Parce que dans le meilleur des cas il exprime une influence de l'idéologie petite-bourgeoise dans les rangs du prolétariat (quand il n'est pas directement une composante de la bourgeoisie au travers de ses organisations les plus établies comme la FA - Fédération Anarchiste), l'anarchisme, même s'il peut condamner fermement la guerre impérialiste, ne peut offrir de réelle perspective révolutionnaire au prolétariat.
Notons d'abord la grande variété de la nébuleuse anarchiste.
Au nom de la sacro-sainte autonomie individuelle, chacun n'engage que lui-même.
Au sein d'un même groupement politique, chaque "compagnon",
"cercle" ou "unité régionale" y va de son
interprétation du monde, sans qu'il soit possible de savoir précisément
quelle est la position officielle de l'organisation et quelles sont les tendances
politiques alternatives qui s'y opposent. C'est déjà un aspect
fondamental qui s'oppose aux intérêts profonds du prolétariat
qui tend toujours à faire émerger une réponse unie et internationale
face à la guerre, comme expression de l'unité de la classe ouvrière
et de la nature globale de son combat. Et quand cela n'est pas possible du fait
de divergences politiques momentanément insurmontables, c'est une responsabilité
des organisations révolutionnaires de présenter clairement face
à la classe leurs positions respectives comme facteur actif de clarification
et de décantation du milieu politique et de développement de la
conscience de classe.
Le courant anarchiste, quand il s'essaie à une déclaration commune
(contre la guerre en Afghanistan), ne peut guère produire que des déclarations
pacifistes et contre-révolutionnaires. Pour autant, au sein de certaines
tendances de l'anarcho-syndicalisme, se font jour des positions plus "radicales"
et nettement influencées par des positions de classe.
C'est le cas en particulier de l'article "Socialisme ou Barbarie"
paru dans l'édition nationale de Combat Syndicaliste, septembre-octobre
2001, (CS). Cet article se place du point de vue de la classe ouvrière,
principale victime de l'attentat du 11 septembre comme de la croisade guerrière
qui l'accompagne depuis, et fait une critique argumentée du capitalisme
et de sa frénésie d'accumulation, rappelle les innombrables guerres
qui ont ponctué le 20e siècle, dénonce l'Union Sacrée
et l'hypocrisie de la bourgeoisie. Il pose clairement que les Etats-Unis sont
des "terroristes comme les autres", et que "l'attentat sert déjà
de justification à de futures atrocités" (CS, p.3). Il perçoit
que "malgré l'unité de façade, chaque Etat dans ces
guerres cherche à défendre ses propres intérêts"
(CS, p.6). Ce numéro de CS campe donc sur une position internationaliste
: "Nous sommes tous les victimes d'un même système, le capitalisme,
qui exploite, licencie et cherche à nous enrôler dans des conflits
qui ne sont pas les nôtres" (CS, éditorial) et plus loin :
"Internationalistes, nous n'avons jamais versé dans 'l'anti-américanisme',
et nous avons toujours été solidaires des américains qui
luttent contre l'exploitation capitaliste, comme nous le sommes avec tous les
travailleurs, tous les opprimés du monde, en lutte contre un même
système économique, celui qui exploite et licencie de New York
à Pékin, en passant par Moscou. Et dans cette ambiance d'union
sacrée, nous restons ce que nous avons toujours été, non
pas américains, français ou arabe mais des travailleurs, des membres
de la classe mondiale des exploités et qui ont un même intérêt
contre les capitalistes de toute nationalité" (CS, p.4).
Mais ce radicalisme "prolétarien" de façade ne fait
plus illusion lorsqu'on découvre la position de ce même groupe
dans l'édition Midi-Pyrénées de CS : "qui peut penser
sérieusement qu'à l'intérieur même des Etats-Unis,
un hispanique, un noir, un pauvre, sont traités à égalité
avec un riche ? Où est la démocratie là-dedans, où
est la justice ?" (CSMP, p.9). Ainsi, il n'est plus question ici de dénoncer
le capitalisme et de poser le problème en termes d'antagonisme entre
les classes, celle des exploités et celle des exploiteurs. dans son édition
Midi Pyrénées, CS révèle en fait le vrai fond de
commerce du courant anarchiste : l'interclassisme dont l'une des variantes est
l'antiracisme. Les "opprimés", ce ne sont pas les prolétaires
quelle que soit leur race, mais les "noirs" et les "hispaniques".
