Les événements de ces derniers mois dans l’ex-bloc soviétique ont révélé de plus en plus clairement l'énorme délabrement de l'économie, dans tous les pays d'Europe de l'Est sans exception, et en URSS en particulier. Au fur et à mesure que la réalité est mieux connue, les derniers espoirs et toutes les théories sur une possibilité d'amélioration de la situation volent en éclats. Les faits parlent d'eux-mêmes : il est impossible de relever l'économie de ces pays ; leurs gouvernements, quelles qu'en soient les diverses composantes, l'ancien appareil "réformé" avec ou sans participation des anciennes "oppositions", ou de "nouvelles" formations politiques, sont totalement impuissants à maîtriser la situation. C'est la plongée dans un chaos sans précédent qui se confirme chaque jour davantage. ([1] [1])
Les pays occidentaux ne renfloueront ni les pays de l'Est, ni l'URSS
Partout c'est la débandade et les pays de PEst aimeraient bien voir les grands pays industrialisés venir au secours de leur économie complètement sinistrée. Walesa ne cesse de quémander pour la Pologne de l'aide à l’"Occident". Gorbatchev plaide auprès de Bush la "clause de la nation la plus favorisée", accord préférentiel en matière contractuelle que les Etats-Unis ont toujours refusé à l'URSS, qui fut souvent conclu avec la Roumanie, pays le plus pauvre de l'ancien bloc de l'Est. La RDA attend de la réunification avec la RFA des subsides pour sauver les quelques rares secteurs de son appareil productif qui ne sont pas dévastés.
Mais les pays occidentaux ne sont pas prêts à engager le dixième des dépenses qui seraient nécessaires, dans une entreprise qui est, non seulement des plus hasardeuses, mais dès à présent vouée à un échec certain. Il n'y a plus guère d'illusions sur une perspective de redressement économique des pays de l'Est. Il n'y a aucun profit tangible à retirer d'un appareil productif à l'infrastructure et aux moyens de production totalement obsolètes, et à la main-d'oeuvre non rompue aux normes de productivité draconiennes imposées par la guerre commerciale sur le marché mondial que se livrent les principales puissances industrielles occidentales, essentiellement Etats-Unis, Japon, Allemagne de l'Ouest, et les autres pays d'Europe occidentale.
Et même si le FMI octroyait plus de crédits, il se trouverait confronté à une situation semblable à celle des pays du "tiers-monde" insolvables, avec des dettes de milliards de dollars qui n'ont aucune chance d'être jamais remboursés.
Il est symptomatique que la rencontre Bush-Gorbatchev, en cours au moment de sortir ce numéro, ne donne lieu à aucun accord économique particulier, sinon la reconduction timide d'anciens accords existants. Personne ne mise plus sur une quelconque réussite de la fameuse "perestroïka". Les considérations qui entrent en ligne de compte, dans l'entretien des relations occidentales avec les pays de l'Est, relèvent de préoccupations générales sur les moyens de contenir la généralisation d'un désordre en Europe de l'Est qu'aucune puissance occidentale ne voit d'un bon oeil. Il n'est pas question d'accords commerciaux ou industriels susceptibles d'apporter un véritable ballon d'oxygène à l'économie complètement asphyxiée de ces pays.
Les pays de l'Est ne peuvent compter sur aucun "plan Marshall" (le financement de la "reconstruction" de l'Europe de l'Ouest et du Japon par les Etats-Unis après la 2e guerre mondiale). S'il y a quelques illusions, parmi les défenseurs de la "victoire du capitalisme", sur l'intérêt économique offert par le démantèlement du "rideau de fer", l'expérience douloureuse actuelle pour l'économie ouest-allemande que constitue la réunification de l'Allemagne et la prise en charge de la RDA ([2] [2]), risque de les balayer complètement. Pour le capital allemand, il y a bien un intérêt ponctuel pour la main-d'oeuvre qualifiée très mal payée en RDA, mais il y a surtout la perspective d'une ponction financière terriblement élevée et de l'afflux de millions de chômeurs et immigrés. ([3] [3])
Alors que le système financier international menace à chaque instant de s'écrouler sous le poids de la dette mondiale, alors que des licenciements massifs ont déjà commencé, aux Etats-Unis notamment, et ne vont faire qu'augmenter partout dans les grands pays capitalistes développés, ces derniers n'ont aucun intérêt strictement économique, aucun "marché" dans les pays de l'Est, à quelques très rares exceptions près. Seuls des "théoriciens" attardés, et il en existe malheureusement encore quelques-uns y compris dans le camp prolétarien ([4] [4]), croient encore au mirage de la restructuration de l'économie des pays de l'Est.
Le délabrement complet de l'économie
Les chiffres officiels avoués aujourd'hui en URSS sur l'état exsangue de l'économie, à tous les niveaux, pulvérisent à la baisse les anciennes estimations officieuses, que les spécialistes occidentaux opposaient déjà depuis plusieurs années au mensonge institutionnel des "statistiques" soviétiques.
Les nouvelles statistiques qui font le constat d'un taux de croissance de l'économie qui s'approche inexorablement de zéro rendent plus compte de la réalité que celles d'avant la "Glasnost". Cependant, en incluant dans son calcul le secteur militaire, seul secteur où l'économie russe a connu une croissance réelle depuis le milieu des années 1970, il donne une indication qui sous-estime encore l'ampleur de la crise de l'économie soviétique.
C'est, au mieux, au niveau économique d'un pays comme le Portugal que se trouve actuellement l'URSS, disposant, selon les estimations, de 30 000 F de revenu par tête et par an, revenu pouvant aller de 9 000 à 54 000 F. Ce qui signifie, pour une majorité de la population, un "niveau de vie" en fait certainement plus près de celui de pays tels que l’Algérie que de celui des régions les plus pauvres de l'Europe du sud.
De plus les caractéristiques "classiques" de la crise à l'occidentale, l'inflation et le chômage, commencent déjà à ravager les pays de l’Est, à des taux dignes des pays du "tiers-monde" les plus touchés. Et ces fléaux "classiques" du capitalisme viennent s'ajouter à ceux, tout aussi capitalistes, hérités du stalinisme : rationnement et pénurie permanents des biens de consommation courante. Même les plus violents pourfendeurs du stalinisme et glorificateurs zélés du capitalisme à l'occidentale sont stupéfaits de l'état de délabrement de l'économie de l'URSS : "La réalité soviétique n'est pas une économie développée nécessitant diverses rectifications, c'est un gigantesque bric-à-brac inutilisable et imperfectible." ([5] [5]).
La "perestroïka" est une coquille vide et la popularité de Gorbatchev est désormais au plus bas en URSS, les récentes "mesures" du gouvernement consistant à entériner la catastrophe : une reconnaissance officielle d'augmentation des prix à la consommation jusqu'à 100 %, et la promesse de 15 % d'augmentation des salaires comme... "compensation financière" ! A brève échéance, dans cinq ans pour les "optimistes", dans un an pour d'autres, c'est le chômage massif pour des millions de travailleurs, les prévisions faisant état du chiffre de 40 ou 45 ou 50 millions de chômeurs, ou même "peut-être plus", soit plus d'une personne sur cinq, et sans allocation d'un quelconque "minimum vital" !
Et si la situation en URSS est une des plus catastrophiques, celle dans les autres pays de l'Est n'est guère plus brillante. Dans l'ex-RDA, avec la mise en place de l’"union monétaire" allemande de juillet 1990, ce sont 600 000 chômeurs qui se retrouvent immédiatement sur le pavé, et ce chiffre atteindra quatre millions dans les années qui viennent, soit une personne sur quatre ! ([6] [6]) En Pologne, après que les prix aient augmenté de 300 % en moyenne en 1989, jusqu'à des flambées à 2000 % sur certains produits, le gouvernement a bloqué les salaires "pour enrayer l'inflation". En fait, officiellement, l'inflation est aujourd'hui de 40 % et le nombre de chômeurs devrait atteindre cette année les deux millions. Partout, le bilan des "mesures de libéralisation" est clair : elles ne font qu'ajouter au désastre.
La forme stalinienne du capitalisme d'Etat héritée, non de la révolution d'octobre 1917, mais de la contre-révolution qui l'a tuée dans le sang, a sombré avec la ruine complète et la désorganisation totale des formes de l'économie capitaliste qu'elle a engendrées dans les ex-pays soi-disant "socialistes". Mais la forme "libérale" du capitalisme occidental, qui n'est pas moins du capitalisme d'Etat, mais sous une forme beaucoup plus sophistiquée, ne peut pas constituer une solution de rechange. C'est le système capitaliste comme un tout au niveau mondial qui est en crise, et les pays "démocratiques" développés doivent y faire face pour défendre leurs propres intérêts. Le manque de marchés n'est pas l'apanage des pays de l'Est ruinés, il frappe au coeur du capitalisme le plus développé.
L'échec de la "libéralisation"
L'accélération de la crise a mis à nu la totale absurdité des .méthodes du capitalisme d'Etat à la façon du stalinisme sur le plan de la gestion économique : l'irresponsabilité complète de plusieurs générations de fonctionnaires dont la seule préoccupation était de s'en mettre plein les poches en respectant, sur le papier, des directives de "plans" complètement déconnectés du fonctionnement normal du marché. Le constat, au sein même de la classe dominante, de l'obligation d'en finir avec cette irresponsabilité, d'abandonner la tricherie permanente avec les "lois du marché" que constitue la totale prise en main de la vie économique par l'appareil d'Etat, ne signifie pas que la classe dominante puisse opérer un rétablissement de l'économie par une "libéralisation", et une reprise en main de la situation par une "démocratisation". Ce constat n'est que la reconnaissance de la pagaille généralisée qui existe à tous les niveaux. Mais comme c'est de cette tricherie permanente que cette même classe dominante tient ses privilèges depuis des décennies, ce constat ne peut en rester qu'à l'état d'un constat, ce que l'expérience de la "perestroïka" et de la "glasnost" depuis cinq ans illustre largement. Comme nous le disions dès septembre 1989 :
"(...) De même que la 'réforme économique' s'est donné des tâches pratiquement irréalisables, la 'réforme politique' comporte de bien faibles chances de succès. Ainsi, l'introduction effective du 'pluripartisme' et d'élections 'libres', qui est la conséquence logique d'un processus de 'démocratisation', constitue une menace véritable pour le parti au pouvoir. Comme on l'a vu récemment en Pologne, et dans une certaine mesure également en URSS l'an passé, de telles élections ne peuvent conduire qu'à la mise en évidence du complet discrédit, de la véritable haine, qui s'attachent au Parti au sein de la population. Dans la logique de telles élections, la seule chose que le Parti puisse en attendre est donc la perte de son pouvoir. Or c'est quelque chose que le Parti, à la différence des partis 'démocratiques' d'Occident, ne peut pas tolérer du fait que :
- s'il perdait le pouvoir par les élections, il ne pourrait jamais, contrairement à ces autres partis, le reconquérir par ce moyen;
- la perte de son pouvoir politique signifierait concrètement l'expropriation de la classe dominante puisque son appareil est justement la classe dominante.
Alors que dans les pays à économie 'libérale' ou 'mixte', où se maintient une classe bourgeoise classique, directement propriétaire des moyens de production, le changement du parti au pouvoir (à moins justement qu'il ne se traduise par l'arrivée d'un parti stalinien) n'a qu'un faible impact sur ses privilèges et sa place dans la société, un tel événement dans un pays de l'Est signifie, pour la grande majorité des bureaucrates, petits et grands, la perte de leurs privilèges, la mise au chômage, et même des persécutions de la part de leurs vainqueurs. La bourgeoisie allemande a pu s'accommoder du 'kaiser', de la république social-démocrate, de la république conservatrice, du totalitarisme nazi, de la république 'démocratique' sans que soit remis en cause l'essentiel de ses privilèges. En revanche, un changement de régime en URSS signifierait dans ce pays la disparition de la bourgeoisie sous sa forme actuelle en même temps que celle du parti. Et si un parti politique peut se suicider, prononcer son autodissolution, une classe dominante et privilégiée, elle, ne se suicide pas" ([7] [7])
En URSS, le stalinisme est, par les circonstances historiques de son apparition, une organisation particulière de l’Etat capitaliste. Avec la dégénérescence de la révolution russe, l'Etat qui avait surgi après l'expropriation de l'ancienne bourgeoisie par la révolution prolétarienne de 1917, est devenu l'instrument de la reconstitution d'une nouvelle classe capitaliste, sur les cadavres de dizaines de millions de prolétaires, ouvriers et révolutionnaires, dans la contre-révolution depuis la fin des années 1920 jusque dans les années 1930, puis dans l'embrigadement meurtrier dans la 2e guerre mondiale. La forme prise par cet Etat est le produit direct de la contre-révolution dans laquelle la classe dominante s'est totalement identifiée à l’Etat-Parti unique. Avec la faillite définitive du système, la classe dominante a perdu tout contrôle de la situation, non seulement sur les anciens Etats "socialistes", mais aussi au sein même de l'URSS, et n'a pas de marge de manoeuvre pour enrayer cet engrenage.
La situation dans les pays de l'Est est un peu différente. C'est à la fin de la 2e guerre mondiale que l'URSS, avec la bénédiction des "Alliés", a imposé, dans les gouvernements des pays passés dans sa zone d'influence, la prépondérance des Partis Communistes qui lui étaient inféodés. Dans ces pays, l'ancien appareil d'Etat n'a pas été détruit par une révolution prolétarienne. Il a été adapté, plié à l'impérialisme russe, laissant subsister, plus ou moins selon les pays, des formes classiques de la domination de la bourgeoisie, à l'ombre du stalinisme. C'est pourquoi, avec la mort du stalinisme et l'incapacité de l'URSS à maintenir son emprise impérialiste, la classe dominante dans ces pays, pour la plupart moins sous-développés que l'URSS économiquement, s'est empressée de tenter de se débarrasser du stalinisme en essayant de réactiver les résidus de ces formes antérieures.
Cependant, si les pays de l'Est disposent théoriquement de plus de possibilités que l'URSS pour essayer de faire face à la situation, les derniers mois montrent que l'héritage des quarante dernières années de stalinisme et le contexte de la crise mondiale du capitalisme posent des problèmes énormes à une véritable "démocratie" bourgeoise. En Pologne par exemple, la classe dominante s'est montrée incapable de maîtriser cette "démocratisation". Elle s'est retrouvée dans la situation aberrante d'avoir au gouvernement le syndicat Solidarnosc. En RDA, c'est la "démocratie chrétienne", la CDU, qui a gouverné avec le SED (Parti communiste) pendant quarante ans, qui est le principal protagoniste de la "démocratisation" pour la réunification avec la RFA. Mais loin de constituer une force politique responsable capable d'assurer une quelconque réorganisation dans le pays, cette formation politique n'a pour seule dynamique que l'appât du gain de son personnel, et ne fait rien d'autre qu'attendre les subsides de RFA, au grand dam de la CDU ouest-allemande, principal bailleur de fonds de l'opération.
L'évolution inexorable commencée l'été dernier depuis l'accession de Solidarnosc au gouvernement de Pologne, le virage à l'Ouest de la Hongrie, l'ouverture du mur de Berlin, le séparatisme des "républiques asiatiques", jusqu'à la sécession des "républiques baltes", et l'investiture récente d'Eltsine en Russie même, n'est pas le fruit d'une politique voulue et choisie délibérément par la bourgeoisie. Elle est l'expression jour après jour de la perte de contrôle de la classe dominante, et indique la plongée dans une dislocation et un chaos jusque là inconnus dans toutes ces régions du monde. Il n'y a pas "libéralisation", mais impuissance de la classe dominante face à la décomposition du système.
