Macron tient ses promesses, des promesses martelées tout au long de sa campagne électorale, appliquées depuis sans vergogne et à un train d’enfer. Dès la rentrée, le gouvernement réaffirmait sa volonté d’adopter de nouvelles “réformes” promises par le candidat Macron. Seul bémol, ces promesses ne sont pas celles du “vent du renouveau” promis sur le plan politique ou social, celles de la croissance retrouvée, de la baisse spectaculaire du chômage et des impôts, de l’augmentation du pouvoir d’achat, d’un plus grand dynamisme dans la vie sociale et le fonctionnement de l’État. Les promesses appliquées sont celles qu’il a faites à la classe dominante et à l’État, celles d’assumer les réformes économiques et sociales nécessaires pour préserver les profits et la compétitivité du capital national.
L’arsenal engagé contre les conditions de vie de la classe ouvrière ne fait pas dans la dentelle : assurance chômage, réforme des retraites, santé, fonction publique, formation professionnelle, éducation, tout y passe avec un objectif clairement affiché : faire des économies, rentabiliser les services, précariser les revenus… Ces attaques engagées dès l’année dernière avec les ordonnances Macron réformant le Code du travail, la réforme de la SNCF, le “plan Santé”, la suppression des emplois aidés, l’augmentation de la CSG (la liste n’est pas exhaustive), doivent désormais passer à la vitesse supérieure. Le gouvernement entend bien les assumer frontalement contre tous les exploités, actifs, retraités ou en devenir, au nom du “renouveau”.
Si une partie de la classe ouvrière a pu s’illusionner un moment, non sur des lendemains qui chantent, mais sur au moins quelques bouffées d’oxygène dans la vie (sinon la survie) au quotidien, le principe de réalité a violemment repris ses droits. D’autant plus quand les comportements claniques et de malfrats (comme avec l’affaire Benalla) deviennent la toile de fond de la prétendue nouvelle pratique du pouvoir.
Entre les pratiques douteuses mises en lumière par l’affaire Benalla et la perte de crédit de l’image présidentielle voulue charismatique et providentielle, la situation aux plus hauts sommets de l’État s’est fortement dégradée. Cela s’est exprimé dans les sondages, bien sûr, mais surtout dans les propres rangs de LREM, particulièrement dans la garde rapprochée de Macron lui-même. Cette tourmente au cœur du pouvoir a révélé combien les appuis et “amis” du président, roublards en diable et pourtant bien naïfs, s’étaient illusionnés eux-mêmes sur la capacité de ce nouveau Président à bousculer les vieilles structures étatiques et politiques. Finalement, les habitudes “monarchiques” de la Ve République restent d’actualité, en plus outrancier qu’auparavant. De même, les soutiens que Macron s’était forgé comme autant de garanties au succès de sa démarche “rénovatrice”, auxquels il s’accrochait comme à des bouées pour justifier le bien-fondé de sa démarche, se sont révélés parfois véreux dès le départ ou se sont avérés des soutiens conditionnels qui, à la première occasion, fuient le navire avec précipitation pour ne pas sombrer avec le capitaine Macron. De Nicolas Hulot à Gérard Collomb en passant par Laura Flessel, ces pointures aux dents longues du show-business ou de la politique ont d’autres ambitions que d’apparaître comme de vulgaires pantins du pouvoir au risque de se retrouver eux-mêmes définitivement plombés sur la scène politique.
Surtout, ces démissions sont autant de signes que ces ministres ne veulent en aucun cas être associés à la manière de mener les nouvelles attaques sociales. Des pointures aux petits pieds, tout comme en son temps, le ministre du Travail, Rebsamen, n’avait pas voulu assumer la responsabilité de la Loi Travail, laissant la place au fusible Myriam El Khomri pour prendre en charge cette attaque cinglante, ces ministres démissionnaires préfèrent retrouver un statut de “Monsieur Propre” : règne sans partage sur une municipalité pour l’un, icône écologique pour l’autre, et assumer peut-être un rôle “oppositionnel” crédible face aux attaques à venir.
Un des rares organismes à applaudir la Macronie, pour l’instant, est le FMI qui accorde son satisfecit à l’élève Macron même si ce dernier “peut mieux faire”. En fidèle serviteur bourgeois, le Président se doit d’être exemplaire dans le maintien du cap de réformes drastiques. Les attaques vont donc se poursuivre et s’accélérer. Sur ce plan, on peut effectivement lui faire confiance. Mais à plus long terme, la bourgeoisie va être confrontée à un problème épineux qui pourrait avoir des effets préjudiciables sur les rouages de l’appareil politique : un pouvoir en place dont la popularité désastreuse est loin de s’améliorer, une opposition qui, pour le moment, est inexistante et le spectre du parti populiste qui, bien qu’étant lui même en difficulté, peut revenir sur le devant de la scène et rendre la situation encore plus compliquée qu’elle ne l’est.
Concernant les retraites : le gouvernement travaille à remettre à plat les 37 systèmes de retraites français, réforme sur laquelle tous les gouvernements précédents se sont cassés les dents et qui est censée être adoptée avant l’été 2019. Dans le collimateur : tous les régimes spéciaux, notamment ceux des fonctionnaires. Le sujet est extrêmement sensible et le gouvernement dit “vouloir se laisser le temps”… jusqu’à la fin 2018 ! C’est sans compter sur la baisse déjà adoptée des pensions de retraite puisque, si l’âge légal de départ ne change pas, le nombre de trimestres nécessaires pour une retraite à taux plein a déjà augmenté. Tout cela sans parler de la nouvelle hausse de la CSG affectant les pensions et de l’éventuelle baisse du point d’indice, aujourd’hui murmurée mais qui annonce la couleur. Pour ceux qui auraient réussi à cotiser pour une retraite complémentaire permettant de mettre un peu de beurre dans les épinards de leurs vieux jours, c’est carrément un malus de 10 % pendant trois ans sur cette complémentaire qui sera appliqué !
La réforme de la fonction publique ? Macron veut tenir ses promesses de suppression de 120 000 postes. Ce grand ménage est déjà engagé avec la suppression des emplois aidés. Le “dégraissage du mammouth” (dixit le ministre du PS, Claude Allègre, en son temps) doit se poursuivre dans tous les services de l’État, les collectivités territoriales, hormis les forces de répression, bien sûr, qui, elles, seront mises de plus en plus à contribution pour, nous dit-on, sécuriser la société et même l’école ! Il s’agit plus sûrement de nous faire entendre raison dans la rue et réprimer quand nous refusons l’inacceptable !
Si l’incitation aux départs volontaires ou l’aide à la reconversion dans la fonction publique sont de mise pour l’instant, le gouvernement ne cache pas pour autant sa plus vaste volonté de contractualiser l’ensemble de la fonction publique : à savoir la fin de la garantie de l’emploi pour tous les fonctionnaires et la rémunération “au mérite”. On pourra travailler pour l’État 5, 10 ou 15 ans et se retrouver à la rue dès la fin du contrat : la précarisation de l’emploi public tel que tous les gouvernements en ont rêvé.
Autres chantiers allant dans le sens d’une modernisation du capital national : la réforme de la formation professionnelle, de l’apprentissage et de l’assurance-chômage. Tout doit être mis en œuvre pour permettre de mieux “aligner” les compétences des actifs et des jeunes avec les besoins en qualification des entreprises. En clair : ne cherche plus de travail, laisse le travail te choisir ! Tu ne trouves pas de boulot dans ta branche ? “Traverse la rue” (selon les propos mêmes de Macron) et trouve un job ailleurs. De cette flexibilité dépendra d’ailleurs le niveau de ton salaire ou de ton indemnisation par l’assurance-chômage. La créativité gouvernementale au service de l’emploi ? C’est carrément une déclaration de guerre ouverte faite à la classe ouvrière !
Au nom de la “modernisation”, en fait celle de l’exploitation, le capital a toujours su justifier l’injustifiable et précariser les conditions de vie du prolétariat pour une rentabilité maximum de l’appareil productif. L’État, loin d’être à la remorque du “grand patronat”, souvent présenté comme le “donneur d’ordres” pour asséner les attaques, est en réalité le maître d’œuvre qui impose ses diktats économiques et sociaux à l’ensemble de la société et qui, pour ce faire, montre l’exemple.
