Courrier de lecteur: à Nairobi, l'impérialisme génère la barbarie

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Nous publions ci-dessous l'article d'un de nos sympathisants proches. L'article porte sur l'attaque du centre commercial Westgate de Nairobi au Kenya. Cet article est documenté, marqué par une indignation forte et une révulsion que nous partageons. Son souci d'adopter une démarche historique et d'inscrire les événements tragiques qui se sont déroulés dans un cadre international donne des clés pour une compréhension élargie. C'est ce qui permet de bien souligner l'importance stratégique de la région, de porter un éclairage sur l'implication barbare des grandes puissances et la dynamique du chaos. Ce chaos, comme le démontre le camarade, est celui de la phase ultime de la décadence du système capitaliste : une phase de décomposition qui n'offre comme avenir à l'humanité que l'exploitation forcenée, du sang, des destructions et des massacres.

"Quel est le nom de la mère de Mahomet ?" demandaient les combattants d’al-Shabab aux pauvres personnes innocentes faisant leurs courses ? Et lorsque la réponse ne venait pas, hommes, femmes et enfants étaient alignés et exécutés. Voilà la logique tordue, dépravée et horrible de ces fanatiques religieux ! Même confrontés aux horreurs absolues et quotidiennes du capitalisme en décomposition, de tels événements choquent et donnent la nausée. Le fait d’être exécuté par des membres de al-Shabab (qui semblent venir du Kenya, de la Somalie ou de plus loin encore) parce qu’on ne connaît pas le nom de la mère de Mahomet ou qu’on n’est pas capable de citer le Coran, montre la profondeur de la dépravation abominable que le capitalisme nous sert sur un plateau.1

Mais les terroristes d’al-Shabab, à l’instar des terroristes qui ont attaqué l’usine de gaz d’Ain Amenas en Algérie en janvier dernier, tuant 38 personnes, ont choisi leur cible soigneusement. Nairobi se trouve dans la partie de l’Afrique de l’Est qui est la plus dynamique, pleine de touristes occidentaux, centre d’activités avec des intérêts d’affaires à la fois régionaux et internationaux, des agences diplomatiques, militaires, d’espionnage et des opérations humanitaires. A partir de là, il ne fait aucun doute que l’importance de la couverture médiatique en Grande-Bretagne à propos de l’attaque des militants d’al-Shabab sur le centre commercial de Nairobi est le reflet du nombre de victimes occidentales.2 Le nombre de personnes touchées, au moins 70 tués et peut-être 200 personnes encore manquantes, correspond au nombre quotidien de victimes et blessés dans les attaques terroristes en Irak, au nombre des attaques moins fréquentes mais régulières qui ont lieu au Pakistan, sans parler des assassinats et destructions quotidiens qui ont lieu en Syrie, dénoncés par la dénommée "Communauté internationale". Mais cela ne diminue aucunement l’horreur perpétrée à Westgate, où des hommes, des femmes et des enfants, ainsi que 200 travailleurs, dans un environnement qui était censé être sécurisé et bienveillant, ont été soudain confrontés à l’irruption effrayante et terrorisante d’un déferlement des forces de l’enfer.

Cette attaque démontre finalement comment la "Guerre contre la terrorisme" produit elle-même la généralisation de la terreur, des terroristes et du terrorisme. C’est un exemple supplémentaire de comment la politique des Clinton, Bush et Obama, de l’impérialisme américain notamment, contribue directement à aggraver et à étendre les vrais problèmes que cette politique est censée contenir. A ce niveau, cet événement illustre également le développement de la faiblesse historique de l’impérialisme américain, malgré son statut incontestable de première puissance militaire mondiale. Toute la région autour de la Corne de l’Afrique et plus au Sud, en Afrique Centrale, est un champ de bataille impérialiste et comprend de nombreuses bases et des forces spéciales des pays occidentaux, des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France et d’Israël en particulier. Etant donné son importance stratégique, cette région doit être parmi les plus surveillées et pistées. Malgré cela, les forces de répression ont été incapables d’intercepter ou d’arrêter cette attaque féroce et bien organisée. Les officiels de la sécurité, anglais et américains, suggèrent maintenant qu’ils savaient qu’une attaque était en préparation mais pas exactement dans quel endroit. Cependant, quiconque avait des intérêts dans la région devait savoir cela. Il ne fait aucun doute que les forces de sécurité kényanes sont incompétentes et corrompues, davantage intéressées à se remplir les poches ! Fondamentalement, elles restent les pâles images de leurs homologues occidentaux plus efficacement gratifiés.