Les illusions démocratiques et les nationalismes
La "libéralisation" n'est qu'un discours vide, un rideau de fumée idéologique, qui utilise les illusions sur la "démocratie" très fortes dans la population qui a vécu quarante années d'encasernement du stalinisme, pour essayer de faire accepter la dégradation continue des conditions d'existence. Déjà, la "libéralisation" de Gorbatchev a fait long feu avec cinq années de discours qui n'ont aucun résultat concret sinon une situation de plus en plus pénible pour la population. Et ce n'est pas seulement le fait des hommes de l'appareil à la Gorbatchev. Les anciens opposants, même les plus "radicaux", champions de la "démocratisation", se démasquent et montrent leur vrai visage dès que leur échoit une responsabilité gouvernementale. En Pologne par exemple, on voit un Kuron, emprisonné par Jaruzelsky il y a quelques années, autrefois "trotskiste" ([8] [8]), après s'être vanté, lorsqu'il prit ses fonctions de Ministre du Travail, de pouvoir "éteindre des milliers" (de grèves) pour avoir été capable d'en "organiser cent", menacer aujourd'hui de répression directe les grévistes des transports, et ne se distinguer en rien de l'attitude classique du stalinisme contre la classe ouvrière. Quelles que soient les fractions et cliques politiques qui occupent à un moment ou à un autre le pouvoir, il n'y a pas de véritable "démocratie" possible sous la forme de la démocratie bourgeoise des pays les plus développés, et encore moins une démocratie "socialiste".
Cette idée de démocratie "socialiste", selon laquelle il suffirait d'écarter la bureaucratie du pouvoir pour permettre aux "rapports de production socialistes" soi-disant existant dans les pays de l'Est, de s'épanouir, idée chère à nombre de sectes trotskistes, n'est qu'une invention de dernier rabatteur du stalinisme que constitue ce courant politique, et tous les événements récents en apportent chaque jour un peu plus la confirmation.
Tous les "oppositionnels", pour la plupart issus de l'appareil, ou tout l'ancien appareil repenti, ou encore des personnalités converties par les circonstances à se mettre "au service de leur pays", tous candidats à la défense du maigre capital national en danger, utilisent les illusions démocratiques nourries par la plus grande majorité dans les pays de l'Est, pour se chercher des masses de manoeuvre pour leurs desseins et aspirations au pouvoir. Mais seuls les grands pays développés peuvent se permettre de véritables formes "démocratiques" de domination de la classe capitaliste. La force relative de l'économie et l'expérience politique leur permettent d'entretenir tout l'appareil, des médias à la police, et toutes les institutions nécessaires à une emprise sur la société qui cache son totalitarisme sous l'apparence de "libertés". Le stalinisme, capitalisme d'Etat poussé à l'absurdité jusqu'à tenter de nier la loi de la valeur, a forgé une classe dominante totalement inapte, ignorante du BA. BA de cette même loi sur laquelle elle fonde pourtant sa domination de classe. Jamais une classe dominante n'a été aussi faible.
Et cette faiblesse entraîne aussi, avec la dislocation du bloc de l'Est et de l'URSS, l'éclatement des multiples nationalismes qui n'étaient attachés à l'URSS que par la répression militaire, et qui se réveillent automatiquement avec l'impuissance de leur chef de file à exercer cette suprématie par la force des armes.
Gorbatchev a pu donner un moment l'impression qu'il favorisait l'expression des "nationalités" en URSS. En réalité, le pouvoir central soviétique ne peut pas utiliser les nationalismes au profit du renforcement de sa puissance. Au contraire, les flambées de nationalismes, régionalismes, particularismes à tous les niveaux, sont une manifestation de l'incapacité du régime russe et de la perte définitive de sa puissance, de son statut de tête de bloc impérialiste, de sa place parmi les "grandes puissances" ([9] [9]). Ce sont les conditions de la situation qui alimentent le nationalisme : sans Moscou et l'Armée rouge, les cliques au pouvoir se retrouvent "nues", et la voie est libre pour les débordements de tous les particularismes qui n'étaient tenus que par la terreur militaire. Les conséquences de cet effondrement n'en sont qu'au début de leurs pires manifestations. A terme, par sa logique propre, c'est au mieux une "démocratisation" comme en connaissent des pays tels que la Colombie ou le Pérou, ou plus vraisemblablement une "libanisation" de tout l'ancien bloc de l'Est et de l'URSS elle-même, qui est inscrite dans la situation actuelle, avec aucune politique de rechange de la bourgeoisie, et le chacun pour soi.
Le capitalisme "libéral" occidental a son tour dans la crise
Fondamentalement la crise en URSS est en dernier ressort l'expression de la crise économique généralisée du capitalisme, une des manifestations de la crise historique de ce dernier, de sa décomposition. Il ne peut y avoir de restructuration du capitalisme possible à l'Est, de la même manière qu'aucun "pays en voie de développement" n'a pu s'arracher du "sous-développement" depuis que la terminologie de "tiers-monde" a été inventée. Au contraire, la crise amène la perspective d'un effondrement mondial irréversible.
Depuis son ouverture à la fin des années 1960, la crise économique ouverte a entraîné :
- dans les années 1970-80 la chute inexorable des pays du "tiers-monde" dans le sous-développement et la misère la plus noire pour d'immenses masses de la population mondiale,
- à la fin des années 1980, la mort définitive du stalinisme, régime capitaliste hérité de la contre-révolution du "socialisme en un seul pays", plongeant à grande vitesse la majorité de la population des pays soi-disant "communistes" dans une aussi grande sinon pire situation de paupérisation absolue.
Au cours des années 1990 la crise va entraîner cette même paupérisation absolue au coeur du "premier-monde", dans les métropoles industrielles déjà rongées par vingt ans de croissance du chômage massif et de longue durée, d'augmentation de l'insécurité et de la précarité, à tous les niveaux de la vie sociale. Il n'y aura pas de "restructuration" du capitalisme, ni à l'Est, ni à l'Ouest.
MG, 3 juin 1990.
[1] [10] Voir les analyses développées sur l'analyse de l'effondrement du bloc russe et ses implications pour la situation mondiale dans la Revue internationale, n°60 et 61.
[2] [11] Voir le "La situation en Allemagne", dans ce numéro.
[3] [12] Certains milieux gouvernementaux russes ont envisagé un "moyen" pour renflouer les caisses de l'URSS : envoyer 16 millions d'immigrés soviétiques en Europe de l'ouest dans les années qui viennent, pour rapporter des devises...
[4] [13] Voir l'article "Face aux bouleversements de l'Est, une avant-garde en retard", dans ce numéro.
[5] [14] Le Point, 9-10 juin 1990.
[6] [15] Voir le "La situation en Allemagne", dans ce numéro.
[7] [16] Revue internationale, n°60, "Thèses sur la crise économique et politique dans les pays de l'Est", thèse 16.
[8] [17] Cf. "Lettre ouverte au Parti Ouvrier Polonais", K.Modzelewski et J.Kuron, 1968, supplément à Quatrième Internationale, mars 1968.
[9] [18] Voir l'article "La barbarie nationaliste", dans ce numéro.
Nous assistons dans toute l'Europe orientale et en URSS, à une violente explosion de nationalisme.
La Yougoslavie est en voie de désintégration. La "civilisée" et "européenne" Slovénie demande son indépendance et, en même temps, soumet les républiques "soeurs" de Serbie et de Croatie à un blocage économique rigoureux. En Serbie, le nationalisme encensé par le stalinien Milosevic a donné lieu à des pogroms, à l'empoisonnement des eaux, à la répression la plus brutale contre les minorités albanaises. En Croatie, les premières élections "démocratiques" donnent la victoire au CDC, groupe violemment revanchard et nationaliste. Un match de football du Dynamo de Zagreb contre un club de Belgrade (en Serbie) dégénère en affrontements violents.
Toute l'Europe de l'Est est secouée par des tensions nationalistes. En Roumanie une organisation para fasciste, Cuna Rumana, composée essentiellement d'éléments de l'ancienne Securitate et qui peut compter sur l'appui indirect des "libérateurs " du FSN, persécute les Hongrois et les passe à tabac. Ceux-ci, à leur tour, ont profité de la chute de Ceaucescu pour perpétrer des pogroms anti-Roumains. Pour sa part, le gouvernement central de Bucarest, enfant chéri des gouvernements "démocratiques", poursuit avec acharnement les minorités gitanes et d'origine allemande. La Hongrie, pionnier des changements "démocratiques", pratique une politique discriminatoire à l'égard des gitans, et encourage les revendications de la minorité hongroise en Transylvanie roumaine. En Bulgarie, le régime "démocratique" flambant neuf, cautionne grèves et manifestations massives contre les minorités turques. Dans la Tchécoslovaquie de la "révolution de velours", le gouvernement du "rêveur" Havel poursuit "démocratiquement" les gitans et une violente polémique, assaisonnée de manifestations et d'affrontements, s'est déclenchée entre Tchèques et Slovaques autour de la question transcendantale de savoir si le nom de la "nouvelle" République "libre" serait "Tchécoslovaquie" ou "Tchéco-Slovaquie"...
Mais c'est surtout en URSS que l'explosion nationaliste atteint des proportions qui mettent en question l'existence même de cet Etat, seconde puissance mondiale il y a encore six mois. Cette explosion y est particulièrement sanglante et chaotique.
Massacres d'Azéris par des Arméniens et d'Arméniens par des Azéris, Abkhazes victimes de Géorgiens, Turkmènes lynchés par des Ouzbéks, Russes passés à tabac par des Kazakhs... Entre temps, la Lituanie, l'Estonie, la Lettonie, la Géorgie, l'Arménie, l’Azerbaïdjan, l'Ukraine, demandent l'indépendance.
L’explosion nationaliste : la décomposition capitaliste a vif
Pour les propagandistes de la bourgeoisie, ces mouvements seraient une "libération", produit de la "révolution démocratique" grâce à laquelle les peuples de l'Est se sont débarrassés du joug "communiste".
Si une "libération" a eu lieu c'est celle de la boîte de Pandore. L'effondrement du stalinisme a libéré les violentes tensions nationalistes, les fortes tendances centrifuges qui, avec la décadence du capitalisme, ont couvé, se sont radicalisées, approfondies dans ces pays, renforcées par leur arriération insurmontable et par la domination du stalinisme, expression et facteur actif de cette arriération ([1] [21]).
Le dénommé "ordre de Yalta", qui a dominé le monde pendant quarante-cinq ans, contenait ces énormes tensions et contradictions que la décadence du capitalisme faisait mûrir inexorablement vers l'holocauste total d'une troisième guerre impérialiste mondiale. La renaissance de la lutte prolétarienne depuis 1968 a bloqué ce cours "naturel" du capitalisme décadent. Mais étant donné que la lutte prolétarienne n'a pas été capable d'aller jusqu'à ses ultimes conséquences -l'offensive révolutionnaire internationale- les tendances centrifuges, les aberrations toujours plus destructrices propres à la décadence capitaliste, continuent de se manifester et de s'aggraver, donnant naissance à un pourrissement sur pied de l'ordre capitaliste, qui est ce que nous appelons, sa décomposition généralisée ([2] [22]).
Dans les anciens domaines de l'Ours Russe cette décomposition a "libéré" les pires sentiments de racisme, de revanchisme nationaliste, de chauvinisme, d'anti-sémitisme, de fanatisme patriotique et religieux... qui ont fini par s'exprimer avec toute leur fureur destructrice.
"Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu'elle est Ce n'est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l'ordre, de la paix et du droit, c'est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l'anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l'humanité qu'elle se montre toute nue, telle qu'elle est vraiment" (Rosa Luxemburg, La crise de la social-démocratie, Chap 1, p. 55).
D'habitude la bourgeoisie fait une distinction entre le nationalisme "sauvage", "fanatique", "agressif, et le nationalisme "démocratique", "civilisé", "respectueux des autres". Cette distinction est une pure supercherie, fruit de l'hypocrisie des grands Etats "démocratiques" occidentaux, dont la position de force permet d'utiliser avec plus d'intelligence et d'astuce la barbarie, la violence et la destruction inhérentes par principe à toute nation et à tout nationalisme dans le capitalisme décadent.
Le nationalisme "démocratique", "civilisé" et "pacifique" de la France, des USA et compagnie, est celui des massacres et des tortures au Viet-Nam, en Algérie, au Panama, en Centrafrique, au Tchad, c'est le nationalisme "démocratique" de l'appui non-dissimulé à l'Irak dans la guerre du Golfe. C'est celui des deux guerres mondiales qui ont fait plus de 70 millions de morts et dans lesquelles l'exaltation du patriotisme, de la xénophobie, du racisme, ont été la couverture idéologique d'actes de barbarie qui n'ont tien à envier à ceux des nazis : les bombardements américains de Dresde ou de Hiroshima et Nagasaki, ou les atrocités de la France à l'égard des populations allemandes dans sa zone d'occupation, tant après la première guerre mondiale qu'après la deuxième.
C'est la "civilisation" et le "pacifisme" de la "libération" française lors de la défaite des nazis : les forces "républicaines" de De Gaulle et le P "C" F encourageant conjointement à la délation, aux pogroms contre les Allemands : "A chacun son boche", était la consigne "civilisée" de la "France éternelle" incarnée par ces surenchérisseurs du nationalisme le plus hystérique et agressif qu'ont toujours été les staliniens.
C'est le cynisme hypocrite qui consiste à favoriser l'immigration illégale d'ouvriers africains pour avoir une main d'œuvre bon marché, soumise en permanence à l'intimidation et au chantage de la répression policière (qui suit les besoins de l'économie nationale, n'hésitant pas à renvoyer dans des conditions atroces des milliers de travailleurs immigrés dans leur pays d'origine) et qui exhibe en même temps, avec des larmes de crocodile, un "antiracisme" attendrissant.
C'est le pharisaïsme éhonté de Thatcher qui, tout en se disant "désolée et horrifiée" par la barbarie en Roumanie, renvoie au Viet-Nam 40 000 émigrants illégaux capturés brutalement par la police de Sa Majesté à Hong Kong.
Toute forme, toute expression de nationalisme, fût-il grand ou petit, porte obligatoirement et fatalement la marque de l'agression, de la guerre, du "tous contre tous", de l'exclusivisme et de la discrimination.
Dans la période ascendante du capitalisme, la formation de nouvelles nations constituait un progrès pour le développement des forces productives, en tant qu'étapes nécessaires à la constitution d'un marché mondial permettant leur extension et leur développement. Au 20e siècle, avec la décadence du capitalisme, éclate brutalement la contradiction entre le caractère mondial de la production et la nature inévitablement privée-nationale des rapports capitalistes. Dans cette contradiction, la nation, base de regroupement des bandes capitalistes dans la guerre à mort qu'elles se livrent pour le repartage d'un marché sursaturé, révèle son caractère réactionnaire, sa nature congénitale de force de division, d'entrave au développement des forces productives de l'humanité.
"D'un côté, la formation d'un marché mondial internationalise la vie économique, marquant profondément la vie des peuples ; mais d'un autre côté, cela produit la nationalisation, toujours plus accentuée, des intérêts capitalistes, ce qui traduit de la façon la plus manifeste l’anarchie de la concurrence capitaliste dans le cadre de l'économie mondiale et conduit à de violentes commotions et catastrophes, à une immense perte d'énergies, posant de façon impérieuse le problème de l'organisation de nouvelles formes de vie sociale. " (Boukharine, L'économie mondiale et l'impérialisme, 1916).
Tout nationalisme est impérialiste
Les trotskistes, extrême-gauche du capital, appuis "critiques" permanents de l'impérialisme russe, font une analyse "positive" de l'explosion nationaliste à l'Est ; ils y voient la mise en pratique du "droit à l'autodétermination des peuples", ce qui supposerait un coup porté contre l'impérialisme, une déstabilisation des blocs impérialistes.
Nous avons déjà argumenté amplement pour démontrer la supercherie du mot d'ordre d'"autodétermination des peuples", y compris dans la période d'ascendance du capitalisme ([3] [23]). Ici nous voulons démontrer que l'explosion nationaliste, si elle est une conséquence de l'effondrement du bloc impérialiste russe et s'inscrit dans un processus de déstabilisation des constellations impérialistes qui ont dominé le monde ces quarante dernières années ("l'ordre" de Yalta), elle n'implique aucune remise en cause de l'impérialisme et, ce qui de loin est le plus important, qu'un tel processus de décomposition n'apporte rien de favorable au prolétariat.
