Le mercredi 1er août, un énorme incendie se déclarait dans une usine de recyclage d’Athis-Mons (Essonne), site qui avait déjà vu ses déchets en plastique partir en fumée en 2011. Le même jour, les stocks de l’usine Environnement Recycling à Montluçon (Allier) prenaient également feu, mobilisant 140 pompiers et libérant un impressionnant nuage de fumée sur la région. Environnement Recycling avait déjà empoisonné ses employés et l’atmosphère lors de l’incendie de plusieurs tonnes de plastique en 2014. Depuis, visiblement, aucune mesure sérieuse de sécurité n’a été prise et c’est, selon l’entreprise, pas moins de cinq-cents tonnes de plastique, de batterie et de matériel électrique qui ont flambé. La faute, selon la direction, aux batteries au lithium qu’Environnement Recycling a cru pouvoir bazarder sans conséquence sous le soleil d’août, mettant en péril la vie et la santé de la population et, plus encore, de ses salariés dont les conditions de travail, révélées par de multiples scandales, laissent déjà deviner le profond cynisme de la direction !
Cette entreprise “modèle”, “à la fois performante, responsable et citoyenne” (selon son site internet) emploie en effet des personnes handicapées ou “en rupture sociale” (ce qui permet surtout de faire subventionner le coût de la main d’œuvre par l’État) qu’elle expose en permanence à un nuage de poussière toxique contenant une proportion élevée de plomb et autres métaux lourds. Du chantage à l’emploi au prix de la santé d’ouvriers forcément précarisés, c’est ce qu’Environnement Recycling appelle un “engagement en faveur de l’accès à l’emploi et de l’accompagnement” (toujours selon son site internet). Dans ces conditions, répandre une immense fumée empoisonnée plusieurs jours durant sur toute une région relève au mieux, pour Jérôme Auclair, le gérant d’Environnement Recycling qui s’est exprimé dans la presse locale, d’un simple “risque connu”.
Face à ces catastrophes industrielles que personne n’attende de réponse de l’État ; il fera son travail : protéger la rentabilité de la propriété privée ! Déjà, la machine de propagande et de mensonges est en branle. Tandis que la population suffoquait sous un épais nuage toxique, les autorités déclaraient sans sourciller : “le seuil olfactif (expression novlangue pour dire que ça pue méchamment) est atteint, mais il n’y a pas de risques toxiques ni de pollution aquatique ”.(1) Nous voilà rassurés ! En plus : “des prélèvements ont été effectués dès mercredi, pour écarter tout risque de pollution”. Même les grossiers mensonges sur le nuage radioactif de Tchernobyl en 1986 étaient plus convaincants !
Face à la banalisation cynique des méfaits quotidiens du capitalisme, face à la multiplication des catastrophes prétendument naturelles, à celle des catastrophes industrielles, la bourgeoisie n’a pas d’autre explication que la fatalité ou l’origine accidentelle malencontreuse, ni d’autre message que des communiqués stéréotypés des “autorités” pour prévenir la panique et, surtout, désamorcer la colère comme les interrogations des riverains. Pourtant, le stockage peu coûteux de gros tas de détritus indistincts et inflammables est systématique et parfaitement cautionné par les autorités. Tout le monde sait que ces pratiques sont dangereuses (un “risque connu”), que ce type d’incendie met plusieurs jours à s’éteindre, dégageant dans l’atmosphère et dans nos poumons, y compris ceux des enfants et des personnes fragiles, une pollution dont chacun a pu mesurer l’ampleur par le seul “seuil olfactif”. Si la santé et la vie de la population peuvent être mises en péril, le profit, lui, est protégé de ces aléas !
Léo, 3 août 2018.
1 “Incendie à Environnement Recycling (Allier) : la dernière cellule en passe d’être éteinte”, La Montagne du 2 août 2018.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, le mondial de football vient de s’achever sur la victoire retentissante de l’équipe de France. Les différents États et leur appareil médiatique n’ont pas manqué cette belle occasion pour attiser le sentiment patriotique de “l’unité nationale” en appelant à soutenir leurs équipes tout au long de l’événement. Cela a donné lieu à une “liesse nationale” avec, le jour de la finale, des dizaines de milliers de supporters français descendus dans les rues pour clamer leur joie chauvine sous des milliers de drapeaux bleu-blanc-rouge.
De la mi-juin à la mi-juillet, les caméras du monde entier étaient braquées sur la Russie pour couvrir l’événement. En France, à chaque victoire des “Bleus”, les autres sujets d’actualités étaient relégués au second plan, si ce n’est complètement occultés par les principaux médias. Au fil du parcours de l’équipe nationale dans la compétition, les gros titres et les journaux télévisés laissaient une place croissante à ce sujet d’une importance capitale pour… l’unité nationale ! Quelques jours avant la coupe du monde, dans une interview donnée au siège de l’équipe de France à Clairefontaine où il se rendit début juin pour motiver les troupes, Emmanuel Macron déclarait : “C’est toute une nation de football qui est derrière cette équipe.” Ou encore : “le sport permet la cohésion nationale”. Dans cette démarche qui évoque celle d’un général passant en revue ses troupes avant le combat, l’objectif était parfaitement clair. Il s’agissait, en quelque sorte, du coup d’envoi d’une campagne nationaliste à grande échelle : guirlandes tricolores dans les bars, les restaurants et dans certains grands magasins, bandeau sur internet, le drapeau accroché aux fenêtres des maisons ou aux rétroviseurs des voitures, etc. Certaines écoles primaires ont même mis en place une “fan zone”(1) pour les élèves, d’où ces derniers sortaient marqués d’un signe tricolore sur le visage ou en chantant la Marseillaise. Il faut dire que le succès de l’équipe de France fut un atout majeur pour cette campagne nationaliste et l’État a très bien su tirer profit du calendrier de la coupe du monde. En particulier, la fête nationale du 14 juillet, se tenant juste après la victoire de l’équipe de France en demi-finale et à la veille même de la finale, donna lieu à un impressionnant déballage de patriotisme, une “communion” orchestrée derrière les “Bleus”. A maintes reprises, des références ont été faites à la “victoire de 98”.(2) En particulier, nous avons vu des tentatives pour reprendre le thème hypocrite de la France “black-blanc-beur”, comme symbole de l’unité nationale, pour mieux endormir la classe ouvrière avec des slogans interclassistes. L’unité nationale repose sur le mythe de l’union du grand patron avec l’ouvrier, indispensable aux intérêts du capital national. Dans tous les pays où l’équipe nationale participait à la compétition, la bourgeoisie s’est servie du Mondial pour gommer et rejeter les antagonismes de classe et distiller la propagande qu’“ensemble”, “soudée pour défendre et encourager son équipe”, chaque nation est plus forte et par la même induire que l’ouvrier d’ici est nécessairement en concurrence, en rivalité, avec l’ouvrier de là-bas.
L’utilisation du sport comme vecteur du nationalisme n’est pas un fait nouveau. Le premier exemple qui vient à l’esprit, sans doute le plus marquant, est celui des Jeux Olympiques de Berlin en 1936, où la volonté du IIIe Reich était clairement affichée : “le jeune sportif allemand devait être “résistant comme le cuir, dur comme l’acier de Krupp””.(3) Cela présageait ce qui allait suivre. Durant la guerre froide, l’agressivité des sportifs d’URSS comme des États-Unis n’avait d’égale que celle de l’impérialisme de leur pays respectifs… De la même manière, en 1969, le match de football opposant le Honduras au Salvador pour la qualification en coupe du monde l’année suivant fut un prélude à la guerre qui ne tarda pas à éclater entre ces deux pays. On peut également rappeler le match qui opposa le Dynamo de Zagreb au Red Star de Belgrade en 1990 débouchant sur une bataille rangée qui fit des centaines de blessés et plusieurs morts, contribuant à envenimer les tensions nationalistes déjà existantes qui allaient déboucher sur la guerre en ex-Yougoslavie. Parmi les supporters serbes les plus radicaux, on remarquait le chef de guerre Arkan, spécialiste de “l’épuration ethnique”, nationaliste recherché plus tard par l’ONU pour “crime contre l’humanité” !(4) Nous pourrions remplir nos pages d’exemples de ce type.
Lors de ce Mondial, certains joueurs se sont fait directement les porte-paroles de ces tensions impérialistes et de la haine qu’elles véhiculent. Lors du match Suisse-Serbie, deux joueurs suisses originaires du Kosovo (ancienne province Serbe majoritairement albanaise) ont célébré leurs buts en mimant avec leurs mains l’aigle albanais, adressant un véritable message de défiance vis-à-vis des Serbes. On voit bien à quel point les compétitions sportives internationales sont la forme refoulée des champs de bataille.
