Une année de combats particulièrement difficiles, qui se sont heurtes a une bourgeoisie de plus en plus adroite, mais aussi de plus en plus apeurée. La perspective de ces combats : l'unification a travers un long processus d'expériences et d'affrontements.
Comme toujours au début de l'année, les médias de la classe dominante ont tiré le "bilan social" de l'année précédente. A les entendre et les lire, ils sont tous d'accord sur un point : l'année 1985 a été marquée par un recu1 généralisé de la lutte ouvrière.
A longueur de pages, ils publient des statistiques montrant la diminution du nombre de grèves et de "journées perdues pour fait de grève". Puis ils expliquent : en ces temps de crise, les ouvriers ont enfin compris que leurs intérêts ne sont pas contradictoires avec ceux des entreprises qui les emploient. Alors, pour mieux défendre leur emploi, ils s'abstiennent de faire grève.
En quelque sorte, la crise économique, loin d'exacerber les antagonismes entre les classes, les aurait au contraire estompé. La crise démontrerait la véracité de la vieille chanson qu'entonnent les exploiteurs aux exploités lorsque leurs affaires vont mal : "nous sommes tous dans le même bateau". Même la plupart des groupes du milieu politique prolétarien se rangent à l'analyse d'un recul de la lutte de classe.
Il n'y a -pour ainsi dire- que le CCI qui développe une vision contraire, reconnaissant une reprise internationale de la lutte 'ouvrière depuis la fin 1983. Une reprise (la troisième après les vagues de 1968-74 et 1978-80) qui touche toutes les parties du monde ; évidente dans les pays sous-développés, elle apparaît clairement dans les pays développés -en particulier en Europe occidentale- à condition de regarder la réalité de la lutte de classe en sachant la resituer dans sa dynamique historique et internationale.
Le paradoxe de cette situation, c'est que la bourgeoisie, ses gouvernements et l'ensemble de son appareil politique (partis et syndicats), malgré leur propagande, ne se trompent pas, et n'ont de cesse de développer et d'employer un arsenal d'instruments économique, politique et idéologique, pour conjurer, affronter, la combativité prolétarienne. La bourgeoisie montre dans la pratique sa peur de la menace ouvrière, alors que des groupes révolutionnaires se lamentent pitoyablement sur le fait que le mouvement de leur classe ne soit pas plus rapide, plus spectaculaire, ou plus immédiatement révolutionnaire.
Nous nous attacherons dans cet article :
1°) à démontrer que la réalité de la lutte de classe en 1985 dément radicalement cette idée de la soumission passive du prolétariat mondial aux nécessités du capital en crise ;
2°) à dégager les perspectives qui en découlent pour le combat prolétarien mondial.
COMMENT ENVISAGER LES FAITS
Avant de tracer un rapide tableau chronologique des luttes ouvrières dans le monde au cours de l'année1985, il est indispensable de faire quelques remarques :
Il est vrai que, de façon générale, dans les pays d'Europe occidentale les statistiques officielles du nombre de grèves et de journées de travail perdues pour fait de grève est resté bas en 1985, en comparaison des niveaux atteints à la fin des années 60 ou pendant les années 70. Mais un tel constat ne suffit pas pour déterminer le sens de la dynamique de la lutte ouvrière... encore moins pour conclure à un ralliement des ouvriers' aux nécessités de la logique économique capitaliste.
Premièrement, les statistiques de grèves (pour autant qu'elles ne soient pas trop faussées par la volonté des gouvernements toujours soucieux de démontrer leur capacité à maintenir "la paix sociale") sont généralement gonflées par de longues grèves sectorielles, isolées (telle la grève des mineurs britanniques). Or, une des caractéristiques majeures de l'évolution de la lutte ouvrière au cours des dernières années, particulièrement confirmée en 1985, c'est la tendance à abandonner cette forme d'action -spécialité des syndicats- dont l'inefficacité apparaît de plus en plus clairement aux yeux des travailleurs européens.
Comme nous le verrons, le type de lutte courte et explosive, surgissant généralement hors de toute consigne syndicale et cherchant rapidement à s'étendre, telles la grève d'octobre en. Belgique ou celle du métro parisien en décembre 1985, beaucoup plus caractéristiques et significatives de la période à venir, ne comptent que pour très peu (ou pas du tout) dans les statistiques off4cielles de grèves.
De ce point de vue, la faiblesse des statistiques du nombre de jours de grève ne traduit pas mécaniquement un recul de la lutte ouvrière mais exprime une certaine maturation de sa conscience.
Deuxièmement, faire grève en 1985 n'a pas la même signification que faire grève en 1970. La menace de chômage qui pèse sur chaque travailleur comme une épée de Damoclès d'une part, l'action concertée de l'ensemble des forces de la bourgeoisie -avec les syndicats aux premiers rangs- pour empêcher toute mobilisation de classe d'autre part, font qu'au milieu des années 80 il est beaucoup plus difficile pour les travailleurs de se lancer à la lutte que pendant les années 70 ou à la fin des années 60. Ce serait faire abstraction de toute la gravité de l'évolution historique des quinze dernières années que de vouloir comparer quantitativement et mettre sur le même plan une "journée de grève" d'aujourd’hui avec une de la décennie précédente. En ce sens on peut dire qu'une grève du milieu des années 80 est plus significative qu'une grève des années 70 ou 60.
Troisièmement : aucune statistique de grèves ne peut rendre compte de cet autre aspect crucial de l'action ouvrière que constitue à notre époque la lutte des chômeurs. Même si celle-ci reste encore pour le moment à ses premiers balbutiements, les débuts d'organisation de comités de chômeurs en Allemagne, en Italie, en Grande-Bretagne, en France, représentent un élément important -et ignoré par ces statistiques- de l'actuelle combativité ouvrière.
1985 : LA CLASSE OUVRIERE MONDIALE REFUSE DE SE PLIER PASSIVEMENT A LA LOGIQUE DU CAPITAL EN CRISE.
L'idée d'après laquelle la crise pousserait les ouvriers à épouser la logique de la rentabilité capitaliste est peut-être un rêve chimérique de la classe dominante. Mais la réalité mondiale dément quotidiennement ces mensonges propagandistes.
En tenant compte des remarques que nous venons de formuler sur la signification des luttes ouvrières actuelles dans les pays les plus développés, un rapide aperçu des principales luttes ouvrières qui ont marqué mois par mois, aux quatre coins de la planète, l'année 1985, suffit à ridiculiser ces assertions.
La liste qui suit ne prétend évidemment pas rassembler toutes les luttes importantes de l'année. La bourgeoisie a mené consciemment une politique de "black-out" systématique sur les informations concernant les luttes ouvrières. Ceci est déjà vrai au niveau de chaque pays, mais l'est encore plus au niveau international. C'est ainsi, par exemple, que nous, ne pourrons pour ainsi dire pas citer de luttes dans les pays dits "communistes", même si nous savons que la classe ouvrière s'y bat tout comme en occident.
Si le mois de janvier fut marqué par le déclin de la grève des mineurs britanniques, dès le mois de février au moment même où celle-ci se concluait, une nouvelle vague de luttes ouvrières commençait en Espagne et allait durer jusqu'en mars touchant entre autres les chantiers navals, l'automobile (en particulier Ford-Valencia), les postes de Barcelone (grève spontanée et qui resta longtemps sous le seul contrôle de l'assemblée des grévistes) et les journaliers agricoles de la région du Levant.
Le mois d'avril commença par l'explosion des luttes ouvrières dans ce "paradis du socialisme Scandinave" qu'est le Danemark avec une grève générale qui mobilise plus d'un demi million de travailleurs. Au cours du même mois, en Amérique latine, dans le pays du "miracle brésilien", en pleine "transition démocratique", 400 000 ouvriers partent en grève et paralysent la très moderne banlieue industrielle de Sao Paolo, la principale concentration industrielle du subcontinent américain (malgré les appels des nouveaux syndicats, les ouvriers refusent d'arrêter leur lutte à l'occasion de la mort spectaculaire du nouveau président "démocratique").
Le mois de mai voit l'éclatement des premières luttes importantes des mineurs d'Afrique du Sud. Le mois de juin commença marqué par la grève de 14 000 employés des hôtels de New York qui vit les travailleurs organiser par eux-mêmes l'extension de la lutte par l'envoi de piquets massifs. Le mythe des USA comme pays réduit à la paix sociale musclée de Reagan était encore une fois démenti et le sera encore à plusieurs reprises au cours de 1985. Toujours au mois de juin et toujours en réponse à des mesures d'austérité prises par le gouvernement local, en Colombie les grèves se multiplient et, le 20, les syndicats sont contraints d'organiser une grève générale. Le mois de juillet commence par le début, aux USA, de la grève des métallurgistes de Wheeling Pittsburg : le secteur de l'acier est violemment frappé aux USA. Leur lutte -dans une des principales zones industrielles de la première puissance mondiale- durera jusqu'à fin octobre.
En Grande-Bretagne, où depuis la fin de la grève des m meurs, les grèves n'ont jamais cessé, éclate hors de coûte consigne syndicale une importante grève clans les chemins de fer : elle s'étend rapidement et l'on verra dans le Pays de Galles des piquets de grève de cheminots briser les barrières corporatistes pour aider Les piquets d'une aciérie en grève. En France les principaux chantiers navals du pays partent en grève et par deux occasions, à Lille et à Dunkerque, les ouvriers débordent l'encadrement syndical et affrontent la police pendant plusieurs heures. En Israël, toujours en juillet, à l'annonce par le gouvernement du "socialiste" Pérès d'une série de mesures d'austérité (hausse de certains prix de 100 %, baisse des salaires de 12 à 40 %, licenciement de 10 000 fonctionnaires), les réactions ouvrières ne se font pas attendre : le syndicat (lié au parti au gouvernement) doit organiser une grève générale de 24 heures (suivie par 90 % de la population active). Mais au moment de la reprise du travail, des secteurs entiers tentent de continuer la lutte. Les bonzes syndicaux parlent de "risques réels de débordement". Au mois d'août, en Yougoslavie "socialiste", un train 4e mesures d'austérité déclenche une vague de grèves qui touche diverses régions du pays : des grèves particulièrement importantes mobilisent les mineurs et les travailleurs des ports.
Au mois de septembre c'est en Bolivie, un des pays les plus pauvres du monde mais où il existe une vieille tradition de luttes ouvrières -en particulier dans les mines- que l'annonce de mesures économiques particulièrement draconiennes (multiplication par 4 du prix du pain, par 10 du prix de la nourriture, par 20 du gaz domestique, en même temps qu'un gel des salaires des fonctionnaires pendant quatre mois 0 déclenche une réaction générale des travailleurs. Le principal syndicat, la C.O.B., appelle à une grève de 48 heures, largement suivie. Le mouvement est violemment réprimé. Du coup, les ouvriers prolongent la grève générale pendant encore 16 jours. En France, fin septembre, éclate, hors de toute consigne syndicale, dans les chemins de fer, la grève la plus importante dans ce secteur depuis la fin des années 60. Elle s'étend rapidement contraignant le gouvernement à suspendre -du moins pour l'immédiat- l'application des mesures de contrôle qui avaient déclenché le mouvement.
Au mois d'octobre, en Belgique, éclatent des grèves dans les postes, les chemins de fer, le métro de Bruxelles et les mines du Limbourg, qui suivent le même déroulement : démarrage hors des consignes syndicales et extension rapide dans leur propre secteur, "recul" momentané du gouvernement par crainte d'extension des mouvements. Au même moment, la Hollande connaît une vague de grèves analogues qui touche principalement les pompiers, les conducteurs de camions et différents secteurs du port de Rotterdam. Le 6 novembre, au moment même où les mineurs du Limbourg reprenaient le travail, en Grèce, 100 000 travailleurs du secteur public et privé faisaient grève contre les mesures d'austérité du gouvernement socialiste. Au cours du même mois une vague de grèves secouait à nouveau le Brésil (600 000 grévistes). En Argentine, où le nouveau gouvernement "démocratique" a imposé en 1985 des baisses de revenus allant jusqu'à 45 %, commence toute une période d'agitation et de luttes ouvrières qui se prolonge jusqu'en janvier 1986. Toujours en novembre, la Suède -encore un "paradis socialiste"- connaît, elle, la plus importante période de luttes ouvrières depuis la fin des années 60 : ouvriers des abattoirs dans le nord, mécaniciens de locomotives dans tout le pays, nettoyeuses industrielles de Borlange et surtout la grève des nourrices ("mères de jour") qui ont organisé par elles-mêmes, contre l'Etat et les syndicats, leur lutte dans tout le pays, culminant le 23 novembre par des manifestations Simultanées dans 150 villes différentes. Dans une manifestation, les travailleuses scandaient "le soutien des syndicats est notre mort !".
Au Japon, pays réputé pour l'absence de luttes ouvrières, une grève éclate contre la menace de licenciements massifs dans les chemins de fer. Le mois de décembre -pour terminer ce bref tour d'horizon de l'année 85- est, lui, marqué par une nouvelle reprise des grèves en Espagne : hôpitaux et services de santé à Barcelone ; les mines des Asturies (contre une recrudescence sans précédents des accidents de travail) ; la région de Vigo (Galice) et surtout la région de Bilbao, sont touchées par des grèves dans divers secteurs, à nouveau les chantiers navals mais aussi les chômeurs embauchés par la municipalité. En France, les conducteurs du métro de Pans, à la suite de mesures prises à rencontre de l'un d'eux, partent spontanément en grève et paralysent en quelques heures la capitale. Au Liban, déchiré par les guerres entre fractions de la bourgeoisie locale et les antagonismes internationaux, une hausse des prix de 100 % provoque une grève générale et des appels des travailleurs du secteur musulman au secteur chrétien disant : "la famine ne connaît pas de couleurs politiques et touche tout le monde sauf la minorité dominante".
C'est volontairement que nous avons présenté cet aperçu des principaux moments de la lutte ouvrière mondiale "en vrac", suivant uniquement leur succession chronologique.
Quelles que soient les différences qui existent entre les combats prolétariens dans les pays de la périphérie et ceux des pays centraux, ceux-ci ne sont que des moments d'une même lutte, une même réponse à une même attaque du capital mondial en crise. Il était nécessaire, dans un premier temps, de montrer clairement l'aspect mondial de la résistance ouvrière pour démentir cette absurdité suivant laquelle la crise économique aurait atténué la lutte de classe. Il était en outre nécessaire de mettre en évidence cette unité pour mieux dégager, à partir des différences entre les luttes ouvrières, la dynamique globale de celles-ci.
DIFFERENCES DE LA LUTTE OUVRIERE DANS LES PAYS CENTRAUX INDUSTRIALISES ET DANS CEUX DE LA PERIPHERIE
Un regard global aux luttes ouvrières dans le monde actuellement met en évidence le fait que dans les pays sous-développés celles-ci tendent à prendre rapidement une forme unifiée -même si c'est encore derrière les centrales syndicales- alors que dans les pays industrialisés les luttes, au cours de 1985, ont eu tendance à être moins massives à la fin de l'année qu'au début : après des mouvements comme ceux des mineurs britanniques ou la grève générale au Danemark, on assiste à une multiplicité de luttes plus courtes, plus explosives, plus simultanées mais aussi plus isolées les unes des autres.
Cela tient essentiellement à la différence des effets de la crise suivant le degré de développement économique du pays et aux stratégies que la classe dominante est amenée à réaliser en fonction des conditions socio-politiques auxquelles elle est confrontée.
Dans les pays sous-développés dont l'économie est en banqueroute totale, les mesures dites "d'austérité" qu'est contraint de prendre le capital contre les travailleurs revêtent inévitablement un caractère beaucoup plus violent, direct et massif. Le capital n'y possède aucune marge de manoeuvre économique. Des mesures comme les hausses vertigineuses des prix des biens de consommation, les réductions des salaires réels de l'ordre de 30, 40 %, les licenciements immédiats et massifs comme on les a vus au cours de 1985 dans des pays comme la Bolivie, l'Argentine ou le Brésil, sont des attaques qui touchent simultanément et immédiatement l'ensemble des travailleurs.
Cela crée les bases objectives pour des mouvements d'ampleur pouvant rapidement unifier des millions de travailleurs.
Pour faire face à de tels mouvements, les bourgeoisies locales n'ont généralement eu d'autre recours que la plus sauvage et impitoyable répression. Répression qui est rendue possible par la faiblesse numérique et historique du prolétariat local et par le fait que la classe dominante peut recruter ses forces de répression dans une masse gigantesque de sans-travail marginalisés depuis des générations.
Mais de telles méthodes s'avèrent de moins en moins, suffisantes et créent le risque d'une déstabilisation totale de la société (comme on l'a vu en Bolivie, la répression n'a fait cette fois qu'exacerber la lutte ouvrière). C'est pourquoi l'on assiste à des simulacres de "démocratisation" des régimes des pays sous-développés souvent sous la pression des puissances impérialistes (voir les pressions des USA et ses alliés européens en ce sens en Amérique du Sud, Afrique du Sud, Haïti, Philippines), dans le seul but de créer des appareils syndicaux et politiques capables de contrôler les luttes ouvrières (autrement plus dangereuses que les émeutes de la faim devenues chroniques dans certains de ces pays) et les conduire dans les impasses nationalistes.
Ces nouveaux appareils d'encadrement jouissent en outre de la force que leur octroie le manque d'expérience de la "démocratie" bourgeoise des travailleurs de ces pays et les illusions que ceux-ci entretiennent -du moins au début- à leur égard après avoir subi des années de dictature militaire ou civile.
Wans les pays développés -et plus particulièrement en Europe occidentale- la situation est tout autre. Sur le plan économique, la bourgeoisie dispose encore d'une marge de manoeuvre qui -même si elle ne cesse de se réduire chaque jour sous l'effet de la crise de son système- lui permet de mieux étaler, planifier ses attaques de façon à éviter la prise de mesures trop directement globales, frappant immédiatement et violemment un grand nombre de travailleurs à la fois. Les attaques qu'elle porte sont de plus en plus puissantes et massives mais elle s'applique à en disperser les retombées de sorte qu'elles apparaissent à chaque secteur de la classe ouvrière comme une attaque particulière, spécifique. Si l'on compare l'année 1984 avec l'année 1985 à ce niveau, on constatera qu'il s'agit d'une politique consciente de la bourgeoisie.
Les fameuses politiques de "privatisation" du secteur public de l'économie et de développement d'un soi-disant libéralisme économique au niveau de la vie des entreprises s'inscrivent parfaitement dans cette stratégie ([1] [1]). Les licenciements "pour raison de restructuration industrielle" apparaissent ainsi comme une affaire particulière d’embaucher dans les nouvelles entreprises privées qui "sauvent" les vieilles grandes entreprises en faillite. Le nombre de licenciements est le même- mais ceux-ci apparaissent éparpillés en autant d'entreprises, de "cas particuliers".
Sur ce plan, la bourgeoisie mondiale semble avoir tiré les leçons de la grande peur qu'elle eut avec la Pologne en 1980 : dans les pays de la périphérie elle comprend que lorsque la répression brutale et massive ne suffit plus, il est indispensable de créer des "Solidarnosc" locaux capables de saboter les mouvements sociaux de l'intérieur ; dans les pays les plus industrialisés elle sait que des attaques économiques trop grossièrement menées (comme celle qui, en août 80, déclencha l'explosion des villes ouvrières de la Baltique) lui font courir des risques trop importants pour le maintien de l'ordre social.
L'EUROPE OCCIDENTALE : LIEU DES AFFRONTEMENTS LES PLUS DETERMINANTS
Comme nous lavons à maintes reprises démontré en particulier au moment de tirer des leçons de la Pologne 80- c'est en Europe occidentale, la plus ancienne et la plus importante concentration industrielle du monde, que se jouent les affrontements les plus décisifs pour la lutte ouvrière mondiale ([2] [2]). C'est là que se trouve le prolétariat le plus concentré et le plus expérimenté. Mais c'est aussi là que règne la bourgeoisie la plus rompue à la lutte de classes. Cette politique de dispersion des luttes ouvrières par une apparence de dispersion de l'attaque économique n'est en réalité qu'un volet, un aspect de l'arsenal complexe et systématiquement développé par la bourgeoisie dans cette partie du monde pour affronter les luttes ouvrières.
Au cours de l'année 1985 on a pu voir la bourgeoisie européenne recourir à l'ensemble de ces moyens et les développer de façon de plus en plus concertée.
C'est ainsi qu'elle a eu recours simultanément
1°) au partage du travail entre ses différentes forces politiques et' syndicales ;
2°) aux campagnes idéologiques ;
3°) à la répression.
Le partage du travail entre, d'une part des gouvernements qui -de droite ou de gauche- ont systématiquement appliqué des politiques de "rigueur", c'est-à-dire de renforcement de l'exploitation et, d'autre part des forces de "gauche" (partis et syndicats) qui, chargés d'assurer l'encadrement des rangs ouvriers, ont radicalisé leur langage pour mieux canaliser les réactions prolétariennes dans des impasses ou, plus simplement, saboter toute mobilisation importante sur un terrain de classe.
Au cours de l'année 1985 ce mouvement de "radicalisation" des forces de gauche de l'appareil politique du capital s'est manifesté d'abord par le développement et le recours de plus en plus fréquent au "syndicalisme de base", c'est-à-dire à des tendances syndicalistes (généralement animées par des gauchistes) qui critiquent les directions et les appareils des grandes centrales mais pour mieux défendre le terrain syndical. Particulièrement actives en Belgique (mines du Limbourg), elles ont joué un rôle important dans les grèves en Grande-Bretagne (appui aux shop stewards), en Espagne, aux Etats-Unis, en Suède... Les grandes centrales elles-mêmes ont radicalisé leur langage. Cela a été notoire pour la CGT en France qui cherche à faire oublier la participation de son parti tuteur, le PCF, au gouvernement pendant trois ans ; pour L.O. en Suède, syndicat lié au parti socialiste au gouvernement et qui s'est vu de plus en plus débordé au cours des luttes en fin d'année ; pour l'UGT en Espagne qui, appuyant trop ouvertement le PSOE au pouvoir, passait de plus en plus pour un syndicat jaune.
Mais ce radicalisme de langage n'a servi qu'à mieux masquer un travail systématique de démobilisation.
Contrairement à ce qu'ils faisaient au cours des années 60 ou 70, lorsqu'ils pouvaient se permettre d'organiser de grandes manifestations de rue pour mieux redorer leur blason de "défenseurs des travailleurs", les syndicats européens ne prennent plus de tels risques aujourd'hui. Ils savent que la méfiance croissante des travailleurs à leur égard (qui se concrétise par une désertion massive des syndicats) n'a d'égal que la colère sourde qui gronde dans les rangs des exploités. Ils savent que toute manifestation importante de travailleurs sur un terrain de défense claire de leurs revendications de classe ([3] [3]) risque à tout moment d'échapper à leur contrôle. C'est pourquoi on assiste dans la plupart des pays européens à une stratégie syndicale qui consiste soit à convoquer des manifestations en ne donnant l'heure et le lieu de rassemblement qu'à la dernière minute et de la façon la plus discrète possible, de façon à n'y voir que les éléments les plus proches des appareils syndicaux, soit à convoquer de nombreux rassemblements mais dans des lieux différents d'une même ville en prenant soin d'éviter que les cortèges ne puissent se rencontrer (en Espagne, en France, en Grande-Bretagne, les syndicats sont devenus maîtres à ce jeu de dispersion de la combativité prolétarienne).
Les campagnes idéologiques - Sur ce terrain encore, l'action de la bourgeoisie a été particulièrement fertile. Les ouvriers européens ont été matraqués quotidiennement par des campagnes sur :
- l'inutilité de la lutte en temps de crise -surtout après la défaite de la grève des mineurs britanniques;
- le bonheur de vivre dans des pays "démocratiques" surtout au moment des luttes en Afrique du Sud ;
- le terrorisme, cherchant à assimiler toute lutte contre l'Etat à du terrorisme en Belgique cette campagne a pris des proportions gigantesques et a abouti, entre autres, à la décision de mettre des forces armées d'élite à la porte de certaines usines...afin de mieux les défendre contre le terrorisme!; la défense des régions, du secteur, voire de l'entre prise, cherchant à faire croire aux travailleurs en lutte que la défense de leurs conditions d'existence devrait se confondre avec celle des instruments de leur exploitation ("défense du charbon national" (Limbourg, Ecosse, Asturies) défense de la région (Pays Basque en Espagne, la Lorraine en France, la Wallonie en Belgique, etc, etc.).
La répression - A côté des moyens économiques, politiques, idéologiques, la bourgeoisie européenne n'a cessé de développer aussi les instruments de la répression policière. L'année 1985 a été marquée à ce niveau en particulier par les exemples de la Belgique, dont nous avons fait déjà mention, et surtout celui de la Grande-Bretagne où, à la suite de la grève des mineurs et les émeutes de Birmingham et Brixton, la bourgeoisie a procédé à un renforcement sans précédents dans l'histoire de ce pays des forces et des moyens de répression des luttes sociales.
PERSPECTIVES DE LA LUTTE DE CLASSE
Mais si la bourgeoisie mondiale -et en particulier celle d'Europe occidentale- a été conduite au cours de 1985 à développer de telle sorte tous les moyens de la défense de son système, c'est parce qu'elle a peur. Et elle a raison d'avoir peur.
La troisième vague internationale de luttes ouvrières n'en est qu'à ses débuts et la lenteur de son développement exprime la profondeur du bouleversement qu'elle prépare.
La tendance en Europe occidentale -dont dépend l'avenir de la lutte ouvrière mondiale- à l'abandon par les ouvriers des formes de lutte consistant en des grèves longues, isolées dans des forteresses symboliques, traduit -même si cela prend encore une forme trop dispersée- une assimilation d'années d'expériences et de défaites dont la grève des mineurs britanniques a été un des derniers exemples spectaculaires. En ce sens, l'année 1985 a marqué en Europe une avancée.
Quant à cette dispersion, les bases sur lesquelles .repose l'actuelle stratégie d'éparpillement des luttes ouvrières en Europe occidentale, sont appelées à s'user de plus en plus rapidement sous l'effet de l'aggravation de la crise économique et de l'expérience cumulée de l'affrontement de la combativité ouvrière avec les carcans syndicaux.
La faible marge de manoeuvre économique dont dispose encore la bourgeoisie des pays industrialisés ne peut aller qu'en s'amenuisant au fur et à mesure que s'exacerbent les contradictions internes de son système et que s'épuisent ses palliatifs à la crise, tous fondés sur le recul des échéances par une fuite en avant dans le crédit. Sur ce plan-là, ce sont les pays sous-développés qui montrent l'avenir aux régions plus industrialisées.
Quant â la capacité de sabotage des luttes ouvrières que possèdent encore syndicats et autres forces "de gauche" du capital, la confrontation permanente, le heurt répété et omniprésent entre la poussée des forces prolétariennes et les barrières idéologiques et pratiques de ces institutions, conduit lentement, mais Irréversiblement, vers la création des conditions de l'épanouissement d'une véritable autonomie de la lutte ouvrière. L'abandon des casernes syndicales par un nombre toujours croissant d'ouvriers à travers toute l'Europe la multiplication- des luttes qui démarrent et cherchent à s'étendre en dehors des consignes syndicales en sont un témoignage in équivoque. La conscience de sa force, les moyens de développer celle-ci face aux attaques du capital, la classe ouvrière ne peut les obtenir que par le combat lui-même un combat qui l'affronte non seulement aux gouvernements et aux patrons, mais aussi aux syndicats et aux forces politiques de la gauche du capital.
La perspective de la lutte de classe c'est la poursuite de la lutte. Et la poursuite de la lutte est et sera de plus en plus le combat contre la dispersion, pour l'unification.
Au bout de l'actuel processus de développement d'une effervescence omniprésente internationalement, il y a l'internationalisation des luttes ouvrières.
R.V.
UNE MEME LUTTE DANS DES MOMENTS HISTORIQUES DIFFERENTS
Grèves d'hier et d'aujourd'hui
Voilà près de deux siècles que la classe ouvrière fait des grèves pour résister et combattre l'exploitation Capitaliste qu'elle subit plus directement que toute autre classe exploitée. Cependant toutes les grèves n'ont évidemment pas la même signification suivant la période historique dans laquelle elles se situent. Les grèves ouvrières de notre époque traduisent, comme celles du début du XIX° siècle, le même antagonisme et la même guerre entre la classe exploitée porteuse du communisme et la classe exploiteuse qui profite, défend et assure la reproduction de l'ordre social établi. Mais les luttes ouvrières actuelles n'affrontent pas, comme au XIX° siècle, un capitalisme en pleine jeunesse, conquérant le monde et faisant faire à l'humanité des progrès sans précédents dans tous les domaines. Les grèves des "années 80" combattent la réalité d'un système sénile, décadent, qui après avoir plongé par deux fois l'humanité dans les horreurs des deux guerres mondiales, après avoir connu à partir des années 50 vingt ans de prospérité relative en reconstruisant ce qu'il avait détruit auparavant et en développant un armement capable de détruire plusieurs fois la planète, se débat depuis la fin des années 60 dans une crise économique sans précédent.
Les luttes ouvrières actuelles, parce qu'elles constituent la seule résistance effective, réelle, à la barbarie totalitaire du capitalisme décadent, représentent la seule source de lumière pour une humanité en proie à "l'effroi sans fin" ".
Mais la blessure mortelle que porte le capitalisme, dont les lois sont devenues historiquement obsolètes, ne rend pas pour autant celui-ci plus conciliant envers ses esclaves. Au contraire. La classe ouvrière affronte aujourd'hui une bourgeoisie cyniquement expérimentée, adroite, capable d'agir de concert au niveau national et international (Pologne 80), pour faire face aux luttes ouvrières.
Parce que les enjeux historiques sont plus graves, parce que les difficultés rencontrées sont plus grandes, toute manifestation de résistance ouvrière prend aujourd'hui une signification d'autant plus importante. Ceux qui actuellement, au nom d'un "radicalisme" de parole, regardent grève après grève, lutte après lutte, avec un "mépris transcendental" parce qu'ils ne les trouvent pas encore assez "révolutionnaires", ne font qu'exprimer l'impatience de celui qui ignore tout de la révolution et de la complexité du processus qui la %' prépare. On ne peut rien comprendre aux luttes ouvrières présentes si on "oublie" cette nécessité élémentaire de les replacer dans leur contexte, dans leur dynamique historique.
R.V.
[1] [4] Sur le plan économique, le poids de l'Etat n'a jamais été aussi grand qu'actuellement...et il ne cesse de se développer. Il suffit de voir l'augmentation incessante de la part du revenu national qui, sous une forme ou sous une autre, passe par les mains de l'Etat, pour s'en convaincre La seule utilité qu'a sur le plan strictement économique cette politique dite "libérale", c'est d'accélérer les concentrations de capitaux par l'élimination plus rapide de secteurs et entreprises non rentables au profit des grands capitaux.
[2] [5] Voir "Le prolétariat d'Europe de l'Ouest, au coeur de la lutte de classe" (Revue Internationale n° 31).
[3] [6] Evidemment, les forces de gauche sont toujours prêtes à mobiliser les travailleurs mais sur des terrains inter-classistes ou ambigus : voir la campagne anti-OTAN en Espagne actuellement ou celle pour les "droits démocratiques" de grève en R.F.A.
BAISSE DU PRIX DU PETROLE, BAISSE DU DOLLAR, LA RECESSION A L'HORIZON
Le texte qui suit est composé d'extraits de la partie sur la crise économique du rapport sur la situation internationale du 6ème congrès du CCI. Ce rapport a été rédigé à la mi-85; les éléments chiffrés les plus récents qu'il contient datent 'donc de cette période; cependant les analyses et orientations qu'il défend ont été amplement confirmées depuis.
Ces derniers mois, le marché mondial a été soumis à d'importantes secousses :
- la chute du dollar s'est accélérée et un an après avoir battu des records historiques (10,61 Frs le 28.2. 85), le roi dollar se retrouve à son niveau d'octobre 1977 (6,79 Frs et 2,20 DM le 28.2.86).
- depuis le début de l'année 86 les cours du pétrole ont fait le grand plongeon, le prix du baril passant de 28 $ à 14 $, soit une diminution de moitié du prix de l'or noir ;
- tous les cours des matières premières ont dans l'ensemble chuté et depuis l'automne la bourse des métaux de Londres est secouée par l'effondrement des cours de l'étain dont la cotation est interrompue depuis le 24.10.85, sans avoir repris depuis;
- la spéculation boursière est acharnée et partout les cours boursiers ont fortement progresse : à New York, à Londres, Paris, Tokyo etc., mais cette situation est fragile et en janvier la bourse de New York a connu une sérieuse alerte avec la plus forte chute de l'indice Dow Jones depuis la chute historique du jeudi noir de 1929.
Cette liste qui pourrait être encore allongée illustre les ravages de plus en plus importants de la crise de surproduction généralisée sur l'économie mondiale, l'accélération de la crise et l'instabilité croissante du marche mondial.
Pourtant, la classe dominante ne cesse de proclamer que "tout va bien !" : les politiciens de tous bords promettent toujours l'amélioration pour demain et les technocrates prétendent en se voulant rassurants; maîtriser la situation. Les travailleurs peuvent dormir tranquilles : malgré les records de chômage battus en Europe, malgré la misère qui recouvre le monde, il ne faut pas s'inquiéter car nos gouvernants contrôlent la situation !
Pourtant en fait l'inquiétude monte avec la déstabilisation grandissante de l'économie mondiale et les discours lénifiants de la bourgeoisie sont une litanie dont elle-même voudrait bien parvenir à se convaincre. La baisse du dollar est posée comme une mesure d"'assainissement" du marché mondial tandis que la chute des cours du pétrole est présentée comme une "aubaine" : la réalité est cependant bien inquiétante Car ce qui se profile au-delà c'est l'horizon de la récession. C'est cette perspective dont nul aujourd'hui n'est capable au sein de la classe dominante d'en mesurer les conséquences qui fait monter une angoisse Sourde au sein de la bourgeoisie.
La baisse du dollar à la suite de la première réunion du groupe des cinq (USA, Japon, RFA, Grande-Bretagne, et France) pourrait faire croire à une parfaite maîtrise des échanges monétaires de la part des grandes puissances. Pourtant, cette baisse traduit une nécessite impérieuse pour l'économie américaine, celle de retrouver sa compétitivité sur le marché mondial. Elle traduit l'échec et la fin de la politique de reprise menée par le gouvernement Reagan. La maîtrise dont fait preuve la bourgeoisie ne parvient qu'à limiter provisoirement les dégâts, si elle freine la dégradation de l'économie mondiale, elle ne parvient cependant pas à l'empêcher et celle-ci inéluctablement se poursuit.
Les conséquences de la baisse du dollar sont catastrophiques pour l'Europe et le Japon qui voient leur compétitivité grevée d'autant et se profiler ainsi le spectre de la récession. Face à une telle situation la 2ème réunion du groupe des cinq avait pour but de poser l'éventualité d'une baisse concertée des taux d'intérêts afin de relancer les marchés intérieurs et la production. Cette réunion a été présentée comme un échec devant les risques que constitueraient pour le dollar une baisse trop forte et trop rapide des taux américains :
- crise de confiance des spéculateurs du monde entier;
- relance accélérée de l'inflation.
Cependant ce n'est certainement pas un hasard si c'est au lendemain de cette réunion que s'est brutalement accélérée la chute des cours du pétrole. Cette chute n'est pas déterminée en soi par la bourgeoisie, elle est d'abord l'expression de la crise de surproduction; cependant elle tombe à point pour donner un ballon d'oxygène provisoire aux économies les plus développées. Non seulement, elle permet de faire baisser l'inflation, mais surtout elle permet de faire diminuer de moitié le coût de la première importation des principaux pays développés, et de faire de substantielles économies notamment en Europe et au Japon. Voilà les fonds pour financer une mini relance!
Conjoncturellement, la bourgeoisie du bloc occidental avait intérêt à faire accélérer la chute des cours du pétrole ; cependant, cette "politique" traduit la marge die manoeuvre de plus en plus restreinte de la bourgeoisie qui, sur le plan économique, en est réduite à des expédients pour gagner quelques mois de répit. En effet, à terme, la chute des cours du pétrole signifie un nouveau rétrécissement significatif du marché mondial, qui va se traduire par une nouvelle baisse des échanges, et donc une baisse des exportations des pays^ industrialisés, et donc de leur production : c'est la récession.
Quelles que soient les arguties de la propagande capitaliste et la capacité de la bourgeoisie de manoeuvrer au mieux de ses intérêts, la crise est là, de plus en plus aiguë, et les prétendus succès économiques ne font en fait que traduire l'incapacité de plus en plus, grande de la classe dominante à y faire face. Irrésistiblement, la récession se profile à l'horizon, et les soubresauts présents du marché mondial annoncent les tempêtes futures qui vont le secouer.
23 février 86.
Situation internationale : extraits du rapport au 6eme congres du CCI (août 1985)
UNE CRISE DE SURPRODUCTION GENERALISEE
L'ACCELERATION DE LA TENDANCE A LA PAUPERISATION ABSOLUE
Aujourd'hui en 1985, 40 000 êtres humains meurent de faim chaque jour et la FAO nous prédit qu'avant l'an 2000 ce seront 200 millions d'hommes, de femmes, d'enfants qui périront faute de nourriture. Selon la FAO toujours, 1/3 de la population du tiers-monde ne dispose pas du minimum reconnu nécessaire pour subsister physiquement, 835 millions d'habitants de la planète disposent de moins de 75 $ par an.
Le ministre de la santé du Brésil, pays naguère présenté comme un exemple de développement, avoue que près de la moitié (55 millions de personnes) de la population est malade : tuberculose, lèpre, malaria, schisostomiose et autres maladies parasitaires ; 18 millions souffrent de troubles mentaux. Dans les sept Etats du Nordeste brésilien, plus de la moitié des enfants meurt avant d'avoir atteint l'âge de 5 ans. Des millions d'autres sont aveugles (carence en protéines), sous-alimentés, infirmes. Le gouvernement brésilien évalue à 15 millions le nombre d'enfants mineurs abandonnés. Le miracle brésilien est bien oublié.
Les 450 millions d'habitants d'Afrique ont l'espérance de vie la plus courte du monde : 42 ans en moyenne. L'Afrique a le plus fort taux de mortalité infantile : 137 décès au cours de la première année de vie pour 1000 naissances. Du Maroc à l'Ethiopie, la famine fait rage tout au long du Sahel : en 1984, 300 000 morts de faim en Ethiopie, 100 000 au Mozambique. Au BenglaDesh, depuis 1982, 800 000 personnes ont perdu la vue par suite de manque de protéines. Pour plus des 2/3 des hommes de notre planète, chaque jour et chaque nuit sont un interminable calvaire.
Les années 80, qui ont vu s'aggraver sans cesse la misère dans le monde jusqu'à un point jusqu'alors inconnu de l'humanité dans toute son histoire, qui n'avait jusqu'à présent jamais vécu une telle extension de la famine sur la planète, ont définitivement mis fin à l'illusion d'un quelconque développement des pays sous-développés.
L'écart entre les pays développés et les pays en constant sous-développement ne cesse de s'accroître. Aujourd'hui 30% de la population du monde vit dans les pays industrialisés d'Europe (URSS comprise), d'Amérique du Nord, du Japon et d' Australie, représentant 82 % de la production mondiale et 91 % de toutes les exportations.
Ce n'est certainement pas un des moindres paradoxes que de voir la bourgeoisie utiliser la misère dont son système d'exploitation est responsable pour faire croire aux prolétaires des pays industrialisés qui produisent l'essentiel des richesses de la planète qu'ils sont des privilégiés qui, finalement, auraient; bien tort de se plaindre. Les incessantes campagnes médiatiques sur la famine, plus que de soulager la misère des affamés - plan sur lequel elles ont depuis longtemps montré leur inefficacité - ont pour but de culpabiliser cette fraction déterminante du prolétariat mondial qui se trouve au coeur des métropoles industrielles, de lui faire accepter sans réagir sa propre misère qui va en s'aggravant.
La première moitié des années 80 a été marquée par une dégradation brutale des conditions de vie dans les pays développés. A cet égard, l'évolution du chômage est particulièrement significative : ainsi, pour les pays européens de l'OCDE, il était de 2,9% en 1968, de 6,2% en 1979 et de 11,1% début 85, atteignant 21,6% pour l'Espagne et 13,3% pour le plus vieux pays industriel du monde, la Grande-Bretagne. Et encore, ces chiffres officiels (OCDE) sont-ils profondément sous-estimés, en deçà de la réalité. 25 millions d'ouvriers sont au chômage en Europe de l'Ouest et voient leurs conditions de vie, ainsi que celles de leur famille, se dégrader avec la baisse des indemnisations de l'Etat.
Mais le chômage n'est qu'un indice encore insuffisant de la pauvreté qui se développe dans les pays industrialisés. Ainsi, en France, si le chômage atteint 2,5 millions de personnes, ce sont 5 à 6 millions de personnes qui survivent avec moins de 50 francs par jour.
Aux Etats-Unis, pays le plus riche du monde, la faim gagne du terrain. Si, en 1978, il y avait 24 millions d'américains en dessous du seuil de pauvreté, ils sont aujourd'hui 35 millions.
Quant à l'URSS, ce ne sont certainement pas les chiffres du chômage qui peuvent donner un indice de la dégradation des conditions de vie de la population. Citons seulement un chiffre qui donne une idée de la misère croissante : l'espérance de vie est passée de 66 ans en 1964 à 62 ans en 1984.
"Nouveaux pauvres", "quart-monde", les termes ont fleuri pour décrire cette misère que l'on croyait réservée aux pays sous-développés. La tendance à la paupérisation absolue s'affirme aujourd'hui comme une sinistre réalité partout dans le monde, non seulement dans les mouroirs des bidonvilles et des campagnes du "tiers-monde", mais aussi au coeur des métropoles industrielles du capitalisme "développé". La catastrophe économique est mondiale et les dernières illusions sur les 'îlots de prospérité" que paraissaient constituer les pays industrialisés en contraste avec le sous-développement du reste du monde, disparaissent avec la généralisation de la misère de la périphérie vers le centre du capitalisme.
Plus que l'accroissement dramatique de la misère à la périphérie du capitalisme c'est l'enfoncement dans la pauvreté du prolétariat des pays industriels sous les coups de boutoir des programmes d'austérité de la bourgeoisie qui est significatif de l'approfondissement quantitatif et qualitatif de la crise au début des années 80. La marge de manoeuvre de la bourgeoisie s'est rétrécie avec le travail de sape de la crise ; reporter les sévices essentiels de la crise sur les pays les plus faibles n'est plus suffisant pour éviter une attaque frontale contre les conditions de vie de la fraction décisive de la classe ouvrière mondiale qui vit dans les pays développés, qui produit les 4/5 des richesses mondiales, qui a le plus d'expérience historique, qui est la plus concentrée. Si la bourgeoisie s'attaque ainsi aujourd'hui aux plus forts bastions de son ennemi historique, la classe ouvrière, c'est qu'elle ne peut faire autrement.
Au milieu des années 80, la faillite de l'économie capitaliste n'est plus évidente seulement dans la misère du sous-développement, mais elle l'est quotidiennement par la classe ouvrière partout : dans les files d'attente du chômage, dans les fins de mois impossibles à boucler, dans l'accentuation de l'exploitation au travail, dans les soucis et les tracas de tous les jours, dans l'angoisse des lendemains, voilà, par-delà tous les chiffres, le bilan vécu par la classe ouvrière de la crise du capitalisme ; c'est le bilan de la faillite d'un système qui n'a plus rien à offrir.
Face à cette vérité qui s'impose avec de plus eh plus de force, la classe dominante n'a que des mensonges à offrir. Depuis le début de la crise ouverte de son économie à la fin des années 60, la bourgeoisie ne cesse de proclamer qu'elle possède des remèdes à la crise, que les lendemains chanteront, et pourtant la situation tout au long de ces années n'a cessé de se dégrader. Aujourd'hui, Reagan et là bourgeoisie américaine nous resservent la même propagande éculée sous forme de "Reaganomics" à la sauce d'une nouvelle révolution technologique et, pour preuve de leurs affirmations, on nous présente la reprise de l'économie américaine. Qu'en est-il exactement de cette fameuse reprise dont on nous rebat tant les oreilles ? Où en est l'économie mondiale ?
LA FIN DE LA REPRISE AMERICAINE
Avec l'année 1985 déjà se marque le ralentissement de 1'économie américaine qui commence à montrer des signes d'essoufflement. Le colossal déficit budgétaire est de moins en moins suffisant pour maintenir l'activité de l'économie américaine : de 6,8% en 1984, le taux de croissance est retombé à un petit 1,6% pour les six premiers mois de 1985. L'industrie américaine souffre du cours élevé du dollar qui grève ses exportations et sa compétitivité face à ses rivales japonaises et européennes qui lui taillent des croupières sur le marché mondial et même à l'intérieur du marché américain. De mai 1984 à mai 1985, les exportations américaines ont chuté de 3,1%.
Reflétant le ralentissement de la croissance, le revenu net des 543 principales entreprises US a chuté de 11% au premier trimestre 1985 et de 14% au second. Les trois grands constructeurs automobiles américains ont enregistré une baisse de leurs profits de 25,4% tandis que la chute du secteur de la haute technologie, avec une baisse de 15% des bénéfices d'IBM et des pertes sèches pour Wang Laboratories, Apple et Texas Instruments (3,9 millions de dollars pour ce dernier au 2ème trimestre 85), fait voler en éclats le mythe d'une prétendue révolution technologique qui donnerait un nouveau souffle au capital.
Alors que toute une série de secteurs importants de l'économie américaine ne sont pas sortis du marasme depuis la fin des années 70, comme le secteur pétrolier, celui de la sidérurgie et surtout celui de l'agriculture (alors que la dette des fermiers américains est aujourd'hui supérieure à celle du Mexique et du Brésil réunis), ce sont aujourd'hui de nouveaux secteurs cruciaux qui viennent rejoindre ces derniers dans la crise, corme le bâtiment, l'électronique, l'informatique et l'automobile. Face à une telle situation, il faudrait, pour maintenir un minimum de santé économique au sein des pays les plus industrialisés, que l'Etat américain laisse se creuser des déficits commerciaux et budgétaires toujours plus énormes. Même la première puissance économique du monde ne peut se permettre cela, qui signifierait à terme un endettement qui trouve ses limites dans les disponibilités financières du marché mondial.
Malgré tous les discours de la bourgeoisie qui, chaque jour, prétend terrasser le monstre de la crise, la reprise de l'économie américaine a été l'arbre qui cache la forêt de la récession mondiale. L'économie planétaire n'est pas sortie de la récession amorcée à l'aube des années 80. Ainsi, si en 1984 le commerce mondial voyait la valeur des importations et des exportations croître respectivement de 6,5 et 6,1 %, c'est à la suite de trois années consécutives de régression. La relance n'a pas été suffisante pour retrouver le niveau de 1980. Par rapport à cette année-là, les pays industrialisés ont vu leurs exportations et importations régresser respectivement de 2 et 4,5 %. Ce recul est encore plus important pour les pays du tiers-monde qui, dans la même période, ont vu leurs exportations diminuer de 13,7 % et leurs importations de 12,5 %.
UNE CRISE DE SURPRODUCTION GENERALISEE
Les stocks de minerais qui s'accumulent, les mines qui ferment, les produits agricoles qui croupissent dans les silos et les frigos, tandis que l'arrachage des cultures se pratique à grande échelle, les usines qui ferment et les ouvriers qui se retrouvent massivement au chômage, tout cela exprime une chose: la crise de surproduction généralisée.
Prenons un seul exemple : le pétrole, tout un symbole malgré la paralysie de la production de l'Iran et de l'Irak en guerre et qui ont été, durant les années 70, de gros exportateurs, la surproduction fait rage. La fameuse pénurie qui, paraît-il, menaçait l'économie mondiale en 1974, est définitivement oubliée. L'OPEP est au bord de l'éclatement. Les stocks s'accumulent sur terre et sur mer, les supertankers rouillent dans les fjords de Norvège ou bien sont mis à la casse. Les chantiers navals n'ont plus de commandes, les compagnies pétrolières ont des problèmes de trésorerie et les banquiers qui ont fait des prêts commencent à se ronger les ongles. L'or noir ne parvient pas à sortir le Nigeria, le Mexique, le Venezuela ou l'Indonésie du sous-développement et de la misère tandis que même des pays "riches" comme l'Arabie Saoudite annoncent une balance commerciale déficitaire. La surproduction pétrolière affecte toute l'économie mondiale et rentre en résonance avec la surproduction dans les autres secteurs.
La crise de surproduction généralisée montre les contradictions du monde capitaliste de manière criante. Les fermiers américains entraînent les banquiers qui leur ont prêté de 1'argent dans leur faillite, alors que les céréales pourrissent dans les silos faute de débouchés solvables, tandis que la famine fait ses ravages dans le monde. Mais ce contraste insupportable a aujourd'hui fait irruption dans les pays "riches" où les chômeurs et autres "nouveaux pauvres" ne sont séparés que par une mince vitrine de ces "richesses" qui ne parviennent plus à se vendre et s'entassent jusqu'à devenir périmées.
Le cycle infernal de la surproduction se développe. Face à des marches saturés, la concurrence s'exacerbe, les coûts de production doivent baisser, donc les salaires, donc le nombre d'employés, ce qui réduit d'autant le marché Solvable et relance la concurrence...Chaque pays essaie ainsi de diminuer ses importations et d'augmenter ses exportations et le marché se rétrécit inexorablement.
LA PERSPECTIVE D'UNE NOUVELLE PLONGEE DANS LA RECESSION.
Au bout d'à peine deux ans, la fameuse reprise victorieuse de l'économie américaine, si chère à Reagan, montre des signes d'épuisement. Cela illustre clairement la tendance de l'économie mondiale à des mouvements de reprise de plus en plus courts et aux effets de plus en plus faibles, tandis que les périodes de récession se font de plus en plus longues et profondes. Cela montre l'accélération de la crise et la dégradation de plus en plus large que ses effets occasionnent à l'économie mondiale.
Avec le ralentissement de l'économie américaine, ce qui se profile à l'horizon, c'est la perspective d'une plongée encore plus profonde dans la récession. Nul économiste de la bourgeoisie n'ose prévoir les conséquences d'une récession durable de l'économie mondiale. La récession de 1981-82 a été la plus forte depuis 1929 et celle qui s'annonce, parce qu'elle traduit 1'impuissance et l'usure des recettes mises en place depuis par l'administration Reagan, ne peut qu'être plus profonde et plus durable encore pour les pays développés, car les pays sous-développés, eux, ne sont pas sortis du mouvement de récession amorcé à l'aube des années 80.
La plongée dans la récession implique :
- une nouvelle chute des échanges mondiaux consécutive au rétrécissement des marchés solvables, alors que pourtant, en 1984, le niveau de 1980 n'a pas été encore retrouvé ;
- une chute de la production qui va toucher le coeur des pays industrialisés encore plus fortement qu'en 1981-82, tandis que la production des pays sous-développés n'a cessé de chuter depuis 1981 ;
- de nombreuses faillites d'entreprises, de nouvelles fermetures d'usines, des millions d'ouvriers licenciés qui iront rejoindre les cohortes de chômeurs qui, en dehors des USA, n'ont cessé de se développer dans tous les pays malgré la "reprise" ;
- et, au bout du compte, une fragilisation du système financier international qui risque de culminer dans des tempêtes monétaires, tandis que l'inflation fera un retour remarqué.
On comprend que devant de telles perspectives, la bourgeoisie veuille freiner des quatre fers cet enfoncement dans la crise, car derrière l'effondrement du capital ce qui se profile c'est le développement de l'instabilité sur tous les plans : économique, politique, militaire et surtout social. Sa marge de manoeuvre se restreint au fur et à mesure que la crise s'approfondit et après avoir vu la faillite de toutes leurs théories, l'efficacité des mesures qu'ils ont préconisées s'user irrémédiablement, les savants économistes de la classe dominante guettent avec inquiétude le futur, ce qu'ils appellent eux-mêmes les "zones inexplorées de l'économie", avouant par là leur propre ignorance et impuissance.
La bourgeoisie n'a plus de politique économique à proposer, de plus en plus ce sont des mesures au jour le jour qui s'imposent. La bourgeoisie navigue à vue pour tenter de retarder la catastrophe et de sauver les meubles. Le fait que sa marge de manoeuvre se restreigne ne signifie pourtant pas que celle-ci n'existe plus et à un certain point de vue, le rétrécissement même de sa marge de manoeuvre pousse la classe dominante à développer son intelligence manoeuvrière. Cependant, toutes les mesures prises, si elles retardent les échéances, les reportent dans le futur, permettent un ralentissement des effets dévastateurs de la crise, contribuent à rendre ces échéances plus catastrophiques, à accumuler les contradictions propres du capitalisme, créant une tension chaque jour plus proche du point de rupture.
Le système financier international est un bon exemple de cette situation et des contradictions dans lesquelles se débattent les théoriciens et les gestionnaires du capital. Si la politique de crédit facile et de dollar pas cher menée dans les années 70 a permis, en absorbant une part du surplus produit, de reculer les échéances tout en assurant la suprématie du dollar, elle se traduit aujourd'hui par une montagne de dettes dans le monde entier, que de plus en plus d'Etats, d'entreprises, de particuliers, avec le développement de la récession depuis le début des années 80, sont aujourd'hui incapables de rembourser. Le vent de panique qui a soufflé sur les différentes places financières du monde durant l'hiver 1981-82 devant l'incapacité des pays du tiers-monde à rembourser leurs dettes de 800 milliards de dollars, n'a pu être calmé que par l'intervention des grands organismes de prêt internationaux, tels que la Banque Mondiale et le FMI qui ont imposé aux pays les plus endettés des programmes d'austérité draconiens comme condition à l'obtention de nouveaux crédits qui, s'ils ne permettaient pas le remboursement de la dette globale, en maintenant le paiement des intérêts, ont permis aux banques de souffler en attendant les résultats concrets des plans d'austérité mis en place précipitamment. .
Cependant, si la crise a été évitée, la fragilité du système monétaire international n'en a pas moins continué réellement à se développer. La faillite de la Continental Illinois en 1983, qui a fait les prêts les moins faibles, a obligé l'Etat américain à intervenir rapidement pour mobiliser les 8 milliards de dollars destinés à combler le trou et éviter une .réaction en chaîne dans le système bancaire américain qui aurait pu mener, là encore, à une crise majeure. Malgré la reprise américaine, ces dernières années ont connu un nombre de faillites record de banques américaines, et ce sont ainsi une centaine de faillites qui sont encore prévues en 1985 avec le ralentissement de l'économie américaine.
Mais si l'endettement des pays du tiers-monde est important, il n'est rien comparé aux 6000 milliards de dette accumulés par l'Etat, les entreprises et les particuliers aux USA. On peut comprendre que Volker, président de la banque fédérale puisse dire que "l'endettement est un revolver pointé sur l'économie américaine".
La crise du secteur agricole américain, qui a vu sa compétitivité sur le marché mondial anéantie par la hausse du dollar, s'est directement traduite par des faillites en série des caisses d'épargne agricoles où, pour la première fois depuis 1929, les queues d'épargnants paniques se sont allongées devant les banques fermées. L'intervention fédérale a permis d'éviter une panique plus grande, mais aujourd'hui c'est l'organisme fédéral de prêts aux agriculteurs, la Farmer Bank, qui est au bord de la faillite avec un trou de plus de 10 milliards de dollars que l'Etat va devoir conibler. Le simple ralentissement de 1'économie américaine au premier semestre 85 s'est traduit pour la deuxième banque américaine, la Bankamerica, par des pertes énormes au second trimestre 85 : 338 milliards de dollars. A ce rythme l'Etat fédéral risque d'avoir de plus en plus de difficulté à combler les trous béants qui s'ouvrent dans les comptes des banques américaines, et cette situation porte en germe la banqueroute de tout le système financier international, avec au coeur de cette banqueroute le dollar. La spéculation qui a porté le dollar vers des sommets risque de se retourner contre lui, accentuant encore le mouvement de yoyo qui, en six mois, de mars à août 85, a vu le dollar passer de 10,60 F à 8,50 F et qui a déjà mis bien à mal l'équilibre du système bancaire international.
L'IRRESISTIBLE RETOUR DE L'INFLATION
On comprend, dans ces conditions, l'inquiétude qui s'empare des capitalistes avec le ralentissement de l'économie américaine et la récession mondiale aggravée qui se profile à l'horizon et qui signifie pour les banques - avec des millions d'ouvriers mis au chômage, des milliers d'entreprises en faillite et de nouveaux Etats en cessation de paiements, qui ne pourront payer leurs dettes - une aggravation dramatique de leur situation. Les contradictions du capital sur le plan financier vont devenir explosives et risquent de se traduire par des crises de panique des capitalistes spéculateurs sur le marché financier mondial - surtout parce que le système bancaire international est indissolublement lié au système monétaire international, centré sur le dollar - par des tempêtes monétaires qui manifesteront le retour en force de l'inflation.
Celle-ci, même si elle a diminué, n'a certainement pas disparu;et si l'on considère que l'inflation des années 70 a été réduite essentiellement grâce à la chute des cours des matières premières qui, à part le pétrole, ont vu leur indice passer de 100 en 1980 à 72 en 1985-c'est-à-dire une chute de 28%-et grâce à une baisse des coûts de production consécutive à l'attaque contre les salaires et aux licenciements, son maintien même à un niveau plus faible dans la première moitié des années 80 montre a contrario le poids accru des pressions inflationnistes liées à la dette énorme et au poids des secteurs improductifs (notamment l'armée et la police) et des secteurs déficitaires, mais stratégiques que chaque Etat doit financer. Donc, même sur le plan de l'inflation, dans la réalité,la situation est loin de s'être améliorée et les pressions inflationnistes sont bien plus fortes aujourd'hui qu'elles ne l'ont jamais été dans les années 70, c'est-à-dire qu'un retour de l'inflation signifie bien plus rapidement que par le passé une tendance vers l'hyper inflation.
Si les années 70 ont montré la capacité de la bourgeoisie de reporter les effets de la crise à la périphérie du capitalisme, les années 80 montrent qu'aujourd'hui cela n'est plus suffisant pour permettre aux économies les plus développées d'échapper au marasme et à la récession. De plus en plus, les contradictions du capitalisme tendent à se manifester à un niveau central, à se polariser autour du roi dollar et de l'économie américaine qui en est la garante et dont de plus en plus l'ensemble de l'économie mondiale est dépendante. C'est pourquoi aujourd'hui les yeux des capitalistes du monde entier sont fixés au jour le jour sur les résultats obtenus par l'économie américaine ; de sa santé dépend la stabilité économique et monétaire du monde entier.
C'est pourquoi, avec les premiers signes annonciateurs du ralentissement de son économie, Washington a sonné le branle-bas pour résorber le déficit budgétaire, alléger l'endettement de l'Etat, et résorber le déficit commercial en restaurant la compétitivité de l'économie américaine. Mais une telle politique ne peut se faire qu'au détriment des exportations des industries européennes et japonaise qui ont profité de la relance américaine et du déficit commercial du plus grand marché du monde, relançant ainsi la guerre commerciale entre les pays les plus développés ; cependant, les USA, par leur puissance économique et militaire et parce qu'ils contrôlent le dollar, ont les moyens de détourner à leur profit les règles du marché pour imposer leurs diktats avec en plus le chantage protectionniste.
La baisse de 20% du dollar ces derniers mois a pour but premier de restaurer la compétitivité de l'économie américaine qui avait été sérieusement entamée (de 40% depuis 1980) par les hausses précédentes, afin de restaurer sa balance commerciale. Cependant, une telle mesure ne peut avoir que deux résultats :
- d'une part, plonger l'Europe et le Japon dans la récession en leur fermant le marché américain et en concurrençant leurs exportations dans le monde entier ;
- d'autre part, un retour de l'inflation dans la mesure où cette baisse du dollar est en fait une dévaluation, ce qui va surenchérir le cours des produits importés vendus sur le marché américain. La tentation est extrêmement forte pour les capitalistes américains de laisser chuter le dollar et se développer l'inflation, car c'est encore le meilleur moyen de rembourser leurs dettes en monnaie de singe après avoir engrangé des capitaux en provenance du monde entier.
Maintenir à flot l'économie américaine est une nécessité vitale pour éviter une catastrophe économique planétaire. Cependant, cela ne peut se faire qu'au détriment des principaux alliés des USA au sein de leur bloc.
Pourtant, dans la mesure où l'Europe et le Japon sont des pièces indispensables du puzzle impérialiste du bloc occidental et devant l'instabilité sociale qui ne peut que se développer en Europe - première concentration prolétarienne de la planète dont la classe ouvrière depuis l'automne 83 est au coeur de la reprise internationale de la lutte de classe qui continue à se développer - la bourgeoisie ne peut qu'être extrêmement prudente et essayer de ralentir au maximum les effets de la récession pour parvenir à contrôler la situation. C'est pour cela que Reagan parle d'un atterrissage "en douceur" de l'économie américaine et invite les capitalistes européens et japonais en même temps qu'il leur demande des concessions économiques (ouverture de leurs marchés, limitation de leurs exportations aux USA, internationalisation du yen afin d'épauler le dollar et d'affaiblir la compétitivité de 1'industrie japonaise en réévaluant sa monnaie) à faire la même politique que celle menée ces dernières années par les USA, c'est-à-dire une politique de déficit budgétaire et d'endettement afin de combler les effets néfastes de la chute de leurs exportations sur leur activité économique. Mais l'Europe et le Japon ne sont pas les USA et une telle politique ne peut se faire sans développer rapidement l'inflation, c'est-à-dire qu'aujourd'hui Washington prône l'inverse de la politique imposée cinq ans auparavant.
Cependant, même si la bourgeoisie parvient à ralentir le mouvement, ce freinage est de moins en moins efficace et les années 80 sont d'abord marquées par une accélération de la crise et des à-coups de plus en plus graves de l’économie mondiale. Si les années 80, dans leur première moitié, ont été marquées par l'enfoncement dans la stagnation et la récession avec une baisse de l'inflation, la deuxième moitié de la décennie va être marquée à la fois par une nouvelle plongée dans la récession qui va toucher de plein fouet les économies les plus développées et un retour en force de l'inflation que la bourgeoisie croyait avoir jugulée, dans une situation d'instabilité économique et monétaire grandissante qui va culminer dans des crises aiguées caractérisant l'accélération des effets dévastateurs de la crise.
J.J.
Après la crise qui a traversé le milieu révolutionnaire au début des années 80 ([1] [9]), l'avant-garde politique du prolétariat montre à nouveau des signes d'une force nouvelle. L'une de ses expressions les plus évidentes est l'apparition d'un certain nombre de groupes évoluant vers une cohérence communiste. Quelques exemples :
- en Belgique, l'apparition de RAIA ([2] [10]) dans un processus de rupture avec l'anarchisme ; en Autriche, l'apparition d'un cercle de camarades qui ont rompu avec Kommunistische Politik à cause de son académisme et qui évolue vers des positions révolutionnaires plus conséquentes ;
- en Argentine, le développement de groupes comme Emancipacion Obrera et Militancia Clasista Revolucionaria, qui semblent proches du Groupe Communiste Internationaliste (GCI), mais ont également eu des contacts avec d'autres groupes ([3] [11]) ;
- au Mexique, le développement du Colectivo Comunista Alptraum et la publication du premier numéro de sa revue Comunismo ([4] [12]).
Un des développements les plus importants est peut être celui qui est en train d'avoir lieu en Inde. Le but de cet article est de présenter, à grands traits, les origines et la trajectoire du milieu là-bas, en se basant sur ses publications, la correspondance et sur un récent voyage d'une délégation du CCI en Inde.
LE SURGISSEMENT DE REVOLUTIONNAIRES A LA PERIPHERIE DU CAPITALISME
Avant de parler des groupes spécifiques du milieu indien, il est nécessaire de faire quelques remarques sur le fait que la majorité de ces nouveaux groupes est apparue dans des pays périphériques du capitalisme. Dans le prochain numéro de la Revue Internationale, nous critiquerons la position du Bureau International pour le Parti Révolutionnaire (BIPR) qui défend que dans ces régions où les institutions démocratiques et Syndicales ont moins d'emprise sur la vie sociale, les conditions pour un développement "massif" des organisations communistes sont "meilleures". Le GCI exprime le même genre de préférence "exotique" quand il dénonce sans cesse ce qu'il appelle le "soi-disant milieu révolutionnaire" qui ignorerait l'apparition de révolutionnaires à la périphérie (une contre-vérité flagrante comme on le verra par le contenu même de cet article).
Le surgissement de groupes révolutionnaires en Inde et en Amérique Latine est certainement l'expression de la portée internationale de la présente reprise de la lutte de classe et confirme - à rencontre de toutes les théories gauchistes sur la nécessité de révolutions!"démocratiques" dans les pays "dominés"- l'unité des tâches communistes auxquelles doit s'affronter le prolétariat. Mais cela ne prouve pas que la conscience communiste soit plus profonde ou plus étendue dans la périphérie que dans les métropoles et que, en conséquence (bien que ceci ne soit pas toujours clairement conclu) la révolution y soit plus à portée de main.
Pour commencer, nous devons nous rappeler que le point de vue du BIPR ou d'autres est déformé par l'incapacité à distinguer entre l'apparition d'authentiques groupes révolutionnaires et la "radicalisation" des groupes gauchistes, comme sa malheureuse alliance avec le Parti Communiste d'Iran et Revolutionary Proletanan Platform (RPP) d'Inde l'a montré. Deuxièmement, cette version revue et corrigée de la théorie du "maillon le plus faible" de Lénine, se base sur un empirisme très étroit qui se fixe sur les faits immédiats et n'arrive pas à situer l'émergence de ces groupes dans le contexte historique de la reprise générale de la lutte de classe qui a commencé en 1968, et qui constitue l'arrière-plan des différentes vagues de luttes caractérisant cette période. Une fois qu'on a saisi ce contexte, il apparaît clairement que ces groupes surgissent dix à vingt ans plus tard que ceux des métropoles -la plupart de ceux-ci étant sortis de la première vague de combats de classe en 1968-74. Et, troisièmement, s'il y a un important aspect de spontanéité dans l'apparition d'éléments à la recherche de positions de classe, nous ne devrions pas avoir à dire à des groupes comme le BIPR que cette spontanéité est insuffisante, qu'il y aurait peu de chances pour que ces groupes trouvent une cohérence communiste solide s'il n'y avait pas l'intervention des groupes d'Europe occidentale qui ont un rapport plus direct avec les traditions de la Gauche communiste. Il apparaîtra clairement à travers cet article que, plus les groupes en Inde se sont ouverts au milieu politique international, plus ils ont été capables de développer pleinement une pratique communiste.
Il est extrêmement dangereux de sous-estimer les difficultés et problèmes auxquels sont confrontés les révolutionnaires dans les pays sous-développés:
- problèmes "physiques" posés par l'isolement géographique par rapport au principal coeur du mouvement prolétarien; les barrières linguistiques (y compris l'analphabétisme) ; la pauvreté matérielle ; des choses que les révolutionnaires à l'ouest considèrent comme acquises aujourd'hui en tant qu'outils de leur intervention - machines à écrire, téléphone, ronéos, voitures, etc.- sont bien moins accessibles aux groupes dans des pays comme l'Inde ;
- profonds problèmes politiques créés précisément par la domination ouverte de l'impérialisme et l'absence de normes "démocratiques" qui rend la classe ouvrière de ces pays plus vulnérable en dernière analyse à la mythologie de la "libération nationale", de la "démocratisation", etc. Ceci rend à son tour encore plus difficile le combat des révolutionnaires de ces pays contre ces illusions, à la fois dans la classe et dans leurs propres rangs ;
- absence d'une tradition historique de la Gauche communiste dans la plupart de ces pays ; prédominance de déformations gauchistes, en particulier le stalinisme maoïsme, qui est capable de se parer de couleurs très "radicales" dans ces régions. Oublier toutes ces difficultés n'aidera pas l'évolution des camarades qui commencent un travail révolutionnaire malgré ces problèmes et contre eux. Il ne faut pas non plus sous-estimer le poids mort des idéologies plus traditionnelles dans ces pays : en Inde, par exemple, il est extrêmement difficile que des femmes participent au mouvement révolutionnaire.
EN INDE : LE DIFFICILE PROCESSUS DE RUPTURE AVEC LE GAUCHISME COMMUNIST INTERNATIONALIST
"Une organisation révolutionnaire est toujours indispensable, même dans une période de très grande défaite de la classe. Bien sûr, le rôle et l'impact changeants d'une organisation révolutionnaire dans une période de défaite de la classe ou de développement de la lutte de classe., ne peuvent être compris qu'avec les concepts de fraction et de parti. Aujourd'hui dans une période de crise mondiale accélérée et d'effondrement du capital et de révoltes de classe croissantes, tendant vers la confrontation avec l'Etat et s'ouvrant vers la révolution, le rôle des révolutionnaires devient de plus en plus important et décisif. Il est d'appeler au regroupement international des révolutionnaires et à la formation du parti révolutionnaire." (Lettre du Cercle de Faridabad au CCI, 11 janvier 1985).
La plupart des éléments qui constituent le milieu prolétarien en Inde, viennent .d'une rupture plus ou moins claire avec le gauchisme radical, facilitée par l'intervention directe des groupes du milieu international, en particulier le CCI et le BIPR. Mais comme le CCI l'a toujours souligné, l'avenir d'un groupe qui surgit de cette façon dépend en grande partie de la clarté de cette rupture, du degré de conscience atteint par les éléments impliqués en ce qui concerne leur provenance et combien ils ont à avancer. Le groupe en Inde qui a fait la rupture la plus complète avec le gauchisme est celui qui, par ses positions et son attitude politique, est le plus proche du CCI : Communist Internationalist (CI).
Comme nous l'avons écrit dans la Revue Internationale n° 42, un certain nombre de camarades de CI étaient auparavant impliqués dans la politique gauchiste radicale, et, plus récemment, dans Faridabad Workers News, journal militant et syndicaliste dans un important centre industriel près de Delhi.
En Inde, comme dans beaucoup de pays sous-développés, les syndicats se conduisent habituellement d'une façon si ouvertement anti-ouvrière (corruption, tabassage des ouvriers combatifs, etc.) que les ouvriers leur sont souvent profondément hostiles, tout comme vis-à-vis des partis de gauche auxquels ils sont liés (PC d'Inde, PCM d'Inde, etc.). Une anecdote pour l'illustrer : voyageant en train de Delhi au Bengale occidental, les camarades du CCI et de CI, sont entrés en discussion avec des cheminots qui les avaient invités dans leur wagon de travail ; après quelques minutes de conversation générale, et sans que le CCI et CI n'aient poussé dans ce sens, ces ouvriers (qui avaient participé à la grande grève des chemins de fer en 1974) ont commencé à dire que tous les partis de gauche étaient bourgeois, tous les syndicats des voleurs, et que seule la révolution pourrait changer les choses pour les ouvriers. De telles attitudes, qui sont assez répandues en Inde aujourd'hui, ne veulent pas dire que la révolution est imminente, car les ouvriers ont de grandes difficultés à voir comment transformer leurs désillusions en une lutte active contre le capital. Mais elles indiquent l'étendue de" l'antipathie ouvrière envers les syndicats et les partis de gauche. Ceci explique toute l'importance en Inde des formes très radicales de gauchisme qui sont tout à fait capables de dénoncer les syndicats et la gauche comme agents de la bourgeoisie -afin d'enfermer les ouvriers dans une variété plus extrême de la même chose. A Faridabad même, il y a eu toute une série de luttes durant lesquelles, après la mise à nu de la réelle fonction d'un appareil parti/syndicat un autre, au langage plus à gauche, est intervenu pour combler la brèche. Le cercle de Faridabad a fait de nombreux tournants avant d'arriver au moment où le Faridabad Workers Group était sur le point de former un syndicat ultra-radical dans certaines usines; Mais la lecture des publications du CCI sur la question syndicale lui a permis de se sortir de ce cercle vicieux. Et puisque cela s'est doublé d'un processus de clarification sur la question nationale, qui est une question de vie ou de mort pour un groupe prolétarien qui surgit à la périphérie, les camarades ont su s'orienter sur le difficile chemin de la rupture avec leur passé gauchiste.
A partir de l'effondrement du Faridabad Workers Group, un cercle de discussion a été formé qui s'est rapidement trouvé d'accord avec ce qu'il comprenait des positions et des analyses du CCI. Les camarades ont reconnu que la discussion n'était pas suffisante ni assez homogène avec le CCI pour envisager la possibilité d'une intégration rapide dans le courant ; mais la nécessité d'intervenir dans la lutte de classe, de défendre les positions révolutionnaires, a poussé les camarades à se former en un groupe qui, tout en étant encore engagé dans la clarification des positions et analyses fondamentales, puisse intervenir en publiant une revue, des tracts, etc. Ainsi naquit Communist Internationalist.
Dans les discussions avec CI, nous avons exprimé notre soutien à la décision d'évoluer du cercle de discussion au groupe politique, tout en soulignant que la priorité pour les camarades est l'approfondissement théorique et l'homogénéisation, ce qui veut dire que l'ensemble du groupe doit prendre connaissance, non seulement des positions du CCI, mais de l'histoire du mouvement ouvrier et des positions des autres groupes du milieu révolutionnaire. Mais dans la période actuelle, les révolutionnaires ne peuvent rester silencieux même quand leur compréhension des positions de classe n'en est qu'au stade initial. CI continuera donc à intervenir avec des tracts, une présence dans les importants moments de la lutte de classe ; il maintiendra la publication de Communist Internationalist en hindi et afin de rendre son travail plus accessible à la fois envers le milieu en Inde (où l'anglais est une langue plus répandue que l'hindi) et surtout le milieu international, il publiera un supplément en anglais à CI.
La perspective pour CI est l'intégration dans le milieu révolutionnaire. CI et le CCI sont pleinement conscients des problèmes qu'un tel processus contient.
Pour qu'ait lieu un regroupement solide et qu'il dure, c'est tout un travail organisationnel et politique qu'il faut réaliser. Il faut affronter les incompréhensions et les divergences existantes. Il n'y a rien de prédestiner ou d'automatique dans un tel processus. Mais nous sommes confiants que la convergence croissante de CI avec les positions du CCI, et en particulier concernant la nature du gauchisme, le milieu politique prolétarien et les dangers qui le guettent, fournit une base ferme et sure pour que le groupe achève sa rupture d'avec le passé gauchiste, et assume les énormes responsabilités qu'il porte en Inde et internationalement.
Comme c'est souvent le cas, le pas qu'a fait le cercle de Faridabad en formant CI, ne l'a pas été sans prix : la scission d'un camarade qui avait joué un rôle déterminant dans la rupture' initiale avec le gauchisme et qui, du coup, a formé de son côté un petit cercle. Les raisons de cette scission ont été pendant longtemps obscurcies par des questions "personnelles", mais à partir de ses interventions dans la situation qui avaient pour but d'apaiser les tensions d'une scission injustifiée ou, au moins, de faire ressortir les divergences réelles, le CCI considère maintenant que la question essentielle était la suivante : CI, avec toutes ses faiblesses et son immaturité, a compris qu'il ne pouvait rien faire sans un cadre collectif pour homogénéiser le groupe, et qu'il devait commencer au minimum à assumer des tâches d'intervention politique dans la classe. Les conceptions du camarade scissionniste, par contre, exprimaient une plus grande difficulté à rompre avec des attitudes gauchistes. Son argument selon lequel CI n'était pas un groupe politique parce qu'il n'y avait pas d'homogénéité suffisante en son sein, se basait en réalité, d'un côté sur un élitisme gauchiste classique qui juge individuellement les camarades comme étant fixés pour toujours à un niveau plus ou moins grand de compréhension, et ne voit pas comment la conscience peut avancer à travers un processus de discussion collective ; et, de l'autre, comme c'est souvent Je cas avec des camarades en réaction à un passé dans l'activisme gauchiste, sur une approche académique qui ne saisit pas les rapports entre l'approfondissement théorique et l'intervention pratique. Ceci s'est exprimé, par exemple, par une tendance à se fixer sur la théorie de la décadence de Rosa Luxemburg, sans en voir les implications militantes pour les révolutionnaires aujourd'hui.
L'académisme apparaît de nos jours comme un aspect du poids de l'idéologie conseilliste, de la sous-estimation de la nécessité d'une organisation de combat politique dans la classe. Si CI avait suivi les orientation du camarade scissionniste, il aurait indéfiniment | repoussé son travail d'intervention. Nous regrettons cette évolution car ces camarades auraient pu faire une importante contribution au travail de CI. Mais nous pensons que ces camarades vont devoir passer par un processus d'échecs amers avant de pouvoir comprendre l'erreur qu'ils font.
Ce n'est pas par hasard que la question du travail Collectif a été si centrale dans cette scission. Nous considérons que CI, par son évolution vers une conception conséquente de l'organisation, l'intervention et le milieu politique, va jouer un rôle clé au sein de ce milieu, grâce à la défense non seulement des positions communistes, mais aussi par son approche globale du processus de discussion et de clarification. Ceci s'est exprimé après plusieurs jours de discussion avec la délégation du CCI, par l'un des camarades de CI qui pendant des années a été impliqué dans des groupes maoïstes. Pour lui, l'une des preuves les plus évidentes qu'il n'y a pas de terrain commun quel qu'il soit entre le gauchisme et la politique révolutionnaire était justement le contraste total entre les "discussions" bidon qui ont lieu dans un groupe gauchiste, basées sur la vieille division bourgeoise du travail entre ceux qui pensent et ceux qui font, et l'effort de clarification réellement collectif, où tous les camarades doivent prendre position et développer leurs capacités politiques et organisationnelles dans le contexte de responsabilités centralisées et clairement définies. La défense de cette vision de l'organisation contre le point de vue hiérarchique hérité du gauchisme ainsi que les névroses anti-organisationnelles du conseillisme, sera une tâche primordiale des groupes révolutionnaires en Inde.
LAL PATAKA
Le CCI est peut-être le pôle international de référence le plus clair pour les révolutionnaires, mais il n'est pas le seul. Depuis l'effondrement du PCI (Programme Communiste), le BIPR dont les positions tendent à être à mi-chemin entre le CCI et le bordiguisme a développé une présence internationale, d'une façon cependant très marquée par l'opportunisme ([5] [13]).
En Inde, à peu près en même temps que se formait CI, une scission avait lieu dans le groupe gauchiste radical Revolutionary Proletanan Platform (RPP) qui avait été critiqué à la fois par les positions du CCI et du BIPR. Le camarade responsable de la publication du journal bengali du RPP, Lal Pataka (Drapeau Rouge), était expulsé de l'organisation après avoir appelé le RPP à se restructurer conformément aux positions fondamentales du BIPR.
Avant de décrire les discussions entre le CCI et Lal Pataka, nous voulons rappeler notre position sur le RPP.
Quand nous avons reçu pour la première fois les publications en anglais du RPP, nous n'étions pas entièrement clairs sur le fait de savoir si c'était une tentative de rompre avec le gauchisme, ou bien un autre groupe stalinien radical comme le PC d'Iran. Ces incertitudes ont persisté dans l'article sur le milieu en Inde dans World Révolution n°77 qui, tout en étant plus clair sur la nature bourgeoise du RPP, fait encore certaines concessions à la notion de "mouvement d'éloignement du gauchisme" de la part de ce groupe. Mais en s'appuyant sur nos propres discussions internes sur l'opportunisme et le centrisme([6] [14]) et en ayant une meilleure connaissance de l'histoire et des positions du RPP (en grande partie due au travail des camarades de CI), nous avons pu juger plus clairement ce groupe. Comme le dit la résolution du 6ème Congrès du CCI sur l'opportunisme : ".le passage collectif d'un organisme politique déjà structuré ou en formation dans les partis existant ne peut obligatoirement se produire que dans un sens unique : des partis du prolétariat à la bourgeoisie et jamais dans le sens contraire : des partis bourgeois au prolétariat." (Revue Internationale n° M, p. 17)
En effet, un bref survol de la préhistoire du RPP montre clairement que ce groupe a toujours été un "organisme politique déjà structuré" de la bourgeoisie. Au début de la 2ème guerre mondiale s'est formé le Parti Socialiste Révolutionnaire (RSP) d'Inde, en rupture avec le Parti Communiste d'Inde, mais pas du tout sur une base prolétarienne : au contraire, la politique du RSP était de se battre pour la "libération nationale" de l'Inde en s'alliant avec les ennemis de la Grande-Bretagne, l'impérialisme allemand et japonais. L'intégration ouverte du RSP dans des gouvernements de gauche de l'Inde "indépendante" a mené à une scission en 1969, faisant naître le RSPI (ML) qui se caractérisait par certaines positions apparemment radicales (dénonciation de la Chine, de la Russie, des PC, et même des syndicats comme capitalistes), mais qui n'a jamais critiqué les origines nationalistes du RSP. Le RPP s'est formé au début des années 80 à partir d'une scission dans le RSPI (ML), non pour défendre des positions de classe, mais en réaction aux "déviations ultra-gauchistes" du RSPI (ML) (pour citer le RPP lui-même dans Proletanan Emancipation, décembre 85). Le RPP se définit en particulier depuis le début comme un loyal défenseur des syndicats en tant qu'organisations de base des ouvriers et ne s'est jamais éloigné de là : de façon significative, la question syndicale était au coeur de la scission avec Lal Pataka. Le RPP n'a pas mis en question non plus le passé nationaliste du groupe ni le dogme du "droit des nations à disposer d'elles-mêmes". Toute la trajectoire du RPP et de ses ancêtres exprime donc des moments de la radicalisation du gauchisme, mais jamais une rupture qualitative avec son point de départ bourgeois.
La rencontre du RPP avec des groupes du camp prolétarien ne l'a pas dévié de sa trajectoire. Si le BIPR, répétant les erreurs déjà faites avec les gauchistes iraniens, a persisté, en se rapportant au RPP comme s'il était un groupe prolétarien confus, le RPP lui-même est, d'une certaine façon, plus conscient du fait qu'il n'a rien à voir avec le mouvement communiste. Malgré les protestations du BIPR comme quoi le RPP ne doit pas le confondre avec le CCI, le RPP a maintenant dénoncé publiquement les deux organisations comme "anarchistes petites-bourgeoises" et s'est identifié au niveau international avec le PC d'Iran et les "ex"-maoistes américains de l'organisation Pour un Parti Ouvrier Marxiste-Léniniste. De plus, le tableau décrit dans la Revue Communiste n°3 du BIPR de la désintégration du RPP sous l'impact des positions du Bureau, semble complètement fausse. C'est vrai que Lai Pataka (qui, de façon significative, existait avant de rejoindre le RPP et a toujours eu une certaine autonomie) est parti pour défendre des positions prolétariennes, mais ce départ n'a pas eu pour résultat l'effondrement du RPP qui, dans la mesure de ce que nous croyons savoir, a encore plusieurs centaines de membres et une certaine implantation dans l'appareil syndical (une autre petite scission qui a eu lieu en même temps que celle de Lal Pataka s'est faite sur une base entièrement gauchiste, puisque ces éléments veulent défendre la position du PC d'Iran sur la "révolution démocratique" et s'opposent ouvertement aux positions de la Gauche communiste, comme on l'a découvert en les rencontrant).
Dans nos discussions avec Lal Pataka, il est devenu clair qu'il était déjà au delà de la position du BIPR et de sa propre position précédemment exprimée dans le dernier texte de Lal Pataka au sein du RPP (publié dans la Revue Communiste n°3) où il appelait le RPP à adopter la plate-forme du BIPR. Nous avons souligné l'ambiguïté de ce texte et du fait que ce n'est pas Lal Pataka qui a quitté lui-même formellement le RPP, mais qu'il a été "suspendu" sur la base de différentes accusations organisationnelles inventées de toutes pièces. Nous avons insisté sur la nécessité d'une prise de position claire dans le prochain numéro du journal, dénonçant le RPP comme gauchiste (comme il le caractérise maintenant) et expliquant la rupture avec lui. Nous avons argumenté que le nom du journal devait changer afin de montrer cette totale rupture de continuité.
L'une des conséquences positives des discussions avec Lal Pataka s'exprime dans une lettre écrite au CCI :
"Nous préparons une déclaration sur les positions actuelles de Lal Pataka au Bengale qui définira clairement notre rupture totale avec le gauchisme ; nous n'avons pas d'hésitation sur le fait que ce qui reste du RPP est un groupe capitaliste de gauche. ..Bien qu'il soit un groupe éclectique en transition politique, le RPP a eu au moins un aspect positif dans son attitude quand il a déclaré faire un projet de plate-forme qui... pouvait être changé de façon adéquate et amélioré à travers des discussions et 1'analyse des conditions matérielles objectives qui prévalent en Inde et à 1'échelle mondiale...Cependant en réalité, la majorité du Comité central du RPP a refusé de confronter les implications politiques et organisationnelle de l'accomplissement d'une rupture avec la contre-révolution... Aussi ce qui reste du RPP n'est qu'une fraction de la gauche capitaliste dont 1'inévitable résultat est 1'éclatement de l'organisation elle-même. Lal Pataka reste dans sa préhistoire, 1'histoire du capitalisme de gauche". (28 décembre 1985).
Dans notre réponse à Lal Pataka, nous avons salué l'intention de publier une prise de position définissant le RPP comme un "groupe capitaliste de gauche". D'un autre côté, comme nous le soulignons dans notre réponse, les formulations de Lal Pataka contiennent un certain nombre de confusions '."Quand vous dites: 'Bien qu'il soit un groupe éclectique en transition politique, le RPP a eu au moins un aspect positif dans son attitude', etc. Vous évitez la question de la nature bourgeoise de ce groupe dès le début. Le RPP n'a pas commencé son existence comme une rupture, même confuse, même éclectique du gauchisme. En tant que groupe gauchiste bien structuré avec une certaine implantation dans l'appareil syndical, il ne pouvait, par définition, être 'en évolution' vers autre chose que vers une forme de gauchisme plus radical". "En parlant de 'ce qui reste du RPP',vous donnez 1'impression que ce n'est que maintenant que le RPP peut être clairement défini comme gauchiste. En fait, après votre départ, ce n'est pas 'ce qui reste du RPP', mais le RPP."(4 février 1986).
Néanmoins, cette discussion a été fructueuse parce qu'elle pose une question vitale à tout le mouvement révolutionnaire : la nécessité d'une méthode cohérente pour appréhender les rapports et les distinctions entre organisations bourgeoises et prolétariennes. Les discussions entre Lal Pataka, CI et le CCI ont eu lieu dans une atmosphère fraternelle. Nous avons été capables de parler de façon constructive sur la Conférence proposée des éléments révolutionnaires qui surgissent, dans la préparation de laquelle Lal Pataka a joué un rôle galvaniseur. Nous pensons que ces discussions indiquent la possibilité de surmonter le sectarisme, de confronter les divergences dans un contexte de solidarité fondamentale de classe. Pas un instant, nous n'atténuons notre critique de l'opportunisme et du confusionnisme quand ils apparaissent dans le camp prolétarien ; mais nous ne devons pas non plus oublier l'unité d'intérêts sous-jacente entre les différents composants du mouvement révolutionnaire, parce qu'à la racine cette unité exprime l'indivisibilité des intérêts du prolétariat comme un tout.
MA3DOOR MUKTI
Au travers de Lal Pataka, nous sommes entrés en contact avec un autre groupe : Majdoor Mukti (Emancipation ouvrière), qui est apparu récemment de manière plutôt "spontanée", rompant avec le milieu gauchiste, essentiellement sur la question du parti et de la conscience de classe. Dans un environnement politique dominé par la version gauchiste du point de vue "léniniste" sur l'organisation, il est vraiment significatif qu'un groupe apparaisse avec, dans ses déclarations de principes, des positions telles que : "Contre les tentatives de remplacer le rôle de la classe ouvrière dans sa propre émancipation par différentes sortes de soi-disant agents libérateurs, les communistes doivent défendre de manière claire que l'émancipation de la classe ouvrière ou la construction du socialisme sont impossibles sans l'activité consciente des masses prolétariennes ." Ou encore :
"Contre l’usurpation et la monopolisation du pouvoir politique par de soi-disant partis communistes et désignant ce pouvoir comme pouvoir prolétarien, les communistes doivent carrément déclarer que le pouvoir du parti ne peut jamais être synonyme du pouvoir ouvrier. .".
En fait, parmi les sept principes de base élaborés dans la déclaration, au moins cinq sont des critiques des conceptions substutionnistes. Bien que cela exprime une saine préoccupation du besoin d'auto-organisation ouvrière, c'est encore un déséquilibre qui démontre -dans un pays sans tradition conseilliste- l'immense pression du conseillisme aujourd'hui sur le mouvement prolétarien. De plus, les fixations conseillâtes ne représentent pas un barrage contre le gauchisme, au contraire. A partir, de la déclaration du groupe et de nos discussions avec eux, il est clair que le groupe ne voit pas les frontières de classe entre le gauchisme et le mouvement prolétarien, une difficulté renforcée par ses confusions entre le substitutionnisme (une erreur au sein du camp prolétarien) et la nature anti-prolétarienne de la gauche capitaliste ; bien qu'il insiste sur le fait que "le socialisme n'a pas encore été réalisé dans une partie du monde quelle qu'elle soit" , il hésite à définir la Russie, la Chine, etc. comme des Etats capitalistes ; et en n'ayant pas une claire conception de la décadence, il reste extrêmement flou sur la nature des syndicats, du réformisme, etc.
Pour toutes ces raisons et d'autres encore, il est évident que la rupture du groupe avec le gauchisme est loin d'être complète. Mais nous' pourrions difficilement attendre plus d'un groupe qui initialement est apparu sans référence directe aux forces communistes existantes. Ce qui nous permet d'espérer que ce groupe rejette ses influences gauchistes et conseillâtes, c'est sa confiance dans les capacités révolutionnaires de la classe ouvrière ; son rejet du nationalisme et son insistance sur les tâches internationales du prolétariat, sa défense du besoin d'organisation "communiste et d'un parti communiste, pour intervenir activement dans toutes les luttes de la classe ; et ce qui n'est pas le moindre, son attitude ouverte, sa volonté de discuter avec et d'apprendre des groupes révolutionnaires.
CONFERENCES DES REVOLUTIONNAIRES
L'émergence de ces groupes en Inde exprime un réel développement dans l'avant-garde du prolétariat. Il est absolument essentiel que les relations entre les différents composants du milieu soient établies sur une base organisée et sérieuse pour permettre la nécessaire confrontation des idées, pour permettre la coopération et la solidarité pratiques. Aussi, nous soutenons de tout coeur la proposition de Lal Pataka d'organiser une conférence pour ces éléments qui apparaissent.
Cependant dans l'incapacité d'assister à cette première rencontre, le CCI tient à marquer sa présence politique en envoyant une déclaration à la conférence :
- soulignant l'importance de la conférence en la situant dans la période actuelle. d'accélération de la crise et de la lutte de classe ;
- soutenant le choix du thème central : "les fondements et les implications de la décadence capitaliste", car une compréhension de la décadence est indispensable à l'élaboration des frontières de classe qui séparent le prolétariat de la bourgeoisie. En même temps, nous avons souligné la nécessité d'éviter les débats académiques et d'appliquer le concept de décadence aux développements présents de la réalité et aux tâches qui en résultent pour les révolutionnaires (en conjonction avec CI, le CCI a soumis à la conférence trois de ses textes déjà publiés sur la théorie des crises, la lutte prolétarienne dans la décadence et la situation internationale présente) ;
- appelant la conférence à adopter des critères pour une future participation suffisamment "large" pour la garder ouverte aux éléments prolétariens qui émergent mais suffisamment "étroite" pour exclure les gauchistes radicaux ;
- insistant sur le besoin pour la conférence de ne pas rester muette mais de prendre position au travers de résolutions communes, pour définir clairement les points d'accord et de désaccord ;
- défendant le besoin pour la conférence de s'ouvrir au milieu révolutionnaire international, particulièrement en publiant ses résultats en anglais ;
- en pointant le lien entre cette conférence et la nécessité d'un cadre international pour le débat entre révolutionnaires. Comme la déclaration le pose : "Bien que les Conférences de 1976-80 aient échoué sous le poids du sectarisme dominant dans le mi lieu, nous pensons que la résurgence de la lutte de classe et l'apparition de nouveaux groupes révolutionnaires dans de nombreux pays (Inde, Autriche, Mexique, Argentine, etc.) vient encore confirmer la nécessité d'un cadre international de discussion et d'activité au sein du milieu prolétarien. Même si un nouveau cycle de conférences internationales n'est pas encore une possibilité immédiate, la réunion en Inde, en brisant la fragmentation et le sectarisme, peut jouer son rôle dans le développement de nouvelles et fructueuses conférences à l'échelle internationale dans le futur".
Le développement du mouvement révolutionnaire en Inde peut donc être un facteur de vitalité dans l'ensemble du milieu international. C'est une confirmation de la promesse profondément contenue dans la période actuelle, un encouragement aux révolutionnaires partout, une claire indication du besoin pour les organisations révolutionnaires' des pays centraux d'assumer leurs responsabilités internationales. Pour sa part, le CCI n'a pas de doute sur le fait qu'il doit faire tout son possible pour soutenir et stimuler le travail de nos camarades de la "section en Inde" du mouvement prolétarien mondial.
MU.
[1] [15] Voir la Revue Internationale n° 32.
[2] [16] RAIA : BP 1724 1000 BRUXELLES 1
[3] [17] Lire "Le Communiste" n° 23.
[4] [18] Voir la Revue Internationale n° 44.
[5] [19] Voir Revue. Internationale n° 43, p. 17 : "Discussion : opportunisme et centrisme dans la classe ouvrière et ses organisations", et n° 44 : "Résolution adoptée sur l'opportunisme et le centrisme dans la période de décadence" (p. 16) et résolution rejetée sur "Le centrisme et les organisations politiques du prolétariat" (p. 18).
[6] [20] Voir Revue. Internationale n° 43, p. 17 : "Discussion : opportunisme et centrisme dans la classe ouvrière et ses organisations", et n° 44 : "Résolution adoptée sur l'opportunisme et le centrisme dans la période de décadence" (p. 16) et résolution rejetée sur "Le centrisme et les organisations politiques du prolétariat" (p.18).
Cet article est la première partie d'un chapitre portant sur le courant tribuniste hollandais jusqu'à la première guerre mondiale Le chapitre en question fait partie d'une étude critique d'ensemble du courant de la Gauche communiste germano-hollandaise.
La gauche hollandaise est fort mal connue. Traitée d'anarchiste par les défenseurs intéressés du capitalisme d'Etat russe ou chinois, ou d' "illuministe" et d'"idéaliste" par les bordiguistes plus "léninistes" que le roi, elle a été fort mal servie par ses zélateurs conseillistes. Ceux-ci ont vite "oublié" qu'elle avait mené le combat au sein de la 2ème puis de la 3ème Internationales ; qu'elle était un courant marxiste et non une secte anarchiste ; qu'elle était pour l'organisation et non anti organisation ; qu'elle faisait partie d'un courant international et qu'elle se refusait d'être une secte locale ouvriériste ou une espèce de club de propagande et d'études
Certes, la Gauche hollandaise, pour des raisons historiques, est restée moins connue que la Gauche italienne. Elle n'a pas connu -comme la Fraction italienne des années 30- l'émigration qui lui aurait permis de rayonner dans plusieurs pays Liée chair et sang à la Gauche allemande dans les années 20 et 30, elle s'est étiolée dans le cadre étriqué de la petite Hollande La majorité de ses contributions, écrites bien souvent en hollandais, n'ont pas connu une audience aussi grande que celles des gauches italienne et allemande. Seuls les textes de Pannekoek écrit en allemand et traduits en français et anglais, espagnol et italien peuvent donner un idée de l'apport théorique de cette fraction de la Gauche communiste internationale.
Cette première partie se propose de montrer les difficultés de surgissement du courant marxiste dans un pays qui restait dominé encore par le capital commercial, un capital parasitaire reposant sur l'exploitation de ses colonies. La croissance du prolétariat a été un processus long qui s'est surtout réalisée après la 2ème guerre mondiale et la décolonisation Pendant très longtemps, le prolétariat reste marqué par un environnement artisanal et un isolement dans une population encore agricole. D'où la force des idées et du courant anarchiste pendant très longtemps. Ce retard historique fait cependant contraste avec le développement très affirmé d'un vigoureux courant marxiste représenté par la Gauche, et qui se signale –à 1' image des bolcheviks dans la Russie paysanne- au sein de l'Internationale par une nette avance théorique, au point d'influencer directement le KAPD en Allemagne, lequel considérera toujours Pannekoek et Gorter comme ses théoriciens La Gauche hollandaise, malgré sa faiblesse –après la scission de 1909- sur le plan numérique, a un poids international énorme sur le plan théorique (question de l'Etat, conscience de classe, grève de masses). Au premier plan, avec Luxemburg et les bolcheviks, dans la lutte contre le révisionnisme, elle sera l'une des .pierres essentielles dans la formation delà future Gauche communiste internationale
Faire un bilan des apports et des faiblesses de la Gauche hollandaise, c'est contribuer au développement de la conscience de classe prolétarienne, qui est inséparablement liée à la mémoire critique de tout son passé révolutionnaire.
RETARD DU CAPITALISME HOLLANDAIS
Le poids politique de la Hollande dans le mouvement ouvrier international avant et après la première guerre mondiale apparaît démesuré eu égard au sous-développement industriel du pays et à la domination écrasante de l'agriculture. Pays classique de la révolution bourgeoise au XVIIe siècle, le royaume des Pays-Bas avait connu son plein essor sous la forme de capital commercial soutiré de ses colonies. L'âge d'or de la Compagnie des Indes orientales (Ost-Indische Kompagnie), qui exploitait l'Indonésie coïncidait avec la mainmise de l'Etat (1800) sur son fructueux commerce, tandis que le roi obtenait le monopole commercial d'Etat pour l'exploitation de cette colonie.
Grugée par le roi des profits des colonies, qui ne s'investissaient pas dans le secteur industriel mais de façon spéculative, la bourgeoisie hollandaise -malgré sa longue histoire- jouait encore jusqu'à la fin du XIXe siècle un rôle secondaire, aussi bien sur le plan économique que sur le plan politique. C'est ce qui explique son "radicalisme" verbal pendant cette période où elle végétait à l'ombre de l'Etat et l'enthousiasme chez certains pour le marxisme, enthousiasme qui disparut vite dès les premiers affrontements de classe au début du siècle. Comme en Russie, où la bourgeoisie libérale était encore faible, les Pays-Bas produisirent une variété locale de Struve, libéraux déguisés en marxistes "légaux". Mais à la différence de la Russie, les Struve hollandais finirent par l'emporter dans le Parti ouvrier social-démocrate. ([1] [23])
Le déclin de la bourgeoisie marchande dès la fin du XVIIe siècle, son incapacité à développer un capital industriel, la recherche de placements spéculatifs dans la terre, tous ces facteurs expliquent l'arriération économique des Pays-Bas au milieu du XIXe siècle. Ainsi, en 1849, 90 % du produit national hollandais provient de l'agriculture. Si 75 % de la population vit dans les villes, la majorité végète dans un état de chômage permanent et ne vit que des aumônes des possédants et des Eglises. En 1840, à Haarlem, ville de 20 000 habitants, 8 000 "pauvres" sont recensés, chiffre bien en deçà de la réalité. La dégénérescence physique de ce sous-prolétariat était telle que, pour la construction des premières lignes de chemin de fer, les capitalistes hollandais durent faire appel à la main-d'oeuvre anglaise. Dans son étude "Kapitaal en Arbeid in Nederland" ([2] [24]) la théoricienne socialiste Roland Holst notait que : "Depuis la deuxième moitié du XVIIIe siècle, notre pays était entré en décadence, puis dans un état de stagnation et de développement défectueux, anormalement lent. En l'espace de plusieurs générations, notre prolétariat dégénéra physiquement et spirituellement." Et Engels, dans le même sens, analysait les Pays-Bas du XIXe siècle comme "un pays dont la bourgeoisie se nourrit de sa grandeur passée et dont le prolétariat s'est tari" ([3] [25])
Ces caractéristiques historiques expliquent la lenteur du développement du mouvement ouvrier et révolutionnaire aux Pays-Bas. Le mouvement ouvrier fut au départ un mouvement d'artisans et d'ouvriers de petites entreprises artisanales, où les cigariers et les ouvriers diamantaires -qui formaient un prolétariat juif à Amsterdam- jouaient un rôle de premier plan. La classe ouvrière proprement "néerlandaise" -c'est-à-dire d'origine rurale- était encore au milieu du XIXe siècle extrêmement réduite. Le prolétariat était soit d'origine juive soit allemand. Cette particularité explique la réceptivité très grande au marxisme. Mais le caractère tardif du développement industriel, laissant subsister les traits archaïques du travail artisanal, simultanément, fit de la Hollande pendant plusieurs décennies une terre d'élection pour l'anarchisme.
Jusqu'en 1848, les mouvements sociaux restèrent très limités prenant la forme d'explosions de révolte qui en tant que telles ne pouvaient se donner des buts conscients. Les manifestations de chômeurs d'Amsterdam et la marche de la faim de La Haye, en 1847, n'étaient pas encore des expressions claires d'une conscience de classe ouvrière, en l'absence d'un prolétariat développé et concentré. Pendant la Révolution de 1848, les manifestations et les pillages de magasins à Amsterdam avaient été le fait d'un véritable lumpenprolétariat dont les actions désespérées étaient étrangères à un prolétariat devenu conscient, et donc organisé.
Les premières formes d'organisation du prolétariat en Hollande traduisent immédiatement la nature internationale du mouvement ouvrier naissant. En 1847, se crée un Club communiste d'ouvriers allemands qui déploie ses activités dans le prolétariat néerlandophone ([4] [26]). Un an plus tard, la Ligue des communistes, qui avait plusieurs sections aux Pays-Bas, pouvait introduire illégalement des exemplaires, tout juste sortis de l'imprimerie, de la première édition du "Manifeste communiste". Mais ces premiers pas du mouvement marxiste restèrent pendant plus de vingt années sans lendemain, en l'absence d'un véritable développement industriel qui ne se manifesta qu'à partir des années 70. La section de l'A.I.T. resta sous l'influence des idées anarchistes et syndicalistes, lorsque se forma en 1871 la Ligue ouvrière des Pays-Bas. En effet, en 1872, au congrès de La Haye, les délégués hollandais se rallièrent aux thèses de Bakounine.
C'est l'industrialisation naissante, favorisée par l'afflux de capitaux allemands, à la suite de la victoire de la Prusse sur la France, qui permet finalement la naissance du mouvement socialiste hollandais. En 1878 est fondée à Amsterdam l'Association social-démocrate (Sociaal-Democratische Vereeniging) qui va bientôt entraîner localement (La Haye, Rotterdam, Haarlem) le surgissement de groupes se fixant comme tâche la direction de la lutte de classe. Le regroupement de ces associations ouvrières prend le nom d'Union social-démocrate (Sociaal Democratische Verbond). Le terme d'union montre déjà toute l'ambiguïté d'une organisation qui va osciller entre le marxisme et l'anarchisme anti-centraliste. LA "SOCIAAL DEMOCRATISCHE BOND"
La personnalité qui va marquer à ses débuts le mouvement ouvrier hollandais est Domela Nieuwenhuis, un ancien pasteur converti au socialisme. A l'époque, Nieuwenhuis n'était pas encore anarchiste et menait de grandes campagnes pour le suffrage universel. L'activité de son mouvement consistait à diriger les grèves économiques et à favoriser l'édification de syndicats. La fondation en 1879 de la revue "Recht voor aile" -organe du Sociaal-democratische Bond (SDB) amena une grande agitation dans les groupes d'ouvriers. Son activité était multiple : diffusion de tracts dans les usines et les casernes, tâches d'éducation du prolétariat par des cours sur le marxisme ; manifestations et meetings contre l'armée, les Eglises, la monarchie, l'alcoolisme et la justice de classe.
Bientôt la répression allait s'abattre sur le mouvement ouvrier naissant. Nieuwenhuis fut arrêté et condamné à une année de prison. Pour la première fois de son histoire, la police commença à s'armer, aidée par l'intervention de l'armée "en cas de conflit". La police avait le droit d'être présente dans les réunions publiques, de les dissoudre et d'arrêter les orateurs socialistes.
Se considérant comme un disciple de Marx et d'Engels, Nieuwenhuis maintint pendant, longtemps des contacts épistolaires avec les théoriciens du socialisme scientifique. Ceux-ci, bien que suivant avec sympathie le développement du mouvement socialiste en Hollande, étaient très réservés sur les conceptions immédiatement "révolutionnanstes" de Domela Nieuwenhuis. Marx mettait en garde contre tout doctrinarisme qui chercherait à dresser des plans- sur "un programme d'action pour le premier jour après la révolution" ([5] [27]). Le bouleversement de la société ne pouvait être un "rêve de la fin du monde prochaine".
Au contraire, "la notion scientifique de la décomposition inévitable et constante du régime social existant, les masses de plus en plus exaspérées par des gouvernements qui incarnent les spectres du passé, et d'autre part le développement positif des moyens de production, tout cela nous garantit qu'au moment où la véritable révolution prolétarienne éclatera, modus operandi (toutes les conditions de son progrès immédiat (rien moins qu'idylliques, évidemment) auront été créées". ([6] [28])
Dans les années 80, Nieuwenhuis et le SDB ne rêvaient nullement d'un "Grand Soir", à la façon des anarchistes de l'époque qui faisaient abstraction de la maturation des conditions de la révolution. Comme les socialistes de son temps, Nieuwenhuis était convaincu de la justesse de la tactique parlementaire, comme tribune pour le mouvement ouvrier naissant. Très populaire parmi les ouvriers, mais aussi chez les petits paysans du Nord des Pays-Bas, il fut élu député en 1889. Pendant deux années, il proposa des réformes : sécurité sociale, indépendance des colonies, suppression du salaire en nature pour les ouvriers, réformes qui constituaient le "programme minimum" de la social-démocratie.
Mais bientôt, Domela Nieuwenhuis ne tarda pas à rejeter le parlementarisme, et devint le seul dirigeant social-démocrate antiparlementaire au sein de ia Ile Internationale nouvellement créée. Ce rejet du parlementarisme le rapprochait insensiblement des positions anarchistes. Cette évolution s'explique par l'essor de la lutte de classe au cours des années 90 aussi bien en Hollande que dans d'autres pays, et qui se traduit par une croissance numérique du mouvement ouvrier organisé. Sous la pression d'une- crise cyclique, qui se traduit par un développement du chômage, des troubles éclatent. Aux Pays-Bas, les ouvriers s'affrontent à la police, laquelle soutient des bandes de la pègre qui donnent l'assaut aux locaux du SDB. Dans ce climat, qui entretenait l'espoir d'une proche "lutte finale", Nieuwenhuis et les militants du SDB se mirent à douter de la tactique parlementaire.
FAUSSES REPONSES A L'OPPORTUNISME
Cette remise en cause du parlementarisme n'était pas le simple fait du parti hollandais. Les années 90 voient se développer aussi bien l'opposition anarcho-syndicaliste qu'une opposition dans la social-démocratie internationale qui nient toute activité de type parlementaire. La domination de la fraction parlementaire sur le parti, comme dans la social-démocratie allemande, les tendances opportunistes qu'elle véhicule, autant de facteurs qui expliquent la révolte d'une partie des nouveaux adhérents contre la direction du parti. Ceux qui se nommeront les "Jeunes" (Jungen) en Allemagne, et dont l'exemple se propagera dans d'autres pays comme la Suède et le Danemark, vont être à la pointe d'une contestation souvent ambiguë, en dénonçant les tendances réformistes gangrenant la direction parlementaire ([7] [29]), souvent de façon juste, mais en cédant progressivement à des tendances anarchisantes anti-organisation ([8] [30]). En fait, il s'agissait de savoir si la période était une période révolutionnaire, ou au contraire une période de croissance du capitalisme impliquant une activité immédiate dans les syndicats et dans les parlements.
Sur cette question, Nieuwenhuis et les "Jeunes" en Allemagne, ainsi que les anarchistes, cristallisaient une impatience petite-bourgeoise, d'autant plus vive qu'elle se nourrissait d'une opposition saine aux tendances réformistes.
En Hollande même, le débat sur la tactique à employer par le mouvement ouvrier allait être faussé par le fait que l'opposition à Nieuwenhuis était conduite dans le SDB autant par des réformistes avérés, comme Troelstra, que par des marxistes, comme Van der Goes, qui restaient fermement révolutionnaires. Le SDB ayant majoritairement décidé -par une résolution- en 1892, de ne pas participer aux élections, il se forma autour des futurs chefs révisionnistes de la social-démocratie (Troelstra, Van Kool, Vliegen) et des jeunes intellectuels qui venaient d'adhérer au parti une opposition parlementanste. Uniquement pour participer aux élections, qu'une récente loi avait modifiées dans Je sens de l'abolition du système censitaire, et sans chercher à convaincre la majorité, la minorité scissionna. Ainsi, dans la pire confusion et avec des arrière-pensées électoralistes, naissait en 1894 la social-démocratie hollandaise, le SDAP. Cette scission était non seulement confuse mais prématurée. La majorité du SDB devait en effet progressivement se rallier à 'la tactique de participation aux élections : ce qu'elle fit dans les faits, en présentant en 1897 des candidats. Cette nouvelle orientation rendait caduque l'existence séparée du SDB, dont les 200 adhérents décidaient en 1899 la fusion de leur parti avec celui de Troelstra. Cette fusion eut pour conséquence la sortie de Nieuwenhuis et de Cornelissen. Ce dernier, avec Nieuwenhuis, représentait la tendance anarchiste du SDB. A son instigation avait été créé le NAS, d'orientation plus syndicaliste révolutionnaire qu'anarchiste, en 1893. Ce petit syndicat radical jouera par la suite un grand rôle dans le mouvement ouvrier : non seulement il représentera une attitude militante dans la lutte de classe, à la différence du syndicat social-démocrate NVV créé par le SDAP et qui jouera un rôle de saboteur des grèves (cf. infra), mais il constituera progressivement l'organisation syndicale des Tribunistes puis celle du parti communiste ([9] [31]).
L'évolution de Nieuwenhuis vers les positions anarchistes n'enlève rien au fait qu'il demeure une grande figure du mouvement ouvrier international. Devenu anarchiste, il ne trahira pas la classe ouvrière, à la différence des chefs anarchistes comme Kropotkine qui trempèrent dans la guerre impérialiste ; il sera l'un des rares anarchistes à demeurer internationa-tionaliste ([10] [32]). Il n'en demeure pas moins nécessaire de voir toutes les limites de l'apport de Nieuwenhuis, puisque ce dernier est devenu pour beaucoup le symbole de l'impossibilité de demeurer dans une Ile Internationale, qui aurait été "bourgeoise" dès le début ([11] [33]). Il est important donc d'évaluer la portée de la critique faite par Nieuwenhuis à la social-démccratie allemande. Celle-ci est valable dans la mesure où elle rejoint celle faite par Engels à la même époque, puis par la suite par la Gauche. Dans son livre "Le socialisme en danger", publié en 1897, au moment de sa sortie du SDB, il dénonce avec justesse un certain nombre de tares de la direction de la social-démocratie, qui allaient se cristalliser en la théorie révisionniste de Bernstein : la pénétration des éléments petits-bourgeois dans le parti, mettant en danger la nature prolétarienne du parti, et se manifestant par des concessions idéologiques à leur égard, notamment lors des élections ; la théorie du socialisme d'Etat qui conçoit la révolution comme une simple prise en main réformiste de l'Etat par le mouvement ouvrier : "...les social- démocrates sont de simples réformateurs qui veulent transformer la société actuelle selon le socialisme d'Etat" ([12] [34])
Mais la portée des critiques de Nieuwenhuis reste limitée. Il représente une tendance anarchiste religieuse, tolstoienne, très présente dans le mouvement ouvrier hollandais, qui subsistera jusqu'à la première guerre mondiale où elle représentera le courant pacifiste. En niant la nécessité d'une violence de classe -nécessaire pour la prise du pouvoir par le prolétariat- et d'une dictature du prolétariat sur la bourgeoisie, Nieuwenhuis rompait définitivement avec le marxisme qu'il avait contribué à introduire en Hollande et évoluait vers le pacifisme tolstoien : "..les anarchistes communistes demandent l'abolition de l'autorité politique, c'est-à-dire de l'Etat, car ils nient le droit d'une seule classe ou d'un seul individu à dominer une autre classe ou un autre individu. Tolstoï l'a dit d'une manière si parfaite qu'on ne peut rien ajouter à ses paroles." ([13] [35])
Ceux qui se réclament -comme les anarchistes et leurs successeurs actuels- de Nieuwenhuis pour proclamer la IIe Internationale "bourgeoise dès l'origine" nient un certain nombre d'évidences : la IIe Internationale a été le lieu où s'est développé éduqué et trempé le prolétariat développé des grandes concentrations industrielles, quittant ses caractéristiques artisanales, celles qu'il avait encore au temps de la 1ère Internationale et qui expliquent le poids de l'anarchisme. C'est à travers cette Internationale, qui n'avait pas encore failli, que s'est développé numériquement, mais aussi qualitativement le prolétariat socialiste en Europe et hors d'Europe ;
- c'est au sein de l’internationale que s'est développée la résistance au révisionnisme, à l'opportunisme. C'est en son sein que s'est enrichi le marxisme par les contributions de Luxemburg, Pannekoek. D'un corps bourgeois n'aurait pu sortir aucun corps prolétarien;
- c'est le fédéralisme, et non le centralisme qui ont fini par miner l'Internationale, au point de la transformer en une simple addition de sections nationales. C'est sur cette base que s'est développé le pouvoir exorbitant des cliques parlementaires qui ont fini par dominer les partis de toute leur autorité. En effet, dès le départ, il était affirmé en 1889 dans une résolution que "dans aucun cas et sous aucune pression" il n'était question de"porter atteinte à l'autonomie des groupements nationaux, ceux-ci étant seuls les meilleurs juges de la tactique à employer dans leur propre pays". ([14] [36])
De fait, la Gauche -dans les pays où elle surgit- luttera toujours pour un strict centralisme et pour le respect de la discipline de l'Internationale dans les partis nationaux, contre la volonté des chefs de ces partis organisés en fraction parlementaire autonome par rapport à l'organisation. Comme les bolcheviks, puis plus tard Bordiga, la Gauche hollandaise -ainsi d'ailleurs que les Gauches allemande et polonaise- mène ce combat pour le respect des principes d'une Internationale centralisée.
LES DEBUTS DE LA GAUCHE HOLLANDAISE
Que la social-démocratie hollandaise ne fût pas "bourgeoise" dès le commencement, la preuve en est donnée par l'adhésion au parti après 1897 d'une pléiade de marxistes dont les contributions au mouvement révolutionnaire international allaient être considérables.
Cette Gauche marxiste présente la particularité d'avoir été composée d'artistes et de scientifiques qui ont compté dans l'histoire de la Hollande. Gorter, le plus connu, est certainement le plus grand poète des Pays-Bas. Né en 1864 d'un père pasteur et écrivain, après avoir écrit une thèse sur Eschyle, il se fit connaître comme le poète de "Mai" -son poème le plus célèbre (1889). Après une crise spirituelle qui le mena vers une forme de panthéisme - s'inspirant de l'Ethique de Spinoza qu'il traduisit du latin en hollandais- Gorter se mit à étudier Marx, pour finir par adhérer en 1897 au SDAP. Très dynamique et remarquable orateur, Gorter a été surtout un bon vulgarisateur du marxisme qu'il a exposé dans un style très vivant, facilement compréhensible par la grande majorité des ouvriers ([15] [37]).
Moins pratiquement, et plus théoriquement, Pannekoek s'inscrivit dans le mouvement de la gauche marxiste internationale, et fut le moins "hollandais" de tous. Astronome réputé, il adhéra au mouvement socialiste en 1899. Né en 1873, fils d'un directeur d'entreprise, il sut se dégager de son milieu bourgeois pour se consacrer sans réserve à la cause prolétarienne. D'esprit rigoureux, par sa formation scientifique et philosophique, Pannekoek a été l'un des principaux théoriciens de la Gauche ; dans bien des domaines et débats théoriques -comme celui mené sur la signification de la grève de masses (cf. infra)- il s'est trouvé l'égal de Luxemburg, par la profondeur de sa réflexion, et a influencé Lénine dans son livre "L'Etat et la Révolution". L'un des premiers, parmi les marxistes, Pannekoek a mené le combat contre le révisionnisme naissant. Par son étude sur "La philosophie de Kant et le marxisme", publiée en 1901, il attaquait la vision néo-kantienne des révisionnistes qui faisaient du socialisme scientifique non une arme de combat mais une simple éthique bourgeoise. Cependant, plus- théoricien qu'homme d'organisation, son influence s'exerça essentiellement dans le domaine des idées, sans qu'il soit capable d'être une force active dans le combat organisationnel contre la majorité opportuniste du SDAP ([16] [38]).
Moins connus, d'autres intellectuels de la Gauche ont pesé d'un poids énorme et ont contribué souvent par leurs confusions à ternir l'image de cette Gauche. La poétesse Roland-Holst, bien qu'ayant contribué avec force à la théorie marxiste et à l'histoire du mouvement ouvrier ([17] [39]), symbolise à la fois une certaine religiosité mal digérée dans le socialisme naissant et les hésitations "centristes" au moment des grandes décisions à prendre sur le plan organisationnel. En dehors d'elle, des militants comme Wijnkoop et Van Ravesteyn se sont imposés par la suite comme les véritables organisateurs du mouvement tribuniste. Oscillant entre un radicalisme verbal et une pratique qui devait se révéler à la longue comme opportuniste, ils allaient contribuer à affaiblir le rayonnement de la Gauche hollandaise, qui apparut plus comme une somme de théoriciens brillants que comme un véritable corps.
Le drame de la Gauche hollandaise à sa naissance a été que des théoriciens marxistes reconnus internationalement, d’une grande force de conviction révolutionnaire, comme Gorter et Pannekoek, se soient peu impliqués dans la vie organisationnelle de leur parti. En cela, ils diffèrent de Lénine, Luxemburg, qui étaient aussi bien des théoriciens que des hommes de parti. Gorter, au sein du mouvement, était constamment déchiré entre son activité de poète -à laquelle par périodes il se consacrait totalement- et son activité militante de propagandiste et d'orateur du parti. D'où son activité hachée, et même épisodique au point de disparaître parfois des congrès du parti ([18] [40]). Pannekoek, pris à la fois par ses recherches d'astronome et son activité de théoricien marxiste, ne se sentait nullement un homme d'organisation ([19] [41]). Il ne se donna vraiment à plein au mouvement socialiste qu'à partir de 1909 jusqu'en 1914, en Allemagne, où il donnait des cours, comme professeur rémunéré, à l'école du parti de la social-démocratie allemande. Il se trouva donc absent de la Hollande au moment le plus crucial, quand se précipitait le processus de la scission au sein du SDAP. Dans cette période de développement du mouvement ouvrier, le poids des personnalités, des individus brillants, restait énorme. Il était d'autant plus négatif que les chefs des partis étaient des révisionnistes avérés qui écrasaient de toute leur personnalité la vie du parti. Tel était Troelstra, un avocat qui était poète frison à ses heures perdues. Il était un pur produit du parlementarisme. Constamment élu non par des secteurs ouvriers, mais par les paysans arriérés de la Frise, il avait tendance à se placer du point de vue des intérêts de la petite-bourgeoisie. Proche de Bernstein, il se définissait comme un révisionniste, voire un "libéral" bourgeois au point de déclarer en 1912 que "la social-démocratie tient aujourd'hui le rôle que le Parti libéral a tenu vers 1848" ([20] [42]). Mais il avait suffisamment d'habileté pour se montrer, lors des congrès de l'Internationale proche du Centre de Kautsky, pour pouvoir avoir les coudées franches dans son territoire national en toute autonomie. Soucieux de garder son poste de parlementaire et de chef du SDAP, il était prêt à n'importe quelle manoeuvre pour éliminer toute critique dirigée contre son activité opportuniste, voire exclure les opposants. Toute critique ne pouvait être, du point de vue de Troelstra et d'autres révisionnistes comme Vliegen et Van Kol, que de l'anarchisme ou de pures critiques "personnelles". Le poids des chefs dans ce parti récent, et issu d'une scission ambiguë, allait être un obstacle considérable auquel dut faire front l'ensemble de la Gauche.
