Pour juger de l'état
du monde, il suffit d'évoquer la question :
quels sont les événements
qui auront marqué le plus profondément l'année
2003 ?
Que traduisent-ils ?
La nouvelle guerre meurtrière en Irak en mars dernier aura précipité
ce pays dans un chaos sanglant qui n'est pas prêt d'être
contrôlé ni surmonté, et ce n'est pas l'arrestation
récente de Saddam Hussein qui va changer quoi que ce soit à
cette réalité. Le Proche-Orient a continué à
être la proie d'une escalade de la violence dans un conflit israélo-palestinien
qui apparaît de plus en plus sans issue.
Le déchaînement des actions kamikazes et les attentats
terroristes frappant aveuglément les populations se sont généralisés
à un point tel qu'ils sont susceptibles de s'abattre en n'importe
quel endroit de la planète.
Il est manifeste que, bien loin de tous les discours officiels rassurants
et des promesses de paix, le monde s'enfonce dans une barbarie guerrière
de plus en plus sanglante. Ce sont des populations de plus en plus nombreuses
qui sont les principales victimes de cette aggravation de la barbarie.
A l'enfer de la terreur, de la destruction, des massacres, des mutilations
qu'elles subissent dans les pays livrés à ces carnages
s'ajoutent une plongée dans une misère effroyable.
Cette domination de la barbarie sur une large partie de la planète
converge avec une accélération sans précédent
des attaques contre la classe ouvrière dans les pays centraux
du capitalisme.
Ce sont les mêmes mesures qui sont mises en place partout par
tous les gouvernements, qu'ils soient de gauche ou de droite, que ce
soit en France, en Autriche, en Allemagne, au Brésil, et aujourd'hui
en Italie. Alors que le chômage ne cesse de s'aggraver et que
continuent à s'intensifier des plans de licenciements à
répétition, alors que la précarité de l'emploi
s'est généralisée, la nature même de ces
attaques dévoile encore plus crûment la faillite du système.
Non seulement le capitalisme jette à la rue de plus en plus larges
fractions de la classe ouvrière, mais il s'avère de plus
en plus incapable de leur assurer les moyens de survie les plus élémentaires.
C'est aux retraites et à la santé des prolétaires,
c'est aux allocations de tous ceux qui sont déjà réduits
au chômage que la bourgeoisie s'en prend désormais de façon
simultanée, massive et frontale, alors même que les conditions
de travail empirent et que le pouvoir d'achat se dégrade à
toute vitesse. C'est à une plongée en accéléré
dans la misère que sont déjà confrontées
de plus en plus de familles ouvrières.
L'ampleur et la profondeur sans précédent des attaques
de la bourgeoisie contre la classe ouvrière révèlent
l'enfoncement inexorable du capitalisme dans les convulsions de sa crise
mondiale. Quant à la bourgeoisie, elle démontre de plus
en plus clairement qu'elle n'a plus les moyens d'étaler ses attaques
contre les conditions de vie les plus vitales de la classe ouvrière.
Le capitalisme est contraint de dévoiler de plus en plus ouvertement
sa faillite. L'accélération dramatique de cette situation
sur la terre entière démontre clairement que, non seulement
ce système d'exploitation est incapable d'assurer un meilleur
sort pour l'humanité mais qu'il constitue au contraire, de façon
permanente, une menace d'engloutir la planète dans un gouffre
de misère et de barbarie.
Face à la gravité d'un tel enjeu, il existe une seule
issue : le renversement de ce système par la seule classe qui
n'a rien d'autre à perdre que les chaînes de son exploitation,
le prolétariat. La classe ouvrière détient toujours
la clef de l'avenir.
Elle seule a les moyens de sortir l'humanité de cette impasse.
Elle est bien la seule classe aujourd'hui comme hier, comme demain,
capable de s'opposer à la perpétuation de ce système
d'exploitation. Elle est la seule classe de l'histoire porteuse d'une
autre société dont le moteur ne serait plus le profit
et l'exploitation mais la satisfaction des besoins humains. Face à
l'enfoncement inéluctable dans la misère et la barbarie,
le développement de ses luttes sur son terrain de classe pour
résister aux attaques de la bourgeoisie pourra faire éclore
une autre perspective pour l'humanité.
Malgré la défaite que les prolétaires ont subi,
les luttes ouvrières qui ont commencé au printemps dernier
en Autriche ou en France ont démontré non seulement que
la classe ouvrière a la capacité de relever la tête
face aux attaques mais aussi qu'elle a conservé sa capacité
à affirmer sa propre perspective révolutionnaire
Les craintes de la bourgeoisie sont pleinement révélatrices
des potentialités du prolétariat. La bourgeoisie sait
bien qu'elle va devoir l'attaquer encore plus fortement dans les années
à venir et que la classe ouvrière n'aura pas d'autre choix
que de développer ses luttes. C'est justement pour y faire obstacle
et pour empêcher la classe ouvrière de prendre conscience
de la faillite définitive du capitalisme qu'elle a entrepris
de manière préventive de brouiller sa conscience en développant
l'idéologie altermondialiste. Cette mystification qui vise essentiellement
à faire croire qu'un "autre monde" serait possible
dans le cadre d'une "gestion différente" du capitalisme,
est directement destinée à semer la confusion pour entraver
le développement de la prise de conscience qu'il n'existe aucune
possibilité d'améliorer ni de réformer le système.
L'avenir du monde est bien entre les mains de la classe ouvrière.
Comme le rappellent déjà le titre et le préambule
du Manifeste du CCI écrit il y a plus de douze ans et qui est
plus que jamais valable pour les années à venir : "Révolution
communiste ou destruction de l'humanité : Jamais dans l'histoire,
les enjeux n'ont été aussi dramatiques et décisifs
que ceux d'aujourd'hui. Jamais une classe sociale n'a dû affronter
une responsabilité comparable à celle qui repose sur le
prolétariat." Mais au-delà de cette nécessité,
la classe ouvrière doit prendre conscience qu'elle a pleinement
les moyens de développer son combat et de mener à bien
cette tâche gigantesque.
Après un
été de canicule, sur un sol asséché, ces
dernières semaines ont apporté à nouveau leur lot
de catastrophes dites naturelles avec les inondations dans diverses
régions de France et particulièrement dans le Sud-Est,
région "abonnée" depuis plusieurs années
à de telles situations dramatiques, ayant coûté
la vie à des dizaines de personnes, ravageant villages, habitations,
infrastructures routières, ferroviaires, cultures…. Aujourd'hui,
ce sont encore des vies humaines qui ont été emportées,
noyées par des torrents surgis en quelques instants et emportant
tout sur leur passage. En Arles, à Marseille, mais aussi dans
seize départements différents, de fortes pluies se sont
à nouveau transformées en catastrophes. La faute à
pas de chance ? Les caprices de la nature ? La fatalité ? Non,
mille fois non. Encore une fois, tout était prévisible.
En effet, depuis quinze ans, les inondations, particulièrement
dans le Sud-Est de la France, se sont succédées année
après année :
Toutes ces crues sont chaque fois présentées comme la
conséquence de la "force imprévisible de la nature"
ou de la "nature du sol", tout comme certains experts ont
insisté sur l'été de canicule et des sols desséchés
dans le Sud-Est pour mieux justifier les nouveaux ravages de l'eau ces
dernières semaines. Désolation encore l'année dernière
en Europe centrale avec les inondations en Allemagne, en Tchéquie.
Et la liste des inondations est longue dans la dernière période
: Indonésie, Haïti, Venezuela, Québec.
Les inondations de la décennie ou du siècle, quand elles
se renouvellent tous les ans ou presque ne peuvent que poser question
!
Les comités d'experts et organismes d'Etat patentés hésitent
encore à reconnaître que les dérèglements
climatiques sont dus à l'effet de serre, multipliant les phénomènes
météorologiques aux conséquences désastreuses.
Oui, c'est vrai, affirment-ils, le réchauffement de la planète
est une réalité mais il serait trop tôt pour l'incriminer
à partir d' "évènements ponctuels" !
Reconnaître ces dérèglements climatiques liés
à l'activité industrielle impliquerait le constat de la
pollution atmosphérique généralisée, de
l'augmentation des gaz à effet de serre. Ce serait reconnaître
de manière ouverte la responsabilité du fonctionnement
anarchique du capitalisme et l'hypocrisie de TOUS les Etats multipliant
les conférences environnementales et leur lot de promesses écologiques
pour mieux les enterrer dans les secondes qui suivent : la loi de la
concurrence et du profit restent les seuls maîtres !
Ceci est typique d'un système décadent, irrationnel, comme
le capitalisme, incapable de prévenir, guérir ou dépasser
les problèmes. Pire, il en est le principal responsable : gaz
à effet de serre, urbanisation sauvage dans des zones inondables
connues de tous les responsables, cours d'eau non entretenus, modifications
des lits des fleuves, etc. Plus le capitalisme, basé sur le profit
et la rentabilité et non sur les besoins humains, s'enfonce dans
sa propre décomposition, moins il est capable de maîtriser
les formidables forces technologiques qu'il a développées
pour maîtriser la nature. Et si, aujourd'hui, la nature "reprend
ses droits", c'est bien parce que le mode de production capitaliste
n'est plus capable de dominer cette nature, d'apporter le moindre progrès,
la moindre perspective d'avenir à l'humanité.
Et pourtant, les mesures à prendre pour atténuer sinon
éliminer de telles inondations sont connues depuis longtemps.
Mais en matière de prévention, de telles dépenses
sont considérées pratiquement comme du "luxe"
pour l'Etat et sa gestion à courte vue. Ceci n'est pas nouveau
: "…Non seulement la civilisation bourgeoise peut provoquer
directement des catastrophes par sa soif de profit…mais elle se
révèle incapable d'organiser une protection efficace dans
la mesure où la prévention n'est pas une activité
rentable…" (Amadeo Bordiga, Espèce humaine et croûte
terrestre)
L'actualité en apporte une confirmation supplémentaire
: on apprenait par la presse tout dernièrement qu'un rapport
technique établi pour le compte de l'Etat, disponible dès
novembre 2002, établissait en détail tous les dangers
d'une nouvelle crue dans le delta du Rhône et recommandait les
mesures adéquates pour restreindre les dégâts :
renforcement des digues, construction d'ouvrages de rétention
d'eau, création d'un déversoir en Camargue. Bien évidemment,
cette étude n'a pas été rendue publique, et pour
cause ! Ce qui était proposé impliquait nécessairement
pour l'Etat et autres institutions de débourser quelques milliards
d'euros de travaux ! Des ministères, des conseils généraux,
des communes, de la SNCF : chacun se renvoie la balle quant à
l'entretien des digues et autres infrastructures !
Aujourd'hui, dans le Sud-Est, la colère des sinistrés
est montée d'un cran : la plupart n'ont pas encore épongé
les conséquences des crues de l'année dernière,
n'ont pas été remboursés par leurs assurances qu'ils
doivent à nouveau évacuer et voir leurs habitations ravagées
par les flots. En Arles, la majorité des entreprises paralysées
par les eaux ont recouru au chômage technique dans une ville où
le taux de chômage est déjà de 15% !
Les indemnisations des dégâts par les assurances sont déjà
estimées à au moins quatre fois le prix qu'auraient coûtés
les travaux préconisés. Qu'importe ! les cotisations des
assurés seront augmentées au nom de la "solidarité
nationale".
Les ministres du gouvernement, Chirac lui-même, se sont succédés
sur les lieux, comme de coutume, pour compatir et affirmer que tout
sera mis en œuvre pour éviter de telles catastrophes à
l'avenir.
Voyons les mesures proposées : "allègements fiscaux
en faveur des populations et entreprises sinistrées. Les contribuables
concernés pourront faire l'objet d'un examen au cas par cas et
se voir accorder des délais de paiement (sic) ou même d'une
remise totale des cotisations de taxe d'habitation." (ministère
des finances, le 10 décembre 2003). Une loi de juillet 2003 prévoit
"un renforcement des mesures de prévention des risques naturels…le
financement de mesures permettant de réduire la vulnérabilité
des habitations existantes…en facilitant les initiatives des collectivités
territoriales notamment dans le registre du ralentissement des crues".
On peut donc être rassurés : les objectifs sont clairs,
précis et limpides ! Mme Bachelot, ministre de l'environnement,
a même insisté pour que la loi "renforce l'information
préventive et la conscience du risque des populations".
Plus gonflé, tu meurs ! Ce que ces bourgeois affirment en fait
sans vergogne c'est que les catastrophes vont continuer : les constructions
vont se poursuivre dans ces zones, le béton va s'étendre,
les risques se multiplier. Mais chacun aura été prévenu
! La classe dominante, non contente de chercher à se dédouaner
de tels drames dont elle est pleinement responsable, y ajoute le mépris
et le culot le plus écoeurant.
Et il y a toutes les chances de voir tous ces ministres, élus,
aux premières loges du prochain concert de J.J. Goldmann en soutien
aux sinistrés, clamant à tue-tête : "Plus jamais
ça !"
Mais la nature à bon dos. C'est le capitalisme qui tue et qui
va continuer à tuer. Il condamne des populations à la
mort, des régions à de nouveaux sinistres inéluctables
parce que sa loi du profit maximum le pousse à réduire
et même à détruire toute protection contre les catastrophes,
naturelles ou pas. Il n'y a pas de fatalité. Toutes ces tragédies
de plus en plus nombreuses sont la manifestation de la faillite totale
du mode de production capitaliste. Elles ont les mêmes causes
: la décomposition générale qui gangrène
l'ensemble du corps de la société capitaliste. La survie
du capitalisme est devenue une menace permanente pour la survie de l'humanité.
Le prolétariat doit en prendre pleinement conscience.
Dans la première partie de cet article publiée dans RI n°339, nous avons mis en évidence que le communisme n'est pas seulement un vieux rêve de l'humanité ou le simple produit de la volonté humaine, mais qu'il se présente comme la seule société capable de surmonter les contradictions qui étranglent la société capitaliste. Dans la deuxième partie de cet article (publiée dans RI n°340) nous avions réfuté les arguments de ceux qui pensent que la société communiste définie par Marx est impossible à réaliser du fait de l'égoïsme, de la soif de pouvoir et du "chacun pour soi" qui seraient des caractéristiques inhérentes à la prétendue "nature humaine". Cette troisième partie, que nous publions ci-dessous, se donne pour objectif de mettre en évidence que le prolétariat est la seule classe de la société capable de détruire le capitalisme et d'édifier le communisme à l'échelle mondiale.
De même que les caractéristiques du capitalisme avaient permis de résoudre les contradictions qui avaient terrassé la société féodale (comme cela avait été déjà le cas de cette dernière vis-à-vis de la société antique), les caractéristiques de la société appelée à résoudre les contradictions mortelles qui assaillent le capitalisme découlent du même type de nécessité. C'est donc en partant de ces contradictions qu'il est possible de définir les caractéristiques de la future société.
On ne peut, évidemment, dans le cadre de cet article, revenir en détail sur ces contradictions. Depuis plus d'un siècle, le marxisme s'y est employé de façon systématique et notre propre organisation y a consacré de nombreux textes [1] [3]. Cependant on peut résumer à grands traits les origines de ces contradictions. Elles résident dans les caractéristiques essentielles du système capitaliste : c'est un mode de production qui a généralisé l'échange marchand à tous les biens produits alors que, dans les sociétés du passé, seule une partie, souvent très minime, de ces biens était transformée en marchandises. Cette colonisation de l'économie par la marchandise a même affecté, dans le capitalisme, la force de travail mise en oeuvre par les hommes dans leur activité productive. Privé de moyens de production, le producteur n'a d'autre possibilité, pour survivre, que de vendre sa force de travail à ceux qui détiennent les moyens de production : la classe capitaliste, alors que dans la société féodale par exemple, où existait déjà une économie marchande, c'est le fruit de son travail que l'artisan ou le paysan vendait. Et c'est bien cette généralisation de la marchandise qui est à la base des contradictions du capitalisme : la crise de surproduction trouve ses racines dans le fait que le but de ce système n'est pas de produire des valeurs d'usage, mais des valeurs d'échange qui doivent trouver des acheteurs. C'est dans l'incapacité de la société à acheter la totalité des marchandises produites (bien que les besoins soient très loin d'être satisfaits) que réside cette calamité qui apparaît comme une véritable absurdité : le capitalisme s'effondre non parce qu'il produirait trop peu, mais parce qu'il produit trop.
