Chapitre premier : Les tentatives avortées de création d’une Gauche communiste de France

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Chapitre Premier

Les tentatives avortées de création d’une Gauche communiste de France
 

Dans les années qui ont précédé la Seconde Guerre mondiale, il y eut en France trois tentatives pour créer une Gauche communiste et réunifier les différents groupes existants. Il ne s’agit pas ici d’en faire l’histoire. Celle-ci reste à écrire. Il existe pourtant quelques ouvrages qui retracent incidemment l’histoire de ces tentatives ([1]). Notre souci premier, dans cette brochure, est de tirer les enseignements politiques essentiels de ces expériences.

Il est à noter que les groupes trotskistes actuels font, pour ainsi dire, le silence sur ces organisations dont l’histoire a recoupé, pendant plusieurs années, celle de l’Opposition réunie autour de Trotski dont ils se disent pourtant les héritiers.

Par contre, ils sont plus diserts sur les moments où l’histoire de leurs “ancêtres” a croisé (pour ne pas dire qu’elle s’est confondue avec) celle de la social-démocratie ([2]). Ils montrent ainsi, à travers les organisations auxquelles ils font référence et qui sont des organisations bourgeoises, dans quel camp ils se situent. Quand, occasionnellement, ils évoquent la Gauche communiste, c’est pour la faire passer pour un courant au mieux sectaire ou exotique et n’ayant aucune prise sur la réalité.

1) La première tentative d’unification, à l’initiative de “Contre le courant”,
14-15 juillet 1928 ([3])

L’année 1928, avec les vagues d’expulsion de militants des PC, voit apparaître un peu partout des groupes d’opposition se réclamant d’une résistance à la politique stalinienne. L’Opposition russe ayant été décapitée, celle des pays européens et américains va prendre la relève : en Allemagne (le Leninbund), en Belgique (autour de Van Overstraeten et Hennaut), aux Etats-Unis (la Communist League of America), etc.

Mais, c’est surtout en France que l’Opposition internationale va puiser ses principales forces : écarté de la direction du PCF, Albert Treint ([4]) fonde l’Unité léniniste (qui deviendra le Redressement communiste) qui influence des petits groupes d’ouvriers de Bagnolet et Courbevoie (autour de Gaston Davoust) ; Pierre Naville réunit des éléments autour de la publication Lutte de classe ; un groupe d’opposition se forme sur la base du 15e rayon ([5]) du PC. Et cette liste est loin d’être exhaustive.

C’est le groupe l’Opposition communiste, fondé en novembre 1927 et publiant Contre le courant, qui propose une conférence d’unification de toute l’opposition pour les 14 et 15 juillet 1928. Une lettre ouverte datée du 2 juin est envoyée dans ce sens aux groupes suivants :

– les Oppositionnels de Limoges autour de Marcel Body ;

– le Cercle Marx et Lénine de Souvarine ;

– la Fraction de gauche du PC d’Italie ;

– le Groupe Treint-Barré Redressement communiste ;

– le Groupe lyonnais de l’Opposition (dit “Souzy”) ;

– La lutte de classes (groupe autour de Naville) ;

– Le réveil communiste (groupe de Pappalardi, 1re Fraction de la Gauche italienne) ;

– Rosmer et la tendance syndicaliste révolutionnaire de la Révolution prolétarienne.

La plupart des groupes déclinent cette invitation et ce qui aurait pu donner naissance à une véritable Gauche communiste de France, va être un échec.

Cet insuccès s’explique par un certain nombre de raisons essentielles :

– d’abord du fait de la multiplication des groupes d’opposition ([6]) et de leur dispersion politique, il n’a jamais existé de fraction de gauche au sein du PCF qui aurait pu donner une cohérence à un groupe véritable ;

– puis, par le fait que cette première tentative de regroupement est conçue sans une véritable confrontation des positions entre les groupes et, surtout, sans plate-forme commune. Comme le souligne avec la plus grande clarté la Gauche italienne : “Nous pensons qu’il est indispensable de se connaître réellement avant d’en arriver à affirmer si tel ou tel groupe fait une véritable critique de gauche” (Prometeo) ;

– une autre raison est que le critère principal que tous les groupes partagent est leur commune opposition au PCF ; ainsi, partir de l’anti-stalinisme comme base de discussion (et non pas des positions et de l’expérience révolutionnaire de l’IC) est plus qu’insuffisant pour confronter les positions politiques et encore moins pour bâtir une unité politique et organisationnelle ;

– enfin, il existe une raison aggravante bien que circonstancielle, c’est qu’il y a trop d’inimitiés entre tous ces anciens militants du PCF. Une grande majorité d’entre eux ne peut accepter de travailler avec ceux qui, peu de temps auparavant, les ont exclus du parti, notamment avec le “bolchévisateur” Treint ([7]).

2) La deuxième tentative : le prolongement de la conférence de fondation de l’Opposition de gauche internationale du 6 avril 1930 à Paris

En février 1929, survient un événement très important pour les oppositionnels : l’expulsion de Trotski de l’URSS par Staline. Cet événement leur donne un nouveau souffle et des contacts se mettent en place, à l’échelle internationale, entre eux et celui qui est symboliquement leur représentant.

Ainsi, dans la seconde partie de cette année, se crée de facto l’Opposition de gauche internationale. En France, le 15 août, paraît le premier numéro de La Vérité publiée par la Ligue communiste (Opposition de gauche) qui vient de se constituer autour de Naville et Rosmer et qui se présente comme le véritable porte-parole de toute l’opposition française.

Un faux “regroupement” s’effectue autour de la Ligue communiste qui a un statut d’opposition au sein du PCF. Il s’agit en fait d’une absorption par la Ligue de la plupart des militants du groupe Contre le courant. Les quelques individualités qui n’y adhèrent pas éditent, pendant un certain temps, un autre organe : le Libérateur (novembre 1929 - mars 1930) ([8]).

La nouvelle tentative de regroupement se fait essentiellement à la demande de Trotski et sous l’égide de la Ligue communiste qui appelle, pour le 6 avril 1930, à une conférence de fondation de l’Opposition de gauche internationale. La convocation de cette conférence est très précipitée, peu préparée et très volontariste. C’est ainsi que tous les groupes de l’Opposition n’y sont pas invités et que, par exemple, la Gauche italienne en est avertie au dernier moment. Les camarades Severino et Peri (Bottaïoli) y assistent tout de même, parce qu’ils habitent Paris et qu’ils sont contactés individuellement, mais c’est sans mandat officiel de leur organisation dont la Commission exécutive se trouve à Bruxelles ([9]).

Cette conférence n’aboutit pas à un véritable regroupement de la majorité des forces révolutionnaires qui se trouvent toujours éparpillées en France et dans le monde mais bien plutôt à la fondation, de façon volontariste par Rosmer et Naville, avec la bénédiction de Trotski, de l’Opposition de gauche Internationale (OGI). C’est pourquoi il persiste toujours une ambiguïté sur l’OGI et sur le Bureau international qui la représente : ont-ils une réelle existence politique ou sont-ils des créations artificielles voire un bluff ? ([10]) C’est cette ambiguïté que ressentent très fortement la Gauche italienne et les autres courants de Gauche qui n’adhèrent pas à toutes les positions de la Gauche russe inspirée par Trotski.

Contrairement à la tentative d’unification de 1928 qui aurait été, si elle avait réussi, une “véritable création”, celle-ci est en fait une “greffe”. Elle n’aboutit pas à un regroupement des forces de l’Opposition en France pour deux raisons essentielles. Elle s’effectue :

– autour de l’Opposition russe et des positions de Trotski ([11]) ;

– sur le principe de l’opposition et non pas d’un nouveau programme à opposer à celui du PCF ([12]).

3) La troisième tentative : la Conférence d’unification de 1933

Les réunions de la Conférence d’unification de 1933 représentent un sommet pour l’Opposition et un moment de plus grande lucidité dans l’histoire de la Gauche communiste en France. C’est pourquoi nous faisons le choix de publier intégralement les textes écrits pour cette conférence et qui ont été regroupés dans un Bulletin préparatoire en 1933.

La Ligue communiste (trotskiste), après avoir exclu de l’Opposition de gauche internationale tous les courants ayant de véritables positions propres ou une filiation solide ([13]), connaît, très rapidement après sa création, des crises et le départ de nombreux militants. Ces événements se produisent notamment du fait des méthodes et pratiques bureaucratiques qui existent en son sein.

A l’automne 1930 intervient le départ de Rosmer, puis le départ des éléments qui donnent naissance au Communiste. Depuis avril 1931, ils publient le Bulletin de la Gauche communiste et ils acceptent de suspendre cette publication pour participer à la Conférence de la Ligue des 2, 3 et 4 octobre 1931, pensant qu’il pourrait y avoir une possibilité de redressement de cette organisation et notamment un changement de ses méthodes organisationnelles internes. C’est un échec car les méthodes de la Ligue ne changent pas. Le Bulletin (organe temporaire) donne naissance à un journal, le Communiste, en novembre 1931. Enfin le groupe Treint-Barré du Redressement communiste va adhérer à la Ligue à la fin de cette conférence ([14]) mais pour un temps seulement.

Tous ces groupes ou éléments ont mis leurs espoirs dans un changement d’attitude de la Ligue après la “Paix de Prinkipo” ([15]) ; ils aspirent à une discussion politique large et ouverte entre tous les militants au sein des organisations, sans que leur soient parachutées les décisions des organes centraux, voire leurs virages politiques.

Mais cette Conférence de la Ligue d’octobre 1931, après quelques résultats, comme l’adhésion des membres du Redressement communiste, est un nouvel échec. Deux membres de ce dernier groupe sont élus au CE de la Ligue : Albert Treint et Marc Chirik. Mais ils quittent la Ligue moins d’un an plus tard ([16]), eux aussi sur des questions d’organisation et de droit des minorités, et ils fondent la Fraction de gauche. Celle-ci ne reste pas sur cet échec et n’accepte pas l’éclatement des forces révolutionnaires. Elle fait la proposition d’une conférence d’unification, et notamment un de ses membres, Marc Chirik, s’en fait le fervent promoteur.

C’est ainsi que nous retrouvons, de nouveau, tous ces groupes au début de 1933, en tant que protagonistes d’une nouvelle conférence d’unification. Et, cette fois, c’est le groupe de la banlieue Ouest qui prend l’initiative de la convoquer en invitant :

  la Fraction de gauche qui, à ce moment-là, connaît une nouvelle scission avec le départ de Treint et de Nelly Rousseau (la scission s’effectue sur la question de la nature de l’URSS, Treint considérant que l’URSS n’a plus rien d’ouvrier) ;

  la Gauche communiste qui publie le Communiste ;

  la Ligue communiste et sa minorité qui vient de se créer ;

  la Fraction de Gauche du PC d’Italie ;

  le groupe dit des “Etudiants” ;

  de petits groupes comme Pour la Renaissance communiste, une scission de la Gauche italienne composée de trois éléments (la scission s’est également effectuée sur la question de la nature de l’URSS ) ;

  des individualités comme Simone Weil ([17]), etc.

La lettre d’invitation à la conférence propose de débattre les trois questions fondamentales suivantes :

  la politique de masses de l’avant-garde communiste (le travail syndical et le contact avec les masses) ;

  l’appréciation du régime soviétique et de ce qu’est devenue la dictature du prolétariat en URSS ;

  l’appréciation de l’I.C. et de ses perspectives politiques. Comment réaliser le redressement communiste (fraction ou 2e parti ? Le régime intérieur de l’Opposition de gauche).

Par rapport aux grandes questions posées dans cet ordre du jour (nature de l’URSS et des PC, perspectives organisationnelles), les participants vont se diviser en deux grandes tendances. La majorité des groupes estime qu’il y a encore, à ce moment-là, quelque chose de prolétarien dans l’Etat soviétique et que, pour l’instant, la tâche est encore au redressement des partis communistes. En conséquence, il ne s’agit pas de créer un nouveau parti communiste. Au début de la conférence, Treint est seul à défendre l’idée que l’URSS n’a plus rien de prolétarien.

C’est sur la base de la défense de l’URSS que les membres de la Ligue communiste assistent à la première réunion (8-9 avril) ; ils proposent la déclaration suivante :

“Nous demandons l’exclusion de tous ceux qui nient la nature prolétarienne de l’Etat soviétique car nous pensons que la Conférence ne doit pas se baser sur les problèmes politiques mais sur les questions d’organisation qui maintiennent éparpillés les différents groupes qui se réclament du camarade Trotski.” ([18])

Mais alors que la grande majorité des participants rejette l’ultimatum qui accompagne cette déclaration et refuse d’exclure ceux qui, comme Treint, ne défendent pas l’Etat soviétique ainsi que ceux qui mettent en avant la nécessité immédiate de créer un nouveau Parti communiste (puisque l’IC a trahi), la délégation de la Ligue décide de se retirer.