Toute mystification s'appuie, pour être efficace, sur des fausses vérités ou fies apparences de vérité. Ainsi, il est évident que le bloc impérialiste occidental voit avec embarras et préoccupation le processus actuel d'éclatement de l'URSS en mille morceaux. Mis à part les bravades propagandistes du genre "ne touchez pas à la Lituanie !" et les tapes sur l'épaule à Landsbergis et sa clique, son attitude face à l'indépendance de la Lituanie a été d'offrir un appui très peu dissimulé à Gorbatchev.
Les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux n'ont, pour l'instant, aucun intérêt à l'éclatement de l'URSS. Ils savent qu'un tel éclatement donnera naissance à une énorme déstabilisation, avec des guerres civiles et nationalistes sauvages, où les arsenaux nucléaires accumulés par la Russie pourraient entrer en jeu. Par ailleurs, une déstabilisation des frontières actuelles de l'URSS aurait inévitablement des répercussions au Moyen-Orient et en Asie, libérant les tensions nationalistes, religieuses, ethniques, tout aussi énormes, qui y sont accumulées et contenues à grand peine.
Néanmoins, cette attitude, pour le moment unanime, des grandes puissances impérialistes de l'Occident est circonstancielle. Inévitablement, à mesure que s'aiguise le processus, déjà en cours, de dislocation du bloc occidental -dont le principal facteur de cohésion, l'unité contre le danger de l'Ours Russe, a disparu- chaque puissance commencera à jouer ses propres cartes impérialistes, attisant le feu de telle ou telle bande nationaliste, appuyant telle ou telle nation contre telle autre, soutenant telle ou telle indépendance nationale.
Dans ce sens, la spéculation grossière sur la déstabilisation de l'impérialisme est clairement démentie, mettant en évidence ce que les révolutionnaires défendent depuis la première guerre mondiale :
"Les 'luttes de libération nationale' sont des moments de la lutte à mort entre les puissances impérialistes, grandes et petites, pour acquérir un contrôle sur le marché mondial. Le slogan de 'soutien aux peuples en lutte' n'est en fait qu'un appel à défendre une puissance impérialiste contre une autre, tous un verbiage nationaliste ou 'socialiste’ ". (Principes de base du CCI).
Cependant, même en admettant que la phase actuelle de décomposition du capitalisme accentue l'expression anarchique et chaotique des appétits impérialistes de chaque nation aussi petite soit-elle, et qu'une telle "libre expression" tende à échapper toujours plus au contrôle des grandes puissances, cette réalité n'élimine pas l'impérialisme, ni les guerres impérialistes localisées, de même qu'elle ne les rend pas moins meurtrières. Bien au contraire, cette réalité avive les tensions impérialistes, les radicalise et aggrave leurs capacités de destruction.
Ce que tout cela démontre, c'est une autre position de classe des révolutionnaires : tout capital national, aussi petit soit-il, est impérialiste, et ne peut survivre sans recourir à une politique impérialiste. Cette position, nous l'avons défendue avec le maximum de fermeté face aux spéculations dans le milieu révolutionnaire, exprimées particulièrement par la CWO, selon laquelle les capitaux nationaux ne seraient pas tous impérialistes, ce qui donne prise à toutes sortes d'ambiguïtés dangereuses ; entre autres celle 4e réduire l'impérialisme, en dernière instance, à une "superstructure" propre à un groupe restreint de superpuissances, ce qui entraîne, qu'on le veuille ou non, que "l'indépendance nationale" des autres nations pourrait avoir quelque chose de "positif ([4] [24]).
Ce que l'époque actuelle de décomposition du capitalisme rend manifeste, c'est que toute nation, toute petite nationalité, tout groupe de gangsters capitalistes, qu'il ait pour domaine privé le territoire gigantesque des USA ou un minuscule quartier de Beyrouth, est nécessairement impérialiste ; son objectif, son mode de vie, c'est la rapine et la destruction.
Si la décomposition du capitalisme et, en conséquence, l'expression chaotique et incontrôlée de la barbarie impérialiste, résulte de la difficulté du prolétariat à hisser sa lutte au niveau requis par son propre être -l'être d'une classe internationale et par conséquent révolutionnaire-, logiquement, tout appui au nationalisme, même déguisé en "tactique marxiste" (le fameux "appui aux petites nations pour déstabiliser l'impérialisme" des trotskistes), éloigne le prolétariat de sa voie révolutionnaire et alimente le pourrissement du capitalisme, sa décomposition jusqu'à la destruction de l'humanité.
La seule attaque réelle, radicale, contre l’impérialisme, c'est la lutte révolutionnaire internationale du prolétariat, sa lutte autonome comme classe, dégagée et clairement opposée à tout terrain nationaliste, interclassiste.
La fausse communauté nationale
L'actuel "printemps des peuples" est perçu par les anarchistes comme une "confirmation" de leurs positions. Cela correspond à leur idée de la "fédération" des peuples regroupés librement en petites communautés selon des affinités de langue, de territoire, etc., ainsi qu'à leur autre idée, "l'autogestion", c'est-à-dire la décomposition de l'appareil économique en petites unités, supposées être ainsi plus accessibles au peuple.
La barbarie anarchique et chaotique de l'explosion nationaliste à l'Est confirme le caractère radicalement réactionnaire des positions anarchistes.
La décomposition en cours de vastes parties du monde, plongées dans un chaos terrible, confirme que "l'autogestion" est une façon pseudo-radicale, "assembléiste", de s'adapter à cette décomposition, et donc de la nourrir.
Si le capitalisme a apporté quelque chose à l'humanité c'est la tendance à la centralisation des forces productives à l'échelle de la planète, avec la formation d'un marché mondial. Ce que révèle la décadence du capitalisme, c'est une incapacité à aller plus loin dans un tel processus de centralisation et sa tendance inévitable à la destruction, à la dislocation.
"La réalité du capitalisme décadent, malgré les antagonismes impérialistes qui le font apparaître momentanément comme deux unités monolithiques opposées, c'est la tendance à la dislocation et à la désintégration de ses composantes. La tendance du capitalisme décadent c'est le schisme, le chaos, d'où la nécessité essentielle du socialisme qui veut réaliser l'unité du monde." (Internationalisme : "Rapport sur la situation internationale", 1945)
Ce que la décomposition du capitalisme met en évidence avec acuité c'est le développement de tendances croissantes à la dislocation, au chaos, à l'anarchie toujours plus incontrôlable dans des segments entiers du marché mondial.
Si les grandes nations constituaient au siècle dernier des unités économiques cohérentes, elles sont aujourd'hui un cadre trop étroit, un obstacle réactionnaire pour tout développement réel des forces productives, une source de concurrence destructive et de guerres ; la dislocation en petites nations accentue encore plus fortement ces tendances vers la distorsion et le chaos de l'économie mondiale.
D'autre part, dans cette époque de décomposition du capitalisme, l'absence de perspective pour la société, l'évidence du caractère destructeur et réactionnaire de l'ordre social régnant, entraînent une terrible absence de valeurs, de points de repère, d'objectifs crédibles pouvant soutenir la vie des individus. Cela augmente encore les tendances, que l'anarchisme stimule avec son mot d'ordre de "petites communes fédérées", à rester attaché à toute sorte de fausses communautés -comme la communauté nationale-, qui procurent une sensation illusoire de sécurité, de "soutien collectif".
Bien entendu, la clientèle privilégiée de telles manipulations sont les classes moyennes, petites-bourgeoises, marginalisées qui, faute de perspective et de cohésion comme classe, ont besoin de la fausse garantie de la "communauté nationale".
"Ecrasées matériellement, sans aucun avenir devant elles, végétant dans un présent aux horizons complètement bouchés, piétinant dans une médiocrité quotidienne sans bornes, elles sont dans leur désespoir la proie facile à toutes les mystifications, des plus pacifiques (sectes religieuses, naturistes, anti-violence, anti-bombe atomique, hippies, écologistes, antinucléaire, etc.) aux plus sanglantes (Cent-noirs, pogromistes, racistes, Ku-Klux-Klan, bandes fascistes, gangsters et mercenaires de tout acabit, etc.). C'est surtout dans ces dernières, les plus sanglantes, qu'elles trouvent la compensation d'une dignité illusoire à leur déchéance réelle que le développement du capitalisme accroît de jour en jour. C'est l'héroïsme de la lâcheté, le courage des poltrons, la gloire de la médiocrité sordide."
(Revue Internationale n° 14 : "Terreur, terrorisme et violence de classe", p. 7).
Dans les tueries nationalistes, dans les affrontements interethniques qui secouent l'Est, on voit la marque de ces masses petites-bourgeoises, désespérées par une situation qu'elles ne peuvent améliorer, avilies par la barbarie de l'ancien régime dans lequel elles ont souvent assumé les tâches les plus basses, prenant le parti de forces politiques bourgeoises, ouvertement réactionnaires.
Mais ce poids de la "communauté nationale" comme fausse communauté, comme racine illusoire, pèse aussi sur le prolétariat. Dans les pays de l'Est, la faiblesse du prolétariat, sa terrible arriération politique, produit de la barbarie stalinienne, ont déterminé son absence comme classe autonome dans les événements qui ont entraîné la chute des régimes du "socialisme réel", et cette absence a donné encore plus de force à l'action irrationnelle et réactionnaire des couches petites-bourgeoises ce qui a à son tour augmenté la vulnérabilité du prolétariat.
Ce que la classe ouvrière doit affirmer contre les illusions réactionnaires du nationalisme, propagées par la petite-bourgeoisie, c'est que la "communauté nationale" est le masque qui recouvre la domination de chaque Etat capitaliste.
La nation n'est pas le domaine souverain de tous ceux qui sont "nés sur la même terre", mais la propriété privée de l'ensemble des capitalistes qui organisent à partir de là, et à travers l'Etat national, l'exploitation des travailleurs et la défense de leurs intérêts face à la concurrence sans merci des autres Etats capitalistes.
"Etat capitaliste et nation sont deux concepts indissociables subordonnés l'un à l'autre. La nation sans l'Etat est aussi impossible que l'Etat sans la nation. En effet, cette dernière est le milieu social nécessaire pour mobiliser toutes les classes autour des intérêts de la bourgeoisie luttant pour la conquête du monde, mais comme expression des positions de la classe dominante, la nation ne peut avoir d'autre axe que l'appareil d'oppression de celle-ci : l'Etat." (Bilan, n° 14 : "Le problème des minorités nationales", p. 474).
La culture, la langue, l'histoire, le territoire communs, que les intellectuels et les plumitifs à la solde de l'Etat national présentent comme "le fondement" de la "communauté nationale", sont le produit de siècles d'exploitation, le sceau marqué du sang et du feu grâce auquel la bourgeoisie est parvenue à se doter d'une zone privée sur le marché mondial. "Pour les marxistes il n'existe véritablement aucun critère suffisant pour indiquer où commence et où finit une nation, un peuple et le droit, pour des minorités nationales, à s'ériger en nations... Ni du point de vue de la raison, ni de l'histoire, le conglomérat que représentent les Etats nationaux bourgeois ou les groupes nationaux, ne se justifient. Deux faits seulement animent la charlatanerie académique sur le nationalisme : la langue et le territoire communs, et ces deux éléments ont varié continuellement à travers des guerres et des conquêtes. (Bilan, idem p. 473).
La fausse communauté nationale est le masque de l'exploitation capitaliste, l'alibi de tout capital national pour embarquer ses "citoyens" dans les crimes que sont les guerres impérialistes, la justification pour demander aux ouvriers d'accepter les licenciements, les coupes dans les salaires, etc., "parce que l'économie nationale ne peut pas faire autrement", le prétexte pour les embarquer dans la bataille de la "compétitivité" avec les autres capitalismes nationaux ce qui, avec la même force, les sépare et les monte contre leurs frères de classe des autres pays, les condamne à de nouveaux sacrifices encore plus durs, à la misère et au chômage.
La seule communauté qui soit progressiste aujourd'hui est l'unification autonome de toute la classe ouvrière. 'Tour que les peuples puissent réellement s'unifier, leurs intérêts doivent être communs. Pour que leurs intérêts soient réellement communs, il est nécessaire d'abolir les rapports de propriété actuels, car ceux-ci conditionnent l'exploitation des peuples entre eux; l'abolition des rapports de propriété actuels est de l'intérêt exclusif de la classe ouvrière. Elle est aussi la seule qui possède les moyens de le faire. La victoire de la classe ouvrière sur la bourgeoisie c'est, en même temps, la victoire sur les conflits nationaux et industriels qui opposent aujourd'hui les divers peuples entre eux." (Karl Marx: "Discours sur la Pologne", 1847).
La lutte du prolétariat contient en germe la suppression des divisions d'ordre national, ethnique, religieux, linguistique, avec lesquelles le capitalisme -continuant l'oeuvre oppressive des modes de production antérieurs-, a tourmenté l'humanité. Dans le corps commun de la lutte unie pour les intérêts de classe, ces divisions disparaissent de manière naturelle et logique. La base commune ce sont les conditions d'exploitation qui tendent à empirer partout avec la crise mondiale ; l'intérêt commun c'est l'affirmation de ses besoins en tant qu'êtres humains contre les besoins inhumains, toujours plus despotiques, de la marchandise et de l'intérêt national.
Le but du prolétariat, le communisme, c'est-à-dire la communauté humaine mondiale, représente une centralisation et une unité nouvelles de l'humanité, à la hauteur du niveau atteint par les forces productives, capables de leur donner le cadre qui permettra leur vrai développement et leur pleine expansion. C'est l'unité de la centralisation consciente, basée sur les intérêts communs, permise par l'abolition des classes, de l'exploitation salariée et des frontières nationales.
"La communauté apparente que les individus avaient jusqu'alors constituée, prit toujours une existence indépendante vis-à-vis d'eux et, en même temps, du fait qu'elle représentait l'union d'une classe face à une autre, elle représentait non seulement une communauté tout à fait illusoire pour la classe dominée, mais aussi une nouvelle chaîne. Dans la communauté réelle, les individus acquièrent leur liberté simultanément à leur association, grâce à cette association et en elle."
(Marx, Engels, L'idéologie allemande, lre partie, "Communisme", Editions Sociales).
Adalen, 16 mai 1990
[1] [25] Voir dans la Revue Internationale, n° 60, "Thèses sur la crise économique et politique dans les pays de l'Est".
[2] [26] Voir "La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste", dans ce numéro.
[3] [27] Voir "Les révolutionnaires face à la question nationale", Revue Internationale, n° 34 et 42.
[4] [28] Voir "Sur l’impérialisme", Revue Internationale, n° 19
L'évolution des contradictions qui aujourd'hui se concentrent en Allemagne constitue une clé fondamentale de l'évolution de la situation mondiale. Nous publions ici un rapport de notre section dans ce pays qui en dégage la dynamique globale et les différentes hypothèses qu'elle ouvre.
Le
développement de l'économie allemande avant
l'union économique et monétaire
Alors qu'à la fin des années 1980, début des années 1990, l'économie mondiale rencontre des problèmes toujours plus grands, l'économie allemande est encore en plein boom. De nombreux records de production, en particulier dans le secteur automobile, ont été battus plusieurs années de suite. Un nouveau record a été atteint dans le surplus commercial en 1989. Le taux d'utilisation des capacités industrielles a atteint son plus haut point depuis le début des années 1970. Dans beaucoup de secteurs, le manque de main-d'oeuvre qualifiée a été le principal facteur empêchant l'expansion de la production, dans les derniers mois. De nombreuses entreprises ont dû refuser de nouvelles commandes à cause de cela.
Ce boom n'est pas l'expression de la santé de l'économie mondiale, mais de l'écrasante compétitivité du capital ouest-allemand, la loi de la survie du plus adapté. L'Allemagne s'est développée brutalement au détriment de ses concurrents, comme le montrent amplement ses excédents à l'exportation.