La première caractéristique du communisme sera donc l'abolition de la marchandise, le développement de la production de valeurs d'usage et non de valeurs d'échange.
En outre, le marxisme, et particulièrement Rosa Luxemburg, a mis en évidence qu'à l'origine de la surproduction réside la nécessité pour le capital, considéré comme un tout, de réaliser, par la vente en dehors de sa propre sphère, la part des valeurs produites correspondant à la plus-value extirpée aux prolétaires et destinée à son accumulation. A mesure que cette sphère extra-capitaliste se réduit, les convulsions de l'économie ne peuvent prendre que des formes de plus en plus catastrophiques.
Ainsi, le seul moyen de surmonter les contradictions du capitalisme réside dans l'abolition de toutes les formes de marchandises, et en particulier de la marchandise force de travail, c'est-à-dire du salariat.
L'abolition de l'échange marchand suppose que soit aboli également ce qui en constitue la base : la propriété privée. Ce n'est que si les richesses de la société sont appropriées par celle-ci de façon collective que pourra disparaître l'achat et la vente de ces richesses (ce qui existait déjà, sous une forme embryonnaire, dans la communauté primitive). Une telle appropriation collective par la société des richesses qu'elle produit, et en premier lieu, des moyens de production, signifie qu'il n'est plus possible à une partie d'elle-même, à une classe sociale (y compris sous la forme d'une bureaucratie d'Etat), de disposer des moyens d'en exploiter une autre partie. Ainsi l'abolition du salariat ne peut être réalisée sur la base de l'introduction d'une autre forme d'exploitation, mais uniquement par l'abolition de l'exploitation sous toutes ses formes. Et contrairement au passé, non seulement le type de transformation qui puisse aujourd'hui sauver la société ne peut désormais aboutir sur de nouveaux rapports d'exploitation, mais le capitalisme a réellement créé les prémices matérielles d'une abondance permettant le dépassement de l'exploitation. Ces conditions d'une abondance, elles aussi, se révèlent dans l'existence des crises de surproduction (comme le relève le Manifeste communiste).
La première caractéristique de cette classe est d'être exploitée car seule une telle classe peut être intéressée à l'abolition de l'exploitation. Si dans les révolutions du passé, la classe révolutionnaire ne pouvait, en aucune façon, être une classe exploitée, dans la mesure où les nouveaux rapports de production étaient nécessairement des rapports d'exploitation, c'est exactement le contraire qui est vrai aujourd'hui. En leur temps, les socialistes utopistes (tels Fourier, Saint-Simon, Owen) avaient caressé l'illusion que la révolution pourrait être prise en charge par des éléments de la bourgeoisie elle-même. Ils espéraient qu'il se trouverait, au sein de la classe dominante, des philanthropes éclairés et fortunés qui, comprenant la supériorité du communisme sur le capitalisme, seraient disposés à financer des projets de communautés idéales dont l'exemple ferait ensuite tâche d'huile. Comme l'histoire n'est pas faite par des individus mais par des classes, ces espérances furent déçues en quelques décennies. Même s'il s'est trouvé quelques rares membres de la bourgeoisie pour adhérer aux idées généreuses des utopistes, l'ensemble de la classe dominante, comme telle, s'est évidemment détournée, quand elle n'a pas combattu, de telles tentatives qui avaient pour projet sa propre disparition.
Cela dit, le fait d'être une classe exploitée ne suffit nullement, comme on l'a vu, pour être une classe révolutionnaire. Par exemple il existe encore aujourd'hui, dans le monde, et particulièrement dans les pays sous-développés, une multitude de paysans pauvres subissant l'exploitation sous forme d'un prélèvement sur le fruit de leur travail qui vient enrichir une partie de la classe dominante, soit directement, soit à travers les impôts, soit par les intérêts qu'ils versent aux banques ou aux usuriers auprès desquels ils sont endettés. C'est sur le constat de la misère, souvent insupportable de ces couches paysannes que reposaient toutes les mystifications tiers-mondistes, maoïstes, guévaristes, etc. Lorsque ces paysans ont été conduits à prendre les armes, c'était comme fantassins de telle ou telle clique de la bourgeoisie qui s'est empressée, une fois au pouvoir, de renforcer encore l'exploitation, souvent sous des formes particulièrement atroces (voir, par exemple, l'aventure des Khmers rouges au Cambodge, dans la seconde moitié des années 70). Le recul de ces mystifications (que diffusaient tant les staliniens que les trotskistes et même certains "penseurs radicaux" comme Marcuse) n'est que la sanction de l'échec patent de la prétendue "perspective révolutionnaire" qu'aurait porté la paysannerie pauvre. En réalité, les paysans, bien qu'ils soient exploités de multiples façons et qu'ils puissent mener des luttes parfois très violentes pour limiter leur exploitation, ne peuvent jamais donner comme objectif à ces luttes l'abolition de la propriété privée puisqu'ils sont eux-mêmes de petits propriétaires ou que, vivant aux cotés de ces derniers, ils aspirent à le devenir [2] [4]. Et même lorsque les paysans se dotent de structures collectives pour augmenter leur revenu à travers une amélioration de leur productivité ou de la commercialisation de leurs produits, c'est, en règle générale, sous la forme de coopératives, lesquelles ne remettent en cause ni la propriété privée, ni l'échange marchand. En résumé, les classes et couches sociales qui apparaissent comme des vestiges du passé (exploitants agricoles, artisans, professions libérales, etc.), qui ne subsistent que parce que le capitalisme, même s'il domine totalement l'économie mondiale, est incapable de transformer tous les producteurs en salariés, ne peuvent porter de projet révolutionnaire. Bien au contraire, la seule perspective dont elles puissent éventuellement rêver est celle d'un retour à son mythique "âge d'or" du passé : la dynamique de leurs luttes spécifiques ne peut être que réactionnaire.
En réalité, dans la mesure où l'abolition de l'exploitation se confond, pour l'essentiel, avec l'abolition du salariat, seule la classe qui subit cette forme spécifique d'exploitation, c'est-à-dire le prolétariat, est en mesure de porter un projet révolutionnaire. Seule la classe exploitée au sein des rapports de production capitalistes, produit du développement de ces rapports de production, est capable de se doter d'une perspective de dépassement de ces derniers.
Pour accomplir cette tâche, la force potentielle du prolétariat est considérable.
D'une part, dans la société capitaliste développée, l'essentiel de la richesse sociale est produite par le travail de la classe ouvrière même si, encore aujourd'hui, celle-ci est minoritaire dans la population mondiale. Dans les pays industrialisés, la part du produit national qu'on peut attribuer à des travailleurs indépendants (paysans, artisans, etc.) est négligeable. C'est même le cas dans les pays arriérés ou, pourtant, la majorité de la population vit (ou survit) du travail de la terre.
D'autre part, par nécessité, le capital a concentré la classe ouvrière dans des unités de production géantes, qui n'ont rien à voir avec ce qui pouvait exister du temps de Marx. En outre, ces unités de production sont elles-mêmes, en général, concentrées au cœur ou à proximité des villes de plus en plus peuplées. Ce regroupement de la classe ouvrière, tant dans ses lieux d'habitation que de travail, constitue une force sans pareille dès lors qu'elle sait le mettre à profit, en particulier par le développement de sa lutte collective et de sa solidarité.