Par conséquent, il est indispensable de dénoncer le piège que constituent ces “rencontres” sportives ultra médiatisées pour la conscience et pour l’unité internationale du prolétariat mondial. La ferveur nationaliste, l’hystérie chauvine, outil indispensable au développement de l’impérialisme, y est alors attisée par tous les moyens. Le battage médiatique qui accompagne les principaux événements sportifs a vocation à “améliorer le moral des ménages”, favorisant ainsi la consommation mise à mal par l’enfoncement du capitalisme dans sa crise historique. Dans la dynamique de la société capitaliste qui entraîne l’ensemble de l’humanité vers la barbarie et le chaos, tout cela évoque la formule de la Rome antique : Panem et circenses (du pain et des jeux) !
La classe ouvrière doit rejeter fermement le poison nationaliste sous toutes ces formes qui mène inévitablement à des guerres fratricides. Face à la misère que sème le capitalisme, elle ne doit pas se laisser happer par le cirque orchestré par la bourgeoisie, mais elle doit chercher la solidarité au delà des frontières nationales, elle doit défendre le caractère international de la perspective communiste. C’est l’unique voie pour mener l’humanité vers un monde sans exploitation, sans misère, sans guerres, et sans frontières !
Marius, 20 juillet 2018
1Zone spéciale réservée aux supporters les plus fanatiques.
2La coupe du monde de football de 1998 organisée et gagnée par la France avait également donné lieu à une assourdissante campagne nationaliste.
3Lire notre série d’articles publiés en 2012 et 2013 : Le sport, le nationalisme et l’impérialisme (Histoire du sport dans le capitalisme), Révolution Internationale n° 437, 438, 439.
4Le sport, un concentré de nationalisme, Révolution Internationale, juin 2010.
Inexorablement, les massacres se succèdent dans l’interminable conflit israélo-palestinien. Une fois encore, l’État d’Israël a tiré sur des milliers de personnes et en a assassiné plusieurs dizaines d’autres. De l’autre côté, c’est une fraction de l’État adversaire, le Hamas, à la tête des territoires de Gaza, qui a soutenu et encouragé une manifestation en sachant pertinemment qu’en face, l’armée israélienne allait tirer pour tuer. Le bilan de cette “grande marche du retour” s’élève à 130 morts et près de 4 000 blessés, selon les dernières informations.
Cet énième épisode de déchaînement de violence montre que la Bande de Gaza est devenu un ghetto de misère et d’obscurantisme religieux, dans laquelle la population ne cesse de subir les pires souffrances. Le seul avenir réservé aux habitants de ce territoire, c’est toujours la mitraille, la faim, la misère.
Alors que le 14 mai, un parterre de politiciens célébraient, le sourire aux lèvres, l’inauguration de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem, bien que son statut de capitale de l’État d’Israël ne soit pas reconnu sur la scène internationale, au même moment, quelques dizaines de kilomètres plus loin, soixante personnes étaient assassinés par des soldats tirant sur des manifestants sans défense. Ces victimes, chaire à canon d’une cause qui n’est pas celle des exploités, tentaient de promouvoir aux yeux du monde la reconnaissance d’un État, la Palestine, que de moins en moins de gouvernements ont désormais envie de soutenir. Face à la réalité de la barbarie impérialiste, les déclarations d’indignation de nombreux responsables politiques ne sont que des protestations hypocrites : si certains désapprouvent l’attitude irresponsable de Trump et condamnent “les violences des forces armées israéliennes”, si les dignes représentants de l’Union européenne ont cyniquement demandé, le jour-même du massacres, “à toutes les parties d’agir avec la plus grande retenue afin d’éviter des pertes de vies humaines supplémentaires”, ils ne stigmatisent la politique meurtrière de Trump, d’Israël ou du Hamas, que pour masquer le ur propre implication dans la défense d’intérêts impérialistes non moins sordides. En fait, tous les États, puissants ou faibles, alimentent sans la moindre considération pour la vie humaine, les tensions guerrières dans cette région qui est déjà une véritable poudrière depuis plus d’un siècle.
