Il y a dix ans, en décembre 1991, on assistait à l'éclatement
de l'URSS. Voici ce que nous écrivions à l'époque à
propos de cet événement :
"C'est sur une nouvelle accélération brutale de l'histoire
que vient de s'achever l'année 1991 : l'URSS, ce gigantesque Etat capitaliste
qui fut pendant plus d'un demi-siècle la deuxième puissance mondiale
a été définitivement rayée de la carte du monde
le 21 décembre avec la création de la Communauté des Etats
Indépendants (CEI) au sommet d'Alma-Ata. Depuis deux ans les événements
qui ont secoué l'ex-empire soviétique, la rapidité vertigineuse
avec laquelle ils se sont succédé, n'ont cessé de mettre
en relief l'extrême gravité de la nouvelle situation historique
ouverte avec la fin de la 'guerre froide'. Le monde capitaliste entre aujourd'hui
de plain-pied dans une ère nouvelle, celle de la décomposition
du capitalisme ..."
Dans un autre article paru en octobre 1991 intitulé "URSS : ce n'est
pas le communisme mais le capitalisme qui s'effondre", nous ajoutions :
"Et cet irréversible processus déliquescent qui affecte chaque
jour davantage un Etat bourgeois (...) est l'éclatante manifestation
une fois de plus de la faillite totale du système capitaliste".
A l'opposé des déclarations de George Bush (le père) du
25 décembre 1991 : "L'Union Soviétique n'est plus. C'est
une victoire pour la démocratie et la liberté. Nous sommes ce
soir devant un nouveau monde d'espoirs et de possibilités pour nos enfants",
nous annoncions déjà : "Pour tenter de freiner le chaos mondial
et continuer à s'affirmer comme seul gendarme du monde, l'Etat américain
risque d'être amené, dans le futur, à utiliser une fois
encore les 'grands moyens' (...) L'anarchie qui gangrène ce gigantesque
territoire ne peut que favoriser, partout, la dissémination des armes
nucléaires, qui risquent d'être utilisées par n'importe
quel docteur Folamour local (...) Voilà ce qui se profile derrière
tous les projets de 'désarmement nucléaire' des dirigeants occidentaux
: de nouvelles guerres du Golfe sont aujourd'hui en gestation. Face à
la gravité des enjeux, on peut être sûr que s'il déclenche,
dans l'avenir, une nouvelle 'Tempête du Désert', le gendarme US
aura pour objectif essentiel d'exhiber aux yeux de tous (en particulier de ses
principaux concurrents impérialistes) son gigantesque potentiel militaire
et éventuellement nucléaire. C'est bien le sens qu'il faut donner
aux discours menaçants de Bush lorsqu'il affirme que la guerre du Golfe
aurait été une 'guerre pour rien', laissant entendre avec un cynisme
sans nom que 'les USA n'ont peut être pas été assez loin'.
Ainsi, de la même façon que la guerre du Golfe avait constitué
une conséquence directe de l'effondrement du bloc de l'Est, le déchaînement
du chaos et du 'chacun pour soi' résultant de la disparition de l'Etat
soviétique vient aujourd'hui aggraver à une échelle considérable
la menace de nouveaux bains de sang sur toute la planète. Une telle situation
ne peut que contraindre, à terme, les grandes puissances, et en premier
lieu les USA, à se lancer dans l'engrenage de la barbarie guerrière.
Voilà l'avenir que nous promet le 'nouvel ordre mondial' : la fin de
'l'équilibre de la terreur' tant saluée par la classe dominante
a cédé la place au déchaînement de la terreur où,
aux massacres, ne peuvent que succéder de nouvelles boucheries encore
plus sanguinaires. Et cette catastrophe planétaire contenue en germe
dans la situation historique présente n'est certainement pas le résultat
de la faillite du communisme. Si l'URSS a explosé, c'est parce qu'elle
constituait le bastion le plus fragile du système capitaliste décadent,
un bastion qui était condamné à s'effondrer sous les coups
de boutoir de la crise économique mondiale. La disparition de cet Etat
n'est qu'une des manifestations extrêmes de la décomposition générale
du mode de production capitaliste. En continuant à pourrir sur pied,
ce système moribond et barbare porte avec lui la menace de destruction
de toute la planète."
De fait, à quoi a-t-on assisté depuis une décennie ? Certes
pas à une explosion atomique mais bel et bien à une dissémination
de l'arsenal nucléaire issue de l'ex-URSS, alimentée par une décomposition
de l'armée (comme la revente incontrôlée d'armes radioactives
ou le pourrissement de déchets nucléaires dans la mer Baltique).
Et surtout au réveil de conflits entre Etats dotés de la bombe
atomique comme l'Inde et le Pakistan qui continuent à faire planer la
menace d'une destruction massive. Mais ce que ces dix années ont pleinement
démontré et confirmé, c'est l'accélération
et l'enfoncement du monde dans la barbarie guerrière et dans un chaos
sanglant. On a ainsi assisté à l'éclatement de la Yougoslavie,
notamment sous la pression de certaines puissances européenne comme l'Allemagne,
qui en suscitant de nouveaux appétits impérialistes, a marqué
les années 1990 et débouché sur l'extension du chaos guerrier
aux portes de l'Europe occidentale en Croatie, en Bosnie puis au Kosovo. On
a vu la réaffirmation sanglante et brutale de l'impérialisme russe
qui, avec le soutien de toutes les puissances occidentales, perpètre
depuis huit ans des tueries sans fin en Tchétchénie. On a eu droit
à une succession quasi-ininterrompue de massacres en Afrique depuis l'intervention
américaine en Somalie en 1993 jusqu'aux tueries inter-ethniques au Rwanda,
au Burundi, au Zaïre, au Congo, particulièrement alimentées
par les intérêts impérialistes de la France et de la Grande-Bretagne
tandis que les guérillas armées téléguidées
par tel ou tel impérialisme se poursuivent de plus belle sur tout le
continent, de l'Angola au Soudan en passant par le Sahara occidental. On assiste
depuis deux ans à une escalade vertigineuse de la violence au Moyen-Orient,
d'attentats-kamikazes de nationalistes palestiniens en raids de représailles
de plus en plus atroces de l'armée israélienne qui plongent la
région dans un chaos sanglant. Et ce n'est pas la dernière proposition
de Sharon de créer des "zones tampons" pas plus que celle de
la gauche israélienne de construire un mur en Cisjordanie autour de l'enclave
palestinienne (treize ans après la démolition du mur de Berlin,
présentée comme le symbole du "triomphe de la démocratie
et de la paix") qui peut permettre de limiter l'accélération
des affrontements meurtriers.
