Internationalisme no 349 - 1er trimestre 2011

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Le problème n’est pas la crise de gouvernement, mais la crise du système capitaliste

Dimanche 23 janvier, plus de trente mille citoyens, défilent dans les rues de Bruxelles sous le slogan « shame ! » pour exprimer leur exaspération face au blocage politique en Belgique et pour réclamer un gouvernement. Quelle signification donner à cette marche lancée à l’appel de cinq étudiants, ainsi qu’à d’autres actions comme celle du jeudi 17 février qui se sont répandues comme un feu de paille? Elles expriment d’abord un ras-le-bol au sein de la population et surtout parmi les jeunes. Ras-le-bol de toutes ces querelles mesquines entre les différents partis politiques qui font la Une des journaux, alors que la situation de crise économique se fait de plus en plus pressante et interpelle plus d’un sur l’avenir! Mais elles en appelaient aussi à la prise de responsabilité des forces politiques démocratiques, dix mois après le verdict électoral : «Je suis sidéré de constater qu’après tout ce temps, ce pays n’a toujours pas de gouvernement alors que les problèmes s’amoncellent: 365.000 belges en défaut de paiement, ce n’est pas une raison majeure de trouver rapidement un compromis, ça?», «Qu’y a-t-il de superficiel à demander qu’un gouvernement assure rapidement la qualité de vie de tous les belges et le futur socio-économique de tous les jeunes?» (déclarations des jeunes organisateurs, Le soir, 24.01.2011). Au-delà de l’inquiétude et de l’exaspération, deux idées maîtresses ressortent des déclarations des initiateurs du mouvement: la première, c’est qu’il faut que le pays soit gouverné pour faire face à la crise; la seconde, c’est la nécessité de solidarité pour mettre en œuvre une politique au service de l’ensemble de la population du pays!
L’Etat Belge est-il réellement paralysé sans nouveau gouvernement et n’est-il plus capable de prendre des décisions? Qu’on ne s’y méprenne pas! Certes, la bourgeoisie belge est divisée en diverses fractions nationales et régionales qui s’entre-déchirent comme une bande de loups enragés pour s’accaparer les plus beaux morceaux. Mais lorsque leurs intérêts vitaux sont menacés, celles-ci, repoussant ces conflits au second plan, s’unissent  afin de défendre leurs intérêts communs: leur part de marché menacée par la pression de la crise et l’austérité à imposer pour maintenir le caractère concurrentiel de leur économie. Comme  aujourd’hui, quand les instances internationales mettent sous pression la crédibilité économique et politique de l’Etat Belge, aussi bien le Fonds monétaire international que l’agence de notation Standards and Poors, au même titre qu’ils l’ont fait pour la Grèce et l’Espagne: «Si la Belgique échoue à former bientôt un gouvernement, une dégradation (de sa note de solvabilité financière) pourrait intervenir, potentiellement dans les six mois». (S1P, Le soir, 14.12.2010). Alors, face au péril, quels que soient les blocages institutionnels et les querelles communautaires, la bourgeoisie, tous partis confondus, a montré qu’elle peut parfaitement décider de se passer d’un gouvernement constitué dans les formes. Elle n’a pas hésité à mandater le gouvernement démissionnaire, en théorie limité constitutionnellement à gérer les «affaires courantes», à prendre les mesures qui s’imposent pour garantir la position concurrentielle du capital Belge: «Reste que – et là tous les constitutionnalistes sont unanimes – si le gouvernement (d’affaires courantes) argue que les mesures budgétaires, voire le budget dans son ensemble, répondent à une urgence ou sont la réponse à une menace pour le pays, il ne se trouvera personne pour le contester» (Le Soir, 2.02.11). Et en surplus, elle arrive à exploiter machiavéliquement ses propres divisions régionales, ses chamailleries sous-nationalistes pour mobiliser la population dans un appel à être gouverné, à ce que des mesures soient prises.
Et sur ce plan, qu’en est-il de cette solidarité pour mettre en œuvre une politique au service de l’ensemble de la population du pays: «nous avons prouvé aujourd’hui que cinq jeunes citoyens ont réussi là où les politiciens ont échoué: se rassembler! se rassembler sans tenir compte des barrières politiques, culturelles et sociales qui sont censées nous différencier. Se rassembler dans la solidarité, la confiance et le respect».(déclarations de jeunes, Le soir, 24.01.2011). Se rassembler certes, mais pour quoi faire, pour mener quelle politique? Pour le gouvernement et les partis «démocratiques», les objectifs de cette solidarité sont bien résumés dans le mandat que le roi a donné au gouvernement «d’affaires courantes» de Leterme: «que le gouvernement en affaires courantes prépare le budget 2011 «avec comme objectif que le solde de ce budget soit meilleur que celui convenu avec les autorités européennes» ». (Le soir 2.02.2011). Et dans un élan unanime, tous ces partis qui se disputent et s’invectivent sur les questions communautaires et linguis-tiques n’hésitent pas à s’inscrire dans ce «pacte de solidarité» pour défendre le capital national: tracer au plus vite le budget 2011, dégager 20 à 22 milliards d’euros pour ramener le déficit public à zéro d’ici 2015, contre 6 % du PIB l’année dernière, empêcher la dette de repasser l’an prochain au-dessus du seuil psychologique de 100 % du PIB, imposer l’accord interprofessionnel négocié par les «partenaires sociaux» (syndicats et patronat), afin d’imposer l’austérité sur le dos des travailleurs et de sauvegarder la position concurrentielle du capital Belge sur les marchés internationaux. Même le nationaliste Flamand radical De Wever tend la main au premier ministre démissionnaire Leterme: «Nous sommes prêts, au Parlement, à collaborer de manière constructive à l’élaboration du budget 2011 afin de lancer un message rassurant aux marchés internationaux.» (Le Soir, 24.01.2011). Et précisément, ces mesures apparaissent comme d’autant plus légitimes qu’elles ne portent pas la couleur d’un parti et apparaissent plus que jamais comme «l’émanation de l’intérêt collectif». Se ranger derrière une telle «solidarité», la solidarité pour la défense du capital national et de l’Etat démocratique, c’est accepter de se soumettre à ses exploiteurs, c’est accepter une fois de plus que les exploités soient les dindons de la farce et acceptent de payer pour un capitalisme en déliquescence.
Non, le problème, ce n’est pas que le gouvernement belge soit en crise! C’est que le système capitaliste plonge dans une crise économique mondiale effroyable. Et tout comme les gouvernements de tous les pays, l’ensemble des partis belges, unitaires ou régionalistes appellent les travailleurs à être «solidaires», c’est-à-dire à se serrer la ceinture, à accepter des sacrifices pour garantir le niveau concurrentiel du capital national. Et ils le font avec beaucoup de machiavélisme, exploitant le battage communautaire, nationaliste, (sous)-nationaliste, les chamailleries entre partis pour diviser les ouvriers, dévier leur attention, obstruer la conscience qu’ils font partie de la classe qu’on exploite au niveau international, afin de sauver un système en crise mortelle. Comme seule classe n’ayant aucun intérêt à défendre ce système en perdition, elle seule peut le renverser en se mettant en lutte internationalement pour instituer un système au service des besoins humains. « se rassembler sans tenir compte des barrières politiques, culturelles et sociales qui sont censées nous différencier. Se rassembler dans la solidarité, la confiance et le respect» Oui! Mais pas derrière les bannières nationales ou derrière la défense de la démocratie bourgeoise car la classe ouvrière n’a pas de patrie à défendre, ni d’intérêts en commun avec ses exploiteurs!


H & J /13.02.2011