Le terrorisme : une arme de la guerre impérialiste

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Au moment de la chute du régime de Saddam Hussein au printemps dernier, Bush déclarait : "Le monde est plus sûr !". En réalité, le monde n'a jamais été moins sûr. En témoigne la vivacité de la vague actuelle de terrorisme qui s'est déchaînée dans toute la région du Moyen et du Proche-Orient depuis la fin officielle de la guerre en Irak. Quasiment pas une semaine ne se passe sans qu'un attentat, voire plusieurs simultanément (comme le quintuple attentat de Bagdad fin octobre ou les deux doubles attentats d'Istanbul mi-novembre), ne viennent frapper aveuglément. Les attaques au moyen de véhicules chargés d'explosifs et conduits par des kamikazes fanatisés se répètent, avec leurs cortèges d'horreurs. Visant les intérêts américains autant que ceux d'autres pays de la coalition, y inclus l'ONU et le CICR pourtant opposés à l'intervention de Washington, ces attentats frappent tout aussi aveuglément la population irakienne. Ils sont le résultat d'une situation qui dégénère à grande vitesse et qui encourage et favorise les actions terroristes de toutes sortes de groupes : résistance des hommes de l'ex-dictateur irakien, infiltration grandissante d'éléments de la "mouvance" islamiste (Al-Qaïda, Jihad islamique, Brigades d'Al-Aqsa, Hamas), provenant d'Iran, de Syrie, du Yémen, d'Arabie Saoudite ou d'ailleurs.
Comme le dit Robert Baer, ancien agent de la CIA chargé de l'infiltration dans divers groupes terroristes, dont Al- Qaïda, la situation de chaos créée en Irak est considérée par les terroristes comme une "situation idéale de Jihad". D'autres facteurs y contribuent : les Etats-Unis ont été incapables de s'allier aussi bien la population sunnite, à nouveau bombardée aujourd'hui, que la population chiite qui n'a pas vu dans l'Amérique un "libérateur" ; les rivales européennes de Washington, comme la France et l'Allemagne, sont prêtes à profiter de tout ce qui peut gêner la politique américaine.

 

La guerre en Irak ouvre la voie au déchaînement du terrorisme

Ainsi, la boîte de Pandore ouverte par la politique militaire des Etats-Unis en Afghanistan et en Irak, et sans cesse alimentée par les dissensions entre les grandes puissances, continue à produire ses effets dévastateurs. Le terrorisme ne se cantonne déjà plus au seul territoire irakien et gagne les régions limitrophes. Les attentats de la mi-novembre à Ryad en Arabie Saoudite puis à Istanbul en Turquie contre deux synagogues puis contre le consulat et une banque britanniques, quels qu'en soient les auteurs et leurs buts, n'ont pour résultat que de créer un climat de terreur qui va bien au-delà des seules zones où ils ont été perpétrés. Ils ne peuvent en effet dans un premier temps que pousser à une déstabilisation plus grande que jamais de l'ensemble de cette région du monde qui est une véritable poudrière. Les antagonismes religieux, ethniques, raciaux ou nationaux, attisés ou créés de toutes pièces par les grandes puissances depuis le 19e siècle et surtout durant tout le 20e siècle, sont plus que jamais prêts à exploser tous azimuts. Mais cet "élargissement" des attentats en-dehors de la zone de conflit en Irak vise également non seulement les Etats-Unis et leurs alliés de la coalition mais les pays centraux dans leur ensemble et remet avec brutalité sur le devant de la scène le risque terroriste dans les grandes métropoles industrielles, avec tous les ingrédients d'une violence redoublée.
Illustration sans équivoque, l'Organisation Maritime Internationale (OMI), organisme de l'ONU, est convaincue que des attaques terroristes se servant de pétroliers ou de cargos comme armes de destruction massive et visant les grands ports vont avoir lieu, en particulier dans le Sud-Est asiatique. Aussi, les titres des médias sont éloquents : "Guerre sans fin contre le terrorisme", "Le front du terrorisme s'étend", etc. Ils sont révélateurs de l'inquiétude de la bourgeoisie des pays développés devant la voie ouverte et annoncée par la "lutte contre le terrorisme international" vers une plongée dans la barbarie aggravée et dans le chaos le plus inextricable.