La fuite en avant dans les aventures guerrières de l'impérialisme
américain pour préserver son statut de gendarme du monde s'est
pleinement confirmée, au nom de la nouvelle croisade anti-terroriste.
Les attentats du 11 septembre 2001 ont fourni un fabuleux prétexte, sous
couvert de traque aux "suppôts du terrorisme" et de combat implacable
contre "l 'axe du Mal" réaffirmé par Bush (le fils)
lors de son discours sur l'état de l'Union le 29 janvier dernier, au
déclenchement d'une guerre exterminatrice illimitée susceptible
de se déchaîner en n'importe quel endroit de la planète.
Cela constitue d'ores et déjà une menace imminente contre des
cibles favorites des Etats-Unis que sont toujours l'Irak comme il y a onze ans
lors de la guerre du Golfe ("le problème n'est pas de savoir si
nous interviendrons mais quand" a déclaré le secrétaire
d'Etat américain à la Défense), l'Iran ou la Corée
du Nord (alors que 37 000 soldats américains occupent déjà
la pseudo- "zone démilitarisée " entre les deux Corées
et que la tournée du président américain en Asie du Sud-Est
n'a pas apaisé les tensions). Elle a permis dans la foulée le
débarquement de 400 GI's aux Philippines. Et bien évidemment,
cette démonstration à la face du monde de la force militaire du
gendarme américain a justifié et justifie encore le bombardement
de l'Afghanistan (déjà au cœur des enjeux impérialistes
entre les blocs et dont la population subissait les ravages de la guerre depuis
son invasion par l'URSS en décembre 1979).
Dans ce contexte, plus que jamais, les "accords de paix", ne sont
que des moments de surenchères dans les rapports de force inter-impérialistes
qui engendrent à leur tour de nouvelles haines nationalistes et de nouveaux
massacres, démontrant que la guerre est irrémédiablement
devenu le mode de survie permanent du capitalisme décadent. Ainsi, en
Afghanistan, le gouvernement provisoire installé par la Maison Blanche
ne fait qu'intensifier les massacres entre bandes armées rivales pachtounes,
ouzbeks et tadjiks au sein desquelles différents impérialismes
occidentaux et régionaux placent leur pion et agissent en sous-main.
C'est ainsi que nous pouvions déjà affirmer dans notre Manifeste
"Révolution communiste ou destruction de l'humanité"
du 9e Congrès du CCI, rédigé en septembre 1991 : "Si
on laisse le capitalisme en place, il finira, même en l'absence d'une
guerre mondiale par détruire définitivement l'humanité
à travers l'accumulation des guerres locales". L'enjeu de cette
situation est patent aujourd'hui. Il est clair que la menace d'anéantissement
de l'humanité ne vient pas seulement d'une guerre atomique ou d'une catastrophe
nucléaire mais que le capitalisme précipite le monde dans un abîme
de chaos et de barbarie guerrière généralisée.
Si les événements ultérieurs ont confirmé et validé
en grande partie et même l'essentiel de nos pronostics, c'est parce que
les efforts du CCI pour comprendre la nouvelle période historique qui
s'ouvrait avec l'éclatement de l'URSS (nos analyses sur la phase de décomposition
du capitalisme, nos thèses sur le militarisme et la décomposition,
la mise en relief de la dynamique du chacun pour soi qui contrecarre la tendance
vers la reformation de blocs impérialistes, etc.) n'ont jamais cessé
de s'appuyer fermement sur la méthode, la vision révolutionnaire
et l'expérience historique du marxisme. Ces analyses sont une confirmation
de la faillite historique du mode de production capitaliste à laquelle
le combat révolutionnaire de la classe ouvrière mondiale, seule
classe porteuse d'un autre avenir pour l'humanité, peut mettre fin, à
travers le développement de ses luttes contre la crise économique.
La candidate à l'élection présidentielle Arlette Laguiller prétend que son programme est l'expression de la défense des intérêts de la classe ouvrière. Mensonges ! Duperie sur toute la ligne ! Ses grands thèmes martelés tout au long de la campagne électorale sont non seulement destinés à engager un maximum d'ouvriers sur le terrain électoral bourgeois mais aussi à enfermer les prolétaires dans de dangereuses illusions réformistes et à dénaturer le sens même de la lutte de classe. Quel est donc ce "programme" ?
"faire payer le patronat", "prélever l'argent sur les
profits patronaux" ou "sur la fortune des actionnaires" pour
"redistribuer les richesses sociales et financer les emplois" , autrement
dit la formule qu'emploie également LO : "faire payer les riches
" . Cette bonne vieille recette de la gauche dans l'opposition a fait en
son temps les choux gras du PCF, en particulier quand le parti stalinien s'en
prenait aux "200 familles" dans les années 1930. Ce n'est rien
d'autre qu'une vaste entreprise de mystification qui revient à faire
croire que la solution au chômage et à la misère engendrés
par le capitalisme se trouverait dans une meilleure gestion de ce système.
Cela ne fait que renvoyer en permanence aux prolétaires l'idée
d'un capitalisme viable, un système qu'il suffirait de réformer,
qu'il serait possible d'orienter dans un sens favorable aux travailleurs et
surtout qu'il n'est pas nécessaire de détruire. Pour exploiter
ce filon électoral, notre "Arlette nationale" va jusqu'à
reprendre aujourd'hui à son compte la vieille idée d'autogestion
galvaudée par les anarchistes d'un côté, par le "modèle
yougoslave" à la Tito de l'autre en passant par les courants ouvertement
réformistes comme le PSU à la fin des années 1960 et dans
les années 1970, reprise par un syndicat comme la CFDT à l'époque.
Quelle que soit la couleur au goût du jour de la façade : au nom
plus libertaire de l'autogestion ou au nom d'une phraséologie empruntée
au marxisme comme l'appropriation collective des moyens de production, le fonds
de commerce reste le même : LO et sa candidate répandent le mythe
que la misère croissante engendrée par le capitalisme n'est pas
le résultat d'un système aux abois mais une simple question de
gestion et de "répartition des richesses". Elles prétendent
que les inégalités sociales et le chômage viennent de ce
que les "riches" amassent du fric qu'ils ne veulent pas partager,
et non pas de la logique même des rapports de production capitalistes.
