Problèmes actuels du mouvement ouvrier (Internationalisme n°25 août-1947) - Contre la conception de la discipline du PCI

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Ce texte d'Internationalisme est extrait d'une série d'articles publiés tout au long de l'année  1947, intitulée  "Problèmes actuels du mouvement ouvrier".  Nous renvoyons le lecteur à la présentation de la première partie publiée dans la Revue Internationale no 33 - 2e trimestre 1983 qui situe la critique que fait Interna­tionalisme des conceptions de l'organisation du Parti  Communiste Internationaliste d'Italie dans le contexte historique de l'époque.
Après avoir critiqué   "la conception du chef génial" qui  théorise que seules des individualités par­ticulières ont la capacité d'approfondir la théorie révolutionnaire,  dans la partie ci-dessous,  Inter­nationalisme poursuit sa critique contre le corollaire de cette vision,"la discipline" qui conçoit les militants de l'organisation comme de simples exécutants qui n 'ont pas à discuter des orientations poli­tiques de l'organisation. Internationalisme réaffirme que   "l'organisation et l'action concertée commu­nistes ont uniquement pour base la conscience des militants qui  les fonde. Plus grande et plus claire est cette conscience, plus forte est l'organisation, plus concertée et efficace est son action".
Depuis cette époque,  les scissions répétées du tronc commun initial que constituait le PCI d'Italie avec la même vision de l'organisation,  jusqu'à la dislocation actuelle du plus fort d'entre eux,  le Parti  Communiste International (Programme Communiste), n'ont fait que confirmer la validité de la mise en garde d'Internationalisme contre ces conceptions.


La discipline... force principale...

Lors des élections parlementaires en Italie, à la fin de 1946, un article leader, qui était un programme à lui seul, est paru dans l'organe cen­tral du PCI d'Italie. Il avait pour titre "Notre Force" et pour auteur le secrétaire général du Parti. De quoi s'agissait-il ? Du trouble provo­qué dans les rangs du PCI par la politique électo­rale du Parti. Toute une partie des camarades, obéissant plus, parait-il, au souvenir d'une tra­dition abstentionniste de la Fraction de Bordiga, qu'à une position claire d'ensemble, se révoltait contre la politique de participation aux élections. Ces camarades réagissaient plus par une mauvaise humeur, par un manque d'enthousiasme, par des "né­gligences" pratiques dans la campagne électorale que par une franche lutte politique et idéologique au sein du Parti. D'autre part un certain nombre de camarades, poussaient leur enthousiasme électoraliste jusqu'à prendre part dans le Référendum "pour la Monarchie ou la République" en votant évidemment pour la République, en dépit de la position d'abstentionnisme sur le Référendum qui était, cette fois, celle du Comité Central.

Ainsi en voulant éviter de "troubler" le parti par une discussion générale sur le parlementarisme, en reprenant la politique périmée dite de "parle­mentarisme révolutionnaire", on n'a fait que trou­bler effectivement la conscience des membres, qui ne savaient plus à quel "génie" se vouer. Les uns participant trop chaudement, les autres trop froi­dement, le Parti en a attrapé un chaud et froid, et il est sorti tout malade de l'aventure électo­raliste. ([1])

C'est contre cet état de fait que s'élève avec véhémence le secrétaire général dans son éditorial. Brandissant la foudre de la discipline il pourfend les improvisations politiques locales de droite ou de gauche. Ce qui importe, n'est pas la justesse ou l'erreur d'une position, mais de se pénétrer qu'il y a une ligne politique générale, celle du Comité Central,à qui on doit obéissance. C'est la discipline. La Discipline qui fait la principa­le force du Parti... et de l'armée ajouterait le premier sous-off venu. Il est vrai que le secrétai­re spécifie une discipline librement consentie. Que Dieu soit loué ! Avec cet appendice nous sommes complètement rassurés

Des résultats bienfaisants n'ont pas manqué de suivre ce rappel à la discipline: du Sud, du Nord, de la droite et de la gauche un nombre de plus en plus grand de militants ont traduit à leur façon "la discipline librement consentie" par la démis­sion librement exécutée. Les dirigeants du PCI ont beau nous dire que c'est la "transformation de la quantité en qualité" et que la quantité qui a quit­té le Parti a emporté avec elle une fausse compré­hension de la discipline communiste, nous réplique­rons à cela que notre conviction est faite que ceux qui sont restés, et le Comité Central avec en premier lieu ont gardé, non pas une fausse compré­hension de la discipline communiste mais une faus­se conception du Communisme tout court.

Qu'est-ce que la discipline ? UNE IMPOSITION DE LA VOLONTÉ D'AUTRUI. L'expression qualitative ajoutée "librement consentie" n'est qu'un ornement de plume au derrière pour rendre la chose plus attra­yante. Si elle émanait de ceux qui la subissent, il n'y aurait nul besoin de la leur rappeler, et surtout de leur rappeler sans cesse qu'elle a été "librement consentie".

La bourgeoisie a toujours prétendu que SES lois, SON ordre, SA démocratie, sont 1'émanation de la "libre volonté" du peuple. C'est au nom de cette "libre volonté" qu'elle a construit des prisons sur le fronton desquelles elle a inscrit en lettres de sang "Liberté, Egalité, Fraternité." C'est toujours en ce même nom qu'elle embrigade le peuple dans les armées, où pendant les entractes des massacres elle leur révèle leur "libre volonté" qui s'appel­le Discipline.

Le mariage est un libre contrat, paraît-il, aussi le divorce, la séparation devient une dérision in­tolérable. "Soumets toi à TA volonté" a été le sum­mum de l'art jésuitique des classes exploiteuses. C'est ainsi, enveloppée dans des papiers de soie et joliment enrubannée, qu'elles présentaient aux opprimés, leur oppression. Tout le monde sait que c'est par amour, par respect de leur âme divine, pour la sauver, que l'inquisition chrétienne brûlait les hérétiques qu'elle plaignait sincèrement. L'âme divine de l'inquisition est devenue aujourd'hui "le libre consentement".

"Une, deux, une, deux, gauche,droite en avant marche !" Exercez votre discipline "libre­ment consentie" et soyez heureux !

Quelle est donc la base de la conception commu­niste -et nous le répétons, non de la discipline mais- de l'organisation et de l'action ?

Elle a pour postulat que les hommes agissent li­brement qu'en ayant pleinement conscience de leurs intérêts. L'évolution historique, économique et idéologique conditionnent cette prise de conscience. La "Liberté" n'existe que lorsque cette conscience est acquise. Là où il n'y a pas de conscience, la liberté est un mot creux, un mensonge, elle n'est qu'oppression et soumission, même si c'est formel­lement "librement consenti".

Les communistes n'ont pas pour tâche d'apporter on ne sait quelle liberté à la classe ouvrière. Ils n'ont pas de cadeaux à faire. Ils n'ont qu'à aider le prolétariat à prendre conscience "des fins gé­nérales du mouvement" comme s'exprime d'une manière remarquablement juste le Manifeste Communiste.

Le Socialisme, disions nous, n’est possible qu'en tant qu'acte conscient de la classe ouvrière. Tout ce qui favorise la prise de conscience est socia­liste, MAIS UNIQUEMENT CE QUI LA FAVORISE. On n'ap­porte pas le socialisme par la trique. Non pas par­ce que la trique est un moyen immoral, comme le di­rait un Koestler, mais parce que la trique ne con­tient pas d'élément de la conscience. La trique est tout à fait morale, quand le but qu'on s'assigne est l'oppression et la domination de classe, car elle réalise concrètement ce but, et il n'existe pas et ne peut exister d'autres moyens. Quand on recourt à la trique, et la discipline est une tri­que morale -pour suppléer au manque de conscience, on tourne le dos au socialisme, on réalise les con­ditions de non-socialisme. C'est pourquoi nous sommes catégoriquement opposés à la violence au sein de la classe ouvrière après le triomphe de la révolution prolétarienne, et sommes des adversai­res résolus du recours à la discipline au sein du Parti.

Qu'on nous entende bien!

Nous ne rejetons pas la nécessité de l'organisa­tion, nous ne rejetons pas la nécessité de l'ac­tion CONCERTEE. Au contraire. Mais nous nions que la discipline ne puisse jamais servir de base à cette action étant dans sa nature, étrangère à elle. L'organisation et l'action concertée communistes ont UNIQUEMENT pour base la conscience des militants qui les fonde.   Plus grande, plus claire est cet­te conscience, plus forte est l'organisation, plus concertée et efficace est son action.

Lénine a plus d'une fois dénoncé violemment le recours à la "discipline librement consentie", comme une trique de la bureaucratie. S'il employait le terme de discipline, il l'entendait toujours -et il s'est maintes fois expliqué là dessus- dans le sens de la volonté d'action organisée, basée sur la conscience et la conviction révolutionnaire de chaque militant.

On ne peut exiger des militants, comme le fait le Comité Central du PCI, d'exécuter une action qu'ils ne comprennent pas, ou qui va à l’encontre de leurs convictions. C'est croire qu'on peut faire oeuvre révolutionnaire avec une masse de cré­tins ou d'esclaves. On comprend alors qu'on ait besoin de la discipline, hissée à la hauteur d'une divinité révolutionnaire.

En réalité, l'action révolutionnaire ne peut être le fait que des militants conscients et con­vaincus. Et alors cette action brise toutes les chaînes y compris celles forgées par la sainte discipline.

Les vieux militants se souviennent quel guet-apens, quelle arme redoutable contre les révolu­tionnaires, constituait cette discipline entre les mains des bureaucrates et de la direction de l'IC. Les hitlériens en formation avaient leur sainte Vehme, les Zinovievs à la tête de l’IC avaient leur sainte Discipline. Une véritable inquisition, avec ses commissions de contrôle torturant et fouillant dans l'âme de chaque militant.

Un corset de fer passé sur le corps des partis, emprisonnant et étouffant toute manifestation ten­dant à la prise de conscience révolutionnaire. Le comble du raffinement consistait à obliger les mi­litants à défendre publiquement ce qu'ils condam­naient dans les organisations, dans les organis­mes dont ils faisaient partie. C'était l'épreuve du parfait bolchevik. Les procès de Moscou ne dif­fèrent pas de nature, avec cette conception de la discipline librement consentie.

Si l'histoire de l'oppression des classes n'a­vait pas légué cette notion de "discipline", il aurait fallu à la contre-révolution stalinienne la réinventer.

Nous connaissons des militants, et de premier ordre, du PCI d'Italie, qui pour échapper à ce dilemme, de participer à la campagne électorale contre leurs convictions, ou de manquer à la dis­cipline, n'ont rien trouvé d'autre que la ruse d'un voyage opportun. Ruser avec sa conscience, ruser avec le Parti, désapprouver, se taire et laisser faire voilà les plus clairs résultats de ces mé­thodes. Quelle dégradation du Parti, quel avilis­sement des militants !

La discipline du PCI ne s'étend pas seulement aux membres du Parti d'Italie, elle est également exigée de la part des fractions belge et française.

L'abstentionnisme était une chose qui allait de soi dans la GCI ([2]). Aussi une camarade de la frac­tion française écrit dans son journal un article essayant de concilier l'abstentionnisme avec le participationnisme du PCI d'Italie, Selon elle, ce n'est point une question de principe, donc parfaitement admissible la participation du PCI. Cependant, elle croit qu'il eut été "préférable" de s'abstenir. Comme on le voit une critique pas très "méchante" dictée surtout par les besoins de justifier la critique de la fraction en France contre la participation électorale des trotskistes en France.

Bien mal lui en a pris. Il ne lui en fallait pas plus pour se faire tirer les oreilles, et se faire rappeler à l'ordre par le secrétaire du Parti en Italie. Fulminant, le dit secrétaire dé­clare inadmissible la critique à l'étranger de la politique du Comité Central d'Italie. Pour peu on reprenait l'accusation du "coup de couteau dans le dos" mais cette fois l'accusation venait de l'Italie contre la France.

Marx, Lénine disaient : enseigner, expliquer, convaincre. "...discipline... …discipline..." leur répond en écho le Comité Central.

Il n'y a pas de tâche plus importante que de former des militants conscients, par un travail persévérant d'éducation, d'explication, et de dis­cussion politique. Cette tâche est en même temps l'unique moyen garantissant et renforçant l'ac­tion révolutionnaire. Le PCI d'Italie a découvert un moyen plus efficace : la discipline. Cela n'a rien de surprenant après tout. Quand on professe Te concept, du Génie se contemplant et se réflé­chissant en lui d'où jaillit la Lumière, le Comité Central devient l'Etat major distillant et transformant cette lumière en ordres et oukases, les militants en lieutenants, sous-off et capo­raux, et la classe ouvrière en masse de soldats à qui on enseigne que la "discipline est notre prin­cipale force..."

