Lors de ses "bons"
vœux exprimés "aux Français" le 6 janvier,
et particulièrement en direction de la classe ouvrière
que le chef de l'Etat a appelé à "l'effort partagé
et juste" et à "renouer avec les fils de la solidarité",
Jacques Chirac donnait le coup d'envoi à une accélération
du "chantier" des retraites, qui devra être achevé
au mois de juin.
En ce sens, on a donc vu le gouvernement Raffarin se préparer
à mettre les bouchées doubles pour faire travailler plus
longtemps les ouvriers en leur faisant payer toujours plus le prix fort
de la crise et du chômage.
Et si les salariés du secteur privé avaient vu passer
en 1993 le nombre d'annuités ouvrant les droits à la retraite
à 40 ans, les gouvernements successifs, de droite et de gauche,
n'avaient pas achevé leur sale besogne dans le secteur de la
fonction publique.
Ainsi, c'est Raffarin qui, en l'occurrence, va s'efforcer de réaliser
le but de Jospin de réformer les retraites des fonctionnaires
et des régimes spéciaux.
Ces derniers, EDF et GDF en première ligne, vont justement servir de ballon d'essai et de tremplin pour généraliser l'attaque à tout le secteur public. Et ce ne sont bien évidemment pas les grandes phrases démagogiques de Chirac ou la détermination affichée des Raffarin et autres Fillon, pas plus que les provocations du Medef sur les "nantis" de la fonction publique, qui vont faire avaler la pilule aux prolétaires, mais le travail de sabotage des syndicats au sein même de la classe ouvrière. Déjà, la manifestation des agents d'EDF et de GDF du 3 octobre 2002, appelée par l'ensemble des syndicats sur le thème de "Tous ensemble pour le secteur public nationalisé" et à laquelle avait été conviées d'autres entreprises du public (SNCF, La Poste, Air France, France Telecom), a constitué un moment fort de ce sale travail syndical. En mettant l'accent sur la "défense du service public", les syndicats enfonçaient le clou de la division entre les ouvriers du privé et les "privilégiés" du secteur public accrochés à leurs prérogatives et entraînaient encore ces derniers sur le terrain particulièrement pourri de l'opposition à la privatisation pour la défense du secteur nationalisé, esquivant la question centrale des attaques d'ampleur contre toutes leurs conditions de vie et de travail, et dont les retraites sont un axe principal (voir RI n°328).
La mascarade du vote organisé à EDF et GDF en janvier
dernier a vu éclater toute la duplicité syndicale pour
faire passer la réforme des retraites. Mis sur pied par la CGT
et en accord avec le gouvernement, soi-disant pour avoir l'avis des
salariés et pour servir de "test" à l'avenir
de la réforme dans les autres entreprises publiques et chez les
fonctionnaires, le "non" des agents a eu pour résultat…
une détermination accrue du Premier ministre déclarant
que ce prétendu "revers majeur" (selon le PS) ne "remettait
nullement en cause le choix du gouvernement de réformer les retraites"
! Il ne pouvait en être autrement car il y avait là tous
les ingrédients pour le rassurer sur la voie royale ouverte par
les syndicats. Ceux-ci se sont en effet partagés le travail afin
de semer le maximum de confusion et de tuer dans l'oeuf toute tentative
de riposte des agents d'EDF-GDF.
Tout d'abord, le travail de sabotage de la CGT, sous prétexte
de se mettre à l'écoute de la base, a consisté
à enfermer les ouvriers dans l'isoloir, chacun avec son bulletin
de vote, seul et atomisé, écartant la tenue d'assemblées
générales, seuls lieux à même de développer
une véritable expression de la réflexion collective de
la classe ouvrière. Ensuite, le prétendu cafouillage de
la CGT qui, tout en étant à l'initiative de la consultation
électorale, s'était prononcée auparavant, par la
voix de son leader à EDF-GDF, en faveur de l'accord, puis qui,
par souci "démocratique", s'est ralliée au vote
majoritaire du "non", a permis d'entretenir le désarroi
et le déboussolement.
A ce travail de sape de la CGT sont venues s'ajouter les déclarations
de Blondel s'étant opposé dès le début à
l'accord, non pas en soi contre celui-ci, mais parce que la "réforme
des retraites était le préalable nécessaire à
l'ouverture du capital d'EDF". Autrement dit, attaquer le système
de retraites, oui, mais si EDF reste nationalisée, poussant les
ouvriers dans le faux choix mortel : être nationalisés
ou privatisés. Et pour jeter un peu plus le trouble dans la réflexion
des ouvriers, la CFDT qui, quant à elle, soutient la réforme
gouvernementale, se chargeait de rajouter une couche de confusion en
regrettant haut et fort que "les salariés se soient trompés
sur l'objectif du texte (de la réforme) qui visait à alléger
l'entreprise des charges de retraite à un moment où l'on
ouvre le marché à la concurrence".
On a ainsi vu de la part des syndicats se mettre en place tout l'éventail des positions possibles de façon à éparpiller autant que faire se peut la réflexion des ouvriers. Et les partis de gauche et d'extrême gauche ne se sont pas privés d'apporter leur aide active à cette opération de sabotage. Ainsi, le PS à travers François Hollande se félicitait que les salariés aient dit "non à l'ouverture du capital d'EDF" pour conseiller au gouvernement de "traiter globalement (le dossier général des retraites) et non pas par bouts comme il a tenté de la faire". En clair : plus fort, plus vite et plus large pour attaquer la classe ouvrière !
Dans ce concert tonitruant des ennemis des ouvriers, la LCR voyait même que "le vote des salariés de l'énergie montre que l'on peut battre la politique de régression sociale du gouvernement". Ben voyons ! C'est tout le contraire qui est vrai : une accumulation de mauvais coups plus pernicieux les uns que les autres contre les ouvriers, dont le vote à EDF-GDF a été une phase particulière afin de provoquer le désarroi dans toute la fonction publique et au-delà dans toute la classe ouvrière. Car ce "ballon d'essai" a eu pour objectif d'offrir l'image d'une classe ouvrière impuissante et déboussolée, incapable de s'organiser, de façon à mieux faire passer l'attaque à venir contre tous les autres secteurs et toutes les catégories d'ouvriers.
Il ne faut pas être dupe. Toute cette opposition de façade n'a aucunement l'intention d'empêcher le gouvernement de réformer les retraites. Elle est tout au contraire sur le devant de la scène pour lui préparer le terrain. La manifestation et la journée d'action du 1er février prochain auxquelles appellent les syndicats comme les partis de gauche et d'extrême gauche contre la réforme Raffarin et du Medef va s'avérer être un moment de plus dans le sabotage du terrain de la riposte ouvrière. Et demain, comme pour les 35 heures, ils viendront nous dire pour les uns que la réforme des retraites est une bonne chose pour la solidarité ouvrière, pour les autres qu'ils n'en voulaient pas mais en rendront responsables les ouvriers eux-mêmes, incapables de s'y opposer.