Le prétendu Plan “anti-pauvreté” ? Pour cause de Coupe du monde de football, la réforme fut repoussée à cet automne. Il ne fallait pas gâcher la fête ! En effet, le sujet, lui aussi est sensible. Alors que Macron, des trémolos dans la voix, s’engageait en juillet à attaquer le “mal à la racine”, il déclare que “la stratégie de lutte contre la pauvreté ne se contentera pas de proposer une politique de redistribution classique et d’accompagnement social. Non pas de nouvelles aides, en solde de tout compte mais un accompagnement réel vers l’activité”. En clair, cela signifie qu’il ne s’agit plus d’entretenir et d’accorder des minima de survie aux pauvres sans emploi mais les inciter à “retrouver la vie active”, sous peine de suppression des aides sociales.
Outre l’attaque directe et frontale qu’ils sous-tendent, les propos de Macron sont une insulte faite aux prolétaires : non seulement ils sont rejetés par le capital, exploités jusqu’à l’os, mais également rendus coupables de leur situation et traités en parias. On retrouve chez Macron, avec des mots plus ampoulés, le même mépris et la même façon de leur cracher au visage que chez les chantres du populisme, comme Marine Le Pen, la même volonté de les rejeter et de les exclure en les désignant comme des “parasites” de la société et des “profiteurs”.
Nous pourrions poursuivre la liste de toutes les attaques en cours, celles sur les augmentations en série du prix de l’énergie, des transports, des contrôles techniques sur les véhicules, des assurances… tout cela au nom du combat écologique, de la santé, de la sécurité routière et de la solidarité. Ne pas y souscrire serait donc être irresponsable et égoïste. Après le mépris et l’hypocrisie, persiste toujours la logique de culpabilité.
Il en est de même vis-à-vis de la politique d’immigration, de la répression directe et du rejet planifié de tous ces prolétaires chassés par la guerre et la barbarie. Ils ont risqué leur peau mille fois avant d’arriver en Europe et la réponse du pouvoir, en France comme ailleurs, c’est : “dehors” ! La réforme gouvernementale sur ce plan est une variante subtile des différents “murs” contre l’immigration, administratifs ou physiques, que mettent en place tous les États. Que l’on ne s’avise pas de soutenir, accueillir, aider un de ces prolétaires exilés : cette solidarité est considérée comme un délit et réprimé comme tel ! Le gouvernement n’hésite donc pas à assumer des politiques ouvertement réactionnaires afin de ne pas laisser le champ libre au populisme.
Ces coups assénés aujourd’hui et demain ne sont pas acceptables et la colère va maintenant grandissante, au-delà d’un simple mécontentement passager.(1) On l’a vu au printemps avec le mouvement de lutte à la SNCF et l’attaque frontale contre le statut et les conditions de vie des cheminots. L’échec de la lutte, son isolement, le pourrissement de celle-ci entretenu sciemment par les syndicats et le pouvoir pendant de très longues semaines, n’a pas abouti à la démoralisation générale et au sentiment d’impuissance espérés par la bourgeoisie pour préparer les attaques en cours.
La colère ouvrière est bien présente même si elle s’exprime difficilement ; souvent de manière éparpillée et isolée. Ce fut le cas lors de la journée d’action du 9 octobre où le besoin de lutter s’est fait sentir, mais où l’expectative sur la manière de procéder a abouti à défiler sagement derrière les syndicats, sans remise en cause générale du cloisonnement de la lutte, sans possibilité réelle de discuter des perspectives.
Quelques minorités d’ouvriers, comme le collectif ouvrier de Nantes,(2) et sûrement quelques autres, tentent de réfléchir, en tirant le bilan de la lutte SNCF, par exemple, en refusant la “fatalité” de l’échec, refusant le sabotage syndical et tentant de poser des questions plus larges pour la lutte, pour la transformation de la société. Ces minorités expriment de façon embryonnaire les potentialités de lutte de la classe ouvrière qui réagit encore avec difficulté mais ne veut plus baisser la tête.
La bourgeoisie le sait pertinemment et n’a en aucun cas déclaré forfait. Au contraire, elle a tiré le bilan des confrontations passées avec la classe ouvrière, elle connaît ses points faibles et son manque de confiance en elle. La bourgeoisie peut s’appuyer sur les maîtres du sabotage que sont les syndicats, même s’ils sont aussi en partie plus ou moins discrédités, pour encadrer le mécontentement ouvrier et l’orienter vers des actions stériles, isolées, les user jusqu’à la démoralisation pour que les attaques de plein fouet puissent passer. Les syndicats ont su jouer le jeu de la fragmentation en appelant à différentes journées de grève, corporation par corporation. La grève dans l’Éducation nationale du 12 novembre a ouvert le bal, témoignant de cette manœuvre visant à renforcer le désarroi.
Retrouver la confiance dans nos forces, avoir la capacité de dépasser les divisions, savoir refuser les sabotages syndicaux, se regrouper pour réfléchir sur la lutte, tout cela est une nécessité. Derrière le mécontentement qui se renforce, la lente et difficile maturation de la conscience reste autant marquée par la fragilité que semée d’embûches. Mais la patience et la lucidité restent les principales vertus des révolutionnaires.
Stopio, 16 novembre 2018
1) À l’heure où nous mettons sous presse, la mobilisation des “gilets jaunes”, initiée sur les réseaux sociaux, s’apprête à mener des actions de blocage, le samedi 17 novembre, notamment contre la flambée des prix du carburant. Ce mouvement apparaît comme l’expression d’une immense colère de la population. Mais par son caractère protéiforme, il est déjà comparé à une sorte de “jacquerie” du même genre que la mobilisation des “bonnets rouges” en Bretagne. Par son “apolitisme” affiché et ses appels à la “mobilisation citoyenne”, largement relayés par les médias, ce mouvement se situe non pas sur le terrain de la lutte de la classe ouvrière mais sur celui sur de l’inter-classisme et de l’idéologie petite-bourgeoise. La présence d’ouvriers en son sein se fait davantage sur la base d’initiatives individuelles d’ “automobilistes excédés” que sur celle de prolétaires conscients, capables d’imposer un combat de classe autonome. De ce fait, ce mouvement est non seulement sujet à toutes formes de récupérations politiques, mais il apparaît comme une nébuleuse confuse dans laquelle la petite-bourgeoisie est souvent à l’initiative et marque de son idéologie bon nombre d’actions et de revendications. Même si Macron et le gouvernement semblent préoccupés par les questions de sécurité et si la bourgeoisie s’inquiète des difficultés pour encadrer cette colère qui navigue à vue, la classe ouvrière est la seule force sociale capable de faire reculer l’État. Face aux offensives anti-ouvrières, seul le prolétariat peut en effet offrir une réelle perspective.
2) Lire : “Lutte des ouvriers de la SNCF: un collectif d’ouvriers tire le bilan”, RI n° 472.
En 2008, la crise financière qui a frappé de plein fouet les États-Unis, avec les faillites en cascade de plusieurs banques, a plongé subitement des millions de prolétaires dans la misère. Parmi les principaux acteurs emblématiques du secteur bancaire, Lehman Brothers, un des grands piliers du système économique américain, a brusquement fait faillite provoquant la panique dans tout le système bancaire international dont elle était un des acteurs de premier plan.
Grâce aux prêts accordés aux établissements bancaires par la banque d’investissement Lehman Brothers, ces dernières avaient octroyé des crédits immobiliers hypothécaires à taux variables (les subprimes) à des ménages précaires. Ces ouvriers, parmi les plus pauvres des États-Unis, se sont fait arnaquer en croyant que ces crédits à long terme allaient leur permettre d’acheter leur maison. En réalité, les taux étaient “intéressants” tant que le prix de l’immobilier était en hausse. Les nouveaux propriétaires potentiels pouvaient ainsi revendre leur bien immobilier en faisant une plus-value permettant de rembourser leur emprunt s’ils ne pouvaient plus payer leur créance. Mais fin 2006-début 2007, le marché de l’immobilier s’effondre aux États-Unis. Les taux de crédit variables des subprimes augmentent et les ouvriers ne peuvent plus rembourser. Les banques prêteuses ont alors voulu récupérer les maisons hypothéquées et se sont lancées, sans aucun état d’âme, dans une gigantesque et sordide opération de saisies immobilières. Ce sont 7,5 millions de familles ouvrières qui ont été, du jour au lendemain, brutalement jetées à la rue, expulsées de leur logement, parfois manu militari avec l’aide de la police. Tandis que ces familles se sont retrouvées sans toit, obligées pour certaines de dormir dans des abris de fortune ou de se faire héberger, la plupart des maisons saisies pour être revendues n’ont trouvé aucun acquéreur.
