Récemment, "Le Prolétaire", organe du Parti communiste international a publié deux articles (n° 203-204) sous le titre de "la légende d'une gauche européenne" consacrés à la "critique" de "Révolution Internationale et ses amis".
Nous aurons l'occasion de faire à notre tour une critique plus approfondie de ce courant politique dans la "Revue Internationale", non pour offrir au PCI une réponse en bonne et due forme mais pour montrer par le négatif du PCI ce qu'est le marxisme -comme acquis fondamental de la lutte de classe du prolétariat- et comment l'héritage des fractions communistes (de Bilan en particulier), loin d'être l'expression d'un prétendu marxisme "occidental" ou "européen" est l'héritage vivant et fondamental de la dernière vague révolutionnaire, lequel est la source authentique du programme communiste aujourd'hui.
Pour nos lecteurs qui seraient peu au courant des positions de ce "parti", voire de son existence, il est bon d'apporter quelques précisions. Le Parti communiste international se réclame de la Troisième Internationale et se proclame le plus fidèle continuateur de Lénine et "marxiste invariant", se dit le continuateur de la Gauche italienne née en 1919 comme "Fraction communiste abstentionniste" et dont le représentant le plus important fut Amadeo Bordiga. C'est autour de Bilan, dans les années trente et jusqu'à la fin du second conflit impérialiste, que devaient se regrouper les éléments révolutionnaires issus de la Gauche communiste italienne. Né en 1943 sous le nom de Parti communiste internationaliste en Italie, mais existant sous sa forme actuelle depuis 1952 - date de la scission d'avec le groupe Damen, fondateur réel de ce parti, qui continue son activité autour du journal Battaglia comunista, le parti bordiguiste regroupé en France et en Italie autour de "Programma comunista" et du "Prolétaire" n'a en fait plus rien à voir avec le glorieux passé de la Gauche italienne.
Aujourd'hui les "programmistes" ne se distinguent plus qu'à grand peine des trotskystes. Faisant depuis plus de 25 ans l'apologie des mouvements nationalistes du tiers monde ("peuples de couleur"), se faisant depuis quelques années les donneurs de conseils aux groupes gauchistes, auxquels ils reprochent leur "opportunisme", il ne manquait plus à leur brillant tableau que de se faire les propagandistes de l'urne démocratique à l'occasion de référendums en Italie et en Suisse, ce qui est un comblé pour des gens se réclamant de la "Fraction communiste abstentionniste" et qui il y a dix ans proclamaient que "le prolétariat naissait antiparlementaire".
Depuis deux ans, la pénétration des idées trotskystes s'est faite toujours plus profonde au sein du PCI. Si le parti "bordiguiste" ne préconise pas encore le "Front unique"-"tactique" préconisée par le troisième Congrès de l'IC pour "gagner les masses" avec "l'opportunisme" que sous sa forme syndicale, et non sous sa forme politique comme le font les trotskystes, il préconise aujourd'hui ouvertement, tout comme ces derniers, le programme minimum des réformistes du siècle dernier qu'il n'ose encore baptiser "programme de transition". Le programme communiste "intégral" de la révolution est devenu un livre de recettes (35 heures, travail pour tous, chômage payé à 90%, etc.) s'adressant à chaque catégorie particulière du prolétariat qu'on divise en femmes, jeunes, etc., recettes qu'on, jette en pâture aux ouvriers à qui on laisse espérer que leur seule action économique pour des réformes impossibles pourrait remplir leurs ventres affamés par la crise. Misérables recettes de charlatans qui proposent aux ouvriers d'accommoder avec le vide de phrase creuses les restes putréfiés d'un capitalisme sénile.
Une telle continuité dans la prostitution des acquis de la «Gauche Communiste» n'a d'égale, dans la série d'articles mentionnés que leur impudence à falsifier le passé. Selon eux, "Bilan a fait des erreurs politiques, c'étaient justement des erreurs, des concessions à des courants de type "gauche européenne" mais ceci dans une attitude oscillante qui interdit de prétendre que Bilan avait une théorie particulière qui aurait révisé les positions originelles de l'Internationale et de la Gauche".
Voyons un peu ce que le PCI appelle les "erreurs" de Bilan:
Ce sont tous ces acquis immenses du prolétariat, les principaux des années trente, que le PCI veut ensevelir dans l'oubli, ne voulant y voir que des errements infantiles,-sous l'influence ... d’une prétendue "Gauche européenne". II est vrai que les éléments qui furent expulsés de "Bilan" pour leur participation à la guerre d'Espagne dans le camp impérialiste républicain et ressurgirent à la fin de la guerre à la tête du PCI sont peu enclins à voir dans les positions de "Bilan" les vrais positions internationalistes défendues par la petite, poignée de révolutionnaires de l'époque.
