Accident ferroviaire en Espagne : le capitalisme tue

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Cet été s’est produite une spectaculaire série d’accidents ferroviaires à travers le monde. En Inde, le réseau ferré est dans un tel état que les accidents mortels sont pratiquement quotidiens (300 par an en moyenne) ; 37 pèlerins hindous ont par exemple étaient fauchés le 19 août. Au Mexique aussi de tels drames sont récurrents ; il en a été ainsi le 25 août où un train de marchandises appelé « La bête », car servant chaque jour de moyen de transport clandestin à tous ceux migrants vers les Etats-Unis, a déraillé et fait six victimes. Dans ces pays, les infrastructures sont totalement délabrées. Mais avec l’aggravation de la crise et les « nécessaires plans d’économie » qui se multiplient partout, ce sont tous les pays qui voient les investissements dans la sécurité être rognées et, par là-même, les risques croître. La collision de deux trains en Suisse, le déraillement d’un train en pleine gare d’une ville de banlieue parisienne en France, l’explosion d’un convoi pétrolier rayant de la carte le centre ville de Lac-Mégantic au Canada, la sortie de voie d’un train à grande vitesse en Espagne – soit près de deux cents morts au cours du seul mois de juillet – révèlent la gravité de la situation, cette tendance lourde du capitalisme à sacrifier de plus en plus de vies sur l’autel de la sacro-sainte rentabilité.

Dans ce cadre, nous publions ci-dessous de larges extraits d’un article d’Accion Proletaria, organe de presse du CCI en Espagne, qui traite de l’accident ayant eu lieu près de Saint-Jacques de Compostelle. Ce texte dénonce non pas tel ou tel conducteur, tel ou tel technicien, tel ou tel individu mais au contraire l’ensemble du système capitaliste comme responsable de toutes ces morts inutiles, évitables et révoltantes.

L’enquête parlementaire sur l’accident qui s’est produit le 24 juillet à Angrois dans la banlieue de Saint-Jacques de Compostelle (Galice, Espagne) conclut en fait que ce fut une tragédie imprévisible. Mensonges !

Les entreprises et l’État, en tant que propriétaire collectif et régulateur de la production nationale dans chaque pays, font tout leur possible pour réduire les coûts, main d’œuvre comprise, en faisant travailler plus vite et davantage les ouvriers, en les payant le moins possible. Ils essayent d’escamoter au maximum tout ce qui, du point de vue du profit, est considéré comme dépenses superflues malgré les conséquences énormes que cela entraîne pour l’environnement et la sécurité. La crise historique qui dure déjà depuis plus de 100 ans et qui s’est accélérée depuis les années 1970 exacerbe la concurrence ; la lutte à mort pour les marchés impose aujourd’hui une surexploitation sans merci des travailleurs et des coupes sombres dans les dépenses de maintenance et de sécurité. Voilà les véritables données Voilà les véritables données à prendre en compte pour examiner le virage d’A Grandeira1.

Le “facteur humain”: commode bouc-émissaire pour légitimer le fonctionnement capitaliste

Les Trains à Grande Vitesse ne sont pas à mettre en cause” (Directeur de RENFE2), “les voies et les signalisations sont conformes aux normes techniques en vigueur ” (ADIF), “la cause fondamentale de l’accident est l’erreur humaine” (ce que disent tous les groupes parlementaires ainsi que les média).

Cette sorte de criminalisation du conducteur du train, comme ce fut le cas pour le chauffeur du métro de Valence, afin de « sauver » la compétitivité et le crédit des chemins de fer espagnols qui ont des contrats en cours en Arabie Saoudite et au Brésil, menacés par la concurrence allemande et française, ne peut que provoquer nausée et indignation morale.

À cette campagne ignoble de diabolisation participent toutes les composantes de l’État bourgeois, à commencer par l’ensemble des groupes parlementaires, les uns s'affichant comme les champions de “la défense des services publics” avec un semblant de solidarité formelle envers avec les cheminots, comme la coalition IU ou l’UPD, les autres avec moins de scrupules ouvriéristes, étant donné qu’ils sont impliqués directement dans quelques-unes des décisions concernant les infrastructures ferroviaires et “frisent” la responsabilité légale, tel que le PSOE ou le PP3. Mais les média, eux aussi, se partagent et jouent leur rôle : Radio Nationale d’Espagne (RNE) sonnant la charge sans retenue contre le conducteur et la SER (radio privée pro-PSOE) très cyniquement compréhensive vis-à-vis de « l’erreur humaine ».

Parce que, automatiquement, la « faute » du chauffeur équivaut à une déclaration d’innocence de l’État bourgeois : c’est lui le responsable; non pas les voies, ni le manque de systèmes de sécurité, ni les terribles conditions de travail.

Comme dans les romans de Dostoïevski où l’assassin est en réalité une victime sociale, le machiniste du train Alvia est la victime des conditions de travail et de surexploitation qui exigent des travailleurs une tension psychique et physique insupportable, ainsi que l’ont reconnu les experts en psychologie, des horaires à rallonges et variables, qui rendent difficile un sommeil régulier et le maintien d’une vie sociale avec la famille et les amis. Parce que les coupes décidées, cautionnées toujours par des rapports techniques et souvent avec le plein accord de ces “défenseurs des travailleurs” qui, lorsqu’ils sont dans le gouvernement imposent des reformes du travail, et quand ils sont dans l’opposition poussent de hauts cris avant de les accepter, ont réduit les effectifs à un seul chauffeur par train (au lieu de deux auparavant), obligé d’écraser tout le temps la pédale (qui porte le sinistre nom de “l’homme mort”) pour ainsi signaler qu’il n’a pas eu de malaise, tout en surveillant attentivement les panneaux de signalisation et en regardant sa feuille de route.

Le prétendu si « solidaire » et « combatif » syndicat des machinistes, auquel appartenait ce conducteur, s’est déclaré satisfait par la proposition de durcir encore plus les conditions de travail, sous couvert de tests psychologiques et d'épreuves d’aptitude régulières, visant surtout les plus âgés, venant s’emboîter parfaitement, telle une pièce d’un puzzle, dans l’ensemble des attaques que la réforme du travail assène à la tranche d’ouvriers âgés entre 50 et 60 ans.

Et les victimes ?

La cynique campagne étatique essaye d’opposer les victimes et leur famille au conducteur, d’opposer, en fait, la population aux travailleurs, alors que le vrai conflit est celui qui oppose l’État bourgeois aux travailleurs et à la population en général.

Malgré toutes les larmes de crocodile versées par les politiciens bourgeois, dans les calculs de la production capitaliste, concrétisés dans la législation de l’État, les vies des voyageurs du train ne valent pas plus que les économies en coûts de production dans les lignes à grande vitesse et pour leur maintenance. «Tout ce qui ne démontre pas son utilité sociale immédiate dans le marché n’a pas de valeur et est oublié»4.

Les passagers qui, “le jour d’après ”, pour cause de campagne idéologique ont leur nom, leur prénom et leur histoire personnelle dans les journaux, “le jour d’avant”, n’étaient qu’un chiffre, faisant partie du froid calcul en dépenses comparatives relatives aux différents systèmes de freinage. Et, comme lors des accidents du métro de Valence et de Spanair à Barajas, la fausse solidarité des représentants de l’État avec les subventions ou les misérables réparations en dommages accordés, partiront en fumée dans peu de temps, parce que dans le capitalisme il n’y a pas de place pour le deuil.

La fausse solidarité

En réalité, le déversement médiatique d’une fausse solidarité pré-conditionnée et pré-emballée n’a même pas permis que la véritable solidarité spontanée de la population et des travailleurs puisse s’exprimer.

Juste après l’accident, la population d’Angrois est venue spontanément porter secours aux victimes, en ouvrant les maisons pour accueillir les blessés, en allant donner du sang, des pompiers ont annulé leur grève pour réaliser leur travail de sauvetage et les travailleurs de la santé de l’hôpital de Saint-Jacques qui étaient en vacances ou en congé se sont présentés spontanément sur leur lieu de travail. Comme dans d’autres événements (par exemple le 11 mars 2004 à Madrid), ces initiatives sont l’expression de la solidarité spontanée de la population et de la classe ouvrière.

Mais de suite se sont enclenchés les rouages de la machinerie médiatique de la fausse solidarité d’État, transformant tout ce qu’elle touchait en hypocrisie et cynisme. La saine réponse humaine qui renforce le sens spontané du collectif, où chacun prend librement la décision de s’impliquer et donner le meilleur de lui-même, qui s’inspire, en fin de compte, des moments de lutte sociale, de créativité des masses, on essaye de la présenter comme son contraire, comme l’expression d’une “citoyenneté”, qui n’est pas autre chose que l’encadrement de tout un chacun dans l’isolement, dans ses devoirs et obligations envers l’État. Et c’est ainsi qu’on essaye de transformer un mouvement spontané qui brise le joug du totalitarisme de l’Etat et qui exprime les potentialités d’une nouvelle société vraiment humaine, en une réaffirmation des misères de la société bourgeoise.

Il est aussi répugnant qu’on ait essayé de rallier sous les drapeaux de la Xunta (le gouvernement galicien) une initiative sociale qui permet de dépasser les divisions corporatistes et les séparations nationales.

Cette fausse solidarité, non seulement ne transmet pas un véritable sentiment de soutien aux victimes et aux familles, mais les soumet à la même violence de l’exploitation capitaliste qui se trouve, en dernier ressort, à l’origine de l’accident. Mais elle sert surtout à démobiliser pour éviter de remonter jusqu’à l’analyse de ce qui est arrivé et à celle de ses causes réelles et des moyens pour pouvoir lutter contre elles.

Pour notre part, avec cette prise de position, nous voulons exprimer notre plus profonde solidarité avec toutes les victimes, celles de l’accident et leurs familles, le conducteur du train. Nous voulons ainsi contribuer, dans la mesure de nos possibilités, à la lutte contre le capitalisme pour que l'exploitation de la force de travail et les causes de tels accidents disparaissent enfin.

D'après Acción Proletaria, organe du CCI en Espagne (19 août)

 

1Nom du virage de la voie ferrée près de Saint Jacques de Compostelle où l’accident a eu lieu et qu’on a pu voir jusqu’à satiété sur les écrans de téle [NdT].

2 La RENFE est la SNCF espagnole et l’ADIF correspond au Réseau Ferré de France.

3Le Parti Populaire (PP, droite) est au gouvernement en Espagne depuis début 2012, à la suite du Parti Socialiste (PSOE) au pouvoir entre 2004 à 2011. Izquierda Unida est une coalition du type Front de Gauche, dont l’ancien parti stalinien est la colonne vertébrale. L’UPD est un petit parti centriste.

4 Adorno, Dialectique de la Raison

 

 

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Décomposition du capitalisme