Cette conception de la lutte du prolétariat et du parti est celle d'un adjudant de carrière de l'armée française. Elle a sa source dans une op­pression séculaire et une domination de l'homme par l'homme. Il appartient au prolétariat de l'ef­facer à jamais.

LE DROIT DE FRACTION ET
LE RÉGIME INTÉRIEUR DE
L'ORGANISATION RÉVOLUTIONNAIRE.

Il peut paraître ahurissant après les longues années passées de luttes épiques au sein de l'IC sur le droit de fraction, de revenir aujourd'hui sur cette question. Elle semblait résolue, pour tout révolutionnaire, par l'expérience vécue. C’est pourtant ce droit de fraction que nous som­mes obligés de défendre aujourd'hui contre les dirigeants du PCI d'Italie.

Aucun révolutionnaire ne parle de la liberté ou de la démocratie en général, car aucun révolu­tionnaire n'est dupe des formules en général car il cherche toujours à mettre en lumière leur con­tenu social réel, leur contenu de classe. Plus qu'à tout autre, on doit à Lénine d'avoir déchiré les voiles et d'avoir mis à nu les mensonges éhontés que couvraient les beaux mots de "liberté et démocratie", en général.

Ce qui est vrai pour une société de classes, l'est aussi pour les formations politiques qui agissent en son sein. La 2ème Internationale fut ; très démocratique, mais sa démocratie consistait à noyer l'esprit révolutionnaire dans un océan d'influence idéologique de la bourgeoisie. De cette démocratie où toutes les vannes sont ou­vertes pour éteindre l'étincelle révolutionnaire, les communistes n'en veulent pas. La rupture d'avec ces partis de la bourgeoisie qui se disaient socialistes et démocratiques fut nécessaire et justifiée. La fondation de la 3ème Inter­nationale sur la base de l'exclusion de cette soi-disant démocratie fut une réponse historique. Cette réponse est un acquis définitif pour le mouvement ouvrier.

Quand nous parlons de démocratie ouvrière, de démocratie à l'intérieur de l'organisation, nous l'entendons tout autrement que la Gauche socia­liste, les trotskistes et autres démagogues. La démocratie à laquelle ils nous convient avec des trémolos dans la voix et le miel sur les lèvres, est celle où l'organisation est libre de fournir des ministres pour la gestion de l'Etat bourgeois, celle de participer "librement" à la guerre im­périaliste. Ces démocraties organisationnelles ne nous sont pas plus proches que les organisations non-démocratiques d'Hitler et Mussolini et Stali­ne qui font exactement le même travail. Rien n'est plus révoltant que l'annexion (les partis socialistes s'y connaissent en matière d'annexion impérialiste) de Rosa Luxembourg, faite par les Tartuffe de la Gauche socialiste pour opposer son "démocratisme" à "l'intolérance bolchevik". Rosa, comme Lénine, n'a pas résolu le problème de la démocratie ouvrière, mais l'un comme l'au­tre savaient à quoi s'en tenir sur la démocratie socialiste et ils la dénoncèrent pour ce qu'elle valait.

Quand nous parlons de régime intérieur, nous entendons parler d'une organisation basée sur des critères de classe et sur un programme révolution­naire et non ouvert au premier avocat venu de la bourgeoisie. Notre liberté n'est pas abstraite en soi, mais essentiellement concrète, c'est celle des révolutionnaires groupés cherchant ensemble les meilleurs moyens d'agir pour l'émancipation sociale. Sur cette base commune et tendant au même but, bien des divergences surgissent imman­quablement en cours de route. Ces divergences ex­priment toujours, soit l'absence de tous les élé­ments de la réponse, soit les difficultés réelles de la lutte, soit l'immaturité de la pensée. Elles ne peuvent être ni escamotées ni interdites mais au contraire doivent être résolues par l'expéri­ence de la lutte elle même et par la libre con­frontation des idées. Le régime de l'organisation consiste donc, non à étouffer les divergences mais à déterminer les conditions de leur solution. C'est à dire, en ce qui concerne l'organisation, de favoriser, de susciter leur manifestation au grand jour au lieu de les laisser cheminer clan­destinement. Rien n'empoisonne plus l'atmosphère de l'organisation que les divergences restées dans l'ombre. Non seulement l'organisation se pri­ve ainsi de toute possibilité de les résoudre, mais elles minent lentement ses fondations, A la première difficulté, au premier revers sérieux, l'édifice qu'on croyait en apparence solide comme un roc, craque et s'effondre, laissant derrière lui un amas de pierres. Ce qui n'était qu'une tempête se transforme en catastrophe décisive.

Il nous faut un Parti fort disent les camarades du PCI -un parti uni, or l'existence des tendances, la lutte de fractions le divisent et l'affaiblis­sent. Pour appuyer cette thèse, ces mêmes camara­des invoquent la résolution présentée par Lénine et votée au l0ème Congrès du PC russe interdisant l'existence de fractions dans le Parti. Ce rappel de la fameuse résolution de Lénine et son adop­tion aujourd'hui, marque, on ne peut mieux, toute l'évolution de la fraction italienne devenue Parti. Ce, contre quoi la Gauche italienne et toute la gauche dans TIC s'est insurgée et a combattu pen­dant plus de 20 ans est devenu aujourd'hui le cre­do du "parfait" militant du PCI. Rappellerons-nous aussi que la résolution en question a été adop­tée par un parti 3 ans après la révolution (elle n'aurait jamais pu être envisagée même auparavant) qui se trouvait aux prises avec des difficultés innombrables : blocus extérieur, guerre civile, famine et ruine économique à l'intérieur ? La ré­volution russe était dans une impasse terrible. Ou la révolution mondiale allait la sauver ou elle succombait sous la pression conjuguée du monde ex­térieur et des difficultés intérieures. Les bolche­viks au pouvoir subissent cette pression et recu­lent sur le plan économique et, ce qui est mille fois plus grave, sur le plan politique. La réso­lution sur l'interdiction des fractions que Lénine présentait, d'ailleurs comme provisoire , dictée par les conditions contingentes terribles dans les­quelles se débattait le parti, fait partie d'une série de mesures, qui loin de fortifier la Révo­lution n'ont fait qu'ouvrir un cours de sa dégéné­rescence.

Le l0ème congrès a vu à la fois le vote de cette résolution, l'écrasement par la violence étatique de la révolte ouvrière de Cronstadt et le début de la déportation massive des opposants du Parti, en Sibérie.

L'étouffement idéologique à l'intérieur du Parti ne se conçoit qu'allant de pair avec la violence au sein de la classe. L'Etat, organe de violence et de coercition, se substitue aux organismes idé­ologiques, économiques et unitaires de la classe : le parti, les syndicats et les soviets. La Guépéou remplace la discussion. La contre-révolution prend le pas sur la révolution sous le drapeau du socia­lisme, c'est le plus inique régime du capitalisme d'Etat qui se constitue.

Marx disait, à propos de Louis Bonaparte, que les grands événements de l'histoire se produi­sent pour ainsi dire deux fois, et il ajoutait : "la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce".

Le PCI d'Italie reproduit en farce ce que fut la grandeur et la tragédie de la Révolution russe et dii Parti bolchevik. Le Comité de coalition anti­fasciste de Bruxelles pour le Soviet de Pétrograd, Vercesi à la place de Lénine, le pauvre Comité Central de Milan pour l'Internationale communis­te de Moscou où siégeaient les révolutionnaires de tous les pays, la tragédie d'une lutte de di­zaines de millions d'hommes par les petites in­trigues de quelques chéfaillons. Autour de la question du droit de fraction se jouait, en 1920 le sort de la révolution russe et mondiale. "Pas de fraction" en Italie en 1947 est le cri des impuissants ne voulant pas être forcés de penser par la critique et être dérangés dans leur quié­tude. "Pas de fraction" menait à l'assassinat d'une révolution en 1920. "Pas de fraction" en 1947 est tout au plus une petite fausse couche d'un parti non viable.

Mais même en tant que farce, l'interdiction de fraction devient un handicap sérieux de la reconstruction de l'organisation révolutionnaire. La reconstruction du Bureau International de la GCI pourrait nous servir d'exemple palpable de la méthode en honneur.

On sait que ce Bureau International s'est trouvé disloqué avec l'éclatement de la guerre. Pendant la guerre des divergences politiques se sont mani­festées dans les groupes et entre les groupes se ré­clamant de la GCI. Quelle devait être la métho­de de reconstruction de l'unité organisationnelle et politique de la GCI ? Notre groupe préconisait la convocation d'une Conférence internationale de tous les groupes se réclamant de la GCI, et se fixant pour objectif la discussion la plus large pour toutes les questions en divergence. Contre nous prévalait l'autre méthode qui consistait à mettre le maximum de sourdine sur les divergences, et à exalter la constitution du Parti en Italie et autour de qui devait se faire le nouveau re­groupement. Aussi aucune discussion ou critique internationale ne fut tolérée et un simulacre de Conférence eut lieu à la fin de 1946. Notre es­prit de critique et de franche discussion fut con­sidéré: intolérable et inacceptable et en réponse à nos documents, (les seuls qui avaient été sou­mis à la discussion de la Conférence) on a pré­féré, non seulement de ne pas les discuter mais en plus, on a estimé préférable de nous éliminer tout simplement de la Conférence.

Nous avons publié dans l'Internationalisme n°16 de décembre 1946 notre document destiné à tous les groupes se réclamant de la GCI en vue de la Confé­rence. Dans ce document, nous avons, selon notre vieille habitude, énuméré toutes les divergences politiques existant dans la GCI et expliqué fran­chement notre point de vue. Dans le même numéro d’Internationalisme on trouvera également la "ré­ponse" de ce singulier Bureau international. "Puis­que", dit cette réponse, votre lettre démontre une fois de plus la constante déformation des faits et des positions politiques prises soit par le PCI d'Italie, soit par les fractions française et belge" et plus loin, "que votre activité se borne à jeter la confusion et de la boue sur nos cama­rades, nous avons exclu à l'unanimité la possibi­lité d'accepter votre demande de participation à la réunion internationale des organisations de la GCI".

On pensera ce que l'on voudra de l'esprit dans lequel a été faite cette réponse mais on doit cons­tater qu'à défaut d'arguments politiques elle ne manque pas d'énergie et de décision bureaucra­tique. Ce que la réponse ne dit pas et qui est un très haut point caractéristique de la conception de la discipline vraiment générale, professée et pratiquée par cette organisation, est la décision suivante prise en grand secret.

Voici ce que nous écrit, à ce sujet, un camara­de du PCI d'Italie le lendemain de cette réunion internationale:

"Dimanche 8 décembre a eu lieu la réunion des délégués du Bureau politique International du PCI.

En référence à votre lettre adressée aux camarades des fractions de la GCI et du PCI d'Italie, répon­se officielle vous sera faite et envoyée prochai­nement. En se référant à votre demande de réunions communes pour d'ultérieures discussions, votre ... proposition a été rejetée. En plus, ordre a été donné à tout camarade de rompre toute communication avec les fractions dissidentes­. J'ai donc le regret de vous prévenir de ne pouvoir, pour l'ave­nir continuer mes liaisons avec votre groupe", signé JOBER- le 9 décembre 1946 ([3])

Cette décision intérieure et secrète a-t-elle encore besoin d'être commentée ? Vraiment pas. Nous ajouterons seulement qu'à Moscou, Staline a évidemment des moyens plus appropriés pour isoler les révolutionnaires : les cellules de la Loubianka, (prison de la Guépéou) les isolateurs de Verkhni Ouralsk et, au besoin, la balle dans la nuque. Dieu merci la GCI n'a pas encore cette force et nous ferons tout pour qu'elle ne l'ait pas et jamais, mais ce n'est vraiment pas de sa faute. Ce qui importe en définitive c'est le but poursuivi et la méthode, consistant à chercher à isoler, à vouloir faire taire la pensée de l'adversaire, de ceux qui ne pensent pas comme vous. Fatalement et en correspondance avec la place qu'on occupe et la force qu'on possède, on est amené à des mesures de plus en plus violentes. La différence avec le stalinisme n'est pas une question de nature mais uniquement de degré.

Le seul regret que doit avoir le PCI c'est d'ê­tre obligé de recourir à ces misérables moyens "d'interdire aux membres tout contact avec les fractions dissidentes".

Toute la conception sur le régime intérieur de l'organisation et de ses rapports avec la classe se trouve illustrée et concrétisée par cette déci­sion, à notre avis, monstrueuse et écoeurante . Excommunication, calomnie, silence imposé, tels sont les méthodes qui se substituent à l'explica­tion, la discussion et la confrontation politiques. Voilà un exemple type de la nouvelle conception de l'organisation.