Rapidement, le groupe des “Etudiants” et Simone Weil se retrouvent sur les mêmes positions que Treint et se retirent à leur tour, utilisant la même méthode inacceptable que la délégation de la Ligue : chercher à imposer, par un ultimatum, par le chantage, leur position. Ils se retirent à la fin d’une séance après l’intervention d’Alfredo ([19]) de la Gauche italienne qui est applaudie par la majorité de la Conférence. A grands traits, Alfredo défend l’idée que la question essentielle, pour la conférence, n’est pas de déterminer la “nature de l’Etat soviétique” mais de travailler pour la création d’une Fraction française ([20]).

Réunis à part, ceux qui se sont retirés mettent au point un texte intitulé : Où en sommes-nous ? Ce texte est signé par tous ces militants auxquels se joint Aimé Patri de la Gauche communiste ([21]).

L’organisation et la tenue de la Conférence

Une commission politique (le Comité intergroupe) est nommée pour préparer la Conférence. Elle est composée de :

  Marc Chirik, Henri Barré, Sarah Safir-Lichnevsky pour le Redressement communiste ;

  Lacroix ([22]), Marcel Fourrier ([23]), Gaston Davoust pour l’ex 15e rayon ;

  Collinet ([24]), Bertrand, Lévine, Vacher pour le Communiste ;

  Pierre Rimbert ([25]), Félix pour la minorité de la Ligue ;

  Alfredo Bianco (Bruno Bibbi), Gigi (Danielis), Piero Corradi pour la Fraction italienne.

La conférence a tenu ses séances les 8-9 avril, les 22-23 avril, le 7 mai et le 10 juin 1933. Les participants étaient au nombre de 72 (pointage de ceux qui sont arrivés à l’heure) ([26]) :

  7 participants de la Fraction de gauche (Groupe de Bagnolet) : Henri Barré, Marc Chirik, Sarah Safir-Lichnevsky, Louvard, Davannes, De Souter, Capdeville ;

  11 participants de la Ligue communiste (trotskiste) : R. Molinier, Pierre et Denise Naville, Pourtis, Gérard Rosenthal, Albert, Saval, Witte (Dimitri Yotopoulos, Grèce), Roger, Lastérade, Pietro Tresso (Blasco) ([27]) ;

  5 participants de la “Minorité” de la Ligue communiste : Rimbert, Félix (Elie Rasijansky), Emile (Michel Mazliak), Walfiez, Mayer (les 4 derniers faisaient partie du Groupe juif de la Ligue) ;

  16 participants de la Gauche communiste (Le Communiste) : K. et W. Bertram (Kurt et Katia Landau), Collinet Sizoff, Masseron, Dorne, Marie-Louise Haubert, Simone Kahn, Sagette, Madrange, Daniel Lévine (Paul Le Pape), Vacher, Jeanne Haulot, Pairault, Allégret, Aimé Patri Ariat, Rosmer (pour la séance du 23 avril 1933) ([28]) ;

  11 participants du Groupe de la banlieue Ouest (ex-15e rayon, journal le Bulletin) : Bonneville, Lacroix, G. Davoust, Verdeaux, Marcel Fourrier (adhésion en 1931), Béranger, Colin, Benjamin Péret (adhésion en 1932), Laure et M. Maillet, Chausson ;

  8 participants de la Gauche du PCI : Alfredo, Peri (Bottaïoli), Ernest et Pierre Corradi, Mathilde, Gigi, Dotto, Titi ;

  8 participants du Groupe des “Etudiants” : Jean Rabaut, Bénichou, Jean Prader ([29]), Jeanne, Devoyen, Paul Schmierer ([30]), Petitgrand, Max Pétal ;

  6 individualités : Nelly Rousseau et Treint Effort communiste ; Mathieu, Gandi, Marie Pour la renaissance communiste (ex Fraction de gauche du PCI), Simone Weil.

Il faut aussi signaler la présence de 2 participants de la Ligue des communistes internationalistes de Belgique : A. Hennaut et Herbrant.

Par l’envoi d’une lettre datée du 5 avril 1933, l’Opposition de gauche d’Autriche salue l’initiative de cette conférence d’unification.

Que deviennent tous ces éléments après la Conférence de 1933 ?

Le groupe des “Etudiants”, Treint et Simone Weil quittent donc la Conférence fin avril après leur ultimatum sur la question russe. Ils jugent “impossible de considérer l’Etat russe actuel, où ne subsiste, sinon sur le papier, aucune forme politique ou économique du contrôle ouvrier, comme un Etat de travailleurs s’acheminant vers l’émancipation socialiste.”

La Ligue communiste, nous l’avons déjà souligné, quitte la première séance sur un ultimatum par rapport à la position de Treint et s’en va sur la déclaration : “Adhérez à la Ligue!...”. Puis elle réapparaît une ou deux séances plus tard (en mai) quand les groupes comme celui de Treint qui ont rompu sur la question de l’URSS ne sont plus présents. En fait c’est un prétexte pour pouvoir assister aux séances sans réellement participer au travail de regroupement ([31]).

La Conférence se termine par l’unification de 3 groupes : la Gauche communiste, la Fraction de gauche du PCF et le Groupe de la banlieue Ouest.

Très vite, à ce regroupement s’allie la “Minorité” (35 éléments) qui est exclue de la Ligue en septembre 1933. Celle-ci, sous l’appellation de Union communiste (UC), a déjà publié un premier numéro de l’Internationale sous la responsabilité
des 35 exclus. L’ensemble unifié conserve le nom d’UC et assumera la publication de l’Internationale à partir du numéro 2 ([32]).

Sur la base de cette dynamique de regroupement, la Fraction de Gauche du PCI propose la publication d’un organe commun avec deux autres groupes, l’Union communiste et la Gauche communiste allemande de Kurt Laudau. Mais les autres organisations refusent et la Fraction de Gauche du PCI décide de publier, en novembre 1933, la revue Bilan sous sa seule responsabilité ([33]).

Qu’advient-il des membres de la Gauche communiste française à la fin des années 1930 ?

Certains, en grande partie provenant de la Ligue communiste, de son ex-”Minorité” et de l’ex-Gauche communiste, connaissent un fort recul politique et adhérent d’abord au groupe de Doriot puis au PSOP ([34]).

Dans l’Union communiste (UC), du fait des dissensions résultant de la guerre d’Espagne, il reste encore : Glasmann, Laroche, Voradi, Kouléche, Marcelle, Lew et Lastérade ainsi qu’un ou deux autres camarades ([35]) ; et enfin les membres de l’ex-Groupe de la banlieue Ouest (notamment Chazé).

Par contre, en 1936-1937, après le déclenchement de la guerre d’Espagne, les membres de la “Minorité” ([36]) de la Gauche italienne organisent une “communauté de travail” avec l’UC.

D’autres éléments provenant d’un groupe communiste de conseil ([37]), comme Jean Dautry, rejoignent alors l’Union communiste.

Il existe enfin quelques éléments comme Marc Chirik qui, au moment de la guerre d’Espagne, rejoignent la Gauche italienne : ils défendent l’idée que les prolétaires n’ont pas à choisir entre la “démocratie” et le fascisme, l’un et l’autre représentant des camps différents au sein de la bourgeoisie. Ils estiment aussi que la guerre d’Espagne n’est qu’un moment de la guerre impérialiste où le prolétariat n’a aucun camp à défendre. Dans le contexte de défaite générale de la classe ouvrière, de dispersion des dernières énergies révolutionnaires et de confusion en leur sein, la clarté politique et organisationnelle de Marc Chirik est à souligner. Elle jouera un rôle décisif dans la naissance, quelques années plus tard, de la Gauche communiste de France.

Quelles leçons peut-on tirer de cette conférence ?

Des travaux de cette conférence, on peut faire ressortir quatre aspects que nous allons développer plus bas :

  c’est la première tentative sérieuse de constitution en France d’un véritable courant unifié de gauche ;

  l’attitude de la Fraction de gauche italienne y a été exemplaire ;

  elle met en évidence la régression dans laquelle s’est engagé le courant trotskiste ;

  elle se situe à un des pires moments de l’histoire du mouvement ouvrier, au cœur de la contre-révolution, ce qui rend particulièrement difficile tout effort de regroupement.

1) C’est à partir de cette conférence que, pour la première fois, commence à se constituer une véritable opposition unifiée en France.

Contrairement à la Ligue communiste qui, en 1930, s’est créée sur la base des positions de la Gauche russe – positions reprises et adoptées sans la moindre discussion – et en rejetant celles des autres courants, cette 3e tentative d’unification est fondamentalement marquée par une volonté de clarification politique. La conférence a permis des débats sérieux et profonds entre tous les groupes présents. Ceux qui ont adhéré au regroupement qui s’en est suivi, comme ceux qui l’ont refusé, l’ont fait en toute connaissance de cause.