Mais, pire encore, nos libertaires radicaux se fendent, dans cet article, d'une
dénonciation pleurnicharde des inégalités sociales entre
les "riches" et les "pauvres" tout en se lamentant sur l'absence
de "démocratie" et de "justice" !
Au-delà de l'idéologie réformiste que véhicule la
composante anarcho-syndicaliste du courant libertaire, ce qui caractérise
essentiellement ce dernier c'est sa démarche non pas scientifique, mais
idéaliste et morale. Une telle approche ne peut que le situer, à
l'instar des trotskistes, dans le camp de la bourgeoisie.
C'est bien ce dont témoigne encore la façon pour le moins ambiguë
dont cet article dénonce le terrorisme, en disant une chose et son contraire
: "Il est nécessaire de préciser que le terrorisme n'a jamais
été un moyen de lutte prolétarienne, cela n'a jamais été
une arme au service des exploités et des opprimés. Si certaines
situations historiques ont imposés ou imposent la lutte armée,
elle s'est toujours, lorsqu'elle a été menée par des militants
ouvriers, opposée au terrorisme. Les luttes de partisans contre le fascisme,
les attentats contre le tsar ou contre Franco n'ont jamais visé le peuple
ni même un peuple, mais les têtes couronnées, les bouchers,
les oppresseurs" (CS, p.3). En effet il est nécessaire de préciser
! Car le terrorisme sorti en grande pompe par la porte, contre " un peuple",
revient par la fenêtre au nom de la lutte contre " les bouchers,
les oppresseurs". Il ne s'agit pas ici d'une question de morale. Les révolutionnaires
n'ont jamais eu d'états d'âme quand des généraux,
des "bouchers", etc., se sont fait exécuter. La question n'est
pas de savoir si la victime du terrorisme est un "oppresseur", mais
bien plutôt de savoir ce qui renforce ou pas la conscience et le combat
de la classe ouvrière. C'est pour cela par exemple que la construction
d'un courant marxiste et authentiquement révolutionnaire en Russie s'est
effectué, y compris contre les terroristes qui pourtant n'hésitaient
pas à s'en prendre au tsar ou à son ministre Stolypine. A contrario,
face à l'immensité des difficultés de la révolution,
on a vu les SR (Socialistes-Révolutionnaires) de gauche revenir à
leurs premières amours et attenter à la vie de Lénine,
caractérisé comme "l'oppresseur" du jour (à l'été
1918). Ainsi, pour les anarcho-syndicalistes, si "l'oppresseur" du
jour est le fascisme, alors, adieu l'internationalisme .et vive la lutte des
partisans ! N'en déplaise à la CNT-AIT, la lutte des partisans
contre le fascisme était une lutte nationale, rouage essentiel de la
boucherie impérialiste, et elle n'était pas " menée
par des militants ouvriers" mais par les traîtres et les bourreaux
du prolétariat, les staliniens !
C'est à juste raison que ce numéro de Combat Syndicaliste affirme
: "Le capitalisme est en décomposition, une décomposition
qui entraîne l'humanité dans la spirale sanglante de la barbarie.
Pour mettre fin à cette barbarie, il est plus que jamais nécessaire
de lutter pour une autre organisation de la société, d'abolir
ce despotisme de l'atelier lié au chaos du marché qu'est l'économie
capitaliste (...) Pour en finir avec les ignominies du capitalisme, la perspective
de la révolution sociale est plus que jamais d'une brûlante actualité."
(CS, p.6)
C'est pour cela que le prolétariat doit se détourner résolument
de ces marchands d'illusion que sont les anarchistes. Le courant "libertaire"
n'a jamais de mots assez durs pour dénigrer et discréditer le
marxisme, qui est le seul courant capable de défendre un point de vue
de classe. Contrairement aux anarchistes de tout poil, le marxisme, de par sa
méthode scientifique et non idéaliste ou morale, a toujours mis
en évidence que le prolétariat est la seule classe exploitée
qui soit également une classe révolutionnaire. C'est pour cela
que contrairement aux anarchistes, il a toujours défendu que le prolétariat
doit mener son combat en vue du renversement du capitalisme en affirmant son
autonomie de classe, en refusant de se dissoudre dans le "peuple"
en général et dans les mouvements interclassistes (pacifistes,
antiracistes, etc.).