Les élections sont terminées. Mitterrand est de nouveau élu pour 7 ans à la tête de l’Etat bourgeois. Mais une chose est sûre : quelles que soient les équipes dirigeantes qui vont être appelées à gouverner, la seule politique qu’elles appliqueront c’est celle de l’austérité renforcée, des attaques toujours plus violentes contre l’ensemble des conditions de vie de toute la classe ouvrière. C’est ce qu’annonçait déjà un économiste bourgeois, à la veille du 1er tour, dans L’Usine Nouvelle du 21/4/88 : "Le réveil sera rude... Des mesures à court terme s’avèrent inéluctables, même si les candidats à l’élection présidentielle gardent un silence prudent".
Aujourd’hui, moins que jamais, la classe ouvrière n’a d’autre choix que de continuer à se défendre, avec encore plus de détermination, en développant ses luttes de façon massive et unie.
Cette riposte d’ensemble de la classe ouvrière, la bourgeoisie la sait inévitable. C’est pour cela qu’elle s’acharne aujourd’hui à tenter d’en reculer l’échéance. C’est pour cela qu’elle se prépare à la miner de l’intérieur.
Dès le lendemain du 1er tour, on a vu toutes les forces de la bourgeoisie, relayées par les médias, développer un battage intensif autour du score de Le Pen et de l’effondrement électoral du P.C.F. Tous, de la droite à l’extrême gauche, s’efforcent de nous faire croire que ces résultats expriment une crise profonde de la classe ouvrière en France :
Ainsi, aux dires de toutes les fractions de la bourgeoisie, la classe ouvrière serait en crise parce que c’est dans les grandes concentrations ouvrières (Lyon, Marseille, banlieue "rouge" de Paris) que le P.C.F. a perdu le plus de voix et que, par contre, le Front National se serait renforcé.
Pire encore, non seulement on nous parle d’"éclatement de la classe ouvrière" mais on affirme que les 2,5 millions d’ouvriers au chômage seraient "l’humus" (pour reprendre l’expression d’un politicien bourgeois) sur lequel se développeraient les suffrages en faveur de Le Pen.
Toute cette campagne étourdissante ne sert qu’un objectif : diviser, déboussoler, démoraliser la classe ouvrière pour tenter de saper sa confiance grandissante en ses propres forces.
Et le P.C.F. porte une part importante de cette responsabilité, lui qui, pendant des décennies, n’a cessé de développer une idéologie patriotarde, nationaliste, avec ses slogans depuis le "Plus forts les coups sur le boche chancelant" de la Libération jusqu’au "Produisons français" d’aujourd’hui, lui qui a fait largement ses preuves contre les ouvriers immigrés avec ses bulldozers à Vitry en 79, lui qui a participé activement à la politique d’expulsion des "étrangers" entre 81 et 84.
Mais, plus encore, à travers cette campagne, la bourgeoisie affûte aujourd’hui ses armes pour se préparer à contrer l’inévitable riposte ouvrière contre les attaques à venir. C’est ainsi qu’elle a su exploiter à fond les résultats électoraux du 1er tour pour tenter, en agitant l'épouvantail Le Pen, de redonner un nouveau souffle à une campagne électorale qui suscitait jusqu’alors trop peu d’intérêt. En relançant ainsi sa campagne, il s’agissait pour la bourgeoisie de re-crédibiliser le jeu de ses partis afin de ramener les ouvriers qui s’en écartaient dans la fausse opposition entre droite et gauche, entre racisme et anti-racisme, entre fascisme et anti-fascisme.
Toute cette propagande tapageuse ne visait qu’un seul but : tenter de dévoyer la classe ouvrière de son propre terrain. Voilà le sens qu’il faut donner à la mascarade du 1er mai telle qu’elle fut organisée par la bourgeoisie. D’un côté, une grande manifestation d’extrême-droite, aux couleurs du nationalisme "réactionnaire", de l’autre -et au même moment- une grande manifestation d’union nationale contre le danger du fascisme, rassemblant les démocrates de tous bords, toutes classes confondues, de la CFDT aux nationalistes kurdes en passant par SOS-racisme et l’UNEF-ID. Union nationale justifiée ainsi par la CFDT : "Face au danger majeur que représente la montée de l’extrême-droite, il était nécessaire de modifier nos habitudes" afin que "soient représentés tous les démocrates sans exception." (E. Maire, Libération du 2/5/88).