Mulan (21 janvier)
Au milieu des flots de propagande déversés aujourd'hui par les gouvernements et les partis politiques à propos des préparatifs de guerre au Moyen-Orient, deux thèmes se distinguent particulièrement. Le premier attribue la responsabilité essentielle d'une telle guerre aux "Etats voyous", tel l'Irak, désignés comme des menaces pour la paix et la sécurité mondiale. L'autre thème met en cause, au contraire, de "mauvais" pays capitalistes, la première puissance mondiale en particulier, laquelle n'aurait dans cette affaire d'autre objectif que de s'accaparer les revenus de la vente du pétrole irakien. Face à ces campagnes, il appartient aux révolutionnaires de défendre la position internationaliste du prolétariat en débusquant les mensonges dont nous abreuvent les différents camps bourgeois en présence.
Depuis la Première Guerre mondiale, la bourgeoisie a toujours pris un soin particulier à masquer les causes réelles de la guerre. Si bien que les fondements de ce fléau auquel le 20e siècle doit en bonne partie d'avoir été le siècle le plus barbare de l'histoire de l'humanité demeurent complètement incompréhensibles aux grandes masses de la population, totalement mystifiées par un discours dégageant le capitalisme et la bourgeoisie comme un tout de leurs responsabilités dans cette situation. C'est le propre de la bourgeoisie, en tant que classe dominante d'un système entré en décadence depuis maintenant un siècle et qui, dans son agonie, entraîne l'humanité vers le néant, de faire passer pour des vertus les pires monstruosités en les drapant du voile idéologique de la défense de la "civilisation", de la "démocratie", des "droits de l'homme", du "droit international", de la "lutte contre le terrorisme". Sa préoccupation est de cacher ce fait que les conflits qui ont ensanglanté la planète depuis un siècle ont tous été, sans exception, des conflits impérialistes, c'est-à-dire l'expression au plus haut niveau des antagonismes entre fractions rivales de la bourgeoisie mondiale.
Le mobile réel de la Première Guerre mondiale n'était
autre que le repartage du marché mondial. Pour des pays comme
la France et surtout la Grande-Bretagne dont l'économie pouvait
bénéficier d'un empire colonial, il s'agissait de défendre
un statu quo à leur avantage contre la volonté de l'Allemagne
en particulier, moins bien lotie sur ce plan, de vouloir le remettre
en cause. C'est ce dernier pays qui a poussé à la guerre
alors que le manque de débouchés résultant de sa
situation géopolitique et la crise de surproduction en développement
handicapaient de façon croissante sa capacité à
écouler une production industrielle importante. Tous les belligérants,
y compris les vainqueurs à l'exception des Etats-Unis, ont sur
le plan économique été des perdants de cette guerre.
En fait, si les Etats-Unis ont pu acquérir à travers elle
une position dominante au niveau mondial, c'est parce que, éloignés
du terrain des opérations, ils ont eu à fournir un effort
de guerre relativement moins important que les puissances européennes
et ont été épargnés par les destructions
massives.
La Seconde Guerre mondiale est elle aussi le produit des mêmes
contradictions et l'enjeu des tueries est de nouveau le repartage du
monde. C'est ce que traduit clairement le slogan de Hitler pour justifier
la politique expansionniste de l'Allemagne : "Exporter ou mourir".
Les destructions occasionnées par le second conflit mondial ont
impliqué, de façon plus nette encore que le premier, un
recul de l'économie mondiale, avec des répercussions sur
tous les protagonistes, même si encore une fois les Etats-Unis
s'en sont mieux sortis que les autres. En fait, ceux-ci ont, à
cette occasion, encore renforcé leur position de première
puissance mondiale, fondamentalement grâce aux positions stratégiques
qu'ils venaient d'acquérir, notamment suite à la défaite
de l'Allemagne et du Japon mais aussi suite à la ruine des principaux
pays d'Europe. De même, c'est également grâce à
la défaite de l'Allemagne que la Russie put occuper elle aussi
des zones stratégiques essentielles, dont une partie de l'Europe,
lui permettant ainsi de se hisser au rang de seconde puissance mondiale,
à la tête du bloc impérialiste rival des Etats-Unis.
Et pourtant la Russie était alors, et restera, un pays dont l'économie
a plus à voir avec celle des pays sous-développés
que celle des grands pays industrialisés. Ainsi la Seconde Guerre
mondiale illustre clairement cette tendance, qui s'accentue au sein
de la décadence du capitalisme, selon laquelle les gains de la
guerre s'expriment en terme de positions stratégiques payées
au prix fort sur le plan économique. La conquête de telles
positions tend à devenir essentiellement un but en soi, contrairement
au passé où elle constituait surtout un moyen de conquêtes
à caractère économique. A mesure que se prolonge
la période de décadence du capitalisme, la guerre prend
un caractère de plus en plus irrationnel sur le plan économique
même (sans parler pour l'humanité !), pour le capital comme
un tout, mais aussi pour chaque capital national pris séparément.
C'est ce que montrent les quatre décennies du face à face
entre le bloc de l'Est et celui de l'Ouest avec son cortège de
guerres locales, la plupart du temps pour des objectifs strictement
stratégiques ayant englouti en pure perte des sommes considérables
(et fait plus de morts que la Seconde Guerre mondiale). L'URSS, économiquement
plus faible que ses rivaux du bloc occidental, ne pouvait plus supporter
le coût de l'effort de guerre, si bien qu'elle n'a pas résisté
à l'aggravation de la crise économique et s'est effondrée.
Tout ce qui précède n'enlève rien au fait que ce
sont toujours les déterminations économiques qui constituent
le moteur de la guerre. En effet, c'est l'aggravation de la crise économique
qui pousse chaque bourgeoisie nationale à vouloir résoudre
les contradictions qui en découlent dans la fuite en avant dans
le militarisme et vers la guerre. Bien qu'une telle politique constitue
à son tour un facteur d'aggravation de la crise, aucun pays ne
peut y échapper sous peine de présenter une vulnérabilité
accrue face aux appétits impérialistes des autres nations.
Ainsi, si au début du 20e siècle, la guerre est conçue
par ses protagonistes comme un moyen de repartage des marchés,
elle s'est progressivement imposée à leur conscience comme
étant désormais le moyen de défendre son rang dans
l'arène impérialiste mondiale. C'est ce qu'a montré
de manière éclatante la guerre du Vietnam entre 1962 et
1975 où l'absence totale d'objectif économique n'a pas
empêché une implication massive et terriblement coûteuse
de la part des Etats-Unis. De même, toute la période écoulée
depuis la fin des blocs constitue une illustration frappante de ce fait.
En effet que ce soit en Irak en 1991, en Yougoslavie, en Afghanistan,
aucune des opérations militaires, pour ne citer que les principales,
des Etats-Unis et de leurs "alliés", n'a en aucune
façon permis une rentabilisation ultérieure (évanoui
le bluff de la reconstruction de la Yougoslavie !) mais le fait réel
de dépenses énormes sur fond de relance de la course aux
armements. En revanche, toutes ces opérations participaient d'un
enjeu stratégique qui constitue la toile de fond à la
préparation d'une nouvelle guerre en Irak.