En attendant, les fractions politico-religieuses de Gaza qui ont organisé “la marche du retour” ont poussé sans aucune vergogne toute une population désorientée, parfois fanatisée, à aller se faire massacrer. Le Hamas a même poussé les enfants à se déplacer pour ne pas qu’ils oublient que “l’ennemi, c’est Israël” : huit enfants de moins de 16 ans sont ainsi morts sous les balles israéliennes ! Pour le Hamas et ses fractions concurrentes, pousser des êtres humains à se faire massacrer est le fruit d’un calcul politique froid, cyniquement justifié par la recherche de soutiens en provoquant des réactions dans les populations des pays de la région pour qu’elles fassent pression sur leur gouvernement afin de soutenir la cause palestinienne. L’envoi de missiles depuis Gaza sur le territoire israélien ne fait que confirmer la réalité d’un engrenage meurtrier qui ne peut qu’alimenter l’esprit de vengeance. Derrière les attentats terroristes dans les rues d’Israël et les massacres des populations de Gaza par la soldatesque israélienne, il y a la même logique, celle de “la loi du talion”, la volonté barbare de “rendre coup pour coup”. Dans cette escalade, le nombre de morts comptabilisé par chaque camp sert à justifier par avance l’horreur des assassinats et l’ampleur du massacre à venir.
Cette région du Moyen-Orient était un enjeu stratégique pour les puissances coloniales bien avant que l’on s’intéresse au pétrole.(1) Le partage de cette région a connu plusieurs épisodes marquant au cours et à la suite de la Première Guerre mondiale qui a vu l’Empire Ottoman s’effondrer et de nouveaux États apparaître. La Palestine, sous protectorat britannique, avait alors à sa tête une bourgeoisie nationale incapable de créer une nation indépendante. Tandis que la bourgeoisie arabe s’opposait à la présence britannique, émergeait un rival sioniste utilisé par l’impérialisme anglais pour se maintenir durablement. Le Royaume-Uni avait ainsi promis la Palestine à la fois aux sionistes et à la bourgeoisie pan-arabe naissante, une politique couronnée de succès jusqu’à la Seconde Guerre mondiale et bien après.
Au cours de la période de décadence du capitalisme, les nations nouvellement créées dans cette région, comme partout ailleurs, sont aussitôt devenues des pions au service d’impérialismes rivaux. L’histoire du XXe siècle montre ainsi que les nationalismes sioniste et arabe ont tous deux été amenés à jouer un rôle de plus en plus important au Moyen-Orient en tant qu’idéologies servant dans l’équilibre complexe des forces entre les grandes puissances impérialistes. Ils ont également constitué de véritables armes contre la menace représentée par les luttes de la classe ouvrière dans la mesure où celle-ci était poussée à prendre parti pour un camp, ce qui ne pouvait que la désarmer et la faire sombrer dans la division. Cette idéologie a pu également être propagée par les milieux gauchistes contre la classe ouvrière des pays développés, notamment par le biais de prétendues “luttes de libération nationale” qui n’ont fait qu’alimenter les massacres impérialistes. Prendre parti pour un camp impérialiste, c’est encore et toujours ce que nous demandent les gauchistes comme LO ou le NPA. Ces va-t’en-guerre justifient leur soutien à l’un des camps belligérants avec les mêmes arguments depuis des décennies : parce qu’il aura été “dépossédé de sa terre”, le “peuple palestinien” doit, selon cette logique, être soutenu contre Israël, “l’avant-poste de l’impérialisme occidental”.
Ce conflit de longue date s’enlise dans une région en proie à un chaos guerrier croissant et qui ne cesse de s’étendre. Aujourd’hui, cette région du monde et sa population sont livrées à la barbarie guerrière, à la terreur et à la misère mais bon nombre de puissances impérialistes, petites ou grandes, se trouvent plongées plus ou moins directement dans cet imbroglio qui dépasse l’héritage de ce conflit permanent. C’est une expression de l’impasse du monde capitaliste dans laquelle nous vivons. L’extension du chaos guerrier qu’il génère menace l’humanité entière d’être engloutie en sombrant dans un océan de barbarie si le prolétariat, particulièrement celui des pays les plus développés, n’avait pas la force d’imposer sur le terrain de la lutte de classes sa propre perspective révolutionnaire : le renversement du capitalisme. Face à toute la barbarie du conflit israélo-palestinien, les mots de la Gauche Communiste dans les années 1930 résonnent toujours par leur actualité : “Pour le vrai révolutionnaire, naturellement, il n’y a pas de question “palestinienne”, mais uniquement la lutte de tous les exploités du Proche-Orient, arabes ou juifs y compris, qui fait partie de la lutte plus générale de tous les exploités du monde entier pour la révolution communiste”.(2)
Seb, 25 juin 2018.