 

Le terrorisme, produit des tensions impérialistes

L'utilisation de l'arme terroriste n'est cependant pas une nouveauté. Elle n'est d'ailleurs pas non plus l'apanage de cliques religieuses incontrôlées. Elle fait partie intégrante des moyens de la guerre entre Etats. Ce qui est nouveau, c'est l'ampleur que ce phénomène a prise ces dernières années et qu'il prend de façon accélérée aujourd'hui. Ce sont les grands Etats, et dans leur sillage les plus petits, qui ont multiplié les rapports avec toutes sortes de groupes mafieux ou terroristes, ou les deux à la fois, tant pour contrôler les trafics illégaux que pour les utiliser comme moyens de pression contre les Etats rivaux (voir Revue Internationale n°112). En atteste l'histoire de l'ennemi public n°1, Ben Laden, qui a commencé sa carrière de terroriste international comme agent de la CIA dans la lutte des Etats-Unis contre l'URSS en Afghanistan dès le début des années 1980.
Le développement du terrorisme est ainsi une conséquence directe de la tendance croissante à la violation de toutes les règles minimales établies entre Etats. Comme nous l'écrivions en 1990 dans la Revue Internationale n°62 dans nos "Thèses sur la décomposition", la situation mondiale se caractérise par "le développement du terrorisme, des prises d'otage, comme moyens de la guerre entre Etats, au détriment des lois que le capitalisme s'était données par le passé pour réglementer les conflits entre fractions de la classe dominante".
Les bourgeoisies européennes rivales des Etats-Unis comme la France et l'Allemagne se complaisent à épingler les erreurs politico-stratégiques de la Maison Blanche, pour souligner l'évidence actuelle de la politique guerrière à outrance de Washington. C'est aussi un moyen pour elles de se dédouaner des atrocités qu'elles ont à leur actif au service de la défense de leurs propres intérêts impérialistes (en Yougoslavie, au Rwanda pour la France en particulier, etc.). Ainsi, si elles apparaissent moins "mouillées" que les États-Unis dans le bourbier sanglant irakien, leur part de responsabilité dans le chaos mondial ne saurait être évacuée. Derrière tous leurs discours hypocrites, elles sont à l'affût de difficultés accrues des États-Unis pour concrétiser leurs intentions de retrouver une influence dans la région et accourir à la curée.
C'est justement pour ne pas laisser prise aux pressions grandissantes de ces rivales que les Etats-Unis ne peuvent se dégager du bourbier irakien. Faute d'avoir pu lever des troupes suffisantes chez leurs alliés de la coalition, ils sont contraints de "racler les fonds de tiroir" afin de maintenir leur présence sur le terrain. 85 000 soldats et 43 000 réservistes vont donc recevoir leur ordre de mission pour début 2004, dont une partie dans le cadre de la rotation des troupes. Ce qui renvoie à une échéance non encore définie la perspective affichée par l'état-major américain de réduire le contingent à 100 000 hommes 1.
La proposition d'établir un calendrier pour la constitution d'un gouvernement irakien à l'horizon juillet 2004, qui n'est pas plus crédible que la feuille de route israélo-palestinienne, signifie que les États-Unis ne sont pas prêts de pouvoir se retirer en ayant "accompli leur job". Elle s'inscrit dans le cadre du projet délirant de Bush d'une "révolution démocratique globale" dans les pays de la région, l'instauration d'une démocratie en Irak en constituant la première étape. Ce projet n'a aucune consistance, en premier lieu parce que la "démocratisation" des "tyrannies" visées par les Etats-Unis, comme l'Arabie Saoudite, n'aurait pour résultat que de jeter plus sûrement encore ces Etats dans le giron de l'islamisme radical et anti-américain.
Pour maintenir leur leadership mondial, les Etats-Unis n'ont d'autre issue que de s'engager dans des offensives militaires toujours plus déstabilisatrices pour le monde. Néanmoins, une telle escalade n'a pas été à même d'empêcher les puissances rivales de Washington de contester de façon chaque fois plus virulente la domination américaine. La dernière offensive américaine en date qui, à travers l'occupation de l'Irak, devait constituer une étape de l'encerclement de l'Europe, est clairement un échec. Et la position actuelle de faiblesse relative qui en résulte pour les Etats-Unis n'est en rien synonyme de stabilité mondiale, comme le démontre clairement la situation actuelle.
Il s'agit en fait ici d'un démenti à la propagande des impérialismes rivaux des Etats-Unis selon laquelle la paix dans le monde aurait tout à gagner d'un rééquilibrage mondial (bien sûr à leur avantage). En fait, de paix dans le monde, il ne peut y avoir tant qu'existeront des puissances impérialistes nécessairement rivales, c'est-à-dire aussi longtemps qu'existera le capitalisme.

Mulan (29 novembre)





1 En l'occurrence, les dirigeants ont fait une erreur de calcul de taille : Eric Shinseki, chef d'état major de l'armée en février 2003, en pleins préparatifs de l'offensive en Irak, avait averti le Congrès, avant de démissionner, qu'il faudrait plusieurs centaines de milliers d'hommes pour organiser l'après-guerre en Irak. Ce que Wolfowitz avait récusé au prétexte qu'il était "difficile de concevoir (...) plus de troupes pour garantir la stabilité dans l'Irak post-Saddam qu'il n'en faudra pour mener la guerre elle-même".

Questions théoriques: