Mort de Fidel Castro: en 2017 la bourgeoisie perdait l’un des siens

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En janvier 1959, Fidel Castro et ses guérilleros prenaient le pouvoir au nom de la libération du peuple cubain. Très vite, le nouveau régime se revendiqua du “socialisme“ et du “marxisme”. En réalité, loin d’apporter une quelconque émancipation sociale, la classe ouvrière cubaine dut subir, et subit encore, la pénurie et la terreur de la part de cet État bourgeois. À l’occasion du soixantenaire du coup d’État de Fidel Castro, nous republions un article, écrit au moment de la mort de cette crapule stalinienne, qui montrait le vrai visage de l’État castriste.
 
RI, janvier 2019.
 

Le 25 novembre dernier, Fidel Castro, le dictateur aux cinquante années de pouvoir, le dernier héraut du stalinisme, disparaissait à l’âge de 90 ans. Malgré des tonalités différentes, les hommages des représentants des principales puissances capitalistes, d’Obama à Poutine, de Hollande à Assad, montrent à quel point le champion du stalinisme caribéen fut un agent actif de la bourgeoisie contre le prolétariat mondial durant des décennies. Les hommages les plus élogieux sont bien évidemment venus de la gauche du capital. A commencer par Jean-Luc Mélenchon qui le 26 novembre au soir, devant la statue de Simón Bolivar, s’est laissé aller à une apologie sans bornes de l’ancien dictateur, louant le “défenseur des opprimés”, soulignant les prouesses des médecins cubains auprès des peuples américains, mais passant sous silence les milliers de victimes et de persécutés ayant péri dans les prisons de l’île pour avoir dit ou écrit un mot de travers ou pour avoir eut le “malheur” d’avoir une orientation sexuelle “déviante” comme le raconta Reynaldo Arenas dans son ouvrage : Avant la nuit. Le leader de “la France insoumise” réduit ces faits à de simples “erreurs” et masque le macabre derrière un lyrisme de bas étage : “Fidel ! Fidel ! Mais qu’est-ce qui s’est passé avec Fidel ? Demain était une promesse. Fidel ! Fidel ! L’épée de Bolivar marche dans le ciel.” La classe dominante a toujours su reconnaître la valeur de ses chiens de garde. D’un autre côté, le futur président américain Donald Trump a “condamné” “le dictateur brutal qui a opprimé son peuple” et s’est engagé “à faire tout” pour libérer le peuple cubain. Pure hypocrisie dans la bouche d’un homme qui n’a que faire du sort des Cubains. En réalité, Trump n’a fait que s’opposer à la ligne politique de l’administration Obama tout en restant indécis sur la position qu’il adoptera sur la question cubaine, même si pour le moment, il s’est dit hostile à la levée de l’embargo commercial.

Même mort, Castro n’en finit pas de servir la falsification de la révolution et du communisme sous les traits du capitalisme d’État stalinien. Derrière les hommages plus ou moins bienveillants, les médias et le monde politique en profitent pour enfoncer le clou et drainer une nouvelle fois l’idée du caractère illusoire de la perspective révolutionnaire et du communisme. Car, prétend la bourgeoisie, tous les régimes apparus au xxe siècle en Russie et dans une partie de l’Est de l’Europe, en Chine ou bien encore à Cuba à partir de 1961, et qui, comme chacun sait, ont maintenu dans l’oppression des millions de personnes, prouveraient l’incapacité des hommes à dépasser l’exploitation et la domination d’une classe sociale sur une autre. La disparition de Fidel Castro serait donc une confirmation de la mort de ce “communisme” après la chute du mur de Berlin en 1989 et la disparition de l’URSS en 1991. Au cours des années 1990, la bourgeoisie nous avait déjà servi la même soupe en claironnant la fin de l’histoire et la marche triomphale de l’humanité vers la démocratie et l’économie de marché. Bref, le bonheur à l’état pur ! Il va sans dire que l’histoire récente est venue bousculer quelque peu cet optimisme.

La bourgeoisie sait pertinemment que le régime castriste ne fut en rien communiste, que les classes sociales n’ont pas été abolies, que les moyens de production n’ont jamais été aux mains des producteurs mais ont servi à enrichir et entretenir une cour d’apparatchiks aux ordres du lider máximo, à la table duquel rien ne manquait à l’inverse de celle des habitants de Cuba. Comme l’URSS ou la République populaire de Chine en leur temps, Cuba reste un régime où les moyens de production sont concentrés presque totalement entre les mains de l’État. Ainsi, la “révolution” cubaine n’a jamais mis fin à la loi de la valeur ni à l’exploitation salariale. De même, Castro n’a jamais eu la volonté d’abolir l’État bourgeois. Au contraire, il l’a utilisé pour maintenir sa clique au pouvoir. Ainsi, derrière le mythe de “l’État ouvrier” se cache la réalité du capitalisme d’État, cette tendance propre à la décadence capitaliste identifiée au début du xxe siècle par d’authentiques révolutionnaires et qui n’a cessée de s’affirmer par la suite.

Fidel Castro ou l’antithèse du combat révolutionnaire

En réalité, le parcours de Fidel Castro n’a rien à voir avec le mouvement révolutionnaire. Fils illégitime d’un riche propriétaire terrien, il suivit une scolarité religieuse chez les maristes puis chez les jésuites et obtint les doctorats de droit et de sciences sociales en 1950. Durant ces années, il devient membre de la Fédération des étudiants de l’université, le syndicat gérant l’établissement. Puis en 1947, il adhéra au parti du peuple cubain, un parti ouvertement nationaliste. Il entama ensuite une carrière d’aventurier politique et de putschiste : tentative de renversement du dictateur Trujillo en Équateur en 1948, attaque de la caserne de la Moncada, le 26 juillet 1953, après s’être vu refuser le recours en justice qu’il avait déposé contre Batista pour viol de la Constitution. Après presque deux ans de prison, il est libéré et s’exile au Mexique où il rencontre Ernesto Guevara. Il part ensuite aux États-Unis où il récolte des fonds et crée le Mouvement du 26 juillet (M26). Il débarque à Cuba en décembre 1956 avec 82 hommes et engage une lutte armée contre le régime de Batista. Ce dernier était soutenu par les États-Unis, soucieux pour leurs intérêts commerciaux sur l’île et qui considéraient que le danger que pouvait faire peser le M26 sur le contrôle de cette région était maigre. Après trois ans de guérilla, Castro et ses partisans prennent le pouvoir au nom du “peuple cubain” sans que celui-ci n’ait joué un véritable rôle dans cette prétendue révolution. D’ailleurs, le Mouvement du 26 juillet ne s’est jamais revendiqué du marxisme et de la révolution communiste. Cette clique d’aventuriers agissait au nom du nationalisme et en cela, ils ne luttaient guère pour l’émancipation des travailleurs mais uniquement contre une dictature répressive et corrompue, étroitement liée à la mafia américaine et qui n’avait fait qu’accroître les inégalités sociales. En cela, le M26 ne mettait pas en péril la viabilité de l’État cubain mais visait uniquement à le remodeler sous une apparence plus “démocratique”.

Ainsi, le putsch castriste se distingue nettement de la prise du palais d’Hiver en Octobre 1917 en Russie qui eut au sein des soviets l’assentiment et l’adhésion de milliers d’ouvriers impliqués dans le combat révolutionnaire qui, dépassant le cadre de la Russie, se considéraient comme un premier assaut de la révolution à l’échelle mondiale. C’est une légère différence que les idéologues bourgeois ne jugent pas utile de souligner lorsqu’ils font de la “révolution cubaine” un héritage du mouvement ouvrier. Ainsi, même si quelques éléments du mouvement du 26 juillet se revendiquaient, comme Guevara, d’un prétendu marxisme, la grande majorité, à commencer par Castro lui-même, en était ouvertement très éloignée. D’ailleurs, une fois au pouvoir, Castro reçut l’aide des États-Unis qui, voyant en lui un “humaniste”, ne semblait pas au départ gêner leurs prétentions impérialistes sur l’île cubaine. Les relations furent de courte durée puisque Castro refusa de mettre l’île sous perfusion américaine. Mais dans un contexte de renforcement des blocs, toute véritable indépendance d’un pays tiers était impossible. Très rapidement, Castro dû se ranger dans le camp soviétique afin de s’assurer un appui économique et militaire. La conversion de l’État au socialisme et l’adhésion soudaine au “marxisme-léninisme” consacrait en fait le mécanisme d’absorption de chaque État par l’un des deux camps impérialistes. C’est ainsi que Fidel Castro devint un chef stalinien parmi tant d’autres à cette époque.

Le mythe de la libération nationale

La légende de Castro se forgea avec la guerre froide. Depuis les années 1950, le stalinisme se présentait comme le bloc “progressiste” et “anti-impérialiste” en soutenant les “luttes de libération nationale”, prétendu passage direct vers le socialisme. En réalité, il s’agissait d’affirmer une politique strictement impérialiste. Ainsi, dès 1961-1962, Cuba devient un pion de l’URSS dans le jeu impérialiste qui opposait les deux blocs. En échange d’une aide économique et d’une reconnaissance diplomatique en Amérique centrale et du sud, Cuba servit de sergent et d’ambassadeur impérialiste de l’URSS en Afrique. Des contingents cubains furent enrôlés en Éthiopie, au Mozambique, au Yémen, en Zambie et surtout en Angola ou près de 40 000 soldats cubains assurèrent l’arrivée au pouvoir du MPLA et l’instauration d’un régime pro-soviétique. Pendant que Castro devenait le héraut de la lutte anti-impérialiste, l’URSS continuait à placer sous son aile une partie de l’Afrique.

Mais le mythe de Castro ne serait peut-être pas ce qu’il est sans la figure tutélaire d’Ernesto Guevara. Ce dernier est très souvent présenté comme un révolutionnaire, un internationaliste et un marxiste. En réalité, sa trajectoire est assez proche de son acolyte cubain. Même si Ernesto Guevara a pu se montrer critique ou distant vis-à-vis de l’URSS (au profit de la Chine maoïste), il n’en demeure pas moins qu’à travers ses épopées guerrières, le “Che” a toujours servi non pas l’internationalisme mais “l’anti-impérialisme” américain. Dans le monde bipolaire de la guerre froide, cela ne pouvait que l’amener à défendre les intérêts du camp soviétique. En effet, l’action politique du “Che” n’allait pas plus loin que la lutte à mort contre l’Amérique, ce qui ne pouvait que l’amener à théoriser la lutte nationale comme nec plus ultra du combat révolutionnaire. Lors de son fameux message à la Tricontinentale 1, il fit de la libération nationale “l’élément fondamental” de la lutte contre l’impérialisme. Or, depuis le début de la guerre froide, l’histoire nous a prouvé que ces mouvements, dans différents pays sous-développés, n’ont servi à rien d’autre qu’à la passation du pouvoir d’une clique bourgeoise à une autre. L’impérialisme est une nécessité vitale pour chaque État, petit ou grand. Ainsi, sa négation réside dans la lutte internationale contre le capitalisme dans son ensemble. A ce jour, aucune autre force sociale que le prolétariat conscient de ses buts n’a la potentialité de réaliser cette énorme tâche.

La mort de Castro n’améliorera pas la vie des cubains

Les aficionados du lider máximo n’ont pas hésité à saluer les “bienfaits” du régime pour la population cubaine, une population qui serait bien soignée et bien éduquée. Certes, les services médicaux ont été un des piliers de la politique du régime et les médecins et infirmiers de l’île sont connus pour leur savoir-faire en la matière. De même, Cuba présente l’un des taux d’alphabétisation les plus élevés du monde. Mais, en fait, derrière ces “avancées” se cache la réalité d’une population qui vit toujours dans la terreur et la pauvreté. Jusqu’en 1990, le pays recevait des subventions de l’URSS. La chute de la puissance protectrice et le blocus américain ont montré la supercherie de “l’économie socialiste planifiée”. Sans son argent de poche, le régime dût faire face à de gros problèmes budgétaires qu’il fit peser sur la population par la hausse des impôts et la restriction en biens alimentaires. Aujourd’hui, le livret de fourniture mensuel se résume à cinq œufs, 460 grammes de haricots, 2 kilos de sucre, 225 grammes d’huile, 450 grammes de poulet, 3 kilos de riz, 115 grammes de café, un paquet de pâtes et 225 grammes de “viande” de soja. Cela ne cesse de diminuer et tout autre approvisionnement s’effectue au marché noir. Voilà à quoi en est réduit le régime : contraindre drastiquement ses exploités à la pénurie alimentaire et à la débrouille (pour ceux qui peuvent échanger en dollars) afin ne pas perdre la face.

En fait, l’économie cubaine est fortement dépendante du tourisme, du pétrole vénézuélien et des subsides envoyés par les exilés cubains. Par ailleurs, la production de canne à sucre, principal secteur d’exportation, connaît une crise sans précédent. On voit bien là que les espoirs de “l’économie socialiste” sont loin d’avoir tenus leurs promesses et l’impasse de l’économie cubaine ne fait que le confirmer. Le successeur de Fidel Castro (son frère Raúl) a amorcé une libéralisation progressive de l’économie du pays. Mais cela ne peut qu’encourager la corruption, déjà prégnante dans plusieurs secteurs de l’État, ainsi que le développement d’un “capitalisme sauvage” qui soumettra la classe ouvrière à des conditions de travail et d’existence encore plus difficiles.

Le régime cubain doit gérer la succession de Castro face à une population jeune qui s’identifie peu à “l’héritage socialiste”. Raúl Castro a annoncé qu’il quitterait le pouvoir en 2018 et prévoit de mettre aux commandes Miguel Díaz-Canel qui incarne la jeune génération. Face au risque de naufrage économique, la bourgeoisie cubaine ne peut faire que s’ouvrir au marché mondial et alléger le poids de l’État dans le marché interne. Mais sur le long terme, cela pourrait amener à remettre en cause des décennies de propagande et prendre le risque de mettre en péril le “régime socialiste” à parti unique.

Joffrey, 1er décembre 2016

 

1 La Conférence de solidarité avec les peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine eut lieu du 3 au 15 janvier 1966 à La Havane. Elle incarne le fameux mouvement tiers-mondiste. Mais les différentes décisions prises lors de cette conférence ne visaient qu’à soutenir le camp soviétique en désignant l’impérialisme américain comme le principal ennemi.

 

 

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60 ans de castrisme à Cuba