La classe ouvrière a toutes les raisons d’avoir confiance en l’avenir. Non seulement elle n’est pas en crise mais c’est quotidiennement qu’elle continue à développer sa propre force, sa propre unité sur son propre terrain, celui du combat implacable contre la misère et l’austérité croissantes que lui inflige le capitalisme en crise.
Même pendant la trêve électorale, période traditionnellement plus favorable à la bourgeoisie, la classe ouvrière a continué à maintenir sa pression contre les attaques incessantes du capital : grèves aux usines Chausson et SNECMA, à Michelin, chez les dockers de Marseille, aux magasins Primistère-Félix Potin, dans les hôpitaux de la région parisienne, dans les mines de Lorraine autant de luttes qui, toutes, malgré leur caractère encore minoritaire, encore éparpillé, ont exprimé à des degrés divers le même besoin d’élargissement, de recherche de la solidarité dans la lutte.
Ainsi, ce que traduisent en réalité ces élections, c’est un affaiblissement considérable de la bourgeoisie. Affaiblissement révèlé une nouvelle fois par l’incapacité de la droite française, déchirée par ses querelles de cliques, à reprendre sa place au gouvernement. Affaiblissement renforcé encore par l’arrivée du 3ème larron, Le Pen, dans l’arène électorale. Affaiblissement sanctionné enfin, et surtout, par l’effondrement magistral de la principale force d’encadrement de la classe ouvrière, le P.C.F. (cf. RI 169).
Une telle situation constitue aujourd’hui un atout supplémentaire pour la classe ouvrière. Voilà pourquoi la bourgeoisie, consciente du pétrin dans lequel elle s’est embourbée, a toutes les raisons d’exprimer ainsi son inquiétude : "Le corps social peut avoir des réactions très violentes, et s’il n’est pas encadré socialement, ni par les syndicats qui sont en état de faiblesse, ni par un P.C. qui a perdu son implantation, et qui ne le sera pas par un Front National dont ce n’est pas profondément la nature, vous pouvez avoir des irruptions sociales complètement imprévues et difficiles. Ceux qui exerceront le pouvoir à partir du 9 mai prochain n’auront pas la tâche facile." (J. Boissonnat, cité par L’Humanité du 26/4/88).
C’est parce qu’elle redoute cette riposte d’ampleur de toute la classe ouvrière que la bourgeoisie se prépare dès à présent à la dévoyer et à la saboter. C’est le sens qu’il faut donner à la radicalisation actuelle du P.C.F. et de la C.G.T. telle qu’elle s’est déjà profilée à l’occasion du 1er mai avec l’appel de la C.G.T. à une manifestation séparée non seulement contre le danger du fascisme mais surtout contre l’austérité et le chômage.
C’est face à la perspective d’explosions sociales de grande ampleur que la bourgeoisie réintroduit ainsi le loup dans la bergerie : "Il existe toujours sur le terrain un Parti communiste qui continuera d’assurer son rôle historique d’entraîner à la lutte, de mener bataille contre les idées de fatalité et de résignation, de s’opposer à toute compromission avec la droite et son extrême Le Pen, en un mot un Parti communiste qui poursuivra, dans les conditions de l’après-élection, son œuvre quotidienne au service des travailleurs." (L’Humanité du 26/4/88).
Dans le développement inévitable de ses combats, la classe ouvrière devra nécessairement déjouer tous les pièges que lui tendra la bourgeoisie. Elle doit savoir que tous ceux qui, des syndicats -C.G.T. en tête- aux gauchistes (tels ceux de LO), prétendent défendre ses intérêts, tous ceux qui se placent sur son terrain se préparent, en réalité, à lui mettre des bâtons dans les roues, en se partageant dès aujourd’hui le travail pour saboter ses luttes de l’intérieur et les dévoyer dans la fausse alternative droite/gauche, fascisme/anti-fascisme.