La position de l'Allemagne dans la compétition s'est notablement renforcée tout au long des années 1980. Au niveau économique, la tâche principale du gouvernement Kohl-Genscher a été de permettre une énorme augmentation des capitaux propres pour les grandes entreprises, afin de mettre en place une modernisation et une automatisation gigantesques du processus de production. Le résultat en a été une vague de "rationalisation" incroyable, comparable dans son étendue à celle qui a eu lieu en Allemagne dans les années 1920. Les axes principaux de cette politique étaient :
- plus de 100 milliards de marks économisés grâce à des réductions des dépenses sociales, et à peu près directement transférés dans les mains des capitalistes, via des réductions massives d'impôts ;
- une série de nouvelles lois qui ont été adoptées, autorisant les entreprises à accumuler d'énormes réserves complètement exonérées d'impôt - par exemple la création de compagnies d'assurance privées, à travers lesquelles les fonds d'investissement, en grande partie produit de gigantesques spéculations, s'accumulent.
Le résultat est qu'aujourd'hui, le grand capital "baigne dans l'argent". Tandis qu'au début des années 1980, environ 2/3 des investissements des plus grandes entreprises étaient financés par des emprunts bancaires, aujourd'hui, les 40 affaires les plus importantes sont capables de financer leurs investissements presque entièrement par leurs fonds propres - situation tout à fait unique en Europe.
En plus de ces moyens financiers, le gouvernement a considérablement accru le pouvoir des dirigeants d'entreprises sur leur force de travail : flexibilité, dérégulation, journée continue en échange d'une réduction minimum de la semaine de travail.
Il ne fait aucun doute que l'industrie allemande est profondément satisfaite du travail du gouvernement Kohl pendant les années 1980, à ce niveau. Au début de 1990, le porte-parole libéral des industriels, Lambsdorff, annonçait fièrement : "L'Allemagne de l'Ouest est aujourd'hui le leader mondial des pays industriels, et celle qui a le moins besoin de mesures protectionnistes ".
Par exemple, alors que tous les autres pays de la CEE ont pris des mesures protectionnistes radicales contre les importations de voitures japonaises, l'Allemagne a été capable de limiter le pourcentage japonais sur le marché allemand de l'automobile un peu au-dessus de 20 %, et en terme de valeur, elle exporte plus de voitures au Japon que le Japon n'en exporte en Allemagne.
Le plan de la bourgeoisie allemande pour les années 1990 avant l'effondrement de l'est
Malgré cette relative force, la vague de rationalisations des années 1980 était supposée n'être que le commencement. Face à une surproduction massive, à la perspective de la récession, à la banqueroute du tiers-monde et de l'Europe de l'est, il était clair que les années 1990 allaient être celles de la lutte pour la survie, et cela même pour les pays les plus industrialisés. Et cette survie ne pourrait se faire qu'aux dépens des autres rivaux industrialisés.
Face à ce défi, l'Allemagne de l'ouest est loin d'être aussi bien préparée qu'il peut paraître de prime abord.
- Le secteur de la production des moyens de production (machines, électronique, chimie) est terriblement fort. Dans la mesure ou l'Allemagne n'a jamais eu de marché colonial fermé, et où elle est un producteur classique de moyens de production, créant constamment sa propre concurrence, ce secteur a appris historiquement que la survie n'est possible qu'à la condition d'être toujours un pas en avance sur les autres.
- L'Allemagne a été, initialement, beaucoup plus lente que les USA, la Grande-Bretagne ou la France pour développer la production de masse de biens de consommation, et en particulier l'industrie automobile. Cela s'est fait essentiellement après la seconde guerre mondiale, avec l'ouverture du marché mondial aux exportations allemandes, tandis qu'en même temps l'Allemagne, tout comme le Japon, était exclue en grande partie du secteur militaire, ce qui lui a permis de rattraper son retard et de devenir un des leaders mondiaux dans l'automobile. Aujourd'hui, face à la surproduction absolue (on estime que l'industrie occidentale a, pour l'année 1990, une capacité de production excédentaire de 8 millions de voitures !) et, avec une concurrence internationale devenant de plus en plus intense dans ce domaine, la très grande dépendance de l'Allemagne vis-à-vis de l'industrie automobile (environ 1/3 des emplois industriels dépendent directement ou indirectement d'elle) ouvre aujourd'hui des perspectives réellement catastrophiques pour l'économie allemande.
- Le principal domaine dans lequel l'Allemagne a souffert de la défaite dans la deuxième guerre mondiale, c'est le secteur de la haute technologie, qui a été développé historiquement en lien avec le secteur militaire, et dont l'Allemagne a été largement exclue. Le résultat c'est qu'aujourd'hui, malgré son appareil productif hautement moderne, l'Allemagne a un retard massif vis-à-vis des USA mais aussi du Japon dans ce domaine.
La perspective des années 1990 était, par conséquent, de réduire radicalement la dépendance de l'économie allemande à l'égard de l'industrie automobile, non pas en abandonnant volontairement des parts de marché, bien sûr, mais en développant fortement le secteur de la haute technologie. En fait la bourgeoisie allemande est convaincue que dans les années 1990, soit elle fera une percée parmi les nations leaders de la haute technologie aux côtés des USA et du Japon, soit elle disparaîtra complètement comme puissance industrielle majeure indépendante. Cette lutte à mort a été préparée pendant les années 1980, non seulement par la rationalisation et l'accumulation d'énormes investissements, mais aussi par la constitution symbolique de la plus grande entreprise européenne de haute technologie, sous la direction de Daimler- Benz et de la Deutsche Bank. Daimler et Siemens sont supposés être les fers de lance de cette offensive. Cette tentative de l'industrie allemande vers l'hégémonie mondiale dans les années 1990 requiert :
- des investissements absolument gigantesques, laissant ceux des années 1980 loin derrière, et impliquant un transfert encore plus massif de revenus de la classe ouvrière vers la bourgeoisie ;
- l'existence d'une stabilité politique à la fois internationale ment (discipline du bloc US) et à l'intérieur, en particulier vis-à-vis de la classe ouvrière.
Effondrement de l'Est : les buts de guerre allemands finalement atteints.
Après la chute du mur de Berlin, le monde impérialiste a tremblé à la pensée d'une Allemagne unifiée plus grande. Non seulement à l'étranger, mais en Allemagne même, le SPD (social-démocratie), les syndicats, l'église, les médias, tous ont mis en garde contre un nouveau revanchisme allemand, danger apparemment présent avec les ambiguïtés de Kohl sur la frontière Oder-Neisse. De telles visions d'une nouvelle Allemagne mettant en cause les frontières de ses voisins, dans les traces d'Adolf Hitler, n'inquiètent pas vraiment la bourgeoisie allemande. En fait, ces mises en garde ne servent qu'à masquer l'état réel des affaires : à savoir qu'avec la course à l'Europe 92 et l'effondrement du bloc de l'Est, la bourgeoisie allemande a déjà atteint les objectifs qui ont été la cause de deux guerres mondiales. Aujourd'hui, la bourgeoisie allemande triomphante n'a absolument pas besoin de remettre en question une frontière quelconque pour être la puissance dominante en Europe. L'établissement d'une "Grossraumwirtschaft" (zone étendue d'économie et d'échange) dominée par l'Allemagne, en Europe de l'Ouest, et d'un réservoir de main-d'oeuvre bon marché et de matières premières en Europe de l'Est, lui aussi dominé par l'Allemagne, objectifs de l'impérialisme allemand, déjà formulés avant 1914, sont aujourd'hui pratiquement une réalité. C'est pourquoi tout le tapage autour de la frontière Oder-Neisse, ne sert en fait qu'à cacher la réelle victoire de l'impérialisme allemand aujourd'hui en Europe.
Mais une chose doit être claire: cette victoire de l'impérialisme allemand, dont le ministre libéral des affaires étrangères Genscher (et non les extrémistes de droite) est le meilleur représentant, n'implique pas que l'Allemagne puisse aujourd'hui dominer l'Europe de la façon dont Hitler envisageait de le faire. Il n'y a pas actuellement, de bloc européen constitué, et dirigé par l'Allemagne. Alors que dans les lre et 2e guerres mondiales, l'Allemagne se croyait assez forte pour dominer l'Europe de façon dictatoriale, cette illusion est impossible aujourd'hui. Alors qu'à l'époque, l'Allemagne était le seul pays industriel important sur le contiennent européen (sans compter la Grande-Bretagne), ce n'est plus le cas aujourd'hui (France, Italie). L'unification allemande ne fera passer que de 21 % à 24 % le pourcentage de l'Allemagne dans la production de la CEE. Qui plus est, alors que la tentative allemande de domination de l'Europe, dans les lre et 2e guerres mondiales, n'était possible qu'avec l'isolationnisme des USA, aujourd'hui l'impérialisme US est massivement et immédiatement présent sur le vieux continent et sera très attentif à prévenir l'émergence de telles ambitions. Enfin, l'Allemagne est aujourd'hui trop faible militairement et ne possède pas d'armes de destruction massive. Pour toutes ces raisons, la formation d'un bloc européen n'est possible, dans les conditions présentes, que s'il y a une puissance assez forte pour soumettre toutes les autres. Ce n'est pas le cas aujourd'hui.
La victoire de l'Allemagne : victoire a la Pyrrhus
A la différence des années 1930, l'Allemagne d'aujourd'hui n'est pas la "nation prolétarienne" (formulation du KPD dans les années 1920 !), exclue du marché mondial et poussée à renverser les frontières tout autour d'elle. Aussi longtemps qu'elle n'est pas coupée du marché mondial et des fournitures de matières premières, la bourgeoisie allemande n'a absolument aucune ambition ni aucun intérêt à former un bloc militaire en opposition aux USA. En fait l'Allemagne aujourd'hui est, dans un certain sens, plutôt une puissance "conservatrice" qui a "obtenu ce qu'elle voulait" et qui est plus préoccupée de ne pas "perdre ce qu'elle a". Et c'est vrai : l'Allemagne est une puissance qui a tout à perdre dans le chaos et la décomposition actuels. Son souci principal aujourd'hui est d'éviter que sa victoire ne se transforme en catastrophe - une catastrophe qui est très probable.
Les coûts de l'unification
Ces coûts sont si gigantesques qu'ils mettent en danger la santé des finances de l'Etat, et la position immédiate de l'Allemagne dans la concurrence internationale. Il est plus que probable que les capitaux, qui vont être utilisés pour l'unification, sont ceux-là mêmes qui étaient prévus pour financer la fameuse percée sur le marché de la haute technologie, pour rejoindre les USA et le Japon. En d'autres termes, l'unification, loin d'être un renforcement à ce niveau, pourrait être, pour la bourgeoisie allemande, le facteur même de la destruction de ses espoirs de rester une des puissances industrielles dominantes dans le monde.
Les coûts de l'Europe de l'Est
De la même manière qu'elle essaiera d'ériger un nouveau "mur de Berlin" le long de la ligne "Oder-Neisse" pour contenir le chaos de l'Est, il est certain que l'Allemagne sera obligée d'investir dans les pays limitrophes afin de créer une sorte de "cordon sanitaire" contre la totale anarchie se développant plus à l'Est. Bien sûr, l'Allemagne va dominer et domine déjà les marchés de l'Europe de l'Est. Cependant, il est intéressant de noter que la bourgeoisie allemande, loin d'être triomphante à ce propos, lance aujourd'hui un cri d'alarme à propos des dangers que cela implique :
- danger que l'obligation d'investir à l'Est n'entraîne en permanence des pertes de marchés à l'Ouest, alors que ceux-ci sont beaucoup plus importants dans la mesure où ils paient comptant et sont beaucoup plus solvables ;
- danger d'une baisse de niveau technique de l'industrie allemande, dans la mesure où les marchandises que l'Europe de l'Est commandera seront plus simples et rudimentaires que celles exigées par le marché mondial.
Les coûts de la rupture du bloc US
Cela présente le danger, à long terme, de la désagrégation du marché mondial, jusqu'alors tenu par la discipline du bloc et surveillé militairement par les USA. Une telle éventualité serait un désastre pour l'Allemagne de l'ouest, en tant que nation leader à l'exportation, et en tant que puissance ayant été, avec le Japon la principale bénéficiaire industrielle de l'ordre d'après-guerre.
Les coûts de tout affaiblissement du Marché commun européen
Le marché européen, et surtout le projet de l'Europe 92, sont menacés aujourd'hui par la montée du "chacun pour soi", par la volonté d'éviter le partage des coûts liés à l'Europe de l'Est, par les réactions françaises à la perte du leadership conjoint avec l'Allemagne de l'ouest en Europe occidentale, leadership qui sera maintenant assuré par la seule Allemagne.
Si l'Europe de 92 (ce par quoi nous entendons l'établissement de normes pour la "libéralisation" des échanges, de règles pour régir la bataille de tous contre tous, favorisant toujours les plus forts, et non les irréalisables "Etats-Unis d'Europe") devait échouer, et si le marché européen devait se rompre, ce serait une catastrophe totale pour l'Allemagne de l'Ouest, dans la mesure où c'est là que se trouvent ses principaux marchés d'exportation. C'est donc une formulation incorrecte, souvent utilisée par la presse bourgeoise, de dire que Bonn, en menant la réunification rapidement, a mis en avant ses propres intérêts contre ceux de la CEE'. L'intérêt particulier de Bonn, c'est la CEE. Elle a été obligée de faire l'unification immédiatement du fait de l'incroyable accélération du chaos.
L'effondrement de l'Union Soviétique
Aussi longtemps que l'URSS tenait encore debout, l'Europe de l'Est était, d'une part, un territoire ennemi et une menace militaire pour l'Allemagne de l'ouest, mais d'autre part une garantie de voisinage stable à la frontière est de l'Allemagne. Le terrible chaos qui se développe aujourd'hui en URSS est une préoccupation majeure pour les USA, et extrêmement inquiétant pour la France et la Grande-Bretagne. Mais pour la bourgeoisie allemande, qui est juste à côté, c'est une vision de cauchemar absolu. Dans la nouvelle Allemagne unifiée, il n'y aura que la Pologne pour la séparer de l'URSS. Le Ministère des affaires étrangères de Genscher est hanté par la vision d'horreur de guerres civiles sanglantes, de monceaux d'armements et de centrales nucléaires explosant, de millions de réfugiés d'Union Soviétique déferlant à l'Ouest, menaçant de détruire complètement la stabilité politique de l'Allemagne. Mais si ce "scénario du pire" doit être évité, la bourgeoisie allemande devra accepter une responsabilité importante dans la tentative de limiter l'anarchie en Union Soviétique, ce qui représentera aussi une énorme charge économique. Par exemple : le gouvernement ouest-allemand s'est engagé à respecter et honorer tous les engagements de livraison passés entre l'Allemagne de l'est et l'Union Soviétique, promesse qui est d'inspiration politique et qui ne sera tenue qu'à contre-coeur. De la même manière que la rupture de la CEE signifierait l'annulation de la victoire des buts de guerre de l'impérialisme allemand (Grossraumwirtschaft), le déclenchement d'une totale anarchie en Union Soviétique détruirait le second plan, celui d'une Europe de l'est fournisseuse de matières premières bon marché. Ce serait pour le moins tragique pour le capitalisme allemand, dans la mesure où l'Union Soviétique est le seul réservoir disponible de matières premières qui ne viennent pas d'outre-mer, et ne dépend donc pas du bon vouloir des USA. Un exemple des effets de l'anarchie de l'Est sur les ambitions de l'impérialisme allemand : un des projets favoris de Gorbatchev est la création d'une zone industrielle exonérée d'impôts à Kaliningrad, qui est supposée devenir la nouvelle fenêtre de la Russie sur l'Ouest. Il a l'intention de transférer des Allemands de la Volga dans cette zone de l’ex-ville allemande de Königsberg, comme mesure incitatrice supplémentaire pour drainer les capitaux allemands. Kaliningrad est ainsi censée être une fenêtre allemande sur l'Est, c'est-à-dire sur une "voie sûre" pour les matières premières sibériennes, évitant les républiques asiatiques d'Union Soviétique. Aujourd'hui, le séparatisme et le mini-impérialisme des républiques de la Baltique sèment la pagaille dans ces plans. Landbergis a déjà laissé les Lituaniens revendiquer Kaliningrad.