Il est clair que ces ouvriers se sont fait tout simplement escroquer en croyant naïvement pouvoir accéder à la propriété grâce aux crédits “intéressants” qu’on leur a fait miroiter. La plupart d’entre eux ne savaient d’ailleurs même pas ce que les banques leur avaient fait signer ! Ces familles ouvrières ont été ainsi directement victimes des requins capitalistes du “monde de la finance”, un secteur particulièrement pourri et corrompu de la classe dominante.
L’État américain n’a évidemment rien fait pour empêcher cette catastrophe humaine. Au contraire, c’est de façon délibérée qu’il a laissé Lehman Brothers mettre la clef sous la porte. L’État américain porte donc une responsabilité de premier plan dans la plongée de millions de prolétaires dans la misère et le dénuement aggravé par l’explosion de la “bulle immobilière”.
Si la banque centrale américaine a décidé de laisser couler Lehman Brothers (alors qu’elle a soutenu d’autres banques au bord de la faillite), c’est parce que la première puissance mondiale voulait faire un exemple et tirer la sonnette d’alarme afin que toute la bourgeoise des principaux États industrialisés se mobilise pour sauver le système financier international, le spectre d’un krach boursier identique, voire pire que celui de 1929 étant à l’horizon. Les principales banques européennes ont également investi dans les subprimes, croyant faire des placements juteux. Après la faillite de Lehman Brothers, la secousse a immédiatement touché les autres grands pays industrialisés. Dès le départ, la menace d’autres faillites et l’annonce d’un possible “effet domino” ont accompagné l’explosion de la bulle immobilière. Pour endiguer le risque de faillites en chaîne ; les États et les banques centrales, en Europe comme aux États-Unis, ont été obligés de mettre en place des plans de sauvetage d’urgence. En Grande-Bretagne, le gouvernement nationalise immédiatement certaines banques, notamment Northern Rock. En France et en Allemagne, l’État décide d’injecter une masse colossale de liquidités dans les caisses des grandes banques pour éviter la banqueroute et l’effondrement du système financier mondial. Mais ces mesures d’urgence ont eu comme conséquence, en creusant davantage l’endettement des États, d’aggraver le chômage et la précarité. Les cures d’austérité déployées par la classe dominante pour tenter d’atténuer quelque peu le déficit des États se sont rapidement faites sentir dans les pays les plus vulnérables tels que la Grèce, l’Espagne, le Portugal, l’Irlande et progressivement dans l’ensemble des pays développés de la planète.
Aujourd’hui, alors que la menace d’une nouvelle secousse financière plane de nouveau sur le monde, les médias ont repris une propagande sournoise autour de l’anniversaire des dix ans de la faillite de Lehman Brothers. Au nom du “sauvetage” de l’économie mondiale, les États ont désigné des coupables idéaux en faisant peser la responsabilité de la crise sur le “monde de la finance”, incarné par les “traders” et les “patrons voyous”. Tout cela afin d’innocenter le système capitaliste dans son ensemble.
En exploitant efficacement les nationalisations et le rôle des banques centrales dans le renflouement des caisses de celles menacées par la faillite, la bourgeoisie en a profité pour mener une offensive idéologique présentant l’État comme le régulateur des “excès” de la finance et le protecteur des petits épargnants. C’est justement grâce au rôle de l’État présenté comme le “sauveur de l’économie mondiale” que les gouvernements de tout poil ont pu justifier, en partie, la nécessité de pressurer davantage les salariés afin d’accroître la compétitivité des économies nationales sur le marché mondial et réduire la dette de leur État respectif.
Contrairement aux mensonges qui ont alimenté et alimentent encore les discours officiels, ce n’est pas la crise financière de 2008 qui a initié le train des “réformes” qui n’ont fait que dégrader les conditions de vie des prolétaires en remettant en cause de prétendus acquis sociaux. Si les grandes “réformes” et les attaques massives contre les conditions de vie et de travail se sont fortement aggravées partout dans le monde après cette dramatique secousse de 2008, elles étaient déjà en cours depuis des décennies. Toutes ont été orchestrées par les États et leurs gouvernements, de droite comme de gauche, qui se sont succédés sans bien sûr parvenir à résoudre la crise.(1)
On comprend donc mieux la propagande idéologique déchaînée en 2008 qui avait pour but de donner une explication frauduleuse en faisant passer le symptôme de la crise financière pour la maladie, celle de la crise historique de l’économie capitaliste. Depuis le retour de la crise ouverte du capitalisme à la fin des années 1960, des rechutes de plus en plus profondes sont venues ponctuer la vie sociale. À chaque fois, la bourgeoisie a su trouver des justifications et des boucs émissaires. En 1973, c’était la faute du “choc pétrolier” ! À l’époque, les fauteurs de troubles étaient ces pays du Golfe et leurs princes roulant sur l’or. En 1987, 1998, 2001 et 2008, ce fut au tour de la finance et des banquiers d’être pointés du doigt. Mais jamais ces campagnes idéologiques ne furent aussi intenses qu’en 2008. Ainsi, on a pu entendre toute sorte de discours fallacieux sur la nécessité d’assainir le système bancaire, de “moraliser” les banques en sanctionnant les spéculateurs véreux et les banquiers “irresponsables”, tel le PDG de Lehman Brothers, présenté par les médias comme “l’homme le plus détesté de l’Amérique”.
Aux dires même de tous les responsables bourgeois, de tous les “spécialistes” de l’économie, la crise de 2008 est la plus grave qu’ait connu le système capitaliste depuis la grande dépression qui a débuté en 1929. Cependant, les explications qu’ils donnent ne permettent évidemment pas de comprendre la véritable signification de ces convulsions et la perspective qu’elles annoncent pour l’ensemble de la société et notamment pour la classe ouvrière.
Aujourd’hui, ce qui est occulté par l’ensemble des “spécialistes” de l’économie, c’est la crise de surproduction de ce système, son incapacité à vendre la masse des marchandises qu’il produit. Bien sûr, il n’y a pas surproduction par rapport aux besoins réels de l’humanité (que le capitalisme est incapable de satisfaire), mais surproduction par rapport aux marchés solvables, en moyens de paiement pour cette production. Les discours officiels se focalisent sur la crise financière, sur la seule faillite des banques, mais en réalité, ce que les thuriféraires bourgeois appellent “l’économie réelle” (par opposition à “l’économie fictive”) est illustrée par le fait que chaque jour on annonce des fermetures d’usine, des licenciements massifs, des faillites d’entreprise.
Lors de la crise de 2008, la chute du commerce mondial a révélé l’incapacité pour les entreprises de trouver des acheteurs pour écouler leur production. Ainsi, ce n’est pas la crise “financière” (et encore moins la faillite de Lehman Brothers) qui était à l’origine de la récession ouverte en 2008. Bien au contraire, cette crise financière n’a fait que révéler que la fuite en avant dans l’endettement, comme palliatif à la surproduction ne pouvait se poursuivre indéfiniment. Tôt ou tard, “l’économie réelle” se venge, c’est-à-dire que ce qui est à la base des contradictions du capitalisme (l’incapacité des entreprises à vendre la totalité des marchandises produites), revient au-devant de la scène. Cette crise de surproduction n’est pas une simple conséquence de la crise “financière” comme essaient de le faire croire la plupart des “spécialistes” bourgeois. C’est dans les rouages mêmes de l’économie capitaliste qu’elle réside, comme l’a mis en évidence le marxisme depuis un siècle et demi.
Comme le disaient Marx et Engels dans le “Manifeste du Parti communiste” de 1848, la société est devenue trop riche ! Le capitalisme produit beaucoup trop de marchandises alors que les marchés solvables se contractent de plus en plus, comme en témoigne la guerre commerciale acharnée entre les États-Unis et l’Europe, qui doivent en plus affronter la compétitivité des marchandises chinoises.
