Elections présidentielles de 1988 : La gauche utilise l'épouventail Le Pen pour tenter d'affaiblir la classe ouvrière

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Les élections sont terminées. Mitterrand est de nouveau élu pour 7 ans à la tête de l’Etat bourgeois. Mais une chose est sûre : quelles que soient les équipes dirigeantes qui vont être appelées à gouverner, la seule politique qu’elles appliqueront c’est celle de l’austérité renforcée, des attaques toujours plus violentes contre l’ensemble des conditions de vie de toute la classe ouvrière. C’est ce qu’annonçait déjà un économiste bourgeois, à la veille du 1er tour, dans L’Usine Nouvelle du 21/4/88 : "Le réveil sera rude... Des mesures à court terme s’avèrent inéluctables, même si les candidats à l’élection présidentielle gardent un silence prudent".

Aujourd’hui, moins que jamais, la classe ouvrière n’a d’autre choix que de continuer à se défendre, avec encore plus de détermination, en développant ses luttes de façon massive et unie.

Cette riposte d’ensemble de la classe ouvrière, la bourgeoisie la sait inévitable. C’est pour cela qu’elle s’acharne aujourd’hui à tenter d’en reculer l’échéance. C’est pour cela qu’elle se prépare à la miner de l’intérieur.

Une campagne pour diviser, déboussoler, démoraliser la classe ouvrière

Dès le lendemain du 1er tour, on a vu toutes les forces de la bourgeoisie, relayées par les médias, développer un battage intensif autour du score de Le Pen et de l’effondrement électoral du P.C.F. Tous, de la droite à l’extrême gauche, s’efforcent de nous faire croire que ces résultats expriment une crise profonde de la classe ouvrière en France :

  • "Ce scrutin met en évidence le profond bouleversement que le paysage politique français vient de connaître. A gauche, l’effondrement -confirma dimanche- du communisme en France. A droite, l’apparition d’une force extrémiste. A l’origine des deux phénomènes, on trouve la même racine : l’éclatement brutal de la classe ouvrière française sous l’effet de la chute des industries traditionnelles." (J. Boissonnat, La Tribune de l’Expansion, 25/4/88) ;
  • "L’augmentation du score de Le Pen a de quoi inquiéter tous les travailleurs car elle reflète un recul du poids politique de la classe ouvrière et des travailleurs en général." (A. Laguiller, tract de Lutte Ouvrière du 26/4/88).

Ainsi, aux dires de toutes les fractions de la bourgeoisie, la classe ouvrière serait en crise parce que c’est dans les grandes concentrations ouvrières (Lyon, Marseille, banlieue "rouge" de Paris) que le P.C.F. a perdu le plus de voix et que, par contre, le Front National se serait renforcé.

Pire encore, non seulement on nous parle d’"éclatement de la classe ouvrière" mais on affirme que les 2,5 millions d’ouvriers au chômage seraient "l’humus" (pour reprendre l’expression d’un politicien bourgeois) sur lequel se développeraient les suffrages en faveur de Le Pen.

Toute cette campagne étourdissante ne sert qu’un objectif : diviser, déboussoler, démoraliser la classe ouvrière pour tenter de saper sa confiance grandissante en ses propres forces.

  • LA DIVISER : en cherchant à faire croire qu’il existe une opposition de plus en plus profonde entre ouvriers au chômage et ouvriers "actifs", entre ouvriers "français" et ouvriers "immigrés" alors que depuis des années la réalité de la lutte de classe montre que c’est tout le contraire qui est vrai. Elle montre la tendance croissante de la classe ouvrière à s’affirmer, à développer sa solidarité et son unité de classe au-delà des barrières sectorielles, corporatistes, raciales. Elle montre que la classe ouvrière se situe ainsi de plus en plus sur son propre terrain.
  • LA DEBOUSSOLER : en lui faisant porter la responsabilité de l’avance de Le Pen alors que le terrain des élections n’est pas celui de la classe ouvrière. Ce n’est pas elle, en tant que classe qui s’exprime ainsi mais des ouvriers, des citoyens, atomisés, qui se sont laissés piéger sur ce terrain et qui, de toute façon, sont autant mystifiés en votant pour Le Pen que pour n’importe quel autre candidat de droite ou de gauche. Le piège, c’est le terrain sur lequel ils se situent et non la couleur du bulletin qu’ils déposent dans l’urne. Si un petit nombre d’ouvriers s’est tourné aujourd’hui vers Le Pen, c’est l’ensemble des fractions de la bourgeoisie qui en porte l’entière responsabilité. Toutes, pour les besoins de leur propagande, se sont évertuées pendant des années à le monter de toutes pièces, à l’ériger comme un épouvantail.

Et le P.C.F. porte une part importante de cette responsabilité, lui qui, pendant des décennies, n’a cessé de développer une idéologie patriotarde, nationaliste, avec ses slogans depuis le "Plus forts les coups sur le boche chancelant" de la Libération jusqu’au "Produisons français" d’aujourd’hui, lui qui a fait largement ses preuves contre les ouvriers immigrés avec ses bulldozers à Vitry en 79, lui qui a participé activement à la politique d’expulsion des "étrangers" entre 81 et 84.

  • SAPER SA CONFIANCE EN ELLE-MÊME : en faisant croire à la classe ouvrière que l’affaiblissement du P.C.F. reflète son propre affaiblissement. Rien n’est plus faux. L’effondrement électoral du P.C.F., loin de traduire un quelconque affaiblissement de la classe ouvrière, constitue, au contraire, un signe révélateur de son renforcement, de son dégagement croissant de l’emprise du P.C.F. et de sa courroie de transmission dans les entreprises, la C.G.T. L’effondrement du P.C.F., principale force d’encadrement bourgeoise, est le symptôme d’une crise profonde, non de la classe ouvrière mais de la bourgeoisie. C’est au prix fort que le P.C.F. paie aujourd’hui les manœuvres répétées de sabotage des luttes ouvrières par la C.G.T. C’est au prix fort qu’il paie ses 3 années de participation active à la politique d’austérité menée par le gouvernement P.C./P.S. entre 81 et 84.

Une campagne pour dévoyer la classe ouvrière

Mais, plus encore, à travers cette campagne, la bourgeoisie affûte aujourd’hui ses armes pour se préparer à contrer l’inévitable riposte ouvrière contre les attaques à venir. C’est ainsi qu’elle a su exploiter à fond les résultats électoraux du 1er tour pour tenter, en agitant l'épouvantail Le Pen, de redonner un nouveau souffle à une campagne électorale qui suscitait jusqu’alors trop peu d’intérêt. En relançant ainsi sa campagne, il s’agissait pour la bourgeoisie de re-crédibiliser le jeu de ses partis afin de ramener les ouvriers qui s’en écartaient dans la fausse opposition entre droite et gauche, entre racisme et anti-racisme, entre fascisme et anti-fascisme.

Toute cette propagande tapageuse ne visait qu’un seul but : tenter de dévoyer la classe ouvrière de son propre terrain. Voilà le sens qu’il faut donner à la mascarade du 1er mai telle qu’elle fut organisée par la bourgeoisie. D’un côté, une grande manifestation d’extrême-droite, aux couleurs du nationalisme "réactionnaire", de l’autre -et au même moment- une grande manifestation d’union nationale contre le danger du fascisme, rassemblant les démocrates de tous bords, toutes classes confondues, de la CFDT aux nationalistes kurdes en passant par SOS-racisme et l’UNEF-ID. Union nationale justifiée ainsi par la CFDT : "Face au danger majeur que représente la montée de l’extrême-droite, il était nécessaire de modifier nos habitudes" afin que "soient représentés tous les démocrates sans exception." (E. Maire, Libération du 2/5/88).