2) Cette conférence met en lumière de façon éclatante la méthode qui doit être défendue par les révolutionnaires. Et sur ce plan, la Fraction italienne du PCI qui y a pris une part très importante, est exemplaire. Elle développe sa position dans le texte publié en annexe, “Vers la construction d’une véritable Fraction de gauche en France”, qui pousse à la réunification des groupes en France sur la base des positions du 2e Congrès de l’I.C. et avec la volonté de ne rejeter aucun groupe oppositionnel “considérant chacun d’eux comme un courant reflétant des opinions du prolétariat français”.

Elle a enfin présenté une résolution intitulée “Contribution de la fédération parisienne de la Fraction de gauche du PCI”, qui délimite bien ses positions par rapport à celles des participants à la Conférence, que nous publions également en annexe. Cette résolution reprend les points principaux du premier texte. Elle n’est pas acceptée par la majorité de la Conférence qui reprend, comme Trotski, les positions de base des 4 premiers congrès de l’IC. Le contenu de ce texte sera développé dans le “Projet de constitution d’un bureau international d’information” publié dans Bilan n° 1 ([38]).

3) Le courant réuni autour de Trotski en 1933, la Ligue communiste, refuse la discussion et toute remise en cause de ses positions. De ce fait, il connaît un processus de sclérose et d’involution rapide vers l’opportunisme. Après 1933, il développe une politique d’entrisme dans la social-démocratie pour “aller aux masses”. Il glissera ensuite de plus en plus vers la droite jusqu’à son passage définitif, au cours de la guerre impérialiste mondiale, dans le camp de la bourgeoisie.

C’est malheureusement Trotski lui-même qui donne le ton. Après avoir, dès le début de la conférence, rejeté violemment la position de Treint sur la nature de l’Etat russe et sur la nécessité de créer un “2e parti communiste”, il va défendre cette même position quelques mois après et préconiser la formation d’une nouvelle Internationale.

4) Il est “minuit dans le siècle”. L’échec de la première vague révolutionnaire se termine par la victoire de la contre-révolution stalinienne en Russie et dans les PC, par l’arrivée du fascisme en Allemagne après l’Italie et par la marche du capitalisme vers la Seconde Guerre mondiale. Cette période historique est aussi marquée par la dispersion des dernières forces révolutionnaires.

L’effort de regroupement engagé à partir de la conférence de 1933 n’a malheureusement pas toutes les suites espérées notamment après la création de l’Union communiste. En effet, cette “Fraction française” commet une erreur politique qui en fait une fraction mort-née, une erreur qui consiste à reprendre, sans examen critique, le programme des 4 premiers congrès de l’IC. Ce choix l’a empêchée de se doter d’une plate-forme politique propre. La Gauche italienne, quant à elle, juge fort justement que cette “méthode de travail aurait été plus longue et plus laborieuse, mais les résultats auraient été positifs et le prolétariat français aurait enfin eu son organisation de classe”.

Après l’échec du processus entamé par cette conférence, il ne restera plus aux révolutionnaires que de se préparer à durer, à traverser la période difficile pour préparer au mieux les “cadres” de demain et transmettre aux futures générations le programme révolutionnaire pour la nouvelle vague de luttes de classe.

C’est ce que comprend la Gauche italienne qui cherche à lancer un organe de presse pour confronter les différentes positions avec l’Opposition de gauche française et l’Opposition de gauche allemande. Cette politique n’est pas comprise ni encore moins suivie à cette époque. Mais la Gauche italienne ne perd pas l’espoir de convaincre ; elle décide alors d’en prendre seule la responsabilité en créant la revue Bilan en novembre 1933, notamment pour tirer les leçons de la dernière grande vague révolutionnaire des années 1920.



[1]) Leur histoire est inspirée par les historiens trotskistes (cf. note ci-dessous).

[2]) Révolutionnaires de la SFIO, J-P. Joubert, Presses de la fondation des sciences politiques. Le tome I (mars à juillet 1933) des Œuvres de Trotski publiées par P. Broué, il n’y a aucune lettre de Trotski traitant de la conférence de l’Opposition de Gauche. Par contre, nous trouvons de nombreuses lettres sur le congrès antifasciste et les courants de la gauche socialiste !

[3]) Contre le courant, organe de l’Opposition communiste, reprint Feltrinelli. L’initiateur du groupe était Maurice Paz qui finira après 1934 comme membre de la “droite” de la SFIO.

[4]) Albert Treint (1889-1971) a été secrétaire général du PCF entre janvier 1922 et la fin de cette même année, après la démission de Frossard du parti. Il représente en France le courant “zinoviéviste” qui dirige l’IC dans cette période et, à ce titre, il est le principal maître d’œuvre de la politique de “bolchévisation” du PCF. Cette politique consistait en une mise au pas des partis de l’Internationale désormais tenus d’appliquer sans possibilité de débat les décisions du Comité exécutif. Une des caractéristiques de la “bolchévisation” sur le plan organisationnel était la structuration des partis sur la base des cellules d’usine qui conduisait à une dépolitisation des préoccupations des adhérents et étouffait le débat politique, laissant les mains libres à un appareil de plus en plus bureaucratisé.

[5]) Organisation territoriale du PCF regroupant plusieurs cellules.

[6]) La situation est similaire pour les autres pays tout en étant moins dramatique qu’en France.

[7]) Il faut préciser que dans sa tâche de responsable principal de la “bolchévisation” du PCF, Albert Treint avait manifesté un autoritarisme tout particulier, un trait de personnalité qui l’avait fait surnommer le “capitaine Treint”.

[8]) L’ex-15e Rayon du PCF, toujours prêt à rechercher l’unité au sein de l’Opposition, avait à l’époque appelé à une réunion de confrontation pour le 26 février 1930 entre différents courants : les amis de Maurice Paz (Le Libérateur), La Ligue communiste, le Redressement communiste de Treint (en tout 60 personnes). Mais d’entrée Alfred Rosmer émet des doutes sur une possible unification à cause des divergences sur le conflit sino-russe et sur la question syndicale. Ce fut un nouvel échec.

[9]) Cf. livre du CCI sur la Gauche communiste d’Italie, op. cit.

[10]) Cf. archives de la Fraction italienne et de O. Perrone à la BDIC, Nanterre.

[11]) La date de sa création 1930 en est le signe : après l’expulsion de Trotski de Russie.

[12]) Il existe trois positions sur l’attitude à adopter envers l’IC : celle qui défend l’idée d’une opposition dans l’IC, celle qui estime que l’IC est déjà perdue pour le mouvement ouvrier et la position intermédiaire qui considère qu’il faut aller plus loin et jeter les bases de nouveaux principes révolutionnaires (c’est le cas de la Gauche italienne).

[13]) Comme ce fut le cas pour la Gauche italienne, pour le courant Landau en Allemagne et pour celui de Nin en Espagne (comme nous l’avons montré dans la Gauche communiste d’Italie et plus particulièrement dans son Complément).

[14]) Nous relatons les événements de cette conférence dans le Complément à la Gauche communiste d’Italie.

[15]) Accord signé par tous les oppositionnels au cours de leur déplacement à Prinkipo en Turquie où se trouvait Trotski à
l’époque.

[16]) La lutte de classes n° 39 du 15 juin 1932, p. 21 et p. 26 pour la résolution de la Ligue et la résolution d’organisation dite “Marc-Treint”.

[17]) Celle-ci a commencé à travailler avec “le Cercle communiste démocratique” de Souvarine et la Fédération communiste indépendante de l’Est (FCIE).

[18]) In Pour la renaissance communiste, n° 3, 17 avril 1933.

[19]) Bruno Bibbi.

[20]) C’est la position de base de la Fraction italienne qui défend cette idée de fraction depuis sa création (cf. la Gauche communiste d’Italie).

[21]) Archives R. Lefeuvre et cité par J. Rabaut, op. cit., p. 88 à 100.

[22]) Ex-secrétaire du 15e rayon du PCF puis membre du Groupe de la banlieue ouest, groupe très influencé par Treint et le Redressement communiste. Lacroix était livreur-concierge à la Cooptypographie, coopérative ouvrière d’imprimerie.

[23]) Membre, avec Pierre Rimbert, à la fin des années 30 du groupe Que faire?, passent dans le camp bourgeois, animent Notre révolution pendant la guerre impérialiste de 1940. Ils qualifient la guerre de guerre impérialiste, tout en prenant parti pour les “démocraties”.

[24]) Michel Collinet adhère après le 6 février 1934 aux groupes des Amis de l’unité de Doriot avant de créer le PSOP dont il rédige le Manifeste le 8 juin 1938.