La lutte de la Gauche allait se mener dès l'adhésion d'éléments nouveaux et jeunes, comme Gorter, Pannekoek, Roland-Holst, Wijnkoop et Van Ravesteyn Groupés autour de la revue "Nieuwe Tijd" (Temps nouveau), qui voulait rivaliser avec la revue théorique de Kautsky, "N'eue Zeit", ils commencèrent à mener un combat pour la défense des principes du marxisme foulés au pied par une pratique réformiste croissante. Leur combat allait être d'autant plus intransigeant que des militants comme Gorter et Pannekoek avaient des relations d'amitié avec Kautsky et crurent trouver son soutien dans la lutte contre le révisionnisme au sein de la Deuxième Internationale.
Chardin
[1] [43] Peter Struvé était l'un de ces bourgeois libéraux russes qui à 'la fin» du 19e siècle s'étaient pris de "passion" pour le marxisme, en lequel il ne voulaient voir qu'une théorie du passage pacifique du féodalisme au capitalisme industriel. Leur marxisme "légal", car toléré et même encouragé par la censure tsariste était un apologie du capitalisme. Struve devint bientôt l'un des chefs du parti libéral Cadet et se trouva au premier rang de la contre-révolution bourgeoise en 19 17.
[2] [44] Ce livre a été publié en 1932.Citation extraite de M.C.Wiessing :"Die Hollandische Schule des Marxismus" (L'école hollandaise du marxisme), VSA Verlag, Hambourg, 1980.
[3] [45] Marx-Engels Werke (MEW), volume 23, p.335-336
[4] [46] Cf, livre de Wiessing, déjà cité.
[5] [47] Lettre de Nieuwenhuis à Marx du 28 mars 1882, citée par Wiessing, p. 19.
[6] [48] Lettre h Nieuwenhuis du 22 février 1881 (MFM, volume 35, p.159).
[7] [49] Des exemples concrets de l'opportunisme des dirigeants parlementaires Liebknecht et Bebel sont donnés -citations à l'appui- par Nieuwenhuis dans "Le socialisme en danger" (1894, reprint Payot 1975)
[8] [50] On trouvera les critiques d'Engels aux "Jeunes" dans le recueil de textes de Marx-Engels sur "La social-démocratie allemande" (10/18, Paris 1975).
[9] [51] Cf. R. de Jong :"Le mouvement libertaire aux Pays-Bas"("Le mouvement social" n°83, avril-juin 73)
[10] [52] Pendant la guerre, Nieuwenhuis distribuait les brochures de Gorter.
[11] [53] Les conseillistes de "Daad en Gedachte" (Action et Pensée), en Hollande, affirment dans leur numéro de février 1984 que "en réalité, la social-démocratie n'est pas devenue un parti de réformes bourgeois ; elle l'était dès le commencement..." Un groupe comme le G.CI. (Groupe communiste internationaliste), de tendance bordiguiste, ne fait que reprendre les thèses anarchistes et conseillistes en affirmant exactement la même chose : ".ce sont ces tendances bourgeoises dénoncées par Marx qui domineront entièrement la social-démocratie et ce dès la naissance de la seconde Internationale". Citant abondamment le préfacier du livre de Nieuwenhuis, republié par Payot, Bériou -l'un des "théoriciens" du modernisme qui font du prolétariat une "classe pour le capital"- le G.C.I. rejoint la constellation politique des modernistes et conseillistes. Voir à ce sujet son article "Théories de la décadence, décadence de la théorie", in "Le Communiste", n° 23, novembre 1985.
[12] [54] Toutes ces citations sont extraites du livre de Nieuwenhuis, republié par Payot en 1975.
[13] [55] Toutes ces citations sont extraites du livre de Nieuwenhuis, republié par Payot en 1975.
[14] [56] Cf. le livre de C Haupt : "La Deuxième Internationale, étude critique des sources. Essai biblio graphique", Mouton, Paris-La Haye, 1964. Beaucoup d'éléments sur l'absence de centralisation.
[15] [57] li. n. ve Liagre Bohl : "Herman Gorter", SUN, Nijmegen, 1973. Biographie de Gorter, la seule existante et en langue hollandaise.20
[16] [58] Sur Pannekoek, il existe une introduction par un ancien communiste des conseils, B.A. Sijes, qui a publié les "Mémoires" écrites par le théoricien des conseils ouvriers en 1944 : "Herinnerigen", Van Gennep, Amsterdam, 1982. En langue française, est disponible une importante notice biographique sur Pannekoek dans 1'ouvrage de Serge Bricianer, "Pannekoek et les conseils ouvriers" (EDI, Paris 1969), recueil et commentaires des textes du grand militant communiste hollandais.
[17] [59] Les contributions de Roland-Holst sur la "grève de masses" attendent toujours d'être republiées et traduites dans des langues autres que le hollandais. Cf. "De revolutionaire masssa-aktie. Een Studie", Rotterdam, 1918
[18] [60] En 1903, Gorter publiait ses "Versen", d'inspiration individuelle. Par la suite, il chercha à écrire des poèmes d'inspiration "socialiste", qui étaient loin d'avoir la force et la valeur poétiques de son inspiration première. "Een klein heldendicht" (1906) -"Une petite épopée"- chante l'évolution u'un jeune prolétaire vers la conviction du socialisme. "Pan" (1912), composé après la scission de 1909, est un poème moins idéologique et plus inspiré par une vision poétique de l'émancipation de l'homme et de la femme aimée. Sans que son inspiration se soit vraiment tarie, Gorter était écartelé entre son activité de propagandiste et sa création poétique où il oscillait entre le lyrisme personnel et l'épopée socialiste didactique.
[19] [61] Pannekoek écrivait à Kautsky qu'il préférait en général "n'apporter que des éclaircissements théoriques". Il ajoutait : "Vous savez que... je ne me laisse entraîner dans les luttes pratiques que contraint et forcé." (Cité par Sijes, op. cit., p. 15). On est très loin de l'attitude d'autres dirigeants du courant de gauche international, qui -comme Lénine et Luxemburg-, n'hésitaient pas, en menant de front leurs travaux théoriques, à se plonger et se laisser entraîner dans les luttes quotidiennes
[20] [62] Cité par Sam de Wolff -un social-démocrate d'origine juive qui finit par devenir sioniste- : "Voor het land van Belofte. Een terugblik op mijn leven" (Avant la terre promise. Un coup d'oeil en arrière sur ma vie), SUN, Nijmegen, 1978
QUESTION D'ORGANISATION : UNE CARICATURE DE SECTE IRRESPONSABLE
Le milieu politique prolétarien, déjà fortement marqué par le poids du sectarisme, comme le CCI l'a souvent mis en évidence et déploré, vient de "s'enrichir" d'une nouvelle secte. Il vient en effet de paraître le n° 1 d'une nouvelle publication intitulée Perspective Internationaliste, organe de la "Fraction Externe du CCI" qui "revendique la continuité du cadre programmatique élaboré par le CCI". Ce groupe est composé des camarades appartenant à la "tendance" qui s'était formée dans notre organisation et qui l'a quittée lors- de son 6ème Congrès ([1] [65]) pour "défendre la plate-forme du CCI". Nous avons déjà rencontré et mis en évidence beaucoup de formes de sectarisme parmi les révolutionnaires d'aujourd'hui, mais la création d'un CCI-bis ayant les mêmes positions programmatiques que le CCI constitue un sommet en ce domaine, un sommet jamais atteint jusqu'à présent. De même, ce qui peut être considéré comme un sommet, c'est la quantité de calomnies que P.I. déverse su le CCI ; il n'y a guère que le Communist Bulletin (formé également d'ex-membres du CCI) qui soit allé aussi loin dans ce domaine. Dès sa création, ce nouveau groupe se place donc sur un terrain que seul des voyous politique (qui s'étaient distingués en volant du matériel et des fonds du CCI avaient par le passé exploité avec autant de ferveur. Même si les membres de la "Fraction" ne se sont nullement rendus responsables de tels actes, on peut dire que son sectarisme et sa prédilection pour 1'insulte gratuite augurent mal de l'évolution future de ce groupe et de sa capacité d'être une contribution à l'effort de prise de conscience du prolétariat En effet, les petits jeux de la FECCI ne traduisent qu'une chose : une irresponsabilité totale face aux tâches qui incombent aujourd'hui aux révolutionnaires, une désertion du combat militant.
Calomniez, calomniez,...il en restera toujours quelque chose.
Dans le principal article de" P.I. consacré au CCI, on peut lire que "ce texte ne visera ni à régler des comptes, ni à tomber dans une basse polémique. On peut se demander ce que ce texte aurait été si tel avait été le cas. En effet, dans cet article, on peut lire, entre autres compliments, qu'au cours de ces deux dernières années, le CCI aurait fait preuve d'un mépris intolérable pour les principes révolutionnaires, traînés dans la boue de volte-face tactiques", qu'il aurait développé "une vision tout à fait stalinienne de l'organisation", qu'il se serait "enfoncé dans la pourriture" et que, "pour faire avaler la couleuvre de ses revirements à 180°", il aurait employé comme moyen de "semer la peur, terroriser et paralyser, l'ensemble des militants par des insinuations malsaines". En même temps, le CCI aurait, contre les camarades minoritaires qui ont constitué la FECCI, "mis en marche une machine infernale visant à broyer toute résistance" et dont la liste des exactions est impressionnante : "pratiques organisationnelles sordides", "chasse aux sorcières", "attaques personnelles de toutes sortes", "calomnies", "suspicion", "procédés inqualifiables", "multiples pressions et manoeuvres", "chantage". Ce n'est là qu'un petit échantillon de ce qu'on peut trouver dans cet article mais on peut se demander qui se livre à des"incantations hystériques", le CCI comme l'écrit la FECCI ou la FECCI elle-même ?
On pourrait écarter d'un revers de main ces calomnies ; mais elles sont d'une telle ampleur et en telle quantité qu'on peut craindre qu'elles ne finissent par impressionner les lecteurs mal informés de la réalité du CCI, que du fait qu'elles émanent d'une organisation prétendant défendre la plateforme du CCI, ce qui devrait être un gage de sérieux-elles n'insinuent l'idée "qu'il n'y a pas de fumée sans feu". Aussi, même si nous ne répondons pas à toutes les accusations de la FECCI (ce qui occuperait la totalité de ce numéro de la Revue), nous sommes contraints de récuser quelques uns des mensonges qu'on peut trouver dans les pages de P.I. ridicules jusqu'à des accusations d'une malveillance odieuse.
C'est ainsi que l'article sur le "déclin du CCI" commence par un "petit mensonge". La première phrase affirme que "la plupart des camarades qui ont constitué la Fraction externe du CCI ont été à la base de la constitution de cette organisation en "1975". C'est faux : des dix camarades qui ont quitté le CCI pour constituer la FECCI, trois seulement était dans l'organisation à la fondation du CCI en janvier 75.
L'article de PI fourmille de ce genre de "petits mensonges" ridicules. Il reprend par exemple un vieux dada de la "tendance" suivant lequel l'analyse présente du CCI sur l'opportunisme et le centrisme constituerait un revirement de ses positions classiques. Nous avons montré dans la Revue n° 42, citations à l'appui, que c'est en réalité l'analyse de la tendance qui constitue une révision des positions du CCI et de la gauche communiste. Nous ne lui chercherons pas ici querelle pour cette révision. Mais il faut constater que le procédé qui consiste à refuser d'assumer une démarche en l'attribuant aux autres est bien symptomatique de ce qu’a été le comportement de la "tendance" et que reprend aujourd'hui la FECCI : obscurcir par des contorsions et par la mauvaise foi les véritables questions posées.
Cette même propension à reprocher à autrui (en l'occurrence le CCI) ce qui lui revient de droit, nous la retrouvons lorsque P.I. accuse le CCI de "manque d'esprit fraternel". C'est de nouveau le monde à l'envers, nous n'allons pas ennuyer le lecteur en énumérant les multiples exemples où ce sont des camarades de la "tendance" qui se sont illustrés par un tel "manque d'esprit fraternel". Il suffit de lire dans P.I. la collection d'insultes odieuses, animée par la hargne et un esprit de revanche, qui s'intitule "Le déclin du CCI" pour se rendre compte de quel côté se situe le "manque d'esprit fraternel".
"PERSPECTIVE INTERNATIONLISTE"
Ils sont en nombre incalculable et prennent plusieurs formes en partant de petites contre vérités
Nous pourrions poursuivre la réfutation de ces petits mensonges mais ce serait fastidieux. Il est préférable de mettre en évidence les mensonges énormes qu’emploie la FECCI pour justifier sa thèse de la dégénérescence du CCI.
Le premier d'entre eux dépasse toute mesure : les camarades de la "tendance" auraient été exclus du CCI. Mal à l'aise pour soutenir une telle affirmation, la FECCI prend le soin de préciser dans certaines phrases qu'il s'agissait d'une exclusion "de fait". Il faut le réaffirmer nettement : c'est totalement faux. Ces camarades n'ont pas été exclus, ni formellement ni "de fait". Dans le précédent n° de la Revue nous expliquons, les circonstances du départ de ces camarades. En particulier nous y donnions connaissance d'une résolution adoptée à l'unanimité par le 6ème congrès montrant clairement que le départ de ces camarades était de leurs seules responsabilité et volonté. Sans y revenir dans le détail, rappelons ici :
- que le congrès a demandé aux camarades de la "tendance" quelles étaient leurs intentions pour après celui-ci, en particulier s'ils comptaient rester des militants du CCI, dans la mesure où certains d'entre eux avaient affirmé à plusieurs reprises qu'ils comptaient se retirer après le congrès ;
- que les camarades de la tendance ont constamment refusé de répondre à cette question dans la mesure où, en fait, ils n'étaient pas d'accord entre eux là-dessus ;
- que face à ce refus de répondre, le congrès a demandé à ces camarades de se retirer de la séance pour qu^ils puissent réfléchir, discuter et revenir à la séance suivante avec une réponse claire ;
- que les camarades ont pris prétexte de cette demande pour se retirer du congrès en prétendant qu'on les avait exclus de celui-ci, ce qui est parfaitement faux ;
- que le congrès a adopté une résolution transmise par téléphone à ces camarades exigeant leur retour au congrès ;
- que ces camarades ont opposé une fin de non recevoir à cette demande en la qualifiant de "tentative de justification ignoble de l'exclusion de la tendance" ;
- que le congrès a adopté une résolution condamnant cette attitude qui "traduit un mépris du congrès et de son caractère de moment d'action militante de l'organisation" et "constitue une véritable désertion des responsabilités qui sont celles de tout militant de l'organisation".
Cette résolution prévoyait des sanctions contre ces camarades mais nullement leur exclusion.
Prétendre après cela que la "tendance" a été exclue du CCI, ou mené du congrès, est un mensonge aussi odieux que ridicule car le procès-verbal du congrès prouve exactement le contraire. D'ailleurs ces camarades savaient pertinemment en partant qu'ils n'avaient pas été exclus de l'organisation puisque dans la déclaration remise au moment de leur départ ils affirmaient qu'ils restaient "comme tendance et comme camarades minoritaires au sein du CCI".
Un autre mensonge énorme et tout aussi odieux qu'on peut lire dans P.I., c'est l'affirmation que le CCI aurait "étouffé" les débats, y compris par l'utilisation do mesures disciplinaires, et aurait censuré – l’expression publique des positions de la "tendance". Encore une fois, c'est le monde à l'envers ! En janvier 84, il a fallu insister auprès des camarades qui avaient émis des "réserves" pour qu'ils fassent parvenir à l'ensemble de l'organisation leurs explications de votes. Un an plus tard, c'est l'organe central qui demande que "les éventuelles contributions doivent être conçues en vue de l'ouverture du débat vers l'extérieur".
Franchement, affirmer que le CCI, ou son organe central, a "étouffé" le débat, qu'il a évolué vers le monolithisme comme le prétend la FECCI, c'est se moquer du monde. Les bulletins internes de l'organisation ont publié sur plus d'un an environ 120 textes portant sur la discussion soit environ 700 pages. Tous les textes des camarades minoritaires sans exception ont été publiés. |En fait de "monolithisme", c'est de façon permanente que l'organisation a insisté sur l'exigence de clarté, sur la nécessité que s'expriment de la façon la plus précise possible les différentes positions existant en son sein.
Il en est de même en ce qui concerne la publication vers l'extérieur des débats internes. C'est une calomnie grossière et stupide que de prétendre que le CCI "n'en a pratiquement rien laissé filtrer depuis deux ans et qu'il a établi autour un "mur du silence" (page 14). Tout lecteur a pu se rendre compte que les cinq derniers numéros de notre Revue ont donné une large place au débat (au total une quarantaine de pages avec trois textes de la "tendance" et trois textes défendant les positions du CCI). Toute aussi calomnieuse est l'affirmation suivant laquelle le CCI "a systématiquement censuré les textes dans lesquels nous essayions de dégager les enjeux réels du débat actuel" (p.25). En fait de censure systématique, les textes non publiés sont au nombre total de deux. L'un était destiné à la presse territoriale de Grande-Bretagne mais par le nombre même des questions traitées, il trouvait plus sa place dans la Revue Internationale, ce qui a été proposé à la "tendance" et refusé par elle. L'autre était la "Déclaration sur la formation d'une tendance" publiée dans P.I. (page 25). A son propos, l'organe central du CCI a adopté une résolution qui "relève dans la 'Déclaration' sur un certain nombre d'affirmations ou d'insinuations diffamatoires pour l'organisation" (suit la liste des passages concernés), qui "estime que, pour la dignité même du débat public, et donc de la crédibilité de l'organisation, de telles formulations ne peuvent paraître telles quelles dans le prochain numéro de la Revue" et "demande donc aux camarades signataires de la 'Déclaration', soit de les enlever du texte qui sera publié, soit de les argumenter, afin que ce débat public puisse se dérouler dans la clarté et s'éviter l'emploi des insultes gratuites". Cela est interprété par la FECCI : "le CCI s'arrogerait le droit de dicter à la minorité ce qu'elle pouvait (et ne pouvait pas) écrire et penser" (p.25).
Voilà comment on écrit l'histoire !
Si la "tendance" avait vraiment été intéressée à faire connaître la totalité de ses critiques, il lui suffisait de se donner la peine d'argumenter quelque peu les points qui, dans son texte, apparaissaient comme de simples insultes gratuites. Mais tel n'était pas son souci. Elle s'est drapée dans sa dignité offensée et a "catégoriquement refusé d'entrer dans ce jeu de compromissions" (P.I. p. 25), comme si expliciter un désaccord ou une critique était une "compromission".
C'est d'ailleurs là une constante dans la démarche de la "tendance" : elle a tout fait pour convaincre le reste du CCI de son manque de sérieux ...à elle, et a pleinement réussi.
LE "GLORIEUX COMBAT" DE LA TENDANCE
Lorsqu'une minorité apparaît dans une organisation pour essayer de la convaincre qu'elle fait fausse route, son comportement est au moins aussi important pour atteindre ce but que la validité de ses arguments politiques. P.I. dépeint comme un exemple de sérieux son action en vue de "redresser le CCI menacé de dégénérescence" : "les minoritaires avaient toujours mené leur lutte ouvertement de façon militante et responsable sans aucune atteinte au fonctionnement général de l'organisation, dans le but de convaincre le CCI de ses erreurs" (p. 22).
C'est une triste blague !
