A Vigo, en Espagne : les méthodes syndicales mènent tout droit à la défaite

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Nous publions ci-dessous un article rédigé par Accion Proletaria, organe de presse du CCI en Espagne et publié sur notre site en langue espagnole dès le 19 juin.

Il y a trois ans, les métallurgistes de Vigo ont été les protagonistes d’une lutte qui a obtenu satisfaction pour une bonne partie de ses revendications, en particulier, des augmentations de salaire égales pour tous, une mesure unitaire et solidaire qui a amélioré les salaires de tous, tout en favorisant les ouvriers les plus mal payés.

Le « secret » de ce succès temporaire est dû au fait que les ouvriers ont utilisé des méthodes prolétariennes de lutte : la grève est partie d’une petite usine de métallurgie et les travailleurs sont parvenus à gagner la solidarité active de leurs camarades des grandes entreprises voisines des chantiers navals et de l’automobile. Cette solidarité s’est développée grâce à des manifestations massives qui se sont rendues aux portes des usines, en organisant des assemblées communes où chacun pouvait participer et où l’on décidait de comment maintenir l’unité et comment poursuivre la lutte. ensemble. En même temps, la grève était dirigée au jour le jour par des assemblées dans la rue ou devant les portes des usines ouvertes à tous où près de 10 000 personnes ont pu participer et dans lesquelles des travailleurs d’autres secteurs étaient invités à donner prendre la parole. La bourgeoisie, à travers le gouvernement de Zapatero, autoproclamé champion de la « tolérance », a employé des méthodes exemplaires de tolérance telles que le passage à tabac, l'utilisation de gaz lacrymogènes et toutes sortes de provocations policières pour essayer d’en finir avec cette lutte. Mais les ouvriers ne sont pas tombés dans le piège. Et quand deux de leurs camarades furent placés en garde-à-vue, plus de 15 000 personnes se sont réunies devant les bâtiments où ils étaient emprisonnés et elles sont arrivées à obtenir leur libération1.

Trois ans plus tard, les ouvriers de Vigo reprennent la lutte

Depuis la fin avril, la lutte de classe est de retour à Vigo. Comme nous l’avons fait à l’époque, notre premier souci est d’exprimer notre ferme solidarité avec les travailleurs en lutte. Aujourd’hui, cependant, les conditions ne sont pas les mêmes qu’en 2006.

D'abord sur le plan de la crise. En 2006, on était en pleine euphorie expansive de « la brique et du béton » et il semblait qu’avec tant de « prospérité », on pouvait bien obtenir quelques miettes supplémentaires, tombées de la table d’un banquet si fastueux. Aujourd’hui, ce doux rêve s’est transformé en un cruel cauchemar qui va surtout hanter le sommeil des ouvriers. Les quelques miettes obtenues en 2006 ont été balayées par la bourrasque de la crise. Un travailleur le disait : « Ça va très très mal. Soit on lutte, soit on meurt ». Les soucis, les tensions, l’anxiété, sont palpables, le futur est plus que sombre, « je finirai au chômage et alors qu’est-ce que j’aurai pour mes quatre enfants ?», se demandait un autre ouvrier.

Mais le changement principal se trouve dans la politique menée par les syndicats.

En 2006, l’élan impulsé par une majorité de jeunes ouvriers avait surpris les syndicats. Dans les assemblées, ceux-ci rejetaient les propositions ouvrières, ce qui provoqua de l’indignation et de nombreuses cartes syndicales furent déchirées. Les manifestations massives n’ont pas pu être arrêtées par les syndicats, malgré leurs tentatives de les « recycler » en actions violentes ou en « arrêts de travail de 24 heures » qui leur auraient permis de contrôler fermement le terrain et d’empêcher les initiatives autonomes et le contact direct entre ouvriers de différents sites.

En 2009, par contre, les syndicats ont pris les devants. Au lieu d’une grève qui surgit des petites entreprises et qui se propage de proche en proche vers les grandes entreprises, les syndicats ont imposé la camisole de force des « journées de lutte » qu’ils dosent, contrôlent et convoquent à leur convenance. Enfermés dans ce corset, les ouvriers éprouvent, au moment où nous écrivons, de grandes difficultés pour développer leurs initiatives, leur solidarité, leurs actions.

Lors de la journée de lutte du 5 mai. « les piquets de grève sont partis de différentes usines de Vincios, de Porriño, de Mos et de Ponteareas.2 La place d’Espagne à Vigo a été le grand point de rencontre. De là, des milliers de travailleurs ont parcouru la Gran Vía jusqu’à la place des Amériques, où se sont joints d’autres manifestants du même secteur d’activité »3. Voilà de nouveau les méthodes classiques : manifestation massive et convergence entre travailleurs de différentes entreprises. À la fin de la manifestation, les ouvriers se sont regroupés dans une assemblée générale sur la place Do Rei. Mais à la différence de 2006, sous prétexte de laisser la parole aux représentants de chaque usine, les syndicats ont empêché l’expression libre qui s’est développée en 2006 et seuls les Comités d’entreprise prirent la parole.

La grève s’est poursuivie le 6 mai, mais au lieu d’aller vers les grandes entreprises, l’action proposée par les syndicats fut d’occuper la Foire Expo. Cela apparaissait comme quelque chose de spectaculaire qui était censé avoir une « forte répercussion médiatique », mais il s’agissait, en réalité, d’isoler les ouvriers, de s’opposer à ce qui peut les renforcer et empêcher ce qui aurait pu avoir un véritable écho social : l'intégration dans la lutte de leurs frères de classe des grandes entreprises.

Le 7 mai, les syndicats ont ouvert des négociations avec le patronat. En fait, il s’agissait pour eux de gagner du temps en noyant le poisson pour écoeurer les ouvriers, mais ce sont l’impatience et l’inquiétude qui ont commencé à se répandre chez les ouvriers. Des assemblées spontanées ont commencé à se produire dans certaines zones industrielles. Pour éviter tout débordement, les syndicats ont convoqué une nouvelle journée de lutte pour le 20 mai. Cette fois-ci, les grévistes sont allés vers les chantiers navals pour y chercher la solidarité et les travailleurs de chez Vulcano se sont joints à eux. Les arrêts de travail étaient programmés par les syndicats pour durer deux jourss, mais le 21 une charge brutale de la police contre une manifestation qui se dirigeait vers le chantier naval Barreras a ravivé la colère. Le lendemain, les ouvriers ont décidé de poursuivre la grève en débordant les syndicats, lesquels ont été contraints d’appeler à un nouvel « arrêt de travail de… 4 heures (!) ». ABC, journal de droite auquel on ne peut attribuer une folle sympathie envers les ouvriers, décrivait ainsi les événements dans son édition du 23 mai : « Près de 5000 manifestants, en tenue de travail, se sont lancés dans la rue pour protester contre les charges policières de la journée précédente, des charges que les syndicats, d’une seule voix, ont qualifiées de ‘disproportionnées’. Aux cris de ‘Vigo, la métallurgie est en grève’, les manifestants ont parcouru les rues principales en demandant le soutien des habitants. La manifestation de ce matin a été la plus puissante, celle qui a rassemblé le plus de gens pour la même cause, à laquelle se sont même joints des travailleurs de quelques entreprises qui jouissent de leur propre convention collective et qui n’ont pas hésité à rejoindre la lutte. »

Lors de l’assemblée qui s’est déroulée sur la place Do Rei, les syndicats proposèrent une trêve de 4 jours pour que « le patronat fasse une proposition sérieuse ». A la fin, ils ont réussi à convaincre les ouvriers rassemblés en proposant, en cas d’échec, une « grève générale illimitée », un mot d’ordre apparemment « radical » mais vide de sens qui s’opposait de fait à la poursuite concrète de la grève, maintenant que les forces, la conscience et l’élan étaient là.

Comme il fallait s’y attendre, il n’y a pas eu la moindre offre sérieuse de la part du patronat, ce qui a contraint les syndicats à lancer un nouvel appel à des journées de lutte pour le 3 et le 4 juin, en reportant le projet de « mobilisation générale » au 15 juin si le patronat ne donnait pas de réponse satisfaisante.