CONCLUSION

Un camarade de la GCI nous écrit une longue let­tre pour "décharger" -comme il dit- son estomac de tout ce qui lui pèse, depuis la coalition antifas­ciste jusqu'à la nouvelle conception du Parti. "Le parti -écrit-il dans la lettre- n'est pas le but du mouvement ouvrier, il est seulement un moyen". Mais la fin ne justifie pas tous les moyens. Ceux-ci doivent être imprégnés du carac­tère de la fin qu'ils servent pour l'atteindre, la fin doit se retrouver dans chacun des moyens employés, par conséquent le parti ne pourra pas être érigé suivant les conceptions léninistes, car cela signifierait, une fois de plus, absence de démocratie : discipline militaire, interdic­tion de la libre expression, délits d'opinion, monolithisme et mystification du parti.

Si la démocratie est la plus belle fumisterie de tous les temps, cela ne doit pas nous empêcher d'être pour la démocratie prolétarienne dans le Parti, le mouvement ouvrier et la classe. Ou bien qu'on propose un autre terme. L'important est que la chose reste. Démocratie prolétarienne signifie droit d'expression, liberté de pensée, liberté de ne pas être d'accord, suppression de la violence et de la terreur sous toutes leurs formes, dans le parti et naturellement dans la classe.

Nous comprenons et partageons entièrement l'in­dignation de ce camarade quand il s'élève contre l'édification du parti caserne et de la dictature sur le prolétariat. Combien est loin cette saine et révolutionnaire conception de l'organisation et du régime intérieur de cette autre conception que nous a donnée récemment un des dirigeants du PCI d'Italie. "Notre conception du Parti"; a-t-il dit textuellement "est un parti monolithique, ho­mogène et monopoliste".

Une telle conception jointe au concept du chef génial, à la discipline militaire, n'a rien à voir avec l'oeuvre révolutionnaire du prolétariat, où tout est conditionné par l'élévation de la cons­cience, par la maturation idéologique de la classe ouvrière. Monolithisme, homogénéité et monopolisme est la trilogie divine du fascisme et du stali­nisme.

Le fait qu'un homme ou un parti, se disant révolutionnaire, puisse se revendiquer de cette formu­le, indique tragiquement toute la décadence, toute la dégénérescence du mouvement ouvrier. Sur cette triple base on ne construit pas le parti de la révolution, mais plutôt une nouvelle caserne pour les ouvriers. On contribue effectivement à maintenir les ouvriers à l'état de soumission et de domination. On fait une action contre-révolutionnaire.

Ce qui nous fait douter de la possibilité du re­dressement du PCI d'Italie, plus que ses erreurs proprement politiques, ce sont ses conceptions de  I l'organisation, et de ses rapports avec l'ensemble de la classe. Les idées par lesquelles s'est manifestée la fin de la vie révolutionnaire du parti bolchevik et qui marquèrent le début de la déché­ance :l’interdiction de fraction, la suppression de la liberté d'expression dans le parti et dans la classe, le culte de la discipline, l'exaltation du chef infaillible, servent aujourd'hui de fonde­ ment, de base au PCI d'Italie et à la GCI. Persistant dans cette voie le PCI ne pourra jamais servir! la cause du socialisme. C'est avec pleine conscience et mesurant toute la gravité que nous leur crions: " Halte là. Il faut rebrousser chemin, car ici la pente est fatale".

Marc


[1] Aux dernières nouvelles le PCI d'Italie ne participerait pas aux prochaines élections. Ainsi en a décide le Comité Central. Est-ce à la suite d'un réexamen de la position, et d'une discussion dans le Parti, détrompez-vous. Il est toujours trop prématuré d'ouvrir une discussion qui risquerait de troubler les camarades, nous dit notre dirigeant bien connu. Mais alors ? Tout simplement le Parti a perdu beaucoup de membres et la caisse est vide. Ainsi, faute de munitions le Comité Central a décidé d'arrêter la guerre et de ne pas participer aux PROCHAINES élections. C'est une position commode qui arrange tout le monde et a en plus l'avantage de ne troubler personne. C'est ce que notre dirigeant ap­pelle encore "la transformation renversée de la quantité en qualité".

[2] Gauche  Communiste  Internationale

[3] Il s'agit du camarade JOBER qui était alors en discussion avec nous, au nom de la fédération de Turin du PCI qu'il représentait. Depuis, la Fédération de Turin protestant contre les méthodes du Comité Central, est devenue autonome et à ce titre a participé à la Conférence Internationale de contact (Voir Internationalisme n° 24).

 

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