Depuis Marx dans sa brochure "Salaire, prix et profit", tous les révolutionnaires
n'ont jamais cessé de combattre l'illusion qu'il n'y a pas de société
juste et équitable dans le cadre du capitalisme, que la seule réponse
historique que puisse apporter le prolétariat face aux iniquités
engendrées par ce système, c'est de le détruire, d'abolir
le salariat en développant les luttes contre l'exploitation de la force
de travail et les rapports capitalistes de production. En masquant le caractère
antagonique et inconciliable des intérêts des ouvriers avec ceux
du capital, LO cherche à ramener les ouvriers derrière la défense
de leur entreprise et de l'Etat bourgeois. Quand il arrive à LO de parler
de crise, ce n'est jamais pour y voir la manifestation de la faillite du système
qui fonde la nécessité et la possibilité de la révolution
prolétarienne. C'est pour la présenter soit comme un mythe inventé
par les méchants patrons pour s'en mettre davantage plein les poches,
soit comme le produit d'une mauvaise gestion de l'entreprise. En même
temps, en désignant la poche des "patrons privés" comme
cause de la misère des exploités, LO dédouane le premier
responsable de l'austérité capitaliste et du chômage, le
premier donneur d'ordre des licenciements et de la régression sociale
: l'Etat de la société bourgeoise qui ne peut être qu'un
Etat bourgeois, capitaliste. Pour LO, la solution est toute trouvée :
il suffirait de concentrer les moyens de production aux mains de l'Etat. Car
cet Etat et par voie de conséquence son gouvernement sont présentés
comme un arbitre au-dessus des classes sociales, qui pourraient indifféremment
pencher en faveur de l'une ou de l'autre classe : la bourgeoisie ou le prolétariat.
Le reproche qu'adresse LO à la gauche au gouvernement, c'est "de
se mettre au service des patrons", de "faire des cadeaux au patronat".
LO masque ainsi la nature de l'Etat capitaliste en faisant croire que c'est
lui qui sert les patrons privés alors que c'est la politique des patrons
privés qui est bel et bien au service de la défense du capital
national dont l'Etat représente le garant, le meilleur et le plus rigoureux
représentant. En réalité, le gouvernement "n'obéit"
nullement aux patrons mais ce sont les patrons qui sont contraints d'obéir
à l'Etat et aux intérêts du capital national. Cette recette
miracle c'est la même camelote, les mêmes vieilles recettes que
le PCF a servi pendant des décennies : mieux gérer le capitalisme,
c'est marcher vers une économie rationnellement organisée et planifiée,
capitaliste d'Etat, il suffit que l'Etat "s 'approprie et contrôle
les moyens de production" sur le modèle stalinien au nom de "l'Etat
ouvrier" qui en URSS aurait fait pendant 70 ans "la preuve de sa supériorité
économique". La raison profonde de cette mystification, c'est que
LO a pris la place et le flambeau du PC stalinien pour apparaître aujourd'hui
comme le plus fervent défenseur, le champion du capitalisme d'Etat.
Mais le grand dada de LO, c'est "la réquisition des entreprises
qui licencient" avec sa proposition de faire une loi promulguant l'interdiction
de licencier pour les entreprises qui font des profits. En s'en prenant aux
entreprises qui licencient tout en faisant des bénéfices, LO ignore
les dizaines de milliers de prolétaires jetés sur le pavé
pour cause de faillite pure et simple des entreprises. LO reprend le discours
mystificateur de toute la bourgeoisie qui présente le financement des
emplois comme une part prise sur les profits des capitalistes, et voudrait nous
faire croire que l'embauche des ouvriers serait un "cadeau" qui leur
serait fait en "sacrifiant" une partie des profits capitalistes. C
'est exactement le contraire qui est vrai : les richesses sont produites par
le travail, pas par le capital et c'est ce dernier qui s'en approprie une partie
sur le dos de la classe ouvrière à travers la plus-value. Le capitalisme
vit avant tout de l'exploitation du travail des prolétaires, sans cela,
il ne peut tirer aucun profit. La condition indispensable pour que cette plus-value
se réalise, c'est la vente des produits du travail des ouvriers dans
le cadre du marché. La véritable origine des plans de licenciements
massifs qui s'abattent sur le dos de la classe ouvrière, c'est bel et
bien la crise de surproduction affectant globalement le système, avec
l'exacerbation de la concurrence capitaliste sur le marché mondial saturé
de marchandises. Quand les capitalistes peuvent accroître leurs parts
de marché, ils embauchent davantage de main-d'oeuvre. A l'inverse, ils
réduisent les salariés au chômage pour diminuer leurs coûts
de production en fonction d'une mévente réelle ou anticipée.
C'est pourquoi le "financement des emplois" ne peut pas être
une question de répartition de profits.
Quant au fait que LO appelle les ouvriers à faire confiance à
l'Etat en lui demandant de prendre des mesures de coercition contre "le
patronat privé" quand il licencie, c'est de la poudre aux yeux.
Dans le cadre du capitalisme, les réquisitions d'usine ont toujours été
une contrainte par la force dirigée contre la classe ouvrière,
par l'appareil répressif de l'Etat (police ou armée) pour briser
directement les luttes ouvrières et faire redémarrer la production.
Elles ont toujours correspondu à une militarisation du travail, fusil
dans le dos. Et LO voudrait faire croire aux prolétaires que cette contrainte
pourrait s'exercer aussi contre le capitalisme en masquant toujours la même
réalité que l'Etat n'est que l'instrument docile aux mains de
la classe dominante et de ses rapports de production.
Le reste n'est qu'un accommodement de cette sauce réformiste au goût
du jour. LO réclame donc la levée du secret bancaire et l'ouverture
des livres de compte des entreprises :
"Il faut le contrôle de la population sur tous les accords financiers,
sur tous les grands centres dans le pays et hors du pays. Il faut lever ce secret
commercial et ce secret bancaire qui ne servent qu'à cacher aux yeux
de la population les énormes profits de ces quelques trusts qui font
et défont les emplois" (éditorial de LO du 2 décembre
1998). Conclusion : travailleurs, inutile de détruire l'Etat bourgeois,
il suffit de "moraliser" l'économie ; allez dans le secret
des banques étudier les balances comptables et tout ira mieux. Cette
"recette" est de la même eau que la taxe Tobin (voir RI n°317,
novembre 2001) que LO se permet pourtant de critiquer. La spéculation
et les trafics financiers ne sont nullement la cause de la crise, ils ne sont
que la conséquence directe de l'impasse où est acculé le
mode de production capitaliste. Aucune mesure étatique, "populaire"
ou pas, n'empêchera la crise de se poursuivre et d'étendre ses
ravages sur toute la planète. Voilà ce que la propagande de LO
cherche à cacher à la classe ouvrière. Elle participe d'un
discours populiste totalement démagogique qui surfe sur la vague de dénonciation
des magouilles et des affaires des politiciens, en semant les mêmes illusions
que les "antimondialistes" sur la possibilité d'un capitalisme
propre en évitant de mettre en cause les racines de ces phénomènes
: la décomposition et le pourrissement sur pied du capitalisme agonisant.
