La Grande-Bretagne et la situation internationale (2e congrès de W. R.)

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Présentation

 

  • Le deuxième congrès de la section du CCI en Grande-Bretagne, World Révolution, s'est tenu en avril de cette année. Les congrès réguliers sont au coeur de la vie de l'organisation des révolutionnaires et sont le lieu où se révèle l'importance de ses tâches et de ses préoccupations. Ils permettent à l'organisation de faire le bilan de son travail passé et de mettre en place les perspectives futures. En particulier, ils révèlent que les révolutionnaires n'ont pas d'autres buts que d'assumer leurs responsabilités au sein de la classe dont ils sont le produit pour "clarifier la marche générale et les buts ultimes du mouvement prolétarien".
Principalement, le second congrès a reflété, à travers de l'adoption de la plateforme et la conscience de la nécessité d'un travail centralisé et international de construire les fondements de notre activité définis au premier congrès du CCI. En ce sens, loin d'avoir été une affaire nationale, le congrès a exprimé simplement un moment dans le travail international des révolutionnaires, qui est la seule échelle d'activité possible pour une organisation politique du prolétariat. Dans le contexte du renforcement du travail de WR, le congrès a affirmé la capacité accrue de WR d'intervenir dans la classe en grande-Bretagne. En particulier, la parution de WR va devenir mensuelle en 1978, par une résolution du congrès. Les autres sessions du congrès ont abordé les discussions qui animent le courant et dans une certaine mesure le mouvement révolutionnaire aujourd'hui. L'une sur le problème des groupes confus trouve son origine dans la nécessité de mieux comprendre le processus actuel au travers duquel les éléments les plus clairs du prolétariat s'approprient de nouveau aujourd'hui la conscience de classe. Ce processus est laborieux, empreint d'erreurs et de désorientation dues à la nature hétérogène de la conscience du prolétariat aujourd'hui et aux effets de toutes les limitations imposées à la classe par les restes de la période contre-révolutionnaire. En comprenant que le courant s'est développé lui-même au sein de ce processus, nous devons le connaître et discuter avec ces forces qu'elles soient des scissions avec des groupes d'extrême gauche des éléments de tendances communistes en dégénérescence ou bien des produits de la lutte de classe aujourd'hui qui sont capables d'évoluer vers un regroupement révolutionnaire. La question des groupes confus prend toute son importance lorsqu'on voit qu'un pôle de regroupement est entrain de se former après que l'époque de contre-révolution a détruit toute continuité organique avec le mouvement ouvrier antérieur.

Une autre question, l'Etat dans la période de transition du capitalisme au communisme, constitue un sujet important de discussion au congrès, considérant que le problème n'a pas été entièrement "résolu" par l'expérience de la classe ouvrière, comme par exemple, la nature des syndicats dans la décadence du capitalisme, que le prolétariat a dû affronter bien des fois comme des appendices réactionnaires de l'Etat capitaliste. Les révolutionnaires doivent donc consacrer une partie de leurs efforts à clarifier la nature de phase post-révolutionnaire de la lutte du prolétariat, en se basant le plus possible sur l'expérience limitée de la classe, en particulier de la révolution russe. Quoique ce soit seulement la classe ouvrière qui, à travers son expérience pratique puisse résoudre le problème de la période de transition, le prolétariat et ses minorités révolutionnaires doivent théoriquement se préparer aujourd'hui pour cette tâche formidable et à peine comprise qui devra être réalisée dans l'avenir. Le texte du congrès que nous publions dans cette revue, traite de la situation actuelle en Grande-Bretagne. Il est une contribution à l'une des tâches de WR et de tout, le courant: analyser constamment la période actuelle en relation avec les tendances générales du capitalisme décadent. Ce n'est pas par souci académique mais pour rendre concret dans notre intervention dans la classe ouvrière, le contexte de notre orientation politique fondamentale, l'évolution de la situation mondiale vers l'alternative guerre ou révolution, l'incapacité de la bourgeoisie à contrecarrer la crise au niveau politique et économique, la nature des mystifications, en particulier celle de la gauche, et les étapes du développement de la lutte du prolétariat vers la révolution. Un des aspects les plus importants du texte réside dans la tentative de voir la situation britannique dans le cadre international, en se référant aux tendances décrites ci-dessus et qui ont déjà été développées dans les numéros précédents de la Revue Internationale. Nous cherchons toujours à analyser en détail l'évolution de la situation présente de la façon la plus claire et la plus précise possible, en se rappelant qu'elle est un guide pour l'action du prolétariat. Ceci constitue, sous bien des aspects, un appel aux révolutionnaires à comprendre l'urgence de leurs tâches et la nécessité de redoubler les efforts car demain nos analyses seront un instrument politique dans les mains de la classe quand elle influencera directement l'histoire de façon décisive.