Aujourd’hui le capitalisme est asphyxié par le poids faramineux de l’endettement. En même temps, il ne peut se maintenir, de façon artificielle, que grâce au crédit. La seule “solution” que la bourgeoisie est capable de mettre en œuvre est… une nouvelle fuite en avant dans le cercle vicieux de l’endettement. Avec le développement de la spéculation, ce mode de production, basé sur la recherche du profit, ressemble de plus en plus à une économie de casino. Le remède consistant à injecter des liquidités dans les caisses des principales banques ne peut, en réalité, qu’aggraver le mal, notamment en accentuant la crise de la dette souveraine des États.
Dix ans après le séisme de 2008, et malgré les plans de sauvetage d’urgence du système financier, malgré une certaine “reprise” apparente et très fragile des taux de croissance en 2012-2013, l’inquiétude saisit à nouveau la classe bourgeoise. Les dix années de cure d’austérité n’ont rien changé sur le fond. Les États restent surendettés et les banques centrales gavées d’actifs plus que douteux. La croissance mondiale ralentit à nouveau. Tous les acteurs prennent de plus en plus de risques. Depuis le milieu de l’année 2018, les médias et les discours des économistes bourgeois tirent la sonnette d’alarme et redoutent une situation identique, voire pire, que celle de 2008. En développant ces discours alarmistes, et ces campagnes sur les dérives du monde de la finance, la bourgeoisie cherche à terroriser et paralyser la classe ouvrière derrière la défense de l’ “État sauveur”. Pour ne pas entraver les “plans de sauvetage” (illusoires !) du système financier, les prolétaires sont évidemment appelés à se serrer encore la ceinture, à accepter de nouveaux sacrifices sur leur pouvoir d’achat.
Face à la barbarie du capitalisme, révélée notamment en 2008 par le scandale des millions d’expulsions d’ouvriers de leur logement dans le pays le plus riche du monde, le prolétariat n’aura pas d’autre choix que de reprendre partout le combat pour la défense de ses conditions de vie et contre l’ordre social de ses exploiteurs. Il devra comprendre pour cela que loin d’être un “protecteur neutre”, qui lutte contre les dérives spéculatives des traders, l’État bourgeois est avant tout un organe de répression et de conservation de tous les méfaits du capitalisme. La faillite des banques et des entreprises ne fait que révéler la faillite du mode de production capitaliste qui n’a aucun avenir à offrir à l’humanité. La seule solution à la crise, c’est le renversement de ce système et la destruction de l’État par la classe qui produit toutes les richesses de la société : la classe ouvrière mondiale.
Sonia, 17 novembre 2018
1) C’est d’ailleurs cela qui explique en partie le fort discrédit des partis politiques traditionnels aux yeux de la classe ouvrière. Aux États-Unis, c’est le rejet de l’establishment, en particulier dans les régions industrielles sinistrées, qui a poussé une grande partie de la classe ouvrière à voter pour Trump.
Pour compter ses soutiens dans sa campagne au poste de secrétaire général de Force ouvrière (FO), Pascal Pavageau a établi, avec ses collaborateurs, un fichier recensant les délégués et responsables locaux du syndicat. Le document les divise en fonction de leur capacité à appuyer sa candidature ou, au contraire, à constituer une entrave à son accession au pouvoir suprême. Mais le fichier ne s’arrête pas là et fait figurer leur appartenance politique, leur orientation sexuelle, leur état de santé ou des appréciations plus triviales : “niais”, “bête”, “ordure”, voire, pour donner le change, “trop intelligent pour être au bureau confédéral”… un bureau visiblement porté en haute estime par l’aspirant au poste de secrétaire général.
Cette affaire a suscité un vrai scandale médiatique de la part d’un syndicat qui dénonce, en apparence, ces pratiques récurrentes et identiques à celles qui existent dans les entreprises ou les administrations comme la CPAM, certaines grandes écoles ou France Télévisions… des pratiques qui ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Les ouvriers savent bien comment leur hiérarchie les surveille et les enferme dans des cases caricaturales et méprisantes, où les “alcooliques” côtoient les “homos” et où les “fainéants” sont opposés aux “bons petits soldats”. Le fichage, la catégorisation, la morgue avec laquelle on apprécie les subordonnés est une constante dans le fonctionnement de la bourgeoisie.
Les syndicats ne dérogent nullement à ces pratiques. Cette affaire n’a rien d’un quelconque abus ou d’une vulgaire anomalie. Le fichage et la surveillance ne sont en rien étrangers à l’esprit du syndicalisme et ne peuvent être réduits à l’esprit malsain d’un individu qui n’aurait rien à faire dans un syndicat. Ce n’est d’ailleurs pas parce que Pavageau a démissionné que le problème est parti avec lui. Cette affaire met au contraire en lumière le fonctionnement quotidien de ces organes de l’État bourgeois que sont les syndicats et des luttes intestines pour l’accession aux postes clés en leur sein. Finalement, les syndicats ne diffèrent en rien des entreprises capitalistes qu’ils prétendent dénoncer.
FO avait déjà été pointée du doigt au début des années 2000 et condamnée pour avoir surexploité le chauffeur du secrétaire général de l’époque, Blondel, au mépris de toutes les règles du Code du travail. “Faites ce que je dis mais pas ce que je fais” ! Les chauffeurs de Blondel avaient d’ailleurs été payés par la ville de Paris, sous Chirac, pendant plus de dix ans…, c’est dire l’indépendance des syndicats vis-à-vis de l’État !
Rappelons également le goût du luxe de Thierry Lepaon, secrétaire général de la CGT, lui aussi poussé à la démission en 2015 après avoir engagé des sommes faramineuses pour faire décorer son bureau à la mesure des efforts entrepris pour parvenir au sommet de la bureaucratie syndicale. Ce même goût du faste est d’ailleurs aussi à la mode au sein de FO puisque de récentes révélations ont mis en lumière le train de vie dispendieux de ses cadres dont les notes de frais et les salaires s’élèveraient à plusieurs centaines de milliers d’euros. Comme quoi, l’État sait se montrer reconnaissant envers ses serviteurs les plus zélés. Ne nous y trompons pas, les Mailly, Pavageau et consorts se moquent royalement de la misère des ouvriers et de leurs conditions d’exploitations insupportables. Les privilèges que se voient octroyer tous ces nouveaux nababs en disent long sur la place réelle qu’occupent les syndicats au sein de l’État.
Si scandale il y a, c’est dans le fait que les syndicats se présentent comme les défenseurs de la classe ouvrière contre le patronat, poussent des cris d’orfraie hypocrites dès que de tels méfaits sont mis en lumière. Les dirigeants syndicaux ne sont en réalité que des parvenus ayant les mêmes mœurs politiques que tous les patrons dans la gestion d’une entreprise ou d’une administration. Depuis la Première Guerre mondiale et l’entrée du capitalisme dans sa période de décadence, les syndicats ne sont plus des organismes de défense des intérêts économiques de la classe ouvrière, comme c’était le cas au XIXe siècle, à l’époque où le capitalisme était encore un système progressiste et où la bourgeoisie pouvait, sous la pression des ouvriers organisés en syndicats, améliorer les conditions de vie des exploités. Aujourd’hui, les syndicats sont devenus des organes d’encadrement bourgeois, parfaitement intégrés à l’appareil étatique… Ils sont associés partout à la gestion anti-ouvrière des organismes comme la Sécurité sociale, les Caisses de retraite, l’assurance chômage, etc. Ils sont impliqués dans tous les projets de la bourgeoisie touchant aux questions économiques et sociales, dans tous les rouages de l’administration et des entreprises, grandes ou petites. Ils sont ainsi l’objet d’enjeux de pouvoir et de concurrence acharnée comme n’importe quelle organisation bourgeoise, d’autant plus qu’ils sont assis sur un budget annuel global estimé à quatre milliards d’euros, (1) ce qui ne manque pas d’attirer les convoitises. La dernière affaire du fichier de Pavageau montre une fois de plus que le prolétariat ne peut plus compter sur les syndicats pour défendre ses intérêts, car rien ne pourra les faire dévier de leur tâche de force d’encadrement, de garde-chiourmes et d’étouffement de la classe ouvrière.
HD, 26 octobre 2018
1) Selon le rapport parlementaire Perruchot (2011).