Le ton radical et le verbiage pseudo-révolutionnaire "d'Arlette" ne sont qu'un leurre : LO n'a rien d'une organisation ouvrière, la place que lui accorde la bourgeoisie dans cette campagne électorale ne sert qu'à dénaturer le marxisme aux yeux des prolétaires, à les empêcher de prendre conscience de la faillite du mode de production capitaliste et à les enfermer dans le cadre gestionnaire, réformiste et parfaitement bourgeois, à préserver l'ordre capitaliste existant et à faire obstacle au combat de classe pour le renversement du capitalisme.
CB (16 février)Parce que dans le meilleur des cas il exprime une influence de l'idéologie petite-bourgeoise dans les rangs du prolétariat (quand il n'est pas directement une composante de la bourgeoisie au travers de ses organisations les plus établies comme la FA - Fédération Anarchiste), l'anarchisme, même s'il peut condamner fermement la guerre impérialiste, ne peut offrir de réelle perspective révolutionnaire au prolétariat.
Notons d'abord la grande variété de la nébuleuse anarchiste.
Au nom de la sacro-sainte autonomie individuelle, chacun n'engage que lui-même.
Au sein d'un même groupement politique, chaque "compagnon",
"cercle" ou "unité régionale" y va de son
interprétation du monde, sans qu'il soit possible de savoir précisément
quelle est la position officielle de l'organisation et quelles sont les tendances
politiques alternatives qui s'y opposent. C'est déjà un aspect
fondamental qui s'oppose aux intérêts profonds du prolétariat
qui tend toujours à faire émerger une réponse unie et internationale
face à la guerre, comme expression de l'unité de la classe ouvrière
et de la nature globale de son combat. Et quand cela n'est pas possible du fait
de divergences politiques momentanément insurmontables, c'est une responsabilité
des organisations révolutionnaires de présenter clairement face
à la classe leurs positions respectives comme facteur actif de clarification
et de décantation du milieu politique et de développement de la
conscience de classe.
Le courant anarchiste, quand il s'essaie à une déclaration commune
(contre la guerre en Afghanistan), ne peut guère produire que des déclarations
pacifistes et contre-révolutionnaires. Pour autant, au sein de certaines
tendances de l'anarcho-syndicalisme, se font jour des positions plus "radicales"
et nettement influencées par des positions de classe.
C'est le cas en particulier de l'article "Socialisme ou Barbarie"
paru dans l'édition nationale de Combat Syndicaliste, septembre-octobre
2001, (CS). Cet article se place du point de vue de la classe ouvrière,
principale victime de l'attentat du 11 septembre comme de la croisade guerrière
qui l'accompagne depuis, et fait une critique argumentée du capitalisme
et de sa frénésie d'accumulation, rappelle les innombrables guerres
qui ont ponctué le 20e siècle, dénonce l'Union Sacrée
et l'hypocrisie de la bourgeoisie. Il pose clairement que les Etats-Unis sont
des "terroristes comme les autres", et que "l'attentat sert déjà
de justification à de futures atrocités" (CS, p.3). Il perçoit
que "malgré l'unité de façade, chaque Etat dans ces
guerres cherche à défendre ses propres intérêts"
(CS, p.6). Ce numéro de CS campe donc sur une position internationaliste
: "Nous sommes tous les victimes d'un même système, le capitalisme,
qui exploite, licencie et cherche à nous enrôler dans des conflits
qui ne sont pas les nôtres" (CS, éditorial) et plus loin :
"Internationalistes, nous n'avons jamais versé dans 'l'anti-américanisme',
et nous avons toujours été solidaires des américains qui
luttent contre l'exploitation capitaliste, comme nous le sommes avec tous les
travailleurs, tous les opprimés du monde, en lutte contre un même
système économique, celui qui exploite et licencie de New York
à Pékin, en passant par Moscou. Et dans cette ambiance d'union
sacrée, nous restons ce que nous avons toujours été, non
pas américains, français ou arabe mais des travailleurs, des membres
de la classe mondiale des exploités et qui ont un même intérêt
contre les capitalistes de toute nationalité" (CS, p.4).
Mais ce radicalisme "prolétarien" de façade ne fait
plus illusion lorsqu'on découvre la position de ce même groupe
dans l'édition Midi-Pyrénées de CS : "qui peut penser
sérieusement qu'à l'intérieur même des Etats-Unis,
un hispanique, un noir, un pauvre, sont traités à égalité
avec un riche ? Où est la démocratie là-dedans, où
est la justice ?" (CSMP, p.9). Ainsi, il n'est plus question ici de dénoncer
le capitalisme et de poser le problème en termes d'antagonisme entre
les classes, celle des exploités et celle des exploiteurs. dans son édition
Midi Pyrénées, CS révèle en fait le vrai fond de
commerce du courant anarchiste : l'interclassisme dont l'une des variantes est
l'antiracisme. Les "opprimés", ce ne sont pas les prolétaires
quelle que soit leur race, mais les "noirs" et les "hispaniques".
Mais, pire encore, nos libertaires radicaux se fendent, dans cet article, d'une
dénonciation pleurnicharde des inégalités sociales entre
les "riches" et les "pauvres" tout en se lamentant sur l'absence
de "démocratie" et de "justice" !
Au-delà de l'idéologie réformiste que véhicule la
composante anarcho-syndicaliste du courant libertaire, ce qui caractérise
essentiellement ce dernier c'est sa démarche non pas scientifique, mais
idéaliste et morale. Une telle approche ne peut que le situer, à
l'instar des trotskistes, dans le camp de la bourgeoisie.