Les mesures de la bourgeoisie allemande contre le chaos et la décomposition
Au vu de l'effrayante accélération de la crise, des guerres économiques, de la décomposition, de l'effondrement de l'Est, il y a un réel danger :
- que le combat de la bourgeoisie allemande en vue de se frayer un passage dans la lutte pour l'hégémonie sur le marché mondial contre les USA et le Japon, ait lieu dans des conditions beaucoup moins favorables ;
- que l'Allemagne perde complètement sa place privilégiée de "surfer" sur la vague de la crise au détriment de ses rivaux. Au contraire, le danger est réel que la position de l'Allemagne devienne même particulièrement fragile, comme c'était le cas dans les années 1930, mais cette fois face à une classe ouvrière non défaite ;
- que la fameuse stabilité politique allemande puisse être ruinée par la décomposition et le chaos mondiaux.
La tendance à la ruine économique totale et au chaos complet est historiquement irréversible. Néanmoins, toute tendance a des contre-tendances, qui dans ce cas n'arrêteront pas, mais pourront ralentir ou de toute façon influencer, le cours de ce mouvement à certains moments, ce qui fait qu'il ne se développera pas de la même manière dans tous les pays. En particulier, il est nécessaire d'examiner les mesures que la bourgeoisie allemande est en train de prendre pour se protéger. La bourgeoisie allemande n'est pas seulement la plus puissante en Europe au plan économique, et l'une des plus riches d'amères expériences, mais elle a aussi les structures politiques et étatiques les plus modernes (par exemple, la modernité politique de l'Etat allemand en comparaison du britannique est aussi marquée que leur différence au niveau économique). La bourgeoisie allemande a été capable de combiner ses "qualités traditionnelles" et tout ce qu'elle a appris de son mentor américain à la fin des années 1940 (l'Allemagne de l'ouest est dans beaucoup de domaines, sans aucun doute, le plus "américanisé" des pays européens).
Faire l'unification au meilleur coût
A travers l'union monétaire, Bonn envisage de donner aux Allemands de l'est de l'argent de l'Ouest, mais aussi peu que possible, et par là d'avoir la justification politique pour arrêter leur venue à l'Ouest. Le but est de faire porter, le plus possible, la charge de l'unification à la RDA elle-même, à la CEE, et surtout (nous reviendrons sur ce point), à la classe ouvrière de l'Est et de l'Ouest. Par ailleurs, la bourgeoisie ouest-allemande s'efforce de conserver exclusivement pour elle les aspects bénéfiques de cette unification, c'est-à-dire, des sources de force de travail incroyablement bon marché grâce auxquelles elle pourra aussi exercer des pressions sur les salaires de l'Ouest, ou l'accès aux matières premières soviétiques et à la technologie spatiale par les liens historiques avec les entreprises est-allemandes.
Eviter la désagrégation de la CEE
S'il y a une tendance dans cette direction, il y a aussi d'importantes contre-tendances. Parmi ces contre-tendances :
- l'intérêt impérieux de l'Allemagne elle-même d'éviter cela ;
- l'intérêt des autres pays européens qui sont terrifiés par le risque d'être dépassés par le Japon. Même s'il est vrai que la tendance est aujourd'hui au "chacun pour soi", les gangsters tendent malgré tout à se regrouper pour affronter d'autres gangsters.
L'Europe 92 n'est pas un nouveau bloc contre les USA. Et elle n'a probablement aucune chance de le devenir si les Américains décident de la saboter. Bonn est actuellement en train d'essayer de convaincre Washington que l'Europe 92 est essentiellement dirigée contre le Japon, et non contre les USA. La bourgeoisie ouest-allemande est convaincue que l'une des bases principales de la terrible compétitivité japonaise sur le marché mondial, est la fermeture complète du marché intérieur japonais, et que les prix élevés à l'intérieur du Japon financent leur dumping sur le marché mondial. Bonn proclame que si le Japon est contraint, par des mesures protectionnistes, de construire des usines en Europe, celles-ci ne sont pas plus compétitives que les européennes, ou au moins que les allemandes. Le message est clair : si l'Europe 92 peut servir à obliger le Japon à ouvrir son marché intérieur, il est possible de vaincre le géant asiatique. De plus, Bonn souligne sans cesse que le marché européen, qui sera alors le plus grand marché unifié du monde, est le seul moyen grâce auquel les USA peuvent combler leur gigantesque déficit commercial, c'est-à-dire que Bonn propose un partage germano-américain du marché européen.
Avant les 1e et 2e guerres mondiales, les marxistes ont alerté la classe ouvrière à propos des massacres à venir, et ont exprimé quelle attitude le prolétariat devrait prendre à ce propos. Aujourd'hui, notre tâche est d'alerter les ouvriers contre la guerre mondiale commerciale qui vient de se déclencher à une échelle sans précédent dans l'histoire, et de les armer contre le danger mortel du nationalisme économique, c'est-à-dire de prendre partie pour leur propre bourgeoisie. Le coût de cette guerre pour la classe ouvrière sera réellement horrible.
L’unification allemande et la possibilité d'une brutale récession
Jusqu'à maintenant nous avons montré les énormes implications du chaos et de la décomposition actuels pour le capital allemand dans la perspective des années 1990. Mais il y a aussi une perspective immédiate, celle des effets de l'union économique et monétaire notamment. Ces effets vont être catastrophiques en particulier pour la classe ouvrière, et spécialement celle de RDA.
Il est difficile de prédire l'issue immédiate de cette affaire, dans la mesure ou c'est une situation inédite dans l'histoire. Mais il y a une possibilité que cela puisse freiner temporairement la tendance de l'économie mondiale à la récession ouverte, au prix de la ruine des finances d'Etat de l'Allemagne, et en aiguisant encore plus les contradictions globales. L'autre possibilité que nous ne devons pas exclure, au vu de la grande fragilité de la conjoncture économique mondiale actuelle, est que les désordres monétaires et des taux d'intérêt, la panique de l'investissement et des bourses qui pourraient survenir soient la goutte d'eau qui fait déborder le vase, plongeant l'économie mondiale dans la récession ouverte.
Ce qu'on peut avancer avec certitude, c'est que l'arrivée du Deutsche Mark en Allemagne de l'est va provoquer des millions de licenciements et une explosion de paupérisation de masse qui, dans leur soudaineté et leur brutalité, seront, peut-être, sans précédent dans un pays industrialisé dans l'histoire du capitalisme, en dehors d'une période de guerre. Il est vrai également que le coût incalculable de ces mesures drastiques ne peut être assuré sans pressurer les ouvriers d'Allemagne de l'ouest... Les systèmes de chômage et de sécurité sociale de l'Ouest, par exemple, vont être amenés au bord de l'insolvabilité, dans la mesure où il leur faudra financer ce qui se passe à l'Est. Qui plus est, il n'y a absolument aucune garantie que le principal but politique immédiat de l'union monétaire - éviter la venue des Allemands de l'Est à l'Ouest - soit un succès. Et encore, le dilemme de la bourgeoisie ouest-allemande face à un monde capitaliste qui s'effondre est mis en évidence par le fait que les effets économiques de la non-réalisation immédiate de l'unification seraient certainement encore plus désastreux. Lambsdorff ne plaisantait pas quand il déclarait récemment que si des élections ne se tenaient pas rapidement dans toute l'Allemagne, non seulement l'Allemagne de l'est mais aussi celle de l'ouest se trouveraient bientôt en faillite. (Il faisait référence à la survivance de la bourgeoisie stalinienne d'Allemagne de l'est, qui rêve maintenant de continuer ses 40 ans de mauvaise gestion, mais cette fois directement financée par l'Ouest).
Le désarroi de la bourgeoisie après la chute du mur
Quand le mur est tombé, la bourgeoisie s'est trouvée déroutée, surprise et divisée. Il y a eu un enchaînement de crises politiques :
- Genscher appuyait, de façon originale, l'appartenance rapide mais séparée de la RDA à la CEE, avec seulement des liens fédératifs avec l'Allemagne de l'ouest ;
- Brandt devait se battre en coulisses pour amener le SPD sur la position de la réunification ;
- une coalition régionale et communale SPD-CDU a été nécessaire pour obliger Kohl à mettre un terme aux lois incitant l'émigration de l'Est, lois utiles pendant la guerre froide, mais conduisant aujourd'hui au désastre ;
- Bonn a été obligé de supporter à la fois les gouvernements de Krenz et de Modrow, aussi longtemps que le vide du pouvoir ne pouvait être comblé ;
- Bonn a dû changer sa politique initiale d'aide économique hésitante, pour celle de l'union monétaire immédiate et de l'unification accélérée ;
- la lutte de l'appareil d'Etat stalinien de RDA pour une place dans la nouvelle Allemagne a causé une série de crises, depuis l'aggravation de l'immigration vers l'Ouest, jusqu'aux chantages sur des leaders politiques (pas seulement de l'Est) exercés par la Stasi (police d'Etat-Staatssicherheit) ;
- les manoeuvres de Kohl sur la frontière Oder-Neisse ont causé des crises internes et des scandales internationaux.
Offensive de stabilisation vers l'unité nationale
Le premier axe de l'offensive de restabilisation a été le rétablissement de l'unité des courants bourgeois dominants. En dépit de tous les conflits et du chaos, très rapidement le sentiment s'est développé que cette sorte de crise historique nécessitait un certain type d'unité nationale. Aujourd'hui il y a un réel accord entre la CDU, le FDP et le SPD sur les problèmes fondamentaux soulevés par l'ouverture du mur : unification rapide, union monétaire immédiate (soutenue politiquement, même par la Bundesbank, bien qu'elle la considère comme suicidaire au plan économique), politique anti-immigration à l'égard de l'Est, maintien au sein de POTAN (qui sera étendue par étapes à la RDA), reconnaissance de la frontière Oder-Neisse.
Deuxième phase d'instabilité : la digestion de la RDA
L'autre axe de la "stabilisation" ne fait que déplacer le chaos d'un niveau à un autre. L'unification précipitée n'est pas possible sans un certain niveau de chaos. Elle provoque des conflits avec les grandes puissances et menace de déstabiliser encore plus l'URSS. Et l'union monétaire est une des politiques les plus aventuristes de l'histoire humaine, peut-être comparable à l'offensive "Barberousse" de Hitler contre la Russie. Le massacre économique de l'industrie de la RDA va être si sanglant, le chômage massif si élevé (certains parlent de 4 millions de chômeurs), que cela pourrait même manquer totalement son but immédiat - celui de stopper l'immigration massive vers l'Ouest. Le remède contre le chaos mènera probablement... au chaos.
Malgré l'opposition directe, en particulier des "grandes puissances" européennes, à la perspective de l'unification immédiate de l'Allemagne après l'ouverture du mur de Berlin, ce processus a aussi été accéléré dans le même temps, en particulier avec le soutien des Etats-Unis (dont la formule de l'appartenance d'une Allemagne unie à l'OTAN sert surtout à maintenir la présence américaine en Allemagne et en Europe, aux dépens non seulement de l'Allemagne, mais aussi de la Grande-Bretagne, de la France, et de l'URSS), et même au risque d'une plus grande déstabilisation du régime de Gorbatchev et de l'URSS. Deux raisons à cela :
- toutes les puissances majeures sont effrayées par le vide créé en Europe centrale, vide que seule l'Allemagne peut combler ;
- c'est l'effondrement de l'URSS qui fait automatiquement de l'Allemagne la puissance dirigeante de l'Europe, qui amène la disparition de l'impératif, pour Bonn, de partager la direction de l'Europe de l'ouest avec Paris, etc. Au contraire, il est peu probable, et pas prouvé, que l'actuelle unification allemande conduise au renforcement de l'Allemagne comme puissance majeure. Economiquement, l'unification est à coup sûr un affaiblissement, et tous les avantages stratégico-militaires seront probablement plus que contrebalancés par les effets du chaos de l'Est. C'est la compréhension du fait que l'unification ne signifie pas du tout automatiquement un renforcement de l'Allemagne qui a permis de la rendre acceptable pour ses "alliés".
Chronologiquement parlant :
- Après l'ouverture du mur, il y a eu une explosion nationaliste au sein de la bourgeoisie allemande, de Kohl à Brandt. "Nous autres, Allemands, sommes les meilleurs" etc., en dépit des mises en garde immédiates des plus modérées (par exemple Lafontaine). La panique, l'effroi et la jalousie parmi les "alliés" a été symbolisée par l'opposition ouverte à l'unification, et la visite-éclair de Mitterrand à Berlin-Est et Budapest, pour s'assurer que la France aurait un morceau de ce gâteau, était typique.
- La bourgeoisie s'est réveillée de ses stupides illusions. Plus Bonn réalise clairement que "le gâteau est empoisonné", plus la bourgeoisie allemande est obligée de le manger rapidement, du fait du développement du chaos. Maintenant c'est Bonn qui panique et qui est rendue furieuse par la nouvelle attitude des alliés, qui laissent l'Allemagne de l'ouest seule avec les problèmes et surtout avec le coût de cette pagaille.
- Bonn a réussi à convaincre les autres qu'elle ne peut pas se charger seule du problème et que s'ils ne participent pas activement, le résultat pourrait être la déstabilisation de toute l'Europe de l'ouest.
Les élections à venir ; une tentative de mettre en place des structures de stabilisation
En novembre 1989, nous avions noté que dans la nouvelle situation, la présence du SPD dans l'opposition, afin de mieux contrôler la classe ouvrière, n'est plus une obligation pour la bourgeoisie, du fait du recul de la conscience de classe provoquée par les événements à l'Est, et que la continuation du gouvernement Kohl-Genscher dépend du dépassement de leurs divergences. A présent, il semble que de telles divergences ne seront plus au coeur des élections (hormis l'extension de la stabilité, c'est-à-dire l'application des structures politiques de l'Allemagne de l'ouest à la RDA). La CDU reste légèrement plus forte que le SPD dans une Allemagne unie, le FDP reste le "faiseur de coalition", les "Républicains" sont maintenus hors du Parlement. Il n'y a pas de raison de penser qu'un gouvernement dirigé par Lafontaine serait fondamentalement différent de l'actuel.
Un problème qui se pose est celui des tensions et des confusions au sein de l'appareil politique :
- rivalités entre CDU et CSU concernant l'influence en RDA;
- rivalités entre le SPD et les staliniens pour le contrôle des syndicats en RDA ;
- divergences aiguës au sein des Verts sur l'unification ;
- désorientation chez les gauchistes, dont la plupart s'accrochent à l'Etat de RDA et au PDS (ex-SED) dont personne ne veut plus, ni à l'Est (à part les principaux fonctionnaires staliniens), ni à l'Ouest.
Aussi importantes que soient les tentatives de stabilisation, de nouvelles vagues d'anarchie sont déjà à l'horizon :
- l'effondrement définitif de l'URSS ;
- la crise économique mondiale (après l'URSS, les USA sont probablement le prochain gros bateau qui va faire naufrage) ;
- les tensions au sein de l'OTAN.