La fin des blocs en 1990 inaugure un accroissement considérable
des conflits et du chaos à l'échelle de la planète.
La dynamique et l'enjeu de ceux-ci se résume de la sorte : "Face
à un monde dominé par le 'chacun pour soi', où
notamment les anciens vassaux du gendarme américain aspirent
à se dégager le plus possible de la pesante tutelle de
ce gendarme qu'ils avaient dû supporter face à la menace
du bloc adverse, le seul moyen décisif pour les Etats-Unis d'imposer
leur autorité est de s'appuyer sur l'instrument pour lequel ils
disposent d'une supériorité écrasante sur tous
les autres Etats : la force militaire. Ce faisant, les Etats-Unis sont
pris dans une contradiction :
- d'une part, s'ils renoncent à la mise en œuvre ou à
l'étalage de leur supériorité militaire, cela ne
peut qu'encourager les pays qui contestent leur autorité à
aller encore plus loin dans cette contestation ;
- d'autre part, lorsqu'ils font usage de la force brute, même,
et surtout, quand ce moyen aboutit momentanément à faire
ravaler les velléités de leurs opposants, cela ne peut
que pousser ces derniers à saisir la moindre occasion pour prendre
leur revanche et tenter de se dégager de l'emprise américaine."
(Résolution du 12e congrès du CCI [3], Revue Internationale
n°90).
Une telle analyse permet de comprendre non seulement les raisons de
la première guerre du Golfe en 1991 mais aussi pourquoi, depuis
lors, les Etats-Unis se trouvent contraints de renouveler et amplifier
les démonstrations de force face à celles, aussi de plus
en plus téméraires, lancées contre leur autorité.
Les interventions militaires américaines n'ont cependant pas
pour fonction unique de rappeler de façon menaçante qui
est le seul gendarme du monde et qui, seul, a les moyens de l'être.
A travers elles, ce sont aussi un ensemble de positions stratégiques
que conquièrent les Etats-Unis. L'Irak constitue en l'occurrence
un maillon d'importance au sein d'une stratégie d'encerclement
des puissances européennes occidentales visant notamment à
bloquer l'avancée impérialiste de l'Allemagne, leur plus
dangereux rival impérialiste, vers les territoires slaves et
orientaux. Une telle importance se trouve encore accrue du fait des
réserves pétrolières de son sous-sol, et plus globalement
de celui du Moyen-Orient dont dépend en grande partie l'économie
du Japon mais aussi de certains pays européens. Si les Etats-Unis
parvenaient à un contrôle absolu sur les fournitures de
l'Europe ou du Japon en hydrocarbures, cela voudrait dire qu'ils seraient
en mesure d'exercer le plus puissant des chantages sur ces contrées
en cas de crise internationale grave : ils n'auraient même pas
besoin de les menacer de leurs armes pour soumettre ces pays à
leur volonté.
Pour prendre la mesure de l'évolution de la contestation de l'autorité
des Etats-Unis par leurs anciens alliés depuis la disparition
des blocs, il suffit de se remémorer les timides tentatives effectuées
en 1990 par l'Allemagne et la France visant à "saboter la
guerre" en dépêchant en Irak leurs propres conciliateurs
en vue de faire reculer Saddam Hussein. On était alors loin des
déclarations tonitruantes actuelles de la part de l'Allemagne
et de la France contre la politique américaine. Plus spectaculaire
encore, et également significative de la situation actuelle,
est l'attitude de la Corée du Nord qui, en paroles et en actes,
défie ouvertement l'autorité américaine non seulement
en remettant en cause unilatéralement les accords qui lui interdisent
la poursuite de son programme nucléaire mais aussi en accusant
publiquement les Etats-Unis d'être à l'origine d'une telle
mesure discriminatoire à son encontre. Sachant les Etats-Unis
occupés par d'autres problèmes, il s'agit pour la Corée
de profiter de la situation afin de renégocier avec l'Oncle Sam,
à des meilleures conditions, le respect des accords aujourd'hui
dénoncés avec force publicité. Néanmoins,
il y a tout lieu de penser qu'elle a été poussée
dans cette démarche par d'autres puissances régionales,
elles aussi intéressées à pouvoir défier
l'autorité américaine. Ainsi, dans le sillage des déclarations
de Pyongyang, la Chine et la Russie se sont précipitées
pour déclarer qu'il ne fallait pas dramatiser la situation et
qu'elles-mêmes prenaient en charge son règlement pacifique.
Et dans le même temps la Russie mettait de nouveau à profit
l'étroitesse de la marge de manœuvre actuelle des Etats-Unis
en déclarant ouvertement qu'elle va aider l'Iran dans la poursuite
de son programme nucléaire, lequel pourtant a déjà
valu à ce pays des menaces explicites de représailles
de la part des Etats-Unis.
Jamais à la veille d'une intervention militaire programmée
des Etats-Unis, on n'avait assisté à une telle contestation
de leur leadership mondial. Ce fait a toute son importance dans la mesure
où il pourrait avoir des incidences, non pas sur la capacité
des Etats-Unis à renverser militairement Saddam Hussein, même
à eux seuls, mais sur les implications d'une telle intervention
et surtout de ses suites. En effet, l'hostilité qu'elle suscite
dans le monde est aussi présente dans la population américaine
où elle pourrait prendre un nouvel élan s'il devait y
avoir des morts du côté américain. Comme la bourgeoisie
américaine l'a clairement annoncé, son intention est de
prendre pied en Irak et d'administrer le pays. Il y a là le risque
d'un enlisement dans un environnement qui sera d'autant plus agressif
que l'opposition à l'intervention américaine aura dès
le départ suscité une forte hostilité, tant dans
la région que dans le monde.
La bourgeoisie américaine est parfaitement consciente des difficultés
qui sont devant elle. Il s'est d'ailleurs exprimé en son sein
des divergences portant non pas sur la nécessité de poursuivre
l'offensive mais sur la meilleure manière de le faire en évitant
de se retrouver isolés sur la scène internationale. C'est
d'ailleurs la prise en compte de ce facteur qui a amené les Etats-Unis
à changer leur fusil d'épaule à l'automne dernier
en tentant de faire parrainer par l'ONU une intervention militaire en
Irak (voir à ce propos notre article "Menaces de guerre
contre l'Irak" dans la Revue Internationale n°111 [4]).
La détermination de fer qu'ils ont jusqu'à présent
affichée en faveur d'une telle intervention les autorise à
présent difficilement à reculer maintenant pour tenter
de se créer des conditions plus favorables. C'est une des raisons
pour laquelle ils tentent d'obtenir un départ "négocié"
de Saddam Hussein, lui proposant, à lui et à sa famille,
un sauf-conduit en déclarant renonçer par avance à
toute poursuite contre sa personne. Une telle issue serait tout bénéfice
pour les Etats-Unis qui ne manqueraient pas d'en attribuer les mérites
à leur fermeté et leur permettrait d'entrer en Irak à
moindre risque.
En dépit de leur hostilité actuelle affichée à
l'encontre de la politique américaine, on ne sait pas encore
quelle sera l'attitude de pays comme la France face à l'entrée
en guerre des Etats-Unis. Il est possible que certains opéreront
une volte face, en prétextant par exemple telle trouvaille de
dernière minute à charge de Saddam Hussein faite par les
inspecteurs en désarmement. S'ils participaient alors à
la guerre, ce serait non pas par allégeance aux Etats-Unis mais
parce que ce serait la condition pour continuer à pouvoir jouer
un rôle dans la région, voire un moyen de contrecarrer
les plans américains sur place. C'est d'ailleurs pour cette première
raison que la Grande-Bretagne a répondu présent depuis
le début, et non pas pour honorer une alliance "historique"
avec les Etats-Unis qui a fait long feu comme on l'a vu en Yougoslavie
depuis le début des années 1990.
Partout dans le monde, la thèse de l'administration américaine
selon laquelle le renversement de Saddam Hussein se justifie par la
menace que représente son programme de fabrication d'armes de
destruction massive perd, jour après jour, de sa crédibilité.
Même aux Etats-Unis, où la population ne s'est pourtant
pas encore totalement remise de l'accès de patriotisme suscité
à dessein suite à l'attentat du 11 septembre, elle rencontre
un scepticisme croissant.
Et c'est là qu'intervient le mythe mensonger du pacifisme. Il
a pour fonction de canaliser la protestation contre la guerre sur un
terrain permettant d'éviter qu'elle ne débouche sur une
remise en cause radicale du système. Pour sauver la mise au capitalisme,
le pacifisme est capable de mettre en cause la responsabilité
de fractions "inadaptées" de la bourgeoisie, de condamner
de prétendues "aberrations du système", qu'il
suffirait de corriger. C'est fondamentalement d'une telle stratégie
idéologique de la bourgeoisie que relève l'explication
suivant laquelle la guerre préparée par le gouvernement
américain serait une "guerre pour le pétrole".
Un élu de Californie déclarait lors de la manifestation
pacifiste du 19 janvier dernier à San Francisco : "La Corée
du Nord possède l'arme nucléaire, mais l'on n'y va pas.
L'Irak ne l'a pas, mais l'on s'y précipite. La différence
? Voyons … Le pétrole !" En d'autres termes, ce qui
intéresserait fondamentalement les Etats-Unis conduits par un
président lui-même lié aux pétroliers américains,
c'est de faire main basse sur les réserves de pétrole
de l'Irak pour s'approprier les profits faciles de sa vente.
Une telle explication est totalement en contradiction avec la réalité
même des précédents conflits en Afghanistan, en
Yougoslavie et même en Irak en 1991 qui, on l'a vu, ont coûté
énormément et n'ont pas permis aux vainqueurs de se payer
en nature, que ce soit avec du pétrole ou autre chose. Elle vise
en fait à masquer la réalité de la dynamique actuelle
d'une spirale infernale mue par les forces aveugles du capitalisme en
crise et qui entraînent tous les pays dans la guerre. Si aucun
pays n'échappe à cette course folle, ce sont néanmoins
les grandes puissances qui sont à l'offensive, soit de façon
conventionnelle, soit par la manipulation du terrorisme, et qui détiennent
entre leurs mains des moyens de destruction capables de créer
des dommages croissants et irréparables à la civilisation.
Luc (23 janvier)
Partout dans le monde et plus particulièrement en ce moment dans le carré des grands pays industrialisés, les prolétaires peuvent entendre cette mauvaise rengaine que jouent la bourgeoisie et ses sous-fifres de journalistes et d'économistes aux ordres : "Salariés, vous vivez au-dessus de vos moyens, il va falloir vous serrer la ceinture." Ainsi, non contente d'avoir depuis plus de trente ans licencié, rogné par tous les moyens les salaires et les revenus sociaux, la bourgeoisie continue de cogner mais cette fois-ci avec une violence redoublée.
Aujourd'hui, les coups que la bourgeoisie assène aux prolétaires
n'ont d'égal que ceux des années 1930. Cependant, à
nous tous, il est donné de voir dans les pays dits "riches"
des supermarchés remplis d'objets de consommation, des magasins
regorgeant de produits en tout genre, des entreprises capables de tout
fabriquer mais qui, en dernière analyse, se heurtent à
une difficulté : de moins en moins de consommateurs peuvent acheter
leurs marchandises. En conséquence, cela se traduit dans tous
les secteurs par des faillites et donc des licenciements. Aucune branche
d'activité, depuis l'agriculture jusqu'à l'informatique
en passant par l'automobile, n'est épargnée, aucun État
n'y échappe. Comme le soulignait déjà Marx en 1848
dans le Manifeste Communiste : "La société se voit
rejetée dans un état de barbarie momentané ; on
dirait qu'une famine, une guerre de destruction universelle, lui ont
coupé les vivres ; l'industrie, le commerce semblent anéantis.
Et pourquoi ? Parce que la société a trop de civilisation,
trop d'industrie, trop de commerce." Voici donc, décrit
par Marx, ce type de crise jusqu'alors inédit dans l'histoire
et devenu pratiquement permanent au 20e siècle : la surproduction.
Si, désormais, des millions d'êtres humains sont jetés
à la rue, souffrent de famine, ce n'est plus parce que la société
ne produit pas assez mais au contraire parce qu'elle produit trop et
qu'elle ne trouve pas d'acheteurs. Jamais dans l'histoire humaine, une
telle situation ne s'était rencontrée. Car, s'il est vrai
qu'au 14e siècle, l'Europe était ravagée par les
disettes, c'est fondamentalement parce que les structures sociales médiévales
étaient incapables de subvenir aux besoins des populations. A
l'époque, il eût paru totalement invraisemblable qu'un
jour, l'humanité pourrait souffrir d'indigence à cause
d'un excès de production invendue. Pourtant, de nos jours, c'est
bel et bien le cas.
Contrairement, donc, à tout ce que peut affirmer la bourgeoisie,
nous ne vivons pas au-dessus de nos moyens mais largement en dessous.
Prenons un exemple, particulièrement significatif puisqu'il concerne
la nourriture, le secteur agricole. A l'aube du 18e siècle, c'est-à-dire
juste avant la révolution industrielle qui naît en Angleterre,
un paysan européen nourrit 1,7 personne, de sorte qu'il s'alimentait
lui-même et fournissait les trois quarts de l'alimentation d'une
autre personne ; en 1975, un travailleur agricole aux États-Unis
pouvait nourrir 75 individus (ce chiffre doit approcher la centaine
en 1992). Selon d'autres sources, il semblerait aujourd'hui que la seule
agriculture des Pays-Bas, hypercompétitive, soit suffisante à
nourrir l'Europe ! De même, à présent, l'agriculture
mondiale pourrait ravitailler près de trois fois toute l'humanité,
soit environ 18 milliards d'êtres humains.
Comble de l'absurde, le capitalisme réduit à la famine
et à la malnutrition endémique environ la moitié
de la population mondiale, soit 3 milliards d'hommes. Et, comme le capitalisme
ne produit pas pour satisfaire les besoins humains mais pour vendre
et réaliser du profit, les excédents agricoles sont détruits
mais surtout pas distribués sinon ils feraient chuter les cours
du marché (qui se situent déjà bien bas). Ainsi,
désormais, subventionne-t-on dans la CEE les paysans pour qu'ils
mettent en jachère leurs terres. Des millions d'hectares capables
de fournir des millions de quintaux de blé (15% des terres céréalières)
vont retourner à la friche.
Encore une fois, la description d'une telle société eût
semblé totalement délirante pour le paysan du Moyen Âge,
lui qui, patiemment depuis l'an mil, n'avait eu de cesse laborieusement
que défricher, assécher les marais. Bien sûr, cela
ne concerne pas que la vieille Europe, puisqu'aux États-Unis
même, on incendie les champs d'orangers pour cause de surproduction.
Pourtant, l'humanité n'en finit pas de crever de faim et, dans nos supermarchés, tous ces produits agricoles sous leurs diverses formes sont toujours aussi chers comparativement à nos salaires. Une question vient donc immédiatement à l'esprit : pourquoi de telles crises de surproduction ? Comment se fait-il que le capitalisme ne parvienne pas à écouler les marchandises qu'il crée ? Pourquoi l'offre (la production) est-elle plus importante que la demande (la consommation) ?
Marx a, de son temps, clairement mis en évidence que le travail
humain, ou plus exactement la force de travail, est une marchandise
qui s'achète et qui se vend. Et, ce qui détermine le prix
de la force de travail, à savoir le salaire que va verser le
capitaliste à l'ouvrier, c'est, comme toute marchandise, la quantité
de travail nécessaire à sa production. Qu'est-ce que cela
veut dire ? Simplement que le salaire versé à l'ouvrier
par l'entrepreneur est le strict minimum servant à l'éduquer,
le nourrir, le loger, le vêtir. Quant aux congés hebdomadaires
et annuels, ils ne servent qu'à permettre au prolétaire
de reconstituer sa force de travail ; d'être suffisamment en forme
pour produire de nouveau et dans les mêmes conditions qu'avant.
Mais Marx a percé le mystère du prétendu salaire
juste, équitable. Il a mis en évidence que l'ouvrier travaille
plus qu'il n'est rétribué, qu'il y a exploitation du travail,
non pas au sens moral mais bien scientifiquement. Le salaire n'est-il
pas l'équivalent exact, sous forme d'argent, du travail fourni
par l'ouvrier ? Non, pas du tout, cette réalité de l'exploitation
salariale, même si elle n'est pas a priori apparente n'en est
pas moins vraie. Elle est simplement masquée.
Dans la Rome antique, celle de l'Empire qui a succédé
à la République, lorsque les maîtres utilisaient
de la force de travail sous forme d'esclaves capturés au gré
des conquêtes militaires, l'exploitation était visible
: les maîtres nourrissaient et logeaient cette main-d'œuvre
; celle-ci appartenait aux maîtres et travaillaient jusqu'à
la mort sur les terres des villas.
Ce fut la même chose au Moyen Age. Lorsque, durant la période
carolingienne des 8e et 9e siècles, le mode de production esclavagiste
a disparu et a été remplacé par les structures
de la seigneurie, ici aussi le servage a laissé clairement apparaître
l'exploitation. Selon les rapports établis avec le seigneur de
l'endroit, chaque semaine, le serf devait travailler deux ou trois jours
sur la réserve, c'est-à-dire sur la terre du seigneur
féodal, et effectuer des corvées gratuitement.
Dans le capitalisme, qui est également une société
de classes, la tricherie se situe désormais au niveau des salaires.
Prenons un exemple totalement théorique : un ouvrier travaillant
sur une chaîne de montage ou derrière un micro-ordinateur
et qui, à la fin du mois, est payé 800 euros. En fait,
et c'est ce que Marx a démontré, il a produit non pas
pour l'équivalent de 800 euros, ce qu'il reçoit, mais
pour la valeur de 1200 euros. Il a effectué un surtravail, une
plus-value, qui se traduit pour le capitaliste en profit. Que fait le
capitaliste des 400 euros qu'il a volés à l'ouvrier ?
Il en met une partie dans sa poche, admettons 150 euros, ce qui lui
permet généralement de vivre beaucoup mieux qu'un simple
ouvrier, et les 250 euros restant, il les réinvestit dans le
capital de son entreprise, le plus souvent sous forme de l'achat de
machines plus modernes, etc.
Mais pourquoi le capitaliste procède-t-il ainsi ? Parce qu'il
n'a pas le choix. Le capitalisme est un système concurrentiel,
il faut vendre les produits moins cher que le voisin qui fabrique le
même type de produits. En conséquence, le patron est contraint
non seulement de baisser ses coûts de production, c'est-à-dire
les salaires (ou, dit autrement, le capital variable), mais encore d'utiliser
une part croissante du surtravail dégagé pour le réinvestir
prioritairement dans les machines (le capital fixe), afin d'augmenter
la productivité (quantité produite en un temps donné)
de son capital. S'il ne le fait pas, il ne peut pas réinvestir,
se moderniser, et, tôt ou tard, son concurrent, qui, lui, le fera,
vendra moins cher et remportera le marché. Le patron philanthropique
qui, par hypothèse, se refuserait à exploiter toujours
plus ses ouvriers serait vite conduit à faire faillite.
Le système capitaliste est donc à la fois dynamique, dans
le sens où il doit constamment s'élargir, accumuler, pousser
au maximum l'exploitation de la force de travail, et affecté
par un phénomène contradictoire : en effet, en ne rétribuant
pas les ouvriers par l'équivalent de ce qu'ils ont effectivement
fourni comme travail et en contraignant les patrons à renoncer
à consommer une grande part du profit ainsi extorqué,
le système produit plus de valeur qu'il n'en distribue. Jamais
ni les ouvriers ni les capitalistes réunis ne pourront à
eux seuls absorber toutes les marchandises produites. Et pour cause,
puisqu'une partie du produit du travail de l'ouvrier, celle qui n'est
ni reversée sous forme de salaires ni consommée par les
capitalistes, mais qui est destinée à être réinvestie,
c'est-à-dire transformée en nouveau capital, ne peut trouver
d'acheteurs dans la sphère capitaliste. Ce surplus de marchandises,
qui va le consommer ?
C'est là justement qu'intervient la nécessité
pour ce système de trouver de nouveaux débouchés
en dehors du cadre de la production capitaliste ; c'est ce qu'on appelle
les marchés extra-capitalistes (au sens d'en dehors du capitalisme).
En quelque sorte, un marché extra-capitaliste, c'est un débouché
économique solvable, en d'autres termes capable de payer les
marchandises, mais qui ne fonctionne pas de manière capitaliste,
puisque quand c'est le cas, on ne peut acheter tous les biens fabriqués.
Il en est ainsi depuis la genèse de ce mode de production. Le
capitalisme n'a pas conquis la planète entière du jour
au lendemain. Prenons l'exemple de l'Angleterre. Lorsque, en 1733, John
Kay met au point son fameux métier à tisser qui multiplie
par quatre la productivité, les étoffes tissées,
désormais abondantes et bien moins chères, n'ont pas été
vendues aux seuls ouvriers et entrepreneurs anglais. Elles étaient
également consommées par des paysans ainsi que par des
nobles qui avaient la possibilité d'acheter. Ces paysans, ces
nobles, n'appartenaient pas à la sphère de production
capitaliste qui, à elle seule, eût été incapable
de tout absorber. Voilà donc un exemple de marché extracapitaliste
à l'intérieur même du pays où est née
la révolution industrielle. Dans une certaine mesure, des poches,
des unités de production capitalistes, sont apparues et ont progressivement
gagné le reste du monde. Par là même se trouvaient
résolues, momentanément, les crises de surproduction.
Certes, il y en avait, mais celles-ci, aux 18e et 19e siècles,
duraient deux à trois ans, le temps que de nouveaux débouchés
soient conquis. Après quoi la machine économique repartait
de plus belle.
Ainsi ce système a-t-il pu, dans les contrées où
il est né, c'est-à-dire en Europe, trouver les conditions
de sa croissance. Toutefois, en conquérant ce type de marché
avec des produits défiant toute concurrence, le capitalisme contraignait
les sphères de production extra-capitalistes à produire
de la même façon que lui. Pourquoi ?
Qui pouvait en effet continuer à produire des étoffes
artisanalement alors que les manufactures, ces ancêtres des usines
modernes, faisaient les mêmes mais à bien moindre coût
? Personne. En conséquence, le capitalisme ne faisait que détruire
ce qui lui servait momentanément de ballon d'oxygène.
Ces marchés extérieurs adoptaient à leur tour le
mode de production capitaliste et le même problème se retrouvait
posé encore et toujours à une échelle chaque fois
supérieure : à qui vendre ?
C'est ce processus dynamique et contradictoire qui anime toute l'histoire
de ce monde, tel l'ogre du conte qui a besoin d'enfants pour vivre mais
qui les dévore. Ainsi, au 19e siècle, une fois qu'à
l'intérieur des grands pays industrialisés, le mode de
production capitaliste s'était imposé avec violence, il
lui a fallu partir à la conquête du monde pour trouver
de nouveaux débouchés. C'est l'entreprise coloniale dont
Rosa Luxemburg met clairement en évidence les motivations. La
dernière décennie du 19e siècle, qui voit la fin
de l'ascendance du capitalisme, est désormais marquée
par le déchaînement de l'impérialisme.
A partir de 1897, la Grande-Bretagne règne sur un empire de 33
millions de kilomètres carrés peuplé de 450 millions
d'habitants comprenant le Canada, l'Australie, l'Inde, l'axe africain
allant du Caire au Cap, etc. La France, plus modeste, étend son
empire sur près de 10 millions de kilomètres carrés
et sur 48 millions d'habitants (Afrique de l'Ouest et Indochine surtout).
La Chine est dépecée, les puissances impérialistes
obtenant l'octroi de territoires à bail, de zones d'influence,
de concessions de mines et de chemin de fer. Idem pour l'empire ottoman
et l'Amérique latine, qui n'ont conservé que l'apparence
d'une indépendance économique et politique. Vers 1890,
le partage territorial du monde entre les grandes puissances capitalistes
est à peu près achevé. Or ces pays conquis adoptent
à leur tour le mode de production capitaliste. En conséquence,
on ne sait plus où écouler le surplus de marchandises,
faute de nouveaux territoires extra-capitalistes de quelque importance.
Le marché mondial est saturé.
De fait, au crépuscule du 19e siècle, l'heure n'est plus
à l'exploration de nouvelles terres et au libre-échange
; c'est à présent le temps des canons et du protectionnisme
qui a sonné. L'ère des guerres mondiales qui visent au
repartage du marché planétaire entre les différents
États bourgeois s'ouvre. Le capitalisme vient d'entrer dans sa
phase de décadence, c'est-à-dire la pire période
que l'humanité ait jamais endurée. C'est cette époque,
dans laquelle nous sommes toujours, actuellement, qui pose au prolétariat
international l'alternative suivante : communisme ou barbarie.
D'après RI n°217
Il y a soixante dix ans, en janvier 1933, un événement d'une portée historique mondiale est venu frapper la "civilisation" capitaliste : l'arrivée d'Hitler au pouvoir et l'instauration du régime nazi en Allemagne. A en croire la bourgeoisie, le fascisme se serait imposé brutalement à la société capitaliste, à son "corps défendant". Ce mensonge ne tient pas un seul instant à l'épreuve des faits historiques. En réalité, le nazisme en Allemagne, comme le fascisme en Italie, est le produit organique du capital. La victoire du nazisme s'est effectuée démocratiquement. Quant au racisme répugnant, l'hystérie nationaliste ou la barbarie qui, toujours selon la bourgeoisie démocratique, caractériseraient en propre les régimes fascistes, ils ne sont pas du tout spécifiques à ces régimes. Ils sont au contraire le produit du capitalisme, en particulier dans sa phase de décadence, et l'attribut de toutes les fractions de la bourgeoisie, démocrates, staliniennes ou fascistes.
La terrible réalité de l'holocauste est souvent utilisée, en faisant appel à l'émotion plus qu'à l'objectivité, pour étayer l'idée d'une nature du fascisme qui le différencierait dans le fond du capitalisme en général et de la démocratie en particulier. L'examen objectif des faits eux-mêmes montrent que la barbarie n'est pas l'exclusivité du fascisme mais que la démocratie capitaliste, si prompte à dénoncer les crimes nazis, est directement responsable de millions de morts et de souffrances équivalentes pour l'humanité (bombardements de Dresde et Hambourg, bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki). Le comble du cynisme criminel est d'ailleurs allé jusqu'au refus catégorique des puissances "démocratiques", notamment anglo-américaine, de toute proposition visant à faire libérer plusieurs centaines de milliers de juifs des camps hitlériens. D'ailleurs, contrairement à la propagande officielle accréditant la thèse de la découverte des camps d'extermination à la fin de la guerre, les états-majors alliés étaient parfaitement au courant de leur existence dès 1942 (voir notre brochure "Fascisme et démocratie, deux expressions de la dictature du capital".)