C'est bien ce dont témoigne encore la façon pour le moins ambiguë
dont cet article dénonce le terrorisme, en disant une chose et son contraire
: "Il est nécessaire de préciser que le terrorisme n'a jamais
été un moyen de lutte prolétarienne, cela n'a jamais été
une arme au service des exploités et des opprimés. Si certaines
situations historiques ont imposés ou imposent la lutte armée,
elle s'est toujours, lorsqu'elle a été menée par des militants
ouvriers, opposée au terrorisme. Les luttes de partisans contre le fascisme,
les attentats contre le tsar ou contre Franco n'ont jamais visé le peuple
ni même un peuple, mais les têtes couronnées, les bouchers,
les oppresseurs" (CS, p.3). En effet il est nécessaire de préciser
! Car le terrorisme sorti en grande pompe par la porte, contre " un peuple",
revient par la fenêtre au nom de la lutte contre " les bouchers,
les oppresseurs". Il ne s'agit pas ici d'une question de morale. Les révolutionnaires
n'ont jamais eu d'états d'âme quand des généraux,
des "bouchers", etc., se sont fait exécuter. La question n'est
pas de savoir si la victime du terrorisme est un "oppresseur", mais
bien plutôt de savoir ce qui renforce ou pas la conscience et le combat
de la classe ouvrière. C'est pour cela par exemple que la construction
d'un courant marxiste et authentiquement révolutionnaire en Russie s'est
effectué, y compris contre les terroristes qui pourtant n'hésitaient
pas à s'en prendre au tsar ou à son ministre Stolypine. A contrario,
face à l'immensité des difficultés de la révolution,
on a vu les SR (Socialistes-Révolutionnaires) de gauche revenir à
leurs premières amours et attenter à la vie de Lénine,
caractérisé comme "l'oppresseur" du jour (à l'été
1918). Ainsi, pour les anarcho-syndicalistes, si "l'oppresseur" du
jour est le fascisme, alors, adieu l'internationalisme .et vive la lutte des
partisans ! N'en déplaise à la CNT-AIT, la lutte des partisans
contre le fascisme était une lutte nationale, rouage essentiel de la
boucherie impérialiste, et elle n'était pas " menée
par des militants ouvriers" mais par les traîtres et les bourreaux
du prolétariat, les staliniens !
C'est à juste raison que ce numéro de Combat Syndicaliste affirme
: "Le capitalisme est en décomposition, une décomposition
qui entraîne l'humanité dans la spirale sanglante de la barbarie.
Pour mettre fin à cette barbarie, il est plus que jamais nécessaire
de lutter pour une autre organisation de la société, d'abolir
ce despotisme de l'atelier lié au chaos du marché qu'est l'économie
capitaliste (...) Pour en finir avec les ignominies du capitalisme, la perspective
de la révolution sociale est plus que jamais d'une brûlante actualité."
(CS, p.6)
C'est pour cela que le prolétariat doit se détourner résolument
de ces marchands d'illusion que sont les anarchistes. Le courant "libertaire"
n'a jamais de mots assez durs pour dénigrer et discréditer le
marxisme, qui est le seul courant capable de défendre un point de vue
de classe. Contrairement aux anarchistes de tout poil, le marxisme, de par sa
méthode scientifique et non idéaliste ou morale, a toujours mis
en évidence que le prolétariat est la seule classe exploitée
qui soit également une classe révolutionnaire. C'est pour cela
que contrairement aux anarchistes, il a toujours défendu que le prolétariat
doit mener son combat en vue du renversement du capitalisme en affirmant son
autonomie de classe, en refusant de se dissoudre dans le "peuple"
en général et dans les mouvements interclassistes (pacifistes,
antiracistes, etc.).
Depuis ses origines, le mouvement
ouvrier a dû faire face à la répression de la bourgeoisie. Cependant, ce serait
une grave erreur - une naïveté extrême - que de croire que cette répression ne
prend que la forme d'une répression physique exercée contre les grèves ou les
soulèvements ouvriers.
La révolution prolétarienne est la première de l'histoire dont le succès
dépendra fondamentalement de la conscience de la classe révolutionnaire de ses
propres buts, de la finalité de son combat contre le capitalisme : le
communisme. Inévitablement dans la société capitaliste, cette conscience
historique se développe de façon hétérogène au sein du prolétariat, et c'est
pourquoi la conscience de classe révolutionnaire est cristallisée d'abord dans
des organisations politiques, avant-gardes minoritaires de la classe ouvrière.
Ironie de l'histoire, la bourgeoisie s'est souvent montrée plus clairvoyante que les masses ouvrières elles-mêmes quant au rôle fondamental des organisations révolutionnaires. Depuis toujours, elle prête une attention particulière aux organisations politiques qui se réclament de la révolution communiste, même dans des périodes où celles-ci sont ultra-minoritaires, voire complètement inconnues du prolétariat dans son ensemble. Ceci reste vrai quel que soit le régime politique du moment. Pour ne donner que deux exemples qui nous concernent directement :
Une seule fois dans l'histoire, les méthodes de la police politique ont pu être
examinées de manière exhaustive par les révolutionnaires : après la révolution
d'octobre 1917, quand les archives de la police secrète tsariste -l'Okhrana-
sont tombées entre les mains des bolcheviks. C'est à partir de ces archives que
Victor Serge a écrit son livre "Ce
que tout révolutionnaire doit savoir de la répression", qui reste un
exposé d'une grande valeur pour la compréhension des méthodes policières. Comme
disait Victor Serge, l'Okhrana était "le
prototype de la police politique moderne". Cependant, comme nous allons
voir, l'espionnage et la provocation policière ne sont pas nés avec l'Okhrana,
et les révolutionnaires n'ont pas attendu le livre de Serge pour comprendre
l'intérêt dont ils étaient l'objet.
Quel est le but de cet intérêt policier ? Ce n'est pas simplement d'espionner,
réprimer et détruire les organisations révolutionnaires. La bourgeoisie - et
ses polices politiques - sait très bien que les organisations politiques du
prolétariat naissent non pas dans les têtes des individus qui les composent,
mais des conditions mêmes de la lutte de classe et de l'opposition permanente
entre la classe ouvrière et la société capitaliste.
Ce n'est donc pas par hasard si le personnage de l'agent provocateur a toujours
été honni dans le mouvement ouvrier, à la fois dans ses organisations
politiques et dans les organismes que fait surgir la classe ouvrière au cours
de ses luttes (assemblées générales, comités d'usines, etc.). Dès leurs
origines, les organisations politiques de la classe ouvrière ont essayé de se
prémunir contre l'activité de l'agent provocateur. Ainsi, nous pouvons lire la
règle suivante, introduite dans les statuts de la London Corresponding Society
(l'une des premières véritables organisations politiques ouvrières) en 1795 :
"Tous ceux qui essaient de nuire à
l'ordre, sous le prétexte de montrer leur zèle, leur courage, ou pour toute
autre raison, sont à soupçonner. Un caractère bruyant n'est que rarement signe
de courage, et un zèle extrême cache souvent la trahison"[1] [5]. De la même façon,
la Ligue des Communistes (dont Marx a écrit le fameux Manifeste en 1848) énonça
dans l'article 42 de ses statuts : "Les
individus écartés ou exclus, ainsi qu'en général les sujets suspects, sont à
surveiller par la Ligue et à mettre hors d'état de nuire"
Cependant, l'efficacité du provocateur a ses limites. Comme l'affirme encore
Victor Serge : "(…) la provocation
ne peut jamais nuire qu'à des individus ou à des groupes (...) elle est à peu
près impuissante contre le mouvement révolutionnaire considéré dans son
ensemble.