 

S.

 

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La situation

 

Dans les 14 années qui vont de 1953 à 1967, l’inflation était en moyenne de 2% par an dans les onze principaux pays industriels du monde. Dans les années 1973-1975, elle était en moyenne de 13%. Dans les années soixante, la production mondiale a augmenté de 6 à7 % par an. Mais, en 1974, la production globale a stagné et a diminué de 10% en 1975. Le volume du commerce mondial augmentait en moyenne de 9% de 1964 à 1974, mais lui aussi a chuté d'environ 6% en 1975.

 

Cela a entraîné l'augmentation du chômage qui s'est élevé au chiffre officiel de 5,25% de la population active des pays développés, dépassant ainsi du double le taux du "boum" de l'après-guerre. Voici quelques-uns des chiffres clés qui mettent en lumière la gravité de la crise économique qui se développe depuis 1968. Cette crise est due à la réapparition du problème de la saturation du marché mondial, elle marque la fin de la période de reconstruction et met en lumière, une fois de plus la mortalité du système capitaliste.

 

En 1976 et dans les premiers mois de 1977, nous avons pu voir que la soi-disant reprise, qui était supposée avoir mis fin à la récession de 1975, s'essoufflait immédiatement. Cette "reprise" était fondée sur les bases peu solides que sont la politique de re-stockage et une augmentation de la consommation et elle a donc échoué puis qu'elle ne pouvait influer sur les causes profondes de la crise économique. Le commerce mondial stagnant ne s'est pas véritablement relevé et la croissance industrielle n'a pas fait mieux prouvant que le modeste objectif de 5% calculé par l'OCDE en juillet 1976 était trop optimiste. C'est un taux de croissance de 3,25% qui est dorénavant prévu pour 1977. Ce qui est important, c'est qu'aucune action n'a été engagée à l'égard des aspects fondamentaux des crises capitalistes la sous-utilisation des forces productives et de la force de travail. Au contraire, même pendant la dernière reprise, un processus de rationalisation a été entrepris sur toute l'économie pour réduire autant que possible les coûts de production et de travail.

 

Il est de plus en plus ridicule de supposer que la politique keynésienne mise au point pour traiter des problèmes de l'économie dans un passé récent, puisse résoudre la crise d'aujourd'hui. D'un côté, la bourgeoisie est maintenant terrifiée par la perspective de la reflation : stimuler la production par d'énormes déficits ne peut que mener à une inflation encore plus désastreuse qu'aujourd'hui sans l'élargissement mondial. Mais d'un autre côté la déflation, par le moyen d'une restriction des crédits, est également alarmante pour la classe dominante. L'économie capitaliste ne peut fonctionner qu'en ayant la rentabilité pour but. Prévoir une expansion faible ou nulle ne peut qu'entraîner une diminution de la "confiance dans les affaires la chute des investissements et, en conséquence, la banqueroute définitive du système. Tracer un chemin entre ces deux maux devient de plus en plus difficile car la profondeur de la crise réduit 1es possibilités offertes à la bourgeoisie.

 

Un retour au protectionnisme à travers un renforcement de l'étatisation de chaque capital national, c'est-à-dire la politique qui mène à la guerre généralisée, telle est à long terme la seule voie de la bourgeoisie. Les USA vont essayer de préserver, le plus longtemps possible la cohésion du bloc américain, qu'une politique d'autarcie de chaque nation menacerait. Il semble que les USA vont tenter d'utiliser la force relative de l'économie allemande et japonaise pour soutenir les nations plus faibles, comme la Grande-Bretagne, l'Italie, ce qui aura pour corollaire de renforcer encore le capital américain. Déjà des appels sont lancés aux allemands et aux. japonais pour qu'ils développent leur marché intérieur afin de sauver les exportations des pays faibles. Des pourparlers ont aussi commencé, concernant la formation d'un "club de créditeurs", financé par les capitaux forts pour prêter aux économies faibles. Mais même cette stratégie va tôt ou tard s'effondrer. Les surplus commerciaux des économies fortes, avoisinant 4,50 milliards de dollars en 1976, ne peuvent éponger les déficits des faibles qui ont atteint 27 milliards de dollars en 1976. (De plus, nous ne parlons pas des déficits du tiers-monde qui a atteint le chiffre de 24 milliards de dollars en 1976 ni de ceux du bloc soviétique qui a accumulé une dette de 48,5 milliards de dollars).

 

L'approfondissement de la crise économique va continuer à exacerber les rivalités inter impérialistes entre les blocs américain et soviétique. A un autre niveau, les contradictions entre les intérêts de chaque nation d'un même bloc et ceux de l'ensemble du bloc, entre les secteurs dynamiques et les secteurs retardataires de chaque économie vont s'aggraver. La conséquence la plus importante de la crise sera la détérioration de l'équilibre entre les classes. Mais le calme qui existe encore aujourd'hui dans la lutte de classe nous oblige à nous pencher sur les deux premiers facteurs.

 

Dans la sphère de la politique internationale, nous venons de voir la tension monter en Afrique Australe. Les voyages de Castro et de Podgorny dans les Etats de la "ligne de front" de l'Afrique Australe et l'aide militaire qui accompagne chacun de ces voyages et l'invasion du Zaïre, sans aucun doute Inspirée par les russes, indiquent les manoeuvres de l'URSS dans cette région du monde. Ce qui caractérise de telles manoeuvres, c'est la tentative de s'attaquer à la supériorité politique et militaire des USA par des moyens militaires et de déstabiliser la situation existante. D'un autre côté, les USA sont en train d'essayer de garder les Etats-clients - la Rhodésie et l'Afrique du Sud - en maintenant une situation stable, à travers l'utilisation des pressions économiques et politiques pour passer graduellement à la domination de la majorité noire. C'est la signification de l'embargo récent des USA sur les exportations rhodésiennes et la résolution de l'ONU inspirée par les USA contre l'apartheid en Afrique du Sud, mais en dépit des manoeuvres des deux blocs impérialistes dans ce continent, la situation reste en équilibre pour le moment.

 

L'importance attachée par les USA et la Russie à l'Afrique Australe et au Proche-Orient plutôt qu'au Sud-est Asiatique montre l'intensification de la lutte inter impérialiste dans des endroits qui seront cruciaux dans un troisième carnage inter impérialiste mondial.

 

Tous les pourparlers sur la limitation des armements stratégiques et sur le danger de prolifération des armes nucléaires, qui sont assez à la mode dans la bourgeoisie, ne peuvent cacher le volume croissant et la sophistication des armements nucléaires détenus et développés par les super-puissances. La cynique défense des "droits de l'homme" par Carter vis à vis du bloc soviétique n'est rien d'autre que le coup d'envoi d'une nouvelle phase de la guerre froide et une voie détournée pour éviter un accord sur l'armement avec les russes. Brejnev a déjà averti les USA de ne pas s'occuper des affaires russes et proclame que Carter met en danger la soi-disant détente. Considérant que les USA ont maintenant besoin de la gauche comme allié dans les pays occidentaux, la cause des "droits de l'homme" - au contraire de "l'anti-communisme", est la plus appropriée pour sa propagande de guerre contre la Russie. La Russie veut éviter la pression politique que son asservissement économique au bloc occidental crée déjà.