Dans les précédents numéros de la Revue nous avons mis en évidence l'inconsistance des arguments politiques de la "tendance". Le comportement de ses camarades tant dans le débat que dans la vie organisationnel le du CCI en a été le pendant fidèle. Comment peuvent-ils affirmer, par exemple, qu'ils n'ont porté "aucune atteinte au fonctionnement général de l'organisation" alors :
- qu'un membre de l'organe central a tenté d'annoncer à l'ensemble de l'organisation sa démission de celui-ci sans même le prévenir ;
- que plusieurs membres du même organe central ont communiqué à une section locale un document signé en tant que membres de cet organe et critiquant celui-ci sans le porter d'abord à sa connaissance ;
- qu'à plusieurs reprises se sont tenues des réunions dites "informelles" sans que l'organisation en ait été informée à l'avance »;
- que des membres de l'organe central ont manqué une réunion de celui-ci afin de pouvoir tenir une réunion de la "tendance".
Il ne manque pas d'autres exemples de l'absence de sérieux des camarades minoritaires dans le débat. Eux-mêmes en étaient d'ailleurs conscients lorsque, fin 84, ils faisaient (dans un texte justifiant la tenue régulière de réunions séparées) un "constat de carence dans (leur) contribution au débat en cours dans le CCI" : on est bien loin des affirmations satisfaites qu'on peut lire dans P.I. sur "l'inlassable impulsion des débats" par la minorité contre le "verrouillage" de l'organisation.
Nous ne citerons ici que deux exemples de cet "admirable" sérieux de la minorité :
- en juin 84, quatre camarades minoritaires, membres de l'organe central, votent à cinq minutes d'intervalle de façon totalement contradictoire sur la question du centrisme : dans un premier vote ils placent le centrisme dans la bourgeoisie, et dans un second vote ils en font un phénomène
au sein de la classe ouvrière;
- depuis le début du débat, les camarades minoritaires n'ont cessé d'affirmer la nécessité de "s'atteler enfin à la tâche difficile de développer à un niveau supérieur la théorie marxiste sur la conscience de classe et le rôle du parti sur les fondements déjà établis par le CCI". Et depuis deux ans, nous n'avons rien vu venir de la part de ces camarades. Rien ! Aucun texte ! Cela en dit long sur le sérieux avec lequel ils ont mené le débat.
UNE CARICATURE DE SECTE IRRESPONSABLE
Une question se pose : comment se fait-il que des membres de longue date de l'organisation, à l'expérience et aux capacités politiques souvent indiscutables, membres pour la moitié d'entre eux de l'organe central du CCI, aient pu se laisser aller à une telle régression qui les a conduits à des comportements de plus en plus irresponsables, jusqu'à scissionner de l'organisation et à déchaîner une telle quantité de mensonges odieux et ridicules contre celle-ci ? Toutes proportions gardées, nous assistons aujourd'hui à un phénomène très similaire à celui qui s'est développé au cours et à la suite du 2ème congrès du Parti Ouvrier Social Démocrate de Russie en 1903 et qui conduisit à la scission entre bolcheviks et mencheviks. A la tête des mencheviks il y avait également des militants de vieille date et d'une capacité politique reconnue, qui, pendant des années, avaient apporté beaucoup à la cause de la révolution socialiste, notamment à la rédaction de l'ancienne "Iskra" (1900-1903).
Et ce sont ces éléments (notamment Martov, rejoint par la suite par Plekhanov) qui allaient impulser un courant opportuniste dans le POSDR, courant qui s'achemina progressivement vers la trahison de classe.
Pour caractériser le phénomène du menchevisme à ses débuts et analyser ses causes, laissons la parole à Lénine, le chef de file de l'aile marxiste révolutionnaire dans le POSDR :
"…la nuance politique qui a joué un rôle immense au congrès et qui se distingue justement par sa veulerie,sa mesquinerie, par 1'absence d'une ligne propre,(...), par des oscillations perpétuel les entre les deux parties nettement déterminées, par la peur d'exposer ouvertement son credo, en un mot par son ' embourbement ' (dans le "marais"). (Il en est maintenant dans notre parti qui, à entendre ce mot, sont saisis d'horreur et crient à une polémique dénuée d'esprit de camaraderie... JI n'est guère de parti politique qui, connaissant la lutte intérieure,se soit passé de ce terme dont on se sert toujours pour désigner les éléments instables, qui oscillent^entre les combattants. Et les Allemands, qui savent faire tenir la lutte intérieure dans un cadre parfaitement convenable, ne se forma lisent pas au sujet du mot 'versumpft' (marais), et ne se sentent pas saisis d'horreur, ne font pas preuve d'une officielle et ridicule pruderie.)
Oeuvres, Tome 7, page 230.
"Mais le plus dangereux n 'est pas que Martov soit tombé dans le marais; c'est qu'y étant tombé fortuitement, loin de chercher à en sortir, il s'y soit enfoncé toujours davantage."
Oeuvres, Tome 7, page 78.
Nous avons là, à plus de 80 ans de distance, une caractérisation de la démarche dans laquelle se sont engagés les camarades de la minorité. Sur la base de réelles faiblesses conseillistes un certain nombre de camarades sont tombés fortuitement dans une démarche centriste à l'égard du conseillisme. Une partie d'entre eux s'est ressaisie mais il est arrivé aux autres ce qui était arrivé à Martov : refusant d'admettre qu'ils aient pu être victimes du centrisme (à entendre ce mot ils furent "saisis d'horreur et ont crié à la polémique dénuée d'esprit de camaraderie") ils s'y sont enfoncés toujours davantage. C'est ce que nous signalions déjà dans notre article de réponse à la "tendance" de la Revue n°43 ("Le rejet de la notion de centrisme : la porte ouverte à l'abandon des positions de classe"). Ces camarades ont mal supporté qu'on puisse les critiquer, ils ont interprété un texte et une résolution se donnant pour but de mettre en garde contre le danger de centrisme dans l'organisation, et qui illustrait ce danger, entre autres, par leur attitude conciliante face au conseillisme, comme une insulte personnelle. Ce n'est nullement là une explication "subjectiviste" de leur démarche. Lénine explique en des termes similaires celle des Menchéviks :
"Lorsque je considère la conduite des amis de Martov après le congrès, leur refus de collaborer (…), leur refus de travailler pour le Comité Central.. je puis dire seulement que c'est là seulement une tentative insensée, indigne de membres du Parti...Et pourquoi? Uniquement parce qu'on est mécontent de la composition des organismes centraux car, objectivement, c'est uniquement cette question qui nous a séparés, les appréciations subjectives (comme offense, insulte, expulsion, mise à 1'écart, flétrissure, etc.) n'étant que le fruit d'un amour propre blessé et d'une imagination malade."
Oeuvres, Tome 7, page 28
Il faut d'ailleurs ajouter que même l'attitude de certains camarades minoritaires face aux organes centraux s'est apparentée à celle des mencheviks puisqu'ils ont à plusieurs reprises boycotté ceux-ci (en refusant de participer à leurs réunions ou d'assumer les responsabilités qu'on. voulait leur confier) et qu'ils ont fait une affaire d'Etat de ce que P.I. appelle (p.22) "la mise à l'écart de membres minoritaires de certaines fonctions qu'ils remplissaient, sous prétexte que leurs 'divergences' les mettaient dans l'incapacité de les remplir".
Pour quelles raisons ces camarades ont-ils été conduits à adopter cette démarche ? Là aussi, l'exemple des mencheviks est significatif :
"Sous le nom de 'minorité ' se sont groupés dans le Parti, des éléments hétérogènes qu'unit le désir conscient ou non, de maintenir les rapports de cercle, les formes d'organisation antérieures au Parti.
Certains militants éminents des anciens cercles les plus influents, n'ayant pas 1'habitude des restrictions en matière d'organisation, que l'on doit s ' imposer en raison de la discipline du Parti, sont enclins à confondre machinalement les intérêts généraux du Parti et, leurs intérêts de cercle qui, effectivement, dans la période des cercles, pouvaient coïncider."
Oeuvres, Tome 7, page 474.
Il est de nouveau frappant de constater, lorsqu'on examine la démarche des camarades qui allaient former la "tendance", puis la FECCI, sa similitude avec ce que décrit Lénine.
Fondamentalement, la "tendance" a été formée par des camarades qui se connaissaient depuis très longtemps (avant même la formation du CCI pour la plupart) et qui ont établi entre eux une solidarité l'artificielle basée essentiellement sur leurs vieux liens d'amitié et non sur une homogénéité politique. Nous avons déjà signalé dans notre Revue le manque d'homogénéité de la "tendance" composée de camarades qui, au départ, avaient des positions totalement divergentes tant sur la question de la conscience de classe que sur celles du danger de conseillisme, de la définition du centrisme et de l'importance de notre intervention à l'heure actuelle. Cette hétérogénéité s'est encore manifestée au 6ème congrès du CCI entre ceux qui voulaient quitter l'organisation et ceux qui voulaient y rester. Elle se révèle de nouveau dans P.I. si on compare le ton hystérique de l'article "Le déclin du CCI" et celui, incomparablement plus fraternel, intitulé "Critique de l'intervention du CCI". La seule chose qui cimentait la "tendance", outre et en conséquence de cet esprit de cercle "légué" par le passé des camarades, c'est la difficulté commune à supporter la discipline de l'organisation qui les f a conduits à de multiples manquements organisationnels.
Mais la similitude entre les mencheviks de 1903 et les camarades de la "tendance" ne s'arrête pas là :
"Le gros de 1 'opposition a été formé principalement par les éléments intellectuels de notre Parti. Comparés aux prolétaires, les intellectuels sont toujours plus individualistes, ne fût-ce qu'en raison de leurs conditions essentielles d'existence et de travail, qui les empêchent de se grouper largement spontanément, d'acquérir directement cette éducation qu'assure un travail en commun organisé.
Aussi est-il plus difficile aux éléments intellectuels de s 'adapter à la discipline de la vie du Parti, et ceux d'entre eux qui ne peuvent y parvenir, lèvent naturellement 1'étendard de la révolte contre les restrictions indispensables qu'exigent 1'organisation, et ils érigent leur anarchisme spontané en principe de lutte, qualifiant à tort cet anarchisme... de revendication en faveur de la 'tolérance', etc."
Oeuvres, Tome 7, page 474-475
Là encore, la ressemblance est frappante : si nous avions voulu faire enrager les camarades de la "tendance", nous aurions appelée celle-ci "la tendance de professeurs, des universitaires et des cadres supérieurs". Il est clair également que la susceptibilité et la vanité sont en général beaucoup plus fortes chez ces "individualités", habituées dans leur vie quotidienne à rencontrer une écoute respectueuse de la part de leurs interlocuteurs, que chez les ouvriers.
Nous pourrions poursuivre la mise en évidence de bien d'autres ressemblances entre la "tendance-fraction" et le courant menchevik de 1903. Nous nous bornerons à en signaler deux autres :
- le sectarisme,
- l'absence de sens des responsabilités face aux exigences de la lutte de classe.
1°) Le sectarisme
En de fréquentes occasions, Lénine a dénoncé le sectarisme des mencheviks qui portaient l'entière responsabilité de la scission alors que pour sa part, il estimait que :
"Les divergences de principe entre 'Vperiod' (le journal bolchevik) et la nouvelle 'Iskra' (menchévique)sont essentiellement celles qui existaient entre l'ancienne 'Iskra' et le 'Robotchéïé Diélo' (les'économistes '). Ces divergences, nous les considérons comme importantes, mais nous ne les considérons pas comme constituant en elles-mêmes un obstacle au travail commun au sein d'un seul parti..,v
Oeuvres, Tome 8, page 127
Le CCI estime également que les divergences politiques qui l'opposaient à la "tendance" notamment sur la conscience de classe et sur le danger de centrisme sont importantes. Si les positions de la "tendance" avaient gagné l'ensemble de l'organisation, cela aurait constitué une menace pour elle. Mais nous avons toujours affirmé que ces divergences sont parfaitement compatibles au sein d'une même organisation et ne devaient pas compromettre un travail commun. Telle n'est pas la conception de la "fraction" qui, à l'image des mencheviks, veut de plus nous faire porter la responsabilité de la séparation organisationnelle. Lorsque le milieu politique prolétarien sérieux prendra connaissance des questions de fond qui, selon la "fraction", interdisent un travail commun, il ne pourra que se demander quelle mouche a piqué ces camarades. De même, que pourront penser les ouvriers qui auront entre leurs mains deux tracts ou deux journaux qui, sur les questions essentielles auxquelles ils se confrontent : la nature de la crise, l'attaque de la bourgeoisie, le rôle de la gauche et des syndicats, la nécessité d'étendre, d'unifier et d'auto organiser leurs luttes, les perspectives de celles-ci, diront la même chose ? Ils ne pourront qu'en conclure que les révolutionnaires (ou certains d'entre eux) sont des gens bien peu sérieux.
Le sectarisme est le corollaire de "l'esprit de, cercle", de l'individualisme, de l'idée que "bougnat est maître chez soi". Tout cela, les camarades de la "tendance" l'avaient appris au sein du CCI au cours des multiples combats que nous avions menés contre le sectarisme qui pèse sur le milieu politique prolétarien actuel.
C'est en particulier pour tenter de masquer leur sectarisme fondamental, parce qu'ils savent bien, eux qui se réclament du "vieux CCI", que les divergences de fond qui les séparent du CCI n'ont jamais motivé pour nous une rupture organisationnelle, qu'ils ont inventé toutes les fables abracadabrantes, tous les mensonges odieux et imbéciles dont ils couvrent aujourd'hui notre organisation.
La "fraction" accuse le CCI de "monolithisme". Rien n'est plus absurde. En réalité, c'est la "fraction" qui est "monolithique", comme toutes les sectes : à partir du moment où on estime que n'importe quelle divergence surgissant dans une organisation ne peut aboutir qu'à la scission, c'est qu'on (refuse l'existence de telles divergences au sein de cette organisation : c'est le propre du monolithisme. D'ailleurs ce monolithisme se manifeste déjà dans P.I. : aucun des articles n'est signé comme s'il ne pouvait exister la moindre nuance en son sein (alors que nous savons que c'est tout le contraire qui est vrai).
2°) L'absence du sens des responsabilités face aux exigences de la lutte de classe.
Les mencheviks avaient entrepris tout leur travail scissionniste à la veille de la première révolution en Russie, le PQSDR se trouvait on ne peut plus mal armé pour l'affronter. Lénine n'a cessé de dénoncer le tort que portaient les agissements irresponsables des mencheviks à l'impact des idées révolutionnaires et à la confiance que les ouvriers pouvaient accorder au Parti. C'est également à ce moment crucial pour la lutte de classe que les camarades de la "tendance" choisissent de disperser les forces révolutionnaires. Ils peuvent raconter tout ce qu'ils veulent dans P.I. sur "l'importance déterminante de l'intervention des révolutionnaires à l'heure actuelle", leurs actes démentent leurs paroles. Ce qu'ils prouvent en réalité c'est que leurs intérêts de cercle et de secte priment sur les intérêts généraux de la classe ouvrière. Face aux exigences que la période actuelle impose aux révolutionnaires, ils font preuve d'une irresponsabilité bien plus grande encore que celle que le CCI a depuis longtemps dénoncée chez les autres groupes.
LES PERSPECTIVES DE LA "FRACTION"
Marx constate dans "Le 18 brumaire" que si l'histoire se répète, c'est la première fois sous forme de tragédie et la seconde fois sous forme de farce. Les événements de 1903 dans le POSDR étaient une tragédie dans le mouvement ouvrier. Les aventures de la "tendance" ressemblent beaucoup plus à une farce, ne serait-ce que par le fait de l'extrême faiblesse numérique de cette formation. On retrouve tant de ressemblances entre la démarche de la "tendance" et celle des mencheviks qu'on ne peut s'empêcher de faire le constat qu'il s'agit là d'un danger permanent au sein du mouvement ouvrier. Mais en même temps il y a bien peu de chances pour que la "fraction" joue un jour un rôle comparable à celui des mencheviks : se transformer en dernier rempart de la bourgeoisie au cours de la révolution, s'allier avec les armées blanches. Il est très probable qu'au moment de la révolution, la "fraction" aura disparu, que ses militants se seront depuis longtemps dispersés dans la démoralisation ou que, comprenant leurs erreurs, certains d'entre eux, auront repris une activité révolutionnaire responsable (comme ce fut le cas de Trotski qui, en 1903, s'était trouvé avec les mencheviks). Mais en attendant, la "fraction" joue un rôle essentiellement néfaste face à la classe.
D'une part, par son sectarisme, elle tend à renforcer la méfiance très forte qui existe aujourd'hui au sein de la classe ouvrière, y compris parmi les ouvriers les plus combatifs, à l'égard des organisations révolutionnaires.
D'autre part, en prétendant défendre la plateforme du CCI, elle porte un tort important aux idées de cette plateforme. Une défense sectaire et irresponsable des principes révolutionnaires clairs et cohérents est bien pire encore qu'une défense conséquente de positions révolutionnaires moins élaborées ou moins cohérentes. Elle ne fait que détourner de cette clarté et de cette cohérence les éléments en recherche qui sont dégoûtés par le comportement irresponsable de ceux qui prétendent s'en faire les porte-parole. D'ailleurs, l'expérience montre, qu'à terme, cette défense irresponsable se répercute nécessairement sur les principes eux-mêmes comme ce fut le cas des mencheviks qui ont progressivement tourné le dos au programme qu'ils avaient adopté en 1903 avant leur scission d'avec les bolcheviks.
Enfin, la comparaison que la FECCI établit entre elle et la fraction de gauche du Parti Communiste d'Italie ne peut que discréditer les énormes apports de cet organisme dans le mouvement ouvrier. Jusqu'à la seconde guerre mondiale, "Bilan, "Prometeo", "Communisme" sont un exemple de fermeté sur les principes révolutionnaires face aux reniements successifs des autres organisations prolétariennes emportées par la chape de la contre-révolution. Ils sont ainsi un exemple de sérieux, de sens des responsabilités au niveau le plus élevé. C'est sur ces mêmes bases, et en suivant son exemple, que le CCI a en permanence essayé de développer son activité militante. La "fraction" avait lutté jusqu'au bout au sein du Parti communiste dégénérescent pour tenter de le redresser. Elle ne l'avait pas quitté mais en avait été exclue comme la grande majorité des fractions révolutionnaires de 1'histoire. Elle a, en particulier, élaboré un apport inestimable sur la question de la lutte et du rôle d'une fraction communiste. Ce sont justement ces enseignements fondamentaux que la FECCI jette par la fenêtre en quittant le CCI et en usurpant le terme de "fraction", en créant cette nouveauté historique de "fraction (ce qui veut dire "partie de quelque chose") externe" sans jamais avoir développé un travail de fraction interne ou même de véritable tendance. Nous avons souvent écrit dans notre Revue que la caricature de Parti que constituait le PCI-Programme ridiculisait l'idée même de parti. La caricature de fraction que représente la FECCI ridiculise l'idée même de fraction.
Du point de vue des intérêts de la classe ouvrière, la FECCI n'a aucune raison d'exister. Bien au contraire. A propos du "Communist Bulletin Group" qui avait quitté le CCI en 81 en gardant une partie de ses fonds, nous écrivions :
"Que représente le CBG face au prolétariat ? Une version provinciale de la plateforme du CCI avec la cohérence en moins et le vol en plus." (Revue n°36).
Pour la FECCI, le vol n'y est pas, mais le sectarisme et l'irresponsabilité font bon poids. Comme à l'égard du CBG, nous pouvons conclure à propos de la FECCI : "voilà un autre groupe dont l'existence est parasitaire" (Ibid.).
La meilleure chose que nous puissions souhaiter pour la classe ouvrière, de mené d'ailleurs que pour les camarades qui la composent, c'est la disparition la plus rapide possible de la FECCI.
F.M.
[1] [66] La Revue Internationale n°44, dans l'article consacré au 6ème Congrès du CCI, rend compte du départ de ces camarades et de leur constitution en "Fraction". Le lecteur pourra s'y reporter, ainsi qu'aux articles publiés dans les Revues n°40 à 43 reflétant l'évolution du débat au sein du CCI.
Liens
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