Lutte de classes : la combativité de la classe reste intacte
Il est évident que l'Allemagne n'est pas une exception dans le reflux, en particulier de la conscience, au sein de la classe ouvrière. Au contraire :
- le reflux a commencé en Allemagne plus tôt qu'ailleurs, dès 1988-89, et déjà, essentiellement, du fait de la situation à l'Est:
- les propositions de réductions d'armement par Moscou ont provoqué des illusions réformistes à propos d'un capitalisme plus pacifique ;
- l'afflux, en provenance de l'Est, de près d'un million de personnes par an ;
- l'énorme battage à propos de la "faillite du communisme", dès les massacres de Pékin ;
- un impact plus profond, du fait de la proximité de l'Est, des illusions démocratiques, réformistes, pacifistes, et inter-classistes qui y sont encore plus importantes que partout ailleurs. Les questions de l'unification des luttes et de la contestation des syndicats, bien qu'elles aient déjà été posées par les luttes à Krupp en décembre 1987, étaient par avance posées moins fortement qu'ailleurs, et elles sont donc aujourd'hui plus affaiblies.
D'autre part, la combativité, après avoir souffert d'une paralysie momentanée sous l'impact de l'immigration de l'Est, au lieu de reculer encore, après l'ouverture du mur, comme on aurait pu s'y attendre, a réellement commencé à reprendre (comme l'ont montré récemment les débrayages symboliques pendant les négociations syndicales). L'absence du moindre indice, pour le moment, indiquant que les ouvriers d'Allemagne de l'ouest soient prêts à de quelconques sacrifices matériels pour l'unification, est le problème central de la bourgeoisie. Cette idée même semble chasser les derniers vestiges de patriotisme de la tête de nombreux ouvriers
Crise et unification : bilan des années 1980
La crise joue un rôle essentiel pour l'unification, même quand la bourgeoisie parvient à éviter la concrétisation de cette dernière dans les luttes. L'apparition, au début des années 1980, du chômage de masse, de la "nouvelle pauvreté" au milieu de ces années, et de la dramatique crise du logement datant de l'après-guerre, et se révélant à la fin de ces années, tout cela a puissamment accru le potentiel de l'unification. Mais ce développement est contradictoire et non-linéaire.
L'offensive de modernisation des années 1980, l'attaque la plus forte en Allemagne depuis les années 1920, a partiellement transformé le monde du travail. L'ouvrier industriel moderne, contrôlant souvent plusieurs machines à la fois, est confronté à de telles exigences meurtrières, en énergie, en concentration, en qualification et requalification permanente, etc., qu'une part croissante de la population est automatiquement exclue du processus de production (trop vieux, trop malade, pas assez fort mentalement pour supporter la pression, pas assez qualifié, etc.).
Cela explique en grande partie le paradoxe d'avoir, d'un côté, le chômage de masse, et simultanément des centaines et des milliers d'emplois vacants dans les secteurs qualifiés. L'anarchie est totale. Des millions d'ouvriers sont au chômage, pas seulement parce qu'il n'y a pas d'emplois, mais aussi parce qu'ils ne peuvent pas répondre aux incroyables exigences actuelles. Cette masse toujours croissante n'est plus utile au capital comme moyen de pression sur les salaires et sur ceux qui ont encore un emploi, il n'y a donc pas de raison économique de les garder en vie. Aussi, les mesures les plus radicales ont été appliquées dans ce secteur ; c'est pourquoi, dans les années 1980, Bonn a arrêté la construction de logements sociaux.
Les effets immédiats de l'offensive de rationalisation-modernisation du capital allemand n'ont pas eu que des effets positifs sur l'unification des luttes. Ils ont aussi impliqué une certaine tendance à diviser les ouvriers entre :
- ceux qui peuvent encore répondre aux impératifs actuels de la production, et qui, malgré le contrôle des salaires, ont plus de revenus aujourd'hui qu'il y a cinq ans, du fait des heures supplémentaires innombrables (cela vaut probablement pour la majorité des ouvriers). Ceux-là pensent que, du fait du manque actuel de main-d'oeuvre qualifiée, le capital a besoin d'eux: ce qui favorise les illusions individualistes et corporatistes ("nous sommes assez forts tous seuls" ;
- ceux qui ne peuvent pas répondre à ces impératifs, qui sont sans cesse plus marginalisés et exclus de la production, qui tombent dans une pauvreté croissante, et sont souvent les premières victimes de la décomposition sociale (désespoir, drogues, explosions de violence aveugle ; par exemple Kreuzberg à Berlin), et qui se sentent isolés du reste de leur classe. En rapport avec cela (mais non identique), nous devons voir l'échec des luttes de chômeurs, et de leur lien avec les ouvriers actifs.
La crise et l'unification en perspective
Parmi les effets les plus immédiats du changement historique, il y a :
- les illusions sur un boom durant des années, du fait de :
. l'Europe de l'est,
. l'Europe 92,
. une "prime de paix", liée à une réduction radicale des dépenses militaires.
- la peur d'un nouvel appauvrissement, à cause de l'unification, cela n'ayant pas seulement des effets de radicalisation, mais aussi des tendances à la division de la classe (Ouest contre Est) ; ([1] [32])
- l'union monétaire doublera en fin de compte le nombre des chômeurs en Allemagne ;
- un véritable massacre d'emplois semble inévitable dans les secteurs où la surproduction est la plus importante, en particulier dans l'automobile ;
- le coût des années 1990, les énormes programmes d'investissement, l'annulation des dettes impayables de pays de la périphérie, etc., tout cela exigera des transferts de richesse encore plus importants du prolétariat vers le capital ;
- si la "rationalisation" continue au rythme actuel, vers le milieu des années 1990, des millions d'ouvriers seront confrontés à l'épuisement total et à une usure complète avant l'âge de 40 ans. Des forces essentielles de la classe seraient menacées.
Les principales difficultés pour l'unification politique de la classe
Le renforcement de la social-démocratie, des syndicats, de l'idéologie réformiste, du pacifisme, de l'inter-classisme, cela ne peut être dépassé facilement, ni rapidement ou automatiquement, mais requiert :
- l'engagement dans des luttes répétées ;
- la mobilisation et la discussion collectives ;
- l'intervention communiste.
Les leçons des 20 dernières années de crise et de luttes n'ont pas disparu, mais ont été rendues moins accessibles, enfouies sous un amas de confusions. Il n'y a pas de place pour la complaisance, le trésor doit être ramené à la surface, sinon la classe échouera dans sa tâche historique.
LE RETARD DU PROLETARIAT DE RDA
Bien que la RDA ait fait partie de l'Allemagne jusqu'en 1945, les effets du stalinisme ont été profondément catastrophiques pour la classe ouvrière. Il y a un retard fondamental qui va plus loin encore que le manque d'expérience sur la démocratie, les syndicats "libres", la haine virulente du "communisme". L'isolement derrière le mur a conduit les ouvriers à une véritable provincialisation. L'"économie de pénurie" les a amenés à voir les étrangers comme des ennemis qui "achètent tout et nous laissent sans rien". L'"internationalisme" soviétique et l'isolement du marché mondial ont encouragé un puissant nationalisme. Alors qu'en Allemagne de l'ouest un ouvrier sur dix, peut-être, est raciste, en RDA un sur dix n'est pas raciste. L'économie de commandement a conduit à une perte de dynamisme et d'initiative, à l'apathie et à la passivité, à l'incessante "attente des ordres", à une certaine servilité (pas même atténuée par un marché noir florissant, comme en Pologne). Et le retard technique : la plupart des ouvriers n'ont même pas l'habitude d'utiliser le téléphone. Le stalinisme laisse la classe profondément divisée par le nationalisme, les questions ethniques, les conflits religieux, la délation (probablement un ouvrier sur cinq informait régulièrement la Stasi sur ses collègues).
Nous pouvons nous réjouir de ce que, quand l'Allemagne a été divisée après la guerre, 63 millions de personnes se soient trouvées à l'Ouest et seulement 17 millions à l'Est, et pas l'inverse.
Le rôle crucial des ouvriers de l'Ouest ; l'alternative historique est encore ouverte
L'immense vague nationaliste réactionnaire venue de l'Est s'est brisée, jusqu'à maintenant, sur le rocher du prolétariat d'Allemagne de l'ouest. Nous n'entendons pas dire par là, que la contre-révolution a obtenu, à l'Est, une victoire irréversible. Mais s'il est encore possible qu'ils participent à des mouvements révolutionnaires dans le futur, c'est parce que les ouvriers de l'Ouest n'ont pas été entraînés sur le même terrain bourgeois qui, à l'Est, est aujourd'hui aussi efficace qu'il l'était en Espagne pendant la guerre civile. La classe ouvrière d'Allemagne de l'ouest a montré qu'elle n'a pas, pour le moment, les mêmes penchants au nationalisme.
L'ouvrier ouest-allemand typique associe aujourd'hui le nationalisme avec les défaites dans les guerres mondiales et avec la plus terrible pauvreté, et, au contraire, assimile une certaine prospérité à la CEE, au marché mondial, etc. Un emploi industriel sur deux en Allemagne, dépend du marché mondial. Et même l'immigration massive venant de l'Est n'a eu des effets de division importants que sur les secteurs faibles, et non sur les "bataillons" principaux de la classe. Le prolétariat reste une force décisive dans la situation mondiale. Par exemple, si la bourgeoisie allemande, malgré le coût incroyable de l'unification, la lutte sur le marché mondial, etc., devait s'engager dans une course pour le réarmement pour devenir une superpuissance militaire, le prix en serait tellement élevé, que cela conduirait probablement à la guerre civile. La classe ouvrière dans les pays industriels de l'Ouest reste invaincue, elle demeure une force avec laquelle la bourgeoisie doit compter en permanence
Nous ne savons pas avec certitude si la classe peut sortir des difficultés présentes et rétablir sa propre perspective de classe. Et nous ne pouvons pas même nous consoler avec l'illusion déterministe selon laquelle "le communisme est inévitable". Cependant nous savons que le prolétariat, aujourd'hui, n'a pas que ses chaînes à perdre, mais son existence-même. Par contre il a toujours un monde à gagner, et pour ce faire, Il n'est pas encore trop tard.
Weltrevolution, 8 mai 1990
[1] [33] L'économie ne constitue pas automatiquement et immédiatement un antidote au reflux sur la question de l'unification des luttes. Mais à long terme, la récession est une force puissante pour l'unification. Cependant la situation du capital mondial est désastreuse même sans récession ouverte.
L'effondrement du bloc de l'Est est l'événement historique le plus important :
Un événement d'une telle importance est une épreuve, un test déterminant, pour les organisations révolutionnaires et le milieu prolétarien dans son ensemble. Il n'est pas un simple révélateur de la clarté ou de la confusion des organisations politiques, il a des implications extrêmement concrètes. De leur capacité à y répondre clairement dépend non seulement leur propre avenir politique mais aussi la capacité de la classe à s'orienter dans la tempête de l'histoire.
L'activité des révolutionnaires n'est pas gratuite, elle a des conséquences pratiques pour la vie de la classe. La capacité de développer une intervention claire contribue au renforcement de la conscience dans la classe, et l'inverse aussi est vrai, l'impuissance à intervenir, la confusion des organisations prolétariennes, constituent des entraves à la dynamique révolutionnaire dont la classe est porteuse.
Face au séisme économique, politique et social qui ravage les pays du pacte de Varsovie depuis l'été 1989, comment le milieu politique prolétarien et les organisations révolutionnaires qui le constituent ont réagi ? Comment les événements ont été compris ? Quelle intervention a été faite ? Ce ne sont pas là des questions secondaires et des prétextes à des polémiques stériles, ce sont des questions essentielles qui influencent très concrètement les perspectives du futur.
Le PCI, Battaglia Comunista commence une prise de position évolutive durant l'automne 1989, mais il faut attendre la nouvelle année pour que paraissent les premières prises de position de la CWO, du PCI-Programme Communiste, Le prolétaire, et du FOR, fin février 1990, paraissent deux textes de débat interne de la FECCI sur la situation dans les pays de l'Est, mais il faudra attendre avril pour voir paraître sa publication : Perspective internationaliste, n° 16, datée de l'hiver ! Avec le printemps, les petites sectes retrouvent un peu de vigueur et publient enfin des prises de position. Communisme ou civilisation, Union prolétarienne, le GCI, Mouvement communiste pour la formation du parti mondial, sortent de leur léthargie. De longs mois se sont écoulés jusqu'à la fin de l'année 1989 durant lesquels, en dehors des prises de position du CCI, les prolétaires désireux de se clarifier et de connaître le point de vue des groupes révolutionnaires n'avaient à se mettre sous la dent qu'un maigre numéro de BC et du Prolétaire. Lorsque le CCI publie dans la Revue internationale n° 61, une polémique écrite fin février [2] [37], celle-ci ne peut traiter que des positions de trois organisations: le BIPR qui regroupe la CWO et BC, le PCI Le prolétaire et le FOR, pourtant, six mois se sont écoulés depuis les premiers événements marquants et significatifs.
Certes, l'effondrement d'un bloc impérialiste sous les coups de la crise économique mondiale n'a pas de précédent dans l'histoire du capitalisme, la situation est historiquement nouvelle, et donc difficile à analyser. Cependant, indépendamment même du contenu des positions développées, ce retard traduit avant tout une incroyable sous-estimation de l'importance des événements et du rôle des révolutionnaires. La passivité des organisations politiques qui environnent le CCI face à l'implosion du bloc de l'Est et aux interrogations nécessaires qu'un tel fait soulève au sein de la classe ouvrière en dit long sur l'état de décrépitude politique dans lequel elles s'enfoncent.
Ce n'est certes pas un hasard si les organisations qui ont réagi le plus rapidement sont celles qui se rattachent par leur histoire le plus clairement aux traditions communistes des Gauches, et particulièrement de la Gauche italienne, celles qui, dans la durée, ont déjà montré une relative solidité. Elles constituent les pôles politiques et historiques du milieu prolétarien. Les petites sectes qui gravitent autour, produits des multiples scissions, fondamentalement, n'expriment pas de points de vue si originaux ou nouveaux qu'ils puissent justifier leur existence séparée. Pour se distinguer, elles ne peuvent que, soit de "découverte" en "découverte", s'enfoncer dans la confusion et le néant, soit singer de manière caricaturale et stérile les positions classiquement en débat au sein du milieu révolutionnaire.
Dans cet article polémique, nous privilégions donc d'abord le BIPR, qui, en dehors du CCI, reste le principal pôle de regroupement, et les groupes bordiguistes, car même si ce courant s'est effondré en tant que pôle de regroupement, il n'en reste pas moins un pôle politique important des débats au sein du milieu révolutionnaire. Pour autant, nous essayerons de ne pas négliger les prises de position des groupes "parasites" tels la FECCI, Communisme pu Civilisation, et même celles du GCI, dont on peut raisonnablement se demander s'il a encore le bout d'un doigt de pied au sein du camp prolétarien. La liste, évidemment, n'est pas exhaustive. Ces derniers groupes traduisent, le plus souvent de manière outrancière, les faiblesses qui s'expriment au sein du milieu prolétarien et sont un révélateur de la logique où mènent les confusions véhiculées par les groupes les plus sérieux.
Face aux bouleversements intervenus dans les pays de l'Est, dans l'ensemble, toutes les organisations révolutionnaires ont su afficher clairement à un niveau théorique général deux positions de base qui, le plus souvent, à défaut même d'analyse de la situation, ont fait office de première prise de position :
La clarté sur ces deux principes de base qui fondent l'existence et l'unité du milieu politique prolétarien est bien le moins qu'on pouvait attendre de la part d'organisations révolutionnaires. Mais, sorti de là, c'est une confusion cacophonique qui règne quant à l'analyse des événements. Le retard dans la prise de position de la plupart des groupes du camp révolutionnaire n'est pas un simple retard pratique, une incapacité à bouleverser le rythme douillet des échéances des publications pour faire face aux événements historiques qui le nécessitent, c'est un retard à reconnaître l'évidence de la réalité, à simplement constater les faits et en premier lieu l'effondrement et l'éclatement du bloc de l'Est.