 

La tentative du bloc américain de se renforcer en Europe continue. Nous avons déjà montré que les USA vont augmenter leur emprise économique sur les pays satellites d'Europe. Ceci permet dans une large mesure de superviser les équipes politiques qui seront obligées de mettre en application les mesures économiques. Toutefois ce déroulement des évènements a entraîné des tensions accrues entre les intérêts des USA et ceux de certains pays d'Europe. Face à la crise économique, chaque capital national a intérêt à étatiser l'économie le plus possible, et ceci de façon à non seulement centraliser et concentrer encore plus le capital national mais aussi à faciliter une plus grande exploitation et mystification de la classe ouvrière. Ce dernier objectif est facilité par le fait que les fractions politiques favorisant le capitalisme d'Etat sont le plus souvent de gauche et ont un langage "socialiste". Cependant, comme les faits récents en Espagne, Portugal et Italie l'ont montré, certaines de ces équipes de gauche n'ont pas la confiance des USA ni celle d'importantes fractions de la bourgeoisie locale. Les PC qui sont les plus puissants partis de gauche dans ces pays menacent les secteurs arriérés de la bourgeoisie liés aux USA et ont une affinité (bien qu'affaiblie) avec le bloc soviétique dans leur orientation internationale. Donc, dans ces pays, il y a une grave crise politique principalement due au fait que la solution satisfaisante qui doit être trouvée, doit répondre à la fois aux intérêts des blocs et à ceux du capital national. Cette crise s'intensifie d'autant plus que la situation économique de ces pays se détériore et que la lutte de classe semble s'intensifier. La grande révolte des étudiants en Italie est un symptôme de la décomposition à la fois économique et politique dans ce pays. Mais en dépit de la crise politique en Europe, les USA sont de plus en plus conscients que seule la gauche peut être une garantie de la paix sociale et de la cohésion économique et est donc l'instrument le plus adéquat pour assurer leur hégémonie en Europe.

 

Par contre, la victoire de la gauche aux municipales en France qui précède sa victoire probable aux élections législatives, semble montrer le chemin de la solution la plus adéquate pour la bourgeoisie nationale et l'ensemble du bloc américain. Ceci déjà parce que le PS de Mitterrand, force dominante de la coalition, est atlantiste, qu'il se chargera probablement d'étatiser graduellement la société et qu'il a le potentiel idéologique adéquat pour mystifier la classe ouvrière.

 

Dans le bloc soviétique, les tentatives de la bourgeoisie pour maintenir sa cohésion interne avec ses satellites se sont heurtées à des difficultés, l'année dernière. Dans ces pays, le fait que la vie politique et économique ait déjà été absorbée par l'Etat signifie que la bourgeoisie a un champ de manoeuvre très restreint contre la crise actuelle. L'incapacité de la bourgeoisie polonaise, par exemple, de persuader la classe ouvrière d'accepter la hausse brutale des prix en 1976, indique la rigidité extrême des régimes du bloc soviétique, et la profondeur de la crise politique qu'ils ont à supporter comme résultat. En Tchécoslovaquie, les bureaucrates et les gauchistes dissidents du parti donnent à la fraction de la bourgeoisie au pouvoir de sérieuses migraines. La "Démocratie" qu'ils défendent, amènerait, si elle était acceptée, sans aucun doute l'éclatement de la cohésion du bloc soviétique dans son ensemble et de l'appareil d'Etat. Le fait que le mouvement de la Charte 77 coïncide avec la propagande américaine sur les libertés civiles, augmente le danger que représente ce mouvement bourgeois dissident pour les intérêts du bloc soviétique. L'évidente incapacité dans laquelle se trouve la classe dominante tchèque de se servir de ces dissensions (qui se considèrent elles-mêmes comme une arme contre le danger prolétarien), pour mystifier la classe, éclaire sur la banqueroute politique du bloc soviétique.