1Notes sur l’histoire des conflits impérialistes au Moyen-Orient, [3] Revue internationale n° 115.
2La position des internationalistes dans les années 30, Bilan n° 31 (1936).
Dans son nouveau film, En guerre, ovationné lors de sa projection au dernier festival de Cannes, Stéphane Brizé traite une nouvelle fois de la question sociale en portant un regard toujours aussi critique sur l’inhumanité du système capitaliste et les effets dévastateurs de la concurrence sur la vie des ouvriers. Cette fois-ci, le cinéaste a choisi de traiter la lutte d’ouvriers contre la direction d’une usine automobile de province ayant décidé de fermer le site. Face aux accords bafoués et à la parole non-respectée, les 1100 salariés de l’usine, très en colère, décident de mener la guerre que leur impose le patronat. Parmi eux, un leader se distingue, Laurent Amédéo, délégué d’un syndicat minoritaire et radical, joué par Vincent Lindon.
Même si le film ne semble pas avoir connu le même succès que le précédent(1) auprès du grand public, sa promotion dans les médias et sa diffusion dans les rangs ouvriers(2) suscitent une interrogation. Pourquoi promouvoir largement une œuvre cinématographique qui, a priori, flingue sans retenu la société capitaliste ?
Comme dans La loi du marché, Stéphane Brizé porte un regard acerbe, virulent et indigné sur le monde du travail, les ouvriers étant traités comme des moins que rien par des chefs d’entreprises qui décident de délocaliser l’usine afin de préserver leurs intérêts. Le film montre bien l’état d’esprit avec lequel la bourgeoisie assure sa survie. Sans la moindre compassion, cynique et égoïste, elle plonge des milliers de salariés et leurs familles dans le désespoir et la misère. Le film met bien en évidence ces figures de la bourgeoisie industrielle, du petit directeur de l’usine au PDG allemand, en passant par la directrice des ressources humaines, mais il les réduit à leur dimension individuelle sans véritablement montrer qu’ils incarnent avant tout la classe dominante de la société capitaliste dont l’état d’esprit n’a pas pris une ride depuis près de 170 ans. En son temps, Engels écrivait à propos de la bourgeoisie : “Je n’ai jamais vu une classe si profondément immorale, si incurablement pourrie et intérieurement rongée d’égoïsme. (…) Pour elle il n’existe rien au monde qui ne soit là pour l’argent, sans l’excepter elle-même, car elle ne vit que pour gagner de l’argent et pour rien d’autre, elle ne connaît pas d’autre félicité que de faire une rapide fortune, pas d’autre souffrance que de perdre de l’argent. (…) Le bourgeois se moque éperdument de savoir si ses ouvriers meurent de faim ou pas, pourvu que lui gagne de l’argent. Toutes les conditions de vie sont évaluées au critère du bénéfice, et tout ce qui ne procure pas d’argent est idiot, irréalisable. (…) Le rapport de l’industriel à l’ouvrier n’est pas un rapport humain, mais une relation purement économique”.(3)
L’une des forces du film est de mettre en lumière cette gestion inhumaine du capital par la bourgeoisie, cette façon bien à elle de piétiner sans cesse des producteurs déjà écrasés et brisés par les efforts consentis pour préserver leurs emplois, seul moyen de survivre dignement dans cette société en putréfaction. Sur ces aspects-là, le film touche au plus près de la réalité. Un réalisme renforcé par les plans serrés, l’authenticité des personnages et le mélange entre la fiction et le reportage. Mais un réalisme qui n’arrive pas à s’élever au-delà des apparences et qui réduit la lutte de classes à un combat d’individus arbitré par l’État incarné ici par le porte-parole du gouvernement dont la neutralité n’est qu’un vulgaire trompe l’œil.