Le 3 juin, il y a eu une mobilisation massive avec la participation de travailleurs de Vulcano et de Metalship. Le 4, les syndicats ont organisé une de leurs actions-spectacle dont ils ont le secret : il s’agissait d’aller au Club Nautique de Vigo et d'empêcher l’accès des passagers au navire de croisière Independent of The Sea . D’un point de vue superficiel, un tel acte peut apparaître comme le summum du radicalisme « révolutionnaire » : est-ce que les croisières ne sont pas par hasard le symbole le plus parfait du luxe capitaliste ? Mais analysée sérieusement, il s’agit là d’une action non seulement inutile mais avec des effets tout simplement contraires. Les travailleurs s’isolent, s’affrontent à des gens qui ne connaissent en rien leurs revendicationsou qui sont dans les plus mauvaises dispositions pour les comprendre et, en fin de compte, ils fournissent les meilleures images pour que la presse et la TV s’en donnent à cœur joie pour les traiter des « vandales » ou les accuser rien de moins que de « faire du mal à l’image touristique de Vigo ». Alors que la méthode prolétarienne de lutte consiste dans le ralliement à la lutte des autres travailleurs à travers l’envoi de délégations massives aux autres usines et l’appel à des assemblées générales ouvertes (dans lesquelles tous les ouvriers y compris les chômeurs peuvent discuter ensemble, comprendre comment développer leur lutte, manifester leur solidarité,, en construisant donc un rapport de force réel et efficace contre l’Etat et le capital), la méthode des syndicats consiste à faire des actions vides, qui attisent les affrontements entre ouvriers, qui les isolent entre eux, les discréditent facilement et qui les exposent, comme ce fut le cas, à la répression policière la plus brutale.

Le show devant le bateau de croisière s’est achevé par une charge brutale de la police qui a dispersé les travailleurs. Mais parmi ceux-ci s’est répandue la consigne de se retrouver devant les portails de Barreras, le plus grand chantier naval de Vigo. Quelques 500 ouvriers sont arrivés à se regrouper sur une place devant l’entrée, même si immédiatement après une quantité impressionnante de fourgons de police ont occupé cette place et les policiers ont commencé à attaquer violemment les ouvriers regroupés. De l’autre coté de la place, dans un centre commercial, des jeunes d’un lycée se sont rassemblés spontanément, avec des clients de ce centre ainsi que d’autres travailleurs qui arrivaient au fur et à mesure. Cette foule criait contre la violence policière et encourageait en applaudissant les actions défensives des travailleurs massés de l’autre coté de la place. Ceci entraîna une violente charge policière qu’un photographe amateur décrit ainsi dans son blog : « À un moment donné donc, la police s’est jetée sur tous ceux qui y étaient rassemblés, d’abord en nous lançant des balles en caoutchouc que nous entendions siffler à nos oreilles et, de suite, en chargeant. Tout cela parce que nous n’étions pas favorables à ses agissements brutaux, injustifiés et disproportionnés. Nous avons couru nous réfugier dans le parking du centre commercial, mais avant d’y entrer un fumigène lancé par les flics est tombé en flammes sur nos têtes. La panique s’est emparée de nous tous et nous avons fermé la grille du parking au cas où l’idée leur viendrait de nous charger à l'intérieur. Soudain, les brigades anti-émeute ont rouvert les grilles et nous ont fait sortir en nous laissant partir avec l’obligation de nous disperser. »4

L’assemblée générale put enfin se dérouler parce que les ouvriers sont arrivés à briser l’encerclement policier et, d’après un témoignage, une autorité quelconque aurait donné l’ordre à la police anti-émeute de partir. L’assemblée lança un appel à une manifestation, en demandant à tous les travailleurs, de quelque secteur que ce soit, de s’y rendre avec leurs familles. La manifestation eut lieu le lendemain et rassembla 7000 personnes.