La responsabilité de la dévastation de toute la région autour de la Somalie et la montée de forces toujours plus irrationnelles incombe fondamentalement aux principaux impérialismes, dont les actions et incursions fréquentes contribuent à l’instabilité et au chaos grandissants qui appellent à leur tour d’autres actions et incursions qui contribuent encore plus au chaos et à l’instabilité… Et on assiste à une fuite en avant dans une spirale sans fin. Bien sûr, ce sont majoritairement les pauvres et les masses qui paient. Il y a environ un demi-million de réfugiés somaliens parqués comme du bétail dans le plus grand camp de réfugiés du monde, ainsi qu’environ cinq cent mille personnes à l’extérieur. Sur ce sujet, les ONG, habituellement optimistes, estiment que la situation est sans espoir. En plus de la misère, de la famine, des privations et de la pauvreté dans la région, il y a la corruption de la bourgeoisie locale et les bases des forces spéciales occidentales hérissées des dernières armes et technologies de pointe. Les Etats-Unis ont installé leur "Poste de commandement africain" au Kenya, appuyés par les forces spéciales et les services de renseignements de la Grande-Bretagne et d’Israël.

Obama a dit, le 23 septembre, qu’il était chargé de "démanteler ces centres (terroristes) de destruction". Mais le fait est que, dans le contexte des conditions générales de décomposition du capitalisme, négocier avec les terroristes accroît la tendance à la décomposition. Les actions entreprises par Obama élargissent le problème et favorisent l’enrôlement d’un courant grossissant de recrues, au niveau local et international, pour la cause djihadiste. Depuis l’opération "Restaurer l’espoir" et la bataille de Mogadiscio en 1993, où les forces américaines ont dû battre en retraite, l’instabilité grandissante s’est étendue à toute la région. Même quand il y avait une apparence de relative stabilité dans le gouvernement somalien, avec le parti modéré Islamic Court Union (ICU), il y a quelques années, ces espoirs ont été balayés par la contre-offensive américaine qui a financé l’invasion de la Somalie par l’armée éthiopienne en décembre 2006. Puis, les Britanniques et les Américains financèrent le camp de l’Union Africaine, ce qui entraîna la chute de l’ICU, la mise en place de la mascarade du "Gouvernement fédéral de transition" (maintenant "Gouvernement fédéral de Somalie", financé par les Etats-Unis). Ceci à son tour provoqua la descente dans un chaos grandissant et la montée en puissance d’al-Shabab. Jusqu’alors, cette organisation était un mouvement hybride, objet de luttes intestines, ce qu’elle est toujours jusqu’à un certain point, et il était difficile de trouver des recrues en Somalie ; al-Shabab a été souvent réduit à enrôler de force ou à soudoyer de jeunes chômeurs pour augmenter ses effectifs. La pénurie de cibles pro-occidentales en Somalie et l’implication de l’Ouganda et du Kenya dans l’armée de l’Union Africaine (African union MIssion in SOMalia) envoyée en Somalie, en même temps que des drones américains, pour mettre ces rebelles en déroute, ont permis à al-Shabab de mener deux attaques en Ouganda en 2010 : contre des personnes regardant à l’extérieur les matches de la coupe du monde de football (tuant plus de 70 personnes et en blessant des centaines d’autres), et une précédente attaque frontalière contre l’armée kényane (il y en a eu deux de plus ces derniers jours), puis l’atrocité de Westgate. Le groupe al-Shabab, issu d’une aile islamique modérée, a évolué vers un statut d’intermédiaire impitoyable affilié à l’équipe de "combat total" al-Qaïda qui, d’après les agences de renseignement occidentales, a attiré un nombre considérable de combattants étrangers, particulièrement américains et anglais, avec une circulation facile à travers les frontières de l’Ouest et un accès possible aux cibles occidentales. Paradoxalement, cette menace deviendra encore plus grande si al-Shabab est défait en Somalie.

La plus grande partie du financement d’al-Shabab provient directement de l’Arabie Saoudite et d’autres Etats du Golfe. (…) Mais al-Shabab a sa propre activité lucrative dans le commerce de charbon et les revenus des ports somaliens. Ses membres ne semblent pas avoir été compromis dans les actes de piraterie qui se répandent inexorablement dans les eaux somaliennes et qui semblent être le fait de pêcheurs paupérisés et de gangsters locaux. Mais cela n’a pas empêché ces eaux de devenir une mer militaire, avec des bateaux de guerre en provenance de toute l’Europe, de la Chine, de la Russie, de l’OTAN et d’Inde, tous en concurrence. De toutes façons, al-Shabab a été chassé des ports de Mogadiscio et de Somalie depuis 2011. Le groupe d’observation de l’ONU en Somalie estimait qu’en 2011, avant que la plus grande partie des forces kényanes ne le leur prennent, al-Shabab gagnait 50 millions de dollars par an grâce à l’activité du port somalien de Kismayo (Bloomberg, 22/09/13). Après que les Kényans se soient emparés de ce port dans lequel, comme en écho aux tractations économiques du régime d’Assad avec al-Nusra, les autorités kényanes continuent à travailler avec des contacts d’al-Shabab qui ont subsisté afin que l’argent continue à affluer, selon plusieurs rapports. Mais les rebelles ont seulement ressenti de l’amertume suite à la prise de Kismayo et de ses richesses par l’impérialisme kényan et ils ont promis des représailles qu'ils ont finalement infligées, dans la logique inhumaine de la guerre impérialiste.