Ce film reprend le stéréotype même du combat perdu d’avance. Puisque la lutte des “Perrin”, totalement isolée, se résume à la quête d’obtention de négociations avec les responsables de l’entreprise et les représentants de l’État. Bien sûr, les ouvriers se font prendre au jeu du pourrissement. Bientôt, la lassitude et le désespoir gagnent leurs rangs du fait de tensions entretenues et de la grande faiblesse de cette lutte isolée. D’un côté, les jusqu’au-boutistes, amenés par Laurent Amédéo, bien décidés à ne rien lâcher jusqu’à ce qu’on garantisse le maintien de leur poste. De l’autre, les “modérés” qui acceptent de reprendre le travail afin de faire augmenter la prime de licenciement. La radicalisation des jusqu’au-boutistes atteint son paroxysme avec le lynchage du grand patron du groupe allemand après l’échec des négociations et le discrédit total (largement alimenté par les médias) du “combat des Perrin”. Ce qui consacre la division chez les ouvriers qui finissent par s’engueuler, s’insulter et se battre entre eux, comme des hyènes devant un morceau de viande pourrie. Rejetant leur frustration sur un bouc-émissaire, Laurent Amédéo, véritable coupable idéal de cette débâcle, accusé à tort de penser qu’à lui et de profiter de la situation (même s’il a largement contribué à mener la lutte droit dans le mur en tant que dirigeant syndical). Celui-ci finit par s’immoler devant le siège de l’entreprise en Allemagne en véritable martyr ; suite à cela les treize ouvriers poursuivis par la justice pour agression seront relaxés et la direction du groupe accepte de reprendre les négociations. Que dire de cette scène finale qui sombre dans le glauque et le vulgaire ? Comment ne pas voir ici la mort symbolique d’une classe, la victoire et le règne d’une société où les individus totalement broyés préfèrent écourter leur souffrance plutôt que de lutter collectivement pour un autre monde ?
Si le film donne l’image d’une réalité de la lutte actuelle dans le secteur industriel, il est incapable d’esquisser ce que pourrait être une lutte se développant sur un terrain de classe. A l’inverse, c’est un tableau très noir et empreint de désespoir qui est délivré ici. Les ouvriers sont incapables d’opposer leurs seules armes (la solidarité, l’unité) pour lutter contre la concurrence effrénée de la production capitaliste. Au contraire, ces aspects ne cessent de se déliter au fil de l’histoire. La classe comme un tout n’existe pas, n’existe plus. Incapables de s’unir, condamnés à se battre pour quelques miettes, les ouvriers placent leurs maigres espérances dans les actes héroïques de quelques-uns d’entre eux. Dès lors, ce film nie totalement la capacité encore vivante de la classe ouvrière à donner une autre perspective à l’humanité.
Il va sans dire que ce film est une fois de plus du pain béni pour la bourgeoisie. Il n’est guère surprenant qu’il soit promu largement par le biais des grands canaux médiatiques et culturels. En guerre est l’expression de ce monde sans avenir où l’immédiat et l’apparence l’emportent sur le futur. La lutte ne sert plus à rien ! La classe est condamnée à résister dans une guerre qu’elle ne gagnera pas, ne pouvant que s’efforcer de limiter les “excès” d’un capitalisme triomphant. D’un certain côté, ce film exprime les confusions et le propre désespoir de son auteur. Sa démarche individuelle l’empêche de saisir les potentialités révolutionnaires toujours existantes de la classe ouvrière. Incapable de comprendre cette essence, il reste fixé sur l’apparence d’une classe en pleine agonie, sur une vision purement photographique du monde. Mais au-delà du cas de conscience d’un individu, les visions sous-jacentes du film sont les reflets de la période que nous traversons. Stéphane Brizé et son dernier opus servent in fine de relais au message que la bourgeoisie et ses politiciens ne cessent de marteler en direction des prolétaires, à savoir qu’une société sans inégalité et sans exploitation est impossible, que le combat de la classe ouvrière pour un autre monde est impossible, perdu d’avance.
Joffrey, 5 juillet 2018
1Voir : “À propos du film La loi du marché : une dénonciation sans réelle alternative”, Révolution Internationale n° 453, ainsi que notre réponse à un courrier de lecteur sur ce sujet dans le numéro suivant.
2Une projection-débat a été organisée à Blanquefort (Gironde) à l’initiative du collectif des ouvriers de l’usine Ford en présence de Stéphane Brizé et de Xavier Matthieu, ancien leader syndical sorti de l’ombre lors de la lutte des ouvriers de l’usine Continental de Clairoix.
3Engels, La situation de la classe laborieuse en Angleterre, 1845.
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/france
[2] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/catastrophes
[3] https://fr.internationalism.org/rinte115/mo.htm
[4] https://fr.internationalism.org/tag/5/57/israel
[5] https://fr.internationalism.org/tag/5/58/palestine