Au moment où nous écrivons, les forces armées américaines encerclent et asphyxient l'Irak. De toute évidence, nous allons vers un affrontement meurtrier dont les populations de la région vont faire les frais, victimes des privations, victimes des bombardements, des gaz, de la terreur. Victimes de la guerre. Victimes du capitalisme.
L'invasion du Koweït par l'Irak résulte fondamentalement de la nouvelle situation historique ouverte par l'effondrement du bloc de l'Est. Elle est aussi une manifestation de la décomposition croissante qui touche le système capitaliste. Et le gigantesque déploiement de forces armées des grandes puissances, essentiellement des USA à vrai dire, révèle, pour sa part, la préoccupation croissante de ces dernières à l'égard du désordre qui s'étend de plus en plus. Mais, à terme, les réactions des grandes puissances ne pourront donner que le résultat inverse de celui attendu, se transformant en un facteur supplémentaire de déstabilisation et de désordre. A terme, elles ne peuvent qu'accélérer encore la chute dans le chaos et y entraîner l'humanité entière. Il n'est qu'une seule force qui puisse offrir une alternative, c'est le prolétariat mondial. Et cette alternative a pour nom : le communisme.
Que n'a-t-on entendu depuis la disparition du bloc de l’Est ? Une ère nouvelle de paix et de prospérité s'ouvrait. En collaborant, les USA et PURSS allaient permettre d'en terminer avec les conflits qui n'ont cessé de ravager le monde depuis 1945. Perpétuant le mensonge stalinien sur le caractère socialiste de l'URSS et des pays de l'Est, la bourgeoisie occidentale proclamait la victoire du capitalisme sur "le communisme", sur "le marxisme". Les pays de l'Est allaient connaître les délices du capitalisme sous sa forme occidentale et leur marché relancer l'économie mondiale. Le meilleur des mondes enfin s'offrait à nous. Marx était rangé au rayon des vieilleries, au mieux une curiosité. Lénine était triomphalement sacré "le mort de l'année" dans la presse. Certains idéologues bourgeois, enthousiastes, allaient même jusqu'à proclamer la fin de l'histoire !
Six mois. Six mois auront suffi pour mettre à bas toutes ces chimères, tous ces mensonges. Comme l'affirmaient et continuent d'affirmer les groupes communistes, les organisations qui sont réellement fidèles au marxisme, le capitalisme s'enfonce inexorablement dans la catastrophe économique ([1] [1]). Les pays de la périphérie, dits du "tiers-monde", sont un enfer quotidien pour l'immense majorité de leurs habitants ; un enfer qui ne cesse d'empirer. Les pays de l'ex-bloc de l'Est plongent du marasme économique propre au capitalisme d'Etat stalinien, dans le désastre le plus complet et le plus dramatique pour des millions d'êtres humains. Sans espoir aucun d'amélioration, ni même d'arrêt dans la détérioration. Les USA entrent dans la récession ouverte, et ouvertement reconnue par la bourgeoisie elle-même. C'est la première puissance économique qui chute, entraînant déjà, telle la Grande-Bretagne, les principaux pays industriels du monde.
Six mois plus tard, les grandes proclamations sur la paix sont réduites à néant par le conflit au Moyen-Orient. Et, "le mort de l'année", Lénine, revient affirmer avec force qu"'e/2 régime capitaliste, et particulièrement à son stade impérialiste, les guerres sont inévitables". ([2] [2])
L'illusion n'aura duré que six mois. Les masques tombent et la réalité du capitalisme en décomposition s'impose à tous, barbare, implacable, faite de misère, de faim, de catastrophes, de chantages et de prises d'otages, d'assassinats et de répressions, de massacres, de guerres, réalité de sang et de boue comme disait déjà K. Marx en son temps à propos d'un capitalisme encore en plein développement, et qui se révèle bien pire dans sa période actuelle de sénilité.
Les mensonges s'effondrent et la nouvelle situation historique, ouverte par l'effondrement des pays capitalistes d'Etat staliniens et la disparition des deux blocs impérialistes Ouest et Est, loin d'ouvrir une période de paix, nous apparaît dans toute son horreur. La fin de la "Guerre froide" ne signifie pas la fin des conflits impérialistes.
"Dans la période de décadence du capitalisme, TOUS les Etats sont impérialistes et prennent les dispositions pour assumer cette réalité: économie de guerre, armements, etc. C'est pour cela que l’aggravation des convulsions de l’économie mondiale ne pourra qu'attiser les déchirements entre ces différents Etats, y compris, et de plus en plus, sur le plan militaire. La différence avec la période qui vient de se terminer, c'est que ces déchirements et antagonismes, qui auparavant étaient contenus et utilisés par les deux grands blocs impérialistes, vont maintenant passer au premier plan. La disparition du gendarme impérialiste russe, et celle qui va en découler pour le gendarme américain vis-à-vis de ses principaux 'partenaires' d'hier, ouvrent la porte au déchaînement de toute une série de rivalités plus locales. Ces rivalités et affrontements ne peuvent pas, à l'heure actuelle, dégénérer en un conflit mondial (même en supposant que le prolétariat ne soit plus en mesure de s'y opposer). En revanche, du fait de la disparition de la discipline imposée par la présence des blocs, ces conflits risquent d'être plus violents et plus nombreux, en particulier, évidemment, dans les zones où le prolétariat est le plus faible." {Revue Internationale n°61, 10 février 1990).
Six mois plus tard, la réalité de la société capitaliste, réalité d'un système pourrissant, se décomposant et s'enfonçant chaque jour plus dans le chaos, est venue avec éclat confirmer nos propos d'alors.
L’invasion du Koweït par l'Irak est un moment de la chute dans le chaos.
La prospérité et la paix, nous disait-on après la chute du mur de Berlin. La crise et la guerre, oui ! Voilà ce que signifie le conflit au Moyen-Orient. La guerre avec l'Irak n'est pas simplement le fait d'un nouvel "Hitler". Après les événements d'Europe de l'Est, elle est une autre manifestation d'ampleur de la période de décomposition que vit le capitalisme. Elle est le produit de la nouvelle situation historique ouverte avec l'effondrement du bloc de l'Est, le produit de la tendance croissante à la perte de contrôle de la situation par la bourgeoisie mondiale, du développement du chacun pour soi, de la guerre de tous contre tous, de l'instabilité et de l'anarchie croissante du monde capitaliste.
Contrairement à ce qu'on nous rabâche, l'aspect marquant dans la crise du Golfe n'est pas tant l'unanimité des grandes puissances pour condamner et contrer l'Irak - nous y reviendrons - mais bel et bien, le fait nouveau qu'un pays comme l'Irak s'aventure à défier l'ordre établi dans la région par la première puissance mondiale, sans l'assentiment, le soutien, d'une autre grande puissance. Hier, c'est-à-dire il y a encore un an, Saddam Hussein eut été vite ramené à la raison par la logique supérieure de l'opposition des deux blocs impérialistes. Aujourd'hui, son aventure a déjà irrémédiablement changé et déstabilisé tout le Moyen-Orient. Ce sont maintenant tous les pays de la région, ceux de la péninsule arabe, la Jordanie, la Syrie même, qui entrent dans une ère d'instabilité. C'est toute la région qui tend à se "libaniser" à son tour.
Inévitablement, les conflits de ce type, de plus en plus nombreux, de plus en plus incontrôlés par les grandes puissances, vont se multiplier dans le monde à cause de la catastrophe économique qui touche tous les pays, petits ou grands et d'une situation mondiale où a cessé d'exister la discipline de chacun des deux blocs. De ce fait, les petits Etats dans l'impasse sont de plus en plus poussés dans des aventures militaires.
Après la guerre contre l'Iran, horrible boucherie qui a fait un million de morts, l'Irak s'est retrouvé avec une dette de plus de 70 milliards de dollars pour une population de 17 millions d'habitants (4 000 dollars de dette par personne, femmes, enfants et vieillards compris !) et une armée... d'un million de soldats.
Le pays est incapable de rembourser quoi que ce soit. Complètement asphyxié, il n'avait pas d'autre alternative que de jouer son va-tout avec la seule carte à sa disposition : la plus grande armée de la région. Non seulement, il a essayé de réaliser un hold-up sur le trésor du Koweït, mais aussi de s'affirmer comme la puissance dominante de toute cette partie du monde, si importante du point de vue économique et stratégique. C'est là l'inéluctable voie, impérialiste, que la situation de crise économique croissante et la décadence de la société capitaliste imposent de suivre à tous les Etats. Et qui, de manière encore plus exacerbée dans la période de décomposition, mènent de la guerre commerciale à la guerre impérialiste.
Hussein n'est pas qu'un fou. Il est aussi l'homme de la situation, le produit du capitalisme, du capitalisme actuel. Il est la créature même de ceux qui le combattent aujourd'hui. Hier, les grandes puissances occidentales n'avaient pas assez de mots pour louer sa clairvoyance, son courage, son mérite, sa grandeur, quand l'Irak se faisait l'instrument de leur politique visant à remettre au pas l'Iran de Khomeiny. Hier, les grandes démocraties occidentales ont elles-mêmes armé l'Irak des engins de morts les plus modernes. Et elles ont continué à le faire sans retenue, ni le moindre état d'âme, alors même qu'il utilisait ces moyens pour bombarder et terroriser les populations civiles des grandes villes d'Iran, et gazer, en Irak même, des villes kurdes.
Elles n'ont arrêté, ou limité les livraisons militaires, que lorsque l'Irak n'a pu payer plus longtemps, et les fournitures, et ses dettes. Voilà ce qu'entend la bourgeoisie mondiale par la défense du "droit international" et des "Droits de l'homme".
Particulièrement répugnante est l'utilisation cynique des milliers d'otages par l'Irak et par... les puissances occidentales. Il est vrai que la prise d'otages par Saddam Hussein est particulièrement odieuse. Elle est le fait d'une bête traquée, encerclée, qui ne sait comment se sortir d'affaire.
Mais elle est surtout utilisée sciemment par la bourgeoisie occidentale pour développer une campagne propagandiste terrible afin de justifier et d'essayer d'enrôler les populations derrière ses objectifs guerriers. Si nécessaire, elle n'hésitera pas à sacrifier les otages, reportant sur le "boucher de Bagdad", comme on le présente aujourd'hui dans la presse bourgeoise, ses propres responsabilités. Est-il besoin de rappeler l'utilisation éhontée des otages de l'ambassade américaine en Iran en 1979 dont on vient de révéler qu'elle 1a permise à la CIA - dont le directeur à l'époque était G. Bush ! - de faire élire Reagan et d'augmenter les crédits militaires. ([3] [3])
N'ayons aucune illusion : tous les moyens, et les plus ignobles, et les plus barbares, la terreur et le terrorisme tout particulièrement, vont être de plus en plus utilisés dans les conflits à venir par les différents Etats. Car, inévitablement d'autres conflits vont surgir, d'autres Hussein armés par les grandes puissances, soutenus par elles, produits par le capitalisme, vont se lancer dans des guerres du même type. Les conflits impérialistes locaux, produits du chaos croissant dans lequel s'enfonce le capitalisme mondial, vont devenir facteur aggravant et accélérateur de ce chaos.
LES USA S'IMPOSENT COMME SEULS CAPABLES DE JOUER LE ROLE DE GENDARME AU NIVEAU MONDIAL
Face à cette tendance irréversible au chaos, les grandes puissances mondiales essayent de réagir. Tout comme les pays occidentaux continuent d'apporter leur soutien à Gorbatchev face à l'explosion et à l'anarchie en URSS, de 1 même, face à l'aventure irakienne, aux dangers de déstabilisations qu'elle contient, ils ne pouvaient rester passifs. L'unanimité des grandes puissances pour condamner l'Irak exprime la conscience du danger et la volonté de limiter et de s'opposer à l'éclatement de ce type de conflits. Non pour la paix universelle évidemment, ni même pour le bien-être des populations, mais pour assurer leur puissance et leur main-mise sur le monde. Ce qu'elles appellent la "paix" et la "civilisation", et qui n'est que l'impérialisme brutal et barbare, le pouvoir du plus fort sur le plus faible. Bien sûr, ce sont les Etats-Unis, la première puissance mondiale, qui ont réagi avec le plus de détermination et d'ampleur. Les mesures de blocus adoptées à PONU ont été imposées avant tout par les USA. L'intervention des forces militaires occidentales s'est faite sous le leadership inflexible de cette puissance.
Ces derniers ne pouvaient laisser, sans réaction, la péninsule arabe plonger dans la guerre, et laisser à l'Irak d'Hussein le contrôle des principales réserves mondiales de pétrole. Surtout, ils veulent mettre le holà aux aspirations impérialistes, aventuristes et guerrières de tous ceux, de plus en plus nombreux de par le monde, qui seraient tentés d'imiter Saddam Hussein.
Le parrain de la mafia toute puissante n'aime pas que des petits truands de quartier se croient tout permis, et gênent la bonne marche des affaires en provoquant des braquages intempestifs qu'il n'a pas autorisés. De plus, il ne peut accepter que son autorité, et la peur qu'il inspire, soient mises en question. De là vient le formidable déploiement militaire américain, non seulement pour laver l'affront dans le sang, pour punir l'Irak, et probablement même se débarrasser d'Hussein, mais aussi pour faire un exemple aux yeux du monde et tenter de porter un coup d'arrêt au développement du chaos.
L'engagement américain est le plus important depuis la guerre du Vietnam et s'appuie sur la plus grosse opération logistique depuis la seconde Guerre mondiale, selon les généraux US. Plus de 100 000 hommes se trouvent déjà sur le terrain en Arabie Saoudite. Deux porte-avions dans la mer d'Oman, et deux autres en Méditerranée. Les bombardiers les plus sophistiqués, les F-lll et les F-117, dits "furtifs" car indétectables, sont basés en Turquie et en Arabie. Jusqu'à 700 avions, dont 500 de chasse, sont présents du côté américain. D'innombrables missiles sont braqués sur l'Irak. Bien que cette information soit supposée secrète, les journalistes bourgeois admiratifs et va-t-en guerre, tout excités à l'approche de la guerre franche et joyeuse, nous révèlent que des sous-marins nucléaires d'attaque sont présents autour des porte-avions. De la mer d'Oman, ou de l'Ouest de Chypre, ils pourraient bombarder Bagdad avec une précision de 500 mètres nous dit-on. Mais, ce n'est rien à côté des missiles de croisière que peuvent lancer les cuirassés américains également présents qui peuvent, eux, frapper une cible à Bagdad à quelques mètres près. Fantastique, non ? Pour les journalistes : une merveille d'efficacité. A vrai dire, un cauchemar.
Un cauchemar parce que nous savons très bien que la bourgeoisie, quelle que soit sa nationalité, est tout à fait capable de bombardements massifs de civils. Parce que nous savons très bien que la bourgeoisie américaine, saluée par ses alliées de l'époque, n'avait pas hésité à balancer des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki en août 1945 alors que le Japon demandait l'armistice depuis un mois, simplement # pour arrêter l'avancée de... l'URSS en Extrême-Orient ([4] [4]). Parce que l'aviation US a montré son savoir-faire sur cible réelle et humaine en bombardant Panama (décembre 1989), les quartiers pauvres de préférence, faisant 10 000 morts, tout comme Tripoli (mars 1986). Parce que nous savons très bien que Bush et ses alliés peuvent décider de raser Bagdad - avec ou sans otages - pour faire un exemple, tout comme Saddam Hussein avait gazé la population kurde. C'est le capitalisme, le meilleur des mondes, qui prend des millions d'êtres humains en otages et n’hésite pas à les sacrifier quand nécessaire.
Les armes déployées sont en quantités énormes et incroyablement meurtrières. Bush a menacé de riposter à l'utilisation de gaz par l'Irak par d'autres gaz, et même par des moyens atomiques. L'horreur se banalise et la menace de l'emploi de l'arme nucléaire devient naturelle, dans l'ordre des choses. Plus personne ne s'en offusque. Pas même les pacifistes bourgeois qui ne sont pacifistes en général qu'en temps de paix, et d'autant plus violemment bellicistes lorsque éclatent les conflits.
Mais l'hypocrisie et le cynisme ne s'arrêtent pas là. Certes, discrètement, il apparaît que les USA auraient délibérément laissé l'Irak s'engager dans l'aventure guerrière. La presse bourgeoise internationale a fait part d'informations dans ce sens. Par exemple, les services de renseignement français "ne s'interdisent pas dépenser que les services américains disposaient d'informations précises tendant à prouver les préparatifs irakiens d'invasion du Koweït (...) Auraient-ils profité de cette 'circonstance attendue', selon le mot d'un haut fonctionnaire, pour justifier un face à face militaire depuis plusieurs mois ? Les arrière-pensées américaines n'auraient-elles pas consisté à attendre que M. Saddam Hussein aille 'à la faute', provoquant de lui-même l'occasion pour les Etats-Unis sinon de le renverser, du moins de détruire, 'en toute légitimité', des infrastructures militaires irakiennes stratégiques susceptibles de doter le régime de Bagdad de l'arme nucléaire ?" ([5] [5]). Vrai ou faux, et c'est sans doute vrai ([6] [6]), cela nous éclaire sur les moeurs et les pratiques de la bourgeoisie, sur ses mensonges, ses manipulations, sur l'utilisation qu'elle fait des événements. Si c'est vrai, et c'est sans doute vrai, on mesure encore mieux l'utilisation cynique qu'elle fait des milliers d'otages retenus par l'Irak pour préparer les "opinions publiques" à l'intervention militaire directe.