Enfin, une des forces essentielles du prolétariat est sa capacité de prise de conscience. Toutes les classes, et particulièrement les classes révolutionnaires, se sont données une forme de conscience. Mais celle-ci ne pouvait être que mystifiée, soit que le projet mis en avant ne puisse aboutir (cas de la guerre des paysans de 1525 en Allemagne, par exemple), soit que la classe révolutionnaire se trouve obligée de mentir, de masquer la réalité à ceux qu'elle veut entraîner dans son action mais qu'elle va continuer à exploiter (cas de la révolution bourgeoise de 1789 avec ses slogans "Liberté, Égalité, Fraternité"). N'ayant, comme classe exploitée et porteuse d'un projet révolutionnaire qui abolira toute exploitation, à masquer ni aux autres classes, ni à lui-même, les objectifs et les buts ultimes de son action, le prolétariat peut développer, au cours de son combat historique, une conscience libre de toute mystification. De ce fait, celle-ci peut s'élever à un niveau de très loin supérieur à celui que n'a jamais pu atteindre la classe ennemie, la bourgeoisie. Et c'est bien cette capacité de prise de conscience qui constitue, avec son organisation de classe, la force déterminante du prolétariat.
D'après Révolution Internationale n° 73[1] [6] Voir notamment notre brochure La décadence du capitalisme.
[2] [7] Il existe un prolétariat agricole dont le seul moyen d'existence est de vendre contre salaire sa force de travail aux propriétaires des terres. Cette partie de la paysannerie appartient à la classe ouvrière et constituera, au moment de la révolution, sa tête de pont dans les campagnes. Cependant, vivant son exploitation comme conséquence d'une "malchance" qui l'a privé de l'héritage d'une terre, ou qui lui a attribué une parcelle trop petite, le salarié agricole, qui souvent est saisonnier ou commis dans une exploitation familiale, tend, la plupart du temps, à se rallier au rêve d'une accession à la propriété et d'un meilleur partage des terres. Seule la lutte, à un stade avancé, du prolétariat urbain, lui permettra de se détourner de ces chimères en lui proposant comme perspective la socialisation de la terre au même titre que des autres moyens de production.
[3] [8] A l'aube du développement de la classe ouvrière, certains secteurs de celle-ci, mis au chômage à cause de l'introduction de nouvelles machines, avaient dirigé leur révolte contre ces machines en les détruisant. Cette tentative de retour en arrière n'était qu'une forme embryonnaire de la lutte ouvrière qui fut vite dépassée par le développement économique et politique du prolétariat.
L'arrestation
de l'ancien boucher et président irakien Saddam Hussein a provoqué
immédiatement une mobilisation générale des états-majors
politiques des principales puissances impérialistes du monde.
Toutes ont salué l'événement mais, pour les principales
rivales des Etats-Unis, c'était bien à contre cœur
puisque, à travers celui-ci, la première puissance mondiale
a pu redorer son blason. Et la plupart d'entre elles font une nouvelle
fois la preuve de leur veulerie en vouant aux gémonies celui
qui, hier encore, était un allié respectable, voire un
pion sur lequel on misait particulièrement (comme Chirac) alors
qu'il était déjà un boucher et un " dictateur
".
Le message est clair, les Etats-Unis ont été au bout
de leurs intentions, ils ont renversé et fait prisonnier un des
pires dictateurs sanguinaires de la planète. Plus encore, dans
la guerre contre le terrorisme international, Bush et les siens ont
eu raison, ils ont vaincu un des leaders important du front terroriste
contre les démocraties. En septembre dernier, Bush ne déclarait-il
pas : "L'Irak est le front central de la guerre contre le terrorisme."
Cette arrestation tombe tellement bien pour l'administration américaine,
que l'on ne peut s'empêcher de se demander si celle-ci n'était
pas prévue, mise au point depuis déjà un certain
temps, sa réalisation concrète ne dépendant en
fin de compte que du choix du moment le plus propice pour l'Etat américain,
lui permettant de l'exploiter le plus efficacement.
Le monde entier était en train d'assister depuis plusieurs mois
à l'enlisement de plus en plus important de l'armée américaine
dans le bourbier irakien. Il ne se passait pas un jour sans que l'armée
de la coalition ne soit la cible de groupes terroristes. Les attentats,
tuant de nombreux soldats américains, se succédaient à
un rythme régulier s'étendant même au delà
de l'Irak et gagnant progressivement toute la région (Arabie
saoudite, Turquie, etc.). L'impuissance grandissante de l'impérialisme
américain à stabiliser la situation se révélait
ainsi au grand jour. Cette situation d'enlisement des Etats-Unis en
Irak avait conduit l'administration américaine a adopté
un profil bas au plan diplomatique par rapport à ses principaux
rivaux impérialistes que sont notamment l'Allemagne, la France
et la Russie. C'est ce qui les a obligés à demander par
l'intermédiaire de Colin Powell un engagement supplémentaire
de "leurs alliés" pour leur permettre d'opérer
un désengagement en douceur avant novembre 2004. Même un
" faucon " tel que Donald Rumsfeld a été amené
publiquement à soutenir cette demande, la décision devant
être prise les 28 et 29 juin 2004 au sommet de l'OTAN à
Istanbul. Si des pays comme la France, l'Allemagne ou la Belgique n'ont
pas réagi publiquement en défaveur de cette demande américaine,
ils se sont empressés d'affirmer que " celle-ci avait été
présentée comme une idée qui mérite réflexion
". Pendant ce temps, à Bruxelles, à la réunion
de l'OTAN, les tractations apparaissaient au grand jour : la participation
des forces armées françaises, allemandes et belges devait
pouvoir se faire à condition que Washington accepte la création
de structures européennes indépendantes au sein de l'OTAN.
Et ce ne sont pas les déclarations de Wolfowitz (secrétaire
d'Etat adjoint à la défense) et de Bush sur l'exclusion
de la France, de l'Allemagne, de la Russie ou du Canada de la "
reconstruction " de l'Irak qui pouvaient masquer la perte d'initiative
de l'impérialisme américain dans l'affrontement inter-impérialiste
mondial.
Avec l'arrestation de Saddam Hussein, Bush peut savourer une revanche
immédiate. Cette arrestation donne le beau rôle à
l'Amérique. La ligne " dure " de l'administration Bush
incarné par Rumsfeld et Wolfowitz va sans aucun doute en sortir
renforcée. Comme le dit Hubert Vedrines, ancien ministre français
des Affaires Etrangères, "avec cette capture, les Américains
retrouvent une autorité politique et une légitimité."
Cela leur permet également de reprendre l'initiative en matière
diplomatique. L'administration Bush est pour un certain temps dans une
position plus favorable pour pousser des Etats comme la France à
accepter un gel ou un moratoire sur les dettes irakiennes. C'est elle
qui peut plus librement imposer les conditions d'une participation éventuelle
des entreprises allemandes ou françaises à la reconstruction
en Irak. Même le conseil intérimaire de gouvernement irakien
piloté en grande partie par les Américains se trouve ainsi
revalorisé aux yeux de l'opinion publique internationale. Et
cela, même si le nouveau plan américain de transition politique
pour l'Irak relève d'un compromis avec la Fatwa du grand ayatollah
de Nadjaf, Ali Sistani, chef religieux chiite le plus influent en Irak.
Plus directement en Europe, l'Espagne et la Pologne qui étaient
accusées d'avoir fait capoter la réforme des institutions
européennes vont pouvoir bénéficier d'un regain
de crédibilité en lien avec les pays européens
ayant participé (telles l'Angleterre ou l'Italie) à la
guerre en Irak. C'est ponctuellement le couple franco-allemand qui se
trouve affaibli. Il n'y a aucun doute à avoir : cette arrestation
tombe à pic pour l'impérialisme américain et comme
l'affirme Seguillon, journaliste à LCI : "C'est en effet
quasiment en direct et selon un scénario préparé,
pensé et calibré, que le Pentagone a donné à
voir au monde entier et plus particulièrement au monde arabe
le terrible spectacle de la mise à mort médiatique de
l'ancien tyran irakien."