La classe ouvrière doit déjouer tous les pièges de la bourgeoisie

La classe ouvrière a toutes les raisons d’avoir confiance en l’avenir. Non seulement elle n’est pas en crise mais c’est quotidiennement qu’elle continue à développer sa propre force, sa propre unité sur son propre terrain, celui du combat implacable contre la misère et l’austérité croissantes que lui inflige le capitalisme en crise.

Même pendant la trêve électorale, période traditionnellement plus favorable à la bourgeoisie, la classe ouvrière a continué à maintenir sa pression contre les attaques incessantes du capital : grèves aux usines Chausson et SNECMA, à Michelin, chez les dockers de Marseille, aux magasins Primistère-Félix Potin, dans les hôpitaux de la région parisienne, dans les mines de Lorraine autant de luttes qui, toutes, malgré leur caractère encore minoritaire, encore éparpillé, ont exprimé à des degrés divers le même besoin d’élargissement, de recherche de la solidarité dans la lutte.

Ainsi, ce que traduisent en réalité ces élections, c’est un affaiblissement considérable de la bourgeoisie. Affaiblissement révèlé une nouvelle fois par l’incapacité de la droite française, déchirée par ses querelles de cliques, à reprendre sa place au gouvernement. Affaiblissement renforcé encore par l’arrivée du 3ème larron, Le Pen, dans l’arène électorale. Affaiblissement sanctionné enfin, et surtout, par l’effondrement magistral de la principale force d’encadrement de la classe ouvrière, le P.C.F. (cf. RI 169).

Une telle situation constitue aujourd’hui un atout supplémentaire pour la classe ouvrière. Voilà pourquoi la bourgeoisie, consciente du pétrin dans lequel elle s’est embourbée, a toutes les raisons d’exprimer ainsi son inquiétude : "Le corps social peut avoir des réactions très violentes, et s’il n’est pas encadré socialement, ni par les syndicats qui sont en état de faiblesse, ni par un P.C. qui a perdu son implantation, et qui ne le sera pas par un Front National dont ce n’est pas profondément la nature, vous pouvez avoir des irruptions sociales complètement imprévues et difficiles. Ceux qui exerceront le pouvoir à partir du 9 mai prochain n’auront pas la tâche facile." (J. Boissonnat, cité par L’Humanité du 26/4/88).

C’est parce qu’elle redoute cette riposte d’ampleur de toute la classe ouvrière que la bourgeoisie se prépare dès à présent à la dévoyer et à la saboter. C’est le sens qu’il faut donner à la radicalisation actuelle du P.C.F. et de la C.G.T. telle qu’elle s’est déjà profilée à l’occasion du 1er mai avec l’appel de la C.G.T. à une manifestation séparée non seulement contre le danger du fascisme mais surtout contre l’austérité et le chômage.

C’est face à la perspective d’explosions sociales de grande ampleur que la bourgeoisie réintroduit ainsi le loup dans la bergerie : "Il existe toujours sur le terrain un Parti communiste qui continuera d’assurer son rôle historique d’entraîner à la lutte, de mener bataille contre les idées de fatalité et de résignation, de s’opposer à toute compromission avec la droite et son extrême Le Pen, en un mot un Parti communiste qui poursuivra, dans les conditions de l’après-élection, son œuvre quotidienne au service des travailleurs." (L’Humanité du 26/4/88).

Dans le développement inévitable de ses combats, la classe ouvrière devra nécessairement déjouer tous les pièges que lui tendra la bourgeoisie. Elle doit savoir que tous ceux qui, des syndicats -C.G.T. en tête- aux gauchistes (tels ceux de LO), prétendent défendre ses intérêts, tous ceux qui se placent sur son terrain se préparent, en réalité, à lui mettre des bâtons dans les roues, en se partageant dès aujourd’hui le travail pour saboter ses luttes de l’intérieur et les dévoyer dans la fausse alternative droite/gauche, fascisme/anti-fascisme.

 

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