Dans sa revue Lutte de classe n° 186, l’organisation trotskiste Lutte ouvrière (LO) a publié un long article intitulé “Bordiguisme et trotskisme” dans lequel elle stigmatise (en paraphrasant Lénine) la “maladie infantile” de la Gauche communiste : son “sectarisme”. D’après LO, ce serait cette “tare congénitale” de la Gauche communiste qui expliquerait qu’ “aujourd’hui, la Gauche communiste a éclaté entre différents petits groupes sans influence, sans avoir jamais vraiment réussi à essaimer en dehors de l’Italie”.
Dans son offensive contre la Gauche communiste, LO utilise, pour duper le lecteur, un stratagème parfaitement malhonnête consistant à réduire la Gauche communiste non seulement à la Gauche italienne, mais aux seules organisations du courant “bordiguiste”. On y apprend ainsi que la Gauche communiste d’Italie aurait été incapable de transmettre la tradition révolutionnaire du mouvement ouvrier du fait de son “ignorance des débats politiques qui ont traversé dans les années 1930 le mouvement communiste international. Mais les militants du courant bordiguiste, pour beaucoup, vivaient alors dans l’émigration (notamment en France) et avaient la possibilité de connaître ces débats et de se confronter au courant que représentait l’Opposition de gauche trotskiste, elle-même véritable héritière politique de la révolution russe et du léninisme. Mais leur choix fut justement de s’en isoler et de se replier sur leur sectarisme, sur une base nationale faite avant tout d’ignorance de ce qu’étaient les autres courants, à commencer par le courant trotskyste dont les positions n’ont été que bien peu connues en Italie. Une grande partie de ce qui a été la tradition révolutionnaire du mouvement ouvrier n’a ainsi, tout simplement, pas été transmise”.(1)
LO emploie comme argument massue pour démontrer le “sectarisme” de la Gauche communiste une citation de Trotsky à propos de la Gauche italienne dans les années 1930 : “La période préparatoire de propagande nous a donné des cadres sans lesquels nous n’aurions pu faire de pas en avant, mais en même temps elle a favorisé au sein de l’organisation, en tant qu’héritage, l’expression de conceptions très abstraites de la construction du parti révolutionnaire et de la nouvelle Internationale. Dans leur forme chimiquement pure, ces conceptions ont été exprimées de la façon la plus complète par cette secte morte que forment les bordiguistes, qui espèrent que l’avant-garde du prolétariat se convaincra toute seule, à travers la lecture d’une production théorique de difficile lecture, de la justesse de leurs positions et ainsi se retrouvera autour de leur secte”. En s’appuyant sur cette citation, LO fait ainsi passer, tout au long de son article, l’intransigeance de la Gauche italienne dans la défense des principes prolétariens, tant politiques qu’organisationnels, pour une attitude de “secte morte” (dixit Trotsky !).
Si le “sectarisme” signifie l’intransigeance impitoyable envers tous les partis et courants qui défendent les intérêts de la classe dominante contre le prolétariat, alors, oui, la Gauche communiste est “sectaire” comme étaient “sectaires” les spartakistes, les bolchéviks et toutes les petites minorités révolutionnaires qui ont combattu les sociaux-chauvins en 1914 et dénoncé la trahison des partis socialistes. En réalité, si LO ne voit dans l’intransigeance révolutionnaire de la Gauche communiste que du “sectarisme”, c’est parce que cette officine trotskiste appartient au camp de la bourgeoisie (même si ses militants sincères n’en ont pas conscience). C’est bien pour cela que LO, malgré la trahison des partis “socialistes” en 1914 et leur intégration définitive à l’appareil d’État bourgeois, n’a eu aucun scrupule à appeler les ouvriers à voter pour le candidat “socialiste” aux élections présidentielles non seulement en 1974 mais également en 1981 et en 2007. L’État bourgeois peut donc bien décerner à LO la palme d’or du “non sectarisme” pour ses bons et loyaux services contre la classe ouvrière.
Contrairement au trotskisme, la Fraction de la Gauche communiste d’Italie,(2) exclue par les staliniens du Parti communiste d’Italie, avait compris que le combat contre la dégénérescence de l’Internationale communiste, puis la contre-révolution triomphante, passait par la capacité des minorités révolutionnaires à tirer les leçons de la vague révolutionnaire débutée en Russie en 1917. En publiant Prometeo en italien et Bilan en français, la Fraction s’efforça de regrouper les maigres forces révolutionnaires de l’époque autour de la défense de principes prolétariens bafoués par le stalinisme.(3) Après l’échec de la vague révolutionnaire et la victoire de l’opportunisme au sein de l’Internationale communiste, il était impossible de créer immédiatement un nouveau Parti mondial du prolétariat. Il fallait tout d’abord tenter de redresser l’Internationale puis, après la trahison irrémédiable de tous les Partis communistes, construire un “pont” vers la constitution du prochain Parti révolutionnaire une fois la contre-révolution surmontée.(4)
À l’opposé, la notion d’Opposition (“loyale”, pourrait-on ajouter) revendiquée par Trotsky reflétait une énorme confusion sur la nature de la fraction stalinienne qui était censée (ou tout au moins une partie de celle-ci) pouvoir évoluer vers des positions révolutionnaires.(5) Cette confusion est la cause de toute la dérive opportuniste du courant de Trotsky durant les années 1930. Celui-ci, profitant de l’aura que lui conférait le rôle fondamental qu’il a joué dans la révolution russe, a entraîné les minorités révolutionnaires dans des impasses et des crises, jusqu’à la catastrophe qu’a représenté pour l’Opposition trotskiste la politique d’entrisme dans les partis sociaux-démocrates, alors que ces partis étaient passés dans le camp bourgeois en 1914 et n’avaient pas hésité à noyer dans le sang les soulèvements prolétariens (notamment en 1919 en Allemagne) au moment où l’extension internationale de la révolution russe était vitale pour la classe ouvrière.
LO préfère néanmoins colporter une critique douteuse et malhonnête de Rosmer, recyclée ensuite par Trotsky, selon laquelle la Gauche italienne aurait fait le “choix”, dans les années 1930, de “s’isoler et de se replier” sur sa “base nationale”. Le “courant bordiguiste” et ses “avatars” n’auraient jamais su sortir de leur dimension nationale italienne, ignorant et évitant “de se confronter au courant que représentait l’Opposition de gauche trotskiste”. On peut d’ores et déjà noter avec quel aplomb LO réduit la réaction prolétarienne contre le stalinisme à la seule Opposition trotskiste, faisant mine d’ignorer le rôle de la Fraction italienne et d’autres groupes exclus du parti stalinien à la fin des années 1920 et au début des années 1930. En réalité, la Gauche communiste italienne était loin d’ignorer les positions de l’Opposition trotskiste comme le prétend LO. Elle collabora loyalement aux travaux de l’Opposition et adhéra à son Secrétariat international, bien qu’elle refusât de s’impliquer dans la direction en l’absence d’une plateforme programmatique claire.
Il n’est, à ce titre, guère étonnant que l’article de LO se focalise entièrement sur “le bordiguisme”. En réduisant la Gauche communiste à sa seule composante “bordiguiste” en Italie, LO travestit la réalité et occulte délibérément l’existence de tout un mouvement international de résistance à la dégénérescence de l’Internationale communiste puis à la contre-révolution : celui d’une Gauche communiste qui existait en Allemagne, en Hollande, en Belgique et même en Russie et au Mexique. Une Gauche qui a su tirer, de façon beaucoup plus profonde que l’Opposition de Trotsky, les leçons de la défaite de la première vague révolutionnaire. La Gauche communiste a ainsi été capable de combattre sans ambiguïté la théorie stalinienne de la construction du “socialisme dans un seul pays”. Elle a su comprendre la nature contre-révolutionnaire de l’URSS où ne subsistaient aucun “acquis ouvriers”, contrairement aux affirmations de Trotsky, des “acquis” qu’il fallait “défendre” selon lui. La justesse de cette analyse s’est d’ailleurs pleinement confirmée avec la participation de l’URSS dans la seconde boucherie impérialiste de 1939-1945.