Le régime kényan du Président Uhuru Kenyatta a récemment été en mauvais termes avec la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, qui ont critiqué son rapport à la question des Droits de l’Homme et l’ont lâché politiquement, pendant que la coopération militaire et de renseignement se poursuivait. Mais le régime kényan a joué la carte chinoise, réactivant les relations avec Pékin et obligeant Washington et Londres à revenir à un plein soutien au régime. Kenyatta et le vice-président, William Ruto, ont tous les deux été poursuivis par la Cour pénale internationale de la Haye pour encouragement au meurtre, viols, déportations et persécutions à l'occasion de l'offensive de leurs troupes sur la population au moment des élections au Kenya, il y a six ans. Les chiffres officiels de cette terreur démocratique flagrante furent de 1100 morts, des dizaines de blessés et environ 250 000 personnes déplacées. Kenyatta et Ruto ont maintenant été relaxés par la Cour afin de pouvoir aider leur pays !

Plusieurs rapports sur l’incompétence des forces de sécurité dans la gestion de l’attaque de Nairobi ont été publiés. Il est vrai que l’incompétence va de pair avec la corruption et le gangstérisme qui sont le cachet des hommes politiques de la région. Premièrement, la police a été critiquée sur la scène de Westgate pour ne pas avoir su quoi faire, mais ces officiers de police lents n’auraient pas dû être présents normalement dans ce centre commercial haut de gamme. Les forces de sécurité kényanes sont alors arrivées et, selon certains rapports, ont commencé à tirer dans tous les sens et on peut imaginer la panique des gens innocents qui étaient présents. Alors, les régiments lourds des commandos américains et israéliens sont entrés en scène ; des explosions ont suivi, dont on ne sait pas qui les a provoquées, le plafond de l’immeuble s'est effondré, écrasant un nombre incalculable de personnes.

Ce qui risque de se produire maintenant, à part les pogroms et le harcèlement contre la population somalienne au Kenya, est une réponse énergique de l’armée kényane contre les dernières positions d’al-Shabab en Somalie. Comme il a été dit plus haut, cela pourrait être la plus mauvaise option, dispersant les djihadistes étrangers tout autour et vers leur pays d’origine pour préparer une revanche ultérieure. La perspective d’attaques sur le modèle de celle de Boston est à la fois le cauchemar et la création des régimes occidentaux. Cette région d’Afrique, dans et autour de la vallée du Rift, est le berceau de l’Humanité. C’est l’endroit à partir duquel nos ancêtres ont commencé leur lutte pour la survie contre tous les dangers. Aujourd’hui, en même temps que les champs de bataille permanents et dépravés de la République démocratique du Congo où des enfants-soldats, des viols de masse, des seigneurs de guerre, l’irrationalisme religieux et la désintégration sont négligés et manipulés par les pouvoirs des pays centraux, la région entière devient de plus en plus une zone de non-droit impérialiste où toutes les atrocités sont possibles, un vrai creuset de la barbarie capitaliste.

Baboon (28 septembre)

 

1 La droite anti-musulmane du site Internet américain Atlas Shugs dénonce les musulmans présents qui n’ont pas donné les bonnes réponses aux questions posées par les terroristes aux non-musulmans. Comme si n’importe qui était censé répondre à un questionnaire religieux dont le prix est la vie ou la mort ! Mais une telle aberration n’est qu’un voile qui cache le message mensonger : musulman = terroriste, un sentiment qui est propagé d’une manière plus subtile par les grands médias.

2 La semaine qui a suivi Westgate, les tueurs du groupe terroriste Boko Haram assassinèrent 50 étudiants dans leur lit, dans un collège agricole du Nigeria, pour le crime consistant à poursuivre des études sur le modèle occidental ; il n’est pas certain que les morts, dans cette affaire et dans des affaires similaires, fassent l’objet d’une couverture médiatique importante comme Westgate.

 

 

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Conflits impérialistes