 

Les imbroglios de la démocratie bourgeoise dans les dernières élections en Inde ou au Pakistan montrent l'extrême faiblesse de la bourgeoisie dans le tiers-monde alors qu'elle est durement secouée par la crise. Alors que le parti populaire pakistanais de Bhutto et le parti du Congrès de Gandhi sont réellement les forces les plus aptes à gouverner, la force des secteurs de la bourgeoisie moins viables politiquement qui constituaient l'opposition dans ces deux pays, était telle que, dans le cas du Pakistan, il n'a pas pu être écarté ni neutralisé sans que les élections soient manipulées et faussées et que la fraction dominante fasse appel à la force armée pour préserver son pouvoir. En Inde, le fait que l'opposition soit parvenue à ses fins, signifie qu'une période de dislocation politique est à l'ordre du jour dans ce pays, et qu'en conséquence un retour vers le renforcement de l'Etat, en particulier de l'armée, en sera un résultat inévitable à long terme.

 

Les évènements en Chine de l'année dernière ont aussi montré la fragilité des pays du tiers-monde et des pays "socialistes". L'élimination du secteur le plus arriéré de la bourgeoisie chinoise, les radicaux qui soutenaient l'indépendance nationale, économique, sociale et militaire ne s'est pas achevée sans de violentes secousses dans l'appareil du parti (comme en témoigne la vague d'exécutions ayant lieu actuellement) ni sans l'utilisation de l'armée pour mater la rébellion dans le pays. L'incapacité de la bourgeoisie chinoise à concilier ses différents d'une manière stable et qui va continuer malgré la victoire des "progressistes", proaméricains modérés, montre avec certitude que des convulsions extrêmes auront lieu dans l'appareil politique au fur et à mesure que la crise s'aggravera et que la classe ouvrière reprendra le chemin de la lutte. Par l'intégration plus grande de la Chine et de l'Inde dans le bloc américain, résultat des récents évènements, aggrave les échecs dont l'URSS souffre sur l'arène mondiale.

 

La situation en Grande-Bretagne

 

La Grande-Bretagne ne se trouve pas en face de problèmes fondamentalement différents de ceux rencontrés par les autres capitaux européens faibles, bien que sa crise politique soit moins aiguë que d'autres et que ses problèmes économiques aient d'une certaine façon une origine unique. Autrefois, première puissance capitaliste du monde mais éliminée en tant que telle par les deux guerres mondiales, la Grande-Bretagne a perdu ses colonies, sa force militaire, particulièrement sa force navale et sa position d'usurier de la production mondiale. Son PNB ne représente plus aujourd'hui qu'environ 6 % de la production totale des pays de l'OCDE. La productivité faible et sans espoir de son capital, résultat de l'achèvement de son industrialisation au début du siècle, se traduit par le fait que l'âge moyen de l'industrie britannique (aujourd'hui 34 ans) représente trois fois celui de la puissance japonaise ! Ces facteurs aident à expliquer le rapide déclin de la compétitivité britannique sur le marché mondial.

 

Depuis 1972, la balance commerciale du capital britannique n'est plus excédentaire. Vers l'automne 1976, à la suite d'une forte"course à la livre", celle-ci avait perdu 44,7 de sa valeur d'avant 1967. Le ministre de l'Economie et des Finances, Denis Healy devait faire appel au bloc US, au travers du FMI, pour un prêt de 3,9 milliards de dollars pour préserver la vie de l'économie britannique. Inévitablement, des conditions ont accompagné ce prêt, conditions qui semblent exprimer une stratégie économique et politique dans l'ensemble du bloc américain. Cette stratégie, à son tour, est le reflet du processus de renforcement interne du bloc impérialiste. Au niveau économique, une politique déflationniste était "conseillée", à savoir :

  • une réduction draconienne des dépenses du gouvernement qui avaient entraîné un déficit annuel de 11 milliards de livres dans ce secteur ;
  • une restriction du crédit pour essayer de diminuer la masse monétaire et contribuer, avec la réduction des dépenses gouvernementales à arrêter le taux d'inflation britannique " au dessus de la moyenne.
  • un refus des barrières douanières et du protectionnisme en général.

