"Lutte Ouvrière", un fidèle promoteur de la supercherie électorale

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L'organisation trotskiste Lutte Ouvrière (LO) qui s'était tenue à l'écart du référendum de 1992 sur Maastricht, s'est cette fois engagée résolument dans le camp du Non dans la campagne sur le référendum relatif à la Constitution européenne. Cette organisation qui se prétend "révolutionnaire" et qui proclame "défendre les travailleurs" se retrouve dans la cohorte des tenants d'un "Non de gauche" aux côtés du PCF, de la LCR, d'une partie du PS. Avec quelle argumentation ? Pourquoi ?

Derrière le double langage de LO…

LO commence toujours avec un discours extrêmement "radical". Ce qui distingue LO, c'est qu'alors que tous les autres pourfendent à tour de bras un projet de constitution "ultra-libéral", LO déclare clairement : "Ce n'est pas le libéralisme, c'est le capitalisme qu'il faut combattre." Ainsi, dans un article paru sous ce titre dans l'hebdomadaire Lutte Ouvrière n° 1914 du 8 avril dernier, LO fustige "cette manière de dénoncer le libéralisme (qui) consiste à déployer un écran de fumée pour masquer les vrais problèmes. Car les classes possédantes ne sont pour le libéralisme que quand cela les arrange. (…) Mais en réalité, ce n'est pas à cause de l'Europe, ni parce que ce serait inscrit dans la future Constitution européenne que les patrons, grands ou petits, licencient ou bien que l'Etat français supprime des bureaux de poste et démantèle les services publics (cela se fait dans tous les Etats capitalistes, et bien au-delà de l'Europe des 25). Mais c'est parce que l'Etat français est au service de sa bourgeoisie. Ce n'est pas parce que "Bruxelles" aurait imposé telle ou telle décision, mais parce que cela correspond aux intérêts bien compris des capitalistes. Fabius n'a d'ailleurs pas mené une politique différente de ceux qu'il accuse de défendre le "libéralisme" quand il était Premier ministre. Quand on ferme une entreprise parce qu'elle ne rapporte pas assez (…), ce n'est pas une politique libérale, c'est le jeu normal du capitalisme." Voilà un discours "radical" qui semble ranger LO dans le camp des révolutionnaires.

Mais dans le même numéro, l'éditorial nous chante pourtant une tout autre chanson sous le titre "Le vote Non pour rejeter une Constitution réactionnaire" comme dans le suivant du 15 avril où LO appelle à voter "Non à une Constitution qui ignore le droit des travailleurs !" Dans un meeting à Clermont-Ferrand le 11 avril, Arlette Laguiller renchérit : "Pour notre part, nous appelons à voter "non". Cette Constitution n’apporte rien de bon aux travailleurs ni aux peuples d’Europe. Elle ne leur apporte ni des libertés supplémentaires ni des possibilités plus grandes pour se défendre. Elle ne cherche pas à uniformiser par le haut la législation du travail ni à améliorer les protections sociales. Et il n’est évidemment pas question d’un salaire minimum à l’échelle de l’Union européenne.(…) Alors, nous voterons "non" à cette Constitution !" Nous en arrivons au cœur de la mystification : LO nous raconte que la vraie réponse et le véritable terrain de classe, "c'est la lutte, les grèves, les manifestations" mais nous présente également en même temps l'échéance électorale comme un moment de la lutte, comme une façon de lutter. Dans son meeting déjà cité, la médiatique figure de proue de LO ajoute : "Mais tout en votant "non", il ne faut pas attendre de la victoire du "non" plus qu’elle ne peut donner. L’offensive menée contre les travailleurs par le grand patronat dans tous les pays d’Europe, quel que soit le gouvernement en place, n’a rien à voir avec la Constitution ni avec Bruxelles. Contrairement à tous ceux qui disent que, pour améliorer le sort des travailleurs, il faut voter "non", nous disons : Votez "non" ! Mais pour stopper les attaques du patronat et du gouvernement, il faut la lutte, les grèves, les manifestations. Une éventuelle victoire du "non" ne remplacera pas la contre-offensive des travailleurs. Cette contre-offensive est indispensable si nous ne voulons pas que notre classe, la classe des travailleurs, continue à être poussée vers la pauvreté."