Alors que les trotskistes ont participé à la “Résistance” en appelant les prolétaires à prendre les armes contre “l’occupant nazi”, les militants de la Gauche communiste, quant à eux, ont appelé, quand ils le pouvaient et au péril de leur vie, non pas à la “collaboration avec les boches” mais à la fraternisation entre les prolétaires allemands en uniforme et ceux des pays “Alliés” du “camp démocratique”. Contrairement aux trotskistes, ils ont maintenu, à contre-courant, le vieux mot d’ordre du mouvement ouvrier : “Les Prolétaires n’ont pas de patrie. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !” Ce n’est donc pas le courant issu de l’Opposition trotskiste, mais bien celui de la Gauche communiste, qui a su défendre la “tradition révolutionnaire du mouvement ouvrier” ! (6)
En se focalisant sur le seul Bordiga et sa prétendue inexpérience des luttes qui n’eut “guère l’occasion de se corriger”, LO cherche également à maquiller la réalité en présentant les militants de la Gauche communiste comme une expression strictement intellectuelle et abstraite, celle de beaux-parleurs dans leur tour d’ivoire. En réalité, la Fraction, dont la contribution demeure parmi les plus précieuses de l’histoire du mouvement ouvrier du XXe siècle, était majoritairement composée d’ouvriers, qui avaient une expérience bien réelle des luttes et qui s’étaient confrontés âprement à la répression des staliniens et des fascistes (alors que la grande majorité des militants trotskistes de l’époque étaient des intellectuels ayant très peu d’expérience des luttes ouvrières, particulièrement en France).
L’article de LO dénature ainsi complètement la démarche profondément internationaliste (et non “sectaire” et “nationale”), de la Fraction italienne qui eut toujours le souci de participer à toutes les discussions et d’intervenir auprès des groupes prolétariens avec l’objectif de clarifier au maximum les questions politiques, sans jamais céder pour autant aux sirènes de l’unification opportuniste et précipitée des différentes tendances oppositionnelles de l’époque. Alors que ses membres étaient soit en prison soit, pour la plupart, exilés en France, la Fraction italienne chercha à participer de façon très fraternelle à la vie et aux débats de toutes les organisations rattachées à l’Opposition : avec l’opposition allemande dirigée par Landau, avec l’opposition espagnole dont le représentant, Andrés Nin, vivait à Berlin, avec la Ligue communiste de Naville et Rosmer. Elle eut également des relations étroites avec l’opposition belge, en particulier le groupe bruxellois de Hennaut.
Tout en reconnaissant l’héritage politique de cette immense figure de la révolution russe qu’était Trotsky, la Gauche italienne s’opposa à ses orientations opportunistes et ses confusions, notamment sur la question organisationnelle. Partisan “d’avancées pratiques” dans un cours historique orienté, comme l’avait très bien vu la Gauche italienne, vers une nouvelle guerre impérialiste mondiale, Trotsky multiplia les concessions opportunistes, voire les manœuvres auprès d’éléments confus et même d’aventuriers politiques (tel Molinier), afin de réunir autour de lui ce qui s’apparentait de plus en plus à un club de supporters dévoués.
L’intégration éclair de la Nouvelle opposition italienne (NOI) à l’Opposition internationale est, à ce titre, particulièrement significative des méthodes qu’employa Trotsky dans sa logique d’agglomération artificielle de groupes et de personnalités. À partir d’avril 1930, trois fonctionnaires du Parti communiste italien, après avoir exclu un mois plus tôt Bordiga pour “trotskisme”, quittèrent le Parti pour des motifs mineurs (en fait des querelles d’influences) et rejoignirent aussitôt l’Opposition sous l’appellation de NOI, sans que la Fraction soit même consultée. Trotsky manœuvrait déjà dans son dos pour créer ex nihilo une section italienne de l’Opposition plus docile, aboutissant à l’exclusion bureaucratique et sans aucun débat de la Fraction juste avant la conférence de l’Opposition en 1933.
Ce travail de sélection s’opéra partout où Trotsky rencontrait des obstacles pour faire de l’Opposition son instrument politique à lui : en France avec Rosmer ou le groupe de Gourget, en Belgique avec le groupe de Van Overstraeten, en Espagne avec celui de Nin ou en Allemagne avec le groupe de Landau. Si bien qu’à la conférence de 1933, l’Opposition, expurgée de ceux avec qui “la discussion (…) s’avéra difficile” (selon les mots de LO), n’apparaissait plus, en effet, que comme une organisation strictement trotskiste.
La multiplication des crises et des scissions au sein de l’Opposition confirma rapidement la justesse de la méthode de la Gauche italienne. Le patient et précieux combat de la Fraction, loin de réduire la Gauche à “l’impuissance” et aux “formules sans lien avec la réalité”, a permis, au contraire, que resurgissent et se maintiennent, encore aujourd’hui, d’authentiques courants révolutionnaires. La clarté et l’expérience acquises au sein de la Fraction italienne par Marc Chirik (MC) ont permis, sous son impulsion, que se forme pendant la Seconde Guerre mondiale la Fraction française de la Gauche communiste qui deviendra plus tard la Gauche communiste de France (GCF). Que ce soit au sein de l’Opposition ou dans la Gauche italienne, avec la GCF ou, plus tard, au sein du CCI, MC a toujours lutté contre toute démarche “sectaire” à l’intérieur d’un milieu politique internationaliste clairement délimité par des principes prolétariens. (7)
Bien que les énormes confusions de Trotsky sur la situation historique l’aient conduit à se fourvoyer dans la guerre d’Espagne en 1936 (qu’il analysait non comme les préparatifs pour la Seconde Guerre impérialiste mondiale à venir, mais comme les prémisses d’une nouvelle vague révolutionnaire) et à défendre l’antifascisme, il n’est pas allé jusqu’à la trahison ouverte avant son assassinat par les staliniens.
Trotsky a néanmoins légué à la plupart de ses émules des méthodes organisationnelles et un opportunisme politique qui furent la faille dans laquelle s’engouffra le courant dit “trotskiste” lors de la Seconde Guerre mondiale. À l’épreuve de la guerre et en dépit des questionnements de Trotsky lui-même, à la fin de sa vie, sur la nature impérialiste de l’URSS, le trotskisme rejeta le slogan des bolcheviks : “transformation de la guerre impérialiste en guerre civile !”, lui préférant la guerre pour “la défense de la patrie soviétique”. Les trotskistes rejoignirent pour la plupart la “Résistance” et y furent très actifs, dénonçant même les militants internationalistes, ceux de la Gauche communiste, comme des “agents du fascisme”. Cette trahison de l’internationalisme prolétarien, au nom de l’antifascisme, de la défense de l’URSS et de ses prétendus “acquis ouvriers”, marqua le passage définitif du trotskisme dans le camp de la bourgeoisie.
C’est sur ce tas de fumier nationaliste que l’ancêtre de LO, le groupe de David Korner dit Barta, a vu le jour en 1939 en France. Lutte ouvrière colporte depuis longtemps une fable selon laquelle le groupe Barta aurait, à l’écart des autres groupes du mouvement trotskiste, “dénoncé les belligérants” et “appelé à la fraternité à la base” dans la plus stricte tradition internationaliste. Or, si la version proposée par LO de l’histoire de la Gauche communiste d’Italie est truffée d’amalgames, de falsifications et d’omissions mal intentionnées, la mythologie qu’elle répand sur ses propres origines relève de la pure fiction. Pendant la Guerre, Barta et son groupe jouèrent plutôt un mauvais tour à la classe ouvrière, comme en témoigne, parmi d’innombrables autres exemples, ce tract du 30 juin 1941 demandant aux travailleurs d’empêcher, “par tous les moyens, la machine de guerre impérialiste de fonctionner contre l’URSS”. Comme tous les autres groupes trotskistes, Barta appelait à “résister à Vichy et à l’impérialisme allemand (…). Dans les groupes de résistance, dans le maquis, exigez votre armement et l’élection démocratique des chefs par les membres des groupes”.(8) En bref, Barta appelait les ouvriers à participer au massacre, non pour la défense du camp impérialiste des Roosevelt et Churchill mais pour celle de l’impérialisme russe, pourtant allié des premiers (une contorsion d’équilibriste incohérente et intenable !).
Avec ce travail “historique” digne des photographies truquées et des contrefaçons staliniennes, il s’agit, en définitive pour LO, de prouver coûte que coûte que la “maladie infantile” qui frapperait la Gauche communiste, depuis les années 1920, demeure aujourd’hui “malheureusement persistante”, que son “sectarisme” est une sorte de tare congénitale propre aux organisations s’en réclamant, que les “avatars” du “bordiguisme” demeurent encore aujourd’hui des sectes d’illuminés, une bande de rigoristes académistes totalement déconnectés des luttes concrètes et qui réduisent “leur communisme à la répétition de formules et à des proclamations”.