Cependant, il n'a pas fallu attendre longtemps pour assister à
de nouveaux attentats en Irak. Ceux-ci ont été perpétrés
dès le lendemain de l'annonce de l'arrestation de Saddam Hussein.
Quels que soient les protagonistes de ces attentats, ceux-ci viennent
rappeler que rien n'est résolu en Irak. Les rivalités
entre Sunnites, Chiites et Kurdes, libérées par l'effondrement
du gouvernement Saddam et attisées par la présence militaire
massive américaine, ne pourront que continuer à se développer
dans l'avenir. La population irakienne ne doit pas s'attendre à
bénéficier des retombées éventuelles de
la reconstruction. Celle-ci sera extrêmement limitée, très
certainement, aux infrastructures étatiques et routières,
ainsi qu'à la remise en ordre, pour des raisons stratégiques,
des champs pétroliers. En Irak, la guerre va se poursuivre et
s'amplifier, les attentats se multiplier. Dans cette situation de chaos
grandissant, malgré le renforcement ponctuel de l'impérialisme
américain, la perspective qui s'offre en Irak est celle de la
misère et la désolation. Ce qui attend l'Irak, c'est la
situation qui règne en Afghanistan ou au Liban depuis le début
des années 1980.
Quant au renforcement ponctuel actuel de la position américaine,
il pourrait bien, dans le futur, se tourner en son contraire. En effet,
le chaos que les Etats-Unis seront incapables d'endiguer ne pourra plus
être imputé à la main d'un Saddam Hussein agissant
dans l'ombre. Il risque alors d'apparaître de façon encore
plus évidente comme étant le résultat de l'intervention
américaine, ce que ne manqueront pas d'exploiter les bourgeoisies
rivales des Etats-Unis. En tout état de cause, quelle que soit
la forme que sera amenée à prendre la présence
militaire américaine en Irak, quelle que soit l'implication militaire
que des puissances européennes pourront éventuellement
avoir dans une force de " maintien de la paix ", les enjeux
et les tensions guerrières entre les Etats-Unis et leurs rivales
européennes ne pourront que s'accroître dramatiquement
dans la région.
Il revient aux organisations révolutionnaires de dénoncer
clairement tous les discours hypocrites faisant croire que la stabilité
et la paix sont possibles dans cette société. Si la classe
ouvrière n'est pas en mesure pour le moment d'empêcher
le développement des guerres et de la barbarie, elle n'en est
pas moins la seule force sociale capable par la révolution communiste
de s'opposer à la destruction à terme de toute l'humanité.
Quelque 700 dirigeants, intellectuels et personnalités de tous pays se sont réunis le 1er décembre à Genève, pour lancer officiellement ce qui est dénommé "l'initiative Genève", initiative pour un énième plan de paix israélo-palestinien. La classe ouvrière dans l'ensemble de l'Europe et dans le monde ne devait pas passer à coté de cet évènement présenté comme historique par une grande partie de la bourgeoisie mondiale.
Ce type de campagnes idéologiques faisant croire à la paix possible, n'est pas nouveau. L'histoire du capitalisme, le système le plus barbare de tous les temps, est là pour le prouver. Jamais il n'y a eu de paix dans le capitalisme, jamais dans l'histoire il n'y a eu autant de traités d'arrêt des hostilités guerrières signés par des belligérants de toutes nationalités. Encore pire, dans la période actuelle de décadence du capitalisme, de décomposition de la société, les périodes de paix apparente ne sont que des moments de préparation de la généralisation de conflits futurs. La guerre au Moyen-Orient dure depuis maintenant plus de cinquante ans. Des accords, des traités de paix sous le parrainage hypocrite des grandes puissances impérialistes, combien y en a t-il eu ? Qui ne se souvient des accords d'Oslo ou de Camp David ? La réalité dramatique des faits est venue démentir ces discours mystificateurs. A l'image de toutes les guerres impérialistes à l'échelle de la planète, le conflit israélo-palestinien n'a fait, ces dernières années, que s'amplifier, gagner en violence et en atrocité. Quels que soient les discours de certains secteurs de la bourgeoisie internationale, ce conflit ne pourra à l'avenir que s'enliser encore plus fortement dans la guerre permanente. D'ailleurs, il n'a pas fallu longtemps pour s'en rendre compte. Coté palestinien, l'Autorité palestinienne et Yasser Arafat ont soutenu cet accord du bout des lèvres. De leur coté le Hamas et les brigades d'Al Aqsa (branche armée du Fatah) ont fait immédiatement savoir qu'ils rejetaient ce plan de paix. Telle a été également la position affirmée haut et fort du gouvernement israélien d'Ariel Sharon. Quant au grand parrain américain, la manière extrêmement tiède avec laquelle il a reçu cette initiative en dit long sur la réalité de sa politique impérialiste qu'il continuera à soutenir au Moyen-Orient. Quant à l'Allemagne et à la France qui semblent soutenir cette initiative de paix, il leur revient d'avancer masquées au Moyen-Orient. Tout ce qui peut affaiblir la politique américaine et donc israélienne dans cette région est bon à prendre ! Tous ces bandits impérialistes se moquent royalement de la paix.
Il n'y a jamais eu de guerre à cause de la méchanceté
des hommes ou de quelques uns comme aime à nous le répéter
sans cesse la bourgeoisie. La Deuxième Guerre mondiale ne serait-
elle pas due à ce fou d'Hitler ? Et la guerre israélo-palestinienne
à l'irresponsabilité de gens comme Sharon ou Arafat ?
Ce que veut cacher à tout prix la bourgeoisie aux yeux des ouvriers,
c'est que les guerres capitalistes sont des guerres impérialistes
qui s'imposent au capitalisme moribond comme à sa classe dominante.
Laissé à sa seule logique, le capitalisme en décomposition
entraînera inéluctablement toute l'humanité dans
la généralisation de la barbarie et des guerres. Masquer
la faillite du système capitaliste, faire croire à une
paix possible, voilà le ressort caché de cet accord de
Genève. Ressortir Lech Walesa, ancien prix Nobel de la paix,
montrer sur tous les écrans des embrassades entre israéliens
et palestiniens ne sont qu'autant d'images visant à renforcer
cette idée dans la tête des prolétaires. Pour la
classe ouvrière la réalité à saisir est
exactement à l'inverse de ce message mensonger de la bourgeoisie.
Seul le prolétariat, par sa prise du pouvoir à l'échelle
mondiale, par le renversement du capitalisme sera capable de mettre
fin aux guerres impérialistes. Pour le prolétariat, pour
l'humanité, il n'y a qu'une seule alternative possible, opposée
à la guerre impérialiste : la guerre de classe.
Bruno Maffi est mort à Milan le mercredi 20 août.