LO nous dit d'un côté que la Constitution de l'Europe ou le libéralisme ne sont pas le vrai problème des travailleurs, qu'il ne faut pas se faire d'illusions sur le Non. Mais de l'autre côté, la seule chose que fait cette organisation, c'est de s'empresser de pousser les "travailleuses, travailleurs" auxquels elle s'adresse à aller voter en leur faisant croire que voter Non a quelque chose d'ouvrier et de révolutionnaire. Cela constituerait, d'après elle, un pas en avant, un encouragement pour le développement ultérieur de leurs luttes et un tremplin pour le développement de leur conscience de classe.

C'est un énorme mensonge. C'est l'inverse qui est vrai : pousser les ouvriers vers le vote à travers le vote Non, c'est semer les pires illusions dans la tête des prolétaires alors que précisément ce vote ne sert que de "rideau de fumée" (selon la propre expression de LO) à la bourgeoisie pour détourner les ouvriers de la lutte, pour brouiller leur conscience de classe, en les poussant à s'atteler derrière une fraction de la bourgeoisie contre une autre. Tout ce bla-bla radical et ces grands couplets ronflants sur la nécessité de lutter ne cherchent qu'à attirer, comme le fait LO à chaque échéance électorale, les ouvriers qui sont tentés de s'en détourner sur le chemin des urnes de la bourgeoisie et c'est pourquoi cette organisation pratique en permanence le double langage : "Il faut voter Non pour rejeter cette constitution. Mais une victoire du Non ne changera rien à l'organisation économique et sociale, au capitalisme, à la course au profit, à la concurrence qui sont les causes des crises, du chômage et de la pauvreté. Le Non au référendum n'empêchera pas un seul patron de licencier, pas plus qu'il n'obligera aucun d'entre eux à payer des salaires corrects. Ce n'est certainement pas la Constitution européenne (…) qui est responsable des attaques contre les salaires, contre les retraites, contre les horaires de travail. Ces attaques, c'est le fait du grand patronat et des gouvernements qui appliquent la politique qu'il exige. Alors, il faut voter Non à cette Constitution, mais il faut surtout savoir que les travailleurs ne feront pas l'économie des luttes contre une société capitaliste qui se moque d'appauvrir toute la population et de ruiner la société, du moment que ses profits augmentent." (éditorial d'Arlette Laguiller du 8 avril)

… une politique électoraliste constante…

C'est exactement le même genre de discours et d'argument qu'utilisait déjà LO en 1981 quand cette organisation appelait à voter… pour Mitterrand "sans illusions mais sans réserve". C'est le même discours quand LO prétendait qu'il fallait se réjouir du succès le la gauche aux élections législatives parce qu'elle "barrait la route à la droite réactionnaire", que cela "faisait plaisir", tout en disant qu'il ne fallait se faire aucune illusion sur la gauche au gouvernement.

C'est toujours la même méthode, la même recette. A quoi sert ce double langage permanent ? Le poison idéologique diffusé par LO vise à rendre impuissants les ouvriers en les plongeant ou les replongeant à chaque occasion dans le marigot électoraliste de la bourgeoisie : "Nous souhaitons, bien sûr, la victoire du "non" pour que la Constitution européenne réactionnaire qu’on voudrait faire cautionner par l’électorat soit rejetée." Le reste n'est qu'enrobage, qui sert de leurre, d'appât autour : "Mais une victoire du "non" ne changera rien à l’Union européenne telle qu’elle est, qui continuera à fonctionner en s'appuyant sur les traités antérieurs. A infiniment plus forte raison, le résultat du référendum ne changera rien à l’organisation économique et sociale, au capitalisme, à la course au profit, à la concurrence, qui sont les causes des crises, du chômage et de la pauvreté. (…) Alors, c’est contre ces véritables ennemis que les travailleurs auront à lutter, et pas contre Bruxelles ou quelque bouc-émissaire que ce soit." (meeting d'Arlette Laguiller du 11 avril)

