Réflexions sur les récentes luttes étudiantes en Grande-Bretagne

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En novembre et décembre 2010, des manifestations contre certains aspects des coupes dans l'éducation ont montré que l'application de mesures d'austérité se trouve confrontée à une certaine résistance en Grande-Bretagne. Nous publions ici des extraits d'un rapport interne de World Revolution, section du CCI en Grande-Bretagne, adaptés à notre presse publique. C'est une contribution à la large discussion que les événements récents ont provoqué. Nous avons l'intention de publier un texte distinct sur l'intervention du CCI dans le mouvement dans un proche avenir.

"Nous voulons un avenir"

Ce slogan a été scandé à l'une des nombreuses manifestations qui ont eu lieu spontanément à travers la Grande-Bretagne, le 24 novembre. Des dizaines de milliers de collégiens, de lycéens (16-18 ans) et d'étudiants en formation continue sont descendus dans la rue pour protester contre les projets du gouvernement de coalition de supprimer « l'Education Maintenance Allowance », un paiement hebdomadaires d'un maximum de 30 £ pour les étudiants les plus pauvres, d'augmenter les frais universitaires de 3000 £ par an à un maximum de 9000 £, de réduire le financement de l'enseignement universitaire de 100 % pour les sciences humaines et jusqu'à 95 % pour le reste. Une partie importante de la jeune génération pense qu'on lui a volé son avenir, et n'est pas disposée à accepter ces mesures passivement.
Cette génération, face à l'aggravation de la crise, est profondément consciente de la nécessité d'acquérir une qualification universitaire ou professionnelle. Ces jeunes sont aussi pleinement conscients de l'alternative, soit devenir l'un des 1 000 000 de moins de 18 ans sans formation, sans allocation ni emploi, que le système abandonne littéralement sans rien (« vous ne pouvez prétendre à aucune prestation tant que vous n'avez pas 18 ans »), soit avoir un travail faiblement rémunéré, sans qualification. On leur a profondément enfoncé cela dans le crâne dès leur plus jeune âge, et tout à coup on leur dit qu'ils n'obtiendront aucune aide au collège et que, s’ils arrivent à l'université, ils seront confrontés à jusqu'à 50.000 £ de dettes, qu'ils auront à rembourser pendant des décennies.

L'attaque sur l'EMA est particulièrement importante pour ce mouvement parce que c'est un élément essentiel du salaire social pour de nombreuses familles ouvrières. Elle sert à payer les déplacements au collège, les livres, le papier et la nourriture, tout au moins en partie. Compte tenu du coût élevé des transports dans les grandes villes et les zones rurales, sa perte aura pour conséquence de restreindre l'accès à l'enseignement supérieur aux étudiants les plus pauvres. Les plus jeunes ont vu cela comme une attaque non seulement contre eux, mais aussi contre leur famille et, dans de nombreux cas, contre toute la classe ouvrière. C'est cette attaque qui a fait que le mouvement s'est tellement étendu dans les villes et villages à travers toute l'Angleterre. Les lycéens les plus âgés et les étudiants en formation continue ont pris possession de la rue là où il n'y a pas d'université. Ces jeunes prolétaires ont été à l'avant-garde de ce mouvement.

 L'onde de tempête du mécontentement croissant des travailleurs balaie la Grande-Bretagne

Il y a seulement quelques semaines, les médias britanniques se moquaient de la lutte sociale en France, comme étant typique de ces latins au 'sang chaud' qui descendent dans la rue à tout moment. Dans le même temps, ils louaient le 'sens commun', le pragmatisme et la passivité de la classe ouvrière en Grande-Bretagne.

The Independant, 21 octobre 2010

 

Le 10 Novembre, la vague de protestations des étudiants qui balaie le monde depuis 2006, à travers la France, la Grèce, l'Allemagne, les États-Unis, Puerto Rico et l'Italie, s'est abattue sur les rivages des îles britanniques dans une onde de tempête de combativité parmi les enfants de la classe ouvrière. Le siège spontané du quartier général du Parti Tory, lors de la première manifestation des étudiants contre les attaques sur l'enseignement supérieur, a mis le feu à la poudrière de mécontentement qui couve depuis des années. Encouragé par l'exemple pratique des étudiants refusant d'être parqués dans une vaine manifestation allant des points A à B et, au contraire, prenant les choses en main dans les environs du QG du Parti Tory et, complètement indifférent à la réaction furieuse de la classe dirigeante et de ses médias, le mouvement a connu quatre semaines de manifestations, d'occupations d'écoles, de collèges et d'universités et une défiance de plus en plus ouverte des forces répressives de l'État.