Le mensonge selon lequel la classe dominante ne savait pas quels étaient
les vrais projets du parti nazi, en d'autres termes qu'elle se serait
fait piéger, ne tient pas un seul instant face à l'évidence
des faits historiques. L'origine du parti nazi plonge ses racines dans
deux facteurs qui vont déterminer toute l'histoire des années
1930 : d'une part l'écrasement de la révolution allemande
ouvrant la porte au triomphe de la contre-révolution à
l'échelle mondiale et d'autre part la défaite essuyée
par l'impérialisme allemand à l'issue de la première
boucherie mondiale. Dès le départ, les objectifs du parti
fasciste naissant sont, sur la base de la terrible saignée infligée
à la classe ouvrière en Allemagne par le Parti social-démocrate,
le SPD des Noske et Scheidemann, de parachever l'écrasement du
prolétariat afin de reconstituer les forces militaires de l'impérialisme
allemand. Ces objectifs étaient partagés par l'ensemble
de la bourgeoisie allemande, au-delà des divergences réelles
tant sur les moyens à employer que sur le moment le plus opportun
pour les mettre en œuvre. Les SA, milices sur lesquelles s'appuie
Hitler dans sa marche vers le pouvoir, sont les héritiers directs
des corps francs qui ont assassiné Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht
ainsi que des milliers de communistes et de militants ouvriers. La plupart
des dirigeants SA ont commencé leur carrière de bouchers
dans ces mêmes corps francs. Ils ont été "la
garde blanche" utilisée par le SPD au pouvoir pour écraser
dans le sang la révolution, et cela avec l'appui des très
démocratiques puissances victorieuses. Celles-ci d'ailleurs,
tout en désarmant l'armée allemande, ont toujours veillé
à ce que ces milices contre-révolutionnaires disposent
des armes suffisantes pour accomplir leur sale besogne. Le fascisme
n'a pu se développer et prospérer que sur la base de la
défaite physique et idéologique infligée au prolétariat
par la gauche du capital, laquelle était seule en mesure d'endiguer
puis de vaincre la vague révolutionnaire qui submergea l'Allemagne
en 1918-19. C'est ce qu'avait compris parfaitement l'état-major
de l'armée allemande en donnant carte blanche au SPD afin de
porter un coup décisif au mouvement révolutionnaire qui
se développait en janvier 1919. Et si Hitler ne fut pas suivi
dans sa tentative de putsch à Munich en 1923, c'est parce que
l'avènement du fascisme était jugé encore prématuré
par les secteurs les plus lucides de la classe dominante. Il fallait,
au préalable, parachever la défaite du prolétariat
en utilisant jusqu'au bout la carte de la mystification démocratique.
Celle-ci était loin d'être usée et bénéficiait
encore, au travers de la République de Weimar (bien que présidée
par le junker Hindenburg), d'un vernis radical grâce à
la participation régulière, dans ses gouvernements successifs,
de ministres venant du soi-disant parti "socialiste".
Mais dès que la menace prolétarienne fut définitivement
conjurée, la classe dominante, sous sa forme - soulignons le
- la plus classique, au travers des fleurons du capitalisme allemand
tels Krupp, Thyssen, AG Farben, n'aura de cesse de soutenir de toutes
ses forces le parti nazi et sa marche victorieuse vers le pouvoir. C'est
que, désormais, la volonté de Hitler de réunir
toutes les forces nécessaires à la restauration de la
puissance militaire de l'impérialisme allemand, correspondait
parfaitement aux besoins du capital national. Ce dernier, vaincu et
spolié par ses rivaux impérialistes suite à la
Première Guerre mondiale, ne pouvait que chercher à reconquérir
le terrain perdu en s'engageant dans une nouvelle guerre. Loin d'être
le produit d'une prétendue agressivité congénitale
germanique qui aurait enfin trouvé dans le fascisme le moyen
de se déchaîner, cette volonté n'était que
la stricte expression des lois de l'impérialisme dans la décadence
du système capitaliste comme un tout. Face à un marché
mondial entièrement partagé, ces lois ne laissent aucune
autre solution aux puissances impérialistes lésées
dans le partage du "gâteau impérialiste" que
celle d'essayer, en engageant une nouvelle guerre, d'en arracher une
plus grosse part. La défaite physique du prolétariat allemand
d'une part, et le statut de puissance impérialiste spoliée
dévolu à l'Allemagne suite à sa défaite
en 1918 d'autre part, firent du fascisme - contrairement aux pays vainqueurs
où la classe ouvrière n'avait pas été physiquement
écrasée - le moyen le plus adéquat pour que le
capitalisme allemand puisse se préparer à la seconde boucherie
mondiale. Le fascisme n'est qu'une forme brutale du capitalisme d'Etat
qui était en train de se renforcer partout, y compris dans les
Etats dits "démocratiques". Il est l'instrument de
la centralisation et de la concentration de tout le capital dans les
mains de l'Etat face à la crise économique, pour orienter
l'ensemble de l'économie en vue de la préparation à
la guerre. C'est donc le plus démocratiquement du monde, c'est-à-dire
avec l'aval total de la bourgeoisie allemande, qu'Hitler arrive au pouvoir.
En effet, une fois la menace prolétarienne définitivement
écartée, la classe dominante n'a plus à se préoccuper
de maintenir tout l'arsenal démocratique, suivant en cela le
processus alors déjà à l'œuvre en Italie.
"Oui, peut-être..." nous dira-t-on, "mais ne faites-vous
pas abstraction de l'un des traits qui distinguent le fascisme de tous
les autres partis et fractions de la bourgeoisie, à savoir, son
antisémitisme viscéral, alors que c'est justement cette
caractéristique particulière qui a provoqué l'holocauste
?" C'est cette idée que défendent en particulier
les trotskistes. Ceux-ci, en effet, ne reconnaissent formellement la
responsabilité du capitalisme et de la bourgeoisie en général
dans la genèse du fascisme que pour ajouter aussitôt que
ce dernier est malgré tout bien pire que la démocratie
bourgeoise, comme en témoigne l'holocauste. Selon eux donc, devant
cette idéologie du génocide, il n'y a pas à hésiter
un seul instant : il faut choisir son camp, celui de l'antifascisme,
celui des Alliés. Et c'est cet argument, avec celui de la défense
de l'URSS, qui leur a servi à justifier leur trahison de l'internationalisme
prolétarien et leur passage dans le camp de la bourgeoisie durant
la Seconde Guerre mondiale (non sans avoir traficoté pour certains
d'entre eux dans la milice en France au temps du pacte Germano-soviétique,
défense de l'URSS oblige). Il est donc parfaitement logique de
retrouver aujourd'hui en France, par exemple, les groupes trotskistes
- la Ligue Communiste Révolutionnaire et son leader Krivine avec
le soutien discret, mais bien réel, de Lutte Ouvrière
- en tête de la croisade antifasciste et "anti-négationniste",
défendant la vision selon laquelle le fascisme est le "mal
absolu" et, de ce fait, qualitativement différent de toutes
les autres expressions de la barbarie capitaliste ; ceci impliquant
que, face à lui, la classe ouvrière devrait se porter
à l'avant-garde du combat et défendre voire revitaliser
la démocratie.