Nous avons vu un agent provocateur se charger de faire entrer en Russie (1912)
la littérature bolchevique ; un autre (Malinovsky) prononcer à la Douma des
discours rédigés par Lénine (…) Or, qu'une brochure de propagande soit répandue
par les soins d'un agent secret ou par ceux d'un militant dévoué, le résultat
est le même : l'essentiel est qu'elle soit lue (...) Quand l'agent secret
Malinovsky fait retentir à la Douma la voix de Lénine, le ministère de
l'Intérieur aurait bien tort de se réjouir du succès de son agent stipendié. La
parole de Lénine a pour le pays beaucoup plus d'importance que la voix d'un misérable n'en a par
elle-même".
Bien pire que la provocation en elle-même est le soupçon, la méfiance qui
peuvent s'installer au sein même de l'organisation quand ses membres se sentent
les cibles de la provocation. C'est d'autant plus le cas parce que - en dehors
de ce cas unique que fut la saisie des archives de l'Okhrana - les
révolutionnaires n'ont évidemment pas les moyens de chercher des preuves dans
les archives de la police, et la police elle-même fait tout pour brouiller les
pistes et pour protéger les véritables espions. Au pire, la police n'a même pas
besoin d'agir, elle n'a qu'à laisser la méfiance et la suspicion s'installer et
en récolter les fruits : la paralysie, voire l'éclatement de l'organisation
révolutionnaire. Le livre de Thompson nous donne un exemple frappant de cette
paralysie qui touche la London Corresponding Society : "En 1794 un certain Jones, de Tottenham, fut
accusé (à tort) d'être un espion, à cause de ses résolutions violentes, que
l'on soupçonnaient 'd'avoir comme but de piéger la Society'. Comme nous le
rapporte Groves (le véritable espion), non sans un certain humour malicieux,
Jones s'est plaint : 'Si un citoyen propose une Résolution un tant soit peu
énergique, on le prend pour un espion envoyé par le gouvernement. Si un citoyen
s'assoit dans un coin et ne dit rien, c'est qu'il regarde ce qui se passe pour
en faire un rapport (...) les citoyens ne savent plus comment ils doivent agir'"[2] [6].
Si la méfiance au sein de l'organisation est facteur de paralysie et de
désagrégation d'une organisation prolétarienne, le soupçon est un fardeau
terrible et parfois insupportable pour le militant individuel (Serge cite des
exemples de militants qui se sont suicidés, ou ont commis des actes désespérés,
parce qu'ils n'ont pas pu se laver d'un soupçon injustifié). Un militant
communiste se met en opposition à toute la société bourgeoise et aux attributs
de celle-ci. Il est mis au ban de la société, il est montré du doigt par toute
la machine de la propagande bourgeoise comme un illuminé au mieux, un criminel
sanglant au pire. Il peut être traqué impunément comme une bête à abattre. Pour
garder la tête haute, le militant communiste doit non seulement maintenir une
conviction inébranlable dans la cause historique du prolétariat, dans le futur
de l'humanité, dans la nécessité et la possibilité d'une révolution communiste
; il doit aussi préserver son honneur de militant, le respect et la confiance
de ses camarades de combat. Il n'y a pas pire honte pour un militant communiste
que d'être désigné comme un traître. Le soupçon est facile à semer,
terriblement difficile à effacer. C'est pour cela que les militants communistes
ont le devoir de défendre leur dignité face aux soupçons et à la calomnie, de
même que l'organisation a la responsabilité de ne pas tolérer en son sein ce
poison qui détruit son unité et la solidarité entre camarades.
Ce n'est pas pour rien qu'en 1860, Karl Marx a publié sa dénonciation de Karl
Vogt, un espion à la solde de Napoléon III qui avait lui-même accusé Marx
d'être un agent de la police. Les commentateurs bourgeois "bien
intentionnés" voient souvent dans ce texte une faiblesse de Marx, une
distraction de son œuvre "philosophique" pour s'attaquer à un
individu méprisable, et ils considèrent que le texte -avec son attention
minutieuse aux détails les plus lamentables de l'activité de Vogt- représente
un exemple de "l'autoritarisme" de Marx qui n'aurait pas supporté la
contradiction. C'est ne rien comprendre à l'action de Marx, qui détestait
parler en public de lui-même ou de ses affaires personnelles, mais qui s'est
senti obligé de consacrer une année entière à ce travail indispensable afin de
défendre à la fois son honneur personnel de révolutionnaire, mais aussi et
surtout le mouvement dont il faisait partie.
Victor Serge avait bien raison quand il écrivait : "(…) c'est une tradition : les ennemis de l'action, les lâches, les
biens installés, les opportunistes ramassent volontiers leurs armes dans les
égouts ! Le soupçon et la calomnie leur servent à discréditer les
révolutionnaires."
Le danger du soupçon incontrôlé au sein de l'organisation était bien compris
par les révolutionnaires du passé comme en témoignaient déjà les statuts de la
Ligue des Justes, prédécesseur de la Ligue des Communistes (ce brouillon des statuts
date de janvier 1843) : "Si
quelqu'un veut se plaindre de personnes ou de questions appartenant à la Ligue,
il doit le faire ouvertement dans la réunion [de la section]. Les dénigreurs seront exclus."
(Point 9)
Vers la fin du 19e siècle, cette position de base est encore affinée. Il ne
suffit pas d'exclure le dénigreur, il faut trouver le moyen de traiter les
accusations éventuelles sans que celles-ci nuisent à l'organisation si elles
s'avèrent infondées. Cette méthode du mouvement ouvrier est préconisée dans les
statuts de la section berlinoise du parti social-démocrate allemand, qui
déclarait en 1882 (alors que le parti travaillait dans l'illégalité) : "Chaque militant -même s'il s'agit d'un
camarade bien connu- a le devoir de maintenir la discrétion sur les sujets discutés
au sein de l'organisation -quelle que soit la matière. Si un camarade entend
une accusation de la part d'un autre camarade, il a le devoir en premier lieu
de la traiter confidentiellement, et il doit exiger de même de la part du
camarade qui l'a informé de l'accusation ; il doit établir les raisons de l'accusation,
et savoir qui en est à l'origine.