     

La stratégie comprenant ces éléments a été clairement conçue dans le sens d'une acceptation d'un affaiblissement continuel de la position compétitive de la Grande-Bretagne sur le marché mondial et pour préserver un maillon de la chaîne capitaliste européenne.

 

Au niveau politique, un soutien implicite a été donné au gouvernement centre-gauche de Callaghan et de Healy parce que tout en mettant en place la politique économique mentionnée, il allait :

 

  • maintenir son engagement dans le bloc américain au travers de la participation à l'OTAN, son importante capacité nucléaire et son armée en Allemagne fédérale ;
  • maintenir son engagement dans le Marché Commun ;
  • poursuivre une politique de fusion graduelle des éléments les plus faibles des capitaux privés avec l'Etat sans renverser l'économie mixte, le processus parlementaire et les intérêts américains dans le capital britannique ;
  • maintenir l'ordre social au travers de l'alliance avec les syndicats et la mystification du contrat social, tout en continuant d'attaquer la consommation et le niveau de vie des ouvriers.

     

Toutefois, une telle situation politique et économique ne coïncide pas nécessairement avec les intérêts strictement nationaux de la bourgeoisie britannique qui, à long terme, sont de créer une économie complètement étatisée derrière laquelle la classe ouvrière puisse être mobilisée par une équipe de gauche.

 

Les contradictions entre les intérêts du bloc impérialiste et de la nation font surgir d'immenses problèmes auxquels se trouve confrontée l'équipe de Callaghan aujourd'hui. La politique déflationniste imposée par le FMI n'améliore pas de manière significative la situation économique britannique qui va probablement empirer en 1977 lorsque les pleins effets de la dévaluation de la livre se feront sentir. Les mesures pour centraliser l'économie et la vie politique dans les mains de l'Etat, mesures qui vont fournir un cadre à long terme pour faire face à la crise n'ont pas lieu très rapidement. En fin de compte, l'équilibre entre les classes et le contrat social sur lequel il est basé, commence à s'effondrer.

 

Les tentatives que l'actuel gouvernement travailliste a faites pour nationaliser certains secteurs de l'industrie et éliminer les éléments parasites de l'appareil politique et économique, bien qu'assez mitigées, ont cependant rencontré de nombreux obstacles. Le vote sur les nationalisations des chantiers navals a été arrêté par l'opposition de la Chambre des Lords et vient juste de passer maintenant que les conservateurs se sont assurés que l'industrie de réparation des bateaux, encore bénéficiaire, resterait dans les mains du secteur privé. Le rapport Billock, ainsi qu'un plan ingénieux pour étatiser l'industrie avec l'aide des syndicats, ont été finalement mis au rancart après une forte opposition de la part des secteurs traditionnels de la bourgeoisie et des partis de droite. Des mesures pour restreindre l'activité des conservateurs à la Chambre des Lords et nationaliser les banques, sont loin d'être mises en place et de devenir effectives. L'arrêt de ces mesures n'est pas seulement le résultat de la nature modérée du gouvernement travailliste mais aussi de la force électorale des secteurs les plus arriérés de la bourgeoisie. Maintenant, les travaillistes n'ont plus la majorité au Parlement et le gouvernement est obligé de faire une quasi coalition avec l'aile droite : le parti libéral. Cela va sans aucun doute retarder la politique d'étatisation.