Né à Turin en 1909, il était le neveu de Fabrizio
Maffi, député socialiste "maximaliste" qui entrera
tardivement au PC d'Italie en 1924. Bruno est d'abord socialiste et
membre du comité central de "Giustizia e Libertà",
une organisation "antifasciste". Il est arrêté
une première fois en 1930. Chargé en 1934 de la reconstruction
du "centre socialiste" pour l'Italie, il collabore à
Nuovo Avanti et à Politica socialista. Il écrit dans cette
période ses Appunti per una politica socialista. Il est arrêté
de nouveau en 1935 et c'est à partir de ce moment là que,
sous l'influence notamment d'Onorato Damen, un des principaux militants
de la Gauche communiste restés en Italie et qu'il a rencontré
en prison, il commence à se rapprocher des positions de ce courant
et finit par rompre avec son passé "antifasciste" pour
adopter des positions de classe. En 1943, il participe avec Damen à
la fondation du Partito Comunista Internazionalista, dont il sera l'un
des responsables. En 1945, cette organisation accueille dans ses rangs
toute une série de nouveaux militants dont :
L'hétérogénéité de cette organisation aboutit après 1947 à de nombreuses défections et à la scission de 1952 entre la tendance animée par Damen (qui conserve les organes de presse Battaglia comunista et Prometeo) et celle animée par Bordiga qui publie Il programma comunista. Perrone et Maffi se rallient à cette dernière tendance. Après la disparition de Bordiga, en 1970, Bruno Maffi devient le principal dirigeant du "Partito comunista internazionale" qui a pris ce nom en 1965 pour se distinguer du "Partito comunista internazionalista" de Damen et pour rendre compte de son extension à d'autres pays, notamment en France. Cette organisation connaît une première scission importante en 1974 avec la formation d'un autre "Partito comunista internazionale" qui publie à Florence Il Partito comunista. En 1982, le PCI de Maffi connaît une véritable explosion qui détruit complètement l'organisation internationale, dilapidant tout un patrimoine de militants et d'expériences uniques à l'échelle mondiale. A partir de ses débris se reconstituent plusieurs petits groupes se réclamant de la tradition "bordiguiste" dont les plus importants sont le "Partito comunista internazionale" qui publie Il Comunista en Italie et Le Prolétaire en France et le "Partito comunista internazionale" animé par Bruno Maffi qui reprend (grâce à une action de justice devant les tribunaux bourgeois) la publication de Il Programma comunista. Depuis ses débuts, notre organisation a publié des articles de polémique contre certaines des positions défendues par l'organisation de Bruno Maffi, tout en affirmant cependant son appartenance au camp du prolétariat et de la Gauche communiste. C'est pour cela que nous ne reviendrons pas ici sur les divergences que nous avions avec ce camarade et avec l'ensemble du courant "bordiguiste". Nous nous contenterons de signaler que peu avant de disparaître, Maffi a commis une faute politique particulièrement grave : il a participé à la fondation, le 27 mai 2000, d'une "Fondation Amadeo Bordiga" subventionnée par l'Etat italien. A son propos, nous écrivions dans notre publication en Italie : "L'intervention introductive des travaux de la conférence, par la voix du président de l'association, Bruno Maffi, a essentiellement tenu à 'rendre hommage au combattant, à l'honnêteté de l'homme qui avait su dédier son énergie à la politique sans aucun intérêt personnel' et en disant cela, il était explicitement fait référence aux politiciens actuels qui sont tout sauf désintéressés sur le plan personnel. Naturellement, il n'est pas venu le moins du monde à l'idée du vieux Maffi que sur la base de cette prise de position, le révolutionnaire Bordiga finissait par être assimilé au héros de Mani Pulite, Di Pietro. (...) Ce manque de clarté a conduit à déformer sérieusement la figure de Bordiga : de révolutionnaire, on en a fait un combattant pour la démocratie. Pauvre Bordiga !" (Rivoluzione internazionale n° 117, "Fondation Amadeo Bordiga, ou comment démocratiser et momifier la figure d'un grand révolutionnaire")
Malgré ses erreurs politiques qui proviennent en partie du fait
que ce n'est que tardivement (après 1935) que Bruno Maffi s'est
rallié à la Gauche communiste (dont il n'a jamais assimilé
pleinement le combat) et malgré les errements graves que nous
venons d'évoquer, nous tenons ici à rendre hommage à
ce militant pour avoir conservé et défendu jusqu'au terme
de sa longue vie ses convictions communistes.
A ses camarades de Programma comunista, nous transmettons toute notre
solidarité.
Nous publions ci-dessous la
traduction de larges extraits tirés d'un article d'Internationalism n°43, notre
publication aux Etats-Unis. Le but de cet article est de combattre l'illusion
qu'il puisse subsister dans la période actuelle une forme de syndicalisme
révolutionnaire. Nombre de ceux qui défendent cette thèse mettent volontiers en
avant le rôle et l'expérience des IWW (Industrial Workers of the World) aux
Etats-Unis. C'est pourquoi il est nécessaire de montrer que la prétendue
intransigeance révolutionnaire des IWW repose entièrement sur un mythe.
Il est clair que les camarades qui ont pris cette décision sont persuadés que les IWW représentent une authentique organisation révolutionnaire de la classe ouvrière américaine qui est malheureusement tombée sous l'influence des gauchistes et de leurs idées confuses, et qu'ils peuvent lui restituer sa grandeur passée. Avant que des révolutionnaires puissent entreprendre un plan pour le futur, ils doivent soumettre l'histoire de leur mouvement à la plus impitoyable critique et analyse révolutionnaire, afin de s'approprier ce qu'il y a de positif, d'éloigner ce qui est négatif et faux, et de débarrasser le mouvement de ses mythes.
A leur création, les IWW étaient une organisation authentiquement
prolétarienne comprenant des éléments ouvriers parmi les plus militants et les
plus conscients des Etats-Unis à la fin du 19e siècle, et qui voulaient de tout
leur cœur renverser le système d'exploitation capitaliste et le remplacer par
une communauté d'ouvriers où les moyens de production seraient contrôlés par
les producteurs eux-mêmes.
Les IWW ont constitué une réaction syndicaliste -avec certaines spécificités
nord-américaines- à l'impasse électoraliste du réformisme tel qu'il était
pratiqué par les partis de la 2e Internationale. Le syndicalisme
révolutionnaire a surgi à la fin du 19e siècle, alors que le capitalisme
approchait de la fin de sa période ascendante, au cours de laquelle il était
encore historiquement progressiste, capable de développer les forces
productives. Au cours de cette phase ascendante, les ouvriers pouvaient
arracher à la classe dominante des réformes, conduisant à des améliorations
durables de leur niveau de vie, par une activité au sein des syndicats et des
parlements. Mais quand le système est entré dans sa phase de décadence, quand
il est devenu progressivement une entrave au développement des forces
productives, la marge de manœuvre en son sein s'est de plus en plus réduite. Le
combat pour les réformes s'est transformé en carriérisme au sein de la
bureaucratie des syndicats et des partis socio-démocrates.
En réaction aux théories de la transition pacifique vers le socialisme au moyen
du bulletin de vote, les IWW virent la nécessité de la lutte ouverte sur les
lieux de production. Par là, les IWW ont apporté une authentique contribution
au mouvement ouvrier dans son combat sur le terrain économique : par leur
tactique de refus des négociations avec les patrons, d'utilisation de la grève
de masse, son extension à travers les villes et les branches industrielles,
quand c'était possible, par leur capacité à rassembler dans la lutte les
différents groupes d'immigrés, par leurs discours contre la suppression des
libertés politiques, par leur volonté d'utiliser la violence organisée comme
moyen d'autodéfense contre la classe dominante, par leur insistance à
développer la solidarité de classe dans le combat et en ne cachant jamais leur
but : le renversement révolutionnaire du capitalisme.
Quelles que furent leurs erreurs, leur abnégation et leur courage au cours de
leurs premières années, depuis leur création jusqu'au milieu des années 1920,
ne peuvent être mis en doute. Les hommes et les femmes qui composaient les IWW
à leur début furent des héros prolétariens de premier ordre.
Parce qu'ils proclamaient haut et fort leur haine du système d'exploitation, la
bourgeoisie ne leur fit pas de cadeaux. Les organisateurs furent maintes fois
arrêtés, accusés de meurtres et de sédition, parfois à tort, et emprisonnés.
Nombre d'entre eux furent tabassés, passés au goudron et aux plumes, lynchés ou
mutilés.
Toutes ces affirmations sont vraies et aucune des insuffisances des IWW ne
sauraient en diminuer l'importance. C'est certainement sur cette histoire que
se sont bâtis les mythes et les légendes. Mais les révolutionnaires doivent
s'appuyer plus que sur de simples récits de hauts faits accomplis pour libérer
la classe ouvrière et l'humanité des liens de l'exploitation. Il nous faut comprendre
les leçons du passé, à la fois positives et négatives, pour s'en servir de
bases. Tout ce qui est positif dans l'histoire des IWW appartient à l'héritage
du mouvement ouvrier, mais il nous faut aussi comprendre ce qui est négatif. La
mythologie n'a pas sa place dans notre mouvement.