LO attaque ainsi ouvertement le Parti communiste international (PCI) bordiguiste en s’appuyant sur une série d’amalgames et de déformations frauduleuses de l’histoire. Si la création du Parti communiste internationaliste (PCInt) en 1943, regroupant de nombreux militants issus de la Gauche communiste d’Italie, ne s’est pas faite sans confusions théoriques et organisationnelles, ce groupe doit à l’expérience de combat à laquelle il se rattache de s’être toujours maintenu sur un terrain de classe.(9) Contrairement au trotskisme, le courant bordiguiste était parfaitement clair sur la nature de l’URSS. Il n’a pas marché derrière les drapeaux de l’antifascisme (le PCI a clairement dénoncé cette mystification dans sa brochure : “Auschwitz ou le grand alibi”) et il a maintenu le flambeau de l’internationalisme face à la Seconde Guerre mondiale. Voilà ce qui distingue, pour l’essentiel, le “bordiguisme” du trotskisme, ce que l’article de LO se garde bien de signaler.
Mais au-delà du courant bordiguiste et du PCI, tout lecteur un tant soit peu attentif aura compris que LO cherche sciemment à discréditer ce qu’elle nomme les “différents petits groupes sans influence” de la Gauche communiste. Ce n’est pas la première fois que des plumitifs du courant trotskiste se mobilisent pour placer leurs coups bas et décrier la Gauche communiste, voire falsifier sa nature et sa véritable histoire. C’est ainsi que beaucoup d’ouvrages et de textes des trotskistes sur la période de l’entre-deux-guerres font souvent débuter l’histoire de l’Opposition à sa Conférence de février 1933, faisant opportunément l’impasse sur la période 1929-1932 et l’ensemble des courants oppositionnels. Dans le même style, que penser des Cahiers Léon Trotsky qui, dans leur numéro 29 (mars 1987) entièrement consacré à l’Opposition de gauche en Italie, ne mentionne la “Fraction bordiguiste” que de façon anecdotique au détour de deux phrases ?
De même, lorsque LO qualifie la Gauche communiste de courant d’ “ultragauche”, elle cherche à la noyer dans le magma de mouvances et de cénacles académiques petit-bourgeois, allant des réseaux “modernistes” aux “négationnistes de gauche” et tout un tas de groupuscules et d’individualités au langage pseudo-radical se réclamant frauduleusement du marxisme pour mieux le torpiller. LO assimile sciemment, d’un côté, des groupes qui nient le combat du prolétariat en ne se situant pas sur le terrain concret de la défense des positions et des principes de classe et, de l’autre, la Gauche communiste dont, prétendument, les “militants en arrivaient à voir dans toute intervention concrète dans les masses (…) une compromission inacceptable”.
Mais, pour le lecteur qui chercherait, en dépit de ces falsifications et amalgames, à en savoir plus sur ce qu’est réellement la Gauche communiste, LO promeut en “exception” à la règle le groupe Lotta comunista. Ainsi, l’auteur de l’article n’hésite pas à présenter ce sous-produit du gauchisme et de l’antifascisme, comme un héritier de la Gauche communiste d’Italie : “Aujourd’hui, la Gauche communiste a éclaté entre différents petits groupes sans influence, sans avoir jamais vraiment réussi à essaimer en dehors de l’Italie. Une exception est le groupe Lotta Comunista, qui a connu un certain développement numérique”. LO fait ici, de façon honteuse, la publicité d’un groupe qui n’est rattaché à la Gauche communiste ni par sa filiation, ni, et surtout, par ses positions politiques, en réalité bien plus proches du trotskisme. Issues de la “Résistance” à l’occupation des troupes allemandes en Italie, les positions de Lotta Comunista sont en tout point aux antipodes de celle de la Gauche communiste authentique. Alors que les militants de la Gauche communiste ont farouchement dénoncé l’embrigadement du prolétariat comme chair à canon derrière les drapeaux de l’antifascisme, ceux de Lotta Comunista (tout comme les trotskistes) ont contribué, en appelant à la résistance armée contre l’occupation allemande après la chute de Mussolini en 1943, à inoculer dans la classe ouvrière le poison du nationalisme et du chauvinisme. Puisant dans ses racines historiques, Lotta Comunista, sous un verbiage “radical”, n’a jamais rompu avec le nationalisme, comme en témoigne, pendant la “guerre froide”, sa défense des luttes de “libération nationale” que ce soit face à la guerre de Corée ou celle du Vietnam. C’est donc une pure imposture de LO que de présenter Lotta comunista comme un groupe de la Gauche communiste.(10)
Bien sûr, l’article de LO se garde bien de faire allusion à la principale “secte” “sans influence” de la Gauche communiste, le CCI, pourtant issu de la tradition de la Gauche italienne. Il est en effet bien difficile pour LO d’accuser ouvertement le CCI de “repli sectaire” et d’ “ignorance” des positions du trotskisme.(11) Notre organisation a toujours poussé au débat politique et théorique entre les groupes du milieu politique prolétarien, à la clarification de leurs divergences en vue de leur rapprochement, ainsi qu’à la solidarité face aux attaques et entreprises de démolissage dont ils sont l’objet. C’est cette démarche, tournant résolument le dos au repli sectaire dans sa propre chapelle, qui avait permis à MC, ex-militant de la Fraction italienne, d’apporter une contribution inestimable à la construction du CCI.
Bien que l’article de LO cible uniquement le courant bordiguiste, et particulièrement le PCI, nous ne sommes pas dupes. C’est avec la plus ferme intention de semer la confusion et de discréditer toutes les organisations se rattachant à la Gauche communiste que cette officine bourgeoise (qui n’a d’ “ouvrière” que le nom), multiplie les amalgames et les contrevérités tout au long de son pamphlet contre le “bordiguisme”.
Face aux falsifications de LO (et à la propagande de tous les valets du capital contre les “sectes mortes” de la Gauche communiste), nous réaffirmons que le mouvement ouvrier doit non pas à l’Opposition trotskiste, mais à la Gauche communiste, et notamment à la Fraction italienne, d’avoir forgé les armes qui permettent aujourd’hui aux nouvelles générations de révolutionnaires de lutter contre les mensonges de la classe dominante et ses partis d’extrême gauche. Tant par la profondeur de ses analyses que par sa démarche, la Gauche italienne fut, avec la revue Bilan, à la pointe des efforts du prolétariat pour développer, à l’échelle de l’histoire, la conscience des conditions de son combat révolutionnaire pour le renversement du capitalisme. C’est cette précieuse contribution historique, et les groupes de la Gauche communiste qui, malgré leurs faibles forces numériques, poursuivent aujourd’hui cet effort, que la croisade de LO cherche à balayer !
EG, 27 septembre 2018
1) “Bordiguisme et trotskisme”, Lutte de classe n° 186.
2) Lire notre livre : “La Gauche communiste d’Italie”.
3) Malgré cette période difficile, la Fraction italienne a continué d’intervenir au sein du prolétariat, ce qui a valu à ses militants d’être à plusieurs reprises violemment agressés par les sbires staliniens aux portes des usines.
4) Lire notre article de la Revue internationale n° 156 : “La notion de Fraction dans l’histoire du mouvement ouvrier”.
5) Lire notre article : “La classe non identifiée : la bureaucratie vue par Léon Trotsky” dans la Revue internationale n° 92.
6) Nous soutenons pleinement la réponse du PCI à ses détracteurs trotskistes, lorsqu’il affirme, dans son journal, Le Prolétaire n° 526, (nov.-déc. 2017), que : “LO écrit que “la principale responsabilité” de la non transmission de la tradition communiste révolutionnaire “incombe évidemment au stalinisme qui a tout fait pour écraser les autres tendances communistes”. Mais le stalinisme n’était pas une “tendance communiste” parmi d’autres, c’était l’expression de la contre-révolution !