En octobre 1989, "BC voit l’empire oriental encore solidement sous la botte russe", en décembre 1989, elle écrit : "L'URSS doit s'ouvrir aux technologies occidentales et le Comecon doit faire de même, non -comme le pensent certains- dans un processus de désintégration du bloc de l'Est et de désengagement total de l'URSS des pays d'Europe, mais pour faciliter, en revitalisait les économies du Comecon, la reprise de l'économie soviétique". Ce n'est qu'en janvier 1990 qu'apparaît une première prise de position claire du BIPR dans Workers'Voice, la publication de la CWO : ces "événements d'une importance historique mondiale" signifient "l’amorce d’un effondrement de l'ordre mondial créé vers la fin de la 1e guerre mondiale" et ouvrent une période de "reformation de blocs impérialistes".
Les deux principaux groupes de la diaspora bordiguiste vont montrer plus de rapidité de réflexe que le BIPR. Dans son numéro de septembre 1989, 77 Programma comunista envisage la désagrégation du pacte de Varsovie et la possibilité de nouvelles alliances, comme le fait au même moment Il Partito comunista. Cependant, ces prises de position posées comme hypothèses né sont pas dépourvues d'ambiguïtés. Ainsi, en France Le Prolétaire peut encore écrire que "l'URSS est peut-être affaiblie, mais elle est encore comptable du maintien de l'ordre dans sa zone d'influence".
En janvier, le FOR annonce timidement, sans autre développement, qu"'on peut considérer que le bloc stalinien est vaincu".
La FECCI, au printemps 1990, nous offre deux positions. Celle majoritaire, position officielle de cette organisation, ne voit dans les événements de l'Est qu'"une tentative de l'équipe Gorbatchev de réunir progressivement toutes les conditions qui permettraient à l'Etat russe de mener une réelle contre-offensive dirigée contre l'Ouest". La minorité, plus lucide, note que la situation échappe au contrôle de la direction soviétique et que les réformes ne font qu'aggraver la débâcle du bloc russe.
Pour Communisme ou Civilisation, qui publie sur le sujet un texte dans le n° 5 de la Revue internationale du Mouvement communiste, "l'importance historique des événements en cours tient en premier lieu à leur situation géographique" ! Et après un long pensum académique où une multitude d'hypothèses de toutes sortes sont envisagées, aucune prise de position claire ne se dégage : en fait, en Europe de l'Est, c'est à une simple crise de restructuration à laquelle nous assisterions.
Quant au GCI et à son avatar le Mouvement communiste pour la formation du Parti communiste mondial dont les publications nous parviennent au printemps, l'effondrement du bloc de l'Est n'est même pas envisagé ; il s'agirait pour eux de simples manoeuvres de restructuration pour faire face à la crise et surtout à la lutte de classe.
On le voit, les organisations du milieu prolétarien ont mis des mois à mesurer la signification des événements et le plus souvent, l'ambiguïté subsiste, la porte reste ouverte à l'illusion d'une possible reprise en main par l'URSS de son ex-bloc. Six mois après le début des événements, le BIPR ne voit que l’"amorce" d'un processus alors que l'URSS a fondamentalement déjà perdu tout contrôle sur son glacis est-européen. Quant aux sectes parasites, elles n'ont pour ainsi dire rien vu. Solidarnosc a gagné les élections en Pologne durant l'été, avec l'automne, le mur de Berlin est tombé, les partis staliniens ont été jetés hors du pouvoir en Tchécoslovaquie et en Hongrie, Ceaucescu a été mis à bas en Roumanie tandis qu'en URSS même, l'agitation du Caucase et des pays baltes ont montré la perte de maîtrise du pouvoir central et la dynamique d'éclatement qu'implique le "réveil des nationalités", mais, face à tout cela, le milieu politique révolutionnaire a été comme frappé de léthargie. Cela manifeste un incroyable aveuglement face à la simple réalité des faits. Ce qu'un simple pisse-copie de la presse bourgeoise ne pouvait que constater : l'effondrement du bloc russe, nos docteurs en théorie marxiste engoncés dans un conservatisme peureux refusaient de le voir. Le manque de réflexe politique qui a sévi dans le milieu prolétarien ces derniers mois est la manifestation des faiblesses profondes qui le marquent. Incapable ces dernières années d'intervenir avec détermination dans les luttes de la classe ouvrière, qu'elle ne reconnaissait pas, une grande partie du milieu prolétarien s'est avérée impuissante à faire face à la brutale accélération de l'histoire de ces derniers mois. Enfermée dans un repli frileux tout au long de la décennie 80, elle est restée sourde, aveugle et muette. Une telle situation ne peut s'éterniser. Même si elles se réclament de la classe ouvrière, des organisations qui sont incapables d'assumer leur rôle ne sont d'aucune utilité pour celle-ci et deviennent au contraire des entraves. Elles perdent leur raison d'être.
Quand on voit avec quelle difficulté les organisations du milieu politique ont ouvert les yeux à la réalité, pourtant de plus en plus aveuglante au fur et à mesure des mois qui s'écoulaient, de l'effondrement du bloc russe, on peut déjà avoir une idée de la confusion des analyses qui vont être développées et du déboussolement politique qui règne. Il ne s'agit pas ici de reprendre en détail tous les avatars théoriques que les groupes politiques révolutionnaires ont pu élaborer, plusieurs numéros de la Revue internationale du CCI n'y suffiraient pas. Nous nous attacherons avant tout à cerner les implications des prises de position du milieu sur deux plans : la crise économique et la lutte de classe. Nous verrons ensuite quelles ont été les implications de tout cela, sur la vie même du milieu prolétarien.
Toutes les organisations du milieu prolétarien voient bien la crise économique à l'origine des bouleversements qui secouent l'Europe de l'Est, à l'exception du FOR, qui n'y fait aucune référence conformément à sa position surréaliste selon laquelle il n'y a pas de crise économique du capitalisme aujourd'hui. Cependant, au-delà de cette pétition de principe, l'appréciation même de la profondeur de la crise et de sa nature détermine la compréhension des événements actuels et cette appréciation varie profondément d'un groupe à l'autre.
BC, en octobre, écrit: "Dans les pays à capitalisme avancé d'Occident, la crise s'est surtout manifestée dans les années 70. Plus récemment, la même crise du processus d'accumulation du capital a explosé dans les pays 'communistes' moins avancés." C'est-à-dire que BC ne voit pas la crise ouverte du capital dans les pays de l'Est avant les années 1980. Et dans la période antérieure, il n'y avait donc pas de "crise du processus d'accumulation du capital" en Europe de l'Est ? Le capital russe était-il en pleine expansion comme le prétendait la propagande stalinienne ? En fait, BC sous-estimait profondément la crise chronique et congénitale qui durait depuis des décennies. Dans ce même article, BC continue :
"L'effondrement des marchés de la périphérie du capitalisme, par exemple l'Amérique latine, a créé de nouveaux problèmes d'insolvabilité à la rémunération du capital (...). Les nouvelles opportunités qui s'ouvrent à l'est de l'Europe peuvent représenter une soupape de sécurité par Rapport à ce besoin d'investissement (...) Si ce large processus de collaboration Est-Ouest vient à se concrétiser, ce sera une bouffée d'oxygène pour le capitalisme international." On le voit, ce n'est pas seulement la crise à l'Est que BC sous-estime, c'est aussi la crise en Occident. Où ce dernier trouvera-t-il ces nouveaux crédits nécessaires à la reconstruction des économies ravagées des pays de l'Est ? Simplement pour remettre à niveau l'économie de l'Allemagne de l'Est, la RFA se prépare à investir plusieurs milliers de milliards de marks sans être sûre du résultat et, pour se les procurer, elle devra se transformer de principal prêteur sur le marché mondial après le Japon qu'elle était jusque là, en gros emprunteur, accélérant encore la crise du crédit de l'Occident. On peut imaginer les sommes colossales qu'il faudrait pour sortir l'ensemble de l’ex-bloc de l'Est de la catastrophe économique dans laquelle il n'a cessé de s'enfoncer depuis sa naissance : l'économie mondiale à bout de souffle n'a pas les moyens de cette politique, un nouveau plan Marshall n'est pas à l'ordre du jour. Mais surtout, en quoi les économies sinistrées d'Europe de l'Est seraient-elles plus solvables que celles d'Amérique latine alors qu'elles sont déjà comme la Pologne et la Hongrie incapables de rembourser les emprunts qu'elles ont contractés depuis des années ? En fait, BC ne voit pas que l'effondrement du bloc de l'Est, une décennie après l'effondrement économique des pays du "tiers-monde", vient marquer un nouveau pas en avant de l'économie capitaliste mondiale dans sa crise mortelle. L'analyse du BIPR va à l'envers de la réalité. Et là où il y a un enfoncement dramatique dans la crise, il y voit une perspective pour le capitalisme de trouver une nouvelle "bouffée d'oxygène", un moyen de freiner la dégradation économique ! Il est logique qu'avec une telle vision, BC surestime la capacité de manoeuvre de la bourgeoisie russe et puisse envisager une restructuration possible de l'économie du bloc de l'Est, sous la houlette de Gorbatchev et avec l'appui de l'Occident.
Le PCI-Programme communiste reconnaît la crise économique comme étant à l'origine de l'effondrement du pacte de Varsovie. Cependant, dans une polémique avec le CCI publiée dans Le Prolétaire d'avril 1989, il trahit sa sous-estimation profonde et traditionnelle de la gravité de la crise économique : "L'extralucide CCI développe en effet une analyse effarante selon laquelle les événements actuels seraient rien moins qu'un 'effondrement du capitalisme' à l'Est ! D'ailleurs, pour faire bonne mesure, le numéro de mars de RI nous apprend que c'est toute l'économie mondiale qui s'effondre." Bien évidemment, le CCI ne prétend pas, comme voudrait le faire croire le PCI, qu'en Europe de l'Est, les rapports de production capitalistes auraient disparu mais, avec cette mauvaise polémique, le PCI montre sa propre sous-estimation de la crise économique et nie d'une phrase la réalité de la catastrophe qui submerge le monde et qui plonge la majorité de la population mondiale dans une misère économique sans fond. Le PCI-Programme Communiste croit-il vraiment que nous sommes encore dans les crises cycliques du 19e siècle ou reconnaît-il que la crise économique présente, qu'il a mis des années à voir, est une crise mortelle qui ne peut se traduire que par une catastrophe mondiale toujours plus large avec des pans entiers de l'économie capitaliste qui s'effondrent effectivement. Le PCI, qui, autrefois nous accusait d'indifférentisme, est toujours myope face à la crise économique ; fondamentalement, il la voit à peine et surtout il ne la comprend toujours pas.
Les petites sectes académistes se sont souvent fait une spécialité de longues analyses économiques ennuyeuses et d'innovations théoriques pseudo-marxistes.
Il faut un long pensum insipide à Communisme ou Civilisation pour rester aveugle à l'évidence de la crise économique ouverte : il en est toujours à attendre "l'éclatement d'une nouvelle crise cyclique du MPC (on suppose qu'il doit s'agir du mode de production capitaliste) dans les années 1990 à l'échelle mondiale". Pour lui, les bouleversements actuels en Europe de l'Est sont l'expression du fait que "le plein passage de la société soviétique au stade du capitalisme le plus développé ne pouvait se faire sans une crise profonde, comme c'est le cas". Autrement dit, la présente crise est une simple, crise de restructuration, de croissance, d'un capitalisme en plein développement !
La FECCI, qui, depuis des années, glose sur une "nouvelle" théorie du développement du capitalisme d'Etat comme produit du passage du capital de la domination formelle à la domination réelle, est tout d'un coup devenue muette sur cette élucubration de ses têtes savantes. Ce point, il y a peu si fondamental qu'il justifiait une diatribe enflammée de la FECCI contre le CCI, accusé de "stérilité théorique", de "dogmatisme", tout d'un coup n'est plus d'actualité face à la crise dans les pays de l'Est. Comprenne qui pourra ![3] [38]
La sous-estimation de la profondeur de la crise et les incompréhensions sur sa nature sont une constante des organisations prolétariennes. De là résultent des incompréhensions majeures sur la nature des événements qui se développent aujourd'hui. Ce n'est que devant la pression insistante des faits que certains groupes commencent seulement à se résigner à l'évidence de l'effondrement du bloc impérialiste de rEst sous le poids de la crise économique. Mais la signification profonde d'un tel événement, la situation qui l'a rendu possible, la dynamique qui l'a déterminé échappent totalement à leur entendement. Alors qu'il y a un blocage de la situation historique, que le rapport de forces entre les classes ne permet ni à la bourgeoisie de fuir en avant dans la guerre impérialiste généralisée, ni au prolétariat d'imposer à court terme la solution de la révolution prolétarienne, la société capitaliste est entrée dans une phase de pourrissement sur pied, de décomposition. Les effets de la crise économique prennent une dimension qualitative nouvelle. L'effondrement du bloc russe est la manifestation éclatante de la réalité du développement de ce processus de décomposition qui se manifeste à des degrés et sous des formes diverses sur l'ensemble de la planète [4] [39].
Mais la myopie politique qui rend déjà bien difficile à ces groupes le discernement de l'évidence pourtant criante des bouleversements dans l'Est, les laisse au surplus bien incapables d'en comprendre la raison et d'en saisir toute la dimension. Les errements sur la crise et ses implications, qui ont grandement contribué à paralyser le milieu face aux récents événements, annoncent des incompréhensions encore plus grandes par rapport aux bouleversements importants encore à venir.
Face aux luttes ouvrières qui se sont développées depuis 1983 au coeur des pays capitalistes les plus avancés, dans son ensemble, en dehors du CCI, le milieu prolétarien a fait la fine bouche. Le CCI a alors été accusé de surestimer la lutte de classe. Dans son numéro d'avril, BC accuse encore le CCI de se fier "plus à ses désirs qu'à la réalité" car, dit-elle, ces mouvements "n'ont rien produit d'autre que des luttes revendicatives qui n'ont jamais été capables de se généraliser". Il est vrai que, pour BC, ces luttes revendicatives n'ont pas grande signification puisque, selon elle, nous sommes toujours dans une période de contre-révolution, suivant en cela la position de tous les groupes bordiguistes issus des diverses scissions du PCI depuis son origine à la fin de la guerre.
BC qui est incapable de reconnaître la lutte de classe quand il l'a devant les yeux et par conséquent encore plus incapable d'y intervenir concrètement, par contre va s'empresser de l'imaginer là où elle n'est pas. Dans les événements de Roumanie en décembre 1989, BC voit une "authentique insurrection populaire" et précise :
"Toutes les conditions objectives et presque toutes les conditions subjectives étaient réunies pour que l'insurrection puisse se transformer en véritable révolution sociale, mais l'absence d'une force politique authentiquement de classe a laissé le champ libre justement aux forces qui étaient pour le maintien des rapports de production de classe. "
Cette position a déjà été critiquée dans notre polémique publiée dans la Revue internationale, n° 61, et a provoqué une réponse de BC qui persiste et signe dans son numéro d'avril 1990, mais précise en même temps :
"Nous ne pensions pas qu'il pouvait surgir des doutes sur le fait que l'insurrection est comprise comme conséquence de la crise et qu'elle est qualifiée de populaire et pas de socialiste ou de prolétarienne. "
Visiblement BC ne comprend pas, ou ne veut pas comprendre le débat. Le simple usage du terme "insurrection" dans un tel contexte ne peut que semer la confusion et le fait d'y adjoindre "populaire" en rajoute encore. Dans le monde capitaliste présent, seul le prolétariat est la classe capable de mener une insurrection, c'est-à-dire la destruction de l'Etat bourgeois en place. Pour cela, la première condition est son existence en tant que classe qui se bat et s'organise sur son terrain. Ce n'est évidemment pas le cas en Roumanie. Les ouvriers sont atomisés, dilués dans le mécontentement de toutes les couches de la population qui a été utilisé par une fraction de l'appareil d'Etat pour renverser Ceausescu. La mise en scène médiatique de la "révolution" roumaine a été un vulgaire coup d'État. Dans cette situation où les ouvriers ont été dilués dans le mouvement "populaire", c'est-à-dire où le prolétariat comme classe a été absent, BC voit "presque toutes les conditions subjectives pour que l'insurrection puisse se transformer en révolution sociale" ! Dans cette situation d'extrême faiblesse de la classe ouvrière, BC aperçoit au contraire une force grandiose.