Que l'extrême droite (le nazisme en particulier) soit profondément
raciste, cela n'a jamais été contesté par la Gauche
communiste pas plus d'ailleurs que la réalité effrayante
des camps de la mort. La vraie question est ailleurs. Elle consiste
à savoir si ce racisme et la répugnante désignation
des juifs comme boucs émissaires, responsables de tous les maux,
ne seraient que l'expression de la nature particulière du fascisme,
le produit maléfique de cerveaux malades ou s'il n'est pas plutôt
le sinistre produit du mode de production capitaliste confronté
à la crise historique de son système, un rejeton monstrueux
mais naturel de l'idéologie nationaliste défendue et propagée
par la classe dominante toutes fractions confondues. Le racisme n'est
pas un attribut éternel de la nature humaine. Si l'entrée
en décadence du capitalisme a exacerbé le racisme à
un degré jamais atteint auparavant dans toute l'histoire de l'humanité,
si le 20e siècle est un siècle où les génocides
ne sont plus l'exception mais la règle, cela n'est pas dû
à on ne sait quelle perversion de la nature humaine. C'est le
résultat du fait que, face à la guerre désormais
permanente que doit mener chaque Etat dans le cadre d'un marché
mondial sursaturé, la bourgeoisie, pour être à même
de supporter et de justifier cette guerre permanente, se doit, dans
tous les pays, de renforcer le nationalisme par tous les moyens. Quoi
de plus propice, en effet, à l'épanouissement du racisme
que cette atmosphère si bien décrite par Rosa Luxemburg
au début de sa brochure de dénonciation du premier carnage
mondial : "(...) la population de toute une ville changée
en populace, prête à dénoncer n'importe qui, à
molester les femmes, à crier : hourrah, et à atteindre
au paroxysme du délire en lançant elle-même des
rumeurs folles ; un climat de crime rituel, une atmosphère de
pogrom, où le seul représentant de la dignité humaine
était l'agent de police au coin de la rue." Et elle poursuit
en disant : "Souillée, déshonorée, pataugeant
dans le sang, couverte de crasse, voilà comment se présente
la société bourgeoise, voilà ce qu'elle est..."
(La Crise de la Social-démocratie). On pourrait reprendre exactement
les mêmes termes pour décrire les multiples scènes
d'horreur en Allemagne durant les années 1930 (pillages des magasins
juifs, lynchages, enfants séparés de leurs parents) ou
évoquer, entre autres, l'atmosphère de pogrom qui régnait
en France en 1945 quand le journal stalinien du PCF titrait odieusement
: "A chacun son boche !". Non, le racisme n'est pas l'apanage
exclusif du fascisme, pas plus que sa forme antisémite. Le célèbre
Patton, général de la très "démocratique"
Amérique, celle-là même qui était censée
libérer l'humanité de "la bête immonde",
ne déclarait-il pas, lors de la libération des camps :
"Les juifs sont pires que des animaux" ; tandis que l'autre
grand "libérateur", Staline, organisa lui-même
des séries de pogroms contre les juifs, les tziganes, les tchétchènes,
etc. Le racisme est le produit de la nature foncièrement nationaliste
de la bourgeoisie, quelle que soit la forme de sa domination, "totalitaire"
ou "démocratique". Son nationalisme atteint son point
culminant avec la décadence de son système.
La seule force en mesure de s'opposer à ce nationalisme qui
suintait par tous les pores de la société bourgeoise pourrissante,
à savoir le prolétariat, était vaincue, défaite
physiquement et idéologiquement. De ce fait, le nazisme, avec
l'assentiment de l'ensemble de sa classe, put s'appuyer notamment sur
le racisme latent de la petite-bourgeoisie pour en faire, sous sa forme
antisémite, l'idéologie officielle du régime. Encore
une fois, aussi irrationnel et monstrueux que soit l'antisémitisme
professé puis mis en pratique par le régime nazi, il ne
saurait s'expliquer par la seule folie et perversité, par ailleurs
bien réelles, des dirigeants nazis. Comme le souligne très
justement la brochure publiée par le Parti Communiste International,
"Auschwitz ou le grand alibi", l'extermination des juifs "...
a eu lieu, non pas à un moment quelconque, mais en pleine crise
et guerre impérialistes. C'est donc à l'intérieur
de cette gigantesque entreprise de destruction qu'il faut l'expliquer.
Le problème se trouve de ce fait éclairci : nous n'avons
plus à expliquer le 'nihilisme destructeur' des nazis, mais pourquoi
la destruction s'est concentrée en partie sur les juifs."
Pour expliquer pourquoi la population juive, même si elle ne fut
pas la seule, fut désignée tout d'abord à la vindicte
générale, puis exterminée en masse par le nazisme,
il faut prendre en compte deux facteurs : les besoins de l'effort de
guerre allemand et le rôle joué dans cette sinistre période
par la petite-bourgeoisie. Cette dernière fut réduite
à la ruine par la violence de la crise économique en Allemagne
et sombra massivement dans une situation de lumpen-prolétarisation.
Dès lors, désespérée et en l'absence d'un
prolétariat pouvant jouer le rôle de contrepoison, elle
donna libre cours à tous les préjugés les plus
réactionnaires, caractéristiques de cette classe sans
avenir, et se jeta, telle une bête furieuse, encouragée
par les formations fascistes, dans le racisme et l'antisémitisme.
Le "juif" était supposé représenter la
figure par excellence de "l'apatride" qui "suce le sang
du peuple" ; il était désigné comme le responsable
de la misère à laquelle était réduite la
petite-bourgeoisie. Voilà pourquoi les premières troupes
de choc utilisées par les nazis étaient issues des rangs
d'une petite-bourgeoisie en train de sombrer. Et cette désignation
du "juif" comme l'ennemi par excellence aura aussi comme fonction
de permettre à l'Etat allemand, grâce à la confiscation
des biens des juifs, de ramasser des fonds destinés à
contribuer à son réarmement militaire. Au début,
il dut le faire discrètement pour ne pas attirer l'attention
des vainqueurs de la Première Guerre mondiale. Les camps de déportation,
au départ, eurent la fonction de fournir à la bourgeoisie
une main-d'œuvre gratuite, tout entière dédiée
à la préparation de la guerre.
C'est au nom de cette barbarie nazie que le camp des forces démocratiques
alliées a pu tenter de justifier aux yeux des ouvriers son implication
dans la boucherie mondiale et tous ses crimes. Loin de permettre d'éviter
à l'avenir de nouveaux holocaustes, la défense des valeurs
démocratiques de la classe dominante ne peut que servir la survie
d'un système à l'agonie, le capitalisme, qui depuis le
début du siècle dernier n'a cessé d'accumuler les
massacres et les génocides.
RI
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/luttes-classe
[2] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/question-syndicale
[3] https://fr.internationalism.org/rinte90/reso.htm
[4] https://fr.internationalism.org/french/rint/111_guerre.html
[5] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/guerre-irak
[6] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/crise-economique
[7] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/leconomie
[8] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/mystification-parlementaire