Il doit en informer le secrétaire [de la section], qui doit clarifier la
question dans une confrontation avec l'accusé et l'accusateur (...) Toute autre
action, comme par exemple semer le soupçon sans preuves attestées par les
secrétaires [c'est-à-dire les responsables de la section] provoquera des dégâts
importants. Puisque la police a un intérêt notoire à promouvoir la division
dans nos rangs en semant des dénigrements, tout camarade qui ne se tient pas à
la procédure décrite ci-dessus risque d'être considéré comme une personne
travaillant pour la police"[3] [7].
Il est évident que dans les conditions d'illégalité de l'époque, les
révolutionnaires étaient préoccupés au jour le jour par le danger de
l'infiltration de la police dans leurs rangs. Mais le soupçon au sein de
l'organisation n'était pas systématiquement l'œuvre de la police, il pouvait
naître sans la moindre provocation. Même lorsque ces accusations sont lancées
avec les meilleures intentions de protéger l'organisation, la méfiance qu'elles
suscitent peut être encore plus dangereux pour la santé de l'organisation, et
pour la sécurité des militants eux-mêmes, que la véritable provocation. C'est
ce que Victor Serge met encore en évidence : "Des accusations sont murmurées, puis formulées tout haut, le plus
souvent impossibles à tirer au clair. Il en résulte des maux infinis, plus
graves à certains égards que les maux infligés par la provocation réelle (...)
Ce mal -le soupçon, la défiance entre nous- ne peut être circonscrit que par un
grand effort de volonté.
Il faut -et c'est d'ailleurs la condition préalable de toute lutte victorieuse
contre la provocation véritable dont chaque accusation calomnieuse portée
contre un militant fait le jeu- que jamais un homme ne soit accusé a la légère,
et que jamais une accusation formulée contre un révolutionnaire ne soit
classée. Chaque fois qu'un homme aura été effleuré d'un pareil soupçon, un jury
de camarades doit statuer et se prononcer sur l'accusation ou sur la calomnie.
Règles simples à observer avec une inflexible rigueur si l'on veut préserver la
santé morale des organisations révolutionnaires."
Dans cette première partie, nous avons essayé de démontrer :
L'organisation communiste n'a pas sa place "naturelle" dans la société bourgeoise, au contraire elle est un corps étranger dans cette société. L'antagonisme entre les principes communistes et l'idéologie bourgeoise ne se jouent pas seulement à l'extérieur de l'organisation, mais aussi à l'intérieur. L'infiltration de cette idéologie étrangère au prolétariat peut se manifester à travers les positions politiques opportunistes que peut prôner une partie de l'organisation, mais aussi et de façon beaucoup plus insidieuse par des comportements individuels empruntés à la classe dominante (ou à certaines couches sociales sans devenir historiques) et diamétralement opposés au comportement qui doit être celui d'un militant communiste.
Le CCI a toujours mis en évidence que la question du comportement politique
des militants est une question en lien avec les principes de la classe porteuse
du communisme. Contre le poison de la méfiance et de la suspicion, nous
réaffirmons que "les rapports qui se
nouent entre les militants de l'organisation, s'ils portent nécessairement les
stigmates de la société capitaliste, ne peuvent être en contradiction flagrante
avec le but poursuivi par les révolutionnaires. Ils s'appuient sur une
solidarité et une confiance mutuelles qui sont une des marques de
l'appartenance de l'organisation à la classe porteuse du communisme."
(Plate-forme du CCI) Déjà, nos statuts insistent sur le fait que le
comportement d'un militant ne peut pas être en contradiction avec le but pour
lequel nous combattons, et que les débats au sein de l'organisation "soient menés avec le plus de rigueur
possible, mais en se gardant des attaques personnelles qui ne sauraient se
substituer à l'argumentation politique cohérente" Oublier ces règles
de comportement, se laisser happer par l'esprit de concurrence inoculé par la
société capitaliste peut amener des militants encore plus loin hors du terrain
du débat entre communistes, les amener même dans certaines circonstances (par
exemple lorsqu'ils ont été mis en minorité et se sont retrouvés à court
d'arguments dans un débat) à entreprendre des campagnes de calomnie contre
leurs camarades, vus comme des adversaires à abattre.
L'utilisation de campagnes de calomnie contre des militants au sein des
organisations révolutionnaires a jalonné l'histoire du mouvement ouvrier depuis
ses origines. Il suffit de se remémorer les calomnies de Bakounine contre Marx
au sein de l'AIT accusé d'être un "dictateur" (du fait qu'il était...
juif et allemand !), celles déversées après le congrès de 1903 du POSDR par les
mencheviks contre Lénine, accusé de vouloir "faire régner la terreur dans
le parti comme Robespierre". On peut également citer le cas extrême des
campagnes de dénigrement contre Rosa Luxembourg, entreprises par des éléments
opportunistes du parti social-démocrate allemand qui allaient trahir les
principes de la classe ouvrière en 1914. Ainsi, Rosa Luxemburg fut accusée dans
les couloirs du parti d'avoir des moeurs de "libertine" (et même
d'être un agent de la police tsariste, l'Okhrana) par ces militants qui,
quelques années plus tard, allaient organiser en janvier 1919 son assassinat :
le "chien sanglant" Noske et ses complices Ebert et Scheidemann.
Pour ne prendre qu'un dernier exemple, nos prédécesseurs de la Gauche
Communiste de France ont dû faire face aussi à la calomnie au sein de
l'organisation, comme on peut voir dans cette résolution adoptée à la
conférence de la GCF de juillet 1945 :
"Approuvant la résolution de
l'assemblée générale du 16 juin qui enregistrait la rupture de ces éléments
avec l'organisation, la conférence (...) s'élève tout particulièrement contre
la campagne de basse calomnie devenue l'arme préférée de ces éléments contre
l'organisation et contre les militants individuellement.
En recourant à de telles méthodes, ces éléments, tout en illustrant leur dite
politique, créent une atmosphère empoisonnée en introduisant la suspicion, la
menace de pogromes (selon leur propre expression), le gangstérisme, et
perpétuent ainsi la tradition infâme qui était à ce jour l'apanage du
stalinisme.