 

Le gouvernement travailliste et ses représentants dans la classe ouvrière- les syndicats - arrivent de plus en plus difficilement à maintenir le contrat social. Les marins lui ont déjà montré leur hostilité en août, l'année dernière, les mineurs et les cheminots semblent aussi promettre de le rejeter dans le futur, les ouvriers de l'industrie automobile, particulièrement, British Leyland, la grande compagnie subventionnée par l'Etat, se sont souvent mis en grève contre les effets du contrat. Alors que la raison mise en avant pour les quatre semaines de débrayage par les outilleurs de British Leyland, était le maintien de droits de négociations différenciés et séparés, sa cause profonde était l'appauvrissement que le blocage des salaires impose à l'ensemble de la classe. Bien que le débrayage ait été contenu par les shop stewards qui ont empêché la généralisation de la grève et le dépassement des préoccupations professionnelles, le refus des ouvriers de rentrer au travail pour le "bienfait de l'intérêt national" (B.L symbolise la faiblesse du capital britannique) montre, en dépit de l'alliance ouverte entre les patrons et les syndicats et l'Etat, la capacité de lutter que la classe promet pour l'avenir.

 

Tous les principaux syndicats ont été obligés, sentant le mécontentement de la classe, de proclamer leur opposition ou leur doute envers le succès de la troisième phase du contrat social et de jouer serré. Le TUC dans son ensemble a refusé de se compromettre avec la troisième phase jusqu'à ce qu'il puisse voir le contenu du budget des finances, mais considérant que le contrat social est un pilier vital pour la survie de l'économie britannique, il est donc essentiel qu'il dure. Cependant, la bourgeoisie est déjà consciente que des concessions à certains secteurs de travailleurs et une application souple du contrat social à l'avenir sont essentielles si l'on veut la paix sociale.

 

Les trois axes fondamentaux auxquels se trouve confrontée la bourgeoisie aujourd'hui :

 

  • la nécessité d'accélérer la domination de l'Etat sur la société,
  • la nécessité d'éliminer ou de neutraliser les milieux conservateurs de l'économie et de la politique,
  • la nécessité de mystifier la classe ouvrière ne peuvent être accomplis à long terme que par un changement vers la gauche de l'actuel gouvernement.
Seule la gauche du parti travailliste est résolue à prendre les mesures nécessaires d'étatisation (rappelons-nous que les hommes de gauche dans le cabinet actuel, T.Benn et M.Foot étaient de fervents défenseurs du rapport Billock). Seule la gauche travailliste n'a aucun scrupule à marchander avec les secteurs résolument arriérés de la bourgeoisie. Finalement et c'est le plus important, c'est la gauche qui est la mieux placée pour dévoyer la lutte de classe qui prend corps aujourd'hui. La politique des travaillistes de gauche a le plus grand écho dans les syndicats et est la plus capable de préserver les intérêts de la nation comme identiques aux intérêts des travailleurs et du "socialisme". Toutefois, la gauche travailliste n'a d'aucune façon la confiance du bloc américain. En effet, elle a :

 

  • un plan de réduction des dépenses d'armement et d'engagement dans l'OTAN,
  • elle défend une politique d'autarcie (barrières douanières et retrait de la CEE),
  • ses plans à long terme sur la"propriété publique" menacent les intérêts spécifiques des USA et compromettent politiquement les secteurs de la bourgeoisie britannique favorable aux USA,
  • ses liens étroits avec le PC et certains groupes trotskystes pourraient déterminer une orientation prosoviétique sur l'arène internationale.

     

Mais en dépit de ces importants obstacles, la gauche travailliste reste la seule fraction de la bourgeoisie dont les perspectives à long terme puissent maintenir l'ordre capitaliste. Pour cette raison et quelles que soient les difficultés qui existent aujourd'hui, un compromis entre le bloc américain et la gauche travailliste pourrait légitimer cette dernière pour le pouvoir dans des perspectives à long terme.

 

L'adoption de la récente quasi coalition avec les libéraux, premier mouvement dans cette direction depuis la guerre, est le signe de la crise politique qui va de plus en plus affecter la bourgeoisie britannique. A court terme, le "compromis" avec les libéraux signifie un mouvement à droite et une augmentation des difficultés pour préparer lentement une équipe gouvernementale de la gauche travailliste. Il est donc probable que cette dernière prenne le pouvoir dans le futur en réponse au resurgissement de la classe et à l'incapacité de l'équipe actuelle d'y faire face. Cependant, aujourd'hui et dans un avenir immédiat, le régime Callaghan constitue la fraction gouvernementale la plus adaptée. Le pacte libéraux-travaillistes est un signe qu'en dépit de l'impopularité électorale du gouvernement ;  la bourgeoisie comprend la nécessité qu'il reste au pouvoir.