Mais vrai ou faux, il n'empêche que l'Irak n'avait pas le choix comme nous l'avons vu précédemment. Ce pays était acculé à une telle politique. Et les USA ont laissé faire, favorisé et exploité l'aventure guerrière de Saddam Hussein, conscients qu'ils étaient de la situation de chaos croissant, conscients de la nécessité de faire un exemple.
L'URSS : une puissance impérialiste de second ordre
Chaque jour il se confirme que l'URSS est tombée au niveau d'une puissance de deuxième ordre. Dans ce conflit, en dépit de la perte du marché irakien pour ses armements, elle n'avait pas d'autre issue que de se ranger derrière la politique et la puissance américaines. C'est ce qu'elle a fait depuis le début, tout particulièrement à l'ONU. De ce point de vue, l'attitude des Etats-Unis envers Gorbatchev est significative : Bush n'hésite pas à le convoquer quand il l'estime nécessaire. Certes à Helsinki, il y met des formes. Mais celles-ci doivent être comprises comme une aide visant à renforcer le pouvoir fragile de Gorbatchev en URSS même, en échange, évidemment, de son soutien dans le conflit avec l'Irak.
L'économie de l'URSS, dont le délabrement atteint des niveaux hallucinants, dépend de façon croissante du soutien des pays occidentaux. Les émeutes se multiplient contre les pénuries. L'absence de tabac et de vodka ont donné lieu à des violentes émeutes faisant de nombreux blessés. Même les biens de première nécessité, comme le pain, commencent à manquer ! De véritables famines ne sont plus très loin.
La situation de guerre civile dans laquelle se trouve un grand nombre de Républiques - dont presque toutes se sont déclarées souveraines ou indépendantes -, les pogroms et les massacres entre nationalités, les affrontements au sein même des communautés entre milices rivales (Arménie), en disent long sur l'état d'éclatement et de désordre dans lequel se trouve l'URSS. Sa principale préoccupation : que le chaos externe, et particulièrement au Moyen-Orient, si proche de ses frontières et de ses républiques musulmanes, se développe sans retenue et vienne à son tour aggraver encore le chaos, déjà dramatique, interne à l'URSS. Voilà pourquoi, elle se range derrière les USA dans le conflit. On est loin de la situation où l'URSS, à la tête du bloc de l'Est, tentait de verser de l'huile sur le feu du moindre conflit local afin de remettre en cause un statu quo favorable au bloc occidental.
Sa faible participation à l'opération de police du Golfe, dont, pourtant, elle partage pleinement les objectifs, révèle l'état d'affaiblissement de sa puissance militaire, qui ne peut pas se mesurer en nombre de navires, avions, missiles, tanks et soldats, mais en niveau de désagrégation d'une "Armée rouge" déjà incapable de maîtriser la situation interne (comme par exemple de désarmer les milices arméniennes). Les arguments donnés par un officiel russe pour justifier cette faible participation ("contrairement à Vannée américaine, l’armée rouge n'a pas pour vocation d'intervenir en dehors des frontières et ne Va jamais fait") - quel culot !-en dit long sur l'impuissance de l'URSS.
La guerre au Moyen-Orient confirme que l’URSS ne peut plus jouer le rôle de tête d'un bloc impérialiste, qu'elle ne peut avoir la moindre politique étrangère propre. En moins d'un an, l’ex-deuxième puissance mondiale a été ramenée à un statut inférieur à celui de l'Allemagne, du Japon et même de la Grande-Bretagne ou de la France.
Le nouvel ordre impérialiste : la guerre de tous contre tous
L'ampleur des moyens militaires mis en oeuvre par les USA et l'intransigeance dont ils font preuve, témoignent de leur volonté de mettre à profit la situation créée par l'aventure irakienne pour affirmer clairement leur "leadership" sur l'ensemble du monde. Alors que le Japon ou les pays européens (en particulier l'Allemagne) pourraient être tentés, à la faveur de la disparition de toute menace provenant de l'URSS, de rompre quelque peu la discipline qu'ils avaient observée jusqu'à présent, et de pousser leurs avantages économiques face à une économie américaine de moins en moins compétitive, la démonstration de force des Etats-Unis permet fort opportunément à ce pays de faire la preuve qu'il est le principal "gendarme" du monde.
D'ores et déjà, les USA vont sortir renforcés de cette guerre locale vis-à-vis des autres grands pays avancés qui auront fait la preuve de leur impuissance pour assurer la stabilité du monde par eux-mêmes. Avec la tendance croissante à une dislocation de tout le système de relations internationales, il revient bien aux seuls Etats-Unis de ne plus compter sur aucun autre pays pour faire la police dans une zone aussi cruciale, et dont l'instabilité ne disparaîtra pas après la punition infligée à l'Irak. Les Etats-Unis sont décidés à maintenir une présence militaire massive au Moyen-Orient. Les premières déclarations d'officiels parlent déjà de rester au moins jusqu'en 1992.
De plus, le contrôle américain sur cette région du monde, éminemment stratégique, première réserve de pétrole de la planète, va se trouver accentué. Or, ce contrôle va se révéler précieux dans le cadre de l'accentuation de la guerre commerciale avec l'Europe et Je Japon.
Et afin de lever tout malentendu éventuel, la presse américaine met les points sur les "i", profitant du marchandage sur la participation aux frais de l'opération US "Bouclier du désert" : "ni l'Allemagne, ni le Japon n'ont commencé à contribuer à un niveau équivalent à leur besoin d'un approvisionnement sûr en pétrole. Bien sûr, Bonn est occupée par la réunification. Cependant, l'Allemagne aurait tort de sous-estimer sa dette face au sacrifice américain. C'est encore plus vrai pour Tokyo." ([7] [7])
Nous le voyons, l’unanimité des grands pays industrialisés pour condamner et contrer l'Irak n'est pas le produit d'une bonne volonté pacifique, comme l'a présentée la presse bourgeoise, mais le fruit d'un rapport de forces entre elles, dans lequel les USA imposent leur domination militaire, et dans lequel aucune autre puissance ne se dégage pour jouer le rôle, tenu par l'URSS auparavant, de chef d'un bloc impérialiste antagonique. Dans ce sens, l'unanimité entre les grandes puissances pour condamner l'Irak, n'est pas le produit de la paix, ni un facteur de paix, mais le produit des rivalités d'intérêts impérialistes et facteur d'aggravation de celles-ci.
Cette unanimité, imposée, a mis en évidence aux yeux des bourgeoisies allemande et japonaise leur impuissance politique, alors qu'elles sont des "géants économiques". D'où des déclarations croissantes en leur sein, pour changer leurs Constitutions héritées de la défaite de 1945, qui limitent leurs forces armées et leur champ d'intervention. On ne peut être plus clair sur ce que signifie, pour la bourgeoisie, la diplomatie et la politique internationale : c'est la diplomatie et la politique des armes, de la force militaire. Mais même si des changements sont adoptés dans ces Constitutions, il en coûtera de l'argent, et surtout du temps, avant que ces deux pays puissent se doter d'une force militaire adaptée à leurs ambitions impérialistes, c'est-à-dire capable de rivaliser avec les USA sur ce terrain.
Le capitalisme précipite l'humanité dans le gouffre de la barbarie.
Au moment où nous écrivons, depuis le 2 Août, jour de l'invasion du Koweït, aucun élément n'est venu contredire, ou ralentir, la dynamique vers une action militaire US contre l'Irak. Toutes les démarches diplomatiques apparaissent clairement pour ce qu'elles sont : une préparation à la guerre. D'ailleurs, toutes les offres de négociation proposées par Hussein ont été rejetées par Bush qui exige que l'armée irakienne se retire du Koweït. C'est à ce prix, et encore ce n'est même pas sûr, que la guerre pourrait être évitée. Ce retrait constituerait pour Saddam Hussein un suicide politique et, sans doute aussi, un suicide tout court. On le voit mal, maintenant, se plier au diktat des grandes puissances. Il ne peut qu'aller de l'avant dans son aventure.
Dans un premier temps, l'intervention US va marquer un coup d'arrêt à la déstabilisation au Moyen-Orient. Mais juste un coup d'arrêt, et non un renversement de la tendance croissante à la "libanisation" de la région. De même, elle va tendre à marquer un coup d'arrêt à l'éclatement de ce genre de conflit dans le monde, mais, là aussi, sans réussir à inverser la tendance. Car la remise en ordre, leur ordre, que les USA vont imposer, sera basé sur la force militaire. Et uniquement sur celle-ci. Or un ordre basé sur la terreur n'est jamais tout à fait stable, et encore moins aujourd'hui, dans une période de crise économique mondiale catastrophique, de tensions locales croissantes. Le futur est à l'explosion des guerres locales et civiles. Et ce futur est proche. A vrai dire, il est même déjà, en grande partie, le présent.
Tant de conflits existent. Les affrontements militaires sont réguliers à la frontière entre le Pakistan et l'Inde. Et ces deux pays, eux, sont déjà dotés de la bombe atomique... La guerre en Afghanistan se poursuit sans discontinuer, meurtrière. Au Cambodge. Au Liban. La liste est longue. C'est ça, le capitalisme.
Au Libéria, la population est livrée à la terreur depuis des mois (2 000 Ghanéens pris en otages), aux viols, aux exactions et massacres de bandes armées, essentiellement tribales, ivres de sang et de tueries. Et cela, d'ailleurs, sous l'oeil impavide des médias occidentaux et d'une flottille militaire US ancrée au large de Monrovia. Mais le Libéria ne présente pas d'intérêts économiques et stratégiques comme le Moyen-Orient.
En fait, c'est une grande partie de l'Afrique que les bourgeoisies occidentales abandonnent à sa détresse. Le désintérêt croissant des grandes puissances pour la situation de chaos qui prévaut en Afrique en dit long, à la fois sur leur cynisme et leur impuissance à contrecarrer la chute dans la décomposition.
Car l'Afrique est particulièrement exemplaire de ce que nous prépare le capitalisme pourrissant sur pied. Les émeutes, les massacres, les guerres, de plus en plus nombreuses, et de plus en plus meurtrières, presque toujours d'ordre tribal, se multiplient : au Libéria, nous l'avons vu, mais aussi au Soudan, en Ethiopie, dans les anciennes colonies françaises, en Afrique du Sud même, opposant les partisans de Mandela aux partisans de Buthelezi, etc. Est-il besoin de rappeler ici les famines, les épidémies de maladies qui avaient pratiquement disparu (comme le paludisme), du Sida, etc., tout cela au milieu d'une corruption effrénée. Mais n'est-ce pas là ce qui se passe aussi déjà dans nombre de pays d'Asie, voire en URSS ? Et c'est la seule perspective que peut nous offrir aujourd'hui le capitalisme.
Cette plongée dans le gouffre de la misère la plus noire s'accompagne d'une décomposition de toutes les valeurs d'ordre moral que pouvait avoir le capitalisme. On le voit très bien avec le conflit au Moyen-Orient. L'impudence, l'hypocrisie, le mensonge et la corruption à tous les niveaux, le gangstérisme et le chantage à échelle planétaire sur la vie de millions d'êtres humains, le terrorisme aveugle, le meurtre et l'assassinat, sont érigés en principes de gouvernement. Ils sont même la marque de l'homme d'Etat accompli : est un grand stratège celui qui prend eh otage des milliers d'hommes. Est encore plus grand et respecté celui qui n'hésitera pas à sacrifier ces mêmes otages sur l'autel des principes et du droit bourgeois.
Que ce soit au niveau économique, social, politique, idéologique, au niveau même de sa morale et de ses principes, ce système a fait faillite et entraîne de plus en plus vite l'humanité entière dans la catastrophe économique et guerrière.
La classe ouvrière mondiale est la seule force qui puisse présenter une autre perspective
"Historiquement, le dilemme devant lequel se trouve l'humanité d'aujourd'hui se pose de la façon suivante : chute dans la barbarie, ou salut par le socialisme. (...) Ainsi nous vivons aujourd'hui la vérité que justement Marx et Engels ont formulée pour la première fois, comme base scientifique du socialisme dans le grand document qu'est le Manifeste Communiste : le socialisme est devenu une nécessité historique (...) non seulement parce que le prolétariat ne veut plus vivre dans les conditions matérielles que lui préparent les classes capitalistes, mais aussi parce que, si le prolétariat ne remplit pas son devoir de classe en réalisant le socialisme, l'abîme nous attend tous, tant que nous sommes. " ([8] [8])
Soixante-douze ans plus tard, ces paroles sont toujours d'actualité. Elles pourraient avoir été écrites aujourd'hui. Seule la classe ouvrière mondiale, le prolétariat, peut offrir l'unique perspective alternative à l'effroyable cataclysme du capitalisme en putréfaction : le communisme.
La terrible récession ouverte qui commence aux USA, et par contrecoup sur l'économie mondiale, va représenter pour l'ensemble du prolétariat mondial, et tout particulièrement des pays industrialisés d'Europe, des attaques encore exacerbées sur leurs conditions de vie : licenciements par millions, salaires en baisse, conditions de travail aggravées comme jamais, etc. alors qu'il subit déjà depuis longtemps une détérioration drastique de sa situation, détérioration qui s'est déjà énormément accélérée ces derniers mois. Et qui plus est, la bourgeoisie mondiale profite, sans attendre, du conflit au Moyen-Orient, pour faire passer les sacrifices au nom de l'unité nationale et du... choc pétrolier. On nous l'a déjà fait deux fois ce coup-là ! C'est clair : ce sont les ouvriers qui vont payer la note de l'intervention militaire, les ouvriers en uniforme enrôlés dans l'armée irakienne, mais aussi ceux des pays occidentaux.
La classe ouvrière ne doit pas céder aux sirènes de l'unité nationale et de la défense de l'économie capitaliste. Elle ne doit pas suivre la bourgeoisie et prendre part au conflit contre l'Irak. Ce conflit n'est pas le sien. Elle a tout à y perdre et rien à y gagner. Son combat, le seul terrain sur lequel elle puisse se battre, c'est celui de la lutte contre le capitalisme comme un tout, c'est la lutte pour la défense de ses conditions de vie, contre les attaques économiques, contre l'austérité et les sacrifices, contre la logique du capital qui ne conduit qu'à la misère et à la guerre, partout dans le monde, mais aussi contre l'unité nationale, contre la défense de la nation et de la démocratie bourgeoise dans tous les pays.
Aujourd'hui, un an après la dislocation du stalinisme et l'effondrement du bloc de l'Est, après l'énorme propagande sur la victoire du capitalisme et la paix, il est clair pour tout ouvrier que le capitalisme mondial est dans une faillite insoluble et irréversible. Il est tout aussi clair que le capitalisme décadent, c'est inévitablement la guerre impérialiste. Crise et guerre sont deux moments du capitalisme qui ne font que s'alimenter et se renforcer l’un l'autre. Les deux faces d'une même pièce. Mais en plus, fait historique nouveau, la pièce se décompose entraînant avec elle l'ensemble de l'humanité dans un cours où crise et guerre vont de plus en plus tendre à s'entremêler, à se confondre.
Plus l'agonie du capitalisme se prolonge, plus dévastateurs sont ses ravages de tout ordre. La décomposition du rapport social qu'est le capital, en se prolongeant, commence à hypothéquer chaque fois un peu plus la perspective même de la révolution prolétarienne, et à handicaper la construction future du communisme. La destruction massive et croissante de forces productives, usines, machines, ouvriers rejetés de la production, la destruction de l'environnement, des campagnes, l'accroissement anarchique de villes-dépotoirs de millions d'êtres humains, vivant dans des conditions atroces, la plupart du temps sans travail, l’atomisation et la destruction des rapports sociaux, les dégâts causés par les nouvelles épidémies, la drogue, la faim, les guerres - et nous en oublions -, autant de drames et de catastrophes qui rendront plus difficile la construction de la société communiste.
Les enjeux deviennent de plus en plus dramatiques. Le prolétariat ne dispose pas d'un temps illimité pour accomplir sa tâche historique. Révolution prolétarienne triomphante ou destruction de l'humanité, telle est l'alternative. Pour le prolétariat, il n'est d'autre voie que la destruction du capitalisme et la construction d'une autre société, où la faim, la guerre et l'exploitation auront disparu.
Le chemin jusqu'à la société communiste sera long et ardu. Mais il n'en est pas d'autre.
RL. 4/9/90
"Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu'elle est. Ce n'est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l'ordre, de la paix et du droit, c'est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l'anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l'humanité qu'elle se montre toute nue, telle qu'elle est vraiment...
"Nous sommes placés aujourd'hui devant ce choix : ou bien triomphe de l'impérialisme et décadence de toute civilisation, avec pour conséquences, comme dans la Rome antique, le dépeuplement, la désolation, la dégénérescence, un grand cimetière ; ou bien, victoire du socialisme, c'est à dire de la lutte consciente du prolétariat international contre l'impérialisme et contre sa méthode d'action : la guerre. C'est là un dilemme de l'histoire du monde, un ou bien-ou bien encore indécis dont les plateaux balancent devant la décision du prolétariat conscient. Le prolétariat doit jeter résolument dans la balance le glaive de son combat révolutionnaire : l'avenir de la civilisation est de l'humanité en dépendent."
Rosa Luxembourg, Brochure de Junius.
[1] [9] Voir l'article sur la crise dans ce numéro.
[2] [10] Lénine, Résolution sur "Le pacifisme et la consigne de la
paix" de la Conférence des sections du POSDR à l'étranger, mars 1915.
[3] [11] Un ancien membre de la CIA a récemment fait des déclarations (reproduites par divers journaux dans différents pays : Libération en France, Cambio 16 en Espagne), rendant compte d'accords secrets établis entre la CIA et les autorités iraniennes de l'époque, pour faire durer suffisamment longtemps la prise d'otages afin d'assurer la défaite de Carter aux élections...
[4] [12] Comme le rappellent le New-York Times et Le Monde Diplomatique, août 1990.
[5] [13] "Le Monde", 29/8/90.
[6] [14] Ce ne serait pas la première fois que la bourgeoisie américaine procède de cette façon. Ainsi, à une échelle bien plus vaste, cette bourgeoisie a eu l'occasion de tendre la perche à son futur ennemi pour que celui-ci fasse le premier pas dans une guerre devenue inévitable et se présente de la sorte comme l'"agresseur". Il s'agit de l'attaque japonaise du 8 décembre 1941 contre la flotte américaine du Pacifique basée à Pearl Harbour (Hawaii), qui provoqua l'entrée officielle des USA dans la seconde guerre mondiale. Il a été clairement démontré, à posteriori, que c'est le président américain Roosevelt qui a tout fait pour inciter le Japon à prendre une telle initiative, notamment en réduisant au minimum les moyens de défense de la base (la presque totalité des soldats US étaient en permission) alors qu'il savait pertinemment que ce pays s'apprêtait à entrer dans la guerre. L'attaque japonaise de Pearl Harbour allait ainsi permettre de constituer, autour de Roosevelt, l'"union nationale" pour la guerre et faire taire les résistances, tant dans la population que dans certains secteurs de la bourgeoisie US, contre cette politique.
[7] [15] "As for Germany and Japon, neither has begun to contribute at a level equal to its need for secure oil suppty. To be sure, Bonn is preoccupied with reunification. Yet Germany would be shortsighted to underestimate its debt to America's sacrifice. That is even more true for Tokyo", The New-York Times for the International Herald Tribune, 31/8/90.
[8] [16] Rosa Luxembourg, Discours sur le Programme du Parti Communiste Allemand, dec. 1918, édition Spartacus.
La récession de l'économie américaine est là. L'annonce officielle en a été faite dans la presse du monde entier. L'explication qu'en donne la bourgeoisie mondiale est toute trouvée : c'est la faute du renchérissement du cours du pétrole, c'est la faute du dictateur irakien Saddam Hussein et de son coup de force au Koweït. Et les classes dirigeantes du monde entier, désolées, s'empressent d'annoncer ce que tout cela va signifier, dans un proche avenir, pour les prolétaires : moins de croissance, et donc des licenciements, une inflation en hausse et une attaque contre les salaires et le niveau de vie, bref, plus de misère et de pauvreté. Mais évidemment, les travailleurs n'auront qu'à s'en prendre au grand responsable de cette situation, au bouc émissaire tout trouvé dans le contexte de xénophobie antiarabe et anti-islamique cultivé depuis des années : la brute sanguinaire Saddam Hussein. Ce n'est pas la première fois que la bourgeoisie mondiale nous ressort ce scénario, c'est déjà celui qui a servi après le choc pétrolier de 1973 pour justifier la récession de 1974 ; à cette époque, ce sont les émirs cupides de la péninsule arabe qui étaient montrés du doigt ; la récession de 1981, elle, a trouvé son explication avec ce qui a été appelé le "deuxième choc pétrolier", attribué à la folie des mollahs et de Khomeiny. Aujourd'hui, le même mensonge éculé, mais qui a cependant montré par le passé son efficacité idéologique, nous est servi sur un plateau par les médias du monde entier.
Cette explication de la crise et de la récession de l'économie mondiale par les fluctuations brutales du cours du pétrole, liées à l'instabilité politico-militaire de la principale région productrice de l'or noir, le Moyen-Orient, est un pur mensonge de la propagande capitaliste destiné à cacher la véritable nature de la crise économique, son origine, ce qui la détermine réellement. La crise ouverte de l'économie mondiale, qui s'aggrave constamment depuis plus de vingt ans, est le produit des contradictions insolubles du mode de production capitaliste, lequel est en train d'entraîner l'ensemble de l'humanité dans sa banqueroute catastrophique.
Cette vérité de la tragédie historique où mène la domination du capital, la classe dominante, la bourgeoisie, qui contrôle la destinée du monde, s'efforce évidemment par tous les moyens de la cacher, car elle porte en germe la nécessité de sa propre disparition et celle du système capitaliste qui l'a fait naître.
Quelle récession ?
Depuis la récession de 1981-1982, la bourgeoisie occidentale, à l’unisson des rodomontades d'un Ronald Reagan, n'a cessé tout au long des années 1980 de célébrer la santé retrouvée de l'économie mondiale et d'aligner les chiffres montrant la croissance record et l'inflation enfin vaincue. Cependant, cette fameuse croissance et la chute de l'inflation tant saluées relevaient plus d'un trucage grandissant des statistiques économiques et d'une politique artificielle de fuite en avant dans l'endettement et l'économie de guerre que d'une réelle prospérité. Loin des indices officiels trompeusement optimistes des officines étatiques, le prolétariat, avec l'immense majorité de la population mondiale, a subi dans sa chair la dégradation dramatique de la situation économique mondiale durant toutes ces années. Les années 1980 se sont ouvertes avec l'effondrement économique des pays d'Amérique latine, d'Afrique et d'une partie de l'Asie, mettant définitivement fin à leurs rêves de développement, et se sont terminées par l'effondrement de l'économie des pays de l'Est, entraînant la dislocation du bloc russe. Des centaines de millions d'habitants des pays les plus pauvres ont sombré dans la misère absolue, selon un rapport de la Banque mondiale plus d'un milliard d'hommes vivent avec moins de 370 $ par an. La famine s'est étendue (100 000 morts rien qu'au Soudan en 1989), les épidémies se sont développées, non seulement le SIDA mais encore les anciennes maladies sont en pleine recrudescence, tel le paludisme, qui tue deux millions de personnes par an. Dans les pays développés, là où dit-on a régné la prospérité, les conditions de vie se sont profondément dégradées sous les coupes claires des programmes d'austérité permanents, le chômage massif s'est maintenu, tandis que le travail précaire et mal rémunéré s'est développé, la pauvreté a gagné du terrain et une misère inconnue depuis les années noires de la guerre s'est étendue au coeur des métropoles du capitalisme "avancé". Sinistre bilan, bien éloigné de l'euphorie intéressée des chantres de l'économie capitaliste.
Loin de l'enthousiasme de la propagande bourgeoise, les années 1980 ont été en fait des années de récession de l'économie mondiale marquées par un enfoncement dramatique de la planète dans la misère. A l'évidence, il y a deux manières de considérer la situation économique : celle de la bourgeoisie, qui truque ses indices, qui a besoin de faire croire, et dans une certaine mesure de croire elle-même, à la prospérité de son système, et celle des exploités du monde entier, qui, dans le concret des souffrances quotidiennes, ont subi durement la dégradation générale de leurs conditions de vie.
Etat des lieux avant les événements du golfe
Cependant, les chiffres officiels de la classe dominante, s'ils sont un travestissement optimiste de la réalité, n'en expriment pas moins, dans leur évolution, les fluctuations de la situation économique mondiale. En effet, pour les besoins de sa gestion, la classe dominante éprouve aussi la nécessité d'une certaine vérité de ses statistiques. De fait, même si, toutes ces dernières années, les taux de croissance positifs des principales puissances industrielles ont perpétué le mensonge d'une bonne santé de l'économie mondiale, le lent déclin, année après année, mois après mois, traduit l'enfoncement tout à fait réel dans une récession toujours plus profonde.
Depuis de nombreux mois, la croissance industrielle des USA, de la GB, du Canada, de la Suède, de l'Italie, plonge irréversiblement vers la barre fatidique de la croissance zéro. Cela bien avant le coup de force de l'Irak.
Les résultats inquiétants qui sont annoncés aujourd'hui, et qui affolent les bourses du monde entier, sont antérieurs à ce que les journalistes nomment déjà le "troisième choc pétrolier".
Le moteur qui a permis de maintenir l’économie des pays les plus industrialisés à flot est en panne. L'économie américaine est au plus mal. Après la récession du début des années 1980, c'est au travers d'une politique d'endettement faramineuse que les USA ont entamé une relance de leur économie, accumulant des déficits budgétaires et commerciaux inimaginables jusque-là, permettant ainsi au Japon et aux pays industrialisés d'Europe de développer leurs exportations et de faire tourner leur appareil productif.
Les estimations de la dette globale des USA, interne et externe, varient aujourd'hui de 8 000 à 10 000 milliards de dollars, à comparer avec l'évaluation de la dette de l'ensemble des pays sous-développés à 1 300 milliards de dollars en 1989. Au début de l'année 1990, la dette fédérale a atteint le chiffre de 3 120 milliards de dollars, et une nouvelle loi a dû être votée pour autoriser le dépassement de ce seuil. L'endettement extérieur net, c'est-à-dire en défalquant les créances des USA à l'étranger, atteint, fin 1989, 663 milliards de dollars, en croissance de 25 % sur l'année précédente. A ce niveau, les chiffres deviennent surréalistes, et pas plus que n'importe quel pays sous-développé, les Etats-Unis ne sont capables de rembourser leur dette.
Et pourtant, ces injections massives de liquidités n'ont pas permis à la principale puissance économique du globe d'empêcher l'enfoncement irrésistible de son économie dans une nouvelle récession ouverte, tout au plus ont-elles permis de freiner le mouvement. Au dernier trimestre 1989, la croissance était de 0,5 %, au deuxième trimestre 1990, de 1,2 %. Les taux de croissance record du milieu des années 1980 sont définitivement oubliés.
Avec le marasme qui s'approfondit, les bénéfices des sociétés américaines sont en chute libre. Ainsi, pour le premier semestre de 1990, Chrysler et General Motors voient leurs profits se réduire respectivement de 45 % et 39 % par rapport à la même période de l'année précédente. Parmi les géants de l'informatique, en 1989, Unisys a annoncé des pertes de 640 millions de dollars et Wang de 425 millions. En conséquence, les faillites se sont multipliées, et tout à fait significatives ont été les banqueroutes en chaîne de centaines de caisses d'épargne, laissant une ardoise officielle de plus de 500 milliards de dollars (alors que certaines estimations parlent de 1000 milliards) à l'Etat fédéral.
Après avoir été officiellement déclaré vaincu, le chômage, aux USA, recommence à augmenter brutalement, même dans les statistiques officielles truquées : durant le seul mois de juillet 1990, il passe de 5,2 % à 5,5 % de la population active. Et le pire est à venir, pas un jour ne s'écoule sans que de nouvelles réductions d'effectifs ne soient annoncées. Les fleurons de l'industrie technologique américaine, censés être le secteur le plus compétitif, licencient massivement : General Electric, McDonnell-Douglas, Pratt & Whitney, Lockheed, NAS, etc. La liste n'est évidemment pas exhaustive, tous les secteurs sont touchés.
La déroute de l'économie américaine et son enfoncement dans la récession ne peuvent qu'entraîner l'ensemble de l'économie mondiale dans un cours catastrophique. Malgré la persistance d'énormes déficits commerciaux américains, les exportations des pays industrialisés baissent avec le ralentissement de l'économie US. Même les puissances industrielles les plus compétitives sur le marché mondial voient leurs exportations dégringoler : l'excédent commercial du Japon a plongé de 19 % en 1989 et de 22,8 % sur les six premiers mois de 1990, celui- de la RFA sur le premier semestre de 1990 de 8 %, alors que la balance des paiements de ce dernier pays chutait de 18 % d'une année sur l'autre. Quant aux pays industrialisés moins bien lotis, ils commencent déjà à subir la contagion de la récession américaine (selon les statistiques officielles). Il en est ainsi du Canada, dont l'économie est étroitement imbriquée dans celle des USA, qui a vu son PIB diminuer de 0,1 % en avril, de 0,2 % en mai et juin, et de l'Italie dont la croissance industrielle retombe à zéro à la fin du printemps.
A la suite de celle des USA, l'ensemble de l'économie mondiale est en train de plonger. Partout, les mêmes symptômes se manifestent. Les bénéfices des grandes compagnies sont en chute libre, les pertes s'accumulent. Ainsi, dans le secteur informatique européen, Bull (France) annonce 1,8 milliards de francs de pertes sur six mois, et Nixdorf (RFA) a subi 3,3 milliards de francs de pertes en 1989, avant de se faire racheter par Siemens. Les faillites se multiplient, elles sont par exemple en augmentation de 31 % en Suède pour le premier semestre de 1990 et, sur les six premiers mois de 1990, de 30 % en GB par rapport au semestre correspondant de l'année précédente. Quant au chômage, comme conséquence du ralentissement de l'économie, il connaît aussi une nouvelle poussée en Europe : en RFA, il est passé significativement de 6,4 % à 6,6 % de la population active en juillet 1990, et pas un jour ne s'écoule sans que, dans tous les pays d'Europe de l'ouest, ne soient annoncés de nouveaux licenciements, qui préfigurent la future croissance fulgurante de la masse des ouvriers sans emploi, laquelle, selon les chiffres officiels, comptant déjà 25 millions de travailleurs au sein de l'OCDE.
Avec l'effondrement du bloc russe, la bourgeoisie avait cru trouver dans l'ouverture des marchés est-européens un palliatif au ralentissement de l'économie américaine, un nouvel eldorado pour réaliser ses profits. Avec l'accélération de la crise ces derniers mois, le mythe a fait long feu. Sur le plan économique, l'unification de l'Allemagne se révèle être une catastrophe. La production industrielle de la RDA a chuté de 7,3 % en juin tandis que la liste des chômeurs s'allonge vertigineusement au point que l'on envisage pour la période qui vient des taux de chômage de 25 % à 30 % de la population active. La réunification est un puits sans fond pour toute l'économie ouest-allemande, qui prévoit pour l'année 1991 une augmentation de sa dette de 30 %, de 1 000 milliards à 1300 milliards de marks, sans compter le fond spécial prévu de plus de 100 milliards de marks. La réalité sera pourtant, selon toute vraisemblance, encore bien plus désastreuse. La situation des autres pays d'Europe de l'Est est encore pire. Ils n'ont pas, eux, une grande puissance occidentale pour les soutenir, leur dette croît de manière accélérée, la production chute brutalement : pour les six pays anciennement satellites de l'URSS, la production industrielle a plongé de 13,4 % durant le premier semestre de 1990, comparé à la même période de l'année 1989 et les exportations de 14,2 %. Les travailleurs subissent de plein fouet les charmes de l'économie libérale à coups de programmes d'austérité draconiens : durant le seul mois de juin dernier, 125 000 chômeurs de plus se sont retrouvés sur le pavé en Pologne ; en Tchécoslovaquie, début juillet, les prix de 3 000 produits ont augmenté de plus de 25 %.
Voilà l'état des lieux de l'économie mondiale avant le 2 août, jour de l'invasion du Koweït par les troupes irakiennes. La "récession" était déjà là, l'accélération de la plongée dans la crise avait déjà grandement commencé à faire sentir ses effets depuis de longs mois. Les événements du golfe Persique n'ont fait qu'accentuer et accélérer une tendance déjà fortement affirmée de l'économie mondiale vers une plongée dramatique dans un ralentissement toujours plus fort de l'économie.
Ce ne sont pas les menaces de guerre qui sont à l'origine de la crise économique, mais c'est exactement l'inverse, c'est l'approfondissement de la crise économique qui pousse vers les tensions guerrières. La situation de l'Irak à cet égard est parfaitement claire : incapable de rembourser une dette écrasante de 70 milliards de dollars, mais bénéficiant d'une puissance militaire surclassant celle de ses voisins, l'Irak a utilisé son armée pour s'emparer des richesses tentantes du Koweït, et essayer ainsi de surmonter ses difficultés économiques. Les USA aussi, qui constituent pourtant la puissance économique majeure, et de loin, sont poussés, pour défendre leurs intérêts économiques et leur situation de puissance mondiale dominante, à utiliser de plus en plus le gigantesque arsenal militaire qu'ils ont constitué depuis des années. Là où leur puissance économique ne suffit pas à faire prévaloir leurs intérêts, la force des armes est employée de plus en plus pour imposer la discipline.
Bien sûr, le renchérissement du prix du pétrole, qui a été catapulté brutalement de 14 $ le baril à plus de 30, va être un facteur accélérateur, aggravant, de la crise, mais il n'en est pas la cause. En fait, toute la propagande actuelle de la bourgeoisie sert à minimiser l'accélération dramatique de la crise et ses conséquences.
La panique boursière actuelle trouve bien plus son origine dans les résultats catastrophiques des économies des pays développés que dans l'évolution des cours pétroliers. Même si ce dernier élément a été un facteur accélérateur de l'effondrement boursier, il faut à l'évidence constater que depuis l'effondrement des bourses en 1987, les alertes se sont succédées, malgré tous les dispositifs de contrôle mis progressivement en place. Encore récemment, dans une longue glissade au début de cette année, la bourse de Tokyo, devenue le haut heu de la spéculation mondiale, avait déjà perdu 28 %. Le 23 août, cette perte se chiffrait à 39% depuis janvier 1990. D'ailleurs, la chute catastrophique des cours boursiers de l'été 1990 n'a pas commencé avec les hostilités du 2 août mais dès la mi-juillet.
Quelles perspectives ?
La tourmente, qui souffle aujourd'hui sur toutes les places boursières de la planète, annonce l'ouragan qui va secouer l'économie mondiale. Les places boursières, à notre époque, n'ont plus le même rôle central que lors de la crise de 1929. Même si, durant les années 1980, elles étaient devenues un haut lieu de la spéculation où grenouillaient les affairistes de tout poil, elles ne constituaient pas pour autant le coeur de l'économie. Le développement du capitalisme d'Etat, depuis des décennies, a déplacé le centre de gravité du capital vers les officines discrètes des bureaux ministériels. Cependant, l'effondrement boursier actuel est lourd de signification, relativement à l'instabilité grandissante qui menace l'ensemble du système économique mondial dans ses différents aspects : productif, monétaire, financier. Il traduit la perte de confiance de la bourgeoisie dans sa propre économie et manifeste l'impasse où elle se trouve.
La politique menée au lendemain de l'effondrement des valeurs boursières d'octobre 1987 et qui avait permis, en relançant la spéculation, de sauver les apparences d'une santé maintenue de l'économie mondiale n'est plus possible. Cette politique avait été celle de la baisse des taux d'intérêt, celle du crédit facile. Elle a eu pour premier résultat de développer l'inflation sans pour autant permettre une croissance de l'économie réelle : la production, qui a continué a décliner irrésistiblement.
L'inflation, que les chantres de l'économie capitaliste prétendaient avoir vaincue au milieu des années 1980 (et elle avait effectivement, au moins au vu des indices officiels, rejoint un niveau relativement bas) n'a cessé de se développer régulièrement depuis plusieurs années dans les pays industrialisés. Elle est passée ainsi, entre 1987 et 1989, de 3,7 % à 4,8 % aux USA, de 4,2 % à 7,8 % en GB, et globalement, pour les sept grands pays industrialisés de 2,9 % à 4,5 %. Même si ces chiffres paraissent encore faibles par rapport aux records des années 1970, la progression n'en est pas moins très importante sur les deux dernières années : respectivement, selon les exemples cités, les indices ont progressé de 29 %, 85 % et 55 %. Les premiers mois de l'année 1990 ont été marqués par une accélération brutale. D'après les indices de juillet 1990, la progression en rythme annuel a été de 5,6 % aux Etats-Unis et de 9,8 % en GB. Dans les pays de la périphérie, l'inflation, durant les années 1980, a continué sur sa lancée des années 1970, atteignant des sommets inconnus jusqu'alors et des indices à quatre chiffres. L'augmentation brusque des cours du pétrole de l'été va signifier une nouvelle accélération. Les économistes les plus optimistes prévoient que, pour tous les pays industrialisés, celle-ci va se traduire par de nouvelles hausses rapides supérieures à 1 %, et entraîner un retour à la situation inflationniste des années 1970. Quant aux pays du "tiers-monde", nul n'ose prévoir les effets désastreux d'un baril de pétrole à plus de 30 $.
Dans ces conditions, il n'est nulle part question de faire baisser les taux d'escompte des grandes banques centrales au moment où, sous la poussée des tarifs pétroliers, l'inflation flambe. Au contraire, partout, les taux d'intérêts sont à la hausse, rendant le crédit toujours plus cher. Il y a déjà quelques années, Volker, le président d'alors de la Banque fédérale, avait déclaré : "La question de la dette est une bombe placée au coeur du système financier international". Cette bombe se rapproche toujours plus de son point d'explosion, le détonateur est amorcé. Le surenchérissement du crédit ne peut avoir pour conséquence que de faire peser encore plus lourdement le poids de la dette, et de rendre encore moins possible son remboursement, même de la part des pays les plus développés qui étaient, jusqu'à présent, les garants de la stabilité du système financier international. La situation est particulièrement grave à un moment où les besoins en capitaux se font plus importants.
Durant les années 1980, l'endettement de la plupart des pays industrialisés n'a cessé de croître. De 1981 à 1989 la dette publique nette en pourcentage du PNB est passée de 37,2 % à 51,4 % pour les USA, de 57,1 % à 68 % pour le Japon, de 61 % à 97 % pour l'Italie par exemple. La pseudo croissance des années 1980, qui a permis de maintenir l'illusion de la prospérité des économies développées de l'Occident, s'est faite à crédit. Alors que les marchés, les débouchés pour la production se fermaient pour manque de solvabilité, le recours au crédit permettait d'écouler des marchandises qui, autrement, n'auraient jamais trouvé preneur sur un marché sursaturé en rétrécissement permanent.
Cependant, cette politique artificielle trouve ses limites dans l'incapacité de la classe capitaliste à créer de nouveaux crédits alors que les anciens ne sont pas remboursés, et ne pourront jamais l'être. On assiste ainsi à des phénomènes aberrants depuis des années : les pays endettés payent leurs traites en contractant de nouveaux crédits qui alourdissent encore le poids de leur dette et des traites à payer ; les pays industriels, pour exporter leur production, prêtent de l'argent qui ne sera Jamais remboursé, et par cela, ils s'endettent eux-mêmes. Un tel système ne peut perdurer longtemps, il se fonde sur une tricherie constante avec la loi de la valeur, et ne repose que sur une illusion, celle de la croissance infinie du capital. C'est cette illusion qui est en train de s'écrouler avec l'entrée de l'économie mondiale dans une nouvelle phase de récession.
Aujourd'hui, la nécessité de payer la facture pétrolière ne peut qu'aggraver les déficits commerciaux et les balances des paiements, c'est-à-dire renforcer les besoins de liquidités, de financement, donc de crédits des différents Etats. Mais là n'est pas le pire : le recours de plus en plus massif à l'endettement s'est révélé incapable de suffire à créer les débouchés artificiels nécessaires pour maintenir la croissance de la production qui décline depuis des années. La chute de l'économie mondiale, et notamment celle des pays industrialisés, dans la récession ouverte signifie une moins grande rentrée des impôts dans les caisses de l'Etat et une aggravation des déficits budgétaires. Sur ce point, l'exemple le plus significatif reste les USA ; lors de la récession de 1973-1975, le déficit budgétaire avait grimpé de 2 à 8 milliards de dollars, lors de la récession de 1979-1982, de 50 à 200 milliards de dollars, c'est-à-dire qu'il avait chaque fois quadruplé. Avec la récession actuelle, cela signifierait que le déficit budgétaire actuel de plus de 190 milliards de dollars serait propulsé à près de 800 milliards de dollars. On peut imaginer les besoins de crédits américains dans cette hypothèse. Mais alors où trouver des prêteurs ? L'un des principaux bailleurs de fonds de ces dernières années, la RFA, étant en train de se transformer lui-même, pour financer la réunification de l'Allemagne, en un des plus gros emprunteurs sur le marché mondial, reste le Japon, qui, avec la récession, voit ses marchés se rétrécir, sa balance commerciale positive se réduire et ses capacités de financement s'amoindrir. Une nouvelle relance par le crédit n'est donc plus possible.
Même une relance par l'économie de guerre, dans la mesure où celle-ci, pour son financement, a aussi besoin de crédit, ne peut constituer une solution. D'ailleurs, il suffit de constater que le premier effet de l'intervention US au Moyen-Orient est, sur le plan économique, d'aggraver le déficit budgétaire américain ; la relance des programmes d'armement que la situation peut impliquer, de toute façon, devrait être financée sur le budget, ce qui ne contribuerait qu'à en détériorer encore plus le déficit.
Une des solutions pour le gouvernement américain, pour réduire son déficit, est de lever de nouveaux impôts, mais cela signifie un ralentissement encore plus fort de l’économie et une plongée plus dramatique dans la récession. La quadrature du cercle ! Tous les spécialistes de la conjoncture économique sont dans le cirage ; depuis de nombreux mois, la panique montait et la guerre dans le Golfe a été le détonateur pour qu'elle s'exprime ouvertement. Les maigres espoirs d'une relance ont définitivement sombré avec l'explosion des cours du pétrole, qui signifie une perte rapide de plus d'un point de croissance pour les pays industrialisés. Les événements du Golfe, tout en n'étant pas directement à l'origine de la crise, se sont produits à un moment où l'économie mondiale se trouvait extrêmement fragilisée, précipitant et aggravant grandement les effets dévastateurs de la crise.
Les perspectives sont on ne peut plus sombres pour les capitalistes du monde entier : chute de la production, faillites en chaîne des entreprises industrielles et des banques, crise du crédit et donc du système financier international avec, au coeur de la tourmente, le dollar, qui, au mois d'août, a rejoint ses niveaux historiques les plus bas, inflation galopante, concurrence exacerbée pour les maigres marchés encore solvables, déstabilisation grandissante du marché mondial. La catastrophe est là. La perspective, après l'effondrement économique des pays sous-développés de la périphérie et des pays d'Europe de l'Est est maintenant à l'écroulement de l'économie des pays les plus développés. Même si on ne peut prévoir précisément les formes que prendra cette nouvelle phase de la crise catastrophique du capital, ni l'enchaînement des événements qui vont la caractériser, ses principales caractéristiques, elles, ne font aucun doute.
Les travailleurs des pays du monde entier vont payer le prix fort de la banqueroute du capital. Le chômage va grimper à des niveaux jamais atteints jusqu'alors. L'inflation et les politiques d'austérité vont dégrader le niveau de vie de la classe ouvrière des pays développés à un point qui, jusque là, était l'apanage malheureux des pays les plus pauvres. Partout dans le monde, la crise va exercer ses effets désastreux, accélérant encore le processus de décomposition général, à l'oeuvre depuis des années ; les famines, les épidémies vont connaître un nouveau bond en avant.
Avec une économie qui descend sous le seuil fatidique de la croissance zéro des indices officiels, c'est un seuil psychologique fondamental que la classe dominante est en train de franchir. La panique présente des spéculateurs sur les marchés boursiers en est une expression frappante.
Dans un premier temps, le bain de sang qui se prépare dans le golfe Persique constitue un facteur de déboussolement du prolétariat mondial. Le martelage incessant des organes de propagande de la bourgeoisie que celui-ci subit lui masque provisoirement la réalité de la profondeur de la crise qui s'annonce et entrave sa capacité à se situer sur son terrain de classe.
Cependant, les effets des attaques brutales contre ses conditions de vie que la situation implique nécessairement, signifient que la combativité toujours présente de la classe ouvrière va, à court terme, tendre à s'exprimer dans des luttes revendicatives d'ampleur. La perspective de luttes sociales massives face à la paupérisation brutale qui va frapper le prolétariat mondial ne peut qu'aviver davantage les frayeurs de la classe dominante. La propagande incessante des années 1980 sur les indispensables sacrifices à consentir pour maintenir la prospérité, qui a été une réelle entrave au développement de la lutte et de la conscience de classe, va se trouver balayée devant la réalité du fait que tous ces sacrifices n'ont finalement mené qu'à la catastrophe présente. Le capitalisme est en train de faire la preuve absolue de l'impasse historique où il mène l'humanité, et plus que jamais se pose la nécessité urgente de la révolution communiste mondiale, seule solution à la barbarie présente. L'enfoncement accéléré dans la misère qui est en train de se produire déblaie le terrain pour que la compréhension de cette nécessité se développe dans la classe ouvrière.
JJ, 4/9/1990.
Lors de son adoption, cette résolution ne pouvait intégrer la "crise du Golfe" déclenchée depuis le 2 août 1990. Elle traite des perspectives générales de la situation internationale sous ses principaux aspects et conserve une pleine validité aujourd'hui. Et en particulier, les événements au Moyen-Orient survenus depuis la rédaction de ce document illustrent de façon immédiate et complète ce qui y était tracé : le futur que nous offre le capitalisme n'est pas seulement celui d'une crise insoluble aux effets économiques de plus en plus dévastateurs (famines dans les pays arriérés, paupérisation absolue dans les pays avancés, misère généralisée pour l'ensemble de la classe ouvrière), il est aussi celui d'affrontements militaires de plus en plus brutaux là où le prolétariat n'aura pas la force de les empêcher, il est enfin celui d'un chaos grandissant, d'une perte de contrôle croissante par la classe dominante de l'ensemble de la société, d'une barbarie de plus en plus extrême et déchaînée..."
La situation mondiale est dominée aujourd'hui, et pour un moment encore, par l'événement historique considérable que constitue l’effondrement brutal et définitif du bloc impérialiste de l'Est. Il en est ainsi parce que cet effondrement :
1) L'effondrement du bloc de l'Est trouve ses origines fondamentales dans :
Cette faillite résulte de l'incapacité de la forme du capitalisme d'Etat existant dans ces pays (et qui avait été instaurée en URSS sur les ruines de la révolution prolétarienne victime de son isolement international) à affronter l'aggravation inexorable de la crise mondiale du capitalisme. Cette forme de capitalisme d'Etat, si elle avait pu se montrer capable d'affronter victorieusement une situation de guerre impérialiste généralisée, s'est, en revanche, révélée inapte à faire face à la situation de concurrence exacerbée provoquée sur le marché mondial par une crise de surproduction du fait :
En fait, l'effondrement économique spectaculaire de l'ensemble de l'économie dite "socialiste" traduit la revanche, sous les coups de boutoir de la crise mondiale, de la loi de la valeur avec laquelle cette forme particulière de l'économie capitaliste avait, pendant des décennies, tenté de tricher à grande échelle.
2) En ce sens, la disparition de l'économie de type stalinien, la réintroduction en catastrophe des mécanismes du marché dans les pays de l'Est, n'ouvre aucune perspective réelle de relance de l'économie mondiale dont le maintien à flot depuis deux décennies repose également sur une tricherie avec cette même loi de la valeur. En effet, à part quelques exceptions et situations spécifiques (comme l'Allemagne de l'Est), l'ensemble des pays de l'Est, et particulièrement l'URSS, ne saurait constituer un nouveau marché pour la production des pays industrialisés. Les besoins y sont immenses, mais les moyens de paiement totalement absents et les conditions historiques actuelles interdisent toute mise en place d'un quelconque nouveau "plan Marshall". En effet, celui-ci a pu relever l'économie d'Europe occidentale de ses ruines parce qu'il intervenait dans une période de reconstruction faisant suite à la guerre mondiale. Aujourd'hui, en revanche, le développement dans les pays de l'Est d'une industrie compétitive se heurte de façon insurmontable à la saturation générale du marché mondial. Comme ce fut déjà le cas durant les années 70 dans les pays du "tiers-monde", les crédits occidentaux destinés à financer un tel développement dans les pays de l'Est ne pourraient aboutir à d'autre résultat que d'accroître encore leur endettement déjà considérable et alourdir, de ce fait, le fardeau de la dette qui pèse sur l'ensemble de l'économie mondiale.
3) En fait, le mythe de la "sortie de la crise" par le "libéralisme" et les "reaganomics", et qui a connu son heure de gloire au milieu des années 1980, est aujourd'hui en train de crever comme une bulle de savon. Les prétendus "succès" des économies occidentales étaient en réalité basés sur une fuite en avant à corps perdu constituée principalement par un endettement gigantesque, notamment de la part de la première puissance mondiale, les Etats-Unis. Par d'énormes déficits de sa balance commerciale et de son budget, par une course effrénée aux dépenses d'armements, ce pays a permis de repousser pendant des années l'échéance d'une nouvelle récession ouverte, laquelle constitue, pour la bourgeoisie, la hantise majeure dans la mesure où c'est la manifestation de la crise qui met le mieux en évidence la faillite complète du mode de production capitaliste. Mais une telle politique, forme "occidentale" de la tricherie avec la loi de la valeur, ne pouvait qu'exacerber encore plus les contradictions de fond de l'économie mondiale. Aujourd'hui, l'entrée des Etats-Unis, de même que de la Grande-Bretagne, dans une nouvelle récession ouverte constitue une illustration de cette réalité. Cette nouvelle récession de la première économie mondiale, au même titre que les précédentes, ne peut, à terme, qu'entraîner celle des autres économies occidentales.
4) En effet, la fermeture du marché américain, qui se profile, va se répercuter (et a déjà commencé à se répercuter pour un pays comme le Japon) sur l'ensemble du marché mondial, faisant notamment plonger la production des pays d'Europe de l'Ouest (même si, dans l'immédiat, cette production se trouve soutenue en RFA par l'unification des deux Allemagnes). De plus, le facteur d'atténuation des effets et du rythme de la crise que pouvait constituer la politique de capitalisme d'Etat à l'échelle du bloc occidental pourra de moins en moins jouer son rôle avec la désagrégation de ce dernier, désagrégation qu'entraîne nécessairement la disparition du bloc adverse. Ainsi la perspective de l'économie mondiale est, plus que jamais, celle de la poursuite et de l'aggravation de son effondrement. Pendant toute une période, les pays du centre du capitalisme ont pu repousser les manifestations les plus brutales de la crise, dont l'origine se situe pourtant en ce même centre, vers la périphérie. De plus en plus, comme un choc en retour, ces formes les plus extrêmes de la crise vont revenir frapper de plein fouet ces pays centraux. Ainsi, après le "tiers-monde", après les pays du bloc de l'Est, et même si elles disposent de plus d'atouts pour en atténuer quelque peu les dégâts, les métropoles capitalistes d'Occident sont inscrites sur la liste noire de la catastrophe économique.
5) L'aggravation de la crise mondiale de l'économie capitaliste va nécessairement provoquer une nouvelle exacerbation des contradictions internes de la classe bourgeoise. Ces contradictions, comme par le passé, vont se manifester sur le plan des antagonismes guerriers : dans le capitalisme décadent, la guerre commerciale ne peut déboucher que sur la fuite en avant de la guerre des armes. En ce sens, les illusions pacifistes qui pourraient se développer à la suite du "réchauffement" des relations entre l'URSS et les Etats-Unis doivent être résolument combattues : les affrontements militaires entre Etats, même s'ils ne sont plus manipulés et utilisés par les grandes puissances, ne sont pas près de disparaître. Bien au contraire, comme on l'a vu dans le passé, le militarisme et la guerre constituent le mode même de vie du capitalisme décadent que l'approfondissement de la crise ne peut que confirmer. Cependant, ce qui change avec la période passée, c'est que ces antagonismes militaires ne prennent plus à l'heure actuelle la forme d'une confrontation entre deux grands blocs impérialistes :
6) C'est aussi pour cette dernière raison que la
disparition des deux constellations impérialistes qui se sont partagées
le monde depuis plus de quarante ans porte avec elle la tendance à la
reconstitution de deux nouveaux blocs : un bloc dominé par les Etats-Unis et
l'autre dominé par un nouveau leader, rôle pour lequel l'Allemagne (du fait de
sa puissance économique et de sa place géographique) serait la mieux placée.
Mais une telle perspective n'est pas aujourd'hui à l'ordre du jour du fait :
7) En fait, si les structures héritées de l'ancienne organisation du bloc occidental ont désormais perdu leur fonction première, elles sont utilisées, à l'heure actuelle, pour limiter la tendance croissante à la désorganisation, au "chacun pour soi", qui se développe au sein de la classe bourgeoise. En particulier, le chaos politique qui, d'ores et déjà, s'est instauré en URSS (notamment sous la forme de l'exacerbation des multiples revendications nationalistes), et qui ne fera que s'accroître, contient une menace réelle de contamination vers l'Europe centrale et occidentale. C'est bien là une des raisons majeures du soutien unanime dont bénéficie Gorbatchev de la part de toutes les fractions de la bourgeoisie occidentale. C'est aussi pour cette raison que la RFA, qui, avec la périlleuse opération d'absorption de la RDA, se trouve en première ligne de cette menace de chaos venue de l'Est, s'est convertie pour le moment en "fidèle" allié au sein de l'OTAN. Cependant, le fait même qu'un pays comme l'Allemagne, qui constituait un "modèle" de stabilité tant économique que politique, soit aujourd'hui durement secoué par le cyclone venu de l'Est en dit long sur la menace générale de déstabilisation qui pèse sur l'ensemble de la bourgeoisie européenne et mondiale. Ainsi, le futur que nous offre le capitalisme n'est pas seulement celui d'une crise insoluble aux effets économiques de plus en plus dévastateurs (famines dans les pays arriérés, paupérisation absolue dans les pays avancés, misère généralisée pour l'ensemble de la classe ouvrière), il est aussi celui d'affrontements militaires de plus en plus brutaux là où le prolétariat n'aura pas la force de les empêcher, il est enfin celui d'un chaos grandissant, d'une perte de contrôle croissante par la classe dominante de l'ensemble de la société, d'une barbarie de plus en plus extrême et déchaînée qui, au même titre que la guerre mondiale, ne peut avoir d'autre aboutissement que la destruction de l'humanité.
8) Le chaos grandissant au sein de la classe bourgeoise, l'affaiblissement qu'il représente pour elle, ne constituent pas en soi, à l'heure actuelle, une condition favorisant la lutte et la prise de conscience du prolétariat. En effet, en de nombreuses reprises, l'histoire a démontré que, face à une menace de la classe ouvrière, la bourgeoisie est parfaite ment capable de surmonter ses contradictions et antagonismes internes pour lui opposer un front uni et redoutable. Plus généralement, la classe ouvrière ne saurait compter, pour combattre et renverser la bourgeoisie, sur la faiblesse de celle-ci mais avant tout et fondamentalement sur sa propre force. En outre, les années 1980 qui marquent l'entrée de la société capitaliste décadente dans sa phase de décomposition, ont mis en relief la capacité de la classe dominante à retourner contre le prolétariat les différentes manifestations de cette décomposition :
9) Ce poids négatif de la décomposition sur la classe ouvrière s'est fait notamment sentir autour de la question du chômage. Si ce dernier peut constituer un facteur de prise de conscience de l'impasse historique dans laquelle se trouve le mode de production capitaliste, il a plutôt contribué, tout au long des années 1980, à rejeter dans le désespoir, le "chacun pour soi" et même la lumpénisation des secteurs non négligeables de la classe ouvrière, particulièrement parmi les jeunes générations qui n'ont jamais eu l'occasion de s'intégrer dans une collectivité de travail et de lutte. Plus concrètement, alors que dans les années 1930, dans des circonstances historiques bien plus défavorables qu'aujourd'hui (puisque dominées par la contre-révolution), les chômeurs avaient pu s'organiser et mener des luttes significatives, il n'en a rien été ces dernières années. En fait, il s'avère que, pour l'essentiel, seuls les combats massifs des ouvriers au travail pourront entraîner dans la lutte les secteurs au chômage de la classe ouvrière.
10) La capacité de la bourgeoisie à retourner
contre la classe ouvrière la décomposition de sa société s'est particulièrement
illustrée au cours de la dernière période avec l'effondrement du bloc de l'Est
et du stalinisme. Alors que ce dernier avait constitué le fer de lance de la
terrible contre-révolution qui s'était abattue sur le prolétariat entre
les années 1920 et les années 1960, sa crise historique et sa disparition, loin
de déblayer le terrain politique pour le combat et la prise de conscience de la
classe, ont au contraire provoqué au sein de celle-ci un recul très sensible dans
la dynamique de cette prise de conscience. Le fait que le bloc
"socialiste" ait péri de ses propres contradictions internes
(exacerbées par la crise mondiale et le développe ment de la décomposition) et
non de la main du prolétariat a, en effet, permis à la bourgeoisie d'accentuer
la difficulté de ce dernier à dégager les perspectives de son combat, ainsi que
le poids des illusions réformistes, syndicalistes et démocratiques.
Ce recul de la classe ouvrière est à la hauteur de l'importance de l'événement
qui l'a provoqué : il est le plus important qu'elle ait subi depuis la reprise
historique de ses combats à la fin des années 1960 ; en particulier, il se
situe à un niveau bien plus élevé que le recul qui avait accompagné sa défaite
de 1981 en Pologne.
11) La profondeur indiscutable du recul actuel dans le processus de prise de conscience du prolétariat ne remet nullement en cause, cependant, le cours historique aux affrontements de classe tel qu'il s'était développé pendant plus de deux décennies. En effet, l'ampleur de ce recul est limitée par le fait que :
De façon plus fondamentale, le tableau de la faillite croissante de l'économie capitaliste sous toutes ses formes, et particulièrement celles qui dominent dans les pays avancés, va constituer un facteur essentiel de mise à nu des mensonges sur le thème du "capitalisme victorieux du socialisme" qui sont au coeur de la campagne idéologique déchaînée par la bourgeoisie contre le prolétariat.
12) C'est un chemin difficile et encore long qui attend la classe ouvrière pour parvenir à son émancipation. Il est d'autant plus difficile que, désormais, et à l'opposé des années 1970, le temps ne travaille plus pour elle du fait de l'enfoncement irréversible et croissant de l'ensemble de la société dans la décomposition. Mais pour elle, la classe ouvrière a le fait que son combat représente la seule perspective de sortie de la barbarie, le seul espoir de survie de l'humanité. Avec l'aggravation inéluctable de la crise du capitalisme, avec les luttes qu'elle devra nécessairement développer, la porte lui reste entièrement ouverte à la prise de conscience de sa tâche historique. Le rôle des révolutionnaires est de participer pleinement aux combats présents de la classe afin de planter des jalons lui permettant de sortir la mieux armée possible de la situation difficile d'aujourd'hui et de mettre en avant avec assurance sa perspective révolutionnaire.
CCI, juin 1990.Plus la civilisation capitaliste dure, plus elle nous rapproche d'une catastrophe écologique aux proportions planétaires, une catastrophe qui ne peut être évitée sans la destruction du système capitaliste.
Les faits eux-mêmes sont bien connus et on peut les trouver dans un nombre croissant de publications spécialisées ou de vulgarisation scientifique, aussi ne les décrirons-nous pas en détail ici. Une simple liste suffit à montrer l'étendue et la profondeur du danger : le frelatage croissant de la nourriture par les différents additifs ou les maladies du bétail ; la contamination des réserves d'eau par l'utilisation incontrôlée de fertilisants et les décharges de déchets toxiques ; la pollution de l’air, en particulier dans les grandes villes, du fait des effets combinés des fumées industrielles et des gaz d'échappement des automobiles ; la menace de contamination radioactive à partir des réacteurs nucléaires et des décharges de produits irradiés éparpillés dans tous les pays industrialisés, y compris ceux de l'ex-bloc russe, menace qui est déjà devenue une réalité de cauchemar avec les désastres de Windscale, de Three Miles Island et surtout de Tchernobyl ; l'empoisonnement des rivières, des lacs et des mers utilisés, depuis des décennies, comme les dépotoirs du monde, ce qui aboutit maintenant à la rupture de la chaîne alimentaire et à la destruction d'organismes dont le rôle est important dans la régulation du climat mondial ; la destruction accélérée des forêts, en particulier les forêts tropicales, ce qui, outre des effets qui modifient aussi le climat de la planète, implique l'érosion des terres, qui entraîne à sont tour d'autres calamités, comme l'avancée du désert en Afrique et les raz-de-marée au Bengladesh.
Qui plus est, il apparaît maintenant que la quantité se change en qualité et que les effets de la pollution deviennent à la fois plus globaux et plus incalculables. Ils sont globaux au sens où chaque pays du monde est affecté ; non seulement les pays hautement industrialisés de l'Ouest, mais aussi les pays sous-développés du "tiers-monde" et les pays staliniens ou ex-staliniens, qui sont dans une telle banqueroute qu'ils ne peuvent même pas s'offrir les contrôles minimaux qui ont été introduits en Occident. Les anciens pays "socialistes" comme la Pologne, l'Allemagne de l'Est et la Roumanie sont peut-être les Etats les plus pollués du monde; virtuellement, chaque ville de l'Europe de l'Est a ses histoires d'horreur/à propos d'usines locales qui vomissent des toxiques mortels provoquant des cancers, des maladies respiratoires et autres, ou bien à propos de rivières qui s'enflamment dès qu'on y jette une allumette, etc. Mais des villes du "tiers-monde" comme Mexico ou Cubatao (au Brésil), ne sont sûrement pas loin derrière.
Mais il y a un autre sens, et plus terrifiant encore, au mot "global" dans ce contexte ; à savoir que le désastre écologique est maintenant une menace tangible pour l'écosystème de la planète lui-même. L'amincissement de la couche d'ozone, qui semble résulter principalement de l'émission de gaz CFC, en est une claire illustration, dans la mesure où la couche d'ozone protège toutes les formes de vie sur la terre des rayons ultraviolets mortels ; et il est impossible de dire, à ce stade, ce que seront les conséquences à long terme de ce processus. Il en va de même avec le problème de l'effet de serre, qui est maintenant reconnu comme une menace réelle par un nombre croissant d'experts scientifiques, le dernier en date étant la Commission Intergouvernementale sur les changements climatiques (CICC) de l'ONU. Cet organisme et d'autres n'ont pas seulement alerté sur les inondations massives, les sécheresses et les famines qui pourraient en résulter s'il n'y a pas une diminution significative du niveau actuel d'émission de gaz favorisant l'effet de serre, en particulier le gaz carbonique, ils ont aussi souligné le risque d'un processus "rétroactif-actif", dans lequel chaque aspect de pollution et de destruction de l'environnement agit sur les autres pour produire une spirale irréversible de désastres.
Il est évident aussi que la classe dont le système a provoqué cette pagaille est incapable d'y rien changer. Bien sûr, dans les dernières années presque toutes les lumières de la bourgeoisie se sont miraculeusement converties à la cause de la sauvegarde de l'environnement. Les supermarchés sont remplis de produits proclamant l'absence d'additifs artificiels ; les étiquettes des cosmétiques, des détergents, des couches pour bébés, rivalisent pour prouver à quel point ils respectent la couche d'ozone, l'air et les rivières. Et les dirigeants politiques, de Thatcher à Gorbatchev, parlent de plus en plus du fait que nous devons tous agir ensemble pour protéger notre planète en danger.
Comme d'habitude, l'hypocrisie de cette classe de gangsters ne connaît pas de limite. La préoccupation réelle qu'a la bourgeoisie de sauver la planète peut se mesurer en regardant ce qu'elle se prépare à faire. Par exemple, elle a mené un grand tapage à propos de la récente conférence sur l'ozone à Londres, où les principaux pays du monde, y compris les géants du "tiers-monde", l'Inde et la Chine, qui y étaient autrefois récalcitrants, se sont mis d'accord pour supprimer progressivement les CFC d'ici à l'an 2000. Mais cela signifie encore que 20 % de plus de la couche d'ozone pourrait être détruit durant la prochaine décennie ; pendant cette période, la diminution du volume d'ozone qui s'opérerait représenterait la moitié du volume total qui a été supprimé depuis que les CFC ont été inventés.
La situation est encore pire en ce qui concerne l'effet de serre. L'administration US a banni la phrase "réchauffement global" de ses communiqués officiels. Et les pays qui acceptent sur le papier les prévisions de la CICC se sont seulement engagés à stabiliser les émissions de gaz carbonique à leur niveau actuel, pas d'avantage. Et surtout, ils n'ont pas de stratégie sérieuse pour réduire la dépendance de leurs économies vis-à-vis du pétrole et des automobiles privées, qui sont les causes principales de l'effet de serre. Rien n'est fait pour arrêter la destruction des forêts, ravage qui, tout à la fois, ajoute à l'accumulation des gaz favorisant l'effet de serre et a réduit la capacité de la planète de les absorber : le Plan d'action de l'ONU pour la forêt tropicale est lui-même entièrement dominé par les entreprises forestières. En outre, la destruction de la forêt par les coupes, par le bétail, et par les intérêts industriels de même que par les paysans affamés, avides de terres cultivables et de bois de chauffage, cette destruction ne pourrait être arrêtée que si le "tiers monde" était tout à coup libéré de la masse écrasante de la dette et de la pauvreté. Quant aux plans pour construire des défenses contre les inondations ou pour prévoir les famines, les populations des régions les plus menacées, telles que le Bengladesh, peuvent espérer le même genre d'aide que celle accordée aux habitants des régions sujettes aux tremblements de terre, ou aux victimes de la sécheresse en Afrique.
Les réponses de la bourgeoisie à tous ces problèmes mettent en lumière le fait que la structure même de son système la rend incapable de régler les problèmes écologiques qu'elle a créés. Les problèmes écologiques globaux demandent une solution globale. Mais en dépit de toutes les conférences internationales, en dépit de tous les voeux pieux sur la coopération internationale, le capitalisme est irréductiblement fondé sur la compétition entre des économies nationales. Son incapacité à réaliser le moindre degré de coopération globale ne fait que s'exacerber aujourd'hui du fait que les vieilles structures de bloc s'effondrent et que le système s'enfonce dans la guerre de tous contre tous. L'approfondissement de la crise économique mondiale qui a mis le bloc russe à genoux va aggraver la compétition et les rivalités nationales; cela signifie que chaque entreprise, chaque pays, agira avec encore plus d'irresponsabilité dans la folle bousculade pour la survie économique. Même si de petites concessions sont faites aux considérations d'environnement, la tendance dominante sera de jeter par la fenêtre les contrôles de santé, de sécurité et de pollution. Cela a déjà été le cas dans la décennie passée, au cours de laquelle on a vu une nette augmentation du nombre de catastrophes dans l'industrie, les transports et autres secteurs, résultat des coupes claires dues à la crise économique. Dans la mesure où la guerre commerciale entre les nations s'exacerbe, les choses ne pourront qu'empirer rapidement.
Qui plus est, ce chacun pour soi va accroître le danger de conflits militaires localisés dans les régions où la classe ouvrière est trop faible pour y faire obstacle. Maintenant que ces conflits ne sont plus contenus par la discipline des anciens blocs impérialistes, le risque est très grand de voir se développer les horreurs de la guerre chimique ou même nucléaire à une échelle locale, avec le massacre de millions d'êtres humains et un empoisonnement encore pire de l'atmosphère de la planète. Qui peut croire que, prises dans une spirale montante de chaos et de confusion, les bourgeoisies du monde vont travailler harmonieusement ensemble pour s'occuper des menaces pesant sur l'environnement? Si les difficultés écologiques - la baisse des ressources en eau, les inondations, les conflits à propos des réfugiés, etc. - ont un effet, ce sera celui d'accroître encore les tensions impérialistes locales. La bourgeoisie le sait déjà. Comme le ministre des affaires étrangères d'Egypte, Boutros Ghali, l'a dit récemment : "La prochaine guerre dans notre région portera sur les eaux du Nil, pas sur des questions politiques."
Dans la phase actuelle de décomposition avancée, la classe dominante perd de plus en plus le contrôle de son système social. L'humanité ne peut plus se permettre de laisser le sort de la planète entre les mains des bourgeois. La "crise écologique" est une preuve de plus que le capitalisme doit être détruit avant qu'il n'entraîne l'ensemble du monde à l'abîme.
Mais si la bourgeoisie est incapable de réparer les dommages qu'elle a causés à la planète, elle n'hésite certainement pas à utiliser les thèmes écologiques pour alimenter ses campagnes de mystification dirigées contre la seule force dans la société en mesure d'apporter une solution au problème : le prolétariat mondial.
La question écologique est idéale de ce point de vue, c'est pourquoi la bourgeoisie ne cache guère la gravité du problème (et peut même donner libre cours à quelque exagération quand ça la sert). Sans arrêt, on nous dit que des problèmes comme le trou dans la couche d'ozone, le réchauffement du globe, "nous affectent tous", qu'ils ne font pas de "distinction" de couleur, de classe ou de pays. Et c'est vrai que la pollution, comme d'autres aspects de la décomposition de la société capitaliste, (drogue, crimes, etc.), affecte toutes les classes de la société (même si c'est généralement les plus exploitées et opprimées qui en souffrent le plus). Aussi, quelle meilleure base pourrait-il y avoir pour diluer le prolétariat, lui faire oublier ses propres intérêts de classe, le noyer dans une masse amorphe où il n'y aurait plus de distinction d'intérêts entre les ouvriers, les boutiquiers... ou la classe dominante elle-même ? Le bourrage de crâne relatif à l'environnement complète donc toutes les campagnes idéologiques au sujet de la démocratie et du "pouvoir au peuple" déchaînées après l'écroulement du bloc de l'Est.
Regardons comment ils déforment les solutions écologiques pour les adapter à leurs besoins. Ces problèmes si terrifiants, si urgents, ne sont-ils pas, disent-ils, sûrement plus importants que votre lutte égoïste pour des augmentations salariales ou contre les licenciements ? En effet, la plupart de ces problèmes ne sont-ils pas dus au fait que les ouvriers, dans les pays avancés "consomment trop" ? Ne devraient-ils pas se préparer à manger moins de viande, à utiliser moins d'énergie, à accepter aussi la fermeture de telle ou telle usine "pour le bien de la planète" ? Quelle meilleure excuse pourrait avancer la bourgeoisie pour les sacrifices demandés par la crise de l'économie capitaliste ?
Et on trouve donc ici tous les arguments soutenant le mythe des "réformes" ou du "changement réaliste". Quelque chose peut certainement être fait maintenant, disent-ils. Aussi, ne devrions-nous pas chercher à voir quel candidat aux élections offre la meilleure politique écologique ? Quel parti promet de faire le plus pour l'environnement ? Les préoccupations exprimées par Gorbatchev, Mitterrand ou Thatcher ne prouvent-elles pas que les politiciens peuvent effectivement répondre à la pression populaire ? Est-ce que les expériences sur la conservation de l'énergie, l'énergie solaire ou éolienne qui sont effectuées aujourd'hui par des gouvernements "éclairés" comme ceux de la Suède ou des Pays-Bas, ne démontrent pas que les changements sont juste une question de volonté et d'initiative de la part des politiciens, combinée avec la pression à la base des citoyens ? Le changement pour des produits respectant l'environnement n'atteste-t-il pas que les grosses compagnies peuvent être réellement touchées par "l'action des consommateurs" ?
Et si toutes ces approches "pleines d'espoir" et "positives" ne réussissent pas à convaincre, la bourgeoisie peut toujours profiter des sentiments d'impuissance et de désespoir qui ne peuvent qu'être renforcés quand le citoyen isolé met la tête à sa fenêtre et voit un monde entier en train d'être empoisonné. Si la bourgeoisie n'arrive pas à convaincre les exploités que ses mensonges sont la vérité, au moins, une classe ouvrière atomisée et démoralisée ne menace-t-elle pas la survie de son système.
Mais, au cours de la dernière décennie, une nouvelle force politique a fait son apparition sur la scène, un courant qui revendique avoir une approche radicale pour mettre la défense de l'environnement au-dessus de toutes autres considérations : les "verts". En Allemagne, ils sont devenus une force estimée dans la vie politique nationale. En Europe de l'Est, des groupes écologiques ont figuré fortement dans les oppositions démocratiques qui ont colmaté la brèche ouverte par l'effondrement des régimes staliniens. Des partis "verts" et des groupes de pression naissent dans les pays les plus industrialisés, et même dans le "tiers-monde".
Mais les "verts" sont aussi une partie du capitalisme pourrissant. Constat d'évidence quand on observe leur jeu en Allemagne de l'Ouest : ils sont devenus un parti parlementaire respectable, avec de nombreux sièges au Bundestag (organe confédéral) et différents postes de responsabilité dans les Lander (instances régionales). L'intégration déclarée des "verts" dans la normalité capitaliste a été symbolisée, il y a quelques années, par l'"extra-parlementaire", le rebelle anarchiste de 1968, Daniel Cohn-Bendit lui-même (rappelez-vous le slogan : "Elections, piège à cons") devenu mais oui, un député et qui a même exprimé son désir de devenir ministre. Au Bundestag, les "verts" s'engagent dans toutes les manoeuvres sordides typiques des partis bourgeois -tantôt agissant comme un "frein" pour garder le SPD dans l'opposition, tantôt formant une alliance avec les sociaux-démocrates contre la CDU au pouvoir. C'est vrai que les "verts" sont divisés en une aile "réaliste", qui se contente de se focaliser sur le terrain parlementaire et une aile "puriste", qui est pour des formes d'action plus radicales, extraparlementaires. Et beaucoup de l'attrait des partis "verts" et des groupes de pression tient de ce qu'ils profitent du dégoût des gens envers les gouvernements centralisés bureaucratiques et la corruption parlementaire. Comme solution de rechange, ils proposent des campagnes contre les cas locaux de pollution, des actions de protestation à l'éclat spectaculaire du type Greenpeace, des marches et des manifestations, tout en appelant à la décentralisation du pouvoir politique et à toutes sortes d'"initiatives de citoyens". Mais aucune de ces activités ne s'écarte d'un pouce des campagnes générales de la bourgeoisie. Au contraire, elles servent à garantir que ces campagnes prennent profondément racine dans le sol de la société.
Les "verts" radicaux sont champions de l’interclassisme, Ils s'adressent eux-mêmes à l'individu responsable", à la "communauté locale", à la bonne conscience de l'humanité en général. Les actions qu'ils entreprennent tentent de mobiliser tous les citoyens, sans considération de classe, dans la lutte contre la pollution. Et quand ils critiquent la bureaucratie et l'éloignement du gouvernement central, c'est seulement pour mettre en avant une vision de "démocratie locale" tout aussi bourgeoise dans son contenu.
Ils ne sont pas moins zélés dans leur soutien à l'illusion réformiste. Les actions qu'ils organisent ont invariablement pour but de rendre les compagnies industrielles, les gouvernements, plus responsables, plus propres, plus "verts". Juste un exemple : un tract des Amis de la Terre ("Eliminer la dette, pas les forêts équatoriales") expliquait que la dette du "tiers monde" conduisait à la destruction des forêts équatoriales. Quelle était donc la solution ? Les grandes banques occidentales, répondait ce groupe de pression, "devraient annuler toutes les dettes des pays les plus pauvres du monde, et réduire les dettes des autres pays les plus endettés d'au moins la moitié". Elles pouvaient maintenant s'offrir ce luxe". Et comment convaincrait-on les banques ? "Les banques ne bougeront pas, à moins que les consommateurs leur montrent fortement leur sentiment sur cette question. Tamponner vos chèques avec 'éliminer la dette, pas les forêts équatoriale et prendre le 'Gage de dette' sont deux moyens puissants pour leur montrer ce que vous en pensez. "
Les "verts" nous invitent donc à croire en l'efficacité du "pouvoir du consommateur", et en la possibilité d'appeler à de meilleurs sentiments les riches qui n'ont cure de condamner des millions de gens à la famine rien qu'en passant leur capital d'un pays à l'autre. C'est la même chose quand les "verts" peignent leur tableau d'un futur possible : un monde où de petites entreprises, bonnes écologiquement, ne se transforment jamais en géants capitalistes rapaces, une vision pacifiste de* l'entente entre les nations, bref, un capitalisme gentil, charitable, pacifique, impossible.
Mais il y a aussi des courants à l'intérieur et autour du mouvement "vert" qui se parent d'une radicalité plus poussée, qui critiquent le capitalisme et vont jusqu'à parler de révolution. Certains d'entre eux sont à ce point radicaux qu'ils proclament que le marxisme lui-même n'est rien de plus que l'autre face de la "mégamachine" capitaliste. Ils disent : regardez les régimes à l'Est, c'est le résultat logique du culte du marxisme pour le "progrès" technologique, l'industrie. Inspirés par des "penseurs" comme Baudrillard, ils se risquent même à expliquer dans un langage très recherché que le marxisme est simplement une autre idéologie "productiviste" (en cela, ils rejoignent les staliniens défroqués tel que Martin Jacques, qui, à une récente conférence du PC britannique en ruines, disait : "On ne peut ignorer le fait que la tradition marxiste est productionniste au fond : conquête de la nature, forces de production, engagement à la croissance économique." Des anarcho-primitivistes comme le journal Fifth Estate à Détroit appellent à rien de moins que l'éradication de la société technologique industrielle et à un retour au communisme primitif. Les "écologistes profonds" de Earth First vont même plus loin : pour leurs idéologues, le problème n'est pas simplement la société industrielle, ou la civilisation, mais l'homme lui-même...
La notion qu'une entité abstraite appelée "homme" est responsable de la pagaille écologique présente n'est pas restreinte à quelques idéologues "verts" ésotériques ; c'est en fait un poncif courant. Mais, de toute façon, cette idée ne peut mener qu'au désespoir, car si le problème vient des êtres humains, comment pourront-ils trouver une solution ? Ce n'est pas un hasard si quelques "écologistes profonds" ont accueilli le SIDA comme un facteur nécessaire pour élaguer le monde des hommes en trop...
La position des anarcho-primitivistes conduit aux mêmes sombres conclusions. Etre "contre la technologie" c'est aussi être contre le genre humain ; l'homme s'est créé lui-même à travers le travail, et "le travail commence avec la fabrication des outils" (Engels, "Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme", in "La dialectique de la nature"). La logique de la position anti technologique est d'essayer de revenir à un passé pré humain, quand la nature n'était pas dérangée par les bouleversements de l'activité humaine : "L'animal utilise seulement son environnement et y apporte des changements par sa simple présence ; l'homme par ses changements l'adapte à ses fins, le maîtrise. C'est la distinction finale, essentielle entre l'homme et les autres animaux. " (ibid.)
Mais même si les anti technologistes pouvaient se contenter d'un retour à une culture humaine à l'étape de la cueillette et de la chasse, le résultat serait identique puisque les conditions matérielles d'une telle société présupposent une population mondiale inférieure à quelques millions. Ces conditions ne pourraient être instaurées que par une "élimination sélective" massive des êtres humains, quelque chose que le capitalisme, dans son agonie, nous prépare dès à présent. Donc ces écologistes "radicaux", produits de la désintégration de la petite-bourgeoisie, classe qui n'a pas de futur historique et qui ne peut que se retourner sur un passé qu'elle idéalise, deviennent les théoriciens et apologistes d'une descente dans la barbarie qui est déjà bien en marche.
Contre ces idéologies nihilistes, le marxisme, exprimant le point de vue de la seule classe qui possède un futur aujourd'hui, insiste sur le fait que le cauchemar écologique actuel ne peut pas être expliqué en invoquant des catégories comme l'homme, la technologie ou l'industrie d'une façon totalement vague et a-historique. L'homme n'existe pas en dehors de l'histoire, et la technologie ne peut pas être séparée des relations sociales dans lesquelles elle s'est développée. L'interaction de l'homme et de la nature peut seulement être comprise dans son véritable contexte social et historique.
L'humanité existe sur la planète depuis environ trois millions d'années. Jusqu'à il y a très peu de temps, à cette échelle géologique, elle vécut au stade du communisme primitif, formant des sociétés qui vivaient de la chasse et de la cueillette et dans lesquelles régnait un équilibre relativement stable entre l'homme et la nature (fait reflété dans les mythes et les rituels des peuplades anciennes). La dissolution de cette communauté archaïque et le surgissement d'une société de classes, si elle représente un saut qualitatif dans l'aliénation de l'humanité, a déterminé aussi de nouvelles aliénations de l'homme à la nature. Les premiers cas de destruction écologique intensive coïncident avec les premières villes-Etats. Il ne fait pas de doute que le tout début du processus de déforestation, en même temps qu'il permettait à des civilisations telles que la Sumérienne, la Babylonienne, l'Egyptienne ou autres de développer ainsi une base agricole de large échelle, constituait également un élément qui, à terme, jouera un rôle considérable dans leur déclin et leur disparition.
Mais c'étaient des phénomènes locaux, limités. Avant le capitalisme, toutes les civilisations étaient basées sur une "économie naturelle" : la plus grande partie de la production était encore orientée vers la consommation immédiate des valeurs d'usage, même si, à la différence du communisme primitif, une large partie était accaparée par la classe dominante. Le capitalisme, par contre, est un système où toute la production est orientée vers le marché, en fonction de la reproduction élargie de la valeur d'échange ; c'est une formation sociale de loin plus dynamique que tout système antérieur, et cette dynamique l'a contraint à marcher inexorablement vers la création d'une économie mondiale. Mais le profond dynamisme et la globalité du capital ont fait que le problème de la destruction écologique a maintenant atteint un niveau planétaire. Parce que ce n'est pas le marxisme, mais le capitalisme, qui est "productionniste dans le fond". Aiguillonné par la compétition, par la rivalité anarchique des unités capitalistes luttant pour le contrôle des marchés, il obéit à une force interne pour s'étendre aux limites les plus lointaines possibles, et dans sa marche sans trêve vers son auto expansion, il ne peut pas s'arrêter pour prendre en considération la santé ou le bien-être de ses producteurs, ou les conséquences écologiques de ce qu'il produit et comment il le produit. Le secret de la destruction écologique, aujourd'hui, se trouve dans le secret profond de la production capitaliste : "Accumulez, accumulez ! C'est Moïse et les prophètes... L'accumulation pour l'intérêt de l’accumulation, la production pour l’intérêt de la production..." (Marx, Le Capital, Livre I, chap. 24, "La transformation de la plus-value en capital").
Le problème, donc, derrière la catastrophe écologique, n'est pas la "société industrielle" dans l'abstrait, comme tant d'écologistes le proclament : jusqu'ici, la seule société industrielle qui ait jamais existé est le capitalisme. Celui-ci inclut bien sûr les régimes staliniens, qui sont une véritable caricature de la subordination capitaliste de la consommation à l'accumulation. Ceux qui blâment le marxisme pour les ravages écologiques dans les pays de l'Est accordent simplement leur voix à la clameur sur la "faillite du communisme" que la bourgeoisie occidentale pousse depuis l'effondrement du bloc impérialiste de l'Est. Le problème ne réside pas dans telle ou telle forme du capitalisme, mais dans les mécanismes essentiels d'une société qui ne se développe pas en harmonie consciente avec les besoins de l'homme et avec ce que Marx appelait le "corps inorganique" de l'homme, la nature, mais une société qui se développe "pour se développer".
Toutefois, le problème écologique a également une histoire spécifique dans le capitalisme. Déjà, dans la période ascendante du capitalisme, Marx et Engels avaient, à de nombreuses occasions, dénoncé la façon dont la soif de profit de ce système empoisonnait les conditions de travail et d'existence de la classe ouvrière. Ils considéraient même que les grandes cités industrielles étaient dès cette époque devenues trop grandes pour fournir les bases de communautés humaines viables, et ils considéraient "l'abolition de la séparation entre les villes et la campagne" comme une composante à part entière du programme communiste (on imagine ce qu'ils auraient dit au sujet des mégalopoles de la fin du 20e siècle...).
Mais c'est essentiellement dans la période présente du capitalisme, époque qui depuis 1914, a été définie par les marxistes comme celle de la décadence de ce mode de production, que la destruction impitoyable de l'environnement par le capital prend une autre dimension et une autre qualité, tout en perdant la moindre justification historique. C'est l'époque dans laquelle toutes les nations capitalistes sont obligées de se concurrencer dans un marché mondial sursaturé ; une époque, par conséquent, d'économie de guerre permanente, avec une croissance disproportionnée de l'industrie lourde ; une époque caractérisée par l'irrationnel, le dédoublement inutile de complexes industriels dans chaque unité nationale, le pillage désespéré des ressources naturelles par chaque nation essayant de survivre dans un combat de rats sans merci pour le marché mondial. Les conséquences de tout ça pour l'environnement sont claires comme le cristal ; l'intensification des problèmes écologiques peut être mesurée selon les différentes phases de la décadence capitaliste. Le premier développement des émissions de dioxyde de carbone s'est effectué durant ce siècle avec un accroissement considérable depuis les années 1960. Les CFC ont été inventés au cours des années 1930 et ont été utilisés massivement seulement lors de ces dernières décennies. Le surgissement des "mégalopoles" est surtout un phénomène d'après la seconde guerre mondiale, de même que le développement des types d'agriculture qui n'ont pas été moins dommageables écologiquement que la plupart des types d'industrie. La destruction effrénée des forêts amazoniennes s'est opérée dans la même période, et particulièrement entre 1980 et 1990 : son taux a alors probablement doublé.
Ce que nous voyons aujourd'hui est la culmination de décennies d'activité militaire et économique anarchique, de gaspillage et d'exploitation irrationnelle de la part du capitalisme décadent ; l'accélération qualitative de la crise écologique au cours des années 1980 "coïncide" avec l'ouverture de la phase finale de la décadence capitaliste - la phase de décomposition. Par cela nous voulons dire qu'après vingt ans de crise économique profonde et toujours pire, pendant lesquelles aucune des forces sociales déterminantes de la société n'a été capable d'imposer sa propre perspective historique de guerre ou de révolution mondiale, tout l'ordre social commence à s'effriter, à descendre dans une spirale incontrôlée de chaos et de destruction (voir dans Revue Internationale, n° 62, "La décomposition, phase finale de la décadence capitaliste").
Le système capitaliste a depuis longtemps cessé de représenter un quelconque progrès pour l'humanité. Les conséquences écologiques désastreuses de sa "croissance" depuis 1945 sont une démonstration de plus que son développement a pris place sur une base malade, destructive, et constitue un camouflet pour tous les "experts" - dont malheureusement certains figurent dans le mouvement politique prolétarien - qui mettaient en avant ce développement afin de combattre la notion marxiste de la décadence du capitalisme.
Mais cela ne signifie pas que les marxistes -à la différence de la bourgeoisie aujourd'hui, et de tous ses parasites petits-bourgeois- abandonnent la notion de progrès ou font de quelconques concessions aux préjugés anti technologie des "verts" radicaux.
Le concept marxiste de progrès n'a jamais été le même que celui, unilatéral, de la bourgeoisie, la notion linéaire d'une ascension stable des ténèbres primitives et de la superstition à la clarté de la raison moderne et de la démocratie. Le concept marxiste est une vision dialectique qui reconnaît que le progrès historique s'est fait à travers le choc des contradictions, qu'il a entraîné des catastrophes et même des régressions, que l'avancée de la "civilisation" a aussi signifié raffinement de l'exploitation et l'aggravation de l'aliénation de l'homme par rapport à lui-même et du divorce de l'homme d'avec la nature. Mais il admet aussi que la capacité croissante de l'homme à transformer la nature à travers le développement de ses forces productives, à soumettre les processus inconscients de la nature à son propre contrôle conscient, fournit les seules bases pour dépasser cette aliénation et arriver à une forme plus élevée de la communauté que le communisme limité des temps primitifs, c'est-à-dire à un monde élargi, une communauté unifiée qui sera fondée non pas sur la pénurie et la submersion de l'individu dans le collectif, mais sur un niveau d'abondance sans précédant qui fournira "les conditions matérielles pour le développement total, universel des forces productives de l'individu" (Marx, Grundrisse). En créant les bases pour la communauté humaine totale, le capitalisme a représenté un pas immense pour dépasser les économies naturelles qui l'ont précédé.
Aujourd'hui, la notion de "contrôle" de la nature a été vilement déformée par l'expérience du capitalisme, qui a traité toute la nature simplement comme une autre marchandise, comme un sujet mort, comme quelque chose d'essentiellement externe à l'homme. A l'opposé de cette vision -mais aussi contre le culte passif de la nature qui prévaut parmi beaucoup de "verts" aujourd'hui-, Engels a défini la position communiste quand il écrivait :
En vérité, en dépit de toutes ses prétendues conquêtes, le capitalisme dévoile aujourd'hui que son contrôle sur la nature est le "contrôle" des apprentis sorciers, pas du sorcier lui-même. Il a jeté les bases pour une maîtrise réellement consciente de la nature, mais sa pratique profonde transforme toutes ses réussites en catastrophe. Comme disait Marx :
Si le communisme est la seule réponse à la crise écologique, la seule force capable de créer une société communiste, c'est la classe ouvrière.
Tout comme les autres aspects de la décomposition de la société capitaliste, la menace qui pèse sur l'environnement souligne le fait que, plus le prolétariat tarde à faire sa révolution, plus grand est le danger que la classe révolutionnaire soit minée et épuisée, que le cours vers la destruction et le chaos n'atteigne le point de non-retour qui rendrait la lutte pour la révolution et la construction d'une société nouvelle une tâche impossible. Dans la mesure où elle souligne l'urgence grandissante de la révolution communiste, la conscience de la profondeur des problèmes écologiques actuels jouera un rôle dans la transition entre les luttes prolétariennes défensives au niveau économique et un combat conscient et politique contre le capital dans son ensemble.
Mais il serait faux de croire qu'aujourd'hui, la question de l'écologie puisse en soi être un axe pour la mobilisation du prolétariat sur son propre terrain de classe. Bien que certains aspects limités du problème (par exemple, la santé, la sécurité dans le travail) puissent s'intégrer dans des revendications de classe véritables, la question en tant que telle ne permet pas au prolétariat de s'affirmer comme force sociale distincte. Au contraire, comme nous l'avons vu, elle fournit à la bourgeoisie un prétexte idéal pour ses campagnes interclassistes, et les ouvriers vont devoir résister activement aux tentatives de la bourgeoisie, et particulièrement de ses éléments "verts" et gauchistes, de se servir de la question pour les dévoyer de leur propre terrain de classe. Il reste donc vrai que c'est surtout en se battant contre les effets de la crise économique - contre les baisses de salaire, le chômage, l'appauvrissement à tous les niveaux - que les ouvriers vont pouvoir se constituer en force capable d'affronter l'ensemble de l'ordre bourgeois.
La classe ouvrière ne pourra prendre en charge la question écologique dans sa totalité qu'après avoir pris le pouvoir politique au niveau mondial. Il doit même être évident que cela constituera une des tâches les plus urgentes de la période de transition, intimement liée qu'elle est de toute façon avec d'autres problèmes pressants tels que la faim et la réorganisation de l'agriculture.
Nous ne pouvons pas, faute de place, entrer ici dans une discussion détaillée des mesures que devra prendre le prolétariat afin de redresser la situation désastreuse que nous lègue le capitalisme, et aller vers un rapport qualitativement nouveau entre l'homme et la nature. Ici, nous voulons seulement souligner un point : les problèmes auxquels sera confronté un prolétariat victorieux seront fondamentalement d'ordre non pas technique mais politique et social.
L'infrastructure technique et industrielle est profondément déformée par l'irrationalité du développement capitaliste dans l'époque présente, et il faudra certainement en démolir une bonne partie avant de pouvoir créer une base de production qui ne nuise pas à l'environnement naturel. Cependant, au niveau purement technique, de nombreuses alternatives ont déjà été développées, ou pourraient l'être si on y consacrait des ressources suffisantes. Il est dès maintenant possible, par exemple, dans les centrales électriques brûlant des hydrocarbures, d'éliminer la plupart des émissions de dioxyde de carbone et autres substances nuisibles, tout en réutilisant 100 % des déchets ou presque. De la même façon, il est déjà possible de développer d'autres sources d'énergie - solaire, éolienne, marine, etc.- qui sont à la fois renouvelables et non polluantes; des possibilités énormes existent également dans la fusion nucléaire, qui pourrait résoudre beaucoup des difficultés rencontrées avec la fission.
Le capitalisme a déjà développé ses capacités techniques au point de pouvoir résoudre le problème de la pollution. Mais le fait que la véritable question est de nature sociale est souligné par les nombreux cas où les intérêts capitalistes économiques ou militaires à court terme n'ont pas permis à la bourgeoisie de développer des technologies non polluantes. Nous savons par exemple qu'après la seconde guerre mondiale, les industries américaines du pétrole, du gaz, et de l'électricité ont monté toute une campagne pour étouffer l'énergie solaire; nous avons récemment appris que le gouvernement britannique a collaboré à l'élaboration d'un rapport dont les chiffres étaient falsifiés afin de démontrer que les centrales nucléaires coûteraient moins cher que les centrales maritimes ; l'industrie automobile, de même, a longtemps résisté au développement de moyens de transport moins polluants, etc.
Mais la question est plus profonde que la politique consciente de tel ou tel gouvernement ou industrie. Comme nous l'avons vu, le problème se trouve à la base même du mode de production capitaliste, et ne peut être résolu qu'en s'attaquant aux racines de ce mode de production.
Le capital détruit l'environnement sans s'en soucier, parce qu'il doit croître pour croître ; la seule réponse est donc de supprimer le principe même de l'accumulation capitaliste, de produire non pas pour le profit, mais pour satisfaire les besoins humains. Le capital ravage les ressources du monde parce qu'il est divisé en unités nationales concurrentes, parce qu'il est fondamentalement anarchique et produit en ne pensant pas au futur ; la seule solution consiste par conséquent dans l'abolition de l'Etat national, la mise en commun de toutes les ressources naturelles et humaines de la terre, et l'établissement de ce que Bordiga appelait "un plan de vie pour l'espèce humaine". Bref, le problème ne eut être résolu que par une classe ouvrière consciente du besoin de révolutionner les bases mêmes de la vie sociale, et qui détienne les instruments politiques pour assurer une telle transition à la société communiste.
Organisé à l'échelle mondiale, amenant dans son sillage toutes les masses opprimées du monde, le prolétariat international peut et doit mettre en oeuvre la création d'un univers où une abondance matérielle sans précédent ne compromettra pas l'équilibre de l'environnement naturel, ou plutôt, où l'une sera la condition de l'autre ; un monde où l'homme, enfin libéré de la domination du travail et de la pénurie, pourra commencer à jouir de la planète. C'est cela sûrement le monde que Marx a entrevu, à travers l'épais brouillard d'exploitation et de pollution dans lequel la civilisation capitaliste a plongé la terre, quand il prévoyait, dans les Manuscrits de 1844, une société qui exprimerait l’unité de l'être de l'homme avec la nature - la véritable résurrection de la nature -, la naturalisation de l'homme et l'humanisation de la nature enfin accomplies"
CDW.
La réponse que les organisations révolutionnaires apportent à ces questions relève de leur analyse globale de la situation internationale actuelle et des perspectives à long terme qu’elles envisagent pour le prolétariat dans le chemin qu’il aura encore à parcourir pour aller vers la révolution, des formes de lutte et d’organisation qu’il adoptera et de la fonction qu’elles attribuent au parti de classe. Dans la mesure où les émeutes tendent à gagner du terrain, à devenir chaque fois plus fréquentes, elles posent aux révolutionnaires la nécessité d’y intervenir directement, avec des orientations claires pour la classe ouvrière, ce qui souligne l’importance pratique et immédiate d’avoir une position claire à leur égard.
Devant la confusion des différents groupes du milieu politique prolétarien qui ont salué les émeutes de la faim comme des pas en avant de la lutte de classe du prolétariat, leur attribuant même une importance plus grande qu’aux grèves dans les usines, seul le CCI a souligné que ces actions contiennent le danger d’éloigner le prolétariat de son terrain de classe.
Plusieurs organisations du milieu politique prolétarien ont abordé dans leurs publications la question des émeutes de la faim[1] [27], mettant en relief que leur cause profonde est l’approfondissement de la crise du système capitaliste et l’augmentation de l’exploitation et de la misère qui en découle pour la classe ouvrière et les autres couches déshéritées. Elles ont démontré comment les “plans” et les “mesures économiques” que la classe capitaliste applique pour essayer d’éviter la ruine des pays sous-développés -c’est-à-dire, pour essayer de sauver leurs profits-, entraînent des attaques renouvelées et brutales aux conditions de vie de millions de personnes ; et que les révoltes de la faim, les pillages massifs de magasins, sont la réponse la plus élémentaire à une situation insupportable et désespérée. Nous-mêmes avons écrit, par exemple, que “Les émeutes sont tout d’abord la réponse des masses marginalisées aux attaques de plus en plus barbares du capitalisme mondial en crise. Elles font partie des secousses qui ébranlent de plus en plus fortement les fondements mêmes de la société capitaliste en décomposition” (Revue Internationale n° 57, p. 14, 2e trimestre 1989).
D’autres groupes y font référence en ces termes :
Le fait que l’on partage ce point de vue général sur les causes des émeutes de la faim indique l’existence d’une frontière de classe qui sépare les organisations politiques prolétariennes des organisations de la bourgeoisie. Car, bien que ces dernières ne puissent pas nier l’augmentation de la misère qui est à l’origine de ces actions, elles ne pourront jamais admettre que c’est le système capitaliste comme un tout qui en est la cause (et pas seulement la “mauvaise politique économique” de tel ou tel gouvernement, ou “les mesures du FMI contre les pays pauvres”), car cela remettrait en question leur propre existence.
Cependant, ce point de vue commun aux organisations du milieu politique prolétarien est en fait très général. Au-delà de celui-ci il existe de grandes divergences par rapport à l’analyse de la crise (sur ses racines: baisse tendancielle du taux de profit ou saturation des marchés, sur sa nature : cyclique ou permanente...), divergences qui ne cessent de s’approfondir. C’est ainsi que seul le CCI a relevé la signification du fait que la crise dure déjà depuis vingt ans sans trouver d’issue. Le cours aux affrontements de classe signifie que la bourgeoisie n’a pas réussi à assener au prolétariat une défaite historique telle qu’elle lui permette de l’entraîner vers une guerre mondiale ; cependant, le prolétariat n’a pas non plus été capable encore d’imposer son alternative historique : la révolution communiste. Ce blocage historique entre les classes a rendu possible que la crise continue de s’approfondir. Cependant tous les aspects de la société ne demeurent pas stables, mais sont entrés dans ce que nous avons appelé “la période de décomposition du capitalisme” (voir “La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste” Revue Interna4onale n° 62).
Pour le CCI il est clair que le capitalisme peut mener à la destruction de l’humanité, pas seulement par la guerre atomique entre les grandes puissances impérialistes (danger momentanément écarté à cause de l’effondrement dans le chaos du bloc de l’URSS), mais que cette destruction peut aussi provenir de la multiplication de plus en plus incontrôlable des expressions de ladite décomposition : famines, épidémies, drogues, catastrophes nucléaires... Les autres organisations révolutionnaires feraient mieux d’analyser sérieusement le contenu de toutes ces données, qui semblent à première vue sans rapport les unes avec les autres, et les tendances actuelles de la société capitaliste qui en découlent, plutôt que de taxer simplement le CCI de “catastrophiste”.
Pour ce qui concerne les pays sous-développés, nous disions que la crise capitaliste y impose une misère telle qu’elle est à l’origine des émeutes massives de la faim. Cependant, cette misère acquiert aussi un contenu différent en tant que produit de la décomposition du capitalisme.
Les pays sous-développés ont été moins résistants aux coups de la crise et, l’un après l’autre, ils se voient précipités dans la ruine la plus complète et irréversible. Dans la décennie des années 80, avec l’arrivée à échéance des délais de paiement des dettes contractées dans la décennie précédente, et devant l’impossibilité de les honorer, le flux de capitaux vers ces pays s’est tari, provoquant la récession mondiale de 1980-82, que seuls les pays les plus industrialisés ont pu surmonter.
Les pays sous-développés n’ont jamais pu s’en remettre. Dans les années 80, la croissance de leur production a été pratiquement égale à zéro. La faiblesse de leur industrie les rend incapables d’être concurrentiels sur le marché mondial et leurs marchés internes sont occupés par les produits en provenance de pays plus développés, ce qui les conduit à la faillite. La production de matières premières (minerais, agriculture, pétrole), leur principale source de revenus, s’est aussi écroulée, par suite de la chute des prix due à la saturation du marché mondial. Ils sont maintenant entrés dans une phase de décapitalisation et de désindustrialisation ; les champs cultivés sont laissés à l’abandon ou consacrés à la culture de produits destinés à la fabrication de drogues à la place de produits alimentaires ; on ferme les mines qui ne sont pas assez rentables ; des réserves de pétrole restent inexploitées parce que les capitaux sont investis dans la spéculation en bourse, placés dans les banques des pays riches ou bien partent dans le remboursement de l’intérêt des dettes.
Dans ces pays le capital et les bourgeoisies “locales” -avec l’appui des grandes puissances- tiennent grâce à une exploitation extrême de la classe ouvrière : les salaires réels ont été réduits de moitié au cours des dernières dix années, principalement par le biais de la formule infernale “inflation-plans de choc”, et rien n’arrête cette tendance à la baisse. En même temps, le chômage croissant a créé une situation sans précédent dans l’histoire, qui doit être sérieusement analysée.
Avec la stagnation et la chute de la production capitaliste, des millions d’ouvriers ont été expulsés des industries. S’y ajoutent les millions de jeunes qui arrivent à l’âge de travailler sans que le capitalisme soit capable de les intégrer à un travail productif ; autant de millions de paysans ruinés émigrent sans arrêt vers les villes. D’après les chiffres très partiels publiés par la bourgeoisie, 50 % de la population de ces pays est au chômage et le pourcentage atteint même 70 à 80 % dans certains endroits. S’il est vrai que l’expulsion de la paysannerie, l’existence d’une armée industrielle de réserve et le chômage massif sont tous des aspects inhérents au capitalisme en période de crise, l’ampleur qu’ils atteignent à l’époque actuelle leur confère un nouveau contenu et démontre la tendance du capitalisme à la décomposition, à la désagrégation complète.
Comment ces masses ont-elles pu survivre jusqu’à mainte nant ? Au moyen de ce qu’on appelle l’“économie immergée”. Cette “économie immergée” est constituée par un dense réseau de relations à la tête duquel se trouvent de puissants trafiquants capitalistes (trafiquants de n’importe quoi, depuis les drogues jusqu’aux appareils électroménagers) qui concurrencent avantageusement l’“économie officielle”, au point d’obtenir dans certains pays des profits équivalents ou même supérieurs à ceux de cette dernière. Cette “économie immergée” fournit des “emplois” à ces millions de personnes, essentiellement en tant que vendeurs à la sauvette dans les rues. Ces masses de “sous-employés”, chômeurs en réalité, constituent l’élément central des émeutes de la faim. Marginalisées par le capitalisme, elles sont proches du prolétariat du fait qu’elles ne possèdent que leur force de travail et qu’en ce sens elles constituent potentiellement une force anticapitaliste ; cependant, l’analyse ne peut pas les assimiler sans plus à l’ensemble de la classe ouvrière, comme l’ont fait les différents groupes du milieu révolutionnaire. Car le fait de se trouver exclus d’un processus de travail collectif est un obstacle qui empêche leur réflexion et leur lutte comme partie de la classe ouvrière. Il faut noter que tout au long des dernières vingt années, on n’a pas assisté à des mouvements de sans-travail, luttant et s’organisant comme tels. Cela traduit, en même temps que la perte des traditions de la classe ouvrière, produit de la contre-révolution entre les années 20 et la fin des années 60, l’influence croissante du “sauve qui peut” propre à l’idéologie capitaliste en décomposition. Mais en outre, comme nous le disions plus haut, à ces chômeurs viennent s’ajouter les paysans ruinés qui abandonnent les campagnes et qui conservent leur point de vue individuel de petit propriétaire, et les jeunes toujours plus nombreux qui n’ont jamais pu travailler. Même si ceux-ci restent en rapport avec la classe ouvrière, car beaucoup sont des fils d’ouvriers et habitent les mêmes quartiers, cette masse n’échappe pas à l’influence du lumpenprolétariat, car d’elle proviennent aussi les vendeurs de drogue, les criminels, les mouchards, les hommes de main...
Ainsi, la compréhension du fait que la cause des pillages est la crise capitaliste, et qu’ils constituent la seule réponse que peut donner une masse désespérément affamée, ne doit pas nous voiler les yeux sur le caractère dénué de perspective de classe de ces émeutes et sur le danger que la classe ouvrière soit diluée dans cette masse de marginalisés, si elle ne réussit pas à affirmer son terrain de classe.
Une nouvelle divergence s’ouvre entre le CCI et les autres groupes du milieu politique prolétarien avec la prise de position sur les émeutes de la faim. Pour eux :
“La nature prolétarienne de ces événements” réfute “ceux qui voient dans les émeutes de la faim et de la misère une sorte de déviation de la lutte de classe” (Le Prolétaire n° 403).
"On affirme -sans démontrer- que ce genre d’émeutes ne relève pas directement de la lutte des classes, on les présente comme un processus de décomposition sociale (et non également de lutte contre ce processus), comme une révolte sans profil de classe qui accentue la “lumpen-prolétarisation de la société” (Emancipacién Obrera - “Rapport sur l’explosion sociale en Argentine”).
“Dire, comme certains, que ces mouvements illustrent seulement l’état de décomposition de la société comme aspect générique de la décadence du capitalisme impérialiste, c’est du bavardage complètement inutile si ce n’est pour cacher son propre aveuglement politique et sa propre absence de méthode marxiste (...) Mais la signification principale et plus importante de ces luttes est qu’en leur sein s’exprime un fort mouvement matériel de larges couches de notre classe contre les effets de la crise capitaliste. Et c’est le mouvement matériel des classes que les marxistes considèrent comme condition indispensable à un développement du mouvement subjectif politique.” (“Prometeo” n° 13).
Pour ces groupes donc, contrairement au CCI, les pillages massifs de magasins ont un caractère prolétarien, ils sont partie intégrante de la lutte de classe du prolétariat. Nous devons revenir sur ce que nous entendons par “luttes de la classe ouvrière”.
Bien entendu, et c’est une lapalissade, la première condition de la lutte de classe du prolétariat est... que des prolétaires y participent. Et effectivement, nous ne nions pas que des ouvriers participent dans ces émeutes. Bien au contraire, nous n’avons pas cessé de souligner cette réalité, mais en signalant que cela constitue un danger pour la lutte de la classe. S’il est vrai que dans toute lutte de classe prolétarienne participent forcément des ouvriers, l’inverse n’est pas toujours vrai ; toute action à laquelle participent des ouvriers n’est pas forcément un mouvement de la classe. Par exemple : les mouvements nationalistes, ethniques, dans lesquels sont entraînées des masses d’ouvriers, qui peuvent aussi se trouver dans une situation désespérée, ont un caractère bourgeois.
Dans ces émeutes les ouvriers participent, effectivement, mais non pas regroupés comme classe, mais en tant qu’individus dispersés dans les masses affamées, désoeuvrées, dont nous parlions plus haut.
D’autres groupes, tels que le PCI/Le Prolétaire ou la CWO, ne font simplement pas de différence dans ce sens, et voient dans les révoltes uniquement le prolétariat en action. Il faut noter cependant que BC remarque une différence, puisqu’il nous demande : “Les masses misérables et marginalisées [d’autres endroits il parle de “semi-prolétaires”] sont-elles du côté du prolétariat ou du côté de la bourgeoisie ? (Cette question implique déjà que ces masses marginalisées ne sont pas exactement identiques au prolétariat). “Leur potentialité de lutte est-elle en faveur de la révolution prolétarienne ou de la conservation bourgeoise ?” Et il répond tout de suite à cette question, mais par la tangente : “C’est avec les masses pauvres et marginalisées que le prolétariat des pays périphériques pourra vaincre lors de son attaque décisive contre l’Etat capitaliste”.
Certainement. C’est avec les masses marginalisées que le prolétariat peut et doit mener son combat révolutionnaire. Mais il ne suffit pas de dire “avec les masses marginalisées”. La question est que le prolétariat doit guider ces masses, les attirer à sa lutte, s’efforcer de faire qu’elles adoptent son point de vue de classe et sa perspective historique ; et non pas le contraire, comme cela arrive dans les émeutes de la faim, où c’est le prolétariat qui se laisse entraîner derrière la réponse désespérée de ces masses marginalisées.
BC poursuit : “Mais surtout la lutte de ces masses est, tout compte fait, une révolte contre l’ordre capitaliste et non contre le prolétariat et ses revendications immédiates et historiques.” Que les émeutes sont “contre l’ordre capitaliste”, nous l’avons déjà dit aussi : “Réveillée brusquement de ses rêves par une explosion de violence sociale qu’elle n’avait jamais imaginée, la bourgeoisie a assisté au dramatique écroulement de sa “paix sociale” (Section du CCI au Venezuela, “Communiqué sur la révolte”).
Mais, ici encore, on doit faire attention aux termes. Car si la lutte de la classe ouvrière brise nécessairement l’ordre bourgeois, la réciprocité n’est pas vraie : toute déstabilisation de l’ordre bourgeois n’implique pas en soi une lutte prolétarienne anticapitaliste. “Emancipacion Obrera” exprime la même confusion que BC de manière encore plus crue, quand il fait référence au “triomphe récupérable” de la révolte en Argentine: “Et ce n’est pas n’importe quelle lutte qui a eu lieu, mais une lutte qui brisait non seulement l’encadrement syndical et politique-démocratique, mais aussi le cadre légal.” (“Communiqué sur l’explosion sociale en Argentine”)
On trouve ici dans E.O. des relents de gauchisme, pour qui l’“illégalité” est synonyme de révolutionnaire. Les actions terroristes, les attaques de lumpenprolétaires troublent aussi l’ordre et sont aussi “illégales”, et pourtant on ne les considère pas comme faisant partie de la lutte prolétarienne. Est-ce que nous voulons dire par là que les émeutes sont le fait de lumpenprolétaires, ou de terroristes ? Non. Mais il faut voir que ces deux excroissances sociales -tant les lumpenprolétaires que les “guérilleros”- se trouvent dans ces émeutes comme des poissons dans l’eau, dans leur élément (“expropriations”, “exécutions”, actions violentes sans lendemain...), et c’est pour cela qu’ils les encouragent avec tant d’ardeur -ce sur quoi nous devons également mettre en garde le prolétariat.
Ce que nous voulons dire est que, s’il est vrai que la lutte ouvrière brise nécessairement la légalité bourgeoise -puisque toute grève de résistance s’affronte à l’appareil juridico-politique du capital et doit le surmonter pour réussir à s’étendre-, par contre, toute action “illégale” n’est pas en soi une lutte de la classe ouvrière.
Mais alors, si la participation d’ouvriers et le fait de briser l’ordre bourgeois ne sont pas des facteurs suffisants, qu’est- ce qui caractérise une action qui fait partie de la lutte de la classe ouvrière ? Les revendications immédiates et les objectifs historiques qui leur sont indissociables. C’est-à-dire, l’orientation, la perspective de ces luttes. Ce que nous appelons toujours : “le terrain de classe”.
A ce sujet, voyons la position des différents groupes. A notre connaissance, seul E.O. est arrivé à affirmer que les émeutes de la faim obtiennent la satisfaction de revendications immédiates, ce qui serait -avec la rupture de la légalité-, le deuxième volet du “triomphe récupérable” de la révolte en Argentine.
“Pour commencer, face à une situation concrète de faim et de très bas salaires, le mouvement de lutte [c’est-à-dire la révolte] a impliqué une amélioration réelle du “salaire” des participants [sic]. En outre, il leur a démontré à eux-mêmes qu’on peut faire des choses, [?] qu’on peut lutter et que cette lutte porte des fruits.” (p. 12).
Cette affirmation à la légère qui tend à identifier la lutte pour les salaires avec les pillages, est tout simplement démentie dans le même document d’E.O., quand il rapporte comment, pendant la répression sauvage de la révolte, les forces de police ont perquisitionné les maisons des quartiers pauvres en confisquant tout sur leur passage. Mais pour la classe ouvrière, le plus grand danger est précisément qu’elle abandonne ses mouvements de grèves et ses manifestations de rue sur son terrain de classe, pour ses propres revendications et dans la perspective révolutionnaire, et qu’elle commence à penser que les pillages sont la seule solution à la misère de sa situation. Et les affirmations d’E.O. poussent dans ce sens quand elle dit que la révolte “porte des fruits”. D’autres groupes n’ont pas affirmé cela, mais autant BC que le PCI ont salué le document d’E.O. sans critiquer cette position, soucieux surtout d’utiliser ce document pour s’en prendre au CCI.
Quant à la perspective que contiennent les émeutes, voyons ce qu’en disent certains groupes.
Cette dernière et franche affirmation d’E.O., sur l’absence de perspective révolutionnaire, n’a été démentie par personne dans le milieu politique prolétarien. Les groupes se contentent d’esquiver le problème. Posons-nous alors la question : si ces révoltes font partie de la lutte de classe du prolétariat, pourquoi faudrait-il que les révolutionnaires se battent pour faire que ces luttes “deviennent autre chose” (CWO), ou pour qu’il s’y “substitue une lutte plus organisée” (PCI), au lieu de, par exemple, lutter pour que ces émeutes s’organisent, s’étendent et s’élèvent à un niveau supérieur ?
La réponse semble évidente : parce que, suivant leur propre dynamique, la poursuite de ces émeutes de la faim ne peut conduire qu’à une impasse sans issue. En tant que réaction désespérée, désorganisée, incapable d’affronter sérieusement la répression, elles ne peuvent conduire qu’à l’écrasement des masses aux mains des forces de répression, et à une situation encore pire que celle qui les a engendrées, dans tous les domaines : matériel, organisationnel, conscience.
C’est justement cela que nous avons souligné. C’est pour cela que nous avons mis en garde la classe ouvrière contre toute tendance à se laisser entraîner dans ces émeutes, l’appelant à se maintenir sur son propre terrain de lutte, au lieu de l’inviter -explicitement ou implicitement- de façon irresponsable, à se plonger dans ce type d’actions, à coups de saluts aux “luttes de la classe ouvrière”.
BC se hasarde cependant à affirmer que ces émeutes de la faim possèdent une perspective :
BC ne reconnaît pas la continuité qui lie les grèves ouvrières des dernières années dans un même mouvement. Dans une autre partie du document cité, il ne voit, dans les grèves en Europe, que des “épisodes” sans conséquences, “les luttes ordinaires de toujours qui ne troublent en rien la paix sociale”. Les vagues de grèves au niveau international de ces dernières vingt années, ne sont, pour BC, que pure imagination du CCI. Mais il n’y a ici rien de nouveau chez ce groupe, qui nous a habitués à ne pas voir de luttes ouvrières là où il y en a, et à les voir là où il n’y en a pas.
Ce qui est nouveau c’est que BC, en partant de l’idée que les émeutes de la faim sont “qualitativement différentes” des grèves ouvrières, considère les premières comme les plus fortes et les plus importantes, et cela non pas à cause des “fruits” immédiats auxquels pense E.O., mais à cause des grandes perspectives qu’elles ouvrent. Car, d’après BC, les pillages de magasins :
En résumé, d’après BC, les pillages de magasins font plier le capitalisme mondial. A cette affirmation, pour le moins légère, nous pouvons répondre tout simplement qu’aucune de ces émeutes n’a “limité” ni “créé des obstacles” à l’application des plans du capital à moins de croire naïvement aux larmes de crocodiles des banquiers et des gouvernements. La seule chose qui change c’est la plus grande brutalité avec laquelle ces plans sont appliqués. Et tout le reste des spéculations de BC perd son sens. Il est vrai que l’économie des pays centraux s’oriente vers la récession ouverte, mais ceci n’est pas dû aux émeutes qui auraient empêché la “gestion de la crise”. Au contraire, c’est parce que la “gestion de la crise” a déjà donné tout ce qu’elle pouvait donner, parce que tous les plans ont déjà été appliqués, que la récession ouverte vient frapper de nouveau le capitalisme des pays centraux.
BC parle aussi d’“intenses émeutes avec des affrontements de rue”, donnant l’impression qu’il s’agit de combats entres forces comparables. A ce propos, nous préférons laisser la parole à la CWO qui, avec BC, fait partie du BIPR, mais qui a cependant une opinion très différente au sujet de ces “affrontements de rue” :
Ce qui est vrai, c’est que ce n’est pas seulement dans sa phase de “résistance”, mais dès son départ, que la révolte “n’est pas une expression du mouvement prolétarien”.
Où en est-on après tout cela? Qu’en est-il des émeutes de la faim ? En fait, il s’agit d’actions désespérées dans lesquelles les ouvriers, dans la mesure où ils y participent, n’agissent pas comme classe ; des actions qui n’ont comme résultat immédiat que la répression féroce du capital et qui ne contiennent aucune perspective révolutionnaire. Il s’agit d’actions qui devraient “devenir autre chose”
Cependant, les groupes du milieu politique prolétarien que nous avons mentionnés peuvent continuer à saluer ces révoltes de la faim comme des “luttes de la classe ouvrière”, car, pour eux, le manque de perspectives de classe de ces actions a une explication : elles ne sont pas dirigées par le parti.
Ainsi, suivant la voie “bordiguiste” qui fait du parti le démiurge du mouvement révolutionnaire, ces groupes croient avoir résolu tout questionnement sur la nature des émeutes. Mais cette position, qui se veut très ferme, cache, en réalité, leur incapacité à offrir actuellement au prolétariat une orientation face aux émeutes
Rappelons ici que le CCI considère que le parti est un organe indispensable pour le prolétariat dont il oriente le combat révolutionnaire. Mais ce dont il s’agit ici ce n’est pas de savoir ce qu’il adviendra de ces émeutes lorsque le parti existera, mais de l’attitude que doivent avoir les révolutionnaires aujourd’hui, lorsque les conditions existantes engendrent la multiplication de ces révoltes.
Si les émeutes de la faim constituent des luttes prolétariennes d’une importance égale ou même supérieure à celle des mouvements de grèves “ordinaires”, alors ces groupes révolutionnaires devraient agir en conséquence.
Par exemple, face aux grèves, les révolutionnaires tirent des leçons des expériences et les font connaître à l’ensemble de la classe, afin que les prochaines grèves soient plus fortes, affrontent en de meilleures conditions l’appareil étatique. Face à une grève qui éclate, les révolutionnaires bandent leurs forces, interviennent activement en son sein, appellent à son extension, demandent à d’autres secteurs de se joindre au combat, dénoncent les manoeuvres des syndicats et des autres ennemis, ils font des propositions de marche et d’organisation, ils réalisent, enfin, tout un travail d’agitation et de propagande en vue de l’extension de la conscience révolutionnaire parmi les travailleurs...
Quelle devrait donc être l’attitude des révolutionnaires face à cette autre forme de la “lutte de classe” que seraient ces émeutes ? Faut il encourager celles-ci ? Faut-il y participer ? Faut-il appeler les ouvriers à participer aux pillages ? Faut-il faire de la propagande expliquant que ces révoltes permettent d’arracher des “fruits” et qu’elles déstabilisent le système capitaliste ?
Ce que nous disons semble faire rire certains. Mais il n’y a pas de quoi. Tous ces groupes ne font que tourner autour d’un très grave problème : ils appellent “lutte de classe” des actions dans lesquelles ils ne sont pas prêts à s’engager eux mêmes. Tout ce qu’ils parviennent à dire c’est des formules du genre :
Telle est l’attitude de ces groupes face aux émeutes de la faim :
L’attitude de ces groupes peut être synthétisée en deux phrases :
[1] [28] Dans cet article nous ferons référence aux organisations suivantes :
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/rinte62/guerre.htm#_ftn1
[2] https://fr.internationalism.org/rinte62/guerre.htm#_ftn2
[3] https://fr.internationalism.org/rinte62/guerre.htm#_ftn3
[4] https://fr.internationalism.org/rinte62/guerre.htm#_ftn4
[5] https://fr.internationalism.org/rinte62/guerre.htm#_ftn5
[6] https://fr.internationalism.org/rinte62/guerre.htm#_ftn6
[7] https://fr.internationalism.org/rinte62/guerre.htm#_ftn7
[8] https://fr.internationalism.org/rinte62/guerre.htm#_ftn8
[9] https://fr.internationalism.org/rinte62/guerre.htm#_ftnref1
[10] https://fr.internationalism.org/rinte62/guerre.htm#_ftnref2
[11] https://fr.internationalism.org/rinte62/guerre.htm#_ftnref3
[12] https://fr.internationalism.org/rinte62/guerre.htm#_ftnref4
[13] https://fr.internationalism.org/rinte62/guerre.htm#_ftnref5
[14] https://fr.internationalism.org/rinte62/guerre.htm#_ftnref6
[15] https://fr.internationalism.org/rinte62/guerre.htm#_ftnref7
[16] https://fr.internationalism.org/rinte62/guerre.htm#_ftnref8
[17] https://fr.internationalism.org/tag/5/59/irak
[18] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/decomposition
[19] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/guerre
[20] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/guerre-irak
[21] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/crise-economique
[22] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/resolutions-congres
[23] https://fr.internationalism.org/tag/5/56/moyen-orient
[24] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/stalinisme-bloc-lest
[25] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/decadence
[26] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/leconomie
[27] https://fr.internationalism.org/French/Rint63/emeutes_faim#_ftn1
[28] https://fr.internationalism.org/French/Rint63/emeutes_faim#_ftnref1
[29] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/situation-sociale-france
[30] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/banlieues
[31] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/tci-bipr
[32] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/battaglia-comunista
[33] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/communist-workers-organisation