Estimant urgent de mettre un terme, de ne pas permettre à la calomnie de tenir
lieu de débats politiques dans les rapports entre militants révolutionnaires,
la conférence décide de s'adresser aux groupes révolutionnaires leur demandant
d'instituer un tribunal d'honneur, se prononçant sur la moralité
révolutionnaire des militants calomniés, et d'interdire le droit de cité à la
calomnie ou aux calomniateurs dans les rangs du prolétariat".
Ainsi, notre organisation, en rejetant de ses rangs la calomnie et les
calomniateurs se situe pleinement dans la continuité du combat des
révolutionnaires du passé pour la défense de l'organisation face à toutes les
tentatives visant à la détruire. La calomnie non seulement n'a aucun droit de
cité dans les rangs du prolétariat, mais elle est encore une des armes
préférées de la bourgeoisie pour discréditer les organisations communistes et
semer la méfiance généralisée envers les positions qu'elles défendent. Il
suffit pour s'en convaincre de citer, par exemple, les campagnes de calomnie
dirigées contre Lénine (accusé par le gouvernement Kerenski d'être un agent du
Kaiser et de l'impérialisme allemand) pour discréditer le parti bolchevik à la
veille de la révolution russe, et celles menées contre Trotski (accusé par le
stalinisme d'être un agent d'Hitler et du fascisme) pour dénigrer tout combat
contre le stalinisme dans les années 30.
Le combat contre la calomnie n'est pas seulement une nécessité vitale pour les
militants et l'organisation à laquelle ils appartiennent. Il concerne toutes
les organisations du mouvement communiste. C'est pour cela que, face à ce type
de comportement destructeur, faisant le jeu et favorisant le travail de l'Etat
bourgeois, le CCI se doit de mettre en garde l'ensemble du milieu politique
prolétarien. "Lorsque de tels
comportements sont mis en évidence, il est du devoir de l'organisation de
prendre des mesures non seulement en faveur de sa propre sécurité, mais
également en faveur de la sécurité des autres organisations communistes"
(Revue Internationale n°33,
"Rapport sur la structure et le fonctionnement de l'organisation").
Le CCI vient d'exclure un de ses membres. Une telle mesure n'est pas fréquente de la part de notre organisation. La dernière exclusion d'un membre du CCI remonte à 1995 et la précédente avait eu lieu en 1981. En effet, nous n'appliquons une telle sanction que face à des fautes extrêmement graves, et c'est pour cela qu'en général, nous l'accompagnons d'un communiqué dans la presse parce que nous considérons que l'élément qui est sanctionné représente un danger, non seulement pour notre organisation mais également pour l'ensemble du milieu politique prolétarien et les sympathisants de la Gauche communiste.
Celui qui fait aujourd'hui l'objet d'une telle sanction, Jonas (qui avait également signé des articles dans notre presse des initiales JE) s'est en effet rendu coupable de comportements absolument indignes d'un militant communiste. Nous reproduisons ci-dessous des extraits de la résolution adoptée par notre organisation à son sujet :
"Jonas a présenté sa démission en mai 2001 avec l'argument que sa santé ne lui permettait pas de poursuivre le combat politique au sein de notre organisation alors que celle-ci était menacée à ses dires par une 'entreprise de démolition'. En réalité, le CCI a pu constater que si Jonas s'était mis en retrait, il n'en a pas pour autant cessé toute activité envers notre organisation. Bien au contraire. Il est établi que cette mise en retrait était un moyen de mener secrètement et impunément une politique hostile au CCI consistant notamment :
Un des aspects les plus intolérables et répugnants de son comportement est la véritable campagne qu'il a promue et menée contre un membre de l'organisation (...) l'accusant dans les couloirs et même devant des personnes extérieures au CCI de manipuler son entourage et les organes centraux pour le compte de la police et de n'avoir participé [aux combats passés pour la défense de l'organisation] que pour détourner les soupçons alors [qu'il] aurait été en réalité le complice de Simon [un élément aventurier exclu du CCI en 1995] avec qui il se serait, en quelque sorte, "partagé le travail".
Il peut arriver qu'un militant sincère d'une organisation communiste ait, à tort ou à raison, des soupçons envers un autre militant. Il lui appartient alors d'en faire part aux organes que s'est donné l'organisation pour traiter ce genre de problèmes et qui examinent alors, avec le maximum d'attention, de prudence et de discrétion les éléments sur lesquels se base une telle conviction. Mais telle n'a pas été l'attitude de Jonas. En effet, il a refusé catégoriquement de rencontrer la commission chargée d'examiner ce genre de problèmes alors qu'en même temps il continuait à distiller son poison.
Il faut préciser que le membre du CCI accusé par Jonas d'être un "flic complice de Simon" a demandé que soit menée une enquête approfondie sur son propre compte afin de pouvoir continuer à militer dans nos rangs. Cette enquête a abouti à la conclusion formelle que ces accusations n'avaient absolument aucun fondement et mis en évidence leur caractère mensonger et malveillant. Cela n'a pas empêché Jonas de poursuivre ses calomnies.
"Le fait que Jonas ait refusé de rencontrer le CCI pour s'expliquer sur ses comportements constitue en soi un aveu du fait qu'il est conscient d'être devenu un ennemi de notre organisation malgré ses déclarations théâtrales à 'ses camarades' qu'il présente en réalité (à l'exception de ceux qu'il a réussi à entraîner dans son sillage) soit comme des 'flics', soit comme des 'Torquemada', soit comme de pauvres crétins 'manipulés'".
Aujourd'hui, Jonas est devenu un ennemi acharné du CCI et il a adopté des comportements dignes de ceux d'un agent provocateur. Nous ne savons pas quelles sont ses motivations profondes, mais ce dont nous sommes sûrs, c'est qu'il représente un danger pour le milieu politique prolétarien.
Le CCI (24 février 2002)
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/stalinisme-bloc-lest
[2] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/gauchisme
[3] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/trotskysme
[4] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/anarchisme-officiel
[5] https://fr.internationalism.org/ri321/calomnie_provocation#_ftn1
[6] https://fr.internationalism.org/ri321/calomnie_provocation#_ftn2
[7] https://fr.internationalism.org/ri321/calomnie_provocation#_ftn3
[8] https://fr.internationalism.org/ri321/calomnie_provocation#_ftnref1
[9] https://fr.internationalism.org/ri321/calomnie_provocation#_ftnref2
[10] https://fr.internationalism.org/ri321/calomnie_provocation#_ftnref3
[11] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/defense-lorganisation
[12] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/prises-position-du-cci
[13] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/ficci-gigcigcl