Toutes les dénonciations du poison démocratique que le BIPR peut faire à longueur de page deviennent lettre morte si cette organisation est incapable d'en voir les effets dévastateurs comme élément diluant de la conscience de classe dans le concret, et croit discerner le mécontentement ouvrier dans le triomphe de la mystification démocratique.
Dans cette ornière que BC a commencé à creuser, la FECCI est déjà bien engagée. Elle qui, comme le BIPR, avait il y a un an des visions du côté de la Chine et croyait voir la colère ouvrière prête à se manifester, aujourd'hui affirme que : "Les illusions actuelles, l'entrée du prolétariat roumain dans la danse macabre de la lutte pour la démocratie, ne doivent pas éclipser le potentiel de combativité pour des revendications de classe qui est pourtant celui du prolétariat roumain." La FECCI se console comme elle peut, mais elle manifeste ainsi ses propres illusions quant aux potentialités ouvrières qui subsistent dans l'immédiat après un tel débauchage démocratique.
Le FOR dans un article intitulé : "Une insurrection pas une révolution" distingue en Roumanie "la présence des ouvriers en armes" et précise que "les prolétaires y ont rapidement abandonné la direction aux 'spécialistes' de la confiscation du pouvoir". Pour le FOR, le prolétariat a "largement contribué à mettre en oeuvre" les changements à l'Est. Evidemment, le FOR qui ne voit rien de la crise économique doit bien aller chercher ailleurs son explication.
La porte que BC ouvre à la confusion, le Mouvement communiste et le GCI vont s'empresser de la franchir. Le premier va intituler sa longue brochure entièrement consacrée à la Roumanie, alors que rien n'est dit sur la situation globale du bloc de l'Est : "Roumanie : entre restructuration de l'Etat et poussées insurrectionnelles prolétariennes" ; et le second va publier un "Appel à la solidarité avec la révolution roumaine" ! Cela se passe de commentaire.
Il faut signaler et porter au crédit du PCI-Programme communiste que celui-ci n'est pas tombé dans le piège roumain, notant clairement que, dans les pays de l'Est, "la classe ouvrière ne s'est pas manifestée en tant que classe, pour ses intérêts propres" et qu'en Roumanie, "les combats se sont déroulés entre fractions de l'appareil d'Etat, et non contre cet appareil lui-même". De même, le PCI-Il Partito comunista de Florence pose clairement que la lutte de classe dans les pays de l'Est a été, pour le moment, submergée par l'orgie populiste, nationaliste et démocratique et que "le mouvement roumain a été tout sauf une révolution populaire". Cependant, ces défenseurs du bordiguisme, s'ils sont encore capables de dénoncer et d'identifier le mensonge démocratique, s'ils n'ont pas encore complètement dilapidé leur héritage politique de la Gauche italienne, comme le prouvent leurs prises de position sur la situation en Europe de l'Est, sont toujours incapables de reconnaître la lutte de classe quand eue se développe réellement au coeur des pays industrialisés. Comme BC, les groupes issus du bordiguisme analysent la période actuelle comme étant celle de la contre-révolution.
Le tableau est éloquent. Une des caractéristiques majeures de ces organisations politiques est leur incapacité à reconnaître la lutte de classe, à l'identifier. Ne la voyant pas là où elle se développe et l'imaginant là où elle n'est pas. Ce déboussolement profond prive évidemment tous ces groupes de la capacité de mener une intervention claire au sein de la classe. Alors que la classe dominante met à profit l'effondrement du bloc de l'Est pour lancer une offensive idéologique massive pour la défense de la démocratie, offensive devant laquelle succombe le prolétariat des pays est-européens, de nombreux groupes voient dans cette situation le développement de potentialités ouvrières. Une telle inversion de la réalité traduit une très grave incompréhension non seulement de la situation mondiale, mais aussi de la nature même de la lutte ouvrière. Tous ces groupes, après avoir fait durant les années 1980 la fine bouche devant les luttes dans les pays développés (qui, malgré toutes les difficultés et les pièges auxquels elles furent exposées, n'en sont pas moins restées ancrées sur leur terrain de classe), préfèrent aujourd'hui chercher la preuve de la combativité du prolétariat dans des expressions du mécontentement général où le prolétariat en tant que classe est absent et qui se mènent, pour des objectifs qui ne sont pas les siens, derrière le drapeau de la "démocratie", comme en Chine ou en Roumanie.
Dans de telles conditions, il est bien difficile de demander à ces organisations du milieu prolétarien qui, pour la plupart, n'ont rien vu du développement de la lutte de classe ces dernières années ou, du moins, l'ont toujours profondément sous-estimé, de comprendre quelque chose aux effets de l'effondrement du bloc russe et de l'intense campagne démocratique actuelle sur le prolétariat. Le déboussolement présent de celui-ci face à ces grands bouleversements historiques se traduit dans un recul de la conscience dans la classe [5] [40]. Mais comment comprendre un recul quand on n'a pas vu d'avancée ? Comment comprendre le développement en dents de scie de la lutte de classe quand on pose que nous sommes toujours dans une période de contre-révolution ?
Dans le numéro précédent de la Revue internationale, nous notions : "Si on considère que le BIPR est le second principal pôle du milieu politique international, le désarroi de BC face au 'vent de l'Est' est une triste indication des faiblesses plus générales du milieu." Malheureusement, le développement des prises de position, ces derniers mois, ne font que confirmer ce constat qui n'est pas pour nous surprendre. Depuis des années, le CCI met en garde au travers de ses polémiques les groupes du milieu contre les confusions dangereuses qui les traversent, mais comme ces groupes sont restés aveugles à la lutte de classe, à l'effondrement du bloc de l'Est, au recul présent, à l'évidence des faits qui se déroulent pourtant devant leur nez, ils sont aussi restés sourds à nos appels [6] [41]. En conséquence, ils sont restés muets sur le plan de l'intervention, s'enfonçant toujours plus dans une impuissance inquiétante, mise on ne peut plus clairement en relief ces derniers mois.
Mais ce n'est pas seulement sur le plan de leurs analyses que ces organisations ont échoué à être, par rapport aux éléments avancés de la classe à la recherche d'un cadre cohérent de compréhension de la situation présente, un facteur de clarification. Leur attitude, traditionnellement marquée par le poids du sectarisme, parallèlement au développement de la confusion, a été marquée ces derniers mois par une dégradation.
Là encore, Battaglia comunista, qui nous avait habitués à beaucoup mieux, s'illustre tristement. L'intervention d'un camarade du CCI à une réunion publique de BC, dans laquelle celui-ci met en lumière la gaffe monumentale du BIPR face aux événements en Roumanie, en affirmant simplement que ce qui a eu lieu est un vulgaire "coup d'Etat", est le prétexte à un raidissement de camarades de BC qui, en colère, menacent dans ces conditions de refuser dorénavant la vente habituelle de nos publications dans le cadre de ses réunions ouvertes. Le fait que dans la publication en France du CCI -Révolution internationale n° 151- nous ayons fait référence à cette poussée de sectarisme va provoquer l'ire de BC qui a adressé une "circulaire" incendiaire "à tous les groupes et contacts à l'échelle internationale'' pour dénoncer "les mensonges du CCI" et "la nature désormais objectivement de brigand de l'activité du CCI" et conclure : "Tandis que nous défions le CCI de continuer au-delà cette campagne diffamatoire basée sur le mensonge et sur la calomnie, afin d'éviter des réactions plus graves, nous invitons tous ceux au courant des faits à en tirer les conclusions politiques nécessaires dans l'évaluation de cette organisation." Une telle réaction, hors de toute proportion, puisque le prétexte officiel en est une intervention d'un de nos militants dans une discussion à une réunion de BC, traduit en fait l'embarras grandissant de ce groupe face à nos critiques.
Le sectarisme qui pèse lourdement dans le milieu politique est l'expression de l'incapacité à débattre, à confronter les analyses et les positions. La réaction de BC est dans la continuité de son attitude sectaire et opportuniste, lorsqu'elle avait mis fin aux Conférences des groupes de la Gauche communiste, en 1980. Le sectarisme a toujours fait bon ménage avec l'opportunisme. Au même moment où BC envoie cette circulaire ridicule dans tout le milieu, le BIPR, dont elle constitue le groupe principal, signe une adresse commune sur la situation dans les pays de l'Est avec des petits groupes comme le Gruppe Internationalistische Komunismen (Autriche) ou Comunismo (Mexique) dont le contenu traduit plus des concessions opportunistes que la recherche de la clarté. BC est pour le regroupement des révolutionnaires, mais sans le CCI. Cette attitude de concurrence ridicule mène tout droit au pire des opportunismes et accroît la confusion des débats dans le milieu.
L'ostracisme qui frappe le CCI de la part des anciens groupes du milieu politique, et des multiples sectes qui le parasitent, n'est pas, comme on l'a vu, contradictoire avec l'opportunisme le plus plat sur la question du regroupement des forces révolutionnaires. La FECCI, ces dernières années a été une parfaite illustration de ce fait : dans le même temps où eue abreuvait le CCI d'insanités, elle se lançait dans une dynamique de pseudo-conférences avec des groupes aussi hétérogènes que Communisme ou Civilisation, Union prolétarienne, Jalons, A Contre-Courant et des individus isolés. Les sectes se payaient leur conférence, on peut imaginer ce que cela a pu donner, pas grand chose, tout aux plus de nouvelles sectes. Aujourd'hui, la FECCI a entamé un nouveau flirt avec le Communist Bulletin Group, groupe dont la naissance s'était déroulée sous les auspices d'un acte de brigandage envers le CCI un vrai, cette fois, pas comme ceux, imaginaires, que BC prête au CCI. La FECCI tourne en ridicule l'idée même de regroupement mais, malheureusement, cette organisation s'est aussi singularisée par la bêtise méchante, la mauvaise foi et l'aveuglement haineux de ses polémiques et, ce faisant, c'est toute l'activité révolutionnaire qui est dénaturée.
Les événements dans les pays de l'Est se sont traduits pour la FECCI par une aggravation de son déboussolement et de son irresponsabilité. La FECCI, la vision obscurcie par son aigreur, a vu dans nos prises de position sur l'effondrement du bloc russe une négation de l’"impérialisme" et "un abandon du cadre marxiste de la décadence." La FECCI n'en est pas à un faux débat près, c'est ce qui lui sert de raison d'existence. Combien de temps lui faudra-t-il pour simplement reconnaître la réalité de l'effondrement du bloc de l'Est ? A ce moment-là, la FECCI pourra-t-elle reconnaître la validité des positions du CCI ? En tirera-t-elle les conclusions par rapport à son attitude présente ?
Les organisations bordiguistes ne reconnaissent pas l'existence d'un milieu politique et pour chacune d'entre elles, il n'y a qu'un seul parti, elle-même: Le sectarisme est là théorisé et justifié. Cependant, le PCI-Programme communiste, semble quelque peu tirer les leçons de sa crise passée et commence à publier des polémiques avec d'autres groupes du milieu politique. Ainsi, le CCI a eu droit à une réponse polémique dans Le Prolétaire, sa publication en France. A quoi réagit le PCI ? Au fait que nous ayons salué sa prise de position correcte ! Et il précise : "Ce qui nous importe dans cette note c'est de réfuter le plus clairement possible l’idée que notre position serait analogue à celle du CCI" Que cette organisation se rassure, le fait que nous reconnaissons la relative clarté de sa prise de position par rapport aux événements de l'Est ne nous fait pas oublier ce qui nous sépare d'elle, mais le PCI a-t-il atteint un tel niveau de gangrène sectaire que même la reconnaissance sur un point de la validité de ses positions lui soit si complètement insupportable ? Peut-être le rappel de ce que nous concluions à son propos dans l'article de la précédente Revue internationale, consacré au milieu politique, le rassurera dans ce cas : "La réponse relativement saine du Prolétaire aux événements de l'Est prouve qu'il y a encore une vie prolétarienne dans cet organisme. Mais nous ne pensons pas que ceci représente réellement un nouveau regain de vie : c'est l'antipathie 'classique' des bordiguistes vis-à-vis des illusions démocratiques, plus qu'un réexamen critique des bases opportunistes de leur politique, qui leur a permis de défendre une position de classe sur cette question. "
Un des constats des plus inquiétants qu'il faut tirer, c'est l'incapacité de ces organisations, face à des faits nouveaux, de reconsidérer leur cadre de compréhension, de l'enrichir pour s'élever à la compréhension de ce qui a changé. En fait, l'accélération historique a mis en lumière l'incroyable conservatisme qui sévit dans le milieu. Le sectarisme qui s'est développé à l'occasion des polémiques à propos du "vent d'Est" est le corollaire de ce conservatisme. Incapables de reconnaître l'actuel processus de décomposition sociale, considéré comme un "gadget" du CCI, ces organisations sont évidemment bien incapables d'en identifier les manifestations dans la vie du milieu prolétarien, dans leur propre vie et donc de s'en défendre. La dégradation des relations entre les principales organisations ces dernières années en est pourtant une expression très claire.
Dans ces conditions il n'est pas même question de développer dans cet article à propos de l'intervention qu'ont menée ces groupes par rapport au séisme qui secoue l'Europe de l'Est. Aucun autre groupe que le CCI n'a su briser la routine pour simplement accélérer ses publications ou publier des suppléments. Le déboussolement politique et la sclérose sectaire ont rendu ces organisations impuissantes à intervenir. Dabs la situation présente de désarroi où l'a plongée le "vent d'Est", accentuée par l'offensive de la propagande bourgeoise, la classe ouvrière subit un recul dans sa conscience, et ce ne sont pas les lumières apportées par la majorité des groupes révolutionnaires qui lui auront été d'une grande utilité pour sortir de cette passe difficile.
Le développement du cours historique impose au milieu un irrésistible processus de décantation. La clarification que ce processus implique, dans la situation présente de dégradation des relations entre les groupes prolétariens, n'arrive pas à se faire par la confrontation claire et volontaire des positions. Elle doit néanmoins se faire, et dans ces conditions elle ne peut que tendre à prendre la forme d'une crise de plus en plus forte des organisations qui, à l'accélération de l'histoire répondent par le développement de la confusion, posant ainsi la question de leur survie politique. La clarification qui ne parvient pas à se faire par le débat risque de s'imposer par le vide. Tels sont les enjeux du débat présent pour les organisations politiques révolutionnaires.
JJ, 31mai l990
[1] [42] Dans cet article seront souvent utilisés les sigles des organisations, ce qui donne:
- Parti communiste internationaliste (PCint) et ses publications Battaglia Comunista (BC) et Prometeo
- Comunist workers' organisation (CWO) et sa publication Workers Voice - Bureau international pour le parti révolutionnaire (BIPR), publication Communist Review, regroupement des deux précédentes organisations.
- Parti communiste international (PCI), publications Programme communiste et Le Prolétaire
- Ferment ouvrier révolutionnaire (FOR), publications Alarme et l’Arme de la critique
- Fraction externe du Courant communiste international (FECCI), publication Perspective internationaliste
-Groupe communiste internationaliste (GCI)
[2] [43] Revue Internationale n°61. « Le vent d’Est et la réponse des révolutionnaires ».
[3] [44] Voir sur cette question : "La domination réelle" du capital et les réelles confusions du milieu politique", Revue internationale, n° 60.
[4] [45] Voir sur cette question : "La décomposition du capitalisme", Revue internationale n° 57, et l'article de ce numéro.
[5] [46] Voir "Des difficultés accrues pour le prolétariat", Revue internationale, n°60.
[6] [47] Voir "Le milieu politique depuis 1968", Revue internationale, n° 53-54-56.
Liens
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[15] https://fr.internationalism.org/rinte62/crise.htm#_ftnref6
[16] https://fr.internationalism.org/rinte62/crise.htm#_ftnref7
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[48] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/gauche-communiste
[49] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/aventurisme-parasitisme-politiques