 

La situation en Irlande du Nord est sans aucun doute un obstacle aux efforts de la bourgeoisie britannique pour faire face à la crise. Non seulement, les groupes terroristes rivaux mais aussi les partis parlementaires résistent au pouvoir centralisé de l'Etat britannique. Les infructueuses campagnes terroristes imposent de sévères restrictions de la production dans le nord et la présence continue de l'armée britannique est une saignée sur les ressources militaires de la Grande-Bretagne, qui doivent, de plus, être restreintes pour remplir ses obligations à l'égard de l'OTAN.

 

La révélation du "sale travail" fait par l'armée en Irlande du Nord et les promesses de Carter pour arrêter l'argent allant des USA à l'IRA semblent montrer que la bourgeoisie envisage un retrait ou une diminution de la présence de troupes britanniques en Irlande du Nord.

 

LUTTE DE CLASSE

 

Les attaques contre le niveau de vie et les salaires de la classe constituent les "solutions" les plus importantes de la bourgeoisie à la crise parce que, premièrement c'est un moyen essentiel de réduire le prix des denrées vendues sur le marché et deuxièmement cela l'aide à préparer la classe à des sacrifices pour la nation et finalement à la mobilisation pour la guerre. La première vague de lutte de classe depuis 1968 était une réponse élémentaire du prolétariat aux premières atteintes de la crise sur son niveau de vie. Elle a pris les partis de gauche du capital et les syndicats au dépourvu et les a dépassés un moment. Depuis, la bourgeoisie a regagné du terrain en utilisant dans la plupart des cas ces ennemis les plus implacables de la classe ouvrière que sont les équipes de gauche au pouvoir qui ont persuadé, jusqu'à un certain degré, la classe d'accepter l'austérité "pour le bien du pays" et les syndicats qui ont fidèlement cloisonné la lutte dans des limites acceptables. Ceci a amené un certain reflux pendant lequel la classe a été obligée d'approfondir sa conscience de la situation présente. Ce moment de basse activité est donc, en partie une réponse à la perception implicite que les luttes économiques sont de moins en moins payantes et que seuls la généralisation et l'approfondissement de la lutte peuvent amener des avantages. En même temps, un tel chemin implique aujourd'hui une confrontation consciente avec la gauche. Le sentiment de l'immensité d'un tel pas et de ses implications, le commencement d'une véritable guerre de classe a laissé la classe dans un état passif mais non vaincu.

 

La bourgeoisie, pour l'avenir, en dépit de son adoption de la gauche, a dévoilé plusieurs des possibilités qui lui sont offertes, pour affronter le prolétariat. A cause de 1'approfondissement de la crise, elle est capable de moins de manoeuvres et une fois que la carte de gauche aura été jouée, elle aura utilisé sa source de mystification la plus importante. L'approfondissement constant de la crise mondiale assure que l'immense affrontement entre les classes est à l'ordre du jour dans le futur. La lutte de classe en Pologne et en Espagne en 1976, le surgissement en Egypte et les grèves en Israël cette année et l'activité de la classe en Ethiopie occidentale sont des signes de résurgence du prolétariat après le calme relatif depuis 1972. Les réponses de la bourgeoisie à la crise, ses conflits inter impérialistes, ses tentatives d'étatiser chaque capital national et tout son jeu politique seront interrompus par la reprise de la lutte de classe. La tendance vers la barbarie capitaliste, qui semble être évidente en ce moment, sera éclipsée lorsque la solution du socialisme deviendra une possibilité plus concrète. Aujourd'hui, les révolutionnaires doivent se préparer à la seconde vague de montée des luttes depuis la fin de la période de la contre-révolution.

 

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