Comme quand elle joue les bateleurs de foire ou les marchands de frites rances lors de sa kermesse annuelle, LO ne cesse de vanter ses marchandises qui sont en définitive les mêmes que les autres politiciens bourgeois sous des tonnes de verbiage radical et sous d'épaisses couches de vernis révolutionnaire de pacotille. LO exerce sa pression électoraliste en faisant croire que le Non introduit un rapport de force entre les classes, qu'il serait un "vote de classe", un "Non ouvrier" susceptible de faire trembler la bourgeoisie : "Pour la faire reculer (la bourgeoisie), il faut lui donner de bonnes raisons de craindre de tout perdre en ne voulant rien lâcher ! Alors, il faut voter "non"." Mais le recours à cette argumentation on ne peut plus démagogique est sans cesse contrebalancé par un discours plus "critique" : "mais il faut surtout continuer à œuvrer pour que les travailleurs retrouvent confiance en leur force, dans la force que leur donnent leur nombre et leur place irremplaçable dans la production." (Idem)

… pour pousser les ouvriers de chaque Etat derrière leur bourgeoisie

Les prolétaires ne doivent pas se laisser abuser par le vernis "radical" de LO. La duplicité de cette organisation peut d'ailleurs être illustrée à travers un autre exemple dans cette campagne sur la Constitution européenne dans laquelle elle s'adapte pour défendre une position diamétralement opposée par rapport à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne. LO s'abrite derrière une phraséologie sur la construction des "Etats-Unis d'Europe" : "L’unification européenne, nous sommes pour. Oui, nous sommes pour l’unification complète du continent, bien entendu Turquie comprise, et même bien au-delà." (meeting d'Arlette du 11 avril). Un long article sur "La Turquie et l'Union européenne" de sa "revue théorique" Lutte de Classe n° 87 daté de mars 2005 permet de découvrir que LO trouve des aspects positifs à la Constitution européenne et prône Oui à la Constitution… pour les travailleurs en Turquie alors qu'elle la rejette pour les travailleurs d'ici…au nom de "'unité prolétarienne" : "Pour qui veut défendre un point de vue révolutionnaire prolétarien, l'avenir appartient à l'unification complète de l'Europe et à la suppression de toutes les frontières, bien au-delà des limites actuelles de l'Union européenne. Il faut donc considérer comme positif tout ce qui, dans la construction européenne actuelle, et bien qu'elle soit faite en fonction des besoins capitalistes, facilite la circulation des personnes et contribue à tisser des liens plus étroits entre les peuples. De ce point de vue, il n'y a aucune raison de s'opposer à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, pas plus qu'il n'y aurait de raison de s'opposer à l'adhésion de quelque pays que ce soit." Selon LO, la Constitution, c'est mauvais et réactionnaire pour les ouvriers d'ici déjà membres de l'UE, mais c'est bon et progressiste pour les prolétaires de Turquie ; l'article ajoute : "(…) Et de même, pour des militants défendant un point de vue révolutionnaire prolétarien en Turquie, l'anti-impérialisme ne peut consister à s'opposer à l'adhésion : il doit s'exprimer par des revendications et des objectifs concrets, en se plaçant du point de vue des intérêts ouvriers. Aujourd'hui, la classe ouvrière de Turquie, comme le reste de la population, est sans doute dans sa grande majorité favorable à l'adhésion, avec l'idée que celle-ci ne pourra qu'amener une amélioration économique et un meilleur respect des droits de chacun." LO trouve ici de nouvelles vertus à ce qu'elle nomme pourtant si volontiers "l'Europe des capitalistes" qu'elle vilipende par ailleurs : (…) Mais, dans la classe ouvrière de Turquie, on a aussi l'idée qu'en Europe occidentale (…), il existe des droits sociaux que l'on peut faire valoir, des institutions qui les garantissent et dans lesquelles on est respecté." Au bout de ses méandres, la conclusion de la "haute stratégie révolutionnaire" de LO est alors : "Pour autant, les révolutionnaires n'ont aucune raison de s'opposer à ce sentiment dominant qui, au fond, exprime à sa façon les aspirations ouvrières. S'ils ont bien sûr à combattre les illusions, ce n'est pas pour leur opposer un quelconque repli sur soi nationaliste. C'est pour dire que, bien sûr, l'adhésion à l'Union européenne peut comporter des aspects positifs."

Quelles "aspirations expriment à sa façon" le double discours permanent de LO ? Ces grands écarts, ces prises de position à orientation géo-politique variable, LO les a parce que son but n'est nullement de défendre les intérêts de la classe ouvrière mais de noyer la conscience de la classe ouvrière pour mieux l'entraîner dans les chausse-trapes de la bourgeoisie et en particulier systématiquement sur le terrain électoral.

W (20 avril)

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