Pour ne pas rallonger cette chronique5, disons que les jours suivants se sont déroulés entre une succession d’appels à la grève, de poursuite de négociations infructueuses, de tentatives pour gagner la solidarité des travailleurs des autres grandes entreprises, comme à Barreras, à Vulcano et très minoritairement à Citroën. Au moment où nous écrivons ces lignes, mardi 16 juin, la situation est toujours fluctuante ; les travailleurs semblent fatigués parce que leur lutte parait sans perspective. Les syndicats ont proposé une série de mobilisations très compliquées, un véritable casse-tête : « L’action des manifestants et des piquets se focalisera aujourd’hui sur les concessionnaires d’automobiles, pour ainsi paralyser les ventes (...) Les centrales syndicales ont élaboré un programme de mobilisations pour cette semaine dont le contenu général consistera dans la réalisation d’arrêts de travail ‘partiels’ de quatre heures, entre 9. heures et 13 heures, lors du service du matin dans les chantiers navals. Pour les services du soir et de nuit, l’arrêt de quatre heures se fera à la fin de la journée de travail. Cependant, les garages de réparation automobile seraient exclus de ce programme et leurs arrêts de travail seraient réalisés à partir de 12h30 jusqu’à la fin de la journée. Pendant ce temps, les entreprises d’installation du gaz, les plombiers, le chauffage et l’électricité s’arrêteront toute la journée » 6

Les méthodes syndicales de lutte ne conduisent qu’à la défaite

Un des arguments majeurs utilisés par les syndicats pour justifier leur existence, c’est que, eux, « sont des professionnels de la lutte », qu’ils ont l’expérience de l’organisation, des négociations, des appels, etc. Face à de tels « experts », les ouvriers sont présentés comme des éléments malléables et apathiques, qui ne savent pas comment lutter, qui se bagarrent entre eux, qui agissent et pensent chacun pour soi, etc.

Mais la réalité des faits ne cadre pas du tout avec ces clichés. En 2006, les ouvriers laissant parler leur propre initiative ont été capables d’obtenir une forte solidarité, ce qui leur a donné un petit répit dans l’attaque de leurs conditions de vie. Par contre, ce que nous voyons aujourd’hui, en 2009, maintenant que les syndicats semblent avoir réussi à imposer leur marque de « professionnels chevronnés », c’est la fatigue, l’impasse, la démoralisation. On est forcé de conclure que la démarche et les méthodes syndicales ne développent pas la lutte ouvrière, mais qu’au contraire, elles la détruisent.

Les assemblées générales : en 2006, les assemblées ouvertes permettaient la libre discussion la plus large, de telle sorte que les ouvriers pouvaient réfléchir et décider ensemble en s’appuyant sur l’aide et l’opinion des camarades d’autres secteurs. En 2009, sous la férule des syndicats, les assemblées sont une caisse d’enregistrement ennuyeuse, où il faut supporter de longs discours des leaders syndicaux, où tout est bien réglé pour qu’il n’y ait que les délégués syndicaux qui parlent. Il n’y a aucune vie, les assemblées ressemblent à une caricature du cirque parlementaire. Comme à Vigo en 2006, comme lors des assemblées massives en Grèce, en décembre 2008, les travailleurs ont besoin de retrouver leur authentique tradition des assemblées ouvertes, avec la libre participation de tous, avec des discussions sur tout ce qui tient à coeur, avec des interventions concrètes et brèves. Rappelons-nous de ce que proclamait l’hymne de la Première internationale : «Il n’est pas de sauveurs suprêmes : Ni Dieu, ni césar, ni tribun, Producteurs, sauvons-nous nous-mêmes !». Les assemblées sont les moyens concrets pour que l’émancipation des travailleurs puisse être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes, sans aucun « sauveur » politique ou syndical.

La solidarité ouvrière : en 2006, les ouvriers rejoignaient massivement les autres entreprises, ils improvisaient des assemblées ensemble, on y créait un contact direct entre travailleurs, on pouvait y parler, établir des liens, dépasser l’atomisation et l’isolement, apprendre à se comprendre, à développer l’estime mutuelle, bref on mettait en avant les moyens pour se sentir en tant que partie de la classe ouvrière, en « se vivant », en s’affirmant comme telle. Et qu’avons-nous en 2009 grâce aux « mains expertes » des syndicats ? Il y a eu de nombreuses tentatives de reprendre les méthodes de 2006, mais les syndicats ont privilégié une action d’après eux « plus efficace » : les blocages ou coupures des voies de circulation et d’axes routiers. Ces coupures ont eu effectivement « un grand succès ». Chaque fois qu’il y a eu une « journée de lutte », Vigo était totalement paralysée, il était impossible d’arriver au travail à l’heure, de faire les livraisons, des affaires, de transporter des marchandises. C'était comme si on avait asséné un coup très dur à l’économie capitaliste.

