière nous parle-t-on ?
Ni les jugements favorables à la réintégration des chômeurs, rendus par les tribunaux de Marseille et Paris, respectivement le 15 avril et le 11 mai, ni la décision du Conseil d'Etat, n'ont remis en cause la réforme de l'Unedic. Bien au contraire, toute cette mascarade juridique n'a fait que renforcer cette attaque massive et brutale. Si l'Etat a lâché du lest pour les chômeurs entrés dans le système d'assurance chômage avant le 31/12/2002, ceux dont la situation avait déjà été recalculée, ce n'est que pour mieux enraciner la réforme face à l'ensemble de la classe ouvrière. C'est, en fin de compte, la vieille tactique empruntée au monde militaire qui consiste à faire croire à son ennemi qu'il remporte une victoire parce que l'on fait mine de battre en retraite alors que dans le même temps l'offensive se met en place.
D'abord, concernant certaines catégories de chômeurs, dont les médias se sont bien gardés de faire cas, aucune mesure rétroactive n'a été envisagée. Par exemple, les salariés ayant perdu leur emploi entre 50 et 55 ans doivent toujours subir une réduction de 22 mois d'indemnisation, qu'ils soient inscrits sur les listes de l'ANPE avant ou après le 1/01/2003 (voir RI 331).
Ensuite, pour la grande majorité "La décision annoncée par Jean-Louis Borloo maintient [l'essentiel] de la convention signée en décembre 2002. Tous les chômeurs entrés après le 1/01/2003 n'ont droit qu'à 23 mois [au lieu de 30 avant la réforme] d'indemnisation. Ensuite, il n'y a que les dispositifs d'Etat : Allocation spécifique de solidarité [ASS], RMI, voire rien du tout." (Libération du 4/05/2004.)
Il faut ajouter que dans le cadre de la réforme de l'assurance chômage, l'ASS doit être, dorénavant, limitée dans le temps (2 ou 3 ans) et, malgré la promesse de Chirac de réviser ce dossier, cette nouvelle attaque commencera à faire ses premières victimes dès le mois de juillet prochain.
Enfin, le PARE (plan d'aide au retour à l'emploi), instauré par le gouvernement Jospin en janvier 2001 et qui a déjà permis la radiation de centaines de milliers d'ouvriers des listes de l'ANPE, se trouve désormais entièrement consacré puisque les jugements successifs des tribunaux de Marseille et Paris lui ont reconnu une valeur de contrat. Ce même argument qui a servi à la réintégration des "recalculés" n'est en réalité qu'une étape juridique concoctée par la bourgeoisie pour aller encore plus loin dans la précarisation du travail et l'assouplissement des procédures de radiation du système d'assurance chômage. En effet, si un chômeurs refuse un emploi, quel qu'il soit, les Assedic pourront considérer qu'il y a rupture de contrat et par conséquent supprimer illico presto les indemnités perçues. Le président du Medef, Ernest-Antoine Seillière, ne s'y est pas trompé en déclarant :"Nous avons applaudi au jugement de Marseille […] parce que nous avons toujours voulu que le PARE soit un contrat".
Voilà "la belle victoire" que célèbre dans une grande messe œcuménique syndicats, trotskistes, anarchistes officiels (type Alternative Libertaire), gauche plurielle, jusqu'à la députée UMP Christine Boutin.
En agitant ostensiblement "la victoire des recalculés", la bourgeoisie entérine sa réforme en suscitant le faux espoir chez les ouvriers suivant lequel, malgré les attaques violentes portées contre ses conditions de vie, le "petit pot de terre" peut prendre parfois le dessus sur le "grand pot de fer" car "il existerait finalement une justice en ce bas monde". Le prolétaire n'a plus qu'à se résigner en attendant que la bourgeoisie (qui, à la fois, fait office de juge et de bourreau) rende son verdict. La belle affaire !
Plus qu'un faux espoir, il s'agit d'une énorme mystification dont le but est d'atomiser les ouvriers, au chomage ou non, en les poussant à se défendre, isolés les uns des autres, dans les Palais de justice de la classe dominante et d'empêcher ainsi leur union sur le seul et unique terrain où ils représentent une force redoutable, celui de la lutte de classe.
Alors que la faillite du système capitaliste oblige la bourgeoisie à saigner encore plus le prolétariat en lui supprimant ses retraites, ses indemnités chômage et bientôt le remboursement de ses soins médicaux, ce dernier doit prendre conscience qu'il ne peut y avoir de justice pour les exploités dans un tel monde. Il n'y a qu'une sentence possible, la révolution communiste, et c'est au prolétariat qu'il revient, non seulement de la prononcer mais aussi de l'exécuter.

Azel (17 mai)

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