Les débuts mêmes des IWW ont été marqués par de sérieuses insuffisances qui
ont entravé leur objectif avoué de travailler pour la révolution prolétarienne.
En particulier ils présentaient une "double nature", essayant de
jouer deux rôles en même temps : celui d'un organe unitaire de l'ensemble de la
classe et celui d'une organisation de militants révolutionnaires.
Les IWW se voyaient à la fois comme un syndicat qui devait regrouper l'ensemble
de la classe ouvrière sur une base économique, embryon d'une forme
d'organisation de la société post-capitaliste, et comme organisation
révolutionnaire de militants cherchant à élever le niveau de conscience au sein
de l'ensemble de la classe. Leur incapacité à reconnaître l'impossibilité à
être les deux choses à la fois fut décisive.
Ce caractère hybride (mi-syndicat, mi-regroupement de révolutionnaires) des IWW
à leur début, créa des tensions constantes et des problèmes au sein de
l'organisation. Les débats politiques n'étaient jamais sérieusement
approfondis, et cette nécessité vitale pour une organisation révolutionnaire,
en fait sa principale responsabilité, de s'engager dans un débat en vue de
l'élaboration théorique d'un cadre pour le combat révolutionnaire, n'était pas
clairement reconnue. Les IWW ouvraient bien les pages de leur presse à des
discussions, mais il fallait couper court aux débats avant qu'ils atteignent
leurs conclusions et les syndicalistes demandaient à ce qu'on cessât de perdre
du temps à couper les cheveux en quatre et qu'on s'attelât aux tâches
organisationnelles. Le résultat fut que les IWW ne produisirent aucun texte
programmatique, si ce n'est le préambule de leurs statuts, un énoncé minimal de
principes révolutionnaires, de nature essentiellement syndicaliste, et inadapté
aux tâches énormes du combat révolutionnaire.
Il y avait des tensions constantes entre ce qui s'appelait "bureaux locaux
de propagande", de petits groupes de militants révolutionnaires sans base
organisée sur les lieux de travail, et ceux qu'on appelait "jobbites"
et qui étaient des groupes qui en fait représentaient les ouvriers en lutte
contre leurs patrons. Les bureaux de propagande étaient plus radicaux dans
leurs orientations politiques, comme par exemple lors de l'entrée en guerre des
Etats-Unis. Les "jobbites" ou " bureaux de travail ",
tendaient plus vers une orientation syndicale classique, se concentrant sur la
lutte "économique".
Du fait de leur manque de clarté sur le type d'organisation qui était la leur
(minorité révolutionnaire ou organisation unitaire de toute la classe) les IWW
se condamnaient à une instabilité organisationnelle. Le nombre de leurs
adhérents était en constante fluctuation. Les ouvriers qui n'étaient pas
complètement d'accord ou qui ne comprenaient pas réellement les buts
révolutionnaires des IWW adhéraient en masse durant les grèves, pour abandonner
l'organisation sitôt le combat terminé. Alors que les IWW eux-mêmes ne
revendiquèrent jamais plus de quarante mille membres payant leurs cotisations
régulièrement, ils avaient délivré plus d'un million de cartes d'adhérents vers
le début des années 1920, et certains ouvriers les avaient même rejoints plus
de dix fois. Pendant la grève de l'industrie textile à Lawrence, qui fut
peut-être la plus grande victoire des IWW, on compta plus de 14 000 adhésions.
Cependant, trois ou quatre mois après la fin de la grève, la section locale ne
comptait plus que 400 membres.
Il ne faut pas sous-estimer l'importance de l'échec des IWW à comprendre la
différence entre une organisation révolutionnaire et un syndicat de même que
les tâches qui leur incombent respectivement. La seule combativité ne peut
représenter les bases de la révolution. L'arme principale sur laquelle doit
compter le prolétariat est sa conscience, et c'est pourquoi le travail
d'élaboration théorique est d'une absolue nécessité pour une organisation
révolutionnaire. Les IWW ont pitoyablement échoué dans ce domaine. La cause en
est principalement les préjugés vis-à-vis de l'engagement politique des
fondateurs des IWW, qui confondaient l'électoralisme du bulletin de vote avec
l'action politique en soi et ne virent pas la nécessité pour les ouvriers
révolutionnaires de constituer une organisation politique ayant pour fonction
d'accélérer la prise de conscience de la classe. Une autre cause réside dans la
compréhension insuffisante du marxisme révolutionnaire aux Etats-Unis au début
du 20e siècle. Bien qu'au début ils fissent référence à Marx et à
ses œuvres, les IWW ne comprenaient pas la méthode d'analyse marxiste, ce qui
les conduisit inévitablement à adopter des positions erronées. Il leur fut
impossible de comprendre que pour le marxisme, les syndicats n'ont jamais été
considérés comme révolutionnaires mais plutôt comme des organisations qui regroupaient
la classe ouvrière autour d'intérêts économiques en conflit avec la classe
capitaliste, et que le combat économique devait être subordonné au combat
politique. Marx a clairement reconnu, après l'expérience de la Commune de Paris
en 1871, que c'était la tâche politique du prolétariat mondial que de détruire
l'Etat capitaliste. Au moment même où les IWW étaient créés, les socialistes de
gauche, comme Rosa Luxemburg, tiraient les leçons de la grève de masse en
Russie et reconnaissaient la fusion du combat politique et économique dans la
nouvelle période de décadence du capitalisme qui s'ouvrait. Mais la majorité
des membres des IWW ne l'ont pas compris. Leur aversion pour le réformisme
électoraliste leur faisait commettre une autre erreur.
Une organisation de la classe ouvrière doit être jugée sur trois niveaux de
combat : économique, politique et théorique. Au niveau économique, le seul que
les IWW n’aient jamais reconnu, ils ont fait d'importantes contributions, comme
nous l'avons vu précédemment. Mais au niveau du combat politique (le combat
pour la destruction de l'Etat capitaliste et pour son remplacement par la
dictature du prolétariat) et au niveau du combat théorique (le combat pour la
compréhension des luttes passées, de l'évolution de la société et pour
l'élaboration du cadre théoriques pour la lutte) les IWW n'ont apporté qu'une
très faible contribution positive. En fait, leur contribution a été plutôt
négative, entravant la classe ouvrière dans son mouvement pour libérer
l'humanité.
Le débat sur l'action politique était très confus au sein des IWW. Dans la
convocation à une conférence secrète sur la possibilité d'organiser les IWW, en
janvier 1905, il était reconnu la nécessité d'une "action politique".
Le document reconnaissait "la capacité de la classe ouvrière, si elle
était correctement organisée, à la fois sur une ligne politique et
industrielle, à prendre possession des industries du pays et à les gérer avec
succès ", et soutenait que "l'expression politique de la classe
ouvrière, par le vote socialiste devait, afin d'être entendu, avoir sa
contrepartie économique dans une organisation des travailleurs bâtie comme la
structure de la société socialiste, rassemblant en son sein la classe ouvrière
d'une manière correspondant approximativement à la manière dont celle-ci
administrerait la Communauté Coopérative". Tout en faisant allusion à
l'action politique, cet appel n'explorait pas la relation entre le combat
économique et le combat politique, autrement dit, la relation entre les IWW
tels qu'ils se proposaient d'être et les organisations de la classe ouvrière.
Lors du congrès fondateur des IWW, il y eut beaucoup de militants et de
discours révolutionnaires, remplis d'espoir et de vagues descriptions de la
mission révolutionnaire de la nouvelle organisation. " Big Bill "
Haywood, un leader de la "Western Federation of Miners", dans son
discours d'adresse à la convention décrivait l'assemblée comme "congrès de
la classe ouvrière sur le continent américain". Il continua par ces mots :
"nous sommes ici aujourd'hui pour fédérer les travailleurs dans un
mouvement de la classe ouvrière qui aura pour but l'émancipation de la classe
ouvrière des chaînes de l'esclavage du capitalisme". Orateurs après
orateurs dénoncèrent la Fédération américaine du Travail (American Federation
of Labor - AFL) pour sa collaboration de classe et firent allégeance à
l'objectif de la révolution. Mais, mis à part un accord sur la nécessité
d'organiser des syndicats militants de la lutte de classe sur des lignes
industrielles, il n'y eut réellement aucun accord sur comment atteindre
l'objectif révolutionnaire ni sur les problèmes politiques.