Une marée de combativité ouvrière a traversé le pays, au cours de laquelle les lycéens et les étudiants ont montré leur capacité d'auto-organisation. Dans certains établissements, les élèves ont organisé des réunions pour discuter des attaques : il y a eu des exemples de plusieurs établissements qui ont coordonné leurs actions et des discussions à travers les villes, des manifestations ont été appelées via Facebook, des occupations d'universités ont ouvert leurs discussions à quiconque voulait se joindre à elles, elles ont diffusé leurs discussions par Internet et créé des forums où les gens pouvaient envoyer des messages de solidarité ou entrer en discussion avec elles. A Londres, certains étudiants sont allés à la rencontre des piquets de grève du métro (lesquels, en retour, ont manifesté leur solidarité lors la dernière manifestation à Londres), cependant que les occupants du University College London ont réussi à effectuer le paiement d'un 'salaire minimum' au personnel de nettoyage de l'université , ce qui était une de leurs revendications.

Ces expressions d'auto-organisation n'ont pas été aussi étendues et aussi claires que lors du mouvement anti-CPE en France en 2006 mais elles ont certainement exprimé la même dynamique vers la mobilisation massive d'une génération de jeunes travailleurs pour se défendre.

La question sociale est bien vivante

En l'espace d'un mois, cette explosion de combativité s'est exprimée à travers le siège du QG du Parti Tory. Près de 30 000 lycéens, étudiants et autres manifestants ont ouvertement défié la répression de l'État, à Londres, le 9 décembre. A cette occasion, les manifestants ont réussi à déjouer la présence policière massive pour envahir Parliament Square, dont l'accès était bloqué par des barrières (il est illégal de manifester devant la maison de la démocratie, sans autorisation de la police) afin d'épargner aux députés d'entendre la colère de leurs victimes, alors qu'ils étaient en train de voter ces attaques. Les députés ont entendu plus que leur voix : ils ont aussi entendu les hélicoptères de la police, leurs fourgonnettes, les charges de la police montée, les charges au bâton d'assaut, et la résistance des manifestants que la police a contenue et battue pendant des heures pour avoir eu l'audace de se dresser pour défendre leurs propres intérêts.

La fureur de la classe dirigeante face à ce refus d'être maté par la répression s'est exprimée dans ses médias. Les reportages TV en direct et les bulletins de nouvelles n'avaient aucune prétention à l'objectivité par rapport au fait que ces porte-parole de la classe dirigeante attaquaient les étudiants, les lycéens, leurs parents et d'autres manifestants qui cherchaient à se défendre contre une force de police qui, d'après certains rapports, devait faire en sorte que les participants soient terrorisés au point de ne plus vouloir jamais manifester. Les principaux médias avaient essayé de cacher l'usage des charges à cheval de la police pendant la manifestation du 24 novembre ; et le 9 décembre, seulement deux semaines plus tard, ils montraient ouvertement les charges de la police montée, parfois jusqu'à 15 à la fois, dans la foule. Ils n'ont également pas été tellement discrets pour montrer des policiers en train de frapper des manifestants et n'ont pas été avares d'éloges en défense de la démocratie. Il a été fait le compte exact du nombre de policiers blessés alors que les manifestants blessés n'ont été mentionnés qu'incidemment, ou dans le cadre d'un plaidoyer en faveur d'une démocratie moins répressive.

Hors de Paliament Square, les étudiants, en s'appuyant sur leur expérience précédente où ils avaient été contenus par la police, ont fait éclater leur manifestation en de nombreux petits mouvements qui se sont dirigés dans plusieurs directions. D'après différents rapports, il semble que ces manifestations n'aient pas rencontré beaucoup d'hostilité et même aient souvent été accueillis par les applaudissements des gens sur le trottoir.

C'est l'une de ces manifestations qui a croisé le prince Charles et son épouse dans leur voiture. Leur regard étonné était le miroir de la classe dirigeante : la plèbe se révolte et nous n'avons pas été en mesure de la contrôler.

L'idée qu'il y ait une certaine forme de paix sociale en Grande-Bretagne a été matraquée avec ces étudiants qui ont été sans motif frappés à la tête par l'État. Plus important encore, beaucoup de ceux qui ont participé à ce mouvement ont vu leurs illusions dans la démocratie maltraitées. Ils ont appris que la seule façon d'être entendu est de se dresser, de défier l'État, de ne pas se soumettre.

Un coup dur pour les attaques idéologiques de la nouvelle équipe dirigeante

Dans la suite de l'élection générale de 2010, la bourgeoisie britannique espérait utiliser la coalition des conservateurs et des libéraux-démocrates pour maintenir et renforcer l'attaque idéologique contre la classe ouvrière :

  • La coalition avec les Libéraux Démocrates visait à contribuer à l'adoucissement de l'image des Tories, à l'enterrement du souvenir de Thatcher et des années 1980.

  • La formation de la coalition était censée montrer que les politiciens et donc la population peuvent mettre les divergences de côté et s'unir dans l'intérêt commun du pays.

  • Les mesures d'austérité devaient être acceptées parce qu'il n'y avait rien d'autre à faire, mais elles devaient être exécutées de façon équitable.

  • Il n'y a rien d'autre à faire en dehors de faire confiance aux politiciens pour qu'ils règlent les difficultés.

Les événements de ces dernières semaines ont constitué un sérieux défi pour la capacité de la bourgeoisie à maintenir cette offensive idéologique. Le fait que la première manifestation de lutte massive ouverte contre cette coalition s'est concentrée sur le QG des Tories et ait été accompagnée de chants furieux contre la 'racaille Tory' par des milliers de gens qui n'ont jamais connu de gouvernement conservateur a sapé tout espoir que la bourgeoisie a pu avoir de redorer l'image des conservateurs. La haine de la classe ouvrière pour les conservateurs est si profonde qu'elle se transmet de génération en génération. Quant aux libéraux-démocrates comme contrepoids, comme force de modération, cela a été infirmé par le fait que leurs dirigeants ont voté pour ces attaques, après la signature de promesses avant les élections qu'ils n'augmenteraient pas les frais. À certains égards, la direction Lib Dem est encore plus haïe que les conservateurs. Il sera intéressant de voir l'impact des récentes révélations de The Telegraph, dont les reporters infiltrés ont surpris plusieurs députés libéraux-démocrates entrain de faire des commentaires acrimonieux sur leurs partenaires de la coalition.

L'oraison du gouvernement, selon laquelle 'nous sommes tous dans le même bateau' n'est traitée avec rien d'autre que par un mépris général. Ce mouvement a été animé par une haine des riches, profonde, enflammée, qu'ils considèrent comme ayant reçu des milliards de livres en termes de gratifications et d'économies d'impôt, tandis que les étudiants et les lycéens, avec le reste de la classe ouvrière, se voient voler leur avenir. Il n'y a aucune hésitation chez la grande majorité des lycéens et des étudiants en formation continue et chez de nombreux étudiants d'université à se voir eux-mêmes comme partie de la classe ouvrière et à voir ces attaques comme étant contre la classe ouvrière.

L'idée 'd'équité' a été bafouée sans pitié. Les élèves remarquent le fait que les riches s'en tirent en payant le moins d'impôt possible, alors qu'on leur demande à eux de se sacrifier.

De toute évidence, cette rage contre les riches est très importante pour le développement futur d'une conscience de classe plus large et plus profonde. Cependant, elle est en ce moment aussi utilisée comme le portail principal pour la pénétration de l'idéologie bourgeoise dans ce mouvement. Cette colère primale, sans perspective plus large concernant la nature du système, se mélange à un sentiment d'injustice, que les riches devraient payer leur part. Ce qui est plus dangereux c'est que la gauche est entrain d'utiliser l'idée que ces attaques sont tout simplement idéologiques, parce que, prétend-elle, la classe dirigeante pourrait facilement payer pour la formation continue et pour l'EMA, si seulement elle imposait les riches de façon efficace, si seulement elle dépensait de l'argent pour l'éducation et non pour la guerre, et que ce qui arrive est ce à quoi nous devons nous attendre avec les conservateurs. On ne peut pas oublier la puissance de ces illusions idéologiques.

Si, pour le moment, ces illusions constituent un poids sur le mouvement, beaucoup de ceux qui y participent ne se font pas beaucoup d'illusions sur le Parti travailliste. Ils se souviennent que ce sont eux qui ont été les premiers à introduire les frais de scolarité. Et puis le Parti travailliste n'a pas apporté son soutien au mouvement, et il n'a pas dit qu'il supprimerait la hausse des frais s'il était élu.

Le point culminant du mouvement à ce jour, le 9 décembre, a également posé très nettement la question de la démocratie. Jusque-là, il y avait une forte croyance que si ils protestaient avec assez de vigueur, le gouvernement pouvait reculer, mais le résultat du vote a montré qu'il n'était pas en mesure de le faire. Et puis ces illusions dans le caractère raisonnable de la bourgeoisie en ont pris un coup violent, avec les forces de répression qui leur cognaient littéralement sur la tête. Tout cela a beaucoup donné à penser à ceux qui ont participé et au reste de la classe ouvrière.

Un problème majeur pour la classe dirigeante, un manque de contrôle politique sur le mouvement

Depuis son début, ce mouvement a confronté la classe dirigeante à un grand défi : celui des moyens de contenir et de contrôler politiquement le mouvement. Pendant un mois, la classe dirigeante a été confrontée à un mouvement qu'aucune de ses nombreuses forces politiques n'a été en mesure de contenir entièrement ni de contrôler :

  • Le National Union of Students (NUS), qui a organisé la protestation initiale le 10 novembre, et a mobilisé 50 000 étudiants, a perdu sa capacité d'agir en tant qu'organe principal des étudiants lorsque son chef, Aaron Porter, a dénoncé à maintes reprises l'attaque contre le QG du Parti Tory dans les journaux télévisés. On a eu cette situation ridicule où, lorsqu'il a dénoncé l'attaque de Millbank comme venant d'une minorité violente, la télévision montrait en direct des milliers d'étudiants qui entouraient le bâtiment et le commentateur lui disait « comment pouvez-vous dire cela, lorsque vous regardez ces images? » Après sa performance, le NUS a perdu toute capacité même d'essayer de contrôler la situation et ses militants de base ont dû aller dans le mouvement pour maintenir une certaine forme de crédibilité.

  • Le NUS n'a pas d'influence chez les lycéens et très peu chez les étudiants en formation continue.

  • Le Parti travailliste ne pouvait pas contrôler ce mouvement parce qu'il devait dénoncer l'attaque contre le QG des Tories et qu'il avait lui-même introduit les frais de scolarité.

  • Quant à l'extrême-gauche, aucune des organisations pseudo-révolutionnaires en Grande-Bretagne n'a assez d'influence pour contrôler le mouvement. Le Socialist Worker Party est probablement le plus important, mais son influence a diminué au cours de la dernière décennie. Le Socialist Party (ex-Militant Tendency) a joué un rôle à travers ses militants dans les universités et les lycées, mais il n'a pas d'influence nationale globale. Les gauchistes ont, dans une large mesure, dû se cacher derrière les principaux réseaux 'activistes', comme le Education Activists Network (EAN) et le National Campaign Against Fees and Cuts (NCAFC). Ils ont certainement eu une influence sur le mouvement, mais il est significatif que lors des réunions de ces réseaux, il y a eu un fort reflet de la force réelle du mouvement, par exemple, dans le fait que les organisateurs ont souvent été contraints d'accepter un débat libre et ouvert, contrairement à la lourde mise en scène en scène des réunion traditionnelles des gauchistes. Certaines réunions convoquées par les gauchistes sont encore dénommé 'assemblées' (comme à Brighton, par exemple), ce qui reflète autant un réel désir de nouvelles formes d'auto-organisation que la fonction de récupération des gauchistes.

Les mêmes jours que ces manifestations nationales, il y a eu de nombreuses manifestations locales appelées, via Facebook, par des réunions d'étudiants en formation continue, de lycéens, d'individus, des organes de coordination, comme le réseau qui a été mis en place à Oxford. De plus, ce même jour, des élèves ont spontanément déserté leurs cours : dans un cas, 3 adolescents ont appelé les élèves d'un lycée et 800 d'entre-eux sont sortis et les ont suivis. Dans de nombreux cas, les enseignants ont essayé de verrouiller les enfants ou la police a menacé de les arrêter pour absentéisme scolaire. Cela a conduit à une situation intéressante où dans des grandes villes comme Manchester, la principale manifestation n'a attiré que quelques centaines d'élèves, alors que dans de plus petites villes, le nombre de manifestants était plus important comme, par exemple, à Brighton où le 24 novembre, 2000 élèves ont déserté les cours pour aller manifester. Cette manifestation s'est terminée avec 400 élèves tentant de prendre d'assaut le commissariat central où leurs amis avaient été arrêtés.

Les citations suivantes dans The Guardian et Libcom.org donnent une idée de la nature spontanée de ce mouvement :

  • «Des centaines d'adolescents sont sortis du lycée Allerton Grange de Leeds pour se joindre à la manifestation. »

  • « L'action bien planifiée a vu presque toute l'école vide avec des banderoles soigneusement préparées ramassées dans des magasins ».

  • «Les élèves sont maintenant en route vers le lycée voisin Roundhay pour encourager ses élèves à les rejoindre. Il s'agit de deux lycées très performants dans un quartier particulièrement prospère de Leeds. Les deux établissements remportent régulièrement des places à Oxbridge. »

  • «Les élèves chantent 'ils disent réduisons, nous disons ripostons ' Deux élèves de 16 ans ont déclaré que l'accent était mis sur la perte de l'allocation d'études. L'un des deux a dit: «sans l'EMA Je ne pourrai jamais aller à l'université. Je veux réaliser mon rêve. » (The Guardian)

  • «I l y avait une grande énergie. La marche progressait rapidement en cercles toujours plus larges pendant plus de 3 heures d'affilée, en se tenant à l'écart de la police et parfois en en perçant les lignes. Cela a provoqué un vrai chaos dans la circulation et a contribué à empêché la police d'encercler la manifestation avec ses camionnettes pour la contenir. »

  • « Nous sommes passés par Cabot Circus & le centre commercial et nous nous sommes arrêtés pour une pause rapide au milieu de la zone de shopping, en pensant que c'était un endroit sûr parce qu'ils ne voudraient pas encercler une foule excitée au milieu d'un tas de boutiques de luxe. »

  • « Il y a eu une brève tentative pour entrer dans une boutique Vodafone. La police a été bombardée de moutarde devant le marché de Noël allemand. Il y a eu deux jolies tentatives pour occuper la maison du conseil municipal et le centre administratif de l'Université de Bristol. Des boules de neige ont été lancées sur les flics et les chevaux (qui ne les aiment vraiment pas). »

  • « La marche a été encerclée à la fin, à l'université de Bristol, quoiqu'une bonne partie des manifestants ait vu arriver la police et ait évité l'encerclement en sautant à travers des haies. »

  • « La police montée a fait une charge de cavalerie dans la foule qui avait échappé à l'encerclement. Quelqu'un aurait vraiment pu être blessé. Deux personnes ont été battues par la police en bordure de l'encerclement. Il y a eu 10 arrestations, principalement vers la fin, quand les gens essayaient de sortir de l'encerclement. Je pense que la plupart étaient des lycéens » (Libcom.org, 30/11/10).

Les informations que nous avons sur l'ampleur de ces manifestations locales sont limitées parce que la plupart des médias ont minimisé la participation des élèves. Toutefois, il est clair qu'une importante minorité d'entre-eux ont participé à ces manifestations et, dans de nombreux cas, les ont eux-mêmes organisées.

Ici, il est nécessaire de mentionner l'utilisation d'Internet et des téléphones mobiles dans ce mouvement. La jeune génération a fait un plein usage de ses compétences et de sa connaissance des médias. Facebook a joué un rôle important dans la coordination des luttes ; Twitter a également permis aux gens de rester en contact ; les occupants de l'University College of London ont également mis en place une carte Google, le 9 décembre, qui a montré où la police se trouvait afin que les manifestants puissent l'éviter. Internet a aussi été utilisé pour l'affichage de photos et de vidéos des manifestations, et de la répression policière. Par exemple, des séquences YouTube du 24 novembre ont démenti le fait que la police a nié avoir chargé la foule à cheval, alors qu'une vidéo montrant la police en train de malmener un manifestant dans un fauteuil roulant et de le traîner sur la route était accessible partout dans le monde.

Tout ceci montre que les principaux médias ont été écartés par beaucoup de ceux qui ont participé et qu'ils ont fait leurs propres rapports sur ce qui s'était passé. Les médias traditionnels déforment l'information, mais c'est ce qui a encouragé les jeunes à compter sur leurs propres sources d'information et sur leur propre organisation.

Les difficultés réelles que la bourgeoisie a eu en essayant de faire face à ce mouvement peuvent se résumer dans l'appel que le chef de la police de Bristol a lancé pour que quelqu'un devienne le leader du mouvement :

« M. Jackson a appelé à ce qu'une personne du corps étudiant se présente afin qu'ils puissent mieux coordonner ce qu'il a appelé une 'manifestation sans chef' »(presse locale citée sur Libcom.org).

La seule réponse de la classe dirigeante: accroitre la répression

Le dernier mois a vu une escalade de l'usage de la répression de la part de la classe dirigeante au fur et à mesure que le mouvement se développait. Avec ses organes politiques toujours incapables de contrôler le mouvement, l'État a eu une réponse principale: une répression de plus en plus violente. Certains ont comparé la confrontation entre la police et les étudiants qui a culminé le 9 décembre à l'émeute Poll Tax de 1990. Mais cette comparaison ne tient pas compte de la différence de contexte historique. L'émeute Poll Tax a marqué la fin d'un mouvement et a eu lieu dans une période de recul dans la conscience de classe. Ces récents affrontements entre le mouvement et la police, qui ont eu lieu non seulement à Londres mais aussi dans d'autres villes, se déroulent dans une période de recrudescence internationale des luttes, après cinq années d'attaques de plus en plus draconiennes sur la classe ouvrière. Et surtout c'est le premier mouvement étendu en Grande-Bretagne, mobilisant des dizaines de milliers de jeunes prolétaires et d'autres depuis la réapparition des luttes en 2003.

Il n'y a pas eu de confrontation entre les classes aussi radicale en Grande-Bretagne depuis le milieu des années 1980 avec les luttes des mineurs et des imprimeurs. La bourgeoisie a passé le dernier quart du siècle à se vanter de sa capacité d'amener la 'paix sociale’ et de connaître un très faible niveau de lutte de classe. Au cours de ces dernières semaines, la guerre de classe a été placée au premier plan de l'attention des travailleurs.

Le siège et l'attaque su QG du Parti Tory Partie n'a été la cause de presque aucune violence contre la police et de seulement quelques bris de fenêtres. Lorsque quelqu'un a lancé un extincteur d'incendie du toit de l'immeuble, celui-ci a été condamné par la foule aux cris de 'arrête de jeter, merde!'

Une faible présence policière a suffi pour arrêter une invasion massive de l'édifice. Deux semaines plus tard, ces mêmes élèves se sont trouvé confrontés à des charges répétées de la police montée et à de coups de matraque de la part d'une police en tenue anti-émeute .

La progression de l'usage de la violence pure de l'État contre ceux qui, dans de nombreux cas, étaient des jeunes ,montre sa préoccupation. La manifestation du 24 novembre a été témoin de l'utilisation par la police du 'kettling', qui consiste essentiellement dans le piégeage dans des zones confinées des manifestants en bloquant tous les moyens de sortie. Cette méthode avait été utilisée lors de la manifestation du G20 en 2009 et avait été critiquée, même par une partie de la bourgeoisie parce que contre-productive, dans la mesure où elle alimentait la colère. Elle a été plus largement utilisée, lors de la manifestation du 30 novembre et enfin le 9 décembre, où la politique du 'kettling' a été systématiquement pratiquée. Autour du Parlement, il semblerait que la police ait pratiqué cette technique en cercles concentriques, de telle sorte que si vous pouviez sortir d'un cercle, vous vous retrouviez dans un autre. Cela a été démontré à la fin de la manifestation quand la police a 'libéré' ceux qui avaient été pris au piège pendant des heures à l'extérieur du Parlement, qui se sont retrouvés à nouveau piégé sur le pont de Westminster pendant plusieurs heures dans le froid glacial et entassés comme du bétail.

Parallèlement au 'kettling', il y a eu une utilisation croissante de la violence. Avant la manifestation du 9 décembre, il y avait eu des affrontements entre la police et certains de ceux qui étaient pris au piège, alors qu'ils cherchaient désespérément à s'échapper. Par ailleurs, il y a eu des incidents où l'on a vu des manifestants battus par la police, mais cela a généralement été caché par les médias. Le 9 décembre cependant, les médias ont montré ouvertement la charge des chevaux dans la foule, la police anti-émeute matraquant les gens, etc. évidemment dans la vision d'une police qui devait se protéger. Mais le message était très clair : si vous protestez vous serez face à toute la force de l'État. Les journaux télévisés, sur un ton quasi hystérique, affirmaient clairement que c'était la police qui 'défendait' le droit démocratique de 'manifester pacifiquement', que la violence était dûe à une petite minorité, etc. Par rapport aux personnes sur le terrain, la police a dit que si elle était aussi violente, c'était dans le but de décourager les gens de fréquenter des futures manifestations.

ll est clair que, le 9 décembre, certains éléments devaient être prêts à affronter la police, mais la grande majorité était venue pour montrer sa détermination à exprimer sa colère face à ces attaques, malgré la répression croissante. Les jeunes manifestants ont très vite appris à ne pas se laisser encercler, comme cela s'était produit lors de la manifestation du 24 novembre, mais la police les a encerclés de façon systématique et a commencé à les attaquer. Dans de nombreux cas, ils se sont retrouvés en une foule compacte, ce qui rendait très difficile d'échapper aux accusations de la police alors qu'ils n'avaient pas d'autre choix que de se battre ou bien d'être piétinés par les chevaux ou battus par la police. Même dans une telle situation, de nombreux manifestants ont été en mesure de voir au-delà de la violence immédiate:

  • « Nous nous couchons tous, les uns contre les autres, les chevaux au dessus de nous, des coups de matraque qui vont pleuvoir sur nos têtes et nos épaules. J'ai vraiment peur d'être sur le point de mourir, et je commence à pianoter le numéro de mes parents sur mon portable pour leur envoyer un message d'amour. »

  • «Au dessus de moi, une jolie blonde de dix-sept ans pleure, des larmes coulent sur son visage tuméfié et elle crie contre les abus de la police. Les manifestants commencent à crier 'honte à vous!', Mais même dans le feu de la bataille, ces jeunes gens ne tardent pas à se rappeler ce qui est réellement en jeu dans ce mouvement. «Nous nous battons pour vos enfants! » chantent-ils, devant les flics en ligne. «Nous nous battons pour vos jobs!" (New Statesman).

Les télévisions et les couvertures des magazines montrent des jeunes masqués affrontant la police , mais la majorité est démasquée et tente désespérément de se défendre.

Dans ce chaos, la jeunesse a toujours affiché son esprit vibrant. Certains, à l'instar des étudiants italiens, avaient un bouclier fait à la maison, en forme de livre, avec Marx sur le devant, ou avec des titres comme Le Meilleur Des Mondes, Dans la dèche à Paris et à Londres, et Dialectique Négative d'Adorno. Ce dernier a apparemment joué un rôle majeur lorsqu'un gendarme à cheval a été désarçonné !

 

(The really open university)

Il était évident que l'État allait gagner dans une telle confrontation, mais le résultat à long terme de cette répression va être extrêmement important. L'idée d'un État et d'une coalition étant en quelque sorte 'gentils et équitables' s'est envolée par la fenêtre. Des milliers de jeunes et de moins jeunes ont vécu la violence de l'État ou ont vu leurs amis et des membres de leur famille non seulement attaqués, mais traités comme des criminels. La police prenait en permanence des vidéos de la manifestation ; même dans les petites villes, elle a photographié les participants, souvent ouvertement en allant au milieu de ceux qui étaient encerclés pour les photographier. Une génération entière a vu que la seule réponse de l'État à leur demande d'être écouté était la violence. Les implications de cette situation sont encore visibles.

Les perspectives pour une plus large confrontations

Ce mouvement a montré les premiers pas dans le dépassement de la démoralisation infligée au prolétariat en Grande-Bretagne, avec l'écrasement des mineurs, des imprimeurs et autres travailleurs dans les années 1980. Une génération de jeunes prolétaires s'est levée et il faudra compter avec elle. De nombreux travailleurs plus âgés ont vu ce mouvement avec admiration et avec un sentiment de 'enfin, nous ripostons!'. La question de la violence a pris une nouvelle dimension. Pendant des années, les médias ont présenté la population, c'est à dire la classe ouvrière, comme étant passive. Au début du mouvement, les médias ont pu trouver des étudiants prêts à critiquer le recours à la violence, mais, après les affrontements du 9 décembre, Newsnight a été incapable de trouver un étudiant prêt à critiquer l'usage de la violence de leur côté : au lieu de cela, les étudiants demandaient aux divers journalistes pourquoi ils ne dénonçaient pas la violence de la police? Les tentatives de l'État pour présenter le programme d'austérité comme 'juste' et équitablement réparti dans la société ont été considérées comme frauduleuses, et la seule réponse à la protestation a été la montée de la violence et de la répression. Ce dernier mois a laissé la classe ouvrière avec matière à réfléchir.

Bien que l'adoption le 9 décembre de la loi augmentant les frais de scolarité et le début de la période des vacances de Noël, aient inévitablement produit une pause dans le mouvement, beaucoup d'étudiants se sont engagés à le poursuivre en janvier. Nous constatons déjà une radicalisation dans le ton des syndicats, par exemple dans un article écrit par Len McCluskey, secrétaire général du syndicat du secteur public Unite, à la rubrique 'votre tribune' de The Guardian du 20 Décembre écrit ceci :

  • «Les étudiants de Grande-Bretagne ont certainement mis le mouvement syndical sur la sellette. Leurs protestations massives contre l'augmentation des frais de scolarité ont rafraîchi les partis politiques dont une centaine de débats, de conférences et de résolutions n'avaient abouti à rien.... Les syndicats ont aussi besoin de leur tendre la main. Les étudiants doivent savoir que nous sommes de leur côté. Nous devons condamner sans équivoque le comportement de la police dans les récentes manifestations. Le 'kettling', le matraquage et les charges de la police montée contre les adolescents n'ont pas leur place dans notre société.

  • Il est ironique que les jeunes aient été rejetés comme étant apathique et indifférent à la politique, pour que, dès qu'ils se révèlent en nombre, ils sont traités comme 'l'ennemi intérieur', d'une manière familière pour ceux d'entre nous qui ont passé les années 1970 et 1980 sur les lignes du piquet de grève.

  • "Et nous devons travailler en étroite collaboration avec nos collectivités qui sont les premières victimes de l'attaque. C'est pourquoi Unite a accepté de soutenir la vaste Coalition de la Résistance créée le mois dernier, qui regroupe, partout dans le pays, les syndicats et les associations locales anti-réduction.

  • "La manifestation du TUC, le 26 mars, sera un jalon essentiel dans l'élaboration de notre résistance, pour donner aux membres des syndicats la confiance pour faire grève pour la défense des emplois et des services ».

Le même jour, le site Web de The Guardian annonce que Unite et un autre syndicat important du secteur public, le GMB, vont soutenir la prochaine journée d'action demandée par le NCAFC et l'EAN pour le 29 janvier.

Au même moment, le leader du syndicat RMT, Bob Crow, parle de la nécessité de « l'action industrielle, de la désobéissance civile et de millions de gens dans la rue » pour redorer le profil de la gauche et des syndicats, pour mieux les aider dans leur tentative de récupérer un mouvement contre les attaques d'austérité.

La perspective est à de plus vastes et de plus larges confrontations de classe. La bourgeoisie prépare maintenant son appareil syndical pour prendre en charge la situation, mais il n'est pas garanti à l'avance qu'ils vont réussir.

World Revolution, section du CCI en Grande-Bretagne (23 décembre 2010)

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