Mais ce sont les patrons eux-mêmes qui reconnaissent que leur économie a été très peu touchée et les bouleversements, au-delà des situations ponctuelles, ont permis de dégager des stocks énormes et ils en ont même profité pour demander aux ouvriers des petites entreprises de rester chez eux sans être payés « par la faute des grévistes ».

Mais il y avait un autre « grand avantage » suivant les arguments syndicaux : les autres travailleurs « apprendront que le conflit existe », la répercussion sociale est « énorme », « tout le monde parle de ce qui se passe dans la métallurgie de Vigo ».

Dans un barrage de la circulation on impose manu militari la « solidarité » avec les grévistes, il n’y a pas de discussion possible, pas le moindre contact direct ni de rencontre, la seule chose que ça génère c’est l’intimidation, l’énervement contre les grévistes, l’atomisation, chacun enfermé dans « sa bagnole », avec l’angoisse d’arriver en retard au boulot. Aucune solidarité ne peut se développer de cette façon ; seule peut se manifester l’hostilité envers les grévistes. Les automobilistes « apprennent » l’existence du conflit, mais dans des conditions qui ne peuvent favoriser que l’antipathie et le rejet. Peut-être va-t-on parler « des métallos de Vigo », mais comme d’une affaire particulière, comme quelque chose d’étranger, des gens qui sont peut-être forts, mais dont on ne sait pas ce qu’ils veulent ni ce qu’ils revendiquent.

Autrement dit : ces méthodes n’aident en rien ni à l’unité ni à la solidarité, mais, au contraire, provoquent l’affrontement et la division entre travailleurs, elles ne font qu’augmenter encore plus l’atomisation et l’isolement caractéristiques de cette société.

Les actions-commandos spectaculaires : en 2006, les ouvriers ont réussi à développer une force collective basée sur la solidarité, les manifestations et les assemblées générales massives. Ceci provoqua une certaine alarme au sein du gouvernement qui, après avoir essayé la méthode de la matraque et des provocations policières, encouragea finalement des augmentations salariales pour en finir rapidement avec le conflit.

Aujourd’hui que la lutte est tombée dans les mains si compétentes des syndicats, nous observons tout le contraire : la lutte dure depuis plus de 2 mois et on ne voit pas la moindre issue, tout est en train de pourrir sur pied. Alors qu’en 2006, les autres couches non exploiteuses de la population de Vigo exprimaient une sympathie indubitable envers le mouvement de lutte, aujourd’hui alors que, paradoxalement, le conflit est bien plus connu et trouve un écho sur les écrans de la TV espagnole7, les comportements le plus courants chez « les citoyens » est celui de la lassitude et de l’hostilité vis-à-vis des grévistes. Aujourd’hui que la lutte de Vigo a eu une certaine « répercussion sociale », les travailleurs se retrouvent plus isolés qu’en 2006 alors que leur lutte était à peine connue.

Il faut se poser la question d’un tel paradoxe. Et là, le rôle crucial est joué par la manière avec laquelle le syndicalisme établit le rapport de force avec le système capitaliste. Les syndicats veulent faire croire que les ouvriers renforcent leur lutte contre le capital s’ils mènent des actions spectaculaires qui « s’attaquent au cœur du système » en obtenant un « fort impact social ». On a pu voir à Vigo  trois illustrations de cette conception: « l’occupation » de la Foire Expo, le petit numéro sur le port devant le bateau de croisière de luxe et, maintenant, ces actions « de force » programmées pour que les voitures ne soient pas vendues chez les concessionnaires.

Cette radicalité n’est en fait qu’une façade. On prétend s’attaquer aux « temples du capitalisme » telles que la Foire Expo et les croisières, on empêche la vente de voitures, symbole s’il en est du « capitalisme ». On pourrait penser que les bourgeois « ont une trouille bleue » devant de telles actions ; la « circulation des marchandises » est perturbée ou interrompue; pourrait-on imaginer une plus forte attaque aux fondations du système ?

Il est possible que tel ou tel bourgeois individuel ait peur, il est possible aussi que tel ou tel chef concessionnaire perde sa commission à cause de la casse provoquée, il se peut encore qu’un patron perde une affaire juteuse. Mais de telles actions ne laissent pas la moindre griffure sur la peau du mammouth capitaliste.