Parmi les participants à ce congrès, se trouvaient des représentants de
certains syndicats déjà établis, en désaccord avec la direction de l'AFL. En
fait, beaucoup de ces syndicats avaient officiellement adopté le programme du
"Socialist Party of America". Bien que ce parti ne fût pas
officiellement présent au congrès des IWW (en fait bon nombre de ses dirigeants
étaient opposés à la formation d'un nouveau syndicat, préférant transformer de
l'intérieur les vieux syndicats affiliés à l'AFL) l'aile gauche du parti était
présente en la personne de Haywood et d'Algie Simons, rédacteur en chef du
journal "International Socialist Review". Eugene Debs, qui occupait
une position proche du centre du SPA, qui avait été par deux fois candidat du
parti à la Présidence, et qui se faisait depuis longtemps l'avocat du
syndicalisme industriel, participait aussi à ce congrès. Daniel DeLeon et
d'autres membres du "Socialist Labor Party", rival politique du SPA,
étaient aussi présents. Un petit nombre d'anarchistes et de syndicalistes, très
influents, comme le Père Thomas J. Hagerty, un prêtre catholique libéré des
obligations de sa charge, et William E. Trautmann, rédacteur en chef du journal
du syndicat des ouvriers des brasseries, étaient aussi présents.
Il y avait un profond désaccord sur l'action politique, mais qui fut réglé par
un compromis dans les termes du préambule de la constitution du mouvement,
arrangé par la coalition des deleonistes[2] [17] (2)
et des syndicalistes qui étaient venus pour dominer les travaux. Dans son
premier discours à la convention, DeLeon mit l'accent sur le fait que la
puissance économique du prolétariat devait renforcer le vote socialiste. Il
n'exprima aucun accord avec le concept de grève générale ou avec la notion
selon laquelle le prolétariat pourrait faire la révolution par une action
directe purement économique, ce qui était une notion chère aux syndicalistes.
La première version du préambule, préparée par Hagerty, disait que le
prolétariat devait "prendre et garder ce qu'il produisait par son travail,
à travers une organisation économique de la classe ouvrière". Hagerty
s'était opposé à l'appel de DeLeon pour soutenir le vote socialiste, en disant
que "déposer un bout de papier dans l'orifice d'une urne n'avait jamais
accompli l'émancipation de la classe ouvrière, et, à mon avis, jamais ne
l'accomplirait". La clef, d'après Hagerty, était pour les ouvriers de
"s'emparer des outils industriels".
Le désaccord sur le préambule fut résolu en comité. DeLeon, qui avait déjà
accepté certains principes syndicalistes de base, reconnaissait que le
prolétariat pourrait éventuellement faire la révolution par le moyen de
syndicats, mais le préambule reconnaissait la nécessité d'entreprendre des
actions politiques, tout en interdisant à l'organisation de s'affilier à un
parti socialiste. Pour finir, les termes du préambule adoptés en 1905
soulignaient la nécessité de l'agitation "au niveau politique comme au
niveau industriel… sans affiliation à aucun parti politique". DeLeon
prononça aussi un discours, proclamant son soutien à la grève générale, quelque
chose qu'il avait toujours minimisé, tout cela pour cimenter son alliance
branlante avec les syndicalistes anti-politiques contre le Parti Socialiste.
C'est peut-être le délégué Clarence Smith, de l'American Labour Union, un
syndicat organisé par le WFM, qui a le mieux résumé la véritable nature du
préambule en disant :"Il me semble que ce paragraphe, la clause politique
du préambule, est un peu flagorneur en direction des trois différentes
fractions de cette convention : envers l'homme qui ne croit absolument pas à la
politique, envers les socialistes et aussi envers les anarchistes". Au
lieu de forger des principes essentiels, absolument nécessaires à une
organisation révolutionnaires, les différences principielles ont été simplement
laissées de côté. DeLeon réussit au moins à empêcher toute tentative des IWW de
rejoindre ses rivaux du SPA, qui était plus probable qu'une adhésion au SLP
moribond, et se garantit un rôle au sein des IWW pour les années à venir.
Que les fondateurs des IWW n'aient pas réellement compris ce qu'ils avaient
fait est attesté par l'histoire houleuse de leurs trois premières années. Bien
qu'ils fussent tous d'accord sur le fait qu'ils créaient une organisation dont
le but était le renversement du capitalisme en organisant l'ensemble de la
classe ouvrière américaine sur une base industrielle, aucun des leaders de
premier plan du congrès fondateur n'était présent pour assumer une position
dirigeante dans la nouvelle organisation, à cause de leurs obligations dans
leurs syndicats d'origine. Haywood, qui mena les débats lors du premier
congrès, n'occupa de position officielle dans les IWW qu'en 1911. Ni Debs ni
DeLeon, pas plus qu'aucun des membres éminents de la coalition entre
syndicalistes et deleonistes qui contrôlait la convention ne devinrent
dirigeants, à l'exception de Trautmann. La présidence des IWW revint à Charles
Sherman des "United Metal Workers", qui avait des liens avec l'aile
droite du Parti socialiste. Dans les années qui suivirent, plutôt que de
préparer le renversement du capitalisme, Sherman et d'autres furent plus préoccupés
à détourner des fonds des IWW. Lors de la convention de 1906, tous les efforts
déployés avaient pour but la prise de contrôle sur l'organisation et ses
rentrées d'argent, les opposants obtenant une décision de justice contre
Sherman lui interdisant l'accès à son bureau.
Ainsi, dès le début, bien qu'ils soient apparus sur un terrain résolument de
classe, les IWW se sont développés en entretenant en leur sein les pires
confusions politiques et organisationnelles. Nous verrons dans un prochain
article que ces faiblesses et ces confusions congénitales constitueront une
très lourde hypothèque pour le maintien de positions révolutionnaires dans la
période de décadence du capitalisme.
[1] [18] FOCUS était un groupe prolétarien proche des positions du FOR (Ferment Ouvrier Révolutionnaire) fondé par G. Munis et qui publiait dans les années 1970 Alarme en France et Alarma en Espagne. Issu du trotskisme dont il s'est malheureusement incomplètement dégagé, une des caractéristiques du FOR est qu'il n'a jamais reconnu l'existence de la crise du capitalisme.
[2] [19] Sur DeLeon et le deleonisme, voir la série d'articles publiés dans RI n° 309, 311 et 316.
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/lutte-classe-france
[2] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/situation-sociale-france
[3] https://fr.internationalism.org/ri342/comm.htm#_ftn1
[4] https://fr.internationalism.org/ri342/comm.htm#_ftn2
[5] https://fr.internationalism.org/ri342/comm.htm#_ftn3
[6] https://fr.internationalism.org/ri342/comm.htm#_ftnref1
[7] https://fr.internationalism.org/ri342/comm.htm#_ftnref2
[8] https://fr.internationalism.org/ri342/comm.htm#_ftnref3
[9] https://fr.internationalism.org/tag/approfondir/perspective-du-communisme
[10] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/communisme
[11] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/marxisme-theorie-revolution
[12] https://fr.internationalism.org/tag/5/59/irak
[13] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/guerre-irak
[14] https://fr.internationalism.org/tag/5/56/moyen-orient
[15] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/bordiguisme
[16] https://fr.internationalism.org/ri342/iww.htm#_ftn1
[17] https://fr.internationalism.org/ri342/iww.htm#_ftn2
[18] https://fr.internationalism.org/ri342/iww.htm#_ftnref1
[19] https://fr.internationalism.org/ri342/iww.htm#_ftnref2
[20] https://fr.internationalism.org/tag/5/50/etats-unis
[21] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/syndicalisme-revolutionnaire