Voyons maintenant ce que le PCI entend par "gauche européenne" ou "marxisme occidental". Selon lui, il y aurait eu après 14 deux sortes de gauche: une gauche européenne incarnée par la gauche allemande et la gauche russe "léniniste", véritablement internationale. C'est une pure mystification digne de tous les mensonges bourgeois de l'époque et d'aujourd'hui que de présenter la révolution qui a suivi le premier après-guerre comme purement russe, les fractions communistes des pays industrialisés en sorte comme une réaction "occidentale" menchevik, aux excès des Russes, contre "la barbarie et l'arriération russe, la magnifique révolution occidentale et civilisée" (Le Prolétaire n° 204). Ce que le PCI appelle "gauche occidentale" était :
Comment expliquer une telle attitude? On se tromperait en voulant voir dans leur apologie inconditionnelle du parti bolchevik l'origine de leur dégénérescence. Des bolcheviks, ils ont oublié tout l'enseignement révolutionnaire; à l'inverse, des mencheviks ils reprennent de plus en plus les positions, authentiquement contre-révolutionnaires Toute la politique des "programmistes" qui se font de plus en plus les idéologues des "révolutions nationales", "bourgeoises", "des insurrections des peuples opprimés" n'est que la continuation de toute la politique mencheviste. Ces "défenseurs" de la Révolution "russe", "léniniste" contre les partis "infantiles", "extrémistes" de l'"Occident" ne font que reprendre, bien après les Dan et Tsérétéli la théorie des staliniens et des gauchistes d'aujourd'hui "de la voie nationale au socialisme". En niant le caractère international de la révolution, qui dans le passé s'est manifestée par l'apparition simultanée en Europe des fractions communistes -apparition qui débordait largement le cadre européen-, ils ne peuvent qu'être amenés à cracher sur tout ce qui incarne mondialement le communisme. Il est logique qu'après avoir fait si longtemps silence sur Bilan, ils ne voient plus dans les positions de la Gauche italienne des années trente que des "Bourdes" (sic).
Les "programmistes" devraient être plus logiques: la "Fraction communiste abstentionniste" qui rejeta la conception du parlementarisme révolutionnaire a fait des "bourdes" de type "infantile" et "occidental"; la lutte contre les Serrati, réintégrés dans l'Internationale sur l'ordre de Lénine, a été non moins une "bourde", de même que le refus de cautionner la politique zinoviéviste des "gouvernements ouvriers".
Quant" à permettre la publication dans «Il Soviet», le journal fondé à Naples par Bordiga, de textes de Pannekoek, Gorter, Pankhurst en 1919-20, il a fallu que la "Fraction abstentionniste" soit déjà terriblement gangrenée par "des concessions à des courants de type "gauche européenne".
Pour le PCI la résurgence du courant de la gauche communiste à travers "RI et ses amis"'(entendez par là le Courant communiste international) correspond au fait que : "la victoire théorique du marxisme sur le bakouninisme a eu son revers de la médaille; en fait, l'anarchisme aujourd'hui se voit dans l'obligation de "couvrir d'un voile marxiste le vieux fond idéaliste, stirnérien et pré-marxiste". Il est vrai que le PCI croit bon de nous assimiler, nous les bakouninistes, à des "professeurs de marxisme" (n° 204). En sorte, aujourd'hui, les "anarchistes" se doivent de donner des leçons de marxisme pour donner le chancre.
0k ne pourrait que s'esclaffer à la lecture de telles niaiseries, si le PCI ne cherchait -avec une mauvaise foi aussi voyante que-grossière- à présenter le KAPD comme "une école méprisable" et à faire apparaître: calomnieusement notre Courant comme "ultragauche en paroles, ultraconservateur dans les faits". Depuis plus de cinquante ans, la calomnie portée sur la théorie révolutionnaire est la seule invariance que connaissant soit les opportunistes soit les ennemis déclarés de la révolution prolétarienne et cela ne saurait étonner les révolutionnaires.
Mais voyons ce qu'il en est exactement de l'anarchisme de "RI et de ses amis". Examinons les points les plus importants et les plus significatifs qui sont censés définir les anarchistes:
Mais, peut-être que nous, ''anarchistes", donnons une fois de plus des leçons de marxisme...
On peut se demander pourquoi le PCI mène une telle polémique contre RI, après avoir soigneusement évité pendant longtemps toute allusion à notre existence. L'apparition du Courant communiste international, qui contredit la théorie "programmiste" que seul le PCI peut se manifester internationalement, à la différence de la gauche "infantile" marquée par sa nature "occidentale", porte un rude coup au même PCI. Depuis 64, tant en Italie qu'en France, le PCI ne cesse de se décomposer; la soudaine disparition de ses sections Scandinave et allemande (Internationale Revolution. Kommunismen) lui a fait perdre toute prétention' internationale. On comprend que le PCI veuille taire l'existence gênante du Courant en parlant de "RI et ses amis", ou bien, de "RI avec des cousins en perpétuelle dispute", manière perfide de nous présenter à ses lecteurs non comme une organisation centralisée internationalement -dans laquelle la discussion ne peut que se développer pour affermir une réflexion jamais achevée- mais comme une fédération de clubs de discussion.
Nous avons déjà eu l'occasion d'expliquer que c'est l'incompréhension de la période ouverte par le premier conflit impérialiste (voir RI et bulletin de discussion) qui amenait le PCI dans de telles aberrations théoriques.
Et même, à une pure falsification des positions de la Gauche communiste. Réfugiés derrière leur paravent de l'invariance du marxisme depuis 1848, ils pratiquent la même politique des sociaux-démocrates qui consistait à se réfugier derrière l'apparente orthodoxie d'idées dépassées par la lutte de classe pour mieux trahir la méthode marxiste d'analyse et d'action. Aujourd'hui, le PCI prend le chemin qui l'amène à quitter sans espoir de retour le camp prolétarien pour celui de la bourgeoisie.
Pour une fois, nous serrons d'accord avec le PCI, lorsqu'il affirme que le passé fait tomber des groupes "dans les déchets que l'histoire vivante laisse inévitablement à chaque cycle de son métabolisme incessant et riche de lendemains exaltants". Le PCI, lui, appartient plutôt à la catégorie des déchets -de l'histoire morte, à celle qui corrompt et entrave le "métabolisme incessant" de la lutte de classe.
CHARDIN