[25]) De son vrai nom Carlo Torielli, ouvrier typographe, né en Italie en 1909. Il est exclu du PCF en 1932. A la fin des années 30, il est membre du groupe Que Faire ? Puis il adhère à la SFIO qu’il quitte en 1958 à cause de la participation de Guy Mollet au gouvernement de De Gaulle. Il a été ensuite animateur de l’OURS (groupe de recherche de la SFIO).

[26]) Archives Gaston Davoust (Chazé).

[27]) Membre du Comité central du PCI dans les années 20, il participe à la bolchévisation du PCI contre les membres de la Gauche italienne puis il est expulsé pour trotskisme en 1930. Il fonde alors la Nouvelle opposition italienne (NOI). Il est assassiné en novembre 1943 par les staliniens qui viennent de libérer un groupe de résistants arrêtés par les Allemands.

[28]) Correspondance de Gaston Davoust du 3 février 1982 à un membre du Courant communiste international (CCI). Un certain nombre de ces militants adhéreront en 34-35 au groupe de Doriot avant de rejoindre 2 ans plus tard le PSOP.

[29]) Bénichou et Prader adhérent après 1933 au Cercle communiste démocratique de Souvarine. Ce dernier défend la même position sur la nécessité de créer un deuxième parti communiste. Puis, ils le quittent après le 6 février 1934 pour participer au groupe “Masses” créé depuis avril 1931 par René Lefeuvre. C’est d’abord un cercle d’études regroupant des membres du PCF, des exclus de ce dernier et quelques individualités. Les événements du 6 février 1934 propulsent ces derniers dans l’action immédiate. Jean Rabaut se retrouve dans la gauche socialiste en 1934-37 et enfin trahit clairement la classe ouvrière : il devient adjoint du commandant des FFI des Basses-Alpes. Il est clair que la non clarté sur la période, le rapport de forces entre les classes et la question de fascisme a déboussolé nombre de ces éléments.

[30]) Schmierer suit le même cheminement que Prader. Le 1er décembre 1936, il constitue avec ce dernier et quelques autres, tous membres des “Gauches révolutionnaires” de la SFIO, un “Comité d’action socialiste pour la levée de l’embargo” en Espagne (CASPLE).

[31]) C’est l’avis de Gaston Davoust (Chazé) qui nous l’a maintes fois écrit.

[32]) “Les 35 exclus de la Ligue qui forment la première Union communiste sont, par ordre alphabétique, les camarades suivants : Beaussier, Boulgar, Charles, Christian (R=Roumanie), Dimitri Yotopoulos “Witte” (G=Grèce), Doudain, Drucker, Edmond (P=Pologne), Emile, Georges (P), Mario Bavassano dit “Giaccomi” (NOI=Nouvelle opposition italienne), Robert Glasmann (né en 1913, imprimeur), Guimel, Jean-Jacques, Joseph, Kouléche (P), “Laroche” Szaja Schönberg (chimiste), Lastérade, Lax, Lew, Louise (G), Lucien, Marcelle (P), Martin (R), Mayer, Paul W (P), Paul, Robert, Roger (P), Saval, Teresa Recchia (NOI), Tomek, “Turin” (NOI), Victor (R), G. Walfiez” (correspondance de Claude Naville à G. Davoust, archives Davoust).

[33]) Le CCI se revendique de cet esprit qui a été plusieurs fois défendu par la Gauche italienne dans les années 30 et notamment au cours de cette Conférence.

[34]) En juin 1936, le Parti socialiste ouvrier et paysan (PSOP) se crée après l’exclusion de la Fédération de la Seine de la SFIO.

[35]) Correspondance de G. Davoust du 22 avril 1984 à un membre du CCI.

[36]) Cf. notre livre Contribution à un histoire du mouvement révolutionnaire, la Gauche communiste d’Italie.

[37]) Il défendait à l’époque des positions de la Gauche communiste allemande proche de celles défendues par l’ex KAPD. Cf. notre livre Contribution à un histoire du mouvement révolutionnaire, la Gauche communiste germano-hollandaise.

[38]) A cette occasion la Gauche italienne a accompli un travail remarquable, sur la base de la méthode marxiste, un travail que les actuelles organisations de la Gauche communiste doivent se réapproprier. En effet, aujourd’hui, ces organisations sont dispersées et isolées et il semble incompréhensible qu’elles ne puissent pas se rencontrer pour confronter leurs positions politiques et savoir jusqu’où elles peuvent se mettre d’accord pour travailler ensemble.