Le fait que le trotskysme en général (et LO en particulier) ne s’en soit pas aperçu, le fait qu’il ait considéré les prétendus pays socialistes comme des pays non-capitalistes (alors qu’il s’agissait de capitalisme d’État, en outre particulièrement féroces contre les prolétaires) et leur système politique comme une bureaucratie défendant malgré tout ce caractère non capitaliste et jouant donc un rôle positif, ce fait est une démonstration supplémentaire qu’il est incapable de défendre et de transmettre les positions communistes. (…) sous la terrible pression d’une situation défavorable à la lutte révolutionnaire, il n’a pu assimiler et transmettre que les pires positions de Trotsky”.
7) Le courant bordiguiste, contrairement au CCI, a malheureusement toujours rejeté l’existence d’un milieu politique prolétarien clairement délimité par des frontières de classe. Nous avions publié dans le passé de nombreux articles polémiques avec les groupes du courant bordiguiste critiquant leur “sectarisme” qui avait conduit à l’échec des Conférences des groupes de la Gauche communiste à la fin des années 1970. Néanmoins, notre critique de cet esprit de chapelle, n’avait rien de commun avec l’attaque portée par l’article de LO contre le “sectarisme” du bordiguisme.
8) La Lutte de classes n° 24 du 6 février 1944.
9) Maffi et Bordiga se sont séparés du PCIint en 1952 pour former le Parti communiste international. Ce nouveau groupe, qui existe encore aujourd’hui et appartient au courant de la Gauche communiste, mérite bien, quant à lui, le qualificatif de “bordiguiste” puisqu’il s’est constitué essentiellement sur la base des positions politiques adoptées par Bordiga lors de son retour à l’activité politique après la Seconde Guerre mondiale.
10) Lire notre article : “Qui est vraiment Lotta comunista ?”, Révolution Internationale n° 417 (novembre 2010).
11) Lire notre brochure : “Le trotskisme contre la classe ouvrière”, de même que les nombreux articles publiés dans notre presse depuis un demi-siècle.
Dans le port de Marseille, on voit depuis quelques années des ferrys, ressemblant à de très grands immeubles, transporter des milliers de touristes à qui on propose une visite de bâtiments anciens très bien restaurés qui ont marqué les 2 600 ans d’histoire de la cité phocéenne. Mais ce mardi 5 novembre, c’est la partie abandonnée de cette même cité, à deux pas du Vieux Port, qui a été frappée par une tragédie : deux immeubles se sont effondrés dans la rue d’Aubagne en plein centre-ville, coûtant la vie à huit personnes et occasionnant de nombreux blessés.
À cause des risques imminents d’effondrement, l’écroulement d’un troisième immeuble a été provoqué par les marins-pompiers qui, par précaution, ont demandé à plusieurs habitants d’évacuer les bâtiments voisins. À l’heure où nous écrivons ces lignes, plus de 800 personnes ont été évacuées de 83 immeubles et prises en charge pour être relogées par les services sociaux. Cinq jours après le drame, pendant la marche blanche dénonçant les conditions de vie et l’apathie coupable des autorités locales, un balcon s’effondrait faisant trois blessés supplémentaires. Ces événements résument à eux seuls le vrai visage du capitalisme : l’exploitation commerciale de l’histoire de l’humanité fait face à l’abandon de l’habitat populaire et à l’intensification de la misère pour une large partie de la population.
Suite à la catastrophe, les politiciens de tous bords ont aussitôt dénoncé l’absence de mesures pour préserver la sécurité des habitants. De tels propos de la part de ceux qui sont au service d’une société basée sur le profit et la marchandisation de tout, y compris de la vie humaine, sont parfaitement hypocrites. Aujourd’hui, tous les politiciens enfilent leur costume de philanthrope et affirment vouloir lancer un grand plan de réhabilitation. Pourtant, le maire et les services de l’État sont directement responsables, comme le rappellent plusieurs rapports. Depuis de nombreuses années, si certains services cachaient la réalité, d’autres avaient alerté sur la situation déplorable des habitations. Comme le précisent de nombreux rapports, dont un de 2015, “48 % des immeubles [de ce quartier] sont considérés comme du bâti indécent ou dégradé”. Plusieurs rapports ont suivi, sans que rien ne soit réalisé, sauf, dans certains cas, des ravalements de façade. Comment Gaudin et son équipe ne pouvaient-ils pas être informés ? Le cynisme de la bourgeoisie n’a pas de limite !
Afin de dissimuler la responsabilité du capitalisme et sa folle course au profit, les immeubles effondrés à Marseille, comme tous les bâtiments susceptibles de s’effondrer partout et à tout moment sur leurs habitants du fait de leur vétusté et de leur insalubrité, sont sobrement nommés : “habitats indignes”. Mais la vérité, comme la députée des Bouches-du-Rhône, Alexandra Louis, est obligée de le reconnaître, c’est qu’un marseillais sur dix met en jeu “sa santé, sa sécurité, voire sa vie du fait de ses conditions d’habitat” parce qu’il est, en effet, toujours intéressant pour un “marchand de sommeil” de profiter de la misère de ceux qui n’ont pas d’autre choix que de louer des logements à risque, parce que, dans un monde où la concurrence règne en maître, les budgets municipaux pour la rénovation des habitats de quelques insignifiants prolétaires trouveront toujours à mieux s’investir dans de juteux projets permettant à la commune de “tenir son rang”. En ce qui concerne les constructions de prestige, les financements ont ainsi été trouvé comme par magie, à l’image de la Tour CMA-CGM livrée en 2011 et la Tour Jean Nouvel que les touristes pourront photographier plusieurs fois car elle change de couleur en fonction de son ensoleillement. En somme, l’effondrement des immeubles dans le centre-ville de Marseille n’est rien de plus qu’une énième catastrophe “naturelle” du capitalisme !
Pour calmer le mécontentement et la colère des exploités qui subissent cette situation, la Justice désignera à coup sûr des “coupables”, de malheureux bouc-émissaires qui seront peut-être condamnés pour blessures et homicides involontaires. La chasse est déjà ouverte puisque la Justice, depuis quelques jours, procède à des perquisitions pour trouver les documents qui désignent tel ou tel service, tel ou tel employé qui n’auraient pas signalé l’état déplorable de très nombreux logements.
Bien sûr, on va nous dire que Marseille est une exception, que la ville compte 13 % de logements insalubres, contre “seulement” 6 % au niveau national. D’abord, cela signifie que des logements dangereux, il y en a dans d’autres villes ! Certains rapports parlent de 400 000 logements “indignes” ! C’est même le ministre de l’intérieur qui nous le dit : “Il n’existe pas ou très peu en France de villes anciennes qui ne connaissent pas ce type de fragilités”. En effet, la catastrophe de Marseille n’est pas un événement ponctuel, elle vient s’ajouter à une liste déjà longue d’accidents comme à Perpignan (2009), à Romans-sur-Isère (2016), à Montreuil (2011), à Elbeuf (2009)… occasionnant à chaque fois des accidents mortels.
Pour les mêmes raisons de rentabilité, nous avons vu récemment la Tour Grenfell (1) s’enflammer à Londres et le bâtiment d’une usine textile s’effondrer au Bengladesh avec les ouvriers à l’intérieur. Ces catastrophes ont frappé tous les continents : en Inde, en Chine, à Rio au Brésil, mais aussi à New York… sans oublier l’effondrement récent du pont à Gênes en Italie,(2) un pays qui a connu l’effondrement de dix ponts en cinq ans. En France, ces dernières semaines, de nombreux documentaires télévisés ont rappelé que de très nombreux ponts risquaient de s’effondrer ou étaient fragilisés (840 au total).
Si les catastrophes “naturelles” et industrielles, les effondrements d’immeubles ou d’infrastructures routières ont à première vue peu de lien apparent, ils ont en réalité en commun la même logique capitaliste, celle d’un monde où la course au profit et la rentabilité ne peuvent que primer sur la vie humaine.
Eng, 16 novembre 2018
1) “L’incendie de la Tour Grenfell : un crime du Capital”, RI n° 465.
2) “Effondrement du pont de Gênes en Italie : la loi du profit engendre les catastrophes !”, RI n° 472.
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[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_473.pdf
[2] https://fr.internationalism.org/tag/5/36/france
[3] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/situation-sociale-france
[4] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/crise-economique
[5] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/vie-bourgeoisie-france
[6] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/bordiguisme
[7] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/trotskysme
[8] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/catastrophes