La base du capitalisme n’est pas un rapport personnel, mais un rapport social. Le capitaliste individuel est, comme le disait Marx, un fonctionnaire du capital, ce qui s’est énormément intensifié aux 20e et 21e siècles avec la présence toute puissante de l’État dans tous les domaines. Le sang empoisonné que charrie ce rapport social est fait d’atomisation, de division, de concurrence entre ouvriers. Si les ouvriers agissent chacun enfermé dans la prison de son entreprise, de son secteur, de sa région ; si chaque lutte ouvrière n’est pas considérée comme la sienne propre par les autres ouvriers, le capital en tant que système peut dormir bien tranquille.

Les actions spectaculaires montées par les syndicats ne rendent pas les ouvriers plus forts ; au contraire, elles les affaiblissent.

Premièrement, parce qu’elles offrent une image lamentable et repoussante des ouvriers impliqués vis-à-vis de leurs propres camarades et des autres couches non-exploiteuses de la société. Quand un groupe d’ouvriers organise le boycott d’une croisière ou une intervention coup de poing dans une Foire Expo, il apparaît comme une bande de gamins capricieux et chahuteurs qui trépignent. On ne les voit pas comme faisant partie d’une classe sociale capable d’avoir sa propre initiative, mais comme de petits vauriens qui viennent saboter une fête. C’est là une vision humiliante de la lutte de la classe ouvrière, qui la ridiculise et la discrédite à ses propres yeux et qui rend plus faciles les campagnes qui se sont multipliées à Vigo présentant les ouvriers comme des « vandales », des « antisociaux », des nouveaux fauteurs de « kale borroka »8.

Deuxièmement, et surtout, parce que les ouvriers sont ainsi dévoyés de la seule chose qui puisse les renforcer : la solidarité, l’action commune avec les autres ouvriers et aussi la sympathie –ou du moins la neutralité bienveillante- des couches sociales non-exploiteuses. Le rapport social capitaliste, le fonctionnement du système, commence vraiment à être bloqué quand face à lui surgit une force sociale capable de lutter de façon unitaire et solidaire, ouvrant ainsi une perspective bien différente de la sinistre réalité quotidienne du capitalisme.

Vigo 2006, Vigo 2009.

Certains répètent jusqu’à la nausée que les ouvriers sont passifs, qu’ils ne veulent pas lutter, que chez eux domine le « chacun pour soi ». Une vision que Zapatero se charge de rendre plus « crédible » quand il proclame que « les travailleurs sont plus responsables que le PP [Parti populaire, droite] car ils renoncent à la grève générale, laissant ainsi de la marge au gouvernement pour sortir de la crise ».

Autant Vigo 2006 que Vigo 2009 montrent tout le contraire : la combativité, la recherche de la solidarité, sont en train de mûrir dans des secteurs encore minoritaires de la classe ouvrière. C’est la pointe de l’iceberg d’un processus profond qui reste encore sous la surface. Pour que tout ce qui est en train de couver jaillisse, il est nécessaire de rompre avec les méthodes syndicales qui étouffent la lutte et celles de Vigo en sont un témoignage éloquent. Il nous faudra reprendre les méthodes prolétariennes de lutte comme celles de Vigo 2006.

CCI (16 juin)

 

2 Vigo, et son port transatlantique et de pêche situé sur un profond estuaire (ría), est le centre de la région la plus industrielle du Nord-ouest de l’Espagne. S’y trouvent, en particulier, concentrées les usines de Peugeot-Citroën ainsi que des chantiers navals importants.

3 Note de l’agence EFE du 6-5-09

5 Un dossier avec des informations reprises de certains journaux ainsi que des blogs et des commentaires de différentes personnes publiés sur Internet est disponible sur le blog « lieu de débat » appelé ESPAREVOL. (groups.google.com/g/esparevol/c/xGf-i8A7rHg?hl=es)

6 El Faro de Vigo, 16-6-09

7 En 2006 il y a eu une censure rigoureuse : il n’y a eu que quelques rares images sur la TV et la presse de niveau national.

8 C’est le nom de la guérilla urbaine menée au Pays Basque par